La lettre juridique n°720 du 23 novembre 2017 : Droit des étrangers

[Jurisprudence] Exclusion du statut de réfugié : lorsque la Convention de Genève suffit

Réf. : CNDA, 26 septembre 2017, n° 16029802 (N° Lexbase : A4427WUI)

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par Caroline Lantero, MCF en droit public à l'UCA, EA4232, Avocate associée

le 06 Décembre 2017

L'arrêt de la Cour nationale du droit d'asile réunie en grande formation, en date du 26 septembre 2017, statue pour la première fois sur l'articulation d'une disposition légale française introduite en 2015 transposant la Directive "Qualification" de l'Union européenne (Directive (UE) n° 2011/95 du Parlement européen et du Conseil, 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale N° Lexbase : L8922IRU) avec les clauses conventionnelles classiques issues la Convention de Genève de 1951 (N° Lexbase : L6810BHP). La Cour précise les modalités de sortie du statut de réfugié en validant la perméabilité des clauses de cessation et des clauses d'exclusion et en continuant d'étendre la notion d'"agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies". L'intéressé est un ressortissant turc d'origine kurde, s'étant vu reconnaître la qualité de réfugié en 2003 par la CNDA, condamné par le juge pénal français en 2013 pour un délit constituant un acte de terrorisme. La gravité des faits commis a conduit l'office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) à mettre fin au statut de réfugié, qui constitue la décision contestée par le requérant. La requête a été attribuée à la CNDA par une décision du Conseil d'Etat (1) en vertu des dispositions de l'article L. 731-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) (N° Lexbase : L9276K4C) issues de la loi du 29 juillet 2015 (N° Lexbase : L6640KDB) qui ont considérablement élargi la compétence de la Cour (2). L'Ofpra a actionné le dispositif inédit de cessation du statut, inscrit à l'article L. 711-6 du CESEDA (N° Lexbase : L2531KD4) issu de la loi du 29 juillet 2015 portant réforme de l'asile (3). Ce mécanisme nouveau nous paraît, sinon purement inconventionnel, à tout le moins inutile. Pour comprendre cette nouveauté et les interférences que les dispositions créent avec le texte conventionnel, un rappel de l'articulation classique entre clauses d'inclusion, d'exclusion, de cessation et d'expulsion est utile. L'arrêt commenté est une illustration de ce qu'une confusion est toujours possible (I). Précisément, la CNDA vient au soutien de la démonstration de l'inutilité des dispositions de l'article L. 711-6 mais sans répondre au moyen tiré de son inconventionnalité. L'arrêt souligne également la perméabilité des clauses de cessation et d'exclusion, ainsi que la tendance à une extension de la notion d'"agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies" (II). I - Rappel de l'articulation classique des clauses d'inclusion, d'exclusion et de cessation

A - L'exclusion : une clause d'indignité

Il ressort du texte même de la Convention de Genève, des recommandations du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR) et d'une jurisprudence désormais constante que l'examen de la demande de statut de réfugié porte chronologiquement, en premier lieu, sur la qualification (les clauses d'inclusion) puis, mais seulement dans un second temps, sur les clauses d'exclusion dudit statut.

Les clauses d'exclusions sont inscrites à l'article 1F de la Convention de Genève : "Les dispositions de cette Convention, ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser: a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes; b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés; c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations-Unies".

L'exclusion du statut de réfugié est une clause d'indignité qui donne tout son sens à l'institution de l'asile. Certaines personnes, bien que répondant à la définition (risque de persécution en raison de motifs définis), ne méritent pas le statut. Le HCR résume ainsi ce qui s'est dégagé de la conférence des plénipotentiaires lors de la rédaction de la Convention dans une note de son comité exécutif : "L'idée selon laquelle une personne ne mérite pas la protection en qualité de réfugié a trait aux liens intrinsèques existant entre les idées d'humanité, d'équité et le concept de réfugié. Les objectifs primordiaux de ces clauses d'exclusion sont de priver de cette protection les auteurs d'actes haineux et de crimes graves de droit commun et de préserver le pays d'accueil de l'entrée de criminels qui présentent un danger pour la sécurité de ce pays. Si la protection fournie par le droit des réfugiés permettait d'offrir la protection aux auteurs de graves délits, la pratique de la protection internationale entrerait directement en conflit avec le droit national et international et s'inscrirait en faux contre la nature humanitaire et pacifique du concept de l'asile. Sous cet angle, les clauses d'exclusion contribuent à sauvegarder l'intégrité du concept de l'asile" (4).

En toute logique, le candidat au statut qui tombe sous le coup d'une clause d'exclusion n'aura jamais le statut de réfugié, puisqu'elle surgit normalement au moment où sa demande est examinée. Au mieux, il aura pu l'avoir. Il arrive pourtant que des circonstances surgissent après la reconnaissance du statut, et tombent dans le champ d'application des clauses d'exclusion (cf. infra).

B - La cessation : une victoire sur la persécution

Les clauses mettant fin au statut sont justifiées par le fait que la protection a idéalement vocation à être temporaire. Elles sont inscrites à l'article 1C de la Convention de Genève : "Cette Convention cessera, dans les cas ci-après, d'être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci-dessus; 1) Si elle s'est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité; ou 2) Si, ayant perdu sa nationalité, elle l'a volontairement recouvrée; ou 3) Si elle a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont elle a acquis la nationalité; ou 4) Si elle est retournée volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée; ou 5) Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité. Etant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s'appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures. ; 6) S'agissant d'une personne qui n'a pas de nationalité, si, les circonstances la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugié ayant cessé d'exister, elle est en mesure de retourner dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle".

La cessation consiste essentiellement à constater le rétablissement d'une protection étatique pour le réfugié, c'est-à-dire la fin de la crainte de persécutions. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une clause de "retrait", bien qu'elle ait longtemps été improprement qualifiée comme telle par les organes français de détermination du statut.

En droit administratif, le terme retrait s'entend dans un sens rétroactif, ce qui ne correspond pas à la réalité du réfugié qui ne dispose, certes, plus du statut pour l'avenir, mais qui doit être considéré comme en ayant bénéficié jusqu'alors.

Le statut de réfugié ayant un caractère purement recognitif, il n'est ni "octroyé", ni "retiré". Il est reconnu, et il y est mis un terme. On regrette que cette "maladresse" sémantique ait été récemment inscrite dans la loi. Le titre premier du livre consacré au droit d'asile dans le CESEDA, jusque-là sobrement intitulé "Généralités", s'appelle, depuis la loi du 29 juillet 2015, "Conditions d'octroi de l'asile".

Surtout, il ne s'agit pas d'une clause punitive. Pourtant, on observe un glissement très net de la cessation -"victoire" vers une cessation- "punition" dans le droit positif. Initialement prévue pour souligner l'aspect palliatif de la protection internationale et la préséance évidente d'une protection nationale, elle a pris progressivement un caractère punitif. D'abord dans la pratique jurisprudentielle, puis dans le droit de l'UE, puis, depuis la loi du 29 juillet 2015, dans le CESEDA.

Ainsi, l'Ofpra peut mettre fin au statut lorsque le réfugié n'aurait pas dû être reconnu ou lorsque la reconnaissance résulte d'une fraude (pas de difficulté majeure sur ce point), mais également lorsque la situation du réfugié régulièrement reconnu entre dans le champ des clauses d'exclusions de l'article 1F de la Convention de Genève (5), ou encore s'il "y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat ;" ou si "La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société" (6).

C - L'expulsion : une clause de protection du pays d'accueil

Aux termes de l'article 32 de la Convention de Genève, "Les Etats contractants n'expulseront un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public". L'expulsion du réfugié est donc conventionnellement admise et prévue. Toutefois, elle doit se faire dans le respect des garanties de la défense et ne pas conduire à expulser le réfugié vers un pays où il serait menacé. C'est le grand principe posé par l'article 33 de la Convention de Genève, connu pour être la pierre angulaire du droit des réfugiés, qui pose le principe de non-refoulement : "Aucun des Etats Contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques". On évoque plus rarement la seconde partie de cet article, qui prévoit que "Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays". Il s'agit là d'une autre clause d'expulsion, encore plus grave, puisqu'elle autorise le refoulement, et consiste inévitablement en une privation de protection.

Mais il ne faut pas confondre ces clauses d'expulsion avec celles de cessation prévues à l'article 1C de la Convention, ni avec les clauses d'exclusion prévues à l'article 1F. A priori, il est difficile qu'une personne passe à travers les mailles de l'article 1F s'il entre dans le champ d'application de l'article 33 § 2. Toutefois, l'article 33 § 2 n'exigeant pas que le crime eût lieu en dehors du pays d'accueil et avant l'arrivée de la personne, il est utile à la protection de l'Etat d'accueil lorsque le réfugié représente une menace pour lui, et c'est en toute logique cet article (ou l'article 32) qui doit être activé lorsque les circonstances changent après la reconnaissance du statut et que le réfugié est regardé comme une menace pour la sécurité du pays d'accueil.

II - Des clauses inutiles, des clauses perméables et des clauses étendues

A - La clause de refus/cessation : inutile et inconventionnelle ?

Les dispositions de l'article L. 711-6 du CESEDA, issues de la loi du 29 juillet 2015, permettent de refuser ou de mettre fin au statut lorsqu'il y a "des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat" ou lorsque "La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société". Il s'agit là d'un quasi-doublon de l'article 33 § 2 de la Convention de Genève sur l'expulsion.

En cela, cette clause doublement valable pour le refus initial comme pour la cessation du statut constitue un contournement très net de la Convention de Genève et ne devrait constituer ni une clause d'expulsion, ni (encore moins) une clause de refus initial : l'ordre d'examen fixé par la Convention de Genève est très clair : il convient d'abord d'examiner les clauses d'inclusion, puis les clauses d'exclusion du statut. Il n'existe donc pas de disqualification automatique. Cette disposition est trop récente dans le droit positif pour connaître son utilisation en tant que clause de refus initial, mais la CNDA court-circuite heureusement les difficultés à venir.

En l'espèce, la clause mixte de refus/cessation avait été utilisée par l'Ofpra pour mettre fin au statut de réfugié de l'intéressé dont l'appartenance à un groupe terroriste et la participation à des actes de terrorisme avaient été établis par le juge pénal.

La Cour nationale du droit d'asile vient rétablir une discipline chronologique à respecter et neutralise incidemment l'article L. 711-6 précité. Cette disposition ne saurait être un automatisme et n'exonère pas l'Ofpra (ni la CNDA elle-même) de procéder d'abord à l'examen de la qualification au statut. Ainsi, et pour respecter le schéma classique : 1. Etude de l'inclusion ; 2. Etude de l'exclusion ; 3. Cessation, la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 711-6 du CESEDA semble n'avoir pas de place, être un dispositif inutile et surabondant au regard de toutes les clauses conventionnelles susceptibles d'être appliquées.

En statuant ainsi, la Cour évite de répondre au moyen tiré de l'inconventionnalité de l'article L. 711-6 du CESEDA ou de la contrariété de l'article de la directive qu'il transpose avec la Charte des droits fondamentaux de l'UE. Mais la question demeure entière.

B - La perméabilité des clauses conventionnelles d'exclusion et de cessation

La jurisprudence française a admis depuis longtemps que si l'exclusion (Convention relative au statut des réfugiés, Genève 28 juillet 1951, art. 1F) ne peut pas être fondée sur la clause permettant l'expulsion du réfugié (Convention relative au statut des réfugiés, Genève 28 juillet 1951, art. 33 § 2), la cessation peut, quant à elle, être fondée sur une clause d'exclusion si les circonstances n'avaient pas été connues à l'époque de l'examen de la demande (7). Dans ces cas, l'intégration de la clause d'exclusion dans les clauses de cessation relève de la logique suivante : si l'organisme de détermination du statut avait eu connaissance de la commission de ce crime au moment de la reconnaissance du statut, le candidat réfugié serait tombé sous le coup de la clause d'exclusion (8).

De plus, il est possible de mettre fin au statut sur le fondement d'une clause d'exclusion, même si les faits tombant sous le coup de cette dernière clause ont lieu après la reconnaissance du statut, laquelle ne résulte donc ni d'une erreur, ni d'une fraude. Cette lecture de la Convention de Genève a été validée par le HCR, dans le cadre de la publication de ses principes directeurs, en précisant bien, toutefois, que sur les trois clauses d'exclusions inscrites dans l'article 1F, seules les clauses (a) ("ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité") et (c) ("se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations-Unies"), le permettent. La CNDA prend d'ailleurs appui sur ces principes directeurs pour faire valoir que ces clauses sont applicables pour "des faits ou circonstances qui se seraient produits postérieurement à la date à laquelle l'auteur de tels agissements aurait été reconnu comme réfugié". Le moyen tiré de l'inconventionnalité de cette modalité d'exclusion a posteriori (introduite à l'article L. 711-4 du CESEDA par la loi du 29 juillet 2015), avait été soulevé, mais, et bien que la CNDA n'ait finalement pas à répondre, il ne semble pas pouvoir prospérer, en tout état de cause, du fait même de la rédaction de l'article 1F qui ne précise les exigences de date et de lieu que s'agissant de la commission de crimes graves de droit commun. Celui-ci doit avoir eu lieu avant la reconnaissance du statut et hors du pays d'accueil. Aucune précision s'agissant des agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies, qualification opportunément retenue par la cour pour conclure à l'exclusion du statut de l'intéressé.

C - L'extension de la notion d'agissements contraires aux buts et principe des Nations-Unies

Le requérant avait été reconnu coupable de financement d'une entreprise terroriste et de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste, acte susceptible -à notre sens- de tomber sous le coup de la clause 1F (b) : un crime grave de droit commun (9). Mais ce crime ne constitue une clause d'exclusion que si elle a eu lieu en dehors du pays d'accueil. Son action a donc été qualifiée par la CNDA d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations-Unies.

Cette notion est ambiguë. Il peut paraître étonnant que ces termes d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies -inscrits dans une Charte qui s'adressent aux Etats, et non aux individus- soient incorporés dans une clause visant à exclure un individu d'un statut protecteur. Au sens de la Charte des Nations-Unies, seuls les Etats sont susceptibles de se rendre coupables de tels agissements. Ainsi, si un demandeur de statut de réfugié est visé par cette clause, il ne peut l'être qu'en qualité de membre du pouvoir ayant contribué à la violation des principes en question. Cet article pourrait avoir été rédigé pour sanctionner les personnes ayant collaboré avec les ennemis des (alors futures) Nations-Unies pendant la seconde guerre mondiale, c'est-à-dire essentiellement les autorités nazies. La raison d'être de cette clause est donc que des persécuteurs ayant été eux-mêmes à l'origine de mouvement de réfugiés, et se retrouvant un jour dans la situation d'un persécuté ne puissent profiter d'une convention contre l'esprit de laquelle ils ont globalement oeuvré. C'est d'ailleurs la position du HCR (10). Ainsi, un ancien dictateur ne peut "prétendre bénéficier du statut de réfugié, dès lors qu'il avait couvert de son autorité les graves violations des droits de l'Homme commises en Haïti pendant la période où il exerçait les fonctions de président de la République, la commission de recours, à qui il appartenait de rechercher si lesdites violations étaient susceptibles d'être regardées comme des 'agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies' au sens de l'article 1er paragraphe F de la Convention" (11). Le Conseil d'Etat a par la suite précisé que l'individu devait s'être rendu "personnellement coupable" de tels agissements et pas seulement adhérer intellectuellement (12). Sa jurisprudence a été constante depuis (13) et il a même rejeté la notion de "responsabilité intermédiaire" (14)". Dans un arrêt récent, et qui devrait rester isolé dans sa rédaction tant il sème la confusion (il sera pourtant mentionné aux Tables), le Conseil d'Etat a accepté la notion de "participation" au sujet de l'épouse d'une personne ayant séquestré et torturé, au domicile conjugal, un fonctionnaire du HCR, reconnue comme ayant "contribué à un crime grave de droit commun, constitutif d'un agissement contraire aux buts et principes des Nations-Unies" (15). La confusion opérée ici entre crime grave de droit commun (qui doit avoir été commis hors du pays d'accueil et avant l'admission à la protection) et agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies est parfaitement incompréhensible.

Le juge du fond de l'asile estime, depuis les années 2000, que les actes de terrorismes sont constitutifs d'agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies, lorsque l'intéressé est un membre actif d'une organisation terroriste notamment (16), ou lorsqu'il participe à la dimension internationale du terrorisme en faisant de la propagande terroriste sur internet (17) ou lorsqu'il finance directement des opérations terroristes (18).

Dans l'arrêt commenté, l'intéressé avait présidé et organisé des collectes de fond pour une association culturelle, en France, jugée comme étant la vitrine légale d'un mouvement armé fondé en Turquie, classé comme terroriste. Afin de faire entrer les actes commis par l'intéressé dans une telle qualification, la CNDA poursuit son travail d'élargissement de la notion et convoque des résolutions du conseil de sécurité très ultérieures à la Charte (et, curieusement, toutes postérieures au 11 septembre 2001), pour en déduire que ce type d'acte relève des agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies.

Soulevant d'office cette clause d'exclusion (19), la cour estime qu'"il appartenait au directeur général de l'Ofpra de déterminer si, à la date de sa décision, M. K. était encore un réfugié. Dans le cadre de son office de plein contentieux, il appartient au juge de l'asile de procéder à cette vérification".

C'est donc dans le cadre de cet office que la CNDA examine en premier lieu si l'intéressé entre toujours dans la définition du réfugié et estime que c'est le cas ("Eu égard à l'ensemble de ces éléments et alors que les informations générales librement accessibles au public précitées ne permettent pas de penser que les persécutions dont M. K. a déjà fait l'objet dans son pays, ne se reproduiront pas, les craintes de persécutions à l'égard des autorités énoncées par l'intéressé en cas de retour en Turquie, en raison de ses origines kurdes et de son engagement au sein du "DHKP-C", doivent être tenues pour fondées"). Puis, elle examine s'il tombe sous le coup d'une clause d'exclusion et estime que c'est le cas ("Son action de soutien d'un groupe terroriste revêt une dimension internationale, tant du fait que l'action de [l'association] en France avait vocation à appuyer les activités opérationnelles du mouvement en Turquie que du fait que ce groupe s'attaquait aux intérêts d'une puissance étrangère sur le sol turc"). En conclusion, elle juge que l'intéressé est ipso facto exclu du statut et qu'il n'est pas utile d'actionner l'article L. 711-6 pour mettre fin à la protection, puisqu'il ne peut plus être regardé comme un réfugié.


(1) CE 2° et 7° ch.-r., 23 décembre 2016, n° 403976, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8806SXG) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E4237EYL).
(2) Elle ne statuait jusqu'alors que sur les recours formés contre les décisions de l'Ofpra relatives à l'asile constitutionnel, à l'asile conventionnel et à la protection subsidiaire et statue désormais sur toutes les décisions que l'Ofpra peut prendre, notamment les décisions de "retrait" du statut ; v., nos obs., Un an de droit d'asile devant le Conseil d'Etat, Lexbase, éd. pub., n° 449, 2017 (N° Lexbase : N6747BWS).
(3) Laquelle est pour l'essentiel une loi de transposition, v., nos obs., La "réforme" du droit d'asile, Lexbase, éd. pub., n° 384, 2015 (N° Lexbase : N8741BUB).
(4) HCR, note sur les clauses d'exclusion, 30 mai 1997, EC/47/SC/CRP.29.
(5) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 711-4 (N° Lexbase : L2529KDZ) créé par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, en transposition de la Directive dite "Qualification".
(6) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 711-6, créé par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015.
(7) CE , 21 mai 1997, n° 148997 ([LXB=A9756ADPCE]) Rec. CE, p. 195 et CE Contentieux, 25 septembre 1998, n° 165525 (N° Lexbase : A8185ASX), Rec. CE, p. 342.
(8) Le HCR valide cette démarche dans son Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/1P/4/FRE/REV.1 UNHCR, 1979, Réédité, Genève, janvier 1992.
(9) V., pour une "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste" ; CRR, 25 octobre 2005, n° 399706.
(10) §. 163 du Guide ; V., aussi, P. Weis, Le concept de réfugié en droit international, JDI, 1960, p. 987.
(11) CE, 31 juillet 1992, n° 81963 (N° Lexbase : A7571ART), Rec. CE, p. 986.
(12) CE 10° et 7° ch.-r., 25 mars 1998, n° 170172 (N° Lexbase : A6724AST).
(13) CE, 24 octobre 2001, n° 211309, (N° Lexbase : A1888AX9) ; CE 9° et 10° s-s-r., 21 octobre 2011, n° 336576, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8342HYM) ; CE 2° et 7° s-s-r., 30 décembre 2011, n° 347408, (N° Lexbase : A6880IBG) ; CE 2° et 7° s-s-r., 22 juin 2017, n° 401045, (N° Lexbase : A7213WIY) ; CE 2ème et 7ème, 22 juin 2017, n° 401045 (N° Lexbase : A7213WIY).
(14) CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2014, n° 371502, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0839M9X).
(15) CE 9° et 10° s-s-r., 7 juin 2017, n° 396261, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6119WGQ).
(16) CRR, 17 octobre 2006, n° 585731 ; CRR, 27 juin 2008, n° 611731 ; CNDA, 31 juillet 2009, n° 630580/08011051 ; CNDA, 17 mai 2010, n° 09009414 ; CNDA, 17 octobre 2011, n° 10005838 ; CNDA, 30 novembre 2011, n° 11005411 ; CNDA, 5 avril 2012, n° 10004811 ; CNDA, 10 janvier 2014, n° 12007633 ; CNDA, 23 juin 2016, n° 12025076 (N° Lexbase : A3901UXR) ; CNDA, 16 décembre 2016, n° 10014242 (N° Lexbase : A3898UXN) ; CNDA, 24 mars 2017, K., n° 15027597 (N° Lexbase : A7469WZN); CNDA, 20 avril 2017, n° 12033163 (N° Lexbase : A3183WGY) ; CNDA, 11 juillet 2017, n° 16001216 (N° Lexbase : A7010WQP).
(17) CNDA, 21 avril 2011, R., n° 10014066.
(18) CNDA, 8 novembre 2012, n° 11022304 ; CNDA, 15 juillet 2014, n° 11016153.
(19) V., CE 9° et 10° s-s-r., 14 mars 2011, n° 329909 (N° Lexbase : A2439HDP), Rec. p. 83.

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