La lettre juridique n°207 du 23 mars 2006

La lettre juridique - Édition n°207

Éditorial

La fusion transfrontalière : nouvel exercice de realpolitik européenne

Lecture: 2 min

N6086AKM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208189-edition-n-207-du-23032006#article-86086
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Il aura fallu plus de 20 ans pour que les instances européennes adoptent une Directive sur les fusions transfrontalières. Déjà, en 1984 (Journal officiel n° C 023 du 25 janvier 1985 p. 0011), la Commission avait abordé le sujet et émis une proposition de Directive ; proposition enterrée en première classe par le Parlement, pour cause de difficultés épineuses liées à la participation des travailleurs aux organes de décision de l'entreprise. Aussi, jusqu'à l'adoption de la Directive 2005/56, publiée le 25 novembre 2005, rien ne prévoyait au niveau communautaire la possibilité d'opérer une fusion transfrontalière des sociétés commerciales. En pratique, lorsque des opérations de fusion étaient réalisées, elles l'étaient souvent en recourant à des montages complexes, coûteux et ne présentant pas toutes les garanties juridiques. Elles passaient, souvent, par la liquidation des sociétés concernées et la création d'une nouvelle entité. "Cela avait pour résultat que les législations nationales dont relevaient ces entreprises, en général celle du lieu où elles avaient établi leur siège principal, pouvaient constituer d'importants obstacles à ce type d'opération. Les fusions transfrontalières n'étaient possibles que si les sociétés désirant fusionner étaient établies dans des Etats membres connaissant cette institution, et même si cela était le cas, en l'absence d'une réglementation européenne en la matière, ce type d'opération pouvait être très lourd d'un point de vue financier, et les constructions juridiques qu'il impliquait étaient très peu transparentes" (Claudia Marfurt, La Directive sur les fusions transfrontalières : un grand pas en avant franchi en droit communautaire des sociétés, Centre d'études juridiques européennes, 10 mars 2006). La nouvelle Directive s'est appuyée sur les dispositions du statut de la société européenne (SE). Elle s'inscrit dans le cadre du plan d'action pour les services financiers (PASF) et constitue une mesure clé du plan d'action sur la modernisation du droit des sociétés et le renforcement du gouvernement d'entreprise. Désormais, grâce à ce nouvel édifice communautaire, qui constitue un pas important dans les efforts de l'Union pour faire avancer la stratégie de Lisbonne, il est permis d'identifier la loi applicable à chacune des sociétés qui fusionnent. Une fois la nouvelle entité issue de la fusion créée, une seule législation nationale s'applique : celle de l'Etat membre où elle a établi son siège. Le texte ne cherche pas à harmoniser les droits nationaux en la matière, puisque la procédure de fusion transfrontalière demeure soumise, sauf exception, aux dispositions qui régissent, dans chaque Etat membre, les fusions entre sociétés relevant exclusivement de la législation de cet Etat. La Directive prévoit uniquement des dispositions spécifiques et uniformes pour les aspects purement transnationaux de la fusion. Toutefois, pour Jean-Baptiste Lehnof, Maître de conférences à l'ENS-Cachan - Antenne de Bretagne, et Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), in Directive sur les fusions transfrontalières : après la Societa Europae, la Fusio Europae, il s'agit d'un texte en demi-teinte, davantage marqué par une realpolitik européenne que par l'innovation juridique. En effet, d'une part, les fusions transfrontalières, en dépit de nombreux obstacles fiscaux, ont déjà été réalisées par les sociétés, qui ont recouru -le plus souvent- à des pratiques sui generis aujourd'hui éprouvées. D'autre part, le nouveau cadre proposé par les instances communautaires souffrirait des mêmes pesanteurs procédurales que celles qui ont été attachées au statut de la SE.

newsid:86086

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Application immédiate de la loi "Aubry II" aux salariés refusant la réduction de leur rémunération contractuelle décidée par un ARTT "Aubry I"

Réf. : Cass. soc., 15 mars 2006, n° 03-48.027, Société Extand c/ M. René Omarini, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6042DN4)

Lecture: 9 min

N6057AKK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208189-edition-n-207-du-23032006#article-86057
Copier

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Huit ans après la loi "Aubry I" du 13 juin 1998 (loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail N° Lexbase : L7982AIH), la jurisprudence est conduite à analyser les délicates conséquences de la réduction de la durée du travail dans les entreprises lorsque les salariés s'opposent à toute modification de leur contrat de travail. Par un arrêt du 15 mars 2006, la Chambre sociale de la Cour de cassation fait produire son plein effet au principe de sécurisation des accords "Aubry I" contenu dans la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 (loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3) (1), ce qui conduit à une application immédiate de son article 30 qui traite des conséquences du refus opposé par un salarié à la modification de sa rémunération contractuelle (2).
Décision

Cass. soc., 15 mars 2006, n° 03-48.027, Société Extand c/ M. René Omarini, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6042DN4)

Cassation partielle (cour d'appel, Aix-en-Provence, 9ème chambre, sect. B, 27 octobre 2003)

Textes visés : articles 28-I et 30-II de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail (N° Lexbase : L0988AH3)

Mots clefs : accord de réduction du temps de travail, loi "Aubry I" du 13 juin 1998, sécurisation des accords par la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000, salarié refusant la modification de sa rémunération contractuelle, licenciement pour motif personnel.

Lien base :



Résumé

L'article 30-II de la loi du 19 janvier 2000, qui impose de considérer le licenciement de salariés qui refusent la modification de leur contrat de travail consécutive à l'application d'un accord de réduction du temps de travail, s'applique, y compris à des accords conclus sous l'empire de la loi du 13 juin 1998, dès lors que les stipulations de l'accord sont conformes aux dispositions de la loi du 19 janvier 2000.



Faits

M. Omarini, qui avait été engagé, le 8 juillet 1988, par la société Extand en qualité de responsable d'exploitation, a été licencié, le 20 décembre 1999, pour le motif suivant : "refus de la modification de votre contrat de travail (diminution de salaire) qui vous a été proposée suite à l'accord 35 heures du 25 juin 1999, intervenu dans notre entreprise du fait de la loi du 13 juin 1998, la participation financière demandée étant nécessaire à l'équilibre financier de l'accord".

Il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de paiement, notamment, d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires et d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Pour condamner l'employeur à payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt attaqué énonce que l'accord de réduction du temps de travail se plaçait sous l'égide de la loi du 13 juin 1998 encore applicable, laquelle n'édicte aucune règle spécifique applicable au cas de refus d'un salarié d'accepter une baisse de son salaire convenue par un accord de réduction du temps de travail.

Dès lors, la loi du 19 janvier 2000 n'étant pas applicable, le juge doit fonder sa décision sur les autres textes existants et applicables aux faits de l'espèce.

La lettre de licenciement fixe les limites du débat ; la société s'est placée dans le cadre d'un licenciement pour motif économique et le licenciement pour refus de modification du contrat de travail est sans cause réelle et sérieuse, l'employeur n'invoquant ni ne démontrant la nécessité de maintenir la compétitivité de l'entreprise dans son secteur d'activité, aucune difficulté économique ou mutation technologique ou nécessité de procéder à une restructuration n'étant énoncée dans la lettre de licenciement dont la motivation est par ailleurs imprécise et aucune tentative de reclassement préalable au licenciement n'ayant été effectuée par l'employeur.



Solution

1. "Vu les articles 28-I et 30-II de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000".

2. "Selon l'article 30-II de la loi du 19 janvier 2000, lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent une modification de leur contrat de travail en application d'un accord de réduction de la durée du travail, leur licenciement est un licenciement individuel ne reposant pas sur un motif économique et est soumis aux dispositions des articles L. 122-14 à L. 122-17 du Code du travail ; [...] en vertu des dispositions combinées des articles 28-I et 30-II de la même loi, ce texte est applicable à tout licenciement résultant d'un accord de réduction du temps de travail, que celui-ci ait été conclu en application de la loi du 13 juin 1998 ou de la loi du 19 janvier 2000, à condition que les stipulations de l'accord soient conformes aux dispositions de cette dernière".

3. "En statuant comme elle l'a fait, alors que le licenciement du salarié était consécutif à son refus de la réduction de 2 % de sa rémunération, modification du contrat de travail prévue par l'accord d'entreprise sur la réduction du temps de travail du 25 juin 1999, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

4. "Casse et annule mais seulement en ce qu'il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 27 octobre 2003, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée".



Commentaire

1. La sécurisation des accords de réduction du temps de travail conclus sous l'empire de la loi "Aubry I"

  • Mise en place des 35 heures et conséquences individuelles sur les contrats de travail

La loi du 13 juin 1998 (loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail N° Lexbase : L7982AIH) a programmé la réduction de la durée légale du travail dans les entreprises à compter du 1er janvier 2000, pour les entreprises de plus de vingt salariés, et du 1er janvier 2002 pour les entreprises de vingt salariés et moins.

Sauf pour ce qui concerne les salariés payés au Smic, pour lesquels la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 a prévu le maintien des rémunérations antérieures par le biais d'une garantie mensuelle de rémunération, le législateur n'a pas imposé le maintien des salaires en dépit de la réduction de la durée légale de travail. Mais pour inciter les entreprises à assurer le maintien de ces rémunérations, la loi a prévu un dispositif économiquement et juridiquement incitatif.

Sur le plan économique, la loi a permis aux entreprises qui décidaient de mettre en oeuvre la réforme par le biais conventionnel de bénéficier d'exonérations de charges sociales destinées à compenser très largement l'abaissement de la durée du travail, et ce afin de favoriser le maintien des rémunérations.

Sur un plan juridique, la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 a permis aux entreprises d'échapper aux conséquences les plus gênantes d'un éventuel refus opposé par des salariés à une diminution, soit de leur temps de travail contractuel, soit de leur rémunération contractuelle.

S'agissant de la réduction de la durée contractuelle, celle-ci a été considérée par l'article 30-I de la loi du 19 janvier 2000 comme ne constituant pas une modification du contrat de travail, dès lors qu'elle ne serait assortie de la modification d'aucun autre élément essentiel du contrat de travail (C. trav., art. L. 212-3 du Code du travail N° Lexbase : L7966AIU : "la seule diminution du nombre d'heures stipulées au contrat, en application d'un accord de réduction de la durée du travail, ne constitue pas une modification du contrat").

Dans l'hypothèse où la réduction de la durée contractuelle du travail s'accompagnerait de la modification d'un autre élément essentiel du contrat de travail, et on pensera ici logiquement à une réduction de la rémunération contractuelle, la loi du 19 janvier 2000 épargne à l'entreprise la mise en place d'un licenciement pour motif économique et, singulièrement, d'un plan de sauvegarde de l'emploi, en qualifiant ces licenciements de licenciements pour motif personnel soumis aux seules dispositions du livre I du Code du travail (art. 30-II).

Ce double dispositif présente un intérêt dans la mesure où il déroge au régime général et prétorien de la modification du contrat de travail. On sait, en effet, que la modification de la durée contractuelle du travail constitue, en principe, une modification du contrat de travail que le salarié est donc en droit de refuser, et que le licenciement de salariés qui s'opposent à la modification de leur contrat de travail, proposée pour faire face à des difficultés économiques, des mutations technologiques ou pour assurer la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, est soumis aux règles et procédures du licenciement pour motif économique.

  • La sécurisation des accords 35 heures

Il est donc particulièrement important de circonscrire le champ d'application temporel de l'article 30, issu de la loi du 19 janvier 2000 et, singulièrement, de déterminer si cette loi s'applique à des accords de réduction du temps de travail conclus avant l'entrée en vigueur de la loi.

Un premier constat s'impose. L'article 30 en cause ne précise pas à quels accords il s'applique et la logique voudrait qu'il ne fasse référence qu'aux accords conclus sur le fondement de la loi nouvelle et non sur le fondement de la loi "Aubry I".

C'est précisément pour assurer la stabilité des situations juridiques que la loi du 19 janvier 2000, comme l'a fait également la loi du 17 janvier 2003 (art. 16) (loi n° 2003-47, 17 janvier 2003, relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi N° Lexbase : L0300A9Y), a pris soin d'inscrire, dans son article 28, deux principes de sécurisation des accords "Aubry I", de telle sorte que ces accords puissent être valablement réputés conclus par application de la loi nouvelle et ouvrir, ainsi, droit à l'ensemble des droits et avantages nouvellement mis en place.

Le I de ce texte valide les accords de réduction du temps de travail "Aubry I" qui seraient contraires à cette loi mais qui seraient conformes à la loi "Aubry II". Il s'agit, ici, d'accords ayant anticipé sur la réforme, ce qui était, d'ailleurs, encouragé par les pouvoirs publics qui comptaient bien sur les expérimentations conventionnelles pour préparer la nouvelle loi.

Le II de ce texte assure, pour sa part, la survie des accords conformes à la loi "Aubry I" mais contraires à la loi "Aubry II", à l'exception toutefois des clauses contraires aux dispositions des articles L. 212-5 (N° Lexbase : L3815DCB) et L. 212-5-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3823DCL) issus de l'article 5 de la loi du 19 janvier 2000 (régime des heures supplémentaires).

C'est bien l'application de cet article 28-I qui justifie, ici, la solution, irréprochable sur le plan juridique.

2. L'application immédiate de la loi du 19 janvier 2000

  • L'affaire

Dans cette affaire, l'entreprise avait conclu un accord "Aubry I" qui avait anticipé sur les évolutions à venir, consacrées par la loi "Aubry II". Cet accord faisait partie des 15 % n'ayant pas maintenu les rémunérations antérieures, puisqu'il prévoyait une réduction de 2 % de la rémunération des salariés. L'un d'entre eux avait donc opposé son contrat de travail à l'employeur et refusait cette modification de sa rémunération contractuelle. Il avait, alors, été licencié par application des dispositions de l'article 30-II de la loi du 19 janvier 2000, c'est-à-dire selon la procédure applicable aux licenciements pour motif personnel. Or, c'est l'applicabilité de ces dispositions que contestait le salarié ; il prétendait que le droit commun devait s'appliquer et que l'employeur aurait dû procéder à un licenciement pour motif économique. Comme il ne l'avait pas fait, il devait donc être considéré comme ayant été licencié sans procédure et réclamait des dommages-intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse.

L'argument, qui avait convaincu les juges du fond, se heurte à la Chambre sociale de la Cour de cassation qui casse, sur ce point, au double visa des articles 28-I et 30-II de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 et affirme, au contraire, que l'employeur avait eu raison de faire application de la procédure particulière prévue par l'article 30-II de la loi du 19 janvier 2000.

  • Une application immédiate de l'article 30 de la loi du 19 janvier 2000 parfaitement justifiée

La solution doit être en tout point approuvée, que l'on considère tant le principe de sécurisation des accords, de l'article 28, que les règles applicables au licenciement des salariés ayant refusé une modification de leur contrat de travail de l'article 30.

En premier lieu, la Cour de cassation fait, ici, produire son plein effet au principe de sécurisation des accords "Aubry I". Elle respecte, ainsi, la volonté du législateur mais assure, également, la continuité de l'application des conventions collectives en dépit du changement rapide de législation. Rappelons-le, l'article 28-I était destiné à conforter les accords d'anticipation conclus sous l'empire de la loi "Aubry I" ; il semblerait, par conséquent, injuste que les partenaires sociaux aient été invités à anticiper sur la loi à venir et qu'ils soient, ensuite, indirectement sanctionnés en voyant leurs efforts ruinés par l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.

En second lieu, l'application immédiate de l'article 30-II sauvegarde les intérêts de l'entreprise qui se trouve légalement dispensée de mettre en oeuvre les procédures du livre III du Code du travail. Ce faisant, elle démontre que le salarié qui refuse que lui soient appliquées les dispositions d'un accord de réduction du temps de travail, sous prétexte qu'il s'agirait d'une modification de son contrat de travail, gêne considérablement le processus initié dans l'entreprise de passage "collectif" aux 35 heures. En refusant la modification de son contrat de travail, le salarié limite, ainsi, la portée de l'accord de réduction du temps de travail pour des raisons essentiellement égoïstes. Il n'est, alors, pas choquant que son licenciement soit prononcé pour motif personnel, et non pour motif économique.

newsid:86057

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Contrat "nouvelles embauches" : un nouveau contrat de travail ou une réforme du droit du licenciement ?

Réf. : Conseil de prud'hommes, Longjumeau, 20 février 2006, R.G n° 05/00974, M. Peyroux (N° Lexbase : A5277DNR)

Lecture: 13 min

N5993AK8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208189-edition-n-207-du-23032006#article-85993
Copier

Le 07 Octobre 2010

Le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Longjumeau, le 20 février 2006, très largement médiatisé, présente un triple intérêt : c'est le premier à statuer sur le contrat "nouvelles embauches" (CNE) -et il sera probablement suivi par une longue suite de développements judiciaires- ; il vient d'être publié par la Cour de cassation au Bulletin d'information (BICC, n° 636, 15 mars 2006) ; enfin, il intervient dans un contexte très particulier de contestations liées au contrat "première embauche" (CPE), qui n'est que le clone du CNE (même régime, mêmes dispositions, mais public visé et entreprises bénéficiaires différents). Ce jugement qui sera, probablement, censuré par la cour d'appel en raison de ses approximations juridiques, porte sur deux aspects distincts du CNE : sa conclusion et sa rupture.
Décision

Conseil de prud'hommes, Longjumeau, 20 février 2006, R. G. n° 05/00974, M. Peyroux (N° Lexbase : A5277DNR)

Textes visés : ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005, art. 2-3 (N° Lexbase : L0758HBP)

Mots-clefs : contrat "nouvelles embauches", recours, abus, rupture abusive, réparation du préjudice, indemnités, montant, détermination

Lien base :



Faits

M. Peyroux a été embauché par la SARL ACG (Dekra) par contrat à durée indéterminée en date du 21 mai 2005, en qualité de contrôleur technique automobile.

La SARL ACG a notifié à M. Peyroux la rupture de son contrat en période d'essai, le 6 août 2005. Le même jour, M. Peyroux était embauché par la SARL Acte en contrat nouvelles embauches (CNE), en qualité de contrôleur technique automobile. Par lettre remise en main propre, la SARL Acte a notifié à M. Peyroux la rupture de son contrat en cours de période de consolidation, le 30 août 2005.

Les sociétés ACG et Acte détiennent des parts dans la société Aldif, qui assure les tâches liées aux ressources humaines (contrats de travail, bulletins de salaires...) des sociétés ACG et Acte.



Solution

1. La rupture de la période d'essai d'un contrat à durée indéterminée de droit commun par un employeur est abusive, lorsqu'elle n'a pas pour motif le manque de compétence du salarié mais est destinée à éluder l'application du droit protecteur du licenciement par le recours au CNE au sein d'un proche partenaire de l'employeur.

2. La rupture abusive de la période de consolidation d'un CNE a, comme la rupture abusive de la période d'essai d'un contrat à durée indéterminée, les conséquences d'un licenciement abusif, les dommages et intérêts se calculant conformément à l'article L. 122-14-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5570ACB). L'employeur est, en outre, redevable de l'indemnité de 8 % ainsi que de la contribution de 2 % quelle que soit l'ancienneté du salarié, la référence au préavis étant seulement destinée à assurer un prompt règlement de l'indemnité par l'employeur.



Commentaire

Le contrat "nouvelles embauches" (CNE), mis en place au cours de l'été 2005 par la loi d'habilitation du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-846, art. 1-1° N° Lexbase : L8804G9X) et l'ordonnance du 2 août 2005 (ordonnance n° 2005-893, relative au contrat de travail "nouvelles embauches" N° Lexbase : L0758HBP) (1), n'a donné lieu, à ce jour, qu'à un seul développement judiciaire, au demeurant attendu (CE Contentieux, 19 octobre 2005, n° 283471, Confédération générale du Travail et autres N° Lexbase : A9977DKQ) (2). Cet arrêt rendu par le Conseil d'Etat, validant le CNE à l'instar du Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2005-521 DC, du 22 juillet 2005, loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi N° Lexbase : A1642DKZ), avait marqué les esprits, parce que le juge administratif avait écarté les arguments développés par les opposants à ce contrat, notamment celui de la rupture du contrat prononcée par l'employeur, exempté d'appliquer le droit commun du licenciement, qui serait contraire au droit international (Convention internationale du travail n° 158, art. 4 et Charte sociale européenne, 3 mai 1996, publiée par le décret n° 2000-110 du 4 février 2000 N° Lexbase : L1676HDG). Le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Longjumeau qui sera, probablement, censuré par la cour d'appel en raison de ses approximations juridiques, porte sur deux aspects distincts du CNE : sa conclusion et sa rupture.

1. Conclusion du contrat "nouvelles embauches" (CNE)

1.1. Conditions fixées par les textes

  • Conditions relatives au salarié et à l'emploi occupé

- Le CNE ne peut être conclu pour pourvoir les emplois mentionnés au 3° de l'article L. 122-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9607GQU), c'est-à-dire les emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère, par nature temporaire, de ces emplois.

- En cas de rupture du contrat, à l'initiative de l'employeur, au cours des deux premières années, il ne peut être conclu de nouveau CNE entre le même employeur et le même salarié avant que ne se soit écoulé un délai de trois mois à compter du jour de la rupture du précédent contrat (ordonnance n° 2005-893, 2 août 2005, art. 2 N° Lexbase : L0758HBP).

  • Conditions relatives à l'employeur

- Les employeurs doivent appartenir au "secteur marchand" : professions industrielles et commerciales, professions agricoles qui utilisent les services des salariés définis par l'article 1144 (1º au 7º, 9° et 10º) du Code rural (N° Lexbase : L1880DDY), professions libérales, offices publics et ministériels, employés de maison, concierges et gardiens d'immeubles à usage ou non d'habitation ou à usage mixte, travailleurs à domicile, assistants maternels, assistants familiaux, personnels des sociétés civiles, des syndicats professionnels, des sociétés mutualistes, des organismes de Sécurité sociale qui n'ont pas le caractère d'établissements publics et des associations ou de tout organisme de droit privé, quels que soient leur forme et leur objet. Ce sont donc ceux qui entrent dans le champ du premier alinéa de l'article L. 131-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6963G9R).

- Ces employeurs constituent le tissu des PME : ils emploient au plus vingt salariés, condition pour pouvoir conclure un CNE. Ces effectifs sont appréciés conformément à l'article L. 620-10 du Code du travail (N° Lexbase : L7732HBY), selon lequel les salariés titulaires d'un contrat à durée indéterminée à temps plein et les travailleurs à domicile sont pris intégralement en compte dans l'effectif de l'entreprise ; les salariés titulaires d'un contrat à durée déterminée, les salariés titulaires d'un contrat de travail intermittent, les travailleurs mis à la disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure, y compris les travailleurs temporaires, sont pris en compte dans l'effectif de l'entreprise au prorata de leur temps de présence au cours des douze mois précédents (mais ils sont exclus du décompte des effectifs lorsqu'ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu) ; les salariés à temps partiel, quelle que soit la nature de leur contrat de travail, sont pris en compte en divisant la somme totale des horaires inscrits dans leurs contrats de travail par la durée légale ou la durée conventionnelle du travail ; le salarié embauché à compter du 22 juin 2005 et âgé de moins de vingt-six ans n'est pas pris en compte, dans le calcul de l'effectif du personnel de l'entreprise dont il relève, quelle que soit la nature du contrat qui le lie à l'entreprise (disposition désormais suspendue (3)). Il faut donc comprendre que l'employeur peut alors cumuler deux aides à l'emploi : celle prévu par l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 sur les seuils d'effectifs (ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005, relative à l'aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises N° Lexbase : L0757HBN) et celle prévu par l'ordonnance n° 2005-893 (ordonnance n° 2005-893, 2 août 2005, art. 2-3 N° Lexbase : L0758HBP).

1.2. Conditions suggérées par le conseil de prud'hommes de Longjumeau

Le conseil de prud'hommes propose une nouvelle condition, opposée aux employeurs, portant sur la conclusion du CNE. Ses termes ne sont pas définis précisément, mais tiennent dans un attendu de principe : "les droits que les individus tiennent de la loi leur sont attribués dans un intérêt social précis [...] il ne s'agit jamais de droits discrétionnaires ; tout usage d'une prérogative légale hors ou contre l'intérêt social qui lui est attaché s'analyse en abus de droit".

En l'espèce, la SARL ACG a procédé au renouvellement de la période d'essai le dernier jour de celle-ci et a, ensuite, procédé à la rupture de période d'essai le dernier jour de celle-ci : selon le conseil de prud'hommes, ces éléments font présumer l'abus de l'employeur dans l'utilisation de son droit au renouvellement et de son droit à la rupture de période d'essai. Ces éléments sont renforcés par l'embauche du salarié le jour même de la rupture de la période d'essai, par la SARL Acte, sous le régime précaire du CNE. Cette rupture de période d'essai a eu lieu le 6 août 2005, alors que l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005, venait d'entrer en vigueur. Or, les SARL ACG et Acte étaient étroitement liées. En réalité, à la lecture du jugement, il faut comprendre qu'il existait une collusion frauduleuse entre ces deux structures, juridiquement distinctes, mais formant en réalité un même employeur. Aussi, le conseil de prud'hommes peut relever, à juste titre, qu'il est inconcevable que le demandeur n'ayant pas établi sa capacité à remplir sa mission de contrôleur technique dans la première, soit embauché en la même qualité dans la seconde.

Le Conseil considère que la rupture de période d'essai par la SARL ACG est abusive, n'ayant pas pour motif le manque de compétence du salarié mais étant destinée à éluder l'application du droit protecteur du licenciement par le recours au CNE au sein d'un proche partenaire de l'employeur.

La conclusion du CNE est destinée, d'après le rapport présenté au Président de la République, à rassurer les chefs d'entreprise ayant des difficultés à anticiper l'évolution de la conjoncture économique ou à apprécier les qualités du salarié. Il est destiné, comme son nom l'indique, à favoriser de nouvelles embauches. Aussi, il ne peut être utilisé, selon les termes des conseillers prud'homaux "dans le seul but de précariser la situation d'un salarié et d'éluder le droit du licenciement". Or, en l'espèce il apparaît que la SARL Acte connaissait exactement les qualités professionnelles du salarié, qui avait passé deux mois dans la SARL ACG avec laquelle elle est intimement liée.

Le recours au CNE par la société Acte "induit une précarisation de la situation du salarié qui n'est en aucun cas justifiée par l'intérêt de l'employeur, qui pouvait avoir recours au contrat à durée indéterminée de droit commun ou, si besoin, au CDD de remplacement de salariés en congés pendant le mois d'août" : il est évident que cet argument, inspiré de considérations sociales, humaines, politiques, n'a aucune résonance ni portée juridique. Les textes ne mentionnent pas ce critère de la "précarisation", d'ailleurs juridiquement flou et incertain : il est clair que ce jugement, si l'employeur fait appel, sera censuré sur ce point par les juges du fond. De plus, l'employeur est libre de recourir à la forme contractuelle d'un contrat de travail, qu'il s'agisse d'un CDI ou d'un CDD (sous réserve bien-sûr qu'il s'inscrive dans le droit commun du CDD, s'il choisit ce contrat), d'un contrat de travail de droit commun ou conclu au titre des politiques de l'emploi (dont le CNE). Observation très banale, qui n'est que la traduction du principe de la liberté contractuelle.

Même si l'argumentation développée par le conseil de prud'hommes paraît bien maladroite, la solution retenue mérite l'approbation, parce que le CNE, comme son nom l'indique, est conditionné par le recrutement d'une personne, pour la première fois, dans une entreprise donnée, un peu à l'image de feu l'exonération de charges sociales dite "première embauche", supprimée par la loi "Fillon" du 17 janvier 2003 (loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi N° Lexbase : L0300A9Y ; loi n° 89-18, 13 janvier 1989, portant diverses mesures d'ordre social N° Lexbase : L1386AI8 ; décret 89-392 du 14 juin 1989 relatif à l'exonération des cotisations sociales pour l'embauche d'un premier salarié N° Lexbase : L2123AWK ; loi n° 93-1313, 20 décembre 1993, relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle N° Lexbase : L7486AI4 ; circ. CDE., n° 94-12, du 10 mars 1994 N° Lexbase : L7479AIT ; loi n° 98-1194, 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999 N° Lexbase : L5411AS9 ; loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3, modifiée par la loi n° 2001-1246, 21 décembre 2001, de financement de la Sécurité sociale pour 2002 N° Lexbase : L0410AW4).

2. Rupture de la période de consolidation du contrat "nouvelles embauches" (CNE)

Du CNE, que faut-il retenir ? Le législateur a-t-il simplement créé un nouveau contrat de travail spécial, conclu au titre des politiques de l'emploi ou s'agit-il d'une réforme du droit du licenciement, l'application de ce dernier étant exclue pour un contrat de travail nommément désigné (le CNE), en attendant que cette exclusion touche d'autres contrats de travail ? Le Conseil d'Etat a déjà proposé un élément de réponse, en ce qu'il a étroitement entendu la réforme introduite par l'ordonnance n° 2005-893, qui ne porte que sur le CNE : la mise à l'écart des règles relatives au licenciement ne vaut que pour ce contrat, et se justifie par des considérations de politique de l'emploi (CE, 14 octobre 2005, précité). Le conseil de prud'hommes de Longjumeau ne prend guère de précautions, puisqu'il applique contra legem le droit commun du licenciement à la rupture du CNE.

2.1. Conditions de la rupture de la période de consolidation

- Pendant la période dite de consolidation, le CNE est soumis aux dispositions du Code du travail, à l'exception, pendant les deux premières années courant, à compter de la date de sa conclusion, de celles des articles L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) à L. 122-11 (N° Lexbase : L5561ACX), L. 122-13 (N° Lexbase : L5564AC3) à L. 122-14-14 (N° Lexbase : L5474ACQ) et L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K) à L. 321-17 (N° Lexbase : L0036HDP) de ce code (ordonnance n° 2005-893, art. 2).

- La durée du préavis est fixée à deux semaines, dans le cas d'un contrat conclu depuis moins de six mois à la date de la présentation de la lettre recommandée et à un mois, dans le cas d'un contrat conclu depuis au moins six mois (ordonnance n° 2005-893, art. 2). En l'espèce, la rupture de période de consolidation a été faite par lettre remise contre décharge, en contravention à l'article 2, 1°, de l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005, selon lequel la rupture est notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Le conseil de prud'hommes qualifie d'abusive la rupture du CNE, intervenue le 30 août 2005, pour des motifs dont on croit comprendre qu'ils tiennent au fait que l'employeur a conclu le contrat "dans le seul but de précariser la situation d'un salarié et d'éluder le droit du licenciement". Mais le critère de l'abus n'est pas clairement posé ni précisé par le conseil de prud'hommes.

2.2. Sanctions

  • Versement de dommages et intérêts

Selon le conseil de prud'hommes, la rupture abusive de la période de consolidation produit les conséquences d'un licenciement abusif, les dommages et intérêts se calculant conformément à l'article L. 122-14-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5570ACB), selon lequel les salariés peuvent prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité calculée en fonction du préjudice subi. L'invocation de cette disposition s'explique par la condition d'ancienneté de deux ans, non remplie en l'espèce (mais l'article L. 122-14-5 a une vocation résiduelle : il s'adresse aux salariés et employeurs qui ne remplissent pas les conditions posées par l'article L. 122-14-4, c'est-à-dire, aux entreprises qui emploient habituellement moins de onze salariés et aux salariés qui ne peuvent se prévaloir d'une ancienneté de deux ans). En l'espèce, le conseil de prud'hommes a apprécié le dommage du demandeur, qui n'a pas retrouvé d'emploi depuis le 30 août 2005, à la somme de 16 440 euros.

Or, l'ordonnance n° 2005-893 exclut expressément, pendant les deux premières années courant à compter de la date de la conclusion, les articles L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) à L. 122-11 (N° Lexbase : L5561ACX), L. 122-13 (N° Lexbase : L5564AC3) à L. 122-14-14 (N° Lexbase : L5474ACQ) et L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K) à L. 321-17 (N° Lexbase : L0036HDP) du Code du travail. Il ne paraît donc pas juridiquement pertinent pour le conseil de prud'hommes, pour asseoir sa décision de condamner un employeur à verser des dommages et intérêts pour rupture abusive, de se fonder sur l'article L. 122-14-5, ce qu'écarte formellement l'ordonnance n° 2005-293.

Pourtant, le Conseil d'Etat a bien admis que le salarié régi par un CNE puisse contester la rupture de son contrat pendant la période de consolidation (CE Contentieux, 19 octobre 2005, n° 283471, Confédération générale du Travail et autres N° Lexbase : A9977DKQ) : l'ordonnance n° 2005-893 n'a pas exclu que le licenciement puisse être contesté devant un juge, afin que celui-ci puisse vérifier que la rupture n'a pas un caractère abusif et n'est pas intervenue en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure disciplinaire et de celles prohibant les mesures discriminatoires (les règles de rupture du CNE pendant les deux premières années suivant la date de sa conclusion, ne dérogent pas aux stipulations des articles 8-1, 9 et 10 de la Convention internationale du travail n° 158).

  • Indemnité de précarité (8 %)

Lorsqu'il est à l'initiative de la rupture, sauf faute grave, l'employeur verse au salarié, au plus tard à l'expiration du préavis, outre les sommes restant dues au titre des salaires et de l'indemnité de congés payés, une indemnité égale à 8 % du montant total de la rémunération brute due au salarié depuis la conclusion du contrat. Le régime fiscal et social de cette indemnité est celui applicable à l'indemnité mentionnée à l'article L. 122-9 du Code du travail (N° Lexbase : L5559ACU).

En l'espèce, l'employeur n'a pas versé la prime de 8 % au motif que le salarié avait moins d'un mois d'ancienneté. Selon l'employeur, cette ancienneté n'ouvrant pas le droit à préavis, le demandeur ne bénéficierait pas du droit à l'indemnité de 8 %. Le conseil de prud'hommes estime, au contraire, que l'indemnité doit être payée quelle que soit l'ancienneté, la référence au préavis étant seulement destinée à assurer un prompt règlement de l'indemnité par l'employeur.

Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Haute Alsace


(1) T. Aubert-Monpeyssen, Contrat "nouvelles embauches" et droit du travail : quelques interrogations techniques, JCP éd. E 2005, 1495 ; B. Gomel, Contrat "nouvelles embauches" : un retour vers quel emploi ?, Dr. Soc. 2005, p. 1120 ; Katel Berthou, Contrat "nouvelles embauches" et droit communautaire, Sem. Soc. Lamy 2005, n° 1224, p. 8 ; S. Martin-Cuenot, Le contrat "nouvelles embauches", mode d'emploi, Lexbase Hebdo n° 179 du 1er septembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N7758AI8) ; P. Morvan, Le contrat de travail "nouvelles embauches", JCP éd. S 2005, n° 11, 6 septembre 2005, p. 7 ; C. Pierchon, Le contrat de travail "nouvelles embauches" : quel contentieux prud'homal ?, D. 2005, p. 2982 ; C. Roy-Loustaunau, Le contrat "nouvelles embauches" : la flexi-sécurité à la française, Dr. soc. 2005, p. 1103.

(2) G. Borenfreund, Le Conseil d'Etat et le contrat "nouvelles embauches", D. 2005, p. 629 ; C. Devys, conclusions sous CE Contentieux, 19 octobre 2005, précité, JCP éd. S 2005, n° 1317, p. 27 ; R. Vatinet, note sous CE 19 octobre 2005, précité, JCP éd. S 2005, n° 1317, p. 37 ; Christophe Willmann, Le Conseil d'Etat valide le contrat "nouvelles embauches", Lexbase Hebdo n° 188 du 2 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0289AKW).

(3) CE 1° et 6° s-s-r., 23 novembre 2005, n° 286440, Confédération générale du travail - Force ouvrière (N° Lexbase : A7291DLM), Christophe Willmann, La mise en oeuvre de l'ordonnance n° 2005-892 relative aux seuils d'effectifs fortement compromise, Lexbase Hebdo n° 193 du 8 décembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1713AKN) ; CE Contentieux, 19 octobre 2005, n° 283892, Confédération Générale du Travail et autres (N° Lexbase : A9978DKR), Christophe Willmann, Seuils d'effectifs : un arrêt du Conseil d'Etat en demi-teinte, Lexbase Hebdo n° 187 du 27 octobre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0047AKX).

newsid:85993

Sécurité sociale

[Jurisprudence] L'assujettissement des fonctionnaires enseignant au sein des centres régionaux de formation professionnelle des avocats

Réf. : Cass. civ. 2, 9 mars 2006, n° 04-30.550, CRFPA des barreaux du ressort de la cour d'appel de Pau c/ Urssaf des Pyrénées-Atlantiques, FS-P (N° Lexbase : A5038DNW)

Lecture: 11 min

N6087AKN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208189-edition-n-207-du-23032006#article-86087
Copier

par Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Au sein de structures spécifiques (centres régionaux de formation professionnelle des avocats, centres de formation professionnelle des notaires, ou encore écoles de notariat), la formation professionnelle des membres de nombreuses professions juridiques ou judiciaires est souvent assurée par le recours à des intervenants occasionnels. Ces derniers peuvent, eux-mêmes, appartenir à la profession en cause, ou à une autre profession juridique ou judiciaire, ou encore être des fonctionnaires, magistrats ou universitaires. La question de l'assujettissement de ces intervenants au régime général de la Sécurité sociale n'est pas nouvelle. Dans une décision du 9 mars 2006, concernant des fonctionnaires, magistrats ou universitaires, enseignant au sein d'un centre régional de formation professionnelle des avocats, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se prononce en faveur de l'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale.
Décision

Cass. civ. 2, 9 mars 2006, n° 04-30.550, Centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) des barreaux du ressort de la cour d'appel de Pau c/ Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf ) des Pyrénées-Atlantiques, FS-P (N° Lexbase : A5038DNW)

Rejet de CA Pau, chambre sociale, 3 juin 2004

Mots-clefs : centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA), fonctionnaires, magistrats, universitaires, assujettissement, cotisations sociales, assiette, rémunération des heures d'enseignement, rémunération des membres des jurys d'examen.

Textes concernés : CSS., art. L. 242-1 (N° Lexbase : L9684HEE) ; CSS., art. L. 311-2 (N° Lexbase : L5024ADG) ; C. trav. art. L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL).

Lien base : (N° Lexbase : E9157ASX)



Faits

Le centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) des barreaux du ressort de la cour d'appel de Pau n'a pas estimé devoir inclure dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale les sommes versées à des fonctionnaires, magistrats ou universitaires, à titre de rémunération de leurs enseignements ou de leur participation à des jurys d'examen. A la suite d'un contrôle, l'Urssaf des Pyrénées-Atlantiques a réintégré dans l'assiette des cotisations sociales dues par le CRFPA, les rémunérations versées aux différentes personnes fonctionnaires participant à l'enseignement dispensé par ce centre.



Problème juridique

Les fonctionnaires, magistrats ou universitaires participant aux activités d'un centre de formation professionnelle des avocats, doivent-ils être assujettis au régime général de la Sécurité sociale ? Les sommes versées par ce centre, à titre de rémunération des enseignements ou de la participation à des jurys d'examen, doivent-elles être intégrées à l'assiette des cotisations de sécurité sociale ?



Solution

1. Rejet.

2. "[...] les fonctionnaires, magistrats et universitaires concernés dispensaient leur enseignement aux étudiants du CRFPA dans les locaux dépendant de celui-ci [...] ils étaient contraints de respecter un programme défini par matière, de se conformer à un emploi du temps déterminé à l'avance et d'assurer un contrôle de la formation prodiguée par la tenue d'un cahier et d'une feuille de présence [...]".

3. "[...] les intéressés travaillaient dans un lien de subordination avec le centre, qui avait le pouvoir de donner des directives et d'en vérifier l'exécution [...]".

4. "[...] l'Urssaf ne poursuivait pas le recouvrement de cotisations sociales afférentes aux membres des jurys d'examen, ce dont il résultait que le juge ne pouvait statuer de ce chef [...]".



Commentaire

Dans le cadre de l'exercice de leur mission de formation des avocats, les centres régionaux de formation professionnelle des avocats (CRFPA) font appel à des intervenants extérieurs occasionnels : avocats, membres des autres professions juridiques ou judiciaires, fonctionnaires, magistrats ou universitaires. Ces différents intervenants sont appelés à exercer deux types d'activités au sein des CRFPA : des activités d'enseignement et la participation à des jurys d'examens. Les rémunérations auxquelles ces activités peuvent donner lieu n'ont pas manqué d'attirer l'attention des organismes de recouvrement des cotisations de sécurité sociale. La problématique n'est pas nouvelle et a, déjà, également, concerné des centres de formation professionnelle notariale ou encore des écoles de notariat. Dans un arrêt du 9 mars 2006, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur un litige opposant le centre régional de formation professionnelle des avocats des barreaux du ressort de la cour d'appel de Pau (CRFPA de Pau) à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) des Pyrénées-Atlantiques. Plus précisément, le litige concernait l'assujettissement au régime général des intervenants fonctionnaires, magistrats ou universitaires. Cette décision est l'occasion d'une synthèse de la jurisprudence déjà rendue en la matière. De l'arrêt commenté, comme de l'ensemble de la jurisprudence antérieure, il ressort que l'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale des personnes ayant des activités d'enseignement au sein des CRFPA, dépend essentiellement d'une appréciation des conditions de fait dans lesquelles s'exercent ces activités (1). La qualité professionnelle des intervenants peut, également, avoir une incidence sur l'assujettissement, selon que ces derniers sont eux-mêmes avocats ou fonctionnaires, magistrats ou universitaires, comme en l'espèce (2). On regrettera que, pour des raisons procédurales, la deuxième chambre civile n'ait pu se prononcer, en l'espèce, sur le problème spécifique de la participation à des jurys d'examen, mais la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de faire connaître sa position en la matière par le passé (3).

1. La primauté des conditions d'exercice des activités au sein des CRFPA

Il n'est pas utile de rappeler, ici, que la question de l'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale et celle, directement liée, de l'intégration des rémunérations versées à l'assiette des cotisations sociales, relèvent d'une appréciation des conditions de fait dans lesquelles l'activité litigieuse s'exerce. Pour reprendre les termes systématiquement utilisés par la Cour de cassation à ce sujet, la seule volonté des parties est impuissante à soustraire un salarié au statut social qui découle nécessairement des conditions d'accomplissement de son travail (parmi de nombreux autres, on citera seulement le célèbre arrêt "Barrat", Cass. Ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-15.290, SA Ecole des Roches, publié N° Lexbase : A3665ABD ; Cass. Ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-11.647, SA Ecole des Roches, publié N° Lexbase : A5653AAM). Encore convient-il de s'entendre sur ces conditions de fait et c'était, à nouveau, tout l'objet du litige opposant le CRFPA de Pau et l'Urssaf des Pyrénées-Atlantiques.

On le sait, depuis 1996, le critère essentiel d'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale est celui de la subordination juridique, l'intégration dans un service organisé par autrui ne pouvant constituer qu'un indice de cette subordination (Cass. soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187, Société générale c/ Urssaf de la Haute-Garonne, publié N° Lexbase : A9731ABZ). En l'espèce, le CRFPA faisait valoir plusieurs arguments qui tendaient à remettre en cause l'existence d'un lien de subordination entre lui et les fonctionnaires, magistrats ou universitaires, qui exerçaient des activités d'enseignement en son sein. Tous sont rejetés par la deuxième chambre civile.

  • Horaires et lieu

Le CRFPA insistait, tout d'abord, sur le fait que le travail au sein d'un service organisé ne peut constituer un indice du lien de subordination que lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail. Or, selon le CRFPA, les horaires d'intervention étaient définis par lui, avec l'accord des intervenants. De prime abord, l'argument soulevé par le CRFPA pouvait convaincre, mais une analyse plus approfondie ne permettait guère de le retenir. En effet, comme le retient la deuxième chambre civile, les enseignants étaient contraints de se conformer à un emploi du temps déterminé à l'avance. On voit mal, d'ailleurs, comment il aurait pu en aller autrement, ne serait-ce que pour permettre à l'enseignant de rencontrer ses étudiants, ce qui est bien le minimum ! Dans une précédente décision rendue à propos d'une situation similaire à celle notre espèce (Cass. soc., 12 février 1976, n° 74-13510, Ecole de Notariat de Rennes c/ CPAM Rennes, Urssaf Rennes, publié N° Lexbase : A1299CHL), la Chambre sociale avait, d'ailleurs, eu l'occasion de préciser que "quelles qu'aient été les facilités dont ils jouissaient en vue de concilier leur tâche d'enseignement avec leurs activités professionnelles habituelles, les membres du corps enseignant [...] étaient tenus [...] à des obligations précises d'horaire". La prise en compte des impératifs liés à la profession principale ne saurait empêcher d'écarter la soumission à des horaires d'intervention. La deuxième chambre civile prend également soin de rappeler que les enseignements étaient dispensés dans les locaux du CRFPA.

  • Contenu de l'enseignement

Le CRFPA avançait, ensuite, un argument relatif au contenu des enseignements. En effet, selon lui, les enseignants étaient "totalement libres et indépendants dans la définition du contenu de leur enseignement". Renvoyant à la liberté d'enseignement, l'argument pouvait, à première vue, paraître convaincant et attrayant mais il semble, en réalité, très excessif : comment soutenir que les enseignants chargés de préparer leurs étudiants au passage d'un examen précis sont totalement libres et indépendants dans la définition du contenu de leur enseignement ? Certes, l'enseignant reste libre dans les modalités de délivrance de son enseignement, dans ses options pédagogiques, mais le programme de cet enseignement est, lui, assez strictement encadré. Il n'est guère permis de douter qu'une trop grande liberté et indépendance (sic) conduiraient à des réactions des étudiants et, rapidement, du centre. La deuxième chambre civile ne manque pas de le souligner, en relevant que les fonctionnaires, magistrats ou universitaires "étaient contraints de respecter un programme défini par matière".

  • L'éventualité de sanctions

Le troisième argument du CRFPA contestait l'existence d'un pouvoir disciplinaire à l'égard des enseignants. Plus précisément, le CRFPA estimait qu'à ce propos, la cour d'appel s'était contentée d'un motif hypothétique en ne retenant que l'éventualité de sanctions au cas où les intervenants ne respecteraient pas le contenu de l'enseignement ou les horaires, "sans toutefois caractériser effectivement l'exercice par le Centre d'un quelconque pouvoir hiérarchique, et encore moins disciplinaire". L'argumentation était astucieuse : on sait que, classiquement, l'un des éléments de définition de la subordination juridique réside dans la possibilité, pour l'employeur, d'exercer un pouvoir disciplinaire, c'est-à-dire de sanctionner les manquements fautifs du salarié à ses obligations. Ainsi, en l'absence d'un tel pouvoir, l'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale peut être discuté. Mais, la condition posée par la jurisprudence, à cet égard, ne réside pas dans l'exercice effectif d'un tel pouvoir : en effet, cette dernière considère que c'est la possibilité de l'exercice d'un tel pouvoir qui seule importe. Or, même si une procédure disciplinaire spécifique n'est pas prévue, il ne fait guère de doute que l'enseignant ne respectant pas les horaires fixés ou les programmes pourrait voir sa collaboration aux activités du Centre remise en cause.

En l'espèce, la deuxième chambre civile estime l'argument surabondant, mais dans une affaire concernant une école de notariat, la Chambre sociale a eu l'occasion de rappeler que "même si le contrôle de l'établissement ne s'exerçait que d'une manière occasionnelle, voire théorique, sur l'activité des enseignants, celle-ci n'échappait pas à tout droit de regard de l'école, dont le conseil d'administration avait toute latitude pour mettre fin aux fonctions d'un intervenant qui ne respecterait pas dans son enseignement le programme national" (Cass. soc., 18 octobre 1990, n° 88-12.363, Ecole de notariat de Lyon et autres c/ Caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPAM) de Lyon N° Lexbase : A4333ACH).

La réunion des conditions de fait justifiant un assujettissement au régime général de la Sécurité sociale ne faisait guère de doute en l'espèce, notamment au regard d'une jurisprudence assez bien établie à propos des professeurs ou formateurs occasionnels. Mais une autre donnée aurait pu interférer sur l'issue du litige : celle de la qualité professionnelle des intervenants.

2. L'incidence de la qualité professionnelle des intervenants

On l'a dit, le litige portait, ici, sur le cas d'intervenants fonctionnaires, magistrats ou universitaires. En l'espèce, la qualité professionnelle des intervenants n'est pas mise en avant par le CRFPA, mais elle peut, parfois, influer sur les litiges similaires à celui commenté en l'espèce.

En effet, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser que les avocats exerçant une activité d'enseignement professionnel et de formation, dans les centres de formation professionnelle des avocats, ne devaient pas être assujettis au régime général de la Sécurité sociale, cette activité constituant une obligation liée aux activités de la profession, imposée dans l'intérêt supérieur de celle-ci, et ne pouvant donc être exercée qu'à titre libéral (v., notamment, Cass. soc., 16 novembre 1988, n° 86-11.957, Caisse primaire d'assurance maladie de Paris c/ Centre de formation professionnelle des barreaux du ressort, publié N° Lexbase : A3922AGD). Il convient de remarquer que la Cour de cassation retient la même solution pour les autres professions juridiques ou judiciaires. Ainsi, la Chambre sociale a jugé que des notaires exerçant des activités d'enseignement au sein d'un centre de formation professionnelle notariale ne sauraient relever du régime général de la Sécurité sociale (v., notamment, Cass. soc., 6 octobre 1994, n° 92-12.164, Urssaf de la Côte-d'Or c/ Centre de formation professionnelle notariale de Dijon N° Lexbase : A0958AB4). Dans tous ces cas, l'absence d'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale est retenue sur le fondement des règles présidant à l'exercice de chacune des professions et, notamment, celle qui prévoit que les centres de formation professionnelle fonctionnent par la collaboration de la profession, collaboration qui constitue une obligation liée aux autres activités de la profession. On remarquera, d'ailleurs, que la Cour de cassation retient, au contraire, l'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale des notaires exerçant des fonctions d'enseignement au sein des écoles de notariat, établissements distincts des centres de formation professionnelle des notaires (v., notamment, Cass. soc., 18 octobre 1990, n° 88-12.363, Ecole de notariat de Lyon et autres c/ Caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPAM) de Lyon N° Lexbase : A4333ACH).

En revanche, et assez logiquement, les membres d'une profession juridique ou judiciaire exerçant une activité d'enseignement dans un centre de formation professionnelle relevant d'une autre profession que la leur sont assujettis au régime général de la Sécurité sociale, leur activité d'enseignement ne correspondant alors pas à une obligation issue du statut de leur profession.

Sur le fondement d'un raisonnement très voisin, le cas des fonctionnaires est traité de la même manière par la Cour de cassation. En effet, cette dernière retient, depuis longtemps, que les fonctionnaires, magistrats ou universitaires, sont assujettis au régime général de la Sécurité sociale pour leurs activités d'enseignement (sous réserve du respect des conditions de fait d'assujettissement) au sein des centres de formation professionnelle des professions juridiques ou judiciaires (en ce sens, v., notamment, Cass. soc., 18 octobre 1990 et Cass. soc., 6 octobre 1994, précités). Cette dernière décision apporte quelques précisions d'importance : le fait que les centres de formation professionnelle en cause soient des établissements d'utilité publique placés sous l'autorité du Garde des Sceaux ne permet pas de les assimiler à des établissements publics.

3. La participation aux jurys d'examen

Le CRFPA de Pau faisait, enfin, grief à la cour d'appel de Pau d'avoir dit que les membres des jurys d'examen devaient être assujettis au régime général de la Sécurité sociale. La réponse de la deuxième chambre civile est, sur ce point, purement procédurale. Constatant que l'Urssaf des Pyrénées-Atlantiques ne poursuivait pas le recouvrement de cotisations sociales afférentes aux rémunérations des membres des jurys d'examen, la Cour de cassation énonce que la cour d'appel de Pau ne pouvait statuer de ce chef. Cependant, la deuxième chambre civile déclare le moyen irrecevable. En effet, elle rappelle que le prononcé sur des choses non demandées ne constitue pas un cas d'ouverture à cassation, mais seulement une irrégularité relevant des articles 463 (N° Lexbase : L2702ADG) et 464 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2703ADH).

Même si la deuxième chambre civile n'a pas eu l'occasion de le faire en l'espèce, rappelons qu'à propos des membres de jurys d'examen, la Cour de cassation a déjà été amenée à statuer.

Ainsi, dans une décision relative aux membres d'un jury d'examen sanctionnant la formation délivrée au sein d'un centre de formation professionnelle notariale, la Chambre sociale a retenu que ces personnes sont désignées conjointement par le Premier président de la cour d'appel et le Procureur général, que leur intervention est occasionnelle et que, tant le programme que les modalités de l'examen, sont fixés par une autre autorité que le centre, ce qui conduit à considérer que la participation à ce jury est exclusive de tout lien de subordination vis-à-vis du centre (v. Cass. soc. 6 octobre 1994, précité).

newsid:86087

Fiscalité des entreprises

[Textes] PME et imposition des résultats : règle de l'Etat de résidence ou "Home State Taxation"

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208189-edition-n-207-du-23032006#article-86001
Copier

par Roland Walter, Professeur associé à l'ESSEC et ancien responsable fiscal d'Air France

Le 07 Octobre 2010

Depuis 1957, des avancées fiscales...

Le Traité de Rome aura bientôt 50 ans, d'autres traités ont suivi : Maastricht, Amsterdam, Nice, etc. Où en est la fiscalité ? Des règles communes pour la TVA, avec des aménagements de la sixième Directive (N° Lexbase : L9279AU9) et des projets (règle du guichet unique, modifications de la Directive (CE) 77/799 du Conseil du 19 décembre 1977 concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres dans le domaine des impôts directs de certains droits d'accises et des taxes sur les primes d'assurance N° Lexbase : L9296AUT), quelques dispositions pour les entreprises en matière d'impôts directs (régime mère/filiale, fusions, scissions, apports partiels d'actifs, convention d'arbitrage), aucune avancée en matière d'impôt sur le revenu.
Il est vrai que la règle de l'unanimité, que la plupart des Etats ne veulent pas abandonner pour un vote à la majorité qualifiée, ne facilite pas le travail de la Commission. Ces mesures ont-elles profité aux PME, leur ont-elles permis de s'ouvrir au marché européen ? Mais, pour la fiscalité des PME...

Dans sa communication du 23 décembre 2005 au Parlement européen et au Conseil économique et social européen (Lutte contre les obstacles liés à la fiscalité des sociétés qui affectent les petites et moyennes entreprises dans le marché intérieur - Description d'un éventuel système pilote d'imposition selon les règles de l'Etat de résidence, 23 décembre 2005, COM (2005) 702), la Commission insiste sur le rôle des PME sur le plan économique et sur les freins ayant pour origine la fiscalité : "le problème fondamental est, qu'alors que les PME jouent un rôle prépondérant dans le développement économique de l'Union européenne, leur participation au marché intérieur est considérablement inférieure à celle des entreprises de plus grande taille et ce, notamment, pour des raisons fiscales. Cette situation est source d'inefficacité économique et, par voie de conséquence, réduit le potentiel de l'UE en matière de croissance et de création d'emplois". Toutefois, des actions ont été conduites par la Commission sur les problèmes transfrontaliers, telles que la transmission des PME ou la mise en place prochainement du système de "guichet unique" appelé à faciliter les opérations intracommunautaires en matière de TVA. Néanmoins, il manque un régime adapté pour ces entreprises concernant l'impôt sur les sociétés, leur permettant d'opérer à l'intérieur de l'espace communautaire.

Les freins de nature fiscale...

La législation fiscale communautaire comporte encore de nombreuses lacunes, lesquelles handicapent le développement intracommunautaire des entreprises. Certes, ces difficultés existent pour toutes les entreprises, mais les grandes entreprises arrivent plus facilement à contourner ces obstacles fiscaux. Comme le souligne la Commission dans sa communication de décembre 2005, "les entraves fiscales ont, toutefois, souvent une incidence plus importante sur les PME du simple fait que ces entreprises ont une activité plus réduite et disposent de ressources financières et humaines plus faibles, ainsi que d'une expertise moindre dans le domaine fiscal. Le caractère limité de leur activité restreint, donc, par définition, leurs possibilités de contourner certains obstacles liés à la fiscalité". Ce qui gêne particulièrement les PME, ce sont les coûts de mise en conformité associés à la nécessité de gérer jusqu'à 25 systèmes d'imposition différents, les prix de transfert, l'application des conventions fiscales, ainsi que l'absence de compensation transfrontalière des pertes. A ces questions purement fiscales s'ajoutent les difficultés de financement par des banques, ou établissements financiers, en présence de pertes étrangères non compensables et l'existence, en droit interne, de régimes forfaitaires ou de méthodes simplifiées de détermination des bénéfices, non disponibles pour des entreprises exerçant leur activité depuis un autre Etat membre. L'ensemble n'encourage pas une petite entreprise à aller affronter un marché extérieur.

1. PME : imposition dans l'Etat de résidence ou "Home State Taxation" ("HST")

Pour les grandes entreprises, la Commission travaille sur un système de consolidation des résultats, qui implique des règles communes d'imposition. Mais, sa mise en place ne sera pas immédiate.

S'agissant des PME, la Commission envisage un autre concept, au moins à titre temporaire, conçu dès 2001, par deux universitaires, les Professeurs Malcolm Gammie et Sven-Olof Lodin, concept repris et approfondi par les techniciens de TAXUD (Taxation et Union douanière) : le "Home State Taxation" ou "l'imposition selon l'Etat de résidence". La Communication de décembre 2005 en donne la définition suivante : "le concept d'imposition selon les règles de l'Etat de résidence repose sur l'idée d'une reconnaissance volontaire des règles fiscales. Il signifie que les bénéfices d'un groupe de sociétés exerçant des activités dans plus d'un Etat membre sont calculés selon les règles d'un seul régime d'imposition des sociétés, à savoir celui de l'Etat de résidence de la société mère ou du siège social du groupe (sociétés principales). Les PME désireuses de créer une filiale ou un établissement stable dans un autre Etat membre auraient, donc, la possibilité de se conformer uniquement aux règles fiscales qui leur sont, déjà, familières [...] ; en conséquence, le concept pourrait utilement être mis à l'essai dans le cadre d'un système pilote réservé aux PME intéressées et aux Etats membres ayant des assiettes fiscales comparables". Les Etats membres souhaitant mettre en application, dans un système pilote, cette nouvelle structure d'imposition pourraient, tout en limitant les risques de pertes en matière de recettes budgétaires, recourir à un accord bilatéral ou multilatéral, de préférence complétant les conventions fiscales existantes, ou créer une nouvelle convention multilatérale.

1.1. Système pilote, modalités d'imposition

Les règles d'imposition des PME selon le principe de l'Etat de résidence pourraient être appliquées à titre expérimental et de manière optionnelle pendant cinq ans, de 2007 à 2011, au sein d'un système pilote. Ce projet, déjà, conçu en 2003 a été revu et approfondi à ce jour. Les règles en seraient complexes :

- on entendrait par "Etat de résidence" le pays dans lequel la société mère directe ou indirecte ou la société à laquelle l'établissement stable appartient (siège social), selon le cas, a sa résidence fiscale ;
- l'"Etat d'accueil" serait celui où la filiale a sa résidence fiscale ou celui dans lequel l'établissement stable est situé ;
- le "groupe de l'Etat de résidence" serait le groupe de sociétés ou la société avec des établissements stables participant au système pilote ;
- la "société principale" serait celle qui dirige le groupe de l'Etat de résidence responsable du fonctionnement du système pilote ;
- la définition des PME serait celle retenue habituellement au niveau communautaire selon le nombre de salariés, le chiffre d'affaires et/ou le total du bilan ;
- le système pilote ne devrait retenir que les petites et moyennes entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés ;
- il est improbable que les PME, dont le siège social est situé dans un pays tiers, souhaiteraient participer au système pilote, de même que les PME possédant des participations indirectes dans d'autres PME via des pays tiers ;
- les Etats membres pourraient inclure dans le projet les sociétés de personnes et les entreprises individuelles opérant à l'échelle internationale, de même que les sociétés hybrides ou transparentes, mais cela ne paraît pas souhaitable car pouvant conduire à des opinions divergentes quant à l'application des conventions fiscales. Dans tous les cas, "seules les sociétés de personnes exerçant des activités commerciales lucratives devraient être autorisées à participer au système pilote" ;
- l'"Etat de résidence d'un groupe de PME" serait celui dans lequel la société principale a sa résidence fiscale ; en cas de doute ou de double résidence, on retiendrait le siège de direction effective ou le centre de direction et de contrôle. En cas de difficulté, les administrations fiscales devraient s'entendre pour déterminer l'Etat de résidence. Les règles d'imposition des sociétés de l'Etat de résidence s'appliqueraient à la société principale, à ses filiales et aux établissements stables situés dans les Etats membres participants ;
- les sociétés principales participant au système pilote ne pourraient choisir, dans les Etats membres du périmètre retenu, les filiales ou les établissements stables éligibles qui feraient partie du groupe de l'Etat de résidence : ces structures seraient toutes retenues ou ne le seraient pas ;
- pour participer au système pilote, les entreprises existantes devraient avoir leur résidence fiscale dans l'Etat de résidence depuis au moins deux ans ;
- les dépassements du chiffre d'affaires fixant le seuil de PME, les fluctuations inhabituelles de celui-ci, un changement dans l'actionnariat, les fusions-acquisitions qui n'affectent pas les éléments fondamentaux du système pilote, ne devraient pas remettre en cause nécessairement la participation au système pilote, mais tout changement de l'Etat de résidence d'une société participante pourrait être impossible pendant la période d'application du système pilote et le transfert de la résidence fiscale de la société principale devrait entraîner la fin de sa participation ;
- si les exercices fiscaux de la société principale ne coïncident pas avec ceux d'un membre du groupe de l'Etat de résidence, la société principale devrait tenir la comptabilité nécessaire pour que les administrations fiscales puissent évaluer la demande de participation ;
- toutes les opérations effectuées à l'intérieur du groupe de l'Etat de résidence entre la société principale, ses filiales, ses établissements stables ou des membres du groupe comme des apports d'actifs, devraient être traitées conformément aux règles fiscales nationales de l'Etat de résidence.

1.2. "HST", système pilote, calcul et répartition des bénéfices

Le système pilote ne porterait que sur les impôts sur les sociétés. La TVA, les droits d'accise, l'ISF, les droits de succession, les impôts locaux ne seraient pas retenus dans le schéma. "Le système pilote ne doit avoir aucune influence indirecte sur la perception des autres impôts autres que l'impôt sur les sociétés". Si des difficultés apparaissaient au niveau du calcul de l'impôt dans l'Etat de résidence, une comptabilité spécifique devrait être tenue au niveau de l'Etat d'accueil. On peut retenir, à titre d'exemple, les avantages extra-salariaux comme les avantages en nature conduisant à des sur-impositions ou à des sous-impositions.

Par ailleurs, tous les secteurs d'activité ne pourraient entrer dans le champ d'application du système pilote, soit parce que les PME dans ces secteurs seraient peu nombreuses, soit parce qu'ils seraient encore exclusivement nationaux. La Commission propose de ne pas accueillir, lorsque les groupes de l'Etat de résidence réalisent plus de 10 % de leur chiffre d'affaires dans les transports maritimes, les secteurs des services financiers, des banques et des assurances, d'exploitation et du commerce de gaz et de pétrole, ainsi que celui des activités agricoles (sylviculture et pêche comprises).

En outre, lorsque la société principale aura déterminé le bénéficie global du groupe, la répartition entre les différentes unités interviendrait en fonction des critères suivants : masse salariale, nombre de salariés, chiffre d'affaires, les actifs, et ce pour les bénéfices comme pour les pertes. "Il est recommandé d'utiliser la part de chaque Etat membre concerné dans la masse salariale totale (50 %) et dans le chiffre d'affaires global (50 %) de l'entreprise participante comme formule de répartition".

Enfin, les règles anti-abus des Etats des différents membres du groupe resteraient applicables à l'égard des Etats membres non participants et des pays tiers.

1. 3. "HST" et opérations internationales

Les dispositions des conventions fiscales signées par les différents membres du groupe de l'Etat de résidence ne devraient pas s'appliquer aux opérations effectuées entre les membres de ce groupe. En revanche, elles devraient continuer de s'appliquer "aux aspects du traitement fiscal qui ne sont pas concernés par le système pilote". En fait, les membres d'un groupe participant au système pilote "devraient se voir appliquer la convention fiscale de leur Etat d'accueil, mais pour leurs revenus imposables établis selon les règles de l'Etat de résidence".

Les revenus de source étrangère des membres du groupe générés dans des pays tiers ou dans des Etats membres ne participant pas au système pilote devraient être pris en compte selon les règles normales. Aussi, ils devraient être ajoutés aux revenus du membre du groupe concerné après répartition de la base d'imposition. 

Dans certaines hypothèses, des problèmes d'application des clauses de non-discrimination des conventions en matière de double imposition, tant à l'égard des Etats membres non participants qu'à l'égard des pays tiers devraient se poser, étant donné que les entreprises d'un même Etat devraient faire l'objet d'un traitement différent selon qu'elles participent ou non au système pilote. Leur résolution exigerait un accord formel avec chaque signataire des conventions concernée quant à l'interprétation de cette clause dans le contexte du système pilote.

Les règles nationales relatives à la fixation des prix de transfert ne devraient plus s'appliquer au sein du groupe de l'Etat de résidence. En effet, celui-ci devrait se voir appliquer les règles de l'Etat de résidence, y compris dans les autres Etats membres concernés.

Quant aux retenues à la source, aux paiements de dividendes et aux procédures associées pour des opérations effectuées entre membres du groupe de l'Etat de résidence, ce sont les règles de cet Etat qui devraient s'appliquer à tous les membres du groupe. Pour les dividendes payés à des actionnaires minoritaires, on devrait appliquer les règles de l'Etat d'accueil.

2. Mise en place du système pilote

La Commission privilégie le mécanisme des conventions fiscales pour la mise en place du système pilote. Les Etats membres impliqués devraient engager des négociations pour élaborer et conclure des accords bilatéraux ou, de préférence, multilatéraux. Les accords bilatéraux pourraient prendre la forme d'un protocole additionnel à la convention fiscale applicable en matière de double imposition et les accords multilatéraux devraient être conclus dans le cadre d'une convention intergouvernementale. Les Etats, s'ils le souhaitent, pourraient, aussi, bénéficier de l'aide de la Commission ou de l'assistance du programme "Fiscalis".

La société principale devrait faire uniquement une déclaration dans l'Etat de résidence pour le groupe. Les administrations des autres Etats concernés devraient recevoir des copies de cette déclaration avec les annexes utiles (bilans, comptes de résultats, etc.). L'essentiel de la charge administrative reposerait, ainsi, sur la société principale. La supervision du système pilote seraient celles de l'assistance mutuelle et de la coopération administrative dans l'UE.

Le système pilote devrait, à titre expérimental avoir une durée de cinq ans (peut-être du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2011). La participation d'une société devrait l'engager pour la totalité de cette période de cinq ans.

Dans sa communication de décembre 2005, la Commission précise que le Parlement européen s'est montré favorable à l'idée de l'imposition selon les règles de l'Etat de résidence, l'invitant à développer le concept. Le Conseil économique et social européen a indiqué que le projet pilote serait une solution pour les activités transfrontalières des PME.

Pendant l'été 2004, un questionnaire a été envoyé aux entreprises intéressées dans les différents Etats membres. Un compte rendu sommaire a été publié le 18 janvier 2005. "[...] Les réponses ont révélé que les PME de l'UE soutiennent cette initiative et sont très intéressées par une participation à ce système pilote éventuel. Cependant, compte tenu du faible taux de réponse à ce questionnaire, les résultats ne peuvent être considérés comme étant significatifs d'un point de vue statistique". En effet, d'après les résultats communiqués par TAXUD, on a : 168 réponses pour l'Allemagne, 8 pour la Pologne, 1 pour le Danemark, la France, le Luxembourg, la Slovaquie, le Royaume-Uni et un pays tiers sans référence. Aucune réponse pour la Suède, la Finlande, l'Espagne, la Grèce et les nouveaux Etats membres : l'Estonie, Chypre, la Hongrie, etc. A la question "souhaitez-vous participer au système pilote ?" : 99 réponses positives, 91 négatives. Quant aux réponses en fonction de la taille de l'entreprise : 63 étaient des entreprises de grande taille, dont 31 étaient favorables au système pilote ; sur 85 entreprises moyennes, 45 ont répondu être favorables ; sur les 44 réponses des petites entreprises, seules 23 se sont montrées intéressées.

Les Etats membres, consultés en 2004, ont fait preuve de peu d'enthousiasme. D'après TAXUD, "il faut bien admettre que ces consultations ont suscité un important scepticisme général". Les raisons exposées : l'existence d'entraves fiscales transfrontalières spécifiques aux PME n'est pas fondée ; tout système pilote entraînerait d'importants problèmes administratifs et juridiques et, notamment, des discriminations. A ces arguments, la Commission a répondu que, le système étant volontaire, on ne peut empêcher les Etats qui le souhaitent de passer des accords bilatéraux ou multilatéraux. Déjà, deux Etats auraient signé un protocole joint à leur convention de non double imposition, qui prévoit une dérogation aux règles de l'établissement stable pour certaines de leurs régions frontalières.

Devant ces difficultés, et cette note de présentation ne fera pas état des critiques techniques nombreuses, que l'on peut formuler (en particulier, la complexité due à l'existence simultanée de plusieurs régimes d'imposition, accentuée par la possibilité d'opter ou non), la Commission a précisé que l'imposition des PME selon les règles de l'Etat de résidence "ne constitue pas une solution fiscale systématique à long terme", l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés (ou ACCIS) ne devant intervenir que plus tard. Dès lors, l'approche sous forme du système pilote à titre expérimental devrait être utilement explorée par les Etats membres. Toutefois, la Commission semble perplexe quant à la mise en place du système pilote et du "HST". Celle-ci est "consciente que la grande majorité des Etats membres n'est, actuellement, pas convaincue par l'idée. Elle estime, toutefois, que les inquiétudes justifiant cette attitude critique peuvent être levées. En outre, selon toute vraisemblance, seuls les Etats membres ayant des assiettes fiscales sensiblement analogues conviendront d'appliquer un tel système. L'approche proposée ne constitue, en définitive, qu'une initiative pragmatique et modeste visant à mobiliser le potentiel de croissance des PME, raison pour laquelle elle ne devrait pas être entravée par des considérations purement administratives".

newsid:86001

Sociétés

[Textes] Directive sur les fusions transfrontalières : après la Societa Europae, la Fusio Europae

Réf. : Directive 2005/56 du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux (N° Lexbase : L3532HD8)

Lecture: 10 min

N5689AKW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208189-edition-n-207-du-23032006#article-85689
Copier

Le 07 Octobre 2010

Si, comme le prétend Bernard Maître, "la création d'entreprise est probablement l'une des formes les plus élaborées des dernières grandes aventures modernes" (1), la Directive du 26 octobre 2005 sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux dite "Directive transfrontalière" pourrait ouvrir en Europe le champ de nouvelles équipées industrielles et commerciales. Il semble, cependant, que la réalité soit plus contrastée et que le législateur communautaire ne puisse, d'emblée, compter sur l'enthousiasme des entrepreneurs à propos d'un texte en demi-teinte, davantage marqué par une realpolitik européenne que par l'innovation juridique. On peut augurer, en effet, de difficultés à imposer ce texte pour deux raisons. D'une part, parce que les fusions transfrontalières, en dépit de nombreux obstacles fiscaux, ont déjà été réalisées par les sociétés, qui ont recouru -le plus souvent- à des pratiques sui generis aujourd'hui éprouvées. D'autre part, parce que le nouveau cadre proposé par les instances communautaires souffre de mêmes pesanteurs procédurales que celles qui ont été attachées au statut de la nouvelle société européenne (SE). Le texte, qui est demeuré en gestation pendant une vingtaine d'années pose, en effet, les bases d'une réglementation communautaire des fusions des sociétés de nationalités différentes, mais les opérations en question demeurent régies -dans la plupart de leurs dispositions- par le droit interne (I). Quant aux dispositions spécifiques, elles sont limitées (II) et ne sont pas homogènes, puisqu'elles sont essentiellement centrées sur l'aménagement de l'information et sur l'élaboration d'accords d'entreprise.

I - Un régime sous l'égide du droit interne

Placée essentiellement -à l'instar des dispositions sur la SE- sous l'égide du droit interne, la Directive transfrontalière doit cette inféodation à une genèse difficile (A), sa rédaction étant le fruit d'un consensus peu satisfaisant qui s'est dégagé à compter de solutions (B) de compromis pour la plupart des Etats membres.

A - Une genèse difficile

La Directive sur les fusions transfrontalières répond à un souci ancien, remis à l'ordre du jour à l'occasion de la mise en oeuvre du processus de Lisbonne, au printemps de l'année 2000. Pour l'Union, la priorité était surtout de nature économique puisque la nécessité de déterminer un cadre strict pour les fusions transfrontières avait été présentée, peu après le sommet de Lisbonne, en novembre 2000, comme une priorité pour la compétitivité de l'économie européenne par "le groupe de haut niveau d'experts en droit des sociétés présidé par Jaap Winter". Cette nécessité n'était, d'ailleurs, pas étrangère à l'élargissement de l'Union et à l'impératif de permettre la croissance des sociétés pour qu'elles atteignent une taille critique, conforme à la nouvelle dimension de l'Europe.

Faut-il croire que les considérations économiques permettent d'initier des réformes plus rapidement que les considérations juridiques ? On est en droit de se le demander. Il aura, en effet, fallu une vingtaine d'années (la première proposition de Directive en ce sens datant de 1984) pour aboutir à l'élaboration de la Directive transfrontalière (2), et quatre ans pour la finaliser, alors qu'il en aura fallu plus de quarante pour déboucher sur l'édiction de la Directive sur la SE. Incidemment, toutefois, la SE étant désormais transposée en droit interne, l'adoption d'un régime des fusions transfrontalières s'imposait -logiquement- comme le complément indispensable de cette réforme du droit des sociétés.

Un certain nombre d'obstacles, nés de la rigidité du droit interne de certains Etat membres interdisent encore, en effet, les fusions transfrontalières aux Pays-Bas, en Suède, en Irlande, en Grèce, en Allemagne, en Finlande, au Danemark et en Autriche. Confrontées à la difficulté de ne pouvoir réaliser des fusions, des entités appelées à se regrouper ont parfois, ainsi, été contraintes de liquider certaines sociétés, au prix d'un coût juridique et fiscal exorbitant. C'est donc, essentiellement, sur ce plan que la Directive transfrontalière se devait de permettre d'adopter un processus susceptible d'encourager les regroupements d'entreprises, tout en proposant un cadre technique simple et opérationnel.

B - Les axes principaux de la réforme

Les objectifs pratiques, encourager et faciliter les opérations de fusion entre sociétés de nationalités différentes, ont abouti à retenir les mêmes solutions que celles qui ont été adoptées à propos de la SE. En effet, à l'instar du régime qui lui est applicable (transposé en France par la loi "Breton" du 26 juillet 2005 (3)) la fusion sera régie, pour autant que l'opération le permette, par les dispositions du droit national auxquelles elle serait soumise si elle fusionnait avec une société du même Etat membre.

L'application des règles de droit interne s'impose, de la sorte, pour l'ensemble du processus décisionnel relatif à la fusion, le droit interne étant également celui qui régit la protection des créanciers, des obligataires et des porteurs de titres autres que des actions et auxquels des droits spéciaux sont attachés. Pour le reste, d'ailleurs, les règles applicables en vertu du droit communautaire ne s'éloignent guère de celles qui s'appliquent déjà au droit interne, notamment, dans la partie relative aux effets de la fusion qui figurent dans l'article 14 de la Directive (4). Ce que la nature de l'opération ne permet pas, en revanche, de laisser soumis au droit national, ce sont les éléments d'information sur la nouvelle entité résultant de la fusion. En effet, les personnes intéressées à la fusion, et notamment les créanciers, doivent pouvoir connaître le nom et le siège statutaire de la nouvelle personne morale ainsi créée.

Il demeure que, si la Directive s'inspire des solutions retenues pour la constitution de la SE, le régime de la fusion est essentiellement destiné aux autres sociétés de capitaux (5) car il leur offre la possibilité de s'internationaliser sans qu'il leur soit besoin d'adopter la forme d'une société européenne. Ce texte devrait donc trouver la faveur des entreprises moyennes dont la taille est insuffisante pour constituer une SE. Ce qui, en revanche, rapproche le régime de ces fusions de celui qui est applicable à la SE, c'est le mécanisme propre au droit social.

En effet, si l'une au moins des sociétés participant à une fusion transfrontalière est régie par des règles relatives à la participation des travailleurs dans son Etat membre d'origine et que la société issue de la fusion doit être constituée conformément au droit d'un Etat membre où de telles règles n'existent pas, la procédure de négociation prévue dans le statut de la société européenne doit s'appliquer (6). Cette procédure de négociation a pour objet de permettre aux parties de s'accorder sur les modalités de participation des travailleurs. Toutefois, si aucun accord ne parvient à être dégagé, ce seront les règles du droit interne le plus favorable aux salariés qui seront appliquées à la société résultant de la fusion.

Cette présentation simplifiée de l'économie de la Directive permet de mettre en évidence que le régime des fusions transfrontalières va revêtir deux aspects dans le cadre de la transposition : d'une part, le volet relatif au droit spécial des sociétés et, d'autre part, celui qui concerne les salariés.

II - Le droit spécial de la fusion transfrontalière : des dispositions hétérogènes

L'hétérogénéité des dispositions relatives aux fusions transfrontalières s'illustre par la dualité des règles applicables : d'une part, celles qui sont relatives à ce nouveau volet de droit spécial des sociétés (A) et, d'autre part, celles qui renvoient aux règles de la SE en matière d'accords collectifs (B).

A - Les dispositions relatives au droit spécial des sociétés

La solution retenue, qui consiste à appliquer le droit interne, par défaut, à tout ce qui ne touche pas directement au caractère transfrontalier de l'opération, n'entraîne pas comme conséquence immédiate l'application d'un régime incompatible avec notre droit des sociétés. Ainsi en est-il de la notion de fusion qui est développée dans le cadre de la Directive (7) dont l'article 2 nomenclature trois types d'opérations susceptibles d'être qualifiées de fusions. Celle, d'abord en vertu de laquelle une ou plusieurs sociétés transfèrent, au moment de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine à une société préexistante. Celle, ensuite, dans laquelle les sociétés dissoutes apportent l'ensemble de leur patrimoine à une société qu'elles créent à cette occasion. Celle, enfin, dans laquelle une société transfère son patrimoine, au moment de sa dissolution sans liquidation, à la société qui détient la totalité des titres de son capital social.

Ces trois hypothèses correspondent respectivement aux cas, de fusion-absorption et de fusion par création d'une société nouvelle, la dernière modalité renvoyant elliptiquement à la fusion simplifiée de l'article L. 236-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L6361AIG). Elles en réfèrent ainsi, implicitement, à la mise en oeuvre du Code de commerce et du Code civil (8) qui fait reposer le régime des fusions sur trois éléments : la dissolution sans liquidation, la transmission universelle du patrimoine et le principe d'attribution pour les apporteurs de parts ou d'actions de la, ou des, société(s) bénéficiaire(s), la soulte éventuelle ne pouvant dépasser 10 % de la valeur nominale des parts ou actions attribuées.

Sur ce point, donc, l'homogénéité du régime applicable permet d'appliquer les mécanismes de la transmission universelle de patrimoine et notamment les avantages fiscaux qui y sont attachés. Il paraît, toutefois, difficile d'envisager, avant que la transposition ne soit réalisée, les modalités pratiques que le législateur adoptera en matière fiscale. Le régime applicable à l'heure actuelle pour les sociétés qui fusionnent a, en effet, été conçu afin d'éviter que les entreprises ne supportent le poids de la fiscalité pour des opérations qui sont apparues -aux yeux du législateur- relever davantage de la gestion entrepreneuriale que de la spéculation. La puissance publique ne pourrait-elle pas considérer, désormais, que la neutralité de ce régime fiscal, admissible dès lors que la concentration pouvait générer des recettes futures, s'avérerait injustifiée si un autre Etat membre était le seul à bénéficier ultérieurement des bénéfices fiscaux de la fusion ? A notre sens, le régime des fusions transfrontalières ne pourra être parachevé que lorsque la question -épineuse- de la fiscalité communautaire sera résolue.

Quant aux modalités pratiques de l'opération, elles sont réglées par les prescriptions de l'article 5 de la Directive (9) qui établit les différents éléments devant figurer dans un projet commun de fusion transfrontalière. Ce projet comprend un certain nombre d'informations relatives à la nouvelle structure, notamment sur sa forme, sa dénomination et son siège statutaire ainsi que celui des sociétés appelées à fusionner. D'autres informations concernent les échanges de titres ou de parts ainsi que leurs modalités d'attribution, les dates d'exercice des droits financiers et les droits spéciaux dont vont bénéficier certains associés. Des informations sur le patrimoine de la nouvelle société, son évaluation, les "dates de comptes des sociétés qui fusionnent", ainsi que les avantages particuliers consentis aux experts qui examinent le projet de fusion transfrontalière figurent également dans le document précité.

Le texte établit, par ailleurs, d'autres obligations en matière d'information interne et externe, qui constituent des moyens de garantir la transparence pour les créanciers, mais dont le respect peut être à l'origine d'un alourdissement de l'opération. En effet, pour chaque société partie à l'opération, les organes de direction ou d'administration établissent un rapport qui est doublé d'un autre rapport, établi, cette fois, par un expert indépendant dont le rôle est sensiblement équivalent à celui que joue le commissaire à la fusion en droit interne.

Quant à la validité de la fusion, cette dernière est conditionnée par deux actes : d'abord l'émission d'un certificat, par une "autorité" désignée par les Etats, certificat attestant du respect des formalités applicables aux fusions en droit interne ; ensuite, l'approbation par l'assemblée générale de chacune des sociétés concernées.

Demeure, enfin, une disposition fondamentale compte tenu des obstacles soulevés lors de la rédaction de la Directive. Le projet de fusion (article 5 d de la Directive) indique : les "effets probables sur l'emploi". C'est là, en effet, un sujet particulièrement sensible ainsi qu'en atteste le volet des dispositions relatives aux salariés.

B - Les dispositions relatives aux salariés

Les fusions transfrontalières ont, en effet, soulevé des inquiétudes chez les salariés, exprimées à l'occasion de l'élaboration de la Directive, notamment, en raison de risques supposés de délocalisation qu'aurait entraîné la mise en oeuvre d'un régime permettant la surenchère en matière -de ce qui convient désormais d'appeler- de dumping social. Sur ce point, les instances communautaires ont cru bon de souligner, lors de l'élaboration du texte, que les lenteurs d'élaboration étaient essentiellement dues aux questions posées par le droit social plutôt que par les difficultés à harmoniser le droit des sociétés. C'est sans doute ces difficultés qui ont fait que la solution retenue a été marquée du sceau du pragmatisme : considérant les difficultés surgies lors de la discussion des textes relatifs à la constitution de la SE, les auteurs de la Directive transfrontalière ont choisi de calquer le régime applicable sur celui de la société européenne. Ainsi, les sociétés créées sous le régime des fusions transfrontalières (qui rappelons-le ne sont pas -en principe- des SE) présenteront un régime de droit social commun avec celui des sociétés européennes.

Il convient donc, s'agissant du volet social de la Directive transfrontalière, d'en référer à une autre Directive, plus ancienne celle-là, en date du 8 octobre 2001, complétant le statut de la société européenne pour ce qui concerne l'implication des travailleurs (10), pour déterminer les modes de constitution des accords destinés à régir les salariés. Ce texte, d'ailleurs a déjà été amplement commenté en ce lieu (11). Sur ce point, les mécanismes généraux applicables aux négociations en matière sociale ont été rappelés plus avant mais, il demeure que le décalque des solutions déterminées pour la société européenne quant aux fusions transfrontalières risquent d'entraîner deux séries de conséquences fort différentes.

En choisissant, en premier lieu, un régime commun à la société européenne et aux autres sociétés de capitaux souhaitant réaliser des fusions transfrontalières, la communauté est susceptible de donner naissance à un embryon de droit social communautaire. Il est vrai que les règles édictées par l'Union n'emportent pas de droit substantiel, pas de salaire minimum communautaire, pas de forme de contrat de travail communautaire par exemple ; mais le jeu, purement procédural, de la négociation est déjà suffisant pour bâtir un socle juridique cohérent. Ces règles de négociation sont, en effet, censées déboucher soit sur un accord, soit sur la mise en oeuvre, en cas de désaccord, des solutions les plus favorables aux salariés (le droit communautaire retenant la mise en oeuvre d'un régime de faveur si aucun consensus n'a pu être trouvé). Sans nul doute, dans l'esprit des rédacteurs de la Directive, ce mécanisme pourrait éventuellement constituer un facteur d'uniformisation des règles collectives du travail.

Cette volonté, en second lieu, de faire de la négociation le mécanisme d'élaboration du droit commun et du principe de faveur l'exception, ne constitue pas nécessairement un facteur permettant de favoriser les fusions transfrontalières. En effet, la conception même du mécanisme doit aboutir, en pratique, à l'élaboration d'accords répondant au principe d'un mieux disant social qui, il faut le souhaiter, ne dissuadera pas les sociétés de fusionner. En revanche, la lourdeur procédurale et, surtout, le ralentissement dans la conclusion de l'opération induit par la complexité des mécanismes à mettre en oeuvre constitueront, peut-être, des risques bien plus importants de découragement des entrepreneurs.

Sur ces deux points, l'expérience acquise par la mise en oeuvre des premières SE apportera, sans doute, un éclairage particulier sur les difficultés que devront surmonter les candidats à la fusion transfrontalière, sachant que la Directive prévoit que la transposition dans le droit interne des Etats membres devra être réalisée avant le 15 décembre 2007.

Jean-Baptiste Lehnof
Maître de conférences à l'ENS-Cachan - Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)


(1) Les Business Models de la nouvelle économie, Dunod, Strategie, 2000.
(2) Les Etats membres de l'Union européenne se sont accordés lors du sommet de Nice des 7 et 8 décembre 2000 sur le principe de la création d'un statut de Société Européenne.
(3) Loi n° 2005-842, du 26 juillet 2005, pour la confiance et la modernisation de l'économie (N° Lexbase : L5001HGC).
(4) Directive 2005/56, art. 14 :
"Effets de la fusion transfrontalière.
1. La fusion transfrontalière réalisée conformément à l'article 2, point 2), a) et c), entraîne, à partir de la date visée à l'article 12, les effets suivants:
a) l'ensemble du patrimoine actif et passif de la société absorbée est transféré à la société absorbante ;
b) les associés de la société absorbée deviennent associés de la société absorbante ;
c) la société absorbée cesse d'exister.
2. La fusion transfrontalière réalisée conformément à l'article 2, point 2) b), entraîne, à partir de la date visée à l'article 12, les effets suivants :
a) l'ensemble du patrimoine actif et passif des sociétés qui fusionnent est transféré à la nouvelle société ;
b) les associés des sociétés qui fusionnent deviennent associés de la nouvelle société ;
c) les sociétés qui fusionnent cessent d'exister.
3. Lorsque la législation des États membres requiert, en cas de fusion transfrontalière de sociétés visées par la présente directive, des formalités particulières pour l 'opposabilité aux tiers du transfert de certains biens, droits et obligations apportés par les sociétés qui fusionnent, ces formalités sont accomplies par la société issue de la fusion transfrontalière.
4. Les droits et obligations des sociétés qui fusionnent résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à la date à laquelle la fusion transfrontalière prend effet sont transmis, du fait de la prise d'effet de cette fusion transfrontalière, à la société issue de la fusion transfrontalière à la date de prise d'effet de la fusion transfrontalière.
5. Aucune part détenue dans la société absorbante ne peut être échangée contre des parts détenues dans la société absorbée :
a) soit par la société absorbante elle-même ou par l'intermédiaire d'une personne agissant en son nom propre mais pour le compte de la société ;
b) soit par la société absorbée elle-même ou par l'intermédiaire d'une personne agissant en son nom propre mais pour le compte de la société
".
(5) La Directive vise toutes les sociétés de capitaux, à l'exception des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). Le texte contient des dispositions spéciales pour les sociétés coopératives. Compte tenu de la très grande diversité des types de coopératives dans l'Union européenne, les Etats membres ont la possibilité de les exclure de la participation aux fusions transfrontalières pendant une période limitée de cinq ans et sous le contrôle de la Commission européenne. De la même façon, une distinction ratione materiae est opérée puisque la Directive "n'a pas d'incidence sur la législation communautaire régissant les intermédiaires de crédit et les autres établissements financiers ni sur les règles nationales élaborées ou instaurées en vertu de ladite législation" (point n° 10 de l'exposé des motifs).
(6) Règlement n° 2157/2001 du Conseil, du 8 octobre 2001, relatif au statut de la Société européenne (N° Lexbase : L1040AWG) et Directive 2001/86 du Conseil, du 8 octobre 2001, complétant le statut de la Société européenne pour ce qui concerne l'implication des travailleurs (N° Lexbase : L5882A4M)
(7) Directive 2005/56, art. 2 :
"Définitions.
Aux fins de la présente directive, on entend par :
1) "
société de capitaux", ci-après dénommée "société":
a) une société telle que visée à l'article 1er de la directive 68/151/CEE
(Directive 68/151 du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les Etats membres, des sociétés au sens de l'article 58 deuxième alinéa du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers N° Lexbase : L7917AUR), ou
b) une société avec un capital social, jouissant de la personnalité juridique, possédant un patrimoine séparé qui répond à lui seul des dettes de la société et soumise par sa législation nationale à des conditions de garanties telles qu'elles sont prévues par la directive 68/151 /CEE, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers ;
2. "
fusion", l 'opération par laquelle :
a) une ou plusieurs sociétés transfèrent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine, activement et passivement, à une autre société préexistante -la société absorbante-, moyennant l'attribution à leurs associés de titres ou de parts représentatifs du capital social de l'autre société et éventuellement d'une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, du pair comptable de ces titres ou parts ; ou
b) deux ou plusieurs sociétés transfèrent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine, activement et passivement, à une société qu'elles constituent -la nouvelle société-, moyennant l'attribution à leurs associés de titres ou de parts représentatifs du capital social de cette nouvelle société et éventuellement d'une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, du pair comptable de ces titres ou parts ; ou
c) une société transfère, par suite et au moment de sa dissolution sans liquidation, l'ensemble de son patrimoine, activement et passivement, à la société qui détient la totalité des titres ou des parts représentatifs de son capital social
".
(8) C. com., art. L. 236-1 (N° Lexbase : L6351AI3)  et C. civ., art. 1844-4 (N° Lexbase : L2024ABL)
(9) Directive 2005/56, art., 5 :
"Projet commun de fusion transfrontalière.
Les organes de direction ou d'administration de chacune des sociétés qui fusionnent établissent un projet commun de fusion transfrontalière qui comprend au moins :
a) la forme, la dénomination et le siège statutaire des sociétés qui fusionnent et ceux envisagés pour la société issue de la fusion transfrontalière ;
b) le rapport d'échange des titres ou des parts représentatifs du capital social et, le cas échéant, le montant de toute soulte en espèces ;
c) les modalités d'attribution des titres ou des parts représentatifs du capital social de la société issue de la fusion transfrontalière ;
d) les effets probables de la fusion transfrontalière sur l'emploi ;
e) la date à partir de laquelle ces titres ou parts représentatifs du capital social donnent le droit de participer aux bénéfices ainsi que toute modalité particulière relative à ce droit ;
f) la date à partir de laquelle les opérations des sociétés qui fusionnent sont considérées du point de vue comptable comme accomplies pour le compte de la société issue de la fusion transfrontalière ;
g) les droits assurés par la société issue de la fusion transfrontalière aux associés ayant des droits spéciaux et aux porteurs de titres autres que des actions ou des parts représentatifs du capital social ou les mesures proposées à leur égard ;
h) tous avantages particuliers attribués aux experts qui examinent le projet de fusion transfrontalière, ainsi qu'aux membres des organes d'administration, de direction, de surveillance ou de contrôle des sociétés qui fusionnent ;
i) les statuts de la société issue de la fusion transfrontalière ;
j) le cas échéant, des informations sur les procédures selon lesquelles sont fixées, conformément à l'article 16, les modalités relatives à l'implication des travailleurs dans la définition de leurs droits de participation dans la société issue de la fusion transfrontalière ;
k) des informations concernant l'évaluation du patrimoine actif et passif transféré à la société issue de la fusion transfrontalière ;
l) les dates des comptes des sociétés qui fusionnent utilisés pour définir les conditions de la fusion transfrontalière
".
(10) Directive 2001/86, préc..
(11) G. Auzero, Le volet social de la société européenne, Lexbase Hebdo n° 179 du 31 août 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N7822AIK).

newsid:85689

Concurrence

[Jurisprudence] La question de l'imputabilité des pratiques anticoncurrentielles

Réf. : Cass. com., 28 février 2006, n° 05-12.138, Association EFS - Etablissement français du sang c/ Ministre de l'économie des finances et de l'industrie, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A3268DND)

Lecture: 7 min

N6004AKL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208189-edition-n-207-du-23032006#article-86004
Copier

par André-Paul Weber, Professeur d'économie, Ancien rapporteur au Conseil de la concurrence

Le 07 Octobre 2010

Par l'arrêt du 28 février 2006, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi visant l'arrêt de la cour d'appel de Paris (CA Paris, 1ère ch., sect. H, 25 janvier 2005, n° 2004/13142, EFS - Etablissement français du sang N° Lexbase : A9504DG4) du 25 janvier 2005. Cet arrêt avait, dans une très large mesure, validé la décision du Conseil de la concurrence n° 04-D-26 du 30 juin 2004 relative à la saisine de la Sarl Reims Bio à l'encontre de pratiques mises en oeuvre par le Groupement d'intérêt public Champagne-Ardenne (GIPCA) (N° Lexbase : X4735ACD). L'intérêt de l'arrêt de la Cour de Cassation réside principalement dans le fait qu'est, une nouvelle fois rappelée, mais aussi précisée, la jurisprudence relative à la question de l'imputabilité des pratiques anticoncurrentielles. La personne morale ayant commis des infractions aux règles de concurrence ayant disparu, les pratiques doivent être imputées à la personne morale à laquelle l'entreprise a juridiquement été transmise et qui, par conséquent, en a reçu les droits et obligations. Dans le cas où aucune autre personne n'a reçu transmission de ses droits et obligations, les pratiques sont imputées à l'entreprise qui assure, en fait, sa continuité économique et fonctionnelle. I - Le rappel des faits

La société Institut Jacques Boy est, à l'origine de l'affaire, engagée dans l'élaboration, la transformation et la vente de produits sanguins traités pour la fabrication de réactifs à usage industriel. Il faut, à ce stade, préciser que les activités de collecte des produits sanguins sont alors exercées de façon exclusive par 29 établissements de transfusion sanguine agréés et placés sous la tutelle de l'Agence française du sang. Ils disposent chacun d'un monopole régional. Dans ces conditions, la société Institut Jacques Boy s'est traditionnellement approvisionnée, à hauteur de 90 % de ses besoins, auprès du Groupement d'intérêt public Champagne-Ardenne (GIPCA) sur la base d'une convention de cession de produits sanguins signée le 2 janvier 1996 et, pour le solde, auprès de l'Etablissement de transfusion sanguine de Strasbourg.
En mai 1998, la société Institut Jacques Boy a cédé son activité de négoce à la Sarl Reims Bio créée au même moment. Dans le même temps, cette dernière a conclu, à son tour, une convention de cession de produits sanguins à usage non thérapeutique avec le GIPCA.

La convention-type des établissements de transfusion sanguine constitués sous forme de Groupement d'intérêt public prévoyant que les conventions de cession de produits sanguins devaient, à la fois, être autorisées par le conseil d'administration du groupement et recueillir l'approbation de l'Agence française du sang, le GIPCA a présenté les conventions conclues avec les sociétés Institut Jacques Boy et Reims Bio à son conseil d'administration. Approuvées le 15 juin 1998, elles ont été transmises le 30 juin 1998 à l'Agence française du sang. L'Agence ayant émis des réserves, le GIPCA a établi deux nouvelles conventions d'une durée de trois ans. Autorisées par le conseil d'administration, elles ont fait l'objet d'une nouvelle transmission à l'Agence. Durant ce laps de temps, le GIPCA devait poursuivre ses livraisons auprès des sociétés Institut Jacques Boy et Reims Bio.

Mais, se fondant sur les réserves émises par le président de l'Agence française du sang, le contrat concernant l'année 1998 en cours d'exécution ne bénéficiant pas de l'approbation préalable, le GIPCA devait interrompre ses livraisons et c'est dans ces conditions que la société Reims Bio a saisi le Conseil de la concurrence des pratiques du groupement qu'elle estimait anticoncurrentielles.

Par décision n° 04-D-26 du 30 juin 2004, le Conseil de la concurrence a considéré que l'Etablissement français du sang venant aux droits du GIPCA par l'effet de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998, relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme (N° Lexbase : L3094AIG), avait enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3778HBK) et lui a infligé une sanction pécuniaire de 76 224 euros.

II - La modification législative de 1998 et sa portée

Par la loi n° 98-535 du 1er juillet précitée, l'Etablissement français du sang (EFS), établissement public de l'Etat placé sous l'autorité du ministre chargé de la santé, s'est substitué à l'Agence française du sang dans la totalité de ses droits et obligations, créances et dettes. L'ensemble des biens meubles et immeubles de l'Agence française du sang a été transféré à l'Etablissement français du sang.

Devant le Conseil de la concurrence, l'Etablissement français du sang devait, en premier lieu, faire valoir que les pratiques reprochées au GIPCA ne pouvaient lui être opposées à partir du moment où le groupement en cause avait été dissous et qu'il n'avait plus d'existence juridique. Par ailleurs, il devait avancer que, par l'effet de la loi n° 98-535 et de la convention conclue avec le GIPCA le 17 décembre 1998, il répondait des dettes résultant des activités du GIPCA, "à l'exception des engagements résultant d'une fraude ou d'une faute intentionnelle imputable au GIP ´Champagne-Ardenne´".

S'agissant du premier point, faisant application de la jurisprudence "Enichem" du 17 décembre 1991 (TPICE, 27 février 1992, aff. T-79/89, BASF AG et autres c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A3453AWS), jurisprudence reprise par la cour d'appel (CA Paris, 27 novembre 2001, 1ère ch., sect. H, Caisse nationale de Crédit agricole) et par la Cour de cassation (Cass. com., 23 juin 2004, n° 01-17.896, FS-P N° Lexbase : A7959DCR), le Conseil devait rappeler que la responsabilité du comportement infractionnel d'une entreprise suivait, en droit de la concurrence, la personne morale. Lorsque la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise a juridiquement disparu, les pratiques doivent être imputées à la personne morale à laquelle l'entreprise a juridiquement été transmise, c'est-à-dire à la personne morale qui a reçu les droits et obligations de la personne auteur des pratiques. Aucune autre personne n'ayant reçu ses droits et obligations, l'imputation se fait alors à l'entreprise qui, en fait, en assure la continuité économique et fonctionnelle.
En la circonstance, le Conseil devait relever que l'Etablissement français du sang avait repris l'ensemble des biens, droits et obligations, créances et dettes du GIPCA de même que l'ensemble de ses activités et de son personnel. Ainsi, en assurait-il en droit et en fait la continuité.

S'agissant du second point, au motif que la constatation et la sanction éventuelle de pratiques anticoncurrentielles n'imposent nullement la démonstration de comportements frauduleux ou d'une faute intentionnelle impliquant la volonté de nuire, mais seulement de comportements cherchant à fausser le jeu du marché, le Conseil de la concurrence devait, parallèlement, écarter la thèse selon laquelle l'Etablissement français du sang ne pouvait être atteint par l'effet des dispositions introduites dans la convention qu'il avait conclue avec le GIPCA au moment de sa reprise.

III - La double contestation de la décision devant la cour d'appel et devant la Cour de cassation et le double échec de l'Etablissement français du sang

Devant la cour d'appel, l'Etablissement français du sang, reprenant les arguments exposés devant le Conseil de la concurrence, devait, en particulier, rappeler que la convention conclue avec le GIPCA prévoyait une reprise de toutes les dettes de ce dernier à l'exclusion de celles résultant d'une fraude ou d'une faute intentionnelle imputable au groupement ou à l'un de ses membres. Il ne pouvait donc, dans de telles conditions, être condamné en raison de cette disposition contractuelle. Tout en réaffirmant la jurisprudence voulant que les pratiques anticoncurrentielles doivent être imputées à la personne morale à laquelle l'entreprise a été juridiquement transmise et, à défaut d'une telle transmission, à celle qui assure en fait sa continuité économique et fonctionnelle, la cour d'appel, confirmant la décision du Conseil, apporte néanmoins un bémol, en soutenant "[...] qu'en l'espèce, si c'est par des motifs erronés que le Conseil de la concurrence a retenu que les pratiques anticoncurrentielles poursuivies n'entraient pas dans les prévisions de l'exclusion conventionnelle susvisée (à savoir la convention conclue entre l'Etablissement et le GIPCA) alors que, commises volontairement elles revêtent un caractère fautif au sens de cette stipulation, sa décision n'en est pas moins justifiée dès lors qu'il a également relevé que l'EFS a, en application de la loi n° 95-535 du 1er juillet 1998 et de la convention qu'il a conclue avec le GIPCA, repris l'ensemble de ses activités et de son personnel, faisant ainsi ressortir que l'EFS assume, en fait, la continuité économique et fonctionnelle du GIPCA".

L'arrêt rendu le 28 février 2006 par la Cour de cassation devrait, en principe, mettre un terme au débat relatif à la question de l'imputabilité des pratiques. En effet, tandis que l'Etablissement français du sang va chercher à développer la thèse voulant que la jurisprudence en la matière ne lui soit pas applicable, la Cour de cassation va réfuter l'argumentation proposée et réaffirmer les positions retenues par le Conseil de la concurrence et la cour d'appel.
L'Etablissement français du sang réaffirme, tout d'abord, l'idée que la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 donnait aux parties signataires la possibilité de "[...] fixer les conditions dans lesquelles les droits et obligations, créances et dettes liés aux activités du GIPCA à lui étaient cédés" et de conclure sur ce point, en soutenant"qu'ainsi pouvaient être aménagées par voie conventionnelle des modalités particulières de reprise susceptibles de déroger au principe de la continuité économique et fonctionnelle ; que sur le fondement de la loi susvisée, la convention du 17 décembre 1998 a prévu qu'il s'est obligé aux dettes du GIPCA à l'exception des engagements résultant d'une faute intentionnelle imputable au GIPCA ; qu'en considérant que cet aménagement conventionnel n'excluait pas le prononcé d'une sanction à son encontre pour des pratiques imputables au seul GIPCA, la cour d'appela méconnu les articles 18 de la loi du 1er juillet 1998 et L. 464-2 du Code de commerce, ensemble le principe de personnalité des poursuites et des sanctions de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR)".
En second lieu, l'Etablissement français du sang devait développer l'idée que la reprise des activités du GIPCA, inscrite dans le souci de renforcer la sécurité sanitaire des produits de santé destinés à l'homme, s'était traduite dans "un transfert forcé de propriété ne [permettant] pas d'assurer de manière automatique la continuité économique et fonctionnelle des activités transférées". Tout à fait gratuitement, l'Etablissement devait enfin soutenir que "[...] le but d'intérêt général poursuivi par le législateur exclut qu'une sanction pour abus de position dominante puisse frapper l'opérateur qui a repris ses activités sans être l'auteur des manquements".

Les arguments avancés vont être rejetés, et trois points majeurs sont soulevés.
- Les pratiques anticoncurrentielles sont imputées à une entreprise "indépendamment de son statut juridique et sans considération de la personne qui l'exploite".
- A partir du moment où l'Etablissement français du sang a repris l'ensemble des activités du GIPCA et son personnel il en a assuré la continuité économique et fonctionnelle et peu importe, à cet égard, "[...] que la loi ait laissé la possibilité d'aménager conventionnellement la reprise des droits et obligations, créances et dettes liées aux activités exercées précédemment par les établissements de transfusion sanguine".
- En dernier ressort, la Cour de Cassation affirme la règle générale selon laquelle "[...] le principe de la continuité économique et fonctionnelle s'applique quel que soit le mode juridique de transfert des activités dans le cadre desquelles ont été commises les pratiques sanctionnées".

Voilà certainement un arrêt qui, on peut l'espérer, devrait mettre un terme au débat relatif à la question de l'imputabilité mais qui, sans doute, peut emporter des conséquences redoutables et se révéler bien problématique dès lors que des opérations de croissance externe sont engagées et que des pratiques anticoncurrentielles sont ultérieurement révélées.

newsid:86004

Marchés publics

[Jurisprudence] Les mauvais payeurs peuvent-il participer à une procédure de passation d'un marché public ?

Réf. : CJCE, 9 février 2006, aff. jointes C-226/04 et C-228/04, La Cascina Soc. coop. arl, Zilch c/ Ministero della Difesa,e.a. et Consorzio G. f. M c/ Ministero della Difesa, La Cascina Soc.coop. arl (N° Lexbase : A7246DMC)

Lecture: 4 min

N5651AKI

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208189-edition-n-207-du-23032006#article-85651
Copier

par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Le droit des marchés publics exclut des procédures de passation les personnes qui ne se sont pas acquittées de leurs obligations en matière fiscale ou sociale ou qui sont en état de liquidation judiciaire. Ce principe est posé par les articles 43 (N° Lexbase : L1023G9R), 44 (N° Lexbase : L1024G9S) et 44-1 (N° Lexbase : L1025G9T) du Code des marchés publics et se retrouve également dans les Directives communautaires (v. par exemple, en l'espèce, l'article 29 de la Directive 92/50/CEE du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services N° Lexbase : L7532AUI, JOCE n° L 209 du 24 juillet 1992, p. 1).
Dans le cadre de la passation d'un marché public, le ministère italien de la Défense avait exclu de la procédure certaines entreprises au motif qu'elles n'étaient pas en règle avec leurs obligations en matière de paiement des cotisations de sécurité sociale en faveur des travailleurs et que d'autres n'étaient pas en règle avec leurs obligations relatives au paiement des impôts. Ces entreprises ont contesté cette exclusion devant le juge italien, qui, pour pouvoir examiner le fond, a estimé nécessaire de saisir la Cour de justice d'un renvoi préjudiciel relatif à l'interprétation de l'article 29 de la Directive 92/50/CEE.
Il n'est évidemment nul besoin de souligner l'intérêt pratique d'une telle question qui était inédite pour les juges européens et sur laquelle la jurisprudence nationale est peu abondante (v. toutefois, CE, 24 septembre 1990, n° 78719, Syndicat régional des entrepreneurs de travaux publics de Poitou-Charentes N° Lexbase : A6038AQP, Rec. Tables p. 860). La Cour de justice a, d'abord, admis le pouvoir de l'Etat d'assouplir les critères d'exclusion (I), mais également de déterminer le moment auquel l'entreprise doit s'être acquittée de ses obligations (II), tout en reconnaissant à cette dernière la possibilité de régulariser a posteriori sa situation (III).

I. Le pouvoir de l'Etat d'assouplir les critères d'exclusion

La Cour de justice estime, d'abord, que, dans la mesure où l'article 29 de la Directive 92/50/CEE précitée utilise l'expression "ne pas avoir rempli ses obligations", il revient à l'Etat de préciser le contenu et la portée des obligations en question et les conditions de leur accomplissement. En effet, la Directive laisse aux Etats le pouvoir de ne pas appliquer ces causes d'exclusion ou de les interpréter de manière plus souple et, ainsi, d'admettre plus largement la participation des entreprises aux procédures de passation. Cela ne signifie pas, pour autant, que la marge de manoeuvre des Etats soit totale.

Bien évidemment, les Etats n'ont pas le pouvoir de prévoir d'autres causes d'exclusion que celles prévues par la Directive. Surtout, si les Etats ont la faculté de ne pas appliquer ces critères d'exclusion ou de les assouplir, ils restent tenus par les principes communautaires de transparence et d'égalité qui s'appliquent indépendamment de l'existence, ou non, d'une Directive (CJCE, 12 décembre 2002, aff. C-470/99, Universale-Bau AG, e.a. c/ Entsorgungsbetriebe Simmering GmbH N° Lexbase : A3727A4S, Rec., p. I-11617). Mais n'y a-t-il pas, alors, une certaine contradiction dans le raisonnement de la Cour de justice, dans la mesure où l'exclusion des entreprises "mauvais payeurs" a, justement, dans le droit des marchés publics, pour objectif de garantir le principe d'égalité en évitant qu'elles tirent un avantage concurrentiel du non-paiement des impôts ou des cotisations sociales ?

De ce premier pouvoir reconnu à l'Etat découle celui de déterminer le moment auquel l'entreprise doit s'être acquittée de ses obligations.

II. Le pouvoir de l'Etat de déterminer le moment auquel l'entreprise doit s'être acquittée de ses obligations

Puisque le législateur communautaire n'a pas entendu définir la formule "avoir rempli ses obligations", "il appartient donc aux règles nationales de déterminer jusqu'à quel moment ou dans quel délai les intéressés doivent avoir effectué les paiements correspondant à leurs obligations" (n° 31), étant entendu que, pour satisfaire aux exigences du principe de transparence, ces règles doivent être clairement définies à l'avance.

Les articles 43 et 44-1 précités du Code des marchés publics prévoient, pour leur part, que les entreprises candidates doivent, au 31 décembre de l'année précédent le lancement de la consultation, avoir payé leurs impôts, leurs cotisations ou bien encore leur contribution aux fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés. Sont également considérées en situation régulière, les personnes qui se sont acquittées de leur obligation avant la date du lancement de l'opération, en l'absence de toute mesure coercitive de recouvrement, ou qui ont constitué des garanties suffisantes.

Reste, toutefois, à déterminer si la Cour de justice entend admettre la possibilité d'une régularisation a posteriori.

III. La faculté reconnue à l'entreprise de régulariser a posteriori sa situation

La Cour estime, d'abord, qu'un simple début de paiement, la preuve de l'intention de payer ou la preuve de la capacité de régularisation ne sont pas suffisants car serait alors méconnu le principe d'égalité entre les soumissionnaires.

Toutefois, l'entreprise peut être admise à concourir si elle bénéficie d'une mesure d'amnistie, de clémence fiscale ou bien encore d'un arrangement administratif qui lui fait bénéficier d'un échelonnement ou d'un allégement de dettes. La preuve d'une telle situation doit toutefois être rapportée avant la date limite fixée pour le paiement des impôts et cotisations. De manière analogue, le tribunal administratif de Lyon avait jugé, sous l'empire de l'ancien Code des marchés publics, que la candidature ou l'offre ne peut être prise en considération qu'à la condition formelle que ces attestations aient été produites, au plus tard, le jour de la date limite de remise des candidatures ou des offres (TA Lyon, 6 février 2005, n° 39-02-01).

Enfin, la Cour reconnaît que l'Etat a la faculté de déterminer si l'introduction d'un recours contre les constatations des autorités compétentes en matière fiscale ou sociale a pour effet d'obliger le pouvoir adjudicateur à considérer que l'entreprise est en règle avec ses obligations. Il faut évidemment que ce recours soit intenté avant la date limite fixée pour le paiement des impôts et cotisations. Mais la Cour admet que l'Etat ne peut pas totalement méconnaître les effets d'un tel recours, sauf à violer le droit au juge qui est un droit fondamental protégé par l'ordre juridique communautaire et qui s'impose aux Etats. On ne saurait être moins clair !

Bref, dans cet arrêt, la Cour s'efforce de concilier les exigences communautaires en matière de marchés publics et la marge de manoeuvre des Etats dans les domaines de la fiscalité et des cotisations sociales. Les réponses apportées ne sont donc pas toujours très nettes. Le souci de l'équilibre ne doit pas conduire au jugement de Salomon...

newsid:85651

Électoral

[Le point sur...] Quelques ultimes précisions apportées au droit du référendum local

Lecture: 9 min

N5583AKY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208189-edition-n-207-du-23032006#article-85583
Copier

Le 23 Octobre 2014

L'une des grandes réformes de l'actuelle législature a porté sur les procédures d'approfondissement de la démocratie au niveau local. A cet effet, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 (1) a ouvert des possibilités nouvelles aux collectivités territoriales dans des limites fixées par la loi organique, puis complétées par la loi simple. Un premier commentaire a déjà établi une présentation de l'ensemble de ces dispositions (2). Toutefois, un sujet d'une telle ampleur ne pouvait pas être intégralement saisi par un seul texte. Deux décrets récents sont venus à nouveau compléter ce qui précède (décret n° 2005-1551 du 6 décembre 2005, relatif à la consultation des électeurs N° Lexbase : L4974HDL et décret n° 2005-1611 du 20 décembre 2005, pris pour l'application du statut d'autonomie de la Polynésie française N° Lexbase : L0148HE9).
Le cadre juridique de ces procédures paraît maintenant à peu près acquis. Il n'est pas mauvais, dès lors, de faire le point sur ce droit particulier et d'en esquisser un premier bilan. I. Les précisions apportées par les textes les plus récents

A- Le rappel des dispositions déjà intervenues

Deux textes, d'inégale importance, sont venus compléter récemment le Code général des collectivités territoriales, l'un sur le référendum local, l'autre sur la consultation des électeurs :

- la loi organique n° 2003-705 du 1er août 2003, relative au référendum local (N° Lexbase : L6331G9D), qui a introduit, notamment, les actuels articles L.O. 1112-1 et suivants du code précité (N° Lexbase : L1866GUN) et qui concerne la procédure référendaire ;

- le titre VII ("Participation des électeurs et évaluation des politiques locales" (3)) de la loi n ° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4) qui a complété les textes antérieurs sur les procédures de consultations locales.

Le décret d'application modifiant la partie réglementaire du même code pour l'adapter à ces modifications législatives date du 4 mai 2005 (décret n° 2005-433 du 4 mai 2005, pris pour l'application de la loi organique n° 2003-705 du 1er août 2003 relative au référendum local N° Lexbase : L4039G84). Ce dernier vient d'être complété par deux décrets, à savoir :

- le décret n° 2005-1551 du 6 décembre 2005, relatif à la consultation des électeurs (N° Lexbase : L4974HDL) ;

- le décret n° 2005-1611 du 20 décembre 2005, pris pour l'application du statut d'autonomie de la Polynésie française (N° Lexbase : L0148HE9), et dont le titre V (articles 18 à 31) est consacré au référendum local.

B- L'articulation logique de ces dispositions

La chronologie des textes doit être analysée en fonction de critères, non-seulement de fond, mais de forme. La loi organique précitée du 1er août 2003 s'inscrit dans le droit fil de la révision constitutionnelle et institue une procédure de référendum local, lancée à l'initiative d'une collectivité locale, susceptible de revêtir un caractère décisionnel et encadrée par des dispositions législatives de nature exclusivement organique.

La consultation, dépourvue de tout aspect décisionnel, se réfère à une formule plus large et plus souple, qui existait déjà antérieurement. C'est pourquoi le législateur s'est contenté d'en aligner la procédure sur celle du référendum local et d'en étendre les bénéficiaires par la loi du 13 août 2004. Certes, un même texte, le décret du 4 mai 2005, porte application de l'une et l'autre lois. Mais les deux procédures ne doivent pas être confondues en dépit de leur ressemblance.

En effet, comme le prévoit la loi, la consultation peut avoir un autre fait générateur extérieur aux assemblées locales. C'est ce cas que le décret du 6 décembre 2005 précise, dans une partie de ses dispositions (4), sans bouleverser l'économie générale du droit antérieur, puisque la disposition nouvelle se borne à un renvoi général au droit existant.

Au demeurant, le législateur a veillé soigneusement à garantir la liberté d'action des élus. A aucun moment, ceux-ci ne peuvent être juridiquement contraints d'agir. Sous réserve de précisions de procédure (nombre d'électeurs, texte, fréquence de saisine, etc.), la seule contrainte qui résulte des textes est l'obligation d'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante compétente pour connaître du projet de texte qui serait soumis aux électeurs.

La consultation peut en rester à ce stade quand l'assemblée délibérante n'accorde aucune suite concrète à l'initiative, si ce n'est d'en débattre en séance.

Si elle donne une suite favorable au projet de texte, la procédure fonctionne comme une appropriation de la démarche par la collectivité et on retrouve le scénario procédural déjà fixé dans le droit existant antérieur.

C- Les consultations dans les regroupements de communes

Une ambiguïté pouvait subsister à l'origine sur la question des diverses structures regroupant les communes apparues ces dernières années et étendues assez massivement après la promulgation de la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999, relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale (N° Lexbase : L1827ASH) (5). A ce jour, il existe plus de 2 500 établissements publics de cette nature sur l'ensemble du territoire national (6). L'application de la procédure consultative de droit commun a été étendue à l'intercommunalité par la loi du 13 août 2004 (7).

Seule la procédure consultative est possible pour les regroupements intercommunaux. Ils ne constituent nullement des collectivités territoriales au sens de l'article 72 de la Constitution (N° Lexbase : L0904AHX). Les dispositions qui les encadrent ne sont pas de nature organique et la procédure dont ils ont l'initiative ne revêt, pour eux, aucun caractère contraignant.

Le décret du 6 décembre 2005, dans son article 3, étend à l'intercommunalité les dispositions réglementaires applicables aux collectivités supra-communales. Dans les faits, sous réserve des appellations et des compétences d'attribution dévolues à chaque assemblée délibérante, la procédure consultative à l'initiative, par exemple, d'une communauté de communes ne diffère pas de celle lancée à l'initiative d'un conseil général.

Le point qui mérite d'être signalé est l'articulation avec les maires des communes membres du regroupement. En effet, l'initiative de la consultation revient, non-seulement à une fraction des membres de l'assemblée ou à un nombre suffisant d'électeurs, comme dans le droit commun, mais aussi, le cas échéant, à l'ensemble des maires des communes membres du regroupement intercommunal.

D- Les règles propres à la Polynésie française

Le statut de la Polynésie française est maintenant fixé par la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, portant statut d'autonomie de la Polynésie française (N° Lexbase : L1574DPY), complétée par la loi n° 2004-193 du même jour, complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française (N° Lexbase : L1575DPZ). Cette loi organique comporte un volet sur le référendum local (8). Rappelons que le Conseil constitutionnel s'est interrogé sur l'extension possible outre-mer de la loi organique du 1er août 2003 (9). Il résulte de son analyse que si le référendum local pouvait concerner la Polynésie française, collectivité visée au titre XII de la Constitution, il ne pouvait pas être étendu à la Nouvelle-Calédonie, dont le statut est redevable du titre XIII. Il n'y a donc pas de texte jumeau concernant la Nouvelle-Calédonie à attendre sur cette question.

Compte-tenu des règles de procédure propres à la Polynésie française, le décret du 20 décembre 2005 transpose à l'archipel la procédure référendaire et consultative en vigueur en métropole. D'ailleurs, une partie seulement de ce texte (le titre V (10)) concerne le référendum local.

Si l'ensemble du dispositif est maintenant bien établi, peut-on en esquisser un premier bilan sommaire ?

II. Une esquisse de bilan possible ?

A- La complexité actuelle du dispositif d'ensemble

Le premier point qui saute aux yeux est la tonalité très procédurale de l'ensemble. Certes, les raisons ne manquent pas, la plupart très légitimes. En vertu de l'article 3 de la Constitution (N° Lexbase : L1289A9M), le peuple français exerce sa souveraineté, soit par le référendum, soit par des conseils élus.

Si l'on donne au référendum sa qualification de national, c'est-à-dire à l'initiative du Président de la République (11), on se situe assez loin du référendum d'initiative populaire tel que le pratiquent les citoyens suisses. Si on lui donne sa qualification de local, les textes contribuent à un certain rapprochement des deux démarches. Mais l'on voit bien de quel poids pèse la seconde branche de l'affirmation "soit par des conseils élus". En l'occurrence, s'agissant du référendum local, on peut presque renverser l'ordre des termes : les électeurs s'expriment essentiellement par des conseils élus, accessoirement par une votation directe.

On a privilégié, par souci de réalisme, l'articulation autour de la mairie. L'impression première est que la procédure est adaptée surtout aux grandes communes. Celles-ci auront, en effet, une grande latitude dans l'initiative d'un scrutin dont le maire sera à la fois le promoteur et l'organisateur. On voit bien comment la même opération se complique s'il s'agit d'une collectivité recouvrant un territoire plus grand (département ou région) ou un regroupement intercommunal. Certes, la loi prévoit une mise en demeure du maire par le préfet, mais les risques de conflit entre autorités élues ne sont pas à écarter.

On peut, toutefois, observer que le souci de ne léser aucune compétence légalement protégée aboutit à installer, un peu partout, des garde-fous, et, donc, des possibilités de recours contentieux, là encore légitimes, mais qui feront la joie des procéduriers. En particulier, la délibération ou, d'une manière plus générale, la décision qui résulterait d'un référendum ainsi organisé ne revêt aucune garantie de légalité supplémentaire.

B- La complexité à venir du fait du droit applicable

Le droit du référendum local, encadré par des dispositions de valeur organique, renvoie le plus possible aux dispositions de droit commun du Code électoral. Cette façon de procéder est louable. Elle souligne, en effet, que l'organisation d'un tel scrutin s'opère matériellement dans des conditions habituelles parfaitement connues ou assimilées des élus locaux et des électeurs. Mais ce système de renvoi recèle un piège que les collectivités ne verront peut-être pas immédiatement. En effet, ces règles sont récentes et ne font pas apparaître encore de discordance majeure entre règles spécifiques de valeur organique et dispositions de droit commun.

Dans des domaines voisins, un dispositif de renvoi comparable, de la loi organique à la loi simple, conduit à actualiser périodiquement le texte organique, faute de quoi les dispositions législatives du Code électoral ne seraient pas applicables dans leur texte le plus récent mais dans celui de la date de promulgation de la dernière modification à valeur organique.

Si l'on prend pour exemple le cas de l'élection présidentielle, régie, elle aussi, par un texte de nature organique (12) modifié en 2001 (13), les dispositions du Code électoral auxquelles elle renvoie sont applicables en leur état figé au 6 février 2001, c'est-à-dire, par exemple, sans l'acquis des réformes de 2003 (14) portant sur de nombreuses procédures en matière électorale, dont le vote par procuration. A cet effet, le Gouvernement vient de déposer sur le bureau de l'Assemblée nationale un projet de loi organique actualisant le texte en vigueur.

A l'avenir, il faudra prévoir une mesure d'adaptation générale de ce type pour les référendums locaux, sinon, dans quelques années, il sera juridiquement périlleux d'organiser un référendum sans disposer non-seulement d'un Code électoral complet, mais d'une édition à jour de la bonne année de référence. Le raisonnement se complique d'autant pour les parties communes entre le référendum local et la consultation, puisque, pour cette dernière, c'est la loi simple qui renvoie à des dispositions organiques.

C- Les complexités de calendrier

Dans un souci, au demeurant parfaitement louable, de ne pas mélanger les enjeux électoraux, le calendrier qui encadre la procédure référendaire restreint sensiblement la période ouverte légalement pour l'organisation d'un tel scrutin lorsque se succèdent les périodes électorales. On peut, ainsi, prendre l'exemple du calendrier électoral des années 2007 et 2008, maintenant établi définitivement par le législateur (15).

Les règles d'interdiction prévues par la loi (16) sont les suivantes :

1°) il n'y a pas de procédure référendaire ou consultative dans le semestre précédant le mois au cours duquel il doit être procédé, soit au renouvellement général, soit au renouvellement d'une série des membres des assemblées délibérantes compétentes, ce qui vise au premier chef les élections municipales et cantonales de mars 2008.

L'interdiction prend effet à compter du 1er septembre 2007, mais seulement pour des procédures lancées par les communes ou les départements. Une région organisant un référendum local ne serait pas atteinte par cette période d'interdiction, mais par la suivante.

2°) il n'y a pas davantage de telle procédure dans la période électorale qui précède une élection au suffrage universel. Dans ce cas, l'interdiction porte seulement sur un délai de quelques semaines, dont la durée exacte est chaque fois fixée par une disposition spécifique à chaque nature d'élection.

Ainsi, pour la prochaine élection présidentielle, cette période précède de 15 jours le premier tour de scrutin et couvre presque entièrement l'intervalle séparant les deux tours (17). La date de l'élection se situant entre la mi-avril et le début mai 2007, la période d'interdiction couvre à peu près le mois d'avril et le début de mai.

Pour les élections législatives en juin 2007, celles-ci auront lieu avant la fin de mandat de l'actuelle législature à la mi-juin 2007 (18). La période électorale visée, un peu plus longue (3 semaines (19)), court globalement de la mi-mai à la mi-juin 2007.

En résumé, si l'année 2006 est entièrement disponible pour de telles initiatives locales, par contraste, en 2007, les créneaux utilisables seront très étroits :

- le premier trimestre 2007 est entièrement libre, comme l'année qui le précède ;
- le deuxième trimestre est presque entièrement interdit ;
- les deux mois suivants sont possibles, quoique peu propices du fait des congés des électeurs ;
- les quatre derniers mois sont, à nouveau, interdits.

La période disponible ne reprend qu'au deuxième trimestre 2008.

Tel qu'il est, le dispositif paraît largement opérationnel pour les collectivités et groupements intéressés. Rencontrera-t-il un réel succès ? C'est une autre question. Il dépendra des initiatives des élus, certes, mais aussi de l'intérêt qu'y prendront les électeurs. Il n'est pas sûr que les habitudes et les usages n'en disposent autrement. L'une des causes de déceptions pourrait résider dans la complexité des textes susceptible d'engendrer un contentieux, en définitive, assez formaliste, de nature à décourager les meilleures volontés. Ce serait dommage pour des textes qui représentent une innovation réelle dans la démocratie de proximité !

Guy Prunier
Chargé de mission au Conseil constitutionnel


(1) Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République (N° Lexbase : L8035BB9).
(2) Cf. Le référendum local, G. Prunier, Revue Lexbase de Droit Public, n°1 du 15 septembre 2005 (N° Lexbase : N7997AIZ).
(3) Cf. ses articles 122 à 129.
(4) Décret précité, article 2, créant l'article R. 1112-18 du CGCT (N° Lexbase : L3192HGC).
(5) Cette loi a profondément remanié les articles L. 5112-1 et suivants du CGCT.
(6) Source : ministère de l'Intérieur.
(7) Cf. son article 122 modifiant, notamment, l'article L. 5211-49 du CGCT (N° Lexbase : L1941GUG).
(8) Cf. son article 159.
(9) Cons. const., décision n° 2003-482 DC du 30 juillet 2003, loi organique relative au référendum local (N° Lexbase : A0371DIL).
(10) Cf. articles 18 à 31 du décret.
(11) Constitution, articles 11 (N° Lexbase : L1268A9T) et 89 (N° Lexbase : L1354A9Z).
(12) Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel (N° Lexbase : L5341AGW).
(13) Loi organique n° 2001-100 du 5 mars 2001, modifiant la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel (N° Lexbase : L1180AR7).
(14) Ordonnance n° 2003-1165 du 8 décembre 2003, portant simplifications administratives en matière électorale (N° Lexbase : L1589DPK).
(15) Loi n° 2005-1563 du 15 décembre 2005, prorogeant d'un an le mandat des conseils municipaux et généraux renouvelables en 2007 (N° Lexbase : L5279HDU).
(16) CGCT, article L.O. 1112-6 (N° Lexbase : L1871GUT).
(17) Décret n° 2001-213 du 8 mars 2001, portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel (N° Lexbase : L1198AS8), article 10.
(18) Code électoral, article L.O. 121 (N° Lexbase : L7609AIN).
(19) Code électoral, article L. 164 (N° Lexbase : L2536AA8).

newsid:85583

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.