La lettre juridique n°227 du 14 septembre 2006

La lettre juridique - Édition n°227

Éditorial

Collectif d'été 2006 : un hécatonchire juridique !

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N2716AL8

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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du pôle "Presse"

Le 27 Mars 2014


Si l'occasion était donnée la semaine dernière de présenter les quelques lois issues du collectif d'été, cette semaine Lexbase Hebdo - édition sociale et Lexbase Hebdo - édition privée générale vous proposent de revenir sur deux lois de prime importance, dont les interférences avec le droit des sociétés et le droit social marquent, une fois encore, la centaine d'impacts du droit civil sur le droit des affaires : la loi portant réforme des successions et des libéralités et la loi relative à l'immigration et à l'intégration. En effet, la première loi, déjà abordée sous son aspect fiscal, présente quelques conséquences non négligeables en matière de droit des sociétés : plus de 7 000 entreprises disparaissent tous les ans, faute d'un encadrement juridique permettant d'assurer leur pérennité en cas de décès de l'entrepreneur. Aussi, les nouvelles dispositions prennent en considération la protection de la personne morale, de l'entreprise, aussi bien que les intérêts des créanciers. Quant à la seconde loi, outre les aspects de droit civil et, plus précisément, de droit de la famille, elle emporte de nombreuses modifications du Code du travail, notamment concernant le travail des étrangers. Tout un chapitre de la loi nouvelle est entièrement consacré à l'immigration aux fins d'emploi : création d'une nouvelle carte de séjour mentionnant la situation professionnelle (salariée, temporaire, détaché, saisonnier) ; renforcement des contrôles ; accroissement des sanctions. Aux fins de vous éclairer sur les nouveautés issues de ces lois en droit des sociétés et en droit social, Lexbase Hebdo vous propose les commentaires de Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), Réforme des successions et des libéralités, aspects de droit des sociétés, et de Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV, Loi relative à l'immigration et à l'intégration : aspects de droit social.

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Fraude carrousel et déduction de la TVA : distinction entre le simple cocontractant et le complice du manège

Réf. : CJCE, 6 juillet 2006, aff. C-439/04, Axel Kittel et C-440/04, Recolta Recycling SPRL c/ Etat belge (N° Lexbase : A2718DQQ)

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N2370ALD

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Le 07 Octobre 2010


Si, dans une chaîne de livraisons de biens, un opérateur s'abstient de reverser la TVA facturée, d'autoliquider la TVA due sur des acquisitions intracommunautaires ou prétend frauduleusement avoir réalisé des livraisons intracommunautaires pour récupérer une TVA d'amont, sa fraude interdit-elle à un autre opérateur de la même chaîne de déduire la TVA ayant grevé le prix de revient de ses livraisons effectuées dans l'ignorance de la fraude antérieure ou postérieure de ces livraisons ?

Dans l'affaire C-439/04, la société Computime Belgium achète en Belgique des composants informatiques qu'elle revend à des distributeurs établis sur le territoire d'autres Etats membres de l'Union européenne, notamment le Luxembourg. Rude concurrence ou malchance, ce marché des composants informatiques ne lui a pas réussi puisque cette activité s'est terminée par une faillite avec nomination d'un curateur, M. Axel Kittel. Ces livraisons intracommunautaires exonérées de TVA (6ème Directive, art. 28 quater A a N° Lexbase : L9279AU9) ouvrent droit à déduction de la TVA d'amont (6ème Directive, art. 17 § 3).

Le destinataire luxembourgeois revend les composants informatiques reçus de Belgique sur le marché intérieur. Ce dernier les réexpédie vers la Belgique, au fournisseur de Computime. L'acquisition intracommunautaire au Luxembourg constitue un fait générateur de TVA à autoliquider (6ème Directive, art. 28 bis 1 a et 3, 28 ter A 1). Cette TVA d'amont vient s'imputer sur la TVA facturée au cocontractant également établi au Grand-Duché (6ème Directive, art. 28 septies § 2 d). Ce dernier récupère lui-même cette TVA luxembourgeoise en raison de l'affectation de ses dépenses à des livraisons intracommunautaires exonérées (6ème Directive, art. 28 quater A a et 17 § 3), en l'espèce, au fournisseur de Computime, en Belgique. Ce fournisseur n'a jamais reversé la TVA facturée à Computime et a systématiquement déduit sa TVA d'amont. Selon la Cour de cassation belge, Computime était consciente de la manoeuvre.

Dans l'affaire C-440/04, Auto Mail, entreprise sise en Belgique a vendu des voitures de luxe à monsieur Aillaud, lequel les a revendues à la société Recolta Recycling. Auto Mail devait facturer de la TVA à Aillaud et ce dernier à Recolta. La TVA d'amont d'Aillaud grevant une opération imposable, il pouvait la déduire (6ème Directive, art. 2 et 17). Recolta a cédé les véhicules en cause à Auto Mail en vue de reventes intracommunautaires exonérées de TVA avec droit à déduction. En réalité, les véhicules n'ont jamais quitté la Belgique, empruntant différents circuits spécialisés destinés à échapper à l'impôt. Auto Mail a fait une utilisation frauduleuse du régime des opérations intracommunautaires, avec la complicité de Aillaud. Dans le cadre des procédures pénales auxquelles ont donné lieu ces faits, une ordonnance de non-lieu a été rendue à l'égard de l'administrateur de Recolta.

L'administration a refusé à Computime et à Recolta la déduction de la TVA payée, refus validé par les premiers juges à l'égard de Computime mais invalidé au profit de Recolta. La cour d'appel de Liège a confirmé ces jugements. La Cour de cassation a préféré suspendre la procédure et saisir la CJCE des questions préjudicielles suivantes :

"1) Lorsque la livraison de biens est destinée à un assujetti qui a contracté de bonne foi dans l'ignorance de la fraude commise par le vendeur, le principe de neutralité fiscale de la taxe sur la valeur ajoutée s'oppose-t-il à ce que l'annulation du contrat de vente, en vertu d'une règle de droit civil interne, qui frappe ce contrat de nullité absolue comme contraire à l'ordre public pour une cause illicite dans le chef du vendeur, entraîne pour cet assujetti la perte du droit à déduction de la taxe ?

2) La réponse est-elle différente lorsque la nullité absolue résulte d'une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée elle-même ?

3) La réponse est-elle différente lorsque la cause illicite du contrat de vente, qui entraîne sa nullité absolue en droit interne, est une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée connue des deux contractants ?"

En réponse, la CJCE dit pour droit :

"Lorsqu'une livraison est effectuée à un assujetti qui ne savait pas et n'aurait pas pu savoir que l'opération concernée était impliquée dans une fraude commise par le vendeur, l'article 17 de la sixième Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la Directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une règle de droit national selon laquelle l'annulation du contrat de vente, en vertu d'une disposition de droit civil, qui frappe ce contrat de nullité absolue comme contraire à l'ordre public pour une cause illicite dans le chef du vendeur, entraîne la perte du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par ledit assujetti. Est sans pertinence à cet égard la question de savoir si ladite nullité résulte d'une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ou d'autres fraudes.

En revanche, lorsqu'il est établi, au vu des éléments objectifs, que la livraison est effectuée à un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à la juridiction nationale de refuser audit assujetti le bénéfice du droit à déduction".

Le droit interne n'influence pas l'interprétation de la sixième Directive TVA (1.). Seule la connaissance de la fraude menace le droit à déduction (2.).

1. Indifférence du droit interne

A supposer que Computime et Recolta aient ignoré que leurs fournisseurs et/ou clients ne reversaient pas la TVA facturée ou déduisaient une TVA ayant prétendument grevé une opération imposable ou intracommunautaire, l'annulation des contrats pour cause illicite du fait du seul vendeur interdit-elle à son client de déduire la TVA ainsi facturée ? Autrement dit, l'annulation du contrat contamine-t-elle la situation fiscale de l'acquéreur. La perte civile du bénéfice du contrat se double-t-elle d'une perte fiscale chez la victime du comportement illicite du vendeur ?

Si le principe de neutralité impose une réponse négative, à savoir que le droit civil interne n'influence pas le régime de TVA applicable, le client du vendeur peut-il déduire la TVA facturée par ce dernier mais jamais reversée ? La fraude à la TVA infecte-t-elle toute la chaîne économique ?

Enfin, envisageant implicitement une réponse négative à la précédente question, la Cour de cassation belge préfère anticiper en demandant si l'annulation du contrat pour cause commune illicite changerait la solution.

En résumé, la Cour de cassation belge demande à la CJCE de dire si des assujettis qui n'ont pas participé à une fraude à la TVA, bien qu'ils l'aient facilitée, soit à dessein, soit par inadvertance, peuvent déduire cette TVA d'amont née d'un acte illicite et frauduleux.

S'agissant de l'assujetti de bonne foi, la Cour de Luxembourg a, le 12 janvier 2006, décidé qu'un opérateur ne peut se voir interdire de déduire la TVA ayant grevé le prix de revient de ses opérations dans le champ d'application de la TVA au motif d'une fraude antérieure ou postérieure qu'il ignorait. Elle a en effet dit pour droit que "le droit d'un assujetti effectuant de telles opérations de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont ne saurait être affecté par le fait que dans la chaîne de livraisons dans laquelle s'inscrivent ces opérations, sans que ce même assujetti le sache ou puisse le savoir, une autre opération, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ce dernier, est entachée de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée" (1). La fraude à la TVA d'un intervenant dans le cycle économique ne contamine pas les opérations d'un autre opérateur demeuré dans l'ignorance. L'illicéité n'est pas contagieuse.

Cette indifférence du caractère licite ou illicite de l'activité imposable ne saurait surprendre. Le principe de neutralité s'oppose à ce que des prestations semblables, en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente (§ 50) (2). Cela signifie que l'ordre public économique interne n'influence en rien le champ d'application de la TVA, dont dépend le droit à déduction (3). Seule l'interdiction absolue d'une activité sur tout le territoire de l'Union européenne tient hors du système de la TVA l'activité absolument illicite. En telle circonstance, la concurrence n'existe pas faute de marché (§ 50). Cette situation vise l'ordre public traditionnel. Dès lors que les activités exercées illicitement concurrencent des activités licites, elles bénéficient des mêmes exonérations que les opérateurs respectueux du droit interne (4).

Par ailleurs, l'interprétation du droit communautaire relève exclusivement de la compétence du juge communautaire . Il lui appartient de dire le sens des termes et notions utilisés par le droit communautaire. Ce serait nier l'existence du droit commun voulu par tous les Etats membres que de permettre à chacun d'eux d'interpréter le droit communautaire par référence à ses propres classifications et définitions. Marché unique et interprétation distincte du droit le régissant apparaissent contradictoires. Dans la mesure où la Directive du 17 mai 1977 s'intitule "6ème Directive en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur la valeur ajoutée : assiette uniforme", les mêmes situations de fait doivent recevoir la même qualification et relever du même régime.

Le droit civil ou pénal de chaque Etat membre ne saurait influencer l'interprétation des règles communautaires de la TVA. Ainsi, à propos de la notion de livraison de biens corporels, la CJCE considère que l'objectif d'harmonisation, affiché par la 6ème Directive "pourrait être compromis si la constatation d'une livraison de biens, qui est l'une des trois opérations taxables, était soumise à la réalisation de conditions qui varient d'un Etat membre à l'autre, comme c'est le cas de celles relatives au transfert de propriété en droit civil" (5). Le point 28 de l'arrêt "Harbs", en date du 15 juillet 2004 souligne qu'"il découle des exigences tant de l'application uniforme du droit communautaire que du principe d'égalité que les termes d'une disposition du droit communautaire qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des Etats membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause" (6).

Si le comportement illicite d'un opérateur, notamment par fraude à la TVA n'altère pas le droit à déduction de son cocontractant, lui-même assujetti-redevable, en revanche, la connaissance commune de la fraude exclut le droit à déduction.

2. Pertinence de la connaissance de la fraude

L'arrêt "Optigen" précité indique que "le droit d'un assujetti effectuant de telles opérations [dans le champ d'application de la TVA] de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont ne saurait être affecté par le fait que dans la chaîne de livraisons dans laquelle s'inscrivent ces opérations, sans que ce même assujetti le sache ou puisse le savoir, une autre opération, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ce dernier, est entachée de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée".

Au point 52 de l'arrêt commenté, la CJCE reprend et précise l'arrêt "Optigen" : "lorsqu'une livraison est effectuée à un assujetti qui ne savait pas et ne pouvait pas savoir que l'opération concernée était impliquée dans une fraude commise par le vendeur, l'article 17 de la sixième Directive doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une règle de droit national selon laquelle l'annulation du contrat de vente, en vertu d'une disposition de droit civil, qui frappe ce contrat de nullité absolue comme contraire à l'ordre public pour une cause illicite dans le chef du vendeur, entraîne la perte du droit à déduction de la TVA acquittée par ledit assujetti. Est sans pertinence à cet égard la question de savoir si ladite nullité résulte d'une fraude à la TVA ou d'autres fraudes".

Manifestement, l'assujetti qui a connaissance de la fraude de son cocontractant s'exclut par là-même du droit à déduction. De cette jurisprudence communautaire, il résulte que Computime, du fait de sa connaissance de la fraude de son fournisseur, telle que constatée par la Cour de cassation belge ne peut espérer voir sa demande de déduction prospérer. A contrario, l'ignorance de cette fraude justifie la reconnaissance du droit à déduction de Recolta. Tel est le sens de l'arrêt "Kittel et Recolta".

Aux points 56 à 59, le juge communautaire précise, en effet, que "de même, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA, doit, pour les besoins de la sixième Directive, être considéré comme participant à cette fraude, et ceci indépendamment de la question de savoir s'il tire ou non un bénéfice de la revente des biens.

En effet, dans une telle situation, l'assujetti prête la main aux auteurs de la fraude et devient complice de celle-ci.

Par ailleurs, en les rendant plus difficiles à réaliser, une telle interprétation est de nature à entraver les opérations frauduleuses.

Dès lors, il appartient à la juridiction nationale de refuser le bénéfice du droit à déduction s'il est établi, au vu des éléments objectifs, que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA et ceci même si l'opération en cause satisfait aux critères objectifs sur lesquels sont fondées les notions de livraisons de biens effectuées par un assujetti agissant en tant que tel et d'activité économique".

Cette position confirme la tendance dessinée par l'arrêt "Halifax" (7), à savoir que la CJCE a décidé de donner aux Etats membres les moyens de combattre les abus et fraudes. La 6ème Directive ne doit pas suggérer des montages allant à l'encontre de l'objectif d'application le plus large possible de la TVA (8).

Par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA et Pierre-Marie Hourdin, major 2006 du Master de Droit fiscal des Affaires de Rennes, doctorant, Centre de droit des affaires


(1) CJCE, 12 janvier 2006, aff. C-354/03, Optigen Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise (N° Lexbase : A3277DMC) : JOUE n° C 251, 18 oct. 2003, p. 7 ; JCP éd. E, n° 3, 19 Janvier 2006, act. 4 ; Adde, Y. Sérandour, Maintien du droit à déduction de la TVA en cas de fraude de type carrousel d'un autre opérateur, Lexbase Hebdo n° 203, 23 février 2006 - édition fiscale (N° Lexbase : N4717AKW) ; Eric Meisse, Le système commun de TVA nullement désarçonné par les "fraudes carrousel", Europe n° 3, Mars 2006, comm. 94.
(2) CJCE, 8 juin 2006, aff. C-106/05, L.u.P. GmbH c/ Finanzamt Bochum-Mitte (N° Lexbase : A7832DPR) ; Adde, Y. Sérandour, L'exonération de TVA des laboratoires privés d'analyses médicales selon la CJCE, Lexbase hebdo n° 221, 29 juin 2006 - édition fiscale (N° Lexbase : N0249ALS) ; CJCE, 26 mai 2005, aff. C-498/03, Kingscrest Associates Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 54 (N° Lexbase : A3971DIW) : Dr. fisc. 2005, n° 38, p. 1417, Etude Y. Sérandour ; CJCE, 23 octobre 2003, aff. C-109/02, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne, § 20 (N° Lexbase : A9731C9B) : Rec. p. I-12691 ; CJCE, 29 juin 1999, aff. C-158/98, Staatssecretaris van Financiën c/ Coffeeshop, § 14 et 21 (N° Lexbase : A2002AIY) : JCP E 1999, p. 1322. Adde, Y. Sérandour, Les activités illicites et la TVA, JCP éd. E 2000, p. 72.
(3) Un Etat membre ne peut assimiler le vol à une livraison taxable, CJCE, 14 juillet 2005, aff. C-435/03, British American Tobacco International Ltd c/ Belgische Staat (N° Lexbase : A1686DKN) : Dr. fisc. 2006, n° 14, comm. 307 ; RJF 11/05, n° 1336 ; obs. Y. Sérandour, L'année fiscale 2006, p. 227.
(4) CJCE 2 août 1993, aff. C-111/92, Wilfried Lange c/ Finanzamt Fürstenfeldbruck (N° Lexbase : A9746AUI) : Rec. CJCE, p. 4699, concl. F. G. Jacobs, p. 4689 ; CJCE 11 juin 1998, aff. C-283/95, Karlheinz Fischer c/ Finanzamt Donaueschingen (N° Lexbase : A2005AI4) : Rec. CJCE p. 3369, concl. F.G. Jacobs, p. 3371 ; CJCE, 17 février 2005, aff. C-453/02, Finanzamt Gladbeck (N° Lexbase : A7506DG4) : Dr. fisc. 2005, n° 12, comm. 315, note T. Georgopoulos ; RJF 5/05, n° 440 ; Y Sérandour, Illicéité et TVA : ne pas confondre fiscalité et prophylaxie, Lexbase Hebdo n° 157, 3 mars 2005 - édition fiscale (N° Lexbase : N4798ABC).
(5) CJCE 8 février 1990, aff. C-320/88, Staatssecretaris van Financiën c/ Shipping and Forwarding Enterprise Safe BV, § 8 (N° Lexbase : A7357AHX) : RJF 4/90, n° 504 ; CJCE, 4 octobre 1995, aff. C-291/92, Finanzamt Uelzen c/ Dieter Armbrecht, § 13 (N° Lexbase : A7278AHZ) : RJF 12/95, n° 1447.
(6) CJCE, 15 juillet 2004, aff. C-321/02, Finanzamt Rendsburg (N° Lexbase : A0927DDP) : RJF 11/04, n° 1215 ; CJCE, 27 novembre 2003, aff. C-497/01, Zita Mode s SARL c/ Administration de l'enregistrement et des domaines, § 34 (N° Lexbase : A2992DA3) : RJF 02/04, n° 211.
(7) CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc c/ Commissioners of Customs & Excise (N° Lexbase : A0045DNY) : RJF 5/06, n° 648 ; Adde, Y. Sérandour, L'abus de droit selon la CJCE, Dr. fisc. 2006, n° 16, Etude 16, p. 846. A propos d'un GIE créé par un redevable partiel pour récupérer la TVA, Rapport 2005 du CCRAD, aff., n° 2004-65 : Dr. fisc. 2006, n° 25, p. 1222. Montage également en matière immobilière, aff., n° 2005-11, ibid p. 1222.
(8) CJCE, 26 mai 2005, aff. C-498/03, Kingscrest Associates Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 29 (N° Lexbase : A3971DIW) : Dr. fisc. 2005, n° 38, p. 1417, Etude Y. Sérandour ; CJCE, 26 juin 1990, aff. C-185/89, Staatssecretaris van Financiën c/ Velker International Oil Company Ltd NV, § 19 (N° Lexbase : A9597AUY) : Rec. CJCE 1990, I, p. 2561 ; CJCE, 5 juin 1997, aff. C-2/95, Sparekassernes Datacenter (SDC) c/ Skatteministeriet, § 20 (N° Lexbase : A2002AW3) : RJF 8-9/97, n° 871 ; CJCE, 12 septembre 2000, aff. C-359/97, Commission des Communautés européennes c/ Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, § 64 (N° Lexbase : A5900AY8) : Rec. CJCE 2000, I, p. 6355 ; CJCE, 8 mars 2001, aff. C-240/99, Försäkring-saktiebolaget Skandia, § 32 (N° Lexbase : A0280AWB) : RJF 6/01, n° 892 ; Banque et droit 2001, n° 75, p. 58, note Acard ; CJCE, 20 juin 2002, aff. C-287/00, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne, préc., § 43 ; CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-8/01, Assurandør-Societet c/ Skatteministeriet, § 36 (N° Lexbase : A1841DAG) : Dr. fisc. 2004, n° 5, comm. 191, note M. Guichard et W. Stemmer : RJF 2/04, n° 208 : Adde M. Guichard, Assurances, le risque TVA, Dr. fisc. 2002, ét. 37, p. 1510 ; CJCE, 18 novembre 2004, aff. C-284/03, Etat belge c/ Temco Europe SA, § 17 (N° Lexbase : A9123DDA) : RJF 2/05, n° 206.

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Social général

[Textes] Loi relative à l'immigration et à l'intégration : aspects de droit social

Réf. : Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration (N° Lexbase : L3439HKL)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Intégration, tel est l'objectif qu'entend atteindre la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration (publiée au Journal officiel du 25 juillet 2006, p. 11047). A cet effet, elle vient désormais imposer une distinction à l'admission au séjour des étrangers selon que ceux-ci entrent sur le territoire national pour y travailler, pour effectuer leurs études ou pour des raisons familiales. Pour cette raison, si cette loi nouvelle vient principalement modifier les dispositions du Code de séjour des étrangers et du droit d'asile, elle touche également d'autres codes dont le Code pénal, le Code de la Sécurité sociale et le Code du travail. Le chapitre III (articles 10 à 22) est entièrement consacré à l'immigration aux fins d'emploi et vient transformer les dispositions du Code du travail relatives à l'activité professionnelle des étrangers en France. Ces douze articles tendent à clarifier la situation des étrangers souhaitant exercer une activité professionnelle en France en les soumettant à une nouvelle carte de séjour spéciale mentionnant expressément leur situation professionnelle (salariée, temporaire, détaché, saisonnier). Elle vient, en outre, renforcer les contrôles et accroître les sanctions qui seront prises à l'encontre des employeurs de salariés non titulaires des titres de séjour qu'elle institue. En dehors de quelques nouveautés, qu'il convient de relever, cette loi ne fait que reprendre les textes antérieurs. I. Nouvelles cartes de séjour professionnelles

En vue de clarifier la situation des étrangers et de pouvoir mieux gérer le flux des migrations, la loi nouvelle distingue selon la nature de l'activité que l'étranger vient exercer en France (salariée, temporaire, commerciale, autre, saisonnière).

A. Activité salariée (article 12, 1°)

Cette carte de séjour est délivrée à l'étranger titulaire d'un contrat de travail visé par une autorité administrative. Ceci confirme le droit commun de l'admission au séjour pour motif professionnel : la délivrance d'une carte de séjour d'un an renouvelable à l'étranger titulaire d'un contrat de travail visé par l'autorité administrative conformément aux dispositions de l'article L. 341-2 du Code du travail.

La loi nouvelle vient cependant imposer une distinction selon que l'activité exercée l'est pour une durée inférieure ou supérieure à 12 mois.

La carte porte la mention "salariée" lorsque cette activité doit être exercée pour une durée supérieure ou égale à 12 mois. Elle porte la mention "travailleur temporaire", lorsque l'activité est exercée pour une durée temporaire inférieure à 12 mois.

La différence n'est pas que verbale. Le "salarié" bénéficie d'un statut beaucoup plus confortable que le travailleur temporaire. Le titulaire de la carte de séjour portant la mention "salarié" a vocation à voir son titre renouvelé automatiquement en application de l'article R. 341-3-1 du Code du travail. Le "travailleur temporaire" reste, pour sa part, en possession d'une autorisation provisoire de travail en application de l'article R. 341-7 du même code qui n'est renouvelée que jusqu'à la fin de la période d'emploi.

Il est, désormais, précisé que lorsque l'activité professionnelle salariée doit être exercée dans un métier ou une zone géographique caractérisée par des difficultés de recrutement figurant sur une liste établie au plan national par l'autorité administrative, la carte est délivrée au salarié sans que la situation de l'emploi puisse lui être opposée.

B. Activité saisonnière (article 12, 4°)

Le 4° de l'article 12 permet la délivrance d'une carte de séjour aux travailleurs saisonniers. L'étranger, titulaire d'un contrat de travail saisonnier tel qu'il est défini à l'article L. 122-1-1, 3° (N° Lexbase : L9607GQU) du Code du travail (emplois pour lesquels, dans certains secteurs d'activité, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature et l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois), se voit donc, désormais, attribuer une carte portant la mention "travailleur saisonnier".

Afin d'encourager le retour du salarié dans son pays d'origine entre deux contrats, le texte lui offre la garantie de pouvoir à nouveau travailler en France l'année suivante (sous réserve d'obtenir un nouveau contrat). Cette garantie s'applique pendant les trois années (renouvelables) de validité de la carte de travailleur saisonnier.

Le texte pose, toutefois, deux conditions essentielles à l'obtention de ce titre. D'une part, l'étranger doit s'engager à établir sa résidence habituelle hors de France, et, d'autre part, la période de travail qu'il vient effectuer sur le territoire, et donc la durée de son séjour sur le territoire, ne doivent pas excéder six mois sur une année.

Le problème est que le contrôle du respect de ces durées n'est pas encore assuré. Le législateur renvoie, en effet, à un décret les modalités permettant à l'autorité administrative de contrôler le respect des durées maximales de travail et de séjour que fixe la loi. En attendant, il faudra compter sur la bonne foi des différents protagonistes...

C. Travailleur détaché (article 12, 5°)

Le travailleur étranger, détaché par un employeur établi hors de France lorsque ce détachement s'effectue entre établissement d'une même entreprise ou entre entreprise d'un même groupe, dans la mesure où sa rémunération est au moins égale à 1,5 fois le SMIC bénéficie d'une carte de séjour de "salarié en mission".

Cette carte, renouvelable, valable pour trois années, permet à son titulaire de venir, à tout moment au cours de sa période de validité, exercer en France dans un établissement de l'entreprise ou une entreprise du groupe qui l'emploie.

Lorsque l'entreprise est établie en France, à la condition que l'introduction du travailleur étranger s'effectue entre établissements d'une même entreprise ou entre entreprises d'un même groupe, ce dernier bénéficie, à la même condition de rémunération minimale, d'une carte identique.

II. Conditions et sanctions

La loi nouvelle vient quelque peu modifier les conditions permettant à un étranger de venir exercer en France une activité professionnelle salariée. Elle vient, en outre, mettre en place un contrôle renforcé du respect du nouveau dispositif, accroître les obligations des employeurs en mettant à leur charge une obligation positive de contrôle de la réalité de la carte produite et renforcer les sanctions administratives encourues par ces derniers.

A. Conditions permettant à un étranger de venir exercer une activité professionnelle salariée en France (article 16)

L'article 16 de la loi pose les conditions permettant à un étranger de vernir exercer une activité professionnelle salariée en France. A cet effet, il vient modifier l'article L. 341-4 du Code du travail et singulièrement, ses 4 premiers alinéas.

Le premier alinéa de l'article L. 341-2 du Code du travail est modifié pour déplacer la référence à la visite médicale obligatoire à l'article L. 341-4 du même code. La différence n'est pas négligeable puisque l'article L. 341-2 n'est applicable qu'à l'entrée en France alors que l'article L. 341-4 est applicable à tout étranger autorisé à travailler en France. Le salarié candidat à la carte de séjour de travailleur salarié doit donc avoir obtenu l'autorisation de l'autorité administrative et justifier d'un certificat médical s'il entend se la faire délivrer.

La loi vient, désormais, préciser que l'autorisation de travail pourra être limitée à certaines activités professionnelles ou zones géographiques et qu'elle ne conférera de droits qu'en France métropolitaine (C. trav., art. L 341-4, al. 2 et 3).

B. Lutte contre le travail illégal

1. Contrôle de l'autorité chargée de délivrer les cartes de travail (article 16)

Le quatrième alinéa de l'article L. 341-4 autorise, enfin désormais, l'autorité administrative compétente, c'est-à-dire principalement les services de main-d'oeuvre étrangère des directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP), à échanger tout renseignement et tout document avec les organismes de placement et les organismes de protection sociale, caisses de sécurité sociale, ainsi qu'avec les caisses assurant le service des congés payés.

Cette nouvelle possibilité d'investigation et d'instruction n'est toutefois pas réglementée. Il faudra attendre le décret pour connaître les conditions dans lesquelles ces échanges de renseignements pourront s'effectuer.

2. Contrôle des agents chargés de délivrer les cartes de séjour (article 17)

Toujours aux fins de lutter contre le travail illégal, l'article 17 vient permettre aux agents chargés de la délivrance des titres de séjour d'accéder aux traitements automatisés des autorisations de travail.

Aux mêmes fins, les inspecteurs et contrôleurs du travail et tout fonctionnaire assimilé se voient offrir la possibilité de consulter les dossiers informatiques établis par les agents chargés de la délivrance des titres de séjour.

Ici, comme précédemment, aucune réglementation n'a été mise en place, il faudra donc également attendre le décret.

3. Nouvelle obligation positive de vérification de l'employeur (article 18)

La loi vient mettre à la charge de l'employeur une obligation positive de contrôle de la réalité et de la validité du titre de séjour présenté par le candidat à l'emploi, Alors que l'article L. 341-6 ancien du Code du travail (N° Lexbase : L7836HBT) se bornait à rappeler l'interdiction d'emploi d'un étranger sans autorisation de travail, l'article L. 341-6 nouveau prescrit l'obligation pour l'employeur de vérifier la validité du titre qui lui est fourni.

L'article 18 de la loi ajoute, ainsi, un troisième alinéa à l'article L. 341-6 du Code du travail. Ce texte interdit, dans ses alinéas 1 et 2, à tout employeur, d'employer un étranger non muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité professionnelle en France (alinéa 1) ou muni d'un titre mentionnant des activités et/ou zones géographiques spéciales différentes de celles pour lequel l'employeur a l'intention de l'embaucher.

Le nouvel alinéa 3 prescrit à l'employeur de s'assurer, auprès de l'administration territorialement compétente, de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité professionnelle en France.

4. Renforcement des sanctions administratives prises contre le donneur d'ordre (article 19 et 21)

L'article 19 renforce le dispositif ancien régi par l'article L. 341-6-4 du Code du travail (N° Lexbase : L7840HBY), qui prévoit les conditions dans lesquelles un donneur d'ordre doit se faire remettre, par son cocontractant, une attestation précisant si des travailleurs étrangers seront employés et, dans cette hypothèse, s'ils sont en possession d'une autorisation de travail. Si le donneur d'ordre ne s'est pas fait remettre ce document et s'il s'avère que son cocontractant ou son sous-traitant emploie des travailleurs étrangers démunis d'un titre les autorisant à travailler, le donneur d'ordre peut être tenu solidairement responsable du paiement d'une contribution spéciale au profit de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM).

A cette vérification initiale, le législateur vient ajouter une vérification bi-annuelle. Tout donneur d'ordre est, désormais, non seulement tenu de vérifier à la conclusion du contrat que le ou les travailleurs qu'il emploie sont dans la légalité, c'est-à-dire qu'ils disposent d'un titre de séjour de travailleur salarié, mais il doit encore procéder à cette vérification tous les 6 mois.

Une obligation similaire pèse, désormais, sur les particuliers lorsque le contrat est d'un montant au moins égal à 3 000 euros.

Cette obligation de contrôle ne cesse que lorsque le travailleur étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'ANPE. Dans ce cas, en effet, les contrôles auront été effectués par l'ANPE.

La dispense ne vise toutefois que l'autorisation présentée par le salarié à l'embauche et ne préjuge en rien de l'obligation bi-annuelle de vérification posée par l'article L. 341-6-4, alinéa 2.

Outre l'extension de l'obligation de l'employeur c'est la sanction encourue qui se trouve multipliée par 10. De 500 fois le minimum garanti, la sanction passe à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti, les employeurs auront donc tout intérêt à vérifier (article 21 de la loi, nouvel article L. 341-7 du Code du travail).

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Social général

[Evénement] Libéralisation des échanges et droit du travail

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Le 07 Octobre 2010

Libéralisation des échanges et droit du travail. Tel était l'intitulé du premier thème débattu au Congrès mondial de droit du travail et de la Sécurité sociale organisé du 5 au 8 septembre dernier par l'Association française de droit du travail (AFDT) à la demande de la Société internationale de droit du travail et de la Sécurité Sociale (SIDTSS). Pour la première fois depuis sa création, le congrès se tenait à Paris. Environ 2 000 spécialistes de droit du travail et de la Sécurité sociale (universitaires, avocats, juges, experts des administrations, des entreprises et des organisations professionnelles et syndicales) venant de près de 70 pays, s'y sont réunis, l'occasion de faire le point sur les techniques à mettre en oeuvre face aux progrès et aux menaces qui découlent de la mondialisation. Entre tentatives de freiner l'avancée de la "flexibilisation/précarisation" croissante du travail et velléités de succomber sous la pression de la mondialisation, sont ici présentées les pistes d'évolution envisagées par des experts mondiaux de ces questions. Deux autres comptes-rendus vous seront proposés dans les prochains numéros de Lexbase Hebdo - édition sociale : "Décentralisation productive et droit du travail (dans ses dimensions individuelles et collectives)" et "Risques professionnels : protection sociale et responsabilité de l'employeur". I Un panorama mondial contrasté

Le rapport général présenté par Lance Compa, professeur spécialiste de droit du travail et de droit comparé à l'Université de Cornell (Etats-Unis), fait apparaître la diversité des situations mondiales en réalisant une synthèse des rapports rendus par 25 pays à la demande de l'Organisation internationale du travail (OIT). Sont ici envisagés les effets de la mondialisation sur le droit du travail national ainsi que les mécanismes de "soft law" ou "droit mou" (responsabilité sociale de l'entreprise, codes de conduite, droits fondamentaux des travailleurs). Les effets de la mondialisation sont bien connus : accroissement des échanges, progression et diffusion plus rapide des technologies, nouvelles organisations du travail. Cette idéologie que l'on peut qualifier de néolibéralisme ou encore de "consensus de Washington" fait pression sur le régime de droit du travail de tous les pays, autant dire sur les travailleurs, concernés au premier chef, mais également sur les syndicats, les employeurs, les gouvernements eux-mêmes ou encore les praticiens du droit qu'ils soient magistrats, avocats, juristes... Le rapporteur général emploie le terme anglais "change" pour désigner la flexibilité ou la flexibilisation du droit du travail qui se caractérise par le recours de plus en plus fréquent aux contrats de travail à durée déterminée (CDD), l'allongement des périodes d'essai, le passage de la négociation collective de branche à la négociation d'entreprise et l'augmentation des horaires hebdomadaires de travail. Si la lutte sur le temps de travail représentait en enjeu majeur il y a un siècle, elle est, aujourd'hui encore, au coeur des débats.

A - En Asie/Océanie : la nécessité de procéder à des changements progressifs pour éviter un reflux brutal

Seuls trois pays ont répondu aux questionnaires de l'OIT. Ils ont pour caractéristique commune d'être très dépendants des échanges commerciaux en raison de leur insularité. Cependant, le "change", ou mouvement de flexibilisation du droit du travail, a connu dans ces trois Etats des pratiques différentes. En Australie, une réforme rapide a donné la priorité au "contrat individuel d'emploi" sur le contrat collectif avec pour effet un abandon de la négociation collective. Face à cette évolution, les syndicats ont entrepris de contester les mesures législatives au regard de la Constitution. Leur retrait est une question centrale pour les prochaines élections. En Nouvelle-Zélande, après les réformes draconiennes du Code du travail sous la pression néolibérale, l'équilibre a été rétabli à la faveur d'une alternance politique. Au Japon, pays de traditions, le processus est progressif. Certes, le système d'"emploi à vie" a vécu, mais plutôt que de le remettre en cause brutalement, les réformes visent à faire naître dans l'esprit des travailleurs un idéal de salarié autonome. L'idée que les salaires ne doivent plus être indexés sur l'ancienneté mais sur les résultats se propage et, les CDD, bien que tempérés par une longue durée, ont fait leur apparition. Les mécanismes de "soft law" gagnent du terrain dans ces pays mais les règles de responsabilité sociale des entreprises et autres codes de conduite n'ont encore qu'un impact limité.

B - Le continent nord-américain : une absence d'effet sur le droit du travail

Même si le continent nord-américain subit une très forte pression du fait de la mondialisation, le droit du travail n'y a pas subi de profonds changements. Au Canada, le Code du travail a bien été modifié mais cette compétence relève des provinces. Au Mexique, la dernière réforme du Code du travail date des années 70. Si changements il y a, c'est donc sur le terrain qu'ils interviennent et non au travers de procédures législatives. Aux Etats-Unis, le droit du travail n'a pas changé depuis 30 ans car il était déjà adapté aux échanges internationaux. Ce qui n'empêche pas les patrons de se plaindre de sa rigidité ou encore des réussites procédurales qui les dissuadent de l'appliquer tel qu'il existe actuellement. En effet, les "action class" ou actions collectives permettent d'obtenir au nom de dizaines de milliers de salariés des dommages et intérêts de plusieurs millions de dollars. Dans ces trois pays, force est de constater que la négociation collective est sous pression. Les syndicats sont contraints d'accepter des réductions de salaire en même temps que des augmentations du temps de travail sous la menace de délocalisations. Ironiquement, on constate qu'au Canada plane la menace de délocalisations aux Etat-Unis, où la main d'oeuvre est moins chère et accepte de travailler plus longtemps, tandis qu'aux Etats-Unis les employeurs envisagent de délocaliser au Mexique. La "soft law", bien que déterminante aux Etats-Unis et au Canada, n'a pas de réelle force juridique. Notons qu'au Mexique, des travailleurs ont pu invoquer le code de conduite de l'entreprise étrangère pour laquelle ils travaillaient et obtenir la création de leur propre syndicat en lieu et place du syndicat d'entreprise.

C - En Amérique du sud et en Amérique centrale : un droit du travail bouleversé par les changements de régime politique

En Amérique latine, les effets de la mondialisation se font également sentir en profondeur. Des réformes ont été introduites avec une relative souplesse en se fondant sur l'argument suivant : il faut devenir plus concurrentiels en travaillant plus longtemps, en recourant davantage au travail temporaire et en privilégiant la négociation d'entreprise à la négociation de branche. Les changements, cycliques, sont liés aux bouleversements politiques nés des dictatures et de leur renversement. La déréglementation imposée par les régimes dictatoriaux se caractérisait par l'absence de droit du travail protégeant les travailleurs et une grande liberté pour les employeurs. Le passage à la démocratie a conduit à des contre-réformes rétablissant un certain équilibre dans le droit du travail de ces pays. Les nouvelles formes de réglementation ou d'auto-réglementation que constituent les mécanismes de "soft law" ont très peu d'impact sur les entreprises sud-américaines.

D L'Europe ou la progressivité des changements dans un espace de contrastes

La mondialisation exerce une pression très forte en Europe. Si l'on excepte le Royaume-Uni qui est un cas à part, les situations sont très contrastées entre pays du Nord et pays du Sud de l'Europe ou encore avec les pays dont l'adhésion est récente. La flexibilisation du droit du travail implique des changements très progressifs et l'intervention de la négociation tripartite. Les craintes des délocalisations sont fortes. Les entreprises qui n'ont pas déjà franchi le pas menacent de le faire et obtiennent ainsi que les salariés renoncent d'eux-mêmes à leurs droits (diminution des salaires, augmentation du temps de travail hebdomadaire).

L'intégration régionale y est plus forte qu'ailleurs. C'est la seule région du monde où des règles supranationales s'imposent aux Etats en matière sociale. En effet, contrairement aux autres instruments juridiques internationaux, les Directives européennes ne laissent pas le choix de leur application. Bien sûr, comme le souligne Lance Compa, ces Directives n'existent que dans les domaines où le consensus est le plus facile à obtenir : discrimination, hygiène et sécurité au travail... D'autres domaines, tels le syndicalisme ou la négociation collective, qui dépendent pour beaucoup de facteurs culturels et historiques, sont plus difficiles à traiter.

Les mécanismes de "soft law" sont plus présents en Europe du Nord. Cependant, la conclusion d'accords cadres entre les multinationales européennes et les fédérations syndicales de branche européennes est un phénomène dont la tendance est de s'étendre. En conclusion de son rapport, dira encore Lance Compa, les réformes des droits du travail nationaux reflètent une flexibilisation accrue de la relation de travail. A l'heure actuelle, en l'absence d'un organisme de contrôle et de sanction de niveau mondial, il revient à chaque Etat, avec tout ce que cela implique en termes de pratique du dialogue social, d'histoire et de contraintes économiques, d'assurer la protection des droits des travailleurs.

II Perspectives d'évolutions

Quatre spécialistes de droit du travail apportent leur éclairage sur les mutations passées, en cours et à venir. Si le constat des évolutions récentes fait craindre un recul du droit du travail dans les pays européens, il est contrebalancé par la progression normative en matière sociale qui accompagne les performances économiques de certains pays émergents. L'optimisme est donc de rigueur.

A Entre résistance et érosion des systèmes nationaux

Selon Alain Supiot, professeur spécialiste de droit du travail à l'Université de Nantes, l'époque actuelle est marquée par deux tendances contradictoires : d'une part, la résistance des systèmes nationaux face aux conséquences de la libéralisation des échanges et, d'autre part, leur érosion sous la pression de l'économie. Il souligne également le fait que la majorité des travailleurs dans le monde ne bénéficie pas à l'heure actuelle de protection par le droit du travail. A ceci s'ajoute une évolution dans les conventions de l'OIT. Si la convention de Philadelphie de 1944, acte fondateur de l'organisation, faisait du bien-être de l'être humain à travers le travail un but et des règles économiques de production et du commerce les moyens d'atteindre ce but, la convention de l'OIT de 1998 a inversé buts et moyens. L'idéologie économique prédominante aujourd'hui, fondée sur le libre-échange, "conduit à un droit qui maltraite les hommes", déplore-t-il. Pas de défaitisme cependant, car face à ces constatations, il envisage deux voies principales pour évoluer.

  • La voie normative

La première alternative consisterait à assurer le "linkage" ou reconnexion des normes sociales et des normes commerciales. On observe d'ailleurs que les Traités internationaux intègrent de plus en plus des chapitres entiers sur le droit du travail même si, pour le moment, ces normes ne s'imposent pas aux Etats (sauf, dans l'Union européenne). Redonner une dimension sociale au droit du commerce passe par une réorganisation du pouvoir dans les grandes sociétés, plus efficace sur l'emploi que de supprimer les lois sur le licenciement, selon lui. Cette nouvelle donne économique et sociale passe également par l'instauration d'une citoyenneté sociale internationale. Celle-ci possède non seulement des vertus en faveur de la représentation collective mais représente également une solution aux problèmes posés par l'immigration à l'heure actuelle. Une des pistes pour parvenir à une citoyenneté sociale internationale serait la libre circulation des travailleurs et l'exportabilité des droits sociaux (que refuse notamment la France). Les entreprises ont également leur place dans ce système car elles sont des personnes, certes morales, comme les autres.

  • La voie judiciaire

En Europe, plusieurs dispositifs sont appelés à se développer. Il en est ainsi de la possibilité déjà reconnue aux syndicats d'ester en justice qui pourrait évoluer vers une "action class" à l'américaine ou encore de la réglementation européenne permettant de saisir le juge du lieu de l'établissement.

B La flexi-sécurité version hongroise

  • Les constats

Le professeur Csilla Kollonay Lehoczky, membre de l'académie européenne pour le droit du travail et spécialiste, notamment, des questions relatives à la participation des travailleurs, rappelle que le premier des arguments invoqués pour justifier l'adaptation du droit du travail aux règles du commerce international est qu'il faut attirer les capitaux étrangers. Or, la question que l'on devrait se poser est : "Quel est l'impact utile de la déréglementation du droit du travail ?" Pour elle, seul l'emploi, car il est essentiel à la dignité et à la vie humaine, justifie que les travailleurs consentent à une flexibilité accrue. Cette conciliation des impératifs économiques et sociaux doit reposer sur le concept de "flexicurity" ou "flexi-sécurité" permettant à la fois une simplification des procédures juridiques (notamment de licenciement) et une protection des travailleurs. Cela implique d'envisager les conséquences des réformes à long terme, or, à l'heure actuelle, les réformes visent à obtenir des résultats rapides. La flexibilisation des droits du travail au sein de l'Union européenne est à l'origine d'un marché du travail qui se dédouble. Une partie des salariés, ceux bénéficiant d'un contrat de travail à durée indéterminée (CDI) est surprotégée tandis qu'une autre partie subit une précarisation croissante de ses conditions de travail, et partant, de ses conditions de vie (CDD, intérimaires). Cette segmentation du marché du travail qui reproduit la division nord/sud au niveau de l'économie mondiale n'est pas de bon augure.

  • Les propositions

Pour y remédier, elle envisage un renforcement des pouvoirs de l'inspection du travail et le rétablissement de l'équité. En effet, si les changements sont nécessaires, les sacrifices en terme de salaire ne peuvent pas être imposés aux seuls travailleurs et devraient concerner également les dirigeants des sociétés. Le rétablissement de l'équité, s'il doit intervenir dans les systèmes nationaux, doit également s'imposer au niveau du marché mondial notamment à travers la notion de commerce équitable. Cette idée implique que le prix d'un produit ne soit pas uniquement fixé par la loi de l'offre et de la demande mais en fonction de son coût. Enfin, elle milite pour une meilleure reconnaissance du rôle joué par la famille (répartition des tâches ménagères, éducation des enfants). Selon elle, le bon employeur est aujourd'hui celui qui permet aux salariés de travailler chez eux et qui investit dans la formation. Ce n'est qu'à ces conditions qu'une augmentation du temps de travail est acceptable.

C La mondialisation facteur de renaissance du droit du travail en Chine

Le professeur Aiquing Zheng de la faculté de droit de Renmin (Université de Chine) se demandait, à l'occasion de sa présence en France, si le fait que le textile chinois se vende bien en Europe est un objet de réjouissance ou de crainte car ce succès commercial résulte pour une grande part de la faiblesse du droit du travail en Chine. Avant 1993, le droit du travail était inutile (salaire unique, absence de conflits du travail) mais la mise en place du libre échange a contribué à sa renaissance. En effet, l'implantation de sociétés à capitaux étrangers et l'émergence du secteur privé ont changé la donne. La preuve en est que les conflits (individuels) du travail se sont multipliés. De moins de 50 000 en 1992 (ils étaient soumis à un arbitrage obligatoire préalable à la saisine du juge), ils sont passés à plus 300 000 en 2005. Ils portaient principalement sur les salaires, la sécurité sociale, les licenciements et les conditions de travail. S'agissant des conflits collectifs, les chiffres officiels qui en comptabilisent moins de 2 000 en 1993 et plus de 18 000 en 2005 sont en dessous de la réalité. En Chine, le mot "grève" est un terme tabou auquel on préfère l'expression "événement collectif". La loi sur le travail en Chine date de 1994. Des projets de loi sont en cours d'examen et portent notamment sur la résolution des conflits du travail et sur le contrat de travail. Une des règles nouvelles qui seraient introduites consiste dans la requalification du contrat de travail en CDI en cas d'absence d'un écrit. Lors de la première lecture, en mars 2006, l'Assemblée nationale a souhaité recueillir l'opinion du public. Si les salariés souhaitent bien évidemment plus de protection, les employeurs jugent que les évolutions envisagées mettent en péril leurs intérêts car elles vont entraîner des baisses de profits, des transferts de capitaux vers les pays d'Asie où la législation sera moins contraignante. La Chambre de commerce et d'industrie de Shanghai voit dans ce projet un recul de la Chine car c'est une évolution contraire à la tendance mondiale du droit du travail. Le professeur Aiquing Zheng conclut, quant à elle, que la libéralisation des marchés a été bénéfique pour le développement du droit du travail chinois, toute la difficulté restant à le faire appliquer.

D Profiter des aspects positifs de la mondialisation

Francesco Walker, juriste et professeur d'économie, se montre également optimiste dans son analyse de l'impact de la mondialisation. Selon lui, le droit du travail doit profiter des aspects positifs de la libéralisation des échanges. En Amérique latine, la vague de flexibilisation (emploi précaire, temps de travail en hausse, salaires en baisse) lancée depuis les années 80 est actuellement en train de mourir. La mondialisation est donc une chance pour le droit du travail. Le progrès le plus marquant est l'émergence des droits fondamentaux et notamment du droit syndical. Le problème des travailleurs marginaux de l'économie souterraine (stupéfiants, armes...), qui échappent à toute protection par le droit du travail, devra également être résolu. C'est pourquoi, il plaide pour un renforcement du droit du travail qui prenne appui sur les avantages de la mondialisation en faisant siennes ses règles principales.

Le mot de la fin revient à Lance Compa qui conclut les débats sur la mobilisation de la France contre le contrat première embauche (CPE) du début de l'année 2006. Les quolibets en provenance d'outre-atlantique favorisaient un sentiment d'incompréhension et créaient le doute dans l'hexagone. Refuser cette adaptation du droit du travail aux règles du commerce international était-elle raisonnable ? A ce propos, l'interprétation du professeur Compa s'avère rassurante. Cette capacité française à se mobiliser contre une évolution qui semblait pourtant inéluctable a frappé les esprits américains. L'ampleur de la contestation et ses résultats sont révélateurs de la possibilité de construire un droit du travail de force égale au droit commercial.

Compte-rendu réalisé par Lydia Laga
SGR - Droit social

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] L'appréciation de la force majeure exonératoire de responsabilité

Réf. : Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, n° 05-10.250, Mme Chérifa Mezid, épouse Guillane, FS-P+B (N° Lexbase : A4485DQ8)

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Le 07 Octobre 2010

L'occasion était donnée, avant l'été, d'évoquer deux importants arrêts rendus en Assemblée plénière par lesquels la Cour de cassation s'était efforcée de clarifier, sans d'ailleurs y être totalement parvenue, la notion de force majeure (Ass. plén., 14 avril 2006, deux arrêts, n° 02-11.168, M. Philippe Mittenaere c/ Mme Micheline Lucas, épouse Pacholczyk, P N° Lexbase : A2034DPZ et n° 04-18.902, M. Stéphane Brugiroux c/ Régie autonome des transports parisiens (RATP), P N° Lexbase : A2092DP8, et nos obs. La force majeure devant l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (vers l'unité des approches contractuelle et délictuelle ?), Lexbase Hebdo n° 214 du 11 mai 2006 édition affaires N° Lexbase : N8030AKM). Ces arrêts avaient, au moins, eu le mérite d'unifier la définition de la force majeure en exigeant, tant sur le terrain contractuel que sur le terrain délictuel, que l'événement exonératoire de responsabilité soit à la fois imprévisible et irrésistible. Une fois le principe ainsi posé, il reste, tout de même, à en déterminer les conditions de mise en oeuvre. Un intéressant arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 13 juillet dernier, à paraître au Bulletin, permet précisément de revenir sur l'appréciation faite par la Haute juridiction des caractères de l'événement constitutif de la force majeure. En l'espèce, un adolescent de dix-neuf ans, alors qu'il se trouvait à bord d'un train de la SNCF sans billet valide -à défaut de quoi le débat aurait dû être porté sur le terrain contractuel et non pas délictuel- avait fait une chute mortelle sur la voie ferrée après avoir actionné la manette permettant le déverrouillage et l'ouverture de la porte du convoi. La question était ici discutée de savoir si le comportement de la victime pouvait constituer, pour le gardien -la SNCF- une cause étrangère exonératoire de toute responsabilité, autrement dit de savoir si l'événement présentait à son égard les caractères de la force majeure. La SNCF le pensait en tout cas, et faisait ainsi valoir : d'abord, qu'elle ne pouvait positionner devant chacune des portes des voitures un agent destiné à en surveiller l'ouverture et la fermeture ; ensuite, qu'elle avait mis en oeuvre un dispositif de fermeture automatique des portes qui pouvait, en cas de danger, être neutralisé en tirant sur une manette plombée placée sur la plate-forme près de la porte d'accès afin de permettre le déverrouillage de la porte ; et, enfin, qu'aucun défaut de sécurité ou de conception du dispositif n'était en l'espèce démontré. Cette argumentation avait emporté l'adhésion des magistrats de la cour d'appel de Rouen qui, pour débouter les ayants droit de la victime de leurs demandes fondées sur l'article 1384, alinéa 1er (N° Lexbase : L1490ABS), du Code civil, avaient considéré que la victime, en procédant à l'arrachage du plomb de protection alors qu'aucun danger n'était signalé, et en ouvrant volontairement la porte de la voiture pour en descendre alors que le train circulait à grande vitesse, avait commis une faute qui est la cause exclusive de son dommage, "son comportement revêtant pour la SNCF, gardien de la porte du train, les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité de nature à l'exonérer de toute responsabilité". Cette argumentation n'a, cependant, pas convaincu la Cour de cassation qui, pour casser la décision des juges du second degré, affirme, sous le visa de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, "qu'en statuant ainsi, par des motifs dont il résulte que le comportement de la victime ne présentait pas les caractères de la force majeure seule de nature à exonérer totalement la SNCF de sa responsabilité, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Dans une première approche, la solution peut ne pas réellement surprendre et sembler, somme toute, assez classique. La Haute juridiction a, en effet, déjà jugé que la présence d'un piéton sur le passage à niveau jouxtant une gare, malgré la fermeture des demi-barrières, n'était pas imprévisible (1) ou encore, plus proche de l'espèce aujourd'hui commentée, que n'est pas imprévisible pour la SNCF le fait, pour la victime, d'être descendue d'un train en marche, dès lors que le système de fonctionnement des portes rend cet acte possible, bien que dangereux (2). Rien, donc, apparemment, de quoi justifier un commentaire.

Pourtant, à l'analyse, l'appréciation faite par la Cour de cassation des caractères de la force majeure paraît assez difficile à saisir, particulièrement lorsque l'on compare la solution avec celle de l'un des arrêts de l'Assemblée plénière du 14 avril dernier (préc.). Dans le second des deux arrêts d'Assemblée plénière d'avril, en effet, il s'agissait de savoir si le fait, pour une victime, de se jeter volontairement sous une rame pouvait caractériser un cas de force majeure permettant l'exonération du gardien au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, en l'occurrence en l'espèce la régie autonome des transports parisiens (RATP) -étant entendu que la faute de la victime n'exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle constitue un cas de force majeure. Or, tout à fait classiquement, la Haute juridiction énonçait, sous la forme d'un attendu de principe, que "si la faute de la victime n'exonère totalement le gardien qu'à la condition de présenter les caractères d'un événement de force majeure, cette exigence est satisfaite lorsque cette faute présente, lors de l'accident, un caractère imprévisible et irrésistible". Et de considérer, finalement, que le comportement volontaire de la victime n'était pas prévisible dans la mesure où aucun des préposés de la RATP ne pouvait deviner sa volonté de se précipiter contre la rame, et qu'il n'avait été constaté aucun manquement aux règles de sécurité imposées à l'exploitant d'un réseau, si bien que l'accident était, pour le gardien, irrésistible. La rigueur de l'arrêt du 13 juillet dernier parait assez mal s'accorder avec l'arrêt de l'Assemblée plénière : si, en effet, l'Assemblée plénière a jugé que le fait de se jeter volontairement sous une rame n'était pas imprévisible, c'est bien parce qu'elle a considéré qu'il n'était pas possible pour le transporteur de surveiller toutes les voies et donc de pouvoir empêcher ce type de comportement. Or, tel était, plus ou moins, l'argumentation de la SNCF dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté de juillet dernier. Par où il apparaît que, dans certains cas, le fait de ne pas pouvoir prévoir tous les comportements des usagers peut constituer un cas de force majeure, mais pas dans d'autres. A vrai dire, dans les deux cas selon nous, le comportement de la victime n'était pas imprévisible : tout le monde sait bien que certains voyageurs, animés d'une intention suicidaire, se jettent parfois volontairement sous une rame, pas plus que l'on ignore que d'autres, sans aucune conscience du danger existant et bravant toute forme d'interdit, actionnent le dispositif de sécurité de fermeture des portes et tombent du convoi. En réalité, de tels comportements, à défaut d'être sérieusement imprévisibles, sont, sans doute, irrésistibles pour le transporteur qui, effectivement, ne peut pas systématiquement les empêcher. Mais, à supposer que cette analyse soit la bonne, il faudrait alors se demander si l'affirmation de l'Assemblée plénière il y quelques mois selon laquelle le constat de l'irrésistibilité de l'événement ne serait pas suffisant pour permettre de caractériser la force majeure est, au-delà des formules utilisées, aussi assurée qu'on pouvait le croire. Tout cela appellerait sans doute un effort de clarification.

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 2, 23 janvier 2003, n° 00-14.980, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Christian Sellas, FS-P+B (N° Lexbase : A7401A4U), Bull. civ. II, n° 18, RTDCiv. 2003, p. 301, obs. P. Jourdain.
(2) Cass. civ. 2, 23 janvier 2003, n° 00-15.597, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Philippe Pernuit, FS-P+B (N° Lexbase : A7403A4X), Bull. civ. II, n° 17, RTDCiv. 2003, p. 301, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 27 février 2003, n° 01-00.659, Mme Monique Desseau, épouse Giuliano c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF), FS-P+B (N° Lexbase : A3049A73), Bull. civ. II, n° 45, Dr. et patr. juin 2003, p. 90, obs. F. Chabas ; adde, dans le même sens pour un accident d'ascenseur : Cass. civ. 2, 18 mars 2004, n° 02-19.454, M. Amidane Yajbar c/ Agence Tortel - agence Vaucluse voyages, FS-P+B (N° Lexbase : A6237DBM), Bull. civ. II, n° 139.

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