La lettre juridique n°548 du 21 novembre 2013

La lettre juridique - Édition n°548

Éditorial

Après la douche écossaise, le serpent de mer...

Lecture: 3 min

N9484BTG

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Le Grand soir fiscal serait en passe de voir le jour, selon les voeux du Premier ministre. On devrait donc s'attendre à un budget 2015 complètement réformé après un budget 2014 engoncé dans le carcan européen.

Le 19 novembre 2013, l'Assemblée nationale adoptait en première lecture la loi de finances pour 2014, quasiment, le fait est assez rare pour le souligner, dans sa mouture gouvernementale originelle. C'est que les marges de manoeuvre sont, à vrai dire, inexistantes.

On sait, alors, que si le barème de l'impôt sur le revenu et le revenu fiscal de référence vont, à nouveau, suivre l'indexation du coût de la vie, c'est pour mieux appréhender un certain nombre de revenus qui passaient, jusqu'à présent, sous les fourches caudines de l'impôt progressif : on pense notamment à la participation de l'employeur aux contrats complémentaires santé et à la majoration des pensions de retraite pour ceux qui ont eu trois enfants. Et, pour bien, marquer le pas vers une individualisation d'un impôt qui était, jusqu'à présent, familial, la baisse du plafond du quotient familial de 2 000 à 1 500 euros par demi-part devrait achever de convaincre les plus crédules sur une stabilisation de la pression fiscale. Mais, le jeu en vaut la chandelle : un gain budgétaire d'un milliard d'euros, rien que sur cette dernière mesure, mais qui ne touchera donc que ceux qui sont déjà redevables de l'impôt... On allait oublier l'instauration d'une contribution climat énergie qui viendra en sus des taxes intérieures sur la consommation des produits énergétiques polluants.

Par mesure de "compensation sociale", il est prévu un allègement de la fiscalité sur les cessions de résidences secondaires par le biais d'abattements plus élevés selon la durée de détention ; ou encore la baisse du taux de TVA sur certains travaux de rénovation thermique des logements et la construction et la rénovation de logements sociaux -après avoir conforté l'augmentation des taux normal et intermédiaire applicable à compter du 1er janvier prochain-.

Pour les entreprises, la mayonnaise fiscale est toute autre : quatre milliards d'euros de dépenses fiscales sont prévus par ce collectif budgétaire grâce au crédit d'impôt compétitivité emploi. Et, si le taux de la surtaxe de l'impôt sur les sociétés sera porté de 5 à 10,7 %, elle ne s'appliquera qu'aux entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 250 millions d'euros. Reste le régime de taxation des plus-values de cessions mobilières : après la fronde des "pigeons", le Gouvernement consentira donc à l'aligner sur le barème de l'impôt sur le revenu, après application d'abattements en fonction de la durée de détention.

Somme toute, l'exécutif comme le pouvoir législatif ont bien compris que l'économie était mondialisée, que les entreprises se délocalisaient, non seulement pour bénéficier d'une main d'oeuvre à vil prix, mais aussi pour bénéficier de cieux fiscaux plus cléments. L'assiette fiscale des entreprises étant sujette à délocalisation, malgré toutes les mesures anti-évasion possibles et imaginables permettant de contrer l'habilité fiscale des plus avertis, et un système conventionnel international qui, même s'il suit le même mouvement d'envergure, est plus lent à se réformer que nécessaire, on comprend dès lors l'annonce du Premier ministre, pour une remise à plat de notre fiscalité... des particuliers.

Car, à lire les grandes lignes de cette éventuelle réforme, issue d'une promesse électorale qui n'engage que ceux qui l'écoutent, le Big Bang fiscal passerait par... la fusion de l'impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée (CSG). Symbole d'une simplification de l'intelligibilité et de la lisibilité de la loi fiscale, cette fusion revêt pourtant un enjeu plus important qu'il n'y paraît. Assurer que la réforme se fera à prélèvements constants ne veut évidement rien dire, puisque nécessairement la mécanique fiscale conduira à "déshabiller Paul pour habiller Jacques". Intégrer ou fusionner la CSG à l'impôt sur le revenu, c'est d'abord jouer sur les effets de seuil entre les différentes tranches d'imposition ; c'est ensuite, comme le font remarquer nombre de fiscalistes, remplacer un "bon impôt" (la CSG), parce que général, indolore, et différencié selon le type de revenu taxé, par un "mauvais impôt", expression complexe de toutes les passions fiscales françaises depuis près d'un siècle. Et, surtout, cette intégration/fusion marquerait la volonté gouvernementale d'individualiser, un peu plus encore, l'impôt sur le revenu, pour en finir avec ce "lissage" familial.

L'impôt sur le revenu n'est déjà plus un impôt solidaire, puisque la moitié des français n'en est pas redevable, il niera donc toute solidarité au sein du foyer fiscal, uniformisant une pression fiscale progressive quel que soit le type de revenus, sans distinction entre travail et spéculation. La justice fiscale par l'égalitarisme, en somme.

newsid:439484

Actes administratifs

[Brèves] Publication de la loi habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens

Réf. : Loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013, habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens (N° Lexbase : L5155IYL)

Lecture: 1 min

N9407BTL

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Le 21 Novembre 2013

La loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013, habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens (N° Lexbase : L5155IYL), a été publiée au Journal officiel du 13 novembre 2013. Elle généralise le principe selon lequel le silence de l'administration pendant deux mois vaut décision implicite d'acceptation, ceci dans certains domaines figurant sur une liste publiée sur un site internet relevant du Premier ministre. Cependant, le silence gardé par l'administration pendant deux mois continuera à valoir décision de rejet : lorsque la demande ne tend pas à l'adoption d'une décision présentant le caractère d'une décision individuelle ; lorsque la demande ne s'inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif ; si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ; dans les cas, précisés par décret en Conseil d'Etat, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l'ordre public ; et dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents. Ce principe entre en vigueur dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, pour les actes relevant de la compétence des administrations de l'Etat ou des établissements publics administratifs de l'Etat et dans un délai de deux ans pour les actes pris par les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ainsi que pour ceux des organismes de Sécurité sociale et des autres organismes chargés de la gestion d'un service public administratif. L'article 2 de la loi autorise le Gouvernement, dans un délai de douze mois, à prendre par ordonnances des dispositions de nature législative destinées à, notamment, définir les conditions d'exercice du droit de saisir par voie électronique les autorités administratives et de leur répondre par la même voie. L'article 3 de la loi habilite le Gouvernement à adopter un code relatif aux relations entre les administrations et le public.

newsid:439407

Affaires

[Manifestations à venir] La Biennale Business & Droit - "Acteurs publics et privés : objectif compétitivité"

Lecture: 1 min

N9445BTY

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Le 21 Novembre 2013

La deuxième édition de la Biennale Business & Droit se tiendra à Lyon, le 13 décembre 2013. Cet évènement organisé par Lyon Place Financière et Tertiaire, en partenariat avec de nombreux acteurs, dont le barreau de Lyon a pour thème "Acteurs publics et privés : objectif compétitivité". En effet, la crise économique impose un soutien public. Qu'est-ce qui est possible aujourd'hui, compte tenu des contraintes juridiques et financières ? Cette deuxième Biennale proposera des réponses, en se penchant de nouveau sur l'influence réciproque de l'économie et du droit, en proposant une analyse croisée entre entreprises, académiques et praticiens pour un dialogue local et global. Le thème choisi, en plus de son actualité, apportera une composante juridique sur les thèmes de l'appui à l'innovation, l'aide au financement des entreprises, et le juste équilibre dans la définition des champs d'intervention du public et du privé. Il sera aussi question d'Europe, de définition des échelons des aides, de politique d'évaluation, de partenariats public/privé...
  • Programme

8h30 - Accueil

9h00 - Allocutions d'ouverture

Jean-François Carenco, Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône
Pierre-Yves Joly, Bâtonnier désigné de l'Ordre des avocats du barreau de Lyon
Jean-Pierre Lac, Président de Lyon Place Financière et Tertiaire

10 h 00 - Plénière d'ouverture
Face à la crise, de nouvelles approches dans les relations entre secteurs public et privé ?

Bertrand du Marais, Comité scientifique Biennale Business & Droit (BBDt)
Jeanne-Marie Prost, Médiation du Crédit
Jean-Jack Queyranne, Président, Région Rhône-Alpes
Rolf Stober, Deutsche Universität für Weiterbildung

11h15 - Table ronde
Des instruments innovants dans les relations public-privé

Thierry Bonnet, Comité scientifique BBDt
Philippe Mutricy, Bpifrance
Stéphanie Paix, Caisse d'Epargne Rhône-Alpes
Denis Payre, Nous Citoyens
Philippe de Portzamparc, Association des Places financières
Bertrand Rambaud, Siparex
Guy Roulin, Fidal
Dimitris Triantafyllou, Commission Européenne

12h30 - Cocktail déjeunatoire

14h00 - Ateliers

- Innovation

Philippe Crevoisier, Groupe SEB
Philippe Croizat, Comité scientifique BBDt
Joëlle Durieux, Pôle de compétitivité Finance Innovation
Florence Lambert, Institut LITEN, CEA/Grenoble
Laurent Pelissier, ECM Technologies
François Pujol, Duteil Avocats
Yves Reinhard, Université Jean Moulin Lyon 3
Claude Sabatin, Bpifrance

- Financement

Louis Bravard, PwC / Landwell
Thierry Favario, Comité scientifique BBDt
Jean-Pierre Gitenay, Comité scientifique BBDt
Alexandre Moulin, DIRECCTE
Thierry Sebton, Accola
Benoît Sellam, Fonds de Développement et de consolidation des entreprises
Pierre Villefranque, Bpifrance

- Périmètre et outils

Martine Chabert, Compagnie nationale des commissaires aux comptes
Bruno Genevois, Orfis Baker Tilly
Xavier Ginon, Comité scientifique BBDt
Jérôme Grand d'Esnon, Carlara
Nicolas Jullian, Comité scientifique BBDt
Thierry-Yves Lidolff, DGS/Collectivités Territoriales
Laurent Mazière, Association Finances Gestion Evaluation des collectivités territoriales
Pierre-Jean Meyssan, Congrès des Notaires de France
Jean-Eudes Rabut*, GL Events

15 h 45 - Plénière de clôture

Daniel Chabanol*, Conseiller d'Etat Honoraire
Emmanuel Imberton, CCI de Lyon
Hubert du Mesnil*, Institut de la Gestion déléguée
Erich Schanze, Universités de Marburg, Bergen et St-Gall

  • Date :

Vendredi 13 décembre 2013 à partir de 8h30

  • Lieu :

Caisse d'Epargne Rhône-Alpes
42 boulevard Eugène Deruelle
69003 Lyon
Accès en métro (ligne A), tramway et Bus : arrêt Station Part-Dieu

  • Inscription :

Inscription obligatoire en ligne www.business-droit-lyon.com avant le 8 décembre 2013

La Biennale Business & Droit valide 7 h au titre de la formation continue des avocats


* Intervenants pressentis

newsid:439445

Avocats/Honoraires

[Brèves] La responsabilité solidaire quant au paiement des honoraires, frais et débours dus à un confrère correspondant d'un barreau européen

Réf. : Cass. civ. 1, 14 novembre 2013, n° 12-28.763, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6132KPS)

Lecture: 1 min

N9443BTW

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Le 21 Novembre 2013

Selon les articles 5.7 du Code de déontologie des avocats européens, applicable aux avocats des barreaux français conformément à l'article 21 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8), et 11.5 de ce règlement, un avocat qui, ne se bornant pas à recommander un confrère ou à l'introduire auprès d'un client, confie une affaire à un correspondant ou le consulte, est personnellement tenu, même en cas de défaillance du client, au paiement des honoraires, frais et débours dus au conseil d'un Etat membre. Aussi, le cabinet d'avocats français ayant confié une affaire à un cabinet d'avocats belge, dans le cadre d'un projet d'investissement immobilier en Belgique, et pour lequel le cabinet français se proposait d'accompagner le projet pour la partie relative au droit français applicable, est tenu, conformément au code professionnel applicable entre avocats des pays membres de l'Union européenne, au paiement des honoraires et frais dus à cette dernière ; et ce d'autant qu'il pas usé de la faculté offerte par le Code de déontologie des avocats européens de convenir de dispositions particulières contraires ou de limiter son engagement. Ainsi, une cour d'appel a implicitement mais nécessairement rejeté la demande d'exclusion des frais et émoluments taxables, lesquels figurent au nombre des frais et débours visés par l'article 5.7 du Code de déontologie des avocats européens. Telle est la solution d'un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 14 novembre 2013 (Cass. civ. 1, 14 novembre 2013, n° 12-28.763, FS-P+B+I N° Lexbase : A6132KPS ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0384EUR).

newsid:439443

Avocats/Procédure

[Evénement] Des perquisitions au domicile et en cabinet d'avocat : théorie et pratique de la contestation - Compte rendu de la réunion "Campus 2013" du barreau de Paris du 9 juillet 2013

Lecture: 9 min

N9442BTU

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par La rédaction

Le 21 Novembre 2013

Dans le cadre de "Campus 2013" qui s'est déroulé durant trois jours, les 9, 10 et 11 juillet 2013, à la maison de l'Unesco, s'est tenue une conférence intitulée " Des perquisitions au domicile et en cabinet d'avocat : théorie et pratique de la contestation", animée par Maître Vincent Nioré, avocat au barreau de Paris, ancien membre du conseil de l'Ordre. Les éditions juridiques Lexbase présentes à cette occasion vous en proposent un compte rendu.
I - Le régime des perquisitions de droit commun : l'article 56-1 du Code de procédure pénale

La loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 (N° Lexbase : L4971HDH) a renforcé les droits de la défense et la protection du secret professionnel.

Les perquisitions, au cabinet ou au domicile d'un avocat, ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du Bâtonnier ou de son délégué, à la suite d'une décision écrite et motivée prise par ce magistrat indiquant la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci.

Le magistrat instructeur, ou le représentant du Parquet en charge de la perquisition (s'il s'agit d'une enquête préliminaire avec autorisation du Juge des libertés et de la détention pour la perquisition sans assentiment -C. pr. pén., art. 76, al. 3 N° Lexbase : L7225IMK-), a l'obligation de porter cette décision dès le début de la perquisition à la connaissance du Bâtonnier ou de son délégué.

Maître Vincent Nioré insiste bien sur le fait que seuls le Bâtonnier ou son délégué, et le magistrat, ont le droit de consulter ou de prendre connaissance des documents et données dématérialisées se trouvant sur les lieux préalablement à leur éventuelle saisie à l'exclusion des enquêteurs.

Le texte de l'article 56-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3557IGT) ne prévoit pas l'assistance d'un avocat au cours de la perquisition devant le Juge des libertés et de la détention et ce, contrairement aux textes régissant les visites domiciliaires fiscales, celles de l'Autorité de la concurrence ou encore celles de l'Autorité des marchés financiers.

Par un arrêt rendu le 3 avril 2013 (Cass. crim., 3 avril 2013, n° 12-88.021 N° Lexbase : A1074KCR), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC portée par un avocat perquisitionné puis mis en examen, au motif que la QPC ne présente pas à l'évidence de caractère sérieux dès lors que la disposition contestée prévoit des garanties de procédure sauvegardant le libre exercice de la profession d'avocat.

Pourtant, selon Maître Nioré, la jurisprudence de la CEDH décide que la perquisition en cabinet d'avocat constitue une "ingérence" dans le "domicile" que constitue le cabinet d'avocat destinée à permettre d'apporter la preuve de la commission par l'avocat d'une infraction et porte dès lors atteinte au secret professionnel dont le Bâtonnier ou son délégué est le garant par sa présence, qualifiée par la CEDH de "garantie spéciale de procédure". Elle doit être "proportionnée" au but poursuivi, ainsi que le juge la CEDH qui distingue, contrairement au droit interne, l'avocat contre lequel n'existe antérieurement à la perquisition aucun indice de sa participation à la commission d'une infraction de celui contre lequel existent de tels indices.

La perquisition en cabinet d'avocat, autrement dénommée ingérence ou intrusion, n'est jamais précédée d'une démonstration préalable de la participation de l'avocat à la commission d'une infraction si bien que tant l'autorité judiciaire que l'autorité administrative se révèlent en pratique friandes d'informations qui, parce qu'elles sont logées au domicile ou au cabinet de l'avocat, doivent à raison de leur nature secrète, être systématiquement appréhendées.

Il est important de rappeler, pour Vincent Nioré, que le Bâtonnier, ou son délégué, n'est pas le juge de son confrère. Il a pour rôle non seulement la protection du secret professionnel mais aussi, à travers la contestation de l'irrégularité d'une mesure coercitive, la protection de la présomption d'innocence associée à un devoir universel d'humanité.

La contestation du Bâtonnier ou de son délégué est de deux ordres : la protection du secret professionnel de l'avocat, d'une part, et la protection des droits de la défense par la contestation de l'étendue de la saisie, d'autre part.

Le Code de procédure pénale range les perquisitions parmi "les transports, perquisitions et saisies" régis par les dispositions de l'article 92 (N° Lexbase : L7166A48), en vertu desquelles "le juge d'instruction peut se transporter sur les lieux pour y effectuer toutes constatations utiles ou procéder à des perquisitions. Il en donne avis au procureur de la République, qui a la faculté de l'accompagner".

L'article 56-1 est logé au chapitre 1er des crimes et délits flagrants du Titre 2 des enquêtes et des contrôles d'identité. Cet article ne fait nullement référence au secret professionnel et aux droits de la défense. Il prévoit simplement la faculté, à laquelle le juge ne peut pas s'opposer, pour le Bâtonnier ou son délégué, de contester la saisie, s'il l'estime "irrégulière".

Seul l'article 56 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3895IRP) fait référence, dans d'autres hypothèses, au "respect du secret professionnel et des droits de la défense".

Et l'intervenant de souligner que toutes ces dispositions sont à peine de nullité (C. pr. pén., art. 59, al. 2 N° Lexbase : L4444DGP).

Les textes sur le secret professionnel sont codifiés au sein du RIN (N° Lexbase : L4063IP8).

L'avocat est le confident nécessaire du client. Le secret professionnel de l'avocat est d'ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps.

Le secret professionnel couvre en toutes matières, dans le domaine du conseil ou celui de la défense, et quels qu'en soient les supports, matériels ou immatériels (papier, télécopie, voie électronique...) :

- les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci ; et Maître Nioré appelle l'auditoire à faire attention aux projets et notes manuscrites ;

- les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention officielle ; là encore, l'intervenant invite à être vigilant face aux correspondances qualifiées à tort officielles et qui en réalité sont confidentielles (cf. Cass. civ 1, 20 janvier 2011, n° 08-20.077 N° Lexbase : A2742GQM : production de courriers déconfidentialisés par un Bâtonnier alors que ces pièces devaient être écartées des débats comme violant le principe de confidentialité absolue des correspondances échangées entre avocats ; l'arrêt attaqué retient que le principe de l'égalité des armes permet au défendeur à la preuve de l'existence d'une transaction de produire la totalité du dossier couvert par la confidentialité pour faire échec à la demande de son adversaire qui a fait lever partiellement la confidentialité pour ne produire que les pièces nécessaires à ses prétentions ; or "en se déterminant ainsi sans avoir préalablement statué sur la validité de la production des pièces versées aux débats par chacune des parties, la cour a méconnu les exigences du texte susvisé") ;

- les notes d'entretien et plus généralement toutes les pièces du dossier, toutes les informations et confidences reçues par l'avocat dans l'exercice de la profession ;

- le nom des clients et l'agenda de l'avocat ;

- les règlements pécuniaires et tous maniements de fonds effectués en application de l'article 27, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) ;

- les informations demandées par les commissaires aux comptes ou tous tiers (informations qui ne peuvent être communiquées par l'avocat qu'à son client).

Il est constamment rappelé par le Juge des libertés et de la détention que peuvent être saisis au cabinet d'un avocat :

- d'une part, les documents qui ne bénéficieraient pas de la protection du secret professionnel ; Maître Nioré rappelle que l'article 56-1 du Code de procédure pénale vise aussi les "objets" dont par exemple le téléphone portable dont il faut demander le placement sous scellés fermés ;

- d'autre part, ceux qui, couverts par cette protection, seraient susceptibles de se rattacher directement ("de manière intrinsèque") à la commission d'une infraction et de nature à rendre vraisemblable l'implication de l'avocat dans les faits concernés, en qualité d'auteur ou de complice.

Par un arrêt rendu le 8 janvier 2013 (Cass. crim., 8 janvier 2013, n° 12-90.063, F-D N° Lexbase : A5069I37), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé que le Bâtonnier, au titre des prérogatives de l'article 56-1 du Code de procédure pénale, était en charge d'une mission d'auxiliaire de justice pour la protection des droits de la défense.

Dans l'hypothèse d'un avocat gardé à vue, simultanément perquisitionné (dès lors contre lequel existent des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis ou tenté de commettre une infraction), la contestation s'imposera de plus fort car il appartiendra au Juge des libertés et de la détention de dire si les documents saisis contiennent en eux-mêmes l'indice de la participation de l'avocat à la commission d'une infraction et ce par une analyse de chaque pièce.

II - Les régimes particuliers des visites domiciliaires assimilées aux perquisitions

La présence du Bâtonnier ou de son délégué n'est prévue que par l'article L. 621 -12 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5203IXY) qui renvoie directement aux dispositions de l'article 56-1 du Code de procédure pénale dans les termes suivants (alinéa 10) : "lorsque la visite domiciliaire est effectuée dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile, dans les locaux d'une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle, dans le cabinet d'un médecin, d'un notaire, d'un avoué ou d'un huissier, les dispositions des articles 56-1, 56-2 ou 56-3 du Code de procédure pénale, selon le cas, sont applicables".

Elles instituent la superposition de deux voies de recours différentes, l'une devant le Juge des libertés et de la détention dont l'ordonnance est insusceptible de recours, l'autre devant le premier Président de la cour dont l'ordonnance est susceptible de pourvoi.

Elles doivent être étendues aux articles L. 16 B du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L0277IW8) et L. 450-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L2208IEI) en tant qu'elles consacrent l'existence de deux voies différentes de contestation de la saisie, l'une devant le premier Président de la cour, l'autre devant le JLD.

III - Propositions

Maître Vincent Nioré a proposé plusieurs pistes de réflexions et d'améliorations du régime actuel :

- aucune remise de document couvert par le secret professionnel ne peut intervenir sur réquisition du Parquet ou injonction d'un juge spontanément par un avocat sans consultation préalable du Bâtonnier ou de son délégué qui peut s'opposer à une telle remise en notifiant son opposition au magistrat poursuivant ;

- aucune visite ou intrusion ne peut avoir lieu à quelque titre que ce soit dans un cabinet d'avocat sans présence du Bâtonnier ou de son délégué dont le rôle est de protéger le secret professionnel de l'avocat et les droits de la défense, particulièrement la présomption d'innocence voire de tout type de secret protégé par la loi ;

- une perquisition en cabinet d'avocat ne devrait pouvoir être effectuée que pour autant qu'existent des indices graves ou concordants antérieurs à la décision du magistrat de perquisitionner, de la participation de l'avocat à une infraction ainsi que le juge la CEDH, et la saisie possible que pour autant que les documents papiers ou informatiques contiennent en eux-mêmes ces indices ;

- doivent être interdites les perquisitions qui permettent d'obtenir "des éléments de preuve" alors que l'avocat n'est nullement concerné par la procédure pénale en cours, et qui sont obtenus par des moyens que la CEDH assimile à des procédés de "contrainte" ou de "pressions" ou comme procédant d'une "coercition abusive" (cf., CEDH, 3 mai 2001, req. n° 31827/96 N° Lexbase : A7081AW8) ;

- un appel -notion de recours effectif- doit être possible devant le premier Président de la cour contre la décision du juge d'instruction de perquisitionner (décision qualifiée tantôt, selon l'intervenant, de "procès-verbal de transport sur les lieux", tantôt d'"ordonnance de perquisitionner" !) ou du JLD en matière d'enquête préliminaire comme le permettent les dispositions des articles L. 16 B du LPF, L. 450-4 du Code de commerce et L. 621-12 du Code monétaire et financier s'agissant de l'ordonnance du JLD ;

- la simple prise de connaissance de la décision de perquisitionner par le délégué du Bâtonnier au début de cette mesure est insuffisante pour l'intervenant ; en effet, Vincent Nioré souligne l'importance pour le délégué du Bâtonnier de pouvoir avoir accès aux éléments -en tous cas essentiels- de la procédure d'enquête ou d'instruction qui mettent délibérément en cause l'avocat et ce, en début de perquisition ;

- le délégué du Bâtonnier doit en tout état de cause avoir accès au dossier de la procédure d'instruction ou au dossier d'enquête lors de l'audience des plaidoiries du JLD qui lui-même se fait communiquer le dossier pour cette audience sans le soumettre au délégué du Bâtonnier ;

- l'ordonnance de versement des pièces couvertes par le secret professionnel, prise par le JLD à l'issue du débat sur l'ouverture des scellés, doit pouvoir être frappée d'appel devant le premier Président de la cour dont l'ordonnance doit être susceptible de pourvoi en cassation (de la même manière que le premier Président de la cour d'appel connaît des recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie : LPF, art. L. 16 B ; C. com., art. L. 450-4 ; et C. mon. fin., art. L. 621-12) ;

- il doit être précisé dans le texte de l'article 56-1 que l'avocat, objet de la perquisition, doit pouvoir bénéficier de l'assistance d'un conseil lors de la perquisition et en tout cas lors de l'audience du JLD ;

- enfin, les articles L. 16 B du LPF et L. 450-4 du Code de commerce doivent prévoir la présence du Bâtonnier ou de son délégué dans les termes de l'article 56-1 du Code de procédure pénale.

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Baux commerciaux

[Brèves] Travaux du locataire hôtelier : précisions sur la période de blocage de la majoration du loyer

Réf. : Cass. civ. 3, 13 novembre 2013, n° 12-21.165, FS-P+B (N° Lexbase : A6193KP3)

Lecture: 1 min

N9528BT3

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Le 22 Novembre 2013

Lorsque le délai de douze ans, pendant lequel le loyer ne peut être majoré en raison des travaux effectués par le locataire hôtelier, échoit au cours du bail renouvelé suivant celui au cours duquel ces travaux ont été exécutés, il ne peut être tenu compte des améliorations pour la fixation du loyer en renouvellement que jusqu'à la date d'expiration de ce délai de douze années. Le point de départ de ce dernier est la date à laquelle les travaux sont exécutés. Tel est le double enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 2013 (Cass. civ. 3, 13 novembre 2013, n° 12-21.165, FS-P+B N° Lexbase : A6193KP3). En l'espèce, le locataire d'un hôtel, en vertu d'un bail de neuf années renouvelé à compter du 1er janvier 1997, avait notifié le 25 décembre 1995 au bailleur son intention de réaliser des travaux d'amélioration. Ces travaux avaient été autorisés par lettre du 2 février 1996 et achevés en octobre 1997. Le juge des loyers a été saisi du désaccord sur le montant du loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2007. Le locataire soutenait que le blocage du loyer (C. tour., art. L. 311-3 N° Lexbase : L5485IEU) devait être maintenu non seulement jusqu'à l'expiration du délai de douze ans, mais également jusqu'à l'expiration du bail renouvelé au cours duquel le délai de douze ans avait échu. La Cour de cassation refuse cette solution et approuve les juges du fond d'avoir limité l'abattement pratiqué sur le loyer renouvelé jusqu'à la date d'expiration du délai de douze ans. La Cour de cassation précise, également dans cet arrêt, que ce délai court à compter, non de la date à laquelle le bailleur accepte les travaux, mais à compter de la date à laquelle les travaux sont exécutés (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E4989A38).

newsid:439528

Contrat de travail

[Jurisprudence] Date de prise d'effets d'une requalification de contrats à durée déterminée en une relation à durée indéterminée

Réf. : Cass. soc., 6 novembre 2013, n° 12-15.953, F-P+B (N° Lexbase : A2104KPM)

Lecture: 7 min

N9465BTQ

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 21 Novembre 2013

Dès lors qu'un contrat de travail à durée déterminée n'a pas été conclu en conformité avec certaines exigences légales il doit, en application de l'article L. 1245-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5747IA4), être réputé à durée indéterminée. La requalification prend alors, et à l'évidence, effet à la date de conclusion du contrat requalifié. La situation est plus problématique lorsque cette même requalification concerne plusieurs contrats à durée déterminée conclus avec un même employeur. A quelle date, dans ce cas, faire remonter les effets de la requalification ? Reprenant une solution déjà énoncée par le passé, la Cour de cassation affirme, dans une décision rendue le 6 novembre 2013, que par l'effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié était réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche. Il est en conséquence en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération. Pour être fondée, cette solution n'en exige pas moins d'être précisée.
Résumé

Par l'effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche au sein de l'entreprise. Il est en conséquence en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération.


I - La requalification du contrat

  • Rappels

Parce que le contrat de travail à durée indéterminée "est la forme normale et générale de la relation de travail" (C. trav., art. L. 1221-2, al. 1er N° Lexbase : L8930IAY), le contrat de travail à durée déterminée est, au moins d'un point de vue juridique, un contrat d'exception. A ce titre, sa validité est soumise par la loi à de strictes exigences relatives, notamment, aux cas dans lesquels il peut être recouru à ce type de contrat, à sa durée ou encore à sa forme. Le non-respect de ces règles par l'employeur est, de façon très générale, sanctionné par la requalification du contrat illégal en contrat à durée indéterminée. Plus exactement, l'article L. 1245-1 du Code du travail dispose qu'"est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance" d'un certain nombre de dispositions qu'il énumère.

Venant sanctionner les manquements de l'employeur (1), on sait que cette requalification ne peut être demandée que par le salarié, à l'exclusion de l'employeur et de l'AGS ; le juge ne pouvant pas non plus prononcer d'office cette sanction (2). Pour en revenir au salarié, la Cour de cassation a, très justement, décidé qu'il lui reste possible de solliciter la requalification du contrat de travail à durée déterminée irrégulier, alors même qu'il a été engagé, après l'échéance du terme, par contrat à durée indéterminée (3). C'est ce qui s'était produit dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen.

  • L'affaire

En l'espèce, après avoir travaillé au service d'une entreprise du 30 juin 1995 au 20 décembre 2000, dans le cadre de cinquante-deux contrats à durée déterminée, M. X a été engagé par contrat à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2001. Il a alors saisi la juridiction prud'homale d'une demande en requalification de l'intégralité de la relation contractuelle en un contrat à durée indéterminée et en paiement de diverses sommes.

Pour débouter le salarié de sa demande de rappel de salaire et d'indemnité de congés payés afférente, l'arrêt attaqué a retenu que la reprise d'ancienneté serait prise en compte en cas de succession ininterrompue de contrats à durée déterminée ou si le salarié, en cas d'interruption, établissait qu'il s'était tenu à la disposition de l'entreprise. Dans ce cas de relation contractuelle continue, l'ancienneté du salarié serait acquise à compter de la première embauche. L'intéressé ne rapportant pas la preuve d'une relation contractuelle continue, il ne peut prétendre à une reprise d'ancienneté depuis le premier jour du premier contrat de travail.

La décision des juges du fond est censurée par la Cour de cassation au visa de l'article L. 1245-1 du Code du travail. Ainsi qu'elle l'affirme, "en statuant ainsi, alors que par l'effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié était réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche au sein de La Poste et qu'il était en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

II - Les effets de la requalification du contrat

  • Date de prise d'effets de la requalification

Dès lors qu'en raison de l'irrégularité qui l'affecte, un contrat à durée déterminée est requalifié en contrat à durée indéterminée, il n'y a aucune difficulté à identifier la date de prise d'effet de cette requalification. Elle est à situer à la date de conclusion du contrat requalifié. Le problème est tout autre lorsque, comme en l'espèce, le salarié a travaillé pour le compte d'une même entreprise dans le cadre d'une succession de contrats à durée déterminée. A quelle date, dans ce cas, faire remonter les effets de la requalification ?

A cette question, la Cour de cassation apporte une réponse tranchée : le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche. La solution n'est pas nouvelle, puisqu'elle avait déjà été énoncée, en des termes identiques, dans un arrêt en date du 24 juin 2003, qui n'avait toutefois pas été publié (4). Au regard de cette décision, l'apport de l'arrêt commenté réside dans le fait que la Cour de cassation retient la même solution dans une hypothèse où, à s'en tenir à l'argumentation développée par l'employeur dans son pourvoi, les contrats à durée déterminée ne s'étaient pas succédés de façon ininterrompue. On doit approuver la Cour de cassation de n'avoir pas tenu compte de cet argument pour cette raison que la requalification conduit, précisément, à réputer à durée indéterminée les contrats de travail à durée indéterminée illégaux.

Pour autant, la solution retenue exige d'être précisée car, à notre sens, elle ne saurait être mécaniquement appliquée dès lors que le salarié demandeur a conclu une succession de contrats à durée déterminée avec un même employeur. Si le salarié doit être réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche, c'est, nous dit la Cour de cassation, "par l'effet de la requalification des contrats à durée déterminée" (5). L'emploi du pluriel revêt, de notre point de vue, une importance certaine. Il suffit, à cet égard, d'imaginer la situation dans laquelle un salarié ayant, par exemple, conclu trois contrats de travail à durée déterminée successifs avec un même employeur, seul le dernier d'entre eux serait irrégulier.

A n'en point douter, et conformément aux prescriptions de l'article L. 1245-1 du Code du travail, ce contrat doit être réputé à durée indéterminée. Mais cela ne remet pas en cause la validité des deux autres contrats. Partant, la requalification doit ici prendre effet à la date de conclusion du dernier contrat. En revanche, la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté doit être mise en oeuvre si tous les contrats sont irréguliers (6), peu important, nous l'avons déjà indiqué, qu'ils ne se soient pas succédés de façon ininterrompue. On peut aussi penser que le salarié devrait être réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche dès lors que seul le premier contrat à durée déterminée conclu est irrégulier (7). Reste à savoir, dans un tel cas, ce qu'il adviendrait des contrats à durée déterminée conclus postérieurement.

Cela étant précisé, une dernière remarque doit, à ce stade, être faite. Si le salarié doit être réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche, ne faut-il pas considérer que cette relation, devenue à durée indéterminée par l'effet de la requalification, a pris fin à l'échéance du dernier contrat à durée déterminée conclu ? La réponse à cette question ne fait guère de difficulté si aucun contrat n'a ensuite été conclu. En ce cas, l'échéance précitée doit être qualifiée de licenciement, avec toutes les conséquences que cela implique. Le fait qu'un contrat à durée indéterminée ait été conclu a posteriori, en l'espèce pratiquement une année après l'échéance du dernier contrat à durée déterminée, modifie-t-il la solution ? On est tenté de répondre par la négative ; ce qui signifie que, postérieurement à son "licenciement", le salarié a été embauché dans le cadre d'un nouveau contrat de travail. L'arrêt sous examen fait cependant naître le doute, la Cour de cassation affirmant que le salarié est en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ; ce qui tendrait à signifier qu'elle n'a subi aucune interruption (8). Mais il est vrai qu'elle n'était pas expressément appelée à répondre à cette question.

  • Effets sur la situation individuelle du salarié

Dès lors que, par l'effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche, l'ancienneté du salarié doit, à l'évidence, se calculer à compter de cette même date. Par suite, et ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, le salarié est en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération afin de tenir compte de cette ancienneté nouvelle (9). Il reste que l'on peut se demander, mais cela nous ramène à une question posée précédemment, si cette "reconstitution" et cette "régularisation" doivent être uniquement réalisées jusqu'à l'échéance du dernier contrat à durée déterminée ou si le salarié peut y prétendre également au regard de la relation contractuelle en cours.

S'agissant de la "régularisation de sa rémunération" que le salarié est en droit d'obtenir, elle fait naître une interrogation quant au fait de savoir si le salarié peut prétendre à des rappels de salaires pour les périodes situées entre chaque contrat à durée déterminée (10). La Cour de cassation l'a admis, mais à la stricte condition que le salarié démontre qu'il s'était tenu à la disposition de son employeur (11). L'arrêt commenté ne semble pas de nature à remettre en cause cette dernière solution. Il faut tout d'abord remarquer qu'elle avait été retenue postérieurement à la décision précitée en date du 24 juin 2003. Ensuite, ce n'est pas parce que le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche qu'il doit être rémunéré pour des périodes pendant lesquelles il ne s'est pas tenu à la disposition de son employeur.


(1) Cette "requalification sanction" doit donc être distinguée de la "requalification interprétation" qui est en réalité une simple opération de qualification par le juge.
(2) V. les obs. de. G. Auzero et E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 28ème éd., 2014, n° 246 et la jurisprudence citée.
(3) Cass. soc., 1er février 2000, n° 98-41.624, publié (N° Lexbase : A4885AGZ) : Dr. soc., 2000, p. 516, note Cl. Roy-Loustaunau. La solution doit être approuvée, dans la mesure où la conclusion du contrat à durée indéterminée n'a pas pour effet d'effacer le manquement commis par l'employeur dans la conclusion du contrat à durée déterminée.
(4) Cass. soc., 24 juin 2003, n° 01-40.757, FS-D (N° Lexbase : A9771C8E) : "[...] par l'effet de la requalification de leurs contrats à durée déterminée, les salariés étaient réputés avoir occupé un emploi à durée indéterminée de guichetier depuis le jour de leur première embauche au sein du GIE Pari mutuel hippodrome et qu'ils étaient en droit d'obtenir la reconstitution de leur carrière ainsi que la régularisation de leur rémunération [...]".
(5) Nous soulignons.
(6) La situation peut susciter l'étonnement, même si l'arrêt commenté démontre qu'elle n'est pas une hypothèse d'école. Outre qu'il n'est pas inimaginable que chaque contrat puisse être irrégulier pour, par exemple, ne pas comporter de terme, la mention d'un cas de recours précis, ou encore la signature des parties, on pense surtout au cas dans lequel le juge constatera que les contrats auront été conclus pour pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
(7) Si c'est le deuxième contrat qui est, seul, irrégulier, la requalification doit opérer à la date de sa conclusion.
(8) Il faut cependant relever que la Cour de cassation affirme que le salarié "était" réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée et non "est" réputé avoir occupé un tel emploi depuis le jour de sa première embauche.
(9) Reconstitution et régularisation qui devront être opérées en contemplation des textes légaux et, surtout, conventionnels.
(10) La même question peut être posée pour la période située entre la fin du dernier contrat à durée déterminée et la conclusion du contrat à durée indéterminée, si tant est que l'on doive considérer que ce dernier contrat se fond dans une relation à durée indéterminée globale.
(11) Cass. soc., 7 juillet 2010, n° 08-40.893, F-D (N° Lexbase : A2201E4B) ; Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 09-43.385, FS-P+B (N° Lexbase : A1313HYB). Un arrêt très récent, pour le moins discutable, conduit à se demander si la charge de cette preuve pèse encore sur le salarié : Cass. soc., 23 octobre 2013, n° 12-14.237, FS-P+B (N° Lexbase : A4679KNM), v. les obs. de S. Tournaux, La preuve de l'obligation de fournir du travail au salarié, Lexbase Hebdo n° 547 du 14 novembre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N9325BTK).

Décision

Cass. soc., 6 novembre 2013, n° 12-15.953, F-P+B (N° Lexbase : A2104KPM).

Cassation de CA Nancy, 25 janvier 2012

Texte visé : C. trav., art. L. 1245-1 (N° Lexbase : L5747IA4).

Mots-clefs : contrats à durée déterminée, succession, requalification, prise d'effets.

Lien base : (N° Lexbase : E7874ESG).

newsid:439465

Copropriété

[Brèves] Le mandataire d'un copropriétaire ne peut être élu président de l'assemblée générale

Réf. : Cass. civ. 3, 13 novembre 2013, n° 12-25.682, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2473KPB)

Lecture: 1 min

N9462BTM

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Le 21 Novembre 2013

Un copropriétaire ne peut pas déléguer à un mandataire la faculté d'être élu président de l'assemblée générale. Tel est le principe dégagé par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 13 novembre 2013 (Cass. civ. 3, 13 novembre 2013, n° 12-25.682, FS-P+B+I N° Lexbase : A2473KPB). En l'espèce, les consorts G., propriétaires de lots dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, avaient assigné le syndicat des copropriétaires en annulation des assemblées générales des 14 octobre 2003 et 2 février 2006, et subsidiairement en annulation de certaines décisions prises à ces occasions. Pour débouter les consorts G. de leur demande en nullité de l'assemblée générale du 14 octobre 2003, la cour d'appel de Paris avait retenu que le mandataire d'un copropriétaire qui lui a donné mandat de le représenter, de participer aux délibérations et de "généralement faire le nécessaire", avait pu, bien que n'étant pas lui-même copropriétaire de cet immeuble, se porter candidat comme président de séance comme aurait pu le faire le copropriétaire mandant (CA Paris, Pôle 4, 2ème ch., 27 juin 2012, n° 10/12303 N° Lexbase : A8213IPU). A tort, selon la Cour suprême qui, après avoir rappelé qu'en vertu de l'article 22 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4822AH3), tout copropriétaire peut déléguer son droit de vote à un mandataire que ce dernier soit ou non membre du syndicat, énonce qu'un copropriétaire ne peut déléguer à un mandataire la faculté d'être élu président de l'assemblée générale (cf. l’Ouvrage "Droit de la copropriété" N° Lexbase : E7674ETE).

newsid:439462

Droit des étrangers

[Brèves] Un Etat membre ne pouvant transférer un demandeur d'asile vers l'Etat compétent pour examiner sa demande est tenu d'identifier un autre Etat membre responsable de cet examen

Réf. : CJUE, 14 novembre 2013, aff. C-4/11 (N° Lexbase : A2489KPU)

Lecture: 2 min

N9494BTS

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Le 23 Novembre 2013

Lorsqu'un Etat membre ne peut transférer un demandeur d'asile vers l'Etat compétent pour examiner sa demande en raison d'un risque de violation de ses droits fondamentaux dans ce dernier, il est tenu d'identifier un autre Etat membre responsable de cet examen. En revanche, il n'est pas tenu, en principe, d'examiner lui-même la demande, énonce la CJUE dans un arrêt rendu le 14 novembre 2013 (CJUE, 14 novembre 2013, aff. C-4/11 N° Lexbase : A2489KPU). Le règlement "Dublin II" (Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 N° Lexbase : L9626A9E) énonce les critères permettant de déterminer l'Etat membre compétent pour connaître d'une demande d'asile présentée dans l'Union -un seul Etat membre étant, en principe, compétent-. Lorsqu'un demandeur d'asile a présenté sa demande dans un Etat membre qui n'est pas celui désigné comme compétent par le Règlement, ce dernier prévoit une procédure de transfert du demandeur d'asile vers l'Etat membre compétent. Toutefois, dans une telle situation, l'Etat membre auquel la demande a été adressée peut décider de ne pas transférer le demandeur vers l'Etat compétent et d'examiner lui-même la demande. Dans la présente décision, la Cour rappelle, tout d'abord, qu'un Etat membre est tenu de ne pas transférer un demandeur d'asile vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable lorsque les défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre initialement désigné constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-411/10 N° Lexbase : A6906H8B). Face à une telle situation, un Etat membre peut, en vertu du Règlement, décider d'examiner la demande lui-même. Néanmoins, la Cour précise que, si cet Etat ne souhaite pas se prévaloir de cette faculté, il n'est pas, en principe, tenu d'examiner la demande. Dans ce cas, il doit identifier l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile en poursuivant l'examen des critères énoncés dans le règlement. S'il ne parvient pas à l'identifier, le premier Etat membre auprès duquel la demande a été présentée est responsable de son examen. Enfin, la Cour souligne que l'Etat membre dans lequel se trouve le demandeur d'asile doit veiller à ne pas aggraver la situation de violation des droits fondamentaux de ce demandeur par une procédure de détermination de l'Etat membre responsable d'une durée déraisonnable. Par conséquent, au besoin, il lui incombe d'examiner lui-même la demande.

newsid:439494

Durée du travail

[Brèves] Les dispositions d'un accord collectif sur le travail de nuit bénéficient au salarié remplissant la qualification légale de "travailleur de nuit"

Réf. : Cass. soc., 14 novembre 2013, n° 12-14.688, FS-P+B (N° Lexbase : A6243KPW)

Lecture: 2 min

N9513BTI

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Le 21 Novembre 2013

Les dispositions d'un accord collectif ne réservant pas la prime de nuit aux salariés ayant la qualité de travailleur de nuit au sens de l'accord collectif applicable, celles-ci doivent bénéficier aux salariés remplissant les conditions légales pour être qualifiés de travailleurs de nuit. Telle est la solution retenue par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 novembre 2013 (Cass. soc., 14 novembre 2013, n° 12-14.688, FS-P+B N° Lexbase : A6243KPW).
Dans cette affaire, un salarié d'une société, dont l'activité relève de la Convention collective nationale des biscotteries, biscuiteries, céréales prêtes à consommer ou à préparer, chocolateries, confiseries, aliments de l'enfance et de la diététique, préparation pour entremets et desserts ménagers, des glaces, sorbets et crèmes glacées du 17 mai 2004, travaillant en équipe tournante, une semaine le matin de 5h30 à 13h30, la semaine suivante l'après-midi de 13h30 à 21h30, a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes d'une demande de rappel de salaire au titre de la prime de nuit prévue par la convention collective applicable. L'employeur fait grief à l'ordonnance, rendu le 6 janvier 2012, du CPH de Strasbourg statuant en référé de le condamner à payer au salarié une certaine somme. Il fait valoir que la définition du travail de nuit résultant de l'article L. 3122-29 du Code du travail (N° Lexbase : L0385H97) n'a pas pour effet de modifier les conditions d'attribution de la compensation salariale prévue par une convention collective pour le travail de nuit, alors même qu'elle ne prendrait pas en compte la totalité des heures comprises entre vingt-et-une heures et six heures. Il soutient, par ailleurs, que selon les articles 11-3.1 à 11-3.5 de la Convention collective du 17 mai 2004, la majoration à hauteur de 20 % des heures de travail accomplies entre vingt-et-une heures et six heures est réservée aux salariés bénéficiant du statut de "travailleur de nuit".
La Cour de cassation rejette le pourvoi et retient que le conseil de prud'hommes a fait une exacte application de la convention collective alors applicable (sur la définition du travailleur de nuit, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0579ETM).

newsid:439513

Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Novembre 2013

Lecture: 13 min

N9424BT9

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP

Le 17 Décembre 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, membre du CERDP (EA 1201), retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts publiés au Bulletin rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Dans le premier, en date du 15 octobre 2013, commenté par Emmanuelle La Corre-Broly, la Haute juridiction énonce que "si la clause de réserve de propriété constitue une sûreté réelle, elle ne confère à son bénéficiaire aucun droit de préférence dans les répartitions", de sorte que la créance ne pouvait qu'être admise à titre chirographaire (Cass. com., 15 octobre 2013, pourvois joints n° 12-17.944 et n° 13-40.463, F-P+B N° Lexbase : A1051KNA). Dans le second commentaire de cette chronique, le Professeur Le Corre revient sur un arrêt du 5 novembre 2013 dans lequel la Cour pose comme principe que "la dispense de vérification des créances chirographaires ne fait pas obstacle à l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif dès lors que celle-ci est établie" (Cass. com., 5 novembre 2013, n° 12-22.510, FS-P+B N° Lexbase : A2242KPQ).
  • Quelles sûretés mentionner dans la déclaration de créance ? (Cass. com., 15 octobre 2013, pourvois joints n° 12-17.944 et n° 13-10.463, F-P+B N° Lexbase : A1051KNA)

Le contenu de la déclaration de créance est la source d'un contentieux important. En témoigne encore l'arrêt commenté (sur le pourvoi n° 13-10.463). On sait qu'en application de l'article L. 622-25 du Code de commerce (N° Lexbase : L3745HBC), le créancier doit mentionner dans sa déclaration de créance "la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie". A défaut, le créancier ne peut être admis qu'à titre chirographaire. Le caractère général de cette disposition doit-il impérativement conduire le créancier à mentionner, sans discernement, toute sûreté garantissant la créance déclarée ?

Un arrêt, rendu le 15 octobre 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation, apporte une réponse à cette question essentielle.

En l'espèce, une société avait, au passif de son débiteur, déclaré à titre privilégié une créance garantie par une réserve de propriété. Le caractère privilégié de la créance avait fait l'objet d'une contestation par le liquidateur et les juges du fond avaient admis la créance à titre chirographaire (CA Douai, 7 décembre 2011, n° 10/07202 N° Lexbase : A9189H8T). Le créancier s'était alors pourvu en cassation, mais en vain. En effet, dans l'arrêt rapporté, la Chambre commerciale a rejeté le pourvoi en se fondant sur un motif de pur droit tenant à ce que "si la clause de réserve de propriété constitue une sûreté réelle, elle ne confère à son bénéficiaire aucun droit de préférence dans les répartitions", de sorte que la créance ne pouvait qu'être admise à titre chirographaire. Cette solution, clairement préconisée par un auteur (1), est à n'en pas douter une solution de principe, ce que confirme la publication de l'arrêt au Bulletin.

Ainsi, malgré le caractère général des termes de l'article L. 622-25 selon lesquels le créancier doit mentionner dans sa déclaration de créance "la nature [...] de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie", cette obligation ne vise en réalité que les sûretés qui confèrent au créancier un droit de préférence dans les répartitions (1). Il en résulte que ne sont pas concernées les sûretés portant sur des biens n'appartenant pas au débiteur (2).

1 - Nécessité de mentionner dans la déclaration de créance la sûreté conférant un droit de préférence

L'objectif de la mention de la sûreté est de rendre celle-ci opposable à la procédure collective et de permettre ainsi au liquidateur ou au commissaire à l'exécution du plan de distribuer le prix des actifs du débiteur, en prenant en considération le rang de chacun des créanciers. Préférence rime avec concurrence et ce n'est que lorsque le créancier est titulaire d'un droit de préférence assortissant la sûreté et qu'il entre donc en concurrence avec d'autres créanciers du débiteur qu'il devra déclarer cette sûreté afin d'être réglé selon le rang qui lui échoit.

En revanche, l'obligation de mentionner la sûreté dans la déclaration de créance ne doit pas concerner le créancier titulaire d'une sûreté qui le place dans une situation d'exclusivité et le met ainsi à l'abri de la concurrence des autres créanciers.

Tel est le cas du créancier titulaire d'un droit de rétention autonome, c'est-à-dire d'un droit de rétention qui existerait indépendamment d'un gage, et qui n'est donc assorti d'aucun droit de préférence. C'est la raison pour laquelle, même si le droit de rétention est désormais qualifié par le Code civil de sûreté, il n'apparaît pas nécessaire -même si "cela ne mange pas de pain"- d'en faire mention dans la déclaration de la créance (2). Le créancier rétenteur, qui aura déclaré sa créance au passif et dont le droit de créance sera ainsi rendu opposable à la procédure collective, pourra légitimement retenir le bien appartenant au débiteur, nonobstant le défaut de mention de l'existence du droit de rétention autonome dans sa déclaration de créance.

Ainsi, le fait que le droit de rétention autonome soit, depuis l'ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346 N° Lexbase : L8127HHH), érigé au rang de sûreté, ne devrait pas changer la solution adoptée par la jurisprudence antérieure selon laquelle il n'était pas nécessaire de faire mention du droit de rétention -qui n'était jusqu'alors pas considéré comme une sûreté- dans la déclaration de créance (3).

La solution est toute autre lorsque le droit de rétention est l'attribut d'un gage et donc d'une sûreté conférant un droit de préférence. Dans ce cas, le créancier doit impérativement mentionner l'existence du gage dans sa déclaration de créance. A défaut, le gage sera inopposable à la procédure collective et, partant, le droit de rétention ne pourra plus être légitimement exercé (4) puisqu'il n'est pas ici autonome, mais constitue un attribut du gage auquel il est indéfectiblement lié.

2 - Absence d'obligation de mentionner une sûreté ne portant pas sur un bien du patrimoine du débiteur

Puisque la mention, dans la déclaration de créance, de la sûreté garantissant la créance a pour objet de permettre à l'organe compétent de procéder à la distribution du prix des actifs du débiteur entre les créanciers, en tenant compte du rang de chacun, le créancier n'a pas à mentionner une sûreté ne portant pas sur un élément du patrimoine du débiteur affecté par la procédure collective.

Il n'est donc pas nécessaire de mentionner que la dette du débiteur est garantie par une sûreté personnelle, par exemple un cautionnement (5), nécessairement conférée par un tiers.

Il est également inutile de mentionner l'existence d'une sûreté réelle constituée par un tiers (6). Par analogie, certains auteurs considèrent, à juste titre, qu'en présence d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, le créancier titulaire d'une sûreté portant sur un bien figurant dans un patrimoine autre que celui affecté par la procédure collective n'aura pas à faire mention de la sûreté dans la déclaration de sa créance (7).

Logiquement, il devrait également être inutile de mentionner dans la déclaration de créance l'existence d'une fiducie-sûreté (8). En effet, le bien sur lequel porte cette sûreté n'appartient plus au débiteur constituant, mais se trouve dans le patrimoine fiduciaire.

Enfin, il doit en être de même pour le créancier réservataire de propriété, que celui-ci soit vendeur ou prêteur subrogé dans la clause de réserve de propriété. Certes, la clause de réserve de propriété a été analysée par la Cour de cassation (9) -analyse relayée par l'ordonnance du 23 mars 2006 (cf. C. civ., art. 2367 N° Lexbase : L7031ICE)- , comme une sûreté. Cependant, celle-ci n'a pas à être mentionnée dans la déclaration de créance, car elle ne confère pas de droit de préférence dans les répartitions. Au contraire, elle place -ou maintient- le créancier dans une situation d'exclusivité : celle de propriétaire. En conséquence, la propriété réservée n'a pas à être mentionnée dans la déclaration de créance. Réciproquement, comme en témoigne l'arrêt rapporté, si le créancier réservataire de propriété déclare sa créance à titre privilégié, ce caractère privilégié doit être rejeté.

Notons en outre que, contrairement à ce que tentait de soutenir le demandeur au pourvoi, la mention de l'existence de la clause de réserve de propriété dans la déclaration de créances n'aura évidemment pas pour effet de rendre opposable à la procédure collective le droit de propriété du créancier. Le créancier réservataire de propriété est à la fois créancier et propriétaire. Afin de rendre opposable à la procédure collective ces deux droits de natures distinctes, il devra procéder aux démarches adéquates. Ainsi, pour rendre opposable à la procédure collective son droit de créance, il lui appartiendra de déclarer sa créance. Afin de rendre opposable son droit de propriété, il devra exercer une action en revendication conformément aux prescriptions de l'article L. 624-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3492ICC). L'opposabilité du droit réel de propriété ne pourra en aucun cas résulter de la mention, lors de la déclaration du droit personnel de créance, de l'existence de la sûreté que constitue la propriété réservée.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia Antipolis, membre du CERDP (EA 1201)

  • Dispense de vérification des créances chirographaires et condamnation à l'insuffisance d'actif (Cass. com., 5 novembre 2013, n° 12-22.510, FS-P+B N° Lexbase : A2242KPQ)

L'article L. 641-4, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L0719IXW), dans la rédaction que lui donne la loi de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT), prévoit que "il n'est pas procédé à la vérification des créances chirographaires s'il apparaît que le produit de la réalisation de l'actif sera entièrement absorbé par les frais de justice et les créances privilégiés". Ce texte reprend la solution précédemment posée, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L4126BMR) par l'article L. 621-102 du Code de commerce (N° Lexbase : L6954AIE) anciennement loi n° 85-98, art. 99), qui s'appliquait non seulement en liquidation judiciaire, mais encore en plan de cession. Il est désormais circonscrit à la seule liquidation judiciaire, la cession d'entreprise n'étant plus une issue de la procédure, mais seulement un évènement de la procédure collective du débiteur.

La dispense de vérification des créances a un domaine précis. Elle est d'abord exclue s'il y a plan de continuation, de redressement ou plan de sauvegarde. La solution se comprend aisément. Le débiteur devra rembourser, selon les modalités du plan, son passif. Il faut donc que celui-ci soit précisément déterminé.

Lorsqu'il y a dispense de vérification du passif, celle-ci n'est pas totale. Elle ne portera que sur les seules créances chirographaires. Les créances privilégiées devront être vérifiées (10).

Ce principe clair se comprend aisément. Il est inutile d'exposer le mandataire de justice compétent à un travail long et coûteux pour la collectivité des créanciers si, en fin de compte, les créanciers chirographaires ne peuvent espérer recouvrer aucune somme au titre des répartitions (11).

Après avoir posé ce principe de dispense de vérification des créances chirographaires, lorsque l'on sait que seuls les créanciers privilégiés pourront espérer percevoir quelque chose dans la procédure de liquidation judiciaire, le texte prévoit une exception en énonçant que les créances chirographaires devront être vérifiées, si l'action en comblement de l'insuffisance d'actif est exercée.

La portée de ce texte fait difficulté. Faut-il comprendre que la vérification des créances chirographaires est une condition préalable de l'action en comblement de passif ? Faut-il au contraire entendre que la vérification des créances chirographaires est possible, mais non obligatoire, lorsqu'est envisagée une action en responsabilité pour insuffisance d'actif ?

Telle était la question au centre des préoccupations d'un arrêt de la Chambre commerciale du 5 novembre 2013.

En l'espèce, une société est placée en redressement puis en liquidation judiciaire au cours de l'année 2008. Le juge-commissaire dispense le liquidateur de procéder à la vérification des créances chirographaires, le produit de la vente ayant vocation à être absorbé par les frais de justice et les créances privilégiées. Début 2001, le liquidateur assigne le dirigeant de la société en responsabilité pour insuffisance d'actif.

Les juges du fond déboutent le liquidateur de son action, au motif que la dispense de vérification des créances chirographaires ordonnée par le juge-commissaire ne permet pas à l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif de prospérer (CA Bordeaux, 31 mai 2012, n° 11/05593 N° Lexbase : A3342IMQ). Pourvoi est alors interjeté par le liquidateur, qui est suivi par la Cour de cassation, cassant ainsi l'arrêt de la cour d'appel aux motifs que "la dispense de vérification des créances chirographaires ne fait pas obstacle à l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif dès lors que celle-ci est établie".

La solution n'allait pas de soi au regard de la lettre du texte de l'alinéa 2 de l'article L. 641-4 du Code de commerce. Rappelons exactement celle-ci : "il n'est pas procédé à la vérification des créances chirographaires s'il apparaît que le produit de la réalisation de l'actif sera entièrement absorbé par les frais de justice et les créances privilégiés, à moins que, s'agissant d'une personne morale ou d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, il n'y ait lieu de mettre à la charge des dirigeants sociaux de droit ou de fait ou de cet entrepreneur tout ou partie du passif conformément à l'article L. 651-2 (N° Lexbase : L8961IN9)". Le texte laisse donc entendre un principe, celui de la non vérification des créances chirographaires si aucune distribution n'est à attendre pour ces créanciers chirographaires. Et il corrige ce principe en apportant une exception : sauf si on envisage une action en responsabilité pour insuffisance d'actif. On pouvait donc comprendre, et c'est ce que nous avions fait, que "la vérification des créances était une condition de l'action en comblement de passif" (12). C'est la position qu'avait cru devoir suivre la cour d'appel.

A la lecture stricte du texte, on pouvait ajouter un argument de logique juridique : comment faire supporter à un dirigeant un passif qui n'a pas été vérifié, c'est-à-dire un passif qui n'est pas juridiquement certain ?

A ce stade, il importe de s'arrêter sur la notion d'insuffisance d'actif, utilisée dans le cadre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif. L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est une variété d'action en responsabilité civile délictuelle. Sont exigés : une faute, à savoir la faute de gestion, une contribution de cette faute à la création du préjudice, et un préjudice, qui est constitué par l'insuffisance d'actif. L'insuffisance d'actif correspond à la différence entre le montant du passif admis et le montant de l'actif de la personne morale débitrice, tel qu'il résulte des réalisations effectuées en liquidation judiciaire (13).

Seul le passif antérieur doit être pris en compte, ce qui conduit à exclure le passif postérieur soumis à la discipline collective, constitué par les créances détenues par des créanciers, dont la créance est née régulièrement, mais qui ne sont pas éligibles au traitement préférentiel, autrement dit des créanciers postérieurs non méritants.

Ainsi, l'insuffisance d'actif ne peut-elle exister si aucune créance antérieure n'est admise au passif.

Le raccourci que nous avions eu dans le raisonnement, suivi en cela par la cour d'appel, est d'avoir considéré que tout le passif devrait être vérifié pour que l'insuffisance d'actif, constitutive du préjudice, soit juridiquement établie. Or, dès lors que l'on considère que l'insuffisance d'actif est égale à la différence entre le passif antérieur admis et le montant des réalisations d'actifs, il suffit qu'au moins une créance privilégiée, par hypothèse d'un montant supérieur à celui du produit de la réalisation des actifs, soit admise au passif.

Dans ces conditions, on ne peut qu'approuver la solution de la Cour de cassation. Il faut, mais il suffit, que l'insuffisance d'actif soit établie. Peu importe donc que le passif chirographaire ne soit pas vérifié.

Une jurisprudence constante décidait déjà que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif était recevable même si les opérations de vérification du passif n'étaient pas terminées, dès lors qu'il apparaissait avec évidence que l'actif serait insuffisant pour payer le passif (14). Il suffisait que l'insuffisance d'actif fût certaine, peu important que le passif et l'actif fussent exactement chiffrés (15), au jour où la juridiction statuait, cette recherche étant indispensable, sauf à encourir la censure de la Cour de cassation, qui n'aurait pas été en mesure d'exercer son contrôle sur ce point (16). A défaut d'insuffisance certaine de l'actif, la condamnation ne pouvait être prononcée (17).

Le fait que certaines créances aient été contestées ne pouvait suffire à écarter l'action en comblement de passif, dès lors que les créances non contestées étaient d'un montant supérieur à celui des actifs, la contestation de créance n'ayant évidemment pas pour effet d'augmenter l'actif, mais seulement de diminuer le passif (18).

En revanche, le liquidateur ne pouvait se prévaloir, pour déterminer l'insuffisance d'actif, d'un passif déclaré à titre provisionnel (19), sauf à démontrer que le passif non contesté et déclaré à titre définitif était supérieur à l'actif. Il ne pouvait davantage se contenter d'un état provisoire des créances, le montant du passif admis et vérifié, d'une part, le montant de l'actif, d'autre part, étant inconnus, d'où il résultait que le montant de l'insuffisance d'actif n'était pas déterminé et que, par voie de conséquence, l'insuffisance d'actif n'était pas certaine (20).

Si ces solutions annonçaient peut-être la solution aujourd'hui retenue par la Cour de cassation, jamais elle ne l'avait affirmée avec une telle précision.

La nouveauté de la solution n'a d'égale que son importance pour les praticiens. Très souvent, le liquidateur ne dispose pas de fonds suffisant pour entreprendre la vérification du passif chirographaire, laquelle peut être coûteuse, dès lors que s'élève des contestations. Il pourra tout de même engager une action en responsabilité pour insuffisance d'actif.

Mais la chose ne sera pas tout à fait neutre. La condamnation du dirigeant ne pourra être d'un montant supérieur à l'insuffisance d'actif, laquelle est constituée par la différence entre le montant des réalisations d'actifs et le montant des créances admises. La condamnation ne pourra, en conséquence, pas porter sur le passif chirographaire, mais n'aura pour base de calcul que la différence entre le produit des réalisations d'actifs et le montant du passif vérifié et admis, à savoir, en l'occurrence, le passif privilégié.

Deux observations complémentaires nous semblent devoir être apportées.

D'une part, le liquidateur peut, pour déterminer l'insuffisance d'actif, prendre en compte, d'une part, le passif privilégié, et d'autre part, certaines créances chirographaires, qui auraient été vérifiées et admises au passif, en dépit d'une dispense de vérification du passif chirographaire (21).

D'autre part, le juge-commissaire peut, à tout moment, revenir sur la décision de dispense de vérification des créances. Cette dernière n'a pas autorité de chose jugée. Il ne s'agit que d'une mesure d'administration judiciaire (22).

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 7ème éd., Dalloz Action, 2013/2014, n° 666.42.
(2) En ce sens, P.-M. Le Corre, préc., n° 666.42. Contra J.-CL. COM., Amlon, fasc. 2383, [Créanciers antérieurs titulaires de sûretés réelles], éd. 2007, n° 121.
(3) Cass. com., 20 mai 1997, n° 95-11.915, publié (N° Lexbase : A1745ACM), Bull. civ. IV, n° 141; D. Affaires, 1997, n° 24, p. 763 ; LPA 1er juin 1998, n° 65, p. 8, note Corlay ; JCP éd. G, 1997, I, 4054, obs. M. Cabrillac. Contra, CA Besançon, 2ème ch. com., 6 juin 1997, RJ com., 2000. 69, n° 1150, note Haennig.
(4) Cass. com., 18 janvier 2005, n° 03-14.600, F-D (N° Lexbase : A0828DGR), Gaz. proc. coll., 2005/1, p. 34, n° 3-1, obs. P.-M. Le Corre ; Cass. com., 8 juin 1999, n° 97-12.233, publié (N° Lexbase : A5153AWR), Bull. civ. IV, n° 125, D., 2000. Somm. 390, obs. S. Piedelièvre, JCP éd. G, 1999, II, 10121, rapp. Rémery, JCP éd. E, 2000, chron. p. 130, n° 4, obs. M. Cabrillac, JCP éd. E, 2000, chron. p. 459, n° 18, obs. Ph. Delebecque ; Cass. com., 23 janvier 2001, n° 98-10.974 (N° Lexbase : A4298ARM), Act. proc. coll., 2001/4, n° 54, obs. C. Régnaut-Moutier ; CA Besançon, 2ème ch. com., 8 mars 2000, Rev. proc. coll., 2001, p. 248, n° 4, obs. F. Macorig-Venier ; contra,, T. com. Paris, 6ème ch., 13 septembre 1999, Act. proc. coll., 2000/17, obs. C. Régnaut-Moutier. Adde, Zubo, Privilège et droit de rétention du voiturier : halte à la confusion, D., 2001, chron. 2290.
(5) Cass. civ. 1, 1er février 2000, n° 97-14.304, inédit (N° Lexbase : A9192CKN), Rev. proc. coll., 2000, 134, n° 4, obs. Kerckhove.
(6) Sur ce principe de solution, Cass. civ. 3, 24 juin 1998, n° 97-17.108, publié (N° Lexbase : A5683ACH), Bull. civ. IV, n° 137; JCP éd. G, 1999. I, chron. 103, n° 9, obs. M. Cabrillac.
(7) P.-M. Le Corre, préc., n° 666.42 ; C. Macorig-Venier, EIRL : les créanciers de l'EIRL en difficulté, Rev. proc. coll., mars/avr. 2011, dossier 20, p. 87 et s., sp. p. 89, n° 13.
(8) En ce sens, P.-M. Le Corre, préc., n° 666.42. Il semble en outre inutile de déclarer la créance elle-même lorsque le débiteur constituant n'a pas conservé la jouissance des choses fiduciées (en ce sens, P.-M. Le Corre, préc., n° 633.51. ; S. Farhi, La fiducie-sûreté et le droit des entreprises en difficulté, Thèse Nice 2013, n° 320).
(9) Cass. com., 9 mai 1995, n° 92-20.811, inédit (N° Lexbase : A2436AGC), Rev. proc. coll., 1995, 487, n° 28, obs. B. Soinne ; Cass. com., 23 janvier 2001, n° 98-10.974, publié (N° Lexbase : A4298ARM), Bull. civ. IV, n° 20 ; Act. proc. coll., 2001/4, obs. C. Régnaut-Moutier; JCP éd. E, 2001, chron. 755, n°13, obs. M. Cabrillac ; D., 2000, AJ 702, obs. A. Lienhard.
(10) F. Derrida, P. Godé et J.-P. Sortais, avec la collaboration de A. d'Honorat, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, 3ème éd., Dalloz, 1991, n° 212.
(11) Ainsi, Cass. com., 5 mars 2002, n° 98-22.646, FS-P N° Lexbase : A1930AY7), Dict. permanent Difficulté des Entreprises, bull. 223, 2 avril 2002, p. 5835, Vis Déclaration et vérification des créances, n° 53.
(12) Nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 672.11.
(13) Sur ce principe, CA Paris, 3ème ch., sect. B, 15 novembre 2007, n° 05/19850 (N° Lexbase : A6119D3Z) ; Rev. proc., coll., 2008, p. 71, n° 88, note C. Martin-Serf.
(14) Cass. com., 28 mai 1991, n° 89-21.116, publié (N° Lexbase : A4206AGU), Bull. civ. IV, n° 187, D., 1992, Somm. 184, obs. A. Honorat ; Cass. com., 28 janvier 2004, n° 01-16.355, F-D (N° Lexbase : A0385DBU) ; CA Aix-en-Provence, 8ème ch., sect. A, 27 février 2002, Dr. sociétés, 2002, n° 195, obs. J.-P. Legros ; Rev. proc. coll., 2003, p. 164, n° 5, obs. C. Martin-Serf.
(15) Cass. com., 7 juin 2005, n° 04-13.262, F-D (N° Lexbase : A6556DIN) , JCP éd. E, 2005, n° 1751, note Delattre ; Rev. proc. coll., 2006/3, p. 291, n° 3, obs. C. Martin-Serf.
(16) Cass. com., 7 mars 2006, n° 04-16.404, F-D (N° Lexbase : A4989DN4), Gaz. proc. coll. 2006/3, p. 51, obs. Th. Montéran.
(17) Cass. com., 22 mai 2012, n° 11-15.358, F-D (N° Lexbase : A0559IMN).
(18) Cass. com., 15 mars 2005, n° 03-19.577, F-D (N° Lexbase : A3066DHZ).
(19) Ainsi, Cass. com., 3 octobre 2006, n° 05-15.150, F-D (N° Lexbase : A7818DRY), Act. proc. coll., 2006, no 239, note J. Vallansan.
(20) Cass. com., 3 décembre 2003, n° 01-02.046, F-D (N° Lexbase : A3560DA4), RD banc. fin., 2004, n° 75, obs. F.-X. Lucas.
(21) Cass. com., 15 juin 2011, n° 10-15.643, F-D (N° Lexbase : A7399HT9).
(22) Cass. com., 17 septembre 2013, n° 12-30.158, FS-P+B (N° Lexbase : A4826KLC), Act. proc. coll., 2013/16, comm. 242, note P. Cagnoli.

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Entreprises en difficulté

[Brèves] QPC : censure de la saisine d'office du tribunal pour l'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire en Polynésie française

Réf. : Cons. const., décision n° 2013-352 QPC du 15 novembre 2013 (N° Lexbase : A3196KP3)

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Le 21 Novembre 2013

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 18 septembre 2013 (Cass. QPC, 18 septembre 2013, n° 13-40.040, FS-D N° Lexbase : A5035KL3), par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée relative à des dispositions des articles L. 621-2 (N° Lexbase : L3851ISG) et L. 622-1 (N° Lexbase : L3434IC8) du Code de commerce dans leur rédaction applicable à la Polynésie française. Il a rendu une décision d'inconstitutionnalité le 15 novembre 2013 (Cons. const., décision n° 2013-352 QPC du 15 novembre 2013 N° Lexbase : A3196KP3). Le Conseil rappelle que le droit des procédures collectives applicable à la Polynésie française résulte des dispositions législatives du livre VI du Code de commerce, telles qu'adaptées par les dispositions législatives du livre IX du même code, dans leur version en vigueur à la date de la publication de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, portant statut d'autonomie de la Polynésie française (N° Lexbase : L1574DPY). Les dispositions contestées portaient sur la saisine d'office du tribunal de commerce que les articles L. 621-2 et L. 622-1 du Code de commerce rendent possible pour l'ouverture tant d'une procédure de redressement judiciaire que d'une procédure de liquidation judiciaire. Le Conseil constitutionnel rappelle qu'il avait déjà eu l'occasion de juger que l'article L. 631-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L6249IUY), applicable en métropole, et qui permet la saisine d'office du tribunal de commerce pour l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, était contraire à la Constitution (Cons. const., décision n° 2012-286 QPC du 7 décembre 2012 N° Lexbase : A4918IYS ; lire N° Lexbase : N5001BTE). Le Conseil constitutionnel a appliqué cette jurisprudence dans cette QPC. Il a relevé que ni les dispositions contestées, ni aucune autre disposition ne fixent les garanties légales ayant pour objet d'assurer qu'en se saisissant d'office, le tribunal ne préjuge pas sa position lorsque, à l'issue de la procédure contradictoire, il sera appelé à statuer sur le fond du dossier au vu de l'ensemble des éléments versés au débat par les parties. Par suite, le Conseil a jugé que les dispositions contestées confiant au tribunal la faculté de se saisir d'office aux fins d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de la procédure de liquidation judiciaire méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la DDHC de 1789 (N° Lexbase : L1364A9D). Il a déclaré contraires à la Constitution les mots "se saisir d'office ou" figurant au deuxième alinéa de l'article L. 621-2 du Code de commerce dans sa version applicable à la Polynésie française. Cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la date de la publication de la décision du Conseil. Elle est applicable à tous les jugements d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire rendus postérieurement à cette date (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E7901ETS).

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Fiscalité des entreprises

[Brèves] L'obtention d'un brevet ne rend pas son objet automatiquement éligible au crédit d'impôt recherche

Réf. : CE 10° et 9° s-s-r., 13 novembre 2013, n° 341432, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6308KPC)

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N9474BT3

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Le 21 Novembre 2013

Aux termes d'une décision rendue le 13 novembre 2013, le Conseil d'Etat retient que le fait qu'une recherche ait été brevetée ne suffit pas à lui donner accès au crédit d'impôt recherche (CE 10° et 9° s-s-r., 13 novembre 2013, n° 341432, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6308KPC). En l'espèce, une société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a notamment refusé d'admettre les crédits d'impôt recherche dont la société entendait bénéficier sur le fondement des dispositions des articles 244 quater B du CGI (N° Lexbase : L0202IWE) et 79 septies F de l'annexe III à ce code, sans qu'aucune imposition supplémentaire ne soit cependant mise en recouvrement à ce titre, les exercices contrôlés de la société ayant été déficitaires et n'ayant donné lieu à aucune imputation d'un crédit d'impôt recherche. La société a demandé le remboursement du crédit d'impôt, par imputation sur l'impôt sur les sociétés qu'elle avait acquitté au titre de son premier exercice bénéficiaire. Le juge constate que, après l'envoi d'une notification de redressements à la société, l'administration a, dans une réponse aux observations du contribuable, indiqué de manière précise les montants de crédit d'impôt recherche qu'elle refusait d'admettre et les conséquences d'un tel refus sur les résultats déclarés. L'administration n'a pas à rappeler au contribuable son refus d'admettre les crédits d'impôt litigieux et les conséquences financières de ce refus lorsque la société procède, au titre du premier exercice bénéficiaire, à la liquidation de l'impôt sur les sociétés à acquitter. Enfin, le juge précise qu'en matière de CIR, le dépôt d'un brevet ne suffit pas, à lui seul, à établir le caractère substantiel d'innovations techniques, et à emporter qualification de l'objet du brevet comme éligible au crédit d'impôt .

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Fiscalité internationale

[Evénement] Le contrôle fiscal des entreprises mondialisées : à la recherche de la substance - Compte rendu de la soirée d'étude annuelle du Groupement français de l'IFA du 13 novembre 2013

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N9422BT7

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 21 Novembre 2013

Le 13 novembre 2013, c'est au siège du Medef, avenue Bosquet, entre la Tour Eiffel et l'Ecole militaire, que le Groupement français de l'IFA a donné rendez-vous à de très nombreux fiscalistes sur le thème de la substance dans le cadre du contrôle fiscal des entreprises mondiales. Philippe Derouin, avocat, Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom LLP, a animé les débats entre les quatre intervenants à cette soirée d'étude, représentants du monde des entreprises, de l'administration fiscale et du Conseil d'Etat. La substance, notion qui ne rencontre pas de définition juridique précise, est pourtant au coeur de toutes les discussions relatives à l'application de la fiscalité dans une situation internationale. Pour palper cette substance, l'administration fiscale française et les entreprises sont dans une situation de déséquilibre : alors que les entreprises connaissent parfaitement leurs affaires, l'administration n'a accès à cette connaissance que difficilement, même si la loi vient soutenir de plus en plus sa recherche constante d'information. Les questions relatives à la fiscalité internationales tournent généralement autour de trois thèmes : les prix de transfert, les problèmes de qualification différente selon les lois nationales (dans lesquels se trouvent les produits hybrides) et le fameux "tax treaty shopping". Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal à la Direction générale des finances publiques, depuis quinze jours à la date de la conférence, constate, et il n'est pas le seul, que les entreprises sont de plus en plus multinationales. Nous sommes aujourd'hui dans un contexte où il n'existe pas de véritable régulation fiscale internationale. Par exemple, dans l'Union européenne, les taux d'impôt sur les sociétés varient de 10 % à 36 %, sans compter les pays qui pratiquent une fiscalité des entreprises à taux nul. Mais au-delà de ces taux, il faut bien comprendre que certaines opérations bénéficient de régimes plus ou moins favorables d'un pays à un autre. La grande variété d'imposition nourrit forcément les envies d'optimisation légale et d'évasion fiscale illégale.

Aujourd'hui, le Trésor a deux grandes inquiétudes : respecter les enjeux budgétaires en évitant la perte de substance en France, tout d'abord. Cette forte inquiétude est accréditée par les chiffres en termes de taux effectif d'imposition des entreprises (selon lesquels les grands groupes ont un taux effectif d'imposition beaucoup plus bas que les PME notamment), même s'il faut les manier avec précaution. Ensuite, l'inquiétude porte sur l'élément d'équité. Comment une PME peut-elle entrer en concurrence avec une entreprise importante, alors qu'elles n'ont pas les mêmes charges fiscales ? En effet, une grande entreprise peut optimiser son imposition, ce qu'une PME n'a pas les moyens de faire. Il en résulte des problématiques de distorsion de concurrence.

A cette double inquiétude répond une double stratégie : en premier lieu, l'administration cherche à savoir ce qui se passe au-delà des frontières. L'administration fiscale est déséquilibrée par rapport aux sociétés. Ces dernières ont une stratégie d'implantation à l'international, elles savent donc quelle fiscalité s'applique dans tel ou tel pays. L'administration n'a pas ce savoir. Elle peut l'acquérir par deux voies, soit en recourant à l'assistance fiscale internationale, soit en demandant aux entreprises de lui fournir des informations, via leurs déclarations, en cas d'inversion de la charge de la preuve (notamment sur le fondement de l'article 209 B du CGI N° Lexbase : L9422IT7). En second lieu, la loi donne de plus en plus de moyens au service dans le cadre des contrôles fiscaux, du droit de communication et du droit d'enquête. Concernant ce dernier, l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0277IW8) est de plus en plus utilisé par l'administration qui contrôle ainsi si ce que l'entreprise déclare est conforme à la réalité.

Edouard Marcus, sous-directeur de la Sous-direction E à la Direction de la législation fiscale, explique qu'on assiste aujourd'hui à une évolution décisive de la manière dont fonctionne l'économie internationale. Désormais, les entreprises s'organisent au niveau mondial. De plus, la dématérialisation a pris un poids énorme, et ignore l'espace. De même, le poids des incorporels a augmenté, alors qu'ils sont plus difficiles à localiser.

La législation fiscale s'efforce d'offrir un traitement fiscal adapté et sécurisé à ces situations.

Dans les dernières lois, le même raisonnement juridique est appliqué : une situation à risque est déterminée, et une réponse législative est apportée. C'est le cas concernant les ETNC, en 2010, avec l'article 238 A du CGI (N° Lexbase : L3230IGQ), de l'amendement "Carrez" en 2011 (CGI, art. 219, IX N° Lexbase : L5717IXZ) et de la réforme de l'article 209 B.

En 2010, la France a mis en place une liste des pays et territoires non coopératifs, qui a pour conséquence fiscale que les entreprises implantées dans ces zones devaient démontrer que leur présence sur place répond à un besoin économique. Sinon, et par principe, un taux supérieur d'imposition s'applique et les charges correspond à des transferts de valeur vers ces lieux ne sont pas déductibles.

En 2011, le législateur a mis en valeur une situation à risque dans laquelle une structure française était endettée parce qu'elle avait opéré des financements qu'elle n'avait pas décidé de façon autonome, dans le but de bénéficier de la législation favorable française sur la dette. Lorsqu'une société française finance une opération, par souscription d'une dette, elle doit démontrer que la décision a sa substance en France, en son sein. Ce dispositif a été nommé amendement "Carrez", du nom de l'auteur de cette insertion législative.

En 2012, l'article 209 B du CGI prévoit une inversion de la charge de la preuve en cas de contrôle d'une filiale dans un ETNC. Il s'agit, pour la société mère française, de démontrer que l'implantation répond à un besoin réel, et pas seulement à une opportunité fiscale.

Cette inversion de la charge de la preuve est un compromis entre la lutte contre les abus et la proportionnalité entre le niveau de contrôle et le niveau de risque.

Concernant les obligations documentaires en matière de prix de transfert, l'idée est de s'adapter aux nouveaux modes de transmission de l'information. Les entreprises doivent fournir des renseignements de manière graduée ; les grandes entreprises sont sous le coup de l'article L. 13 AA du LPF (N° Lexbase : L9700IW8), et envoient automatiquement leurs données sur leurs prix de transfert, alors que les entreprises plus petites ne doivent formuler ces informations que sur demande, en application de l'article L. 13 AB (N° Lexbase : L0637IH3). L'objectif est d'assurer la transparence. Ces règles sont un facteur de sécurité pour les entreprises. La documentation des prix de transfert fait l'objet de débats au sein de l'OCDE, dans le cadre du projet "BEPS" (Plan d'action concernant l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, adopté en juillet 2013 par le G 20 et conduit par l'OCDE pendant les 18 à 24 mois à venir). Si l'Union européenne a posé des principes à ses Etats membres, c'est maintenant au niveau mondial que de telles règles vont être adoptées.

Première partie : la substance des entités

Quel est le critère de la substance ? Quel est le sens de cette notion pour une société qui ne détient que des actifs ? Quid des holdings d'incorporels ?

La substance des entités étrangères : approche par les moyens ou par les fonctions ?

Pierre Collin, conseiller d'Etat, constate qu'il n'existe pas vraiment de critère objectif. La substance se définit au cas par cas, selon les situations et les sociétés. Le mot "substance" n'apparaît que très rarement dans les décisions de justice, même s'il est souvent sous-entendu.

Seule l'étude de la jurisprudence du Conseil d'Etat permet de se faire une idée de ce qu'est la substance. Ainsi, dans une décision du 18 mai 2005 (CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2005, n° 267087, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3517DI4), le Conseil d'Etat a décidé, dans le cas de la constitution d'une holding 1929 au Luxembourg par une société française, que l'abus de droit était constitué, en ce que le montage avait pour effet de modifier la qualification de sommes considérées comme des intérêts en dividendes, par leur passage par la holding, qui les reverse, dans le cadre du régime mère/fille sous forme de dividende exonéré à sa détentrice. La Haute juridiction a qualifié l'opération d'abus de droit parce que la holding n'avait été créée que dans le but de transformer les intérêts en dividendes. En effet, le juge relève que société était sous l'entière dépendance d'un seul associé. Elle n'avait pas de capacité propre. Les questions que se posent les juges sont les suivantes : l'actif de la société est-il en lien avec son objet ? La société a-t-elle une compétence propre ? La société a-t-elle une vraie vie sociale (avec des assemblées générales d'actionnaires, des conseils d'administration, etc.) ? L'activité doit, en outre, être réalisée par des gens compétents. La société doit présenter une compétence spéciale, avoir une raison d'être économique.

La notion de substance était sous-jacente aux arrêts du Conseil d'Etat avant même qu'il ne découvre la notion d'abus de droit, dans l'arrêt "Janfin" (CE Section, 27 septembre 2006, n° 260050, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3224DRT). Avant, il n'était pas besoin de vérifier si l'intention du législateur était méconnue, puisqu'il était réputé ne pas vouloir créer des situations dans lesquelles des sociétés sans substance sont créées dans un but fiscal.

Pour un contre-exemple à l'arrêt du 18 mai 2005, Pierre Collin présente la décision "Alcatel" (CE 9° et 10° s-s-r., 15 avril 2011, n° 322610, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5429HNE), dans laquelle il était question d'une société française utilisant un centre de coordination en Belgique pour gérer la trésorerie du groupe. Le Conseil d'Etat a considéré qu'il y avait substance en l'espèce, le centre faisant usage d'un véritable savoir-faire, employant cinquante personnes, réalisant un véritable chiffre d'affaires et exerçant une activité réelle.

En réalité, la question de la substance dépend de la logique de l'opération et de la création de la société. Cette affirmation est corroborée par les décisions du Comité de l'abus de droit, notamment en 2010 (séance n° 6 du 7 décembre 2010, affaire n° 2010-12), dans une affaire mettant en scène une société américaine apportant une filiale française à une holding danoise. Ce montage a permis d'éviter la retenue à la source prévue par la Convention fiscale franco-américaine (N° Lexbase : L5151IEI), mais la holding danoise ayant une véritable activité, l'opération a été validée.

Philippe Derouin pose la question : faut-il du personnel propre ? Est-ce que la délégation de personnel est prise en compte comme un critère de la substance ? Selon ses souvenirs, la holding danoise précitée n'avait pas de personnel. Selon Pierre Collin, la présence de personnel propre n'est pas une condition sine qua non. Il faut qu'il y ait une cohérence d'ensemble, il n'existe pas de critère absolu et objectif. Edouard Marcus pose à son tour une question : quelle est la substance de la localisation ? Le premier critère de la substance est l'incorporation juridique, critère de droit des sociétés (comme rappelé dans Cass. Ass. plén., 21 décembre 1990, n° 88-15.744 N° Lexbase : A9548ATS). Evidemment, il est des situations dans lesquelles l'immatriculation d'une société ne reflète pas sa substance, et dans ce cas-là l'administration va rechercher le siège de direction effective. Il est rappelé qu'en 2008, l'OCDE a supprimé des commentaires du Modèle de convention fiscale le paragraphe portant sur le faisceau d'indices à utiliser pour déterminer le siège de direction effective (lire N° Lexbase : E8356ETN). La France a alors posé une réserve, selon laquelle elle ne tenait pas compte de cette suppression et continuerait d'appliquer ce paragraphe. Concernant la présence ou l'absence de personnel, la question se pose : qu'est-ce qu'une entité juridique dont la seule fonction est de détenir des titres ? S'agit-il d'une véritable société ? Il ne faut pas négliger l'importance de la notion de siège de direction effective, car les conséquences en cas de remise en cause de sa localisation géographique peuvent être très importantes. En effet, en l'absence d'établissement stable, le pays dans lequel se trouve le siège de direction effective pourra imposer les revenus mondiaux de l'entreprise.

Catherine Henton, Directeur fiscal du groupe Sanofi, considère qu'il y a un problème sur la question du siège car les dirigeants vont de par le monde, et gèrent leurs affaires à distance de plus en plus fréquemment. Le lieu où se tient le conseil d'administration, critère français de la détermination du siège de direction, critère géographique, est dépassé par les nouvelles technologies. Il serait temps d'évoluer sur ce sujet.

L'établissement stable : l'établissement voulu, l'établissement subi

Que faire lorsqu'un établissement stable en France détient des titres de participation uniquement ? Olivier Sivieude préconise l'utilisation du rescrit fiscal, afin de sécuriser l'activité de cet établissement au regard de l'administration.

Concernant l'établissement stable subi, la problématique porte sur la qualification d'activité accessoire ou auxiliaire. De plus, la question de l'application des exceptions à l'arrêt "Zimmer" (CE 10° et 9° s-s-r., 31 mars 2010, n° 304715, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4168EUW), selon laquelle, en principe, un commissionnaire qui agit dans le cadre normal de son mandat ne peut pas constituer un établissement stable de son commettant, se pose.

L'administration cherche notamment la qualification d'établissement stable dans le cas de fonds d'investissement et de sociétés du numérique. L'article L. 16 B du LPF est très utilisé pour déterminer l'existence stable en France. Or, les trois conditions de cet article, qui autorise, sous le contrôle du juge, les agents des impôts à pratiquer des visites et des saisies, sont : les ventes et achats sans factures ; les factures fictives ; la non tenue de la comptabilité. Les sociétés du CAC 40 ont une comptabilité tenue exactement par des professionnels. Mais cette comptabilité est à l'étranger. Effectivement, une société dont l'administration estime qu'elle a un établissement stable en France ne dépose pas de déclaration dans notre pays, puisque, pour elle, elle n'y est pas implantée. Le service, soutenu par le juge, utilise pourtant cette circonstance pour fonder une demande d'autorisation de visite et de saisies. N'y a-t-il pas distorsion entre le sort d'un établissement stable supposé et une succursale, dont la loi française n'oblige pas la tenue d'une comptabilité sur place ? De plus, la CJUE a déjà considéré qu'une législation obligeant à ce que soit tenue une comptabilité locale était contraire à la liberté d'établissement (CJCE, 15 mai 1997, aff. C-250/95 N° Lexbase : A0119AWC). Alors, l'administration détourne-t-elle la procédure de l'article L. 16 B ?

En outre, Philippe Derouin souligne la problématique des saisies d'informations sur serveurs. En effet, l'administration qui opère une visite de société prend un accès sur les serveurs de cette dernière. Or, ces serveurs contiennent des informations beaucoup plus larges que celles concernant la seule société visitée. La Cour de cassation a déjà considéré que cette procédure était valide (Cass. crim., 24 avril 2013, n° 12-80.334, F-D N° Lexbase : A6991KCW).

Olivier Sivieude répond que l'administration est confrontée à des situations d'activité immatérielle, et que l'article L. 16 B est un moyen efficace pour contrôler l'indépendance des établissements situés sur le territoire français. Il rappelle qu'en cette matière seule la Direction nationale des enquêtes fiscales est compétente. L'administration effectue 250 perquisitions par an, dont 60 % sur un sujet international (qui peut être de la TVA). Il y en a donc peu. Effectivement, la jurisprudence relative à l'article L. 16 B valide les procédures engagées en cas de non déclaration ou d'omission des règles comptables.
Concernant les serveurs, la loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L7970IUQ) a modernisé le droit de perquisition en rendant possibles les saisies informatiques, même sur un serveur situé à l'étranger.

Sur le sujet de l'exploitation des résultats de la perquisition, il est constaté aujourd'hui un dialogue de sourd entre l'entreprise qui réfute l'existence d'un établissement stable et l'administration qui met en demeure de déclarer en France. Est-il possible d'avoir un échange sur le principe de l'imposition ou la taxation d'office est-elle automatique ? Olivier Sivieude explique qu'en réalité, c'est une procédure hybride, entre taxation d'office et examen contradictoire, qui est mise en oeuvre. Dans le cadre d'une taxation d'office, un avis de vérification est envoyé, puis une notification, que la société peut contester.

Philippe Derouin rappelle que, selon le Conseil d'Etat, il doit y avoir en premier lieu l'engagement d'une procédure de taxation d'office et en second lieu un débat contradictoire, alors que pour la Cour de cassation, c'est l'inverse. Pierre Collin ajoute qu'il n'y a pas de séquençage des débats.

Concernant la procédure amiable (article 25 du Modèle de convention OCDE N° Lexbase : L6769ITU ; lire N° Lexbase : E8512ETG), visant à régler, d'Etat à Etat, les cas de double imposition non prévus par une convention fiscale, Edouard Marcus constate qu'il y a ouverture d'une telle procédure même lorsque des pénalités pour mauvaise foi sont appliquées, alors que la France n'y est pas obligée. La procédure amiable ne revêt pas les mêmes garanties que les procédures contradictoires françaises. En effet, il s'agit pour deux Etats partenaires de régler une situation qui leur avait échappé, et de savoir lequel d'entre eux aura le droit d'imposer. L'entreprise est associée à la procédure lors de la phase de préparation du dossier, durant laquelle l'administration fiscale va matérialiser ses arguments pour convaincre l'autre administration de son droit d'imposer. Si une telle procédure ne marche pas, rien ne se passe, car aucune obligation de résultat n'y est attachée. Il est possible de passer devant un arbitre, mais ces procédures sont très lourdes.

Deuxième partie : la substance des transactions

Le bénéficiaire effectif et l'abus des conventions

La notion de bénéficiaire effectif est peu présente en droit français, c'est une notion relevant plutôt du droit international. Il existe peu d'arrêts mettant en oeuvre le bénéficiaire effectif : les arrêts "Diebold Courtage" (CE 8° et 9° s-s-r., 13 octobre 1999, n° 191191, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3307AXR) et "Bank of Scotland" (CE 3° et 8° s-s-r., 29 décembre 2006, n° 283314, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3666DTX).

En 2009, le Conseil d'Etat a rendu un avis (CE avis, 31 mars 2009, n° 382545) par lequel il précise que la question du bénéficiaire effectif ne se pose que concernant des revenus sortant, en application d'une convention fiscale internationale. Mais de nombreux Etats aimeraient que cette notion s'applique aussi aux revenus entrants.

Quelle est la définition du bénéficiaire effectif ? L'OCDE a d'abord utilisé cette notion dans le cadre des trusts anglo-saxons. Dans la jurisprudence nationale, les arrêts "Axa" (CE 8° et 3° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 305586, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8913EKC) et "Goldfarb" (CE 8° et 3° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 305596, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8914EKD) du Conseil d'Etat du 7 septembre 2009 précisent que le porteur du titre, son propriétaire, supporte les risques, et que c'est donc lui le bénéficiaire effectif. Pierre Collin ajoute que le juge recherche la réalité économique derrière l'apparence créée pour l'application de l'impôt. Le reversement d'une somme par la personne qui l'a reçue ne constitue pas un critère, car il peut s'agir de deux opérations commerciales distinctes. Le bénéficiaire effectif est celui dont l'identité a été camouflée par le biais d'un montage.

La notion de bénéficiaire effectif, en droit interne, entre dans celle de l'abus de droit. L'examen se fait au cas par cas.

Edouard Marcus considère que la signature d'une convention fiscale a pour but de lutter contre la double imposition, mais aussi de rendre le droit plus lisible et d'apporter de la sécurité économique aux opérations. C'est pour cela qu'il n'y a pas de règle générale sur le bénéficiaire effectif (en effet, dans les conventions fiscales, la notion de bénéficiaire effectif revient dans les clauses relatives à des revenus, comme les dividendes, les intérêts et les redevances ; il n'existe pas de clause spécifique sur cette notion). En cas d'abus, c'est-à-dire si le bénéficiaire effectif a été caché pour permettre à l'opération d'entrer dans le champ de la convention, alors cette dernière ne s'applique pas.
L'expression "bénéficiaire effectif" existe aussi dans le CGI, à son annexe III, dans le texte de l'article 49 I ter (N° Lexbase : L7034ISC). Il s'agit d'une importation de la Directive "épargne" (Directive 2003/48/CE du Conseil du 3 juin 2003 N° Lexbase : L6608BH9). La notion se retrouve dans plus de 80 % des conventions, celles signées après 1974, date de l'apparition de la convention modèle de l'OCDE.

Les critères du bénéficiaire effectif sont :
- matériels. Il faut qu'un bénéficiaire effectif existe. Il doit donc être pourvu de substance ;
- juridique et économique. Le bénéficiaire effectif doit avoir juridiquement le droit de percevoir le revenu ;
- subjectif. Quand un bénéficiaire est créé pour tenir le rôle de l'homme de paille, ce n'est pas un bénéficiaire effectif. Sa création a été motivée par le besoin de détourner la convention fiscale.

Quel est le support de la règle du bénéficiaire effectif ? En France, les critères sont dans les conventions fiscales internationales. Pour la plupart de ses partenaires, la notion est aussi définie en droit interne. La Convention France-Etats-Unis est intéressante, car le modèle américain y a été incorporé, selon lequel le bénéficiaire effectif a cette qualité que s'il remplit plusieurs conditions. La pratique Outre-Atlantique est donc à l'inverse de la France. Par principe, la France considère que celui qui perçoit le revenu est le bénéficiaire effectif, et elle ne remet en cause sa qualité que si elle identifie un abus. Aux Etats-Unis, en revanche, pour être bénéficiaire effectif, il faut être reconnu comme tel a priori, en remplissant des conditions.

Les hybrides et la double non-imposition

Les hybrides concernent le cas dans lequel un produit obtient une qualification différente (et le régime fiscal qui lui est attaché) dans le pays de résidence de son bénéficiaire ou de sa source. Cette différence de qualification peut conduire à une double exonération. Cette situation fonctionne tant que chacun des deux pays en cause ignore la législation de l'autre. Aujourd'hui, certains redressements sur des montages abusifs sont rendus possibles parce que l'administration fiscale française s'est renseignée sur le régime fiscal de l'autre pays. A noter que dans le projet de loi de finances pour 2014, un article porte sur les prêts entre entreprises liées, et prévoit qu'ils sont déductibles si les intérêts les rémunérant sont imposés à au moins un quart de l'impôt français dans le pays dans lesquels ils sont versés. Il est donc tenu compte de la fiscalité étrangère pour l'application de la loi française. Cette preuve est un exercice difficile car celui qui reçoit les intérêts n'est pas forcément le contribuable, par exemple dans le cas des sociétés de personnes. Ce critère des sociétés de personnes a déjà été retenu par le comité de l'abus de droit concernant les ORA (obligations remboursables en actions). Lors des discussions sur le projet de loi, la situation des sociétés de personnes a été prise en compte.

Pierre Collin constate que le Conseil d'Etat est moins audacieux que le comité de l'abus de droit fiscal, car il lui importe peu que le but ait été d'éluder l'impôt étranger. La manière d'interpréter la convention peut influer sur la décision rendue. Or, l'interprétation est souvent téléologique, et le but de la convention est d'éviter les doubles impositions, pas les doubles exonérations.

Catherine Henton prend l'exemple d'une mesure fiscale au Brésil qui a pour effet de donner à certains dividendes la qualification d'intérêt. Le revenu est perçu par une société française et déduit au Brésil est-il taxé en France ? Selon Pierre Collin, cela dépend en réalité de savoir si l'opération relève d'un montage abusif ou d'une gestion normale. La Convention souhaite éviter la double imposition mais elle ne s'applique lorsque la situation devient abusive.

Edouard Marcus voit les hybrides comme un réel problème fiscal car la situation n'est pas confortable pour les Etats. Ils créent un trou noir propice à la distorsion de concurrence. Les entreprises peuvent utiliser les hybrides dans des activités économiques mais aussi rechercher l'intérêt fiscal de cette utilisation, pour que l'opération ne soit taxée qu'une fois, voire pas taxée du tout. Le problème des hybrides au sein de l'Union européenne est l'application de la Directive "mère/fille" (Directive 90/435/CE du Conseil du 23 juillet 1990 N° Lexbase : L7669AUL), qui exonère les transferts de tout ce qui est qualifié de dividendes entre sociétés liées. Depuis 2003, les Etats de l'Union tiennent à jour une liste des Etats dans lesquels l'IS ne s'applique pas à certaines sociétés.
L'OCDE a d'ailleurs recensé les montages les plus optimisants, et souvent ces opérations font appel à des produits hybrides. Il faudrait un cadre juridique qui offrirait des règles aux entreprises, plutôt que de devoir passer par un contrôle fiscal et des redressements.

Peut-on lier l'application d'un régime fiscal français au traitement fiscal à l'étranger ? L'administration française l'appelle de ses voeux. Dans les conventions internationales, il existe déjà des clauses de "linking rule", qui prévoient que, si un résident n'est pas imposé dans son Etat de résidence, alors il n'est pas considéré comme un résident et la convention ne s'applique pas. Sinon, certaines clauses stipulent que, si un des Etats, à qui revient le pouvoir d'imposer, n'exerce pas son droit, l'autre Etat peut le faire. Ces clauses permettent de ne pas avoir à lister les Etats qui n'imposent pas.

Les hybrides sont aujourd'hui l'un des plus gros problèmes de fiscalité internationale.

Philippe Derouin souligne avec humour que c'est l'Irlande qui a été la première à lier l'application de son régime fiscal sur la déduction des prêts participatifs à une imposition à l'étranger. Ce serait donc l'Irlande qui serait le modèle du projet de loi de finances pour 2014 et du projet "BEPS" de l'OCDE !

Les prix de transfert

Les prix de transfert sont une géolocalisation des recettes d'un groupe.

Catherine Henton relève que les entreprises, sur la problématique des prix de transfert, sont en constante recherche du comparable. Aujourd'hui, les prix de pleine concurrence doivent être fabriqués. En effet, 60 % du commerce international est intragroupe. Dans un groupe intégré verticalement (c'est-à-dire avec intégration des fournisseurs et intermédiaires), c'est très difficile d'obtenir des prix de pleine concurrence. En fait, les prix de transfert amènent à une analyse fonctionnelle servant à déterminer la valeur d'une prestation. Les entreprises et même l'administration doivent se partager des bases de données de comparables pour établir leurs prix de transfert.

Les Etats-Unis ont la législation la plus sophistiquée en matière de prix de transfert. En Chine, la mentalité change. Alors qu'auparavant le marché chinois était un marché de travail, maintenant c'est un marché de consommation. L'Etat chinois réclame sa part sur les recettes réalisées avec les clients chinois. La France semble s'intéresser seulement aux sociétés qui exportent, pour l'application de la législation des prix de transfert, pas à celles qui importent.

L'OCDE se pose de nombreuses questions sur les prix de transfert sur les incorporels (lire, par exemple, Prix de transfert et incorporels : l'OCDE modifie ses principes directeurs, Lexbase Hebdo n° 502 du 17 octobre 2012 - édition fiscale N° Lexbase : N3949BTG). Avant, les incorporels étaient tous juridiques, il s'agissait des marques, des licences, des brevets. Désormais, de nouvelles valeurs incorporelles font leur entrée sur le marché : par exemple, c'est une valeur que d'être présent sur le marché chinois. Ce sont ce que les anglo-saxons appellent les "soft intangibles". Sanofi s'implique dans les recherches de l'OCDE sur les incorporels et leur valorisation. Le monde n'est pas stable au regard des prix de transfert, un édifice avait été construit qui est en train de dégringoler à cause des bouleversements économiques récents, les nouvelles technologies et les nouvelles sources de valeurs.

Edouard Marcus estime qu'il y a des principes simples à préserver. Certains ont une approche du "tout économique", qui ne tient compte ni des contrats, ni de la comptabilité. Ce n'est pas la position défendue par l'administration. Cette dernière considère qu'il faut commencer par regarder l'organisation juridique d'une entreprise et observer l'organisation économique qu'en cas d'abus. Sinon, il en ressort trop d'insécurité pour les acteurs.

La vision de la nature des prix de transfert repose sur des fondamentaux.
Les groupes peuvent organiser leur répartition de valeurs, alors que les PME sont en situation de pleine concurrence. La Convention modèle de l'OCDE effectue un compromis en autorisant que les Etats utilisent, pour réglementer les prix de transfert, un autre critère que celui des prix de pleine concurrence (mais il faut tout de même que le résultat soit proche de ces derniers). Une solution basée sur une répartition proportionnelle entre les Etats, selon le chiffre d'affaires par exemple, ou une autre clé de répartition (masse salariale, coûts de production), est inimaginable en l'état actuel des choses. Une telle construction est un travail de titan.
L'administration fiscale française est contre l'idée de prendre en compte le marché comme une fonction de prise de valeur. Pour elle, un incorporel doit avoir une valeur sur un marché.
Le secteur du numérique est très à part. Il a créé une manière nouvelle de faire des affaires. Les datas sont créées par collecte auprès des internautes dans des zones dans lesquelles ces entreprises ne sont pas implantées.

Catherine Henton a des difficultés avec le contrôle fiscal et ses actualités. En effet, obligation est faite aux entreprises de savoir ce qu'il se passe dans leur groupe dans le monde. A la limite, c'est simple pour le siège français, mais pour une filiale ? De plus, elle demande quel est l'intérêt pour l'administration fiscale française d'avoir accès à l'intégralité des comptes d'une entreprise, comme la comptabilité analytique (comme prévu par le projet de loi de finances pour 2014) ? L'administration souhaite obtenir le plus d'informations possibles, mais n'y a-t-il pas là un déclin du débat oral et contradictoire, dans la mesure où toutes ces informations ne sont pas consultées sur place par l'administration lors d'un contrôle mais directement sur les déclarations fiscales ? De plus, cela pose un réel problème de confidentialité.

Olivier Sivieude assure être un fanatique du débat oral et contradictoire, pensant que cela fait gagner du temps. Demander des informations aux entreprises ne porterait pas, selon lui, atteinte à ce débat. Au contraire, l'administration aura dans les mains une documentation de qualité qui lui permettra ensuite d'opérer un contrôle et un dialogue de qualité. Cette meilleure information du service va élever le débat oral et contradictoire. Il ne faut pas avoir peur d'une administration moderne. De toute manière, avant aussi l'administration avait accès à la comptabilité, maintenant c'est simplement automatique et a priori, pas dans le cadre d'un contrôle. On gagne du temps.

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Libertés publiques

[Le point sur...] La liberté de réunion : principes généraux et portée en droit français

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N9428BTD

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par Lauréline Fontaine, Professeur de droit public, Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris III

Le 21 Novembre 2013

Formellement, la liberté de réunion ne figure à proprement parler en France dans aucun texte constitutionnel en vigueur. Le Conseil constitutionnel français a bien consacré un droit d'expression collective des idées et des opinions (1), qui ne saurait toutefois absorber toute entière la liberté de réunion. En tout état de cause, la liberté de réunion paraît bien liée au régime républicain, puisque, d'une part, elle a été consacrée dans les Constitutions françaises de 1793 et de 1848 (si on met à part la Constitution de 1791 qui, bien que première Constitution française, organisait une monarchie constitutionnelle), mais, d'autre part, est initialement réglementée par les lois du 30 juin 1881, sur la liberté de réunion (N° Lexbase : L7590AIX), et du 28 mars 1907, relatives aux réunions publiques (N° Lexbase : L7587AIT). Aujourd'hui, le Code de la sécurité intérieure issu de la rédaction de l'ordonnance n° 2012-351 du 12 mars 2012 (N° Lexbase : L3779ISR), régit l'essentiel de la liberté de réunion, à laquelle on adjoint évidemment la liberté de manifestation. Mais à côté de la liberté de réunion et de manifestation conçue de manière générale, s'adjoignent la liberté spécifique de réunion syndicale et la liberté de réunion électorale. Les conventions internationales applicables consacrent également la liberté de réunion, jamais seule, en l'associant à plusieurs autres qui, pour être effectivement proches, n'en sont pas moins distinctes. Sur le modèle de la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948, la CESDH de 1950 consacre à son article 11 (N° Lexbase : L4744AQR) la "liberté de réunion et d'association", en disposant que "1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. 2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat". La Cour européenne des droits de l'Homme considère que la liberté de réunion est un élément de la liberté d'expression nécessaire dans un cadre démocratique (2). De son côté, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) consacre cette liberté dans son article 12, en paraissant envisager en une seule fois l'ensemble des aspects et des catégories de réunion : "1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique, ce qui implique le droit de toute personne de fonder avec d'autres des syndicats et de s'y affilier pour la défense de ses intérêts. 2. Les partis politiques au niveau de l'Union contribuent à l'expression de la volonté politique des citoyens ou citoyennes de l'Union".

Le contentieux provoqué par ces dispositions européennes est plus abondant s'agissant de la liberté d'association et de la liberté syndicale que s'agissant de la liberté de réunion et de manifestation, et il faut donc distinguer la portée des arrêts selon la liberté concernée, tout en n'oubliant pas que, parce que considérées ensemble, elles entretiennent entre elles un rapport étroit. Néanmoins, on doit noter que les deux textes européens parlent bien de "réunion pacifique" et que c'est bien seulement sous cet aspect que la liberté est consacrée. Considérant cela, le droit français paraît lui-même envisager la liberté de réunion sous son angle essentiellement répressif et sécuritaire, en pénalisant tant le défaut de respect de la réglementation sur l'organisation et la tenue des réunions, censée garantir leur caractère pacifique, que les obstacles illégaux qui peuvent être mis à l'exercice de cette liberté et qui peuvent souvent conduire à leur ôter leur caractère pacifique. Le régime de la liberté de réunion, parce qu'il s'est aussi diversifié pour distinguer entre plusieurs types de rassemblements, oscille donc constamment entre un exercice spécifiquement conditionné et organisé de la liberté de réunion et de manifestation (I) et une limitation -voire une pénalisation- des entraves de toutes natures et origines qui pourraient aboutir à une privation ou à une dénaturation de l'exercice de la liberté de réunion (II).

I - Un exercice conditionné et organisé de la liberté de réunion dans le but de préserver son caractère pacifique

Si l'exercice de la liberté de réunion est effectivement réglementé, il est nécessaire d'identifier dans un premier temps les éléments nécessaires à son exercice. Il existe ainsi des sujets de la liberté de réunion, individuels ou collectifs, qui disposent ou utilisent un temps nécessaire à la réunion, qui, en outre, se déroule toujours en un lieu déterminé. Il peut arriver que ces éléments ne soient pas toujours réunis là où ils le devraient, constituant a priori des obstacles à l'exercice de la liberté de la réunion.

Les sujets de la liberté de réunion

Tous les individus sont, en principe, les sujets de la liberté de réunion. Si on envisage presque toujours la liberté de réunion de manière négative, il est possible de l'envisager de manière négative, s'agissant des mineurs par exemple. Dans le cadre d'une procédure de divorce, un arrêt de la cour d'appel de Paris se prononçant sur la question des modalités d'exercice de l'autorité parentale a ainsi estimé qu'il n'est pas "dans l'intérêt actuel des enfants de continuer à se rendre aux réunions des Témoins de Jéhovah, Monsieur Denis X [...] devant plutôt essayer de passer le temps de l'exercice de son droit de visite et d'hébergement à développer des relations personnelles avec elles ; qu'il doit se contenter pour l'instant de leur expliquer s'il désire la philosophie du mouvement sans qu'elles soient tenues d'assister aux réunions qui ne leur sont pas destinées et qui sont beaucoup trop longues pour des petites filles de leur âge" (3).

La liberté de réunion est donc aussi une liberté de ne pas se réunir. En tout état de cause, son exercice, comme pour un certain nombre d'autres libertés, est inhérent aux conditions des détenus, qui, de ce fait, ne sauraient utilement s'en prévaloir (4). C'est ainsi aussi que, si une décision administrative qui rétablit des contrôles frontaliers peut, de fait, empêcher la libre participation à une manifestation publique parce que cette mesure a provoqué un encombrement du poste-frontière empêchant certains participants de s'y rendre, les circonstances d'ordre public qui ont motivé la décision ne la rendent pas illégale et ne constituent pas une ingérence dans l'exercice de la liberté de réunion pacifique (5). De la même manière, la dissolution d'un groupement, s'il a pour effet d'empêcher que ses membres ne se réunissent dans un certain but, constitue une mesure d'ordre public qui trouve son fondement dans la loi et la tentative de réunion constitue un délit (C. pén., art. 431-13 N° Lexbase : L1908AMM et suivants).

Il apparaît également que la liberté de réunion est très souvent liée à l'exercice de la liberté d'association, à laquelle d'ailleurs les textes européens l'associent. Toutefois, les mesures de dissolution de groupes et groupements que l'autorité publique peut prononcer, si elles ont nécessairement une incidence sur la liberté de réunion de leur membre, sont justifiées par des nécessités d'ordre public, le législateur organisant la procédure en question (C. pén., art. 431-13 et suivants ou article L. 332-18 du Code du sport N° Lexbase : L8831ITA, tel qu'appliqué notamment par la décision du Conseil d 'Etat du 2 mai 2008 à propos de la dissolution de l'"Association nouvelle des Boulogne Boys" (6)).

Le temps nécessaire à l'exercice de la liberté de réunion

Il est vrai que la disposition du temps est nécessaire pour se réunir, et elle fait l'objet d'un certain nombre d'enjeux dans le cadre des relations de travail et l'exercice des libertés syndicales. En dehors de cette hypothèse, il n'existe pas de principe général sur cette question, et le juge administratif a déjà eu l'occasion d'affirmer que, si une loi qui avait pour effet de rendre un jour férié travaillé, modifiait en effet le temps de travail, ce qui indirectement est susceptible d'affecter le temps disposé pour l'exercice de la liberté de travailler, il n'y a pas d'atteinte manifestement illégale à cette dernière (7).

Des lieux pour se réunir

Cette question fait l'objet d'un contentieux régulier, notamment lorsqu'il s'agit pour les autorités publiques d'accepter de mettre des lieux à disposition pour l'exercice de la liberté de réunion. Selon l'article L. 2144-3 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L6480A77), "des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande. Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l'administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l'ordre public. Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation". La commune doit, en tout état de cause, sauf si une discrimination est justifiée par l'intérêt général, veiller à l'égalité de traitement entre les associations, syndicats et partis politiques, dans sa décision d'octroi ou de refus sous peine d'être sanctionnée par le juge administratif (8).

Un certain nombre d'arrêts sont venus préciser le principe. Par un arrêt du 30 mai 2006 (9), la cour administrative d'appel de Lyon a estimé "que si ces dispositions permettent au maire de refuser la mise à disposition d'une salle communale à des associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande, pour des motifs tirés des nécessités de l'administration des propriétés communales, du fonctionnement des services ou du maintien de l'ordre public, cette autorité doit concilier l'exercice de ces pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion, dont bénéficie notamment tout parti politique légalement constitué". Ainsi, la cour a conclu que le refus du maire de Lyon, en date du 6 mai 1997, de mettre à la disposition du Front national, pour la tenue d'une réunion publique le 19 mai 1997, la salle de la Bourse du travail, était justifié dès lors que "dans les circonstances de l'espèce, le déroulement de la réunion prévue par le Front national au sein de ce bâtiment était de nature à menacer l'ordre public et l'intégrité matérielle des locaux communaux dans des conditions telles qu'il ne pouvait être paré à tout danger par des mesures de police appropriées". Ayant appris la tenue de la réunion du Front national, plusieurs syndicats qui disposaient librement d'une salle de réunion dans le même bâtiment et à côté du lieu où devait se tenir celle du Front national avaient décidé d'organiser une contre-manifestation dans la salle voisine.

D'une manière générale, le maire d'une commune peut exclure le prêt ou la location d'une salle communale par les associations ou organismes à caractère politique, hors des périodes de campagne électorale, dès lors que cette exclusion est organisée par une délibération en ce sens du conseil municipal afin de mettre l'utilisation des locaux communaux à l'abri des querelles politiques ou religieuses (10).

Faute d'une telle délibération, il a été ainsi plusieurs fois obtenu en référé l'annulation d'une mesure d'interdiction, concernant le plus souvent des groupements politiques ou des associations cultuelles. S'agissant, par exemple, de l'université d'été du Front national, la commune d'Annecy avait décidé d'en interdire la tenue sans que puisse être invoquée sérieusement un trouble à l'ordre public tel qu'aucune autre mesure n'aurait permis de les prévenir. Le Conseil d'Etat, en référé, par son ordonnance du 19 août 2002 (11), suspendit la décision de la commune et estima qu'il était porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion dont bénéficient les partis politiques légalement constitués.

S'agissant d'une réunion des Témoins de Jéhovah, le maire de Paris avait prononcé l'interdiction de leur réunion au stade Charléty, et le tribunal administratif de Paris, en référé, le 13 mai 2004, suspendit aussi cette décision pour permettre ladite réunion, en l'absence de trouble grave à l'ordre public : "la circonstance qu'une association se voit reconnaître ou non le caractère d'association cultuelle n'est pas de nature à justifier le refus exprimé par le maire de Paris dans sa décision du 22 avril 2004". En outre, ajoute-t-il, "la ville de Paris n'invoque aucun fait précis dont il ressortirait que la réunion fixée au 23 mai 2004 présenterait un trouble à l'ordre public ; les rapports d'enquêtes parlementaires, dénués de toute valeur juridique, ne sauraient servir de fondement légal à la décision du maire" (12). Plus récemment, par une ordonnance du 26 août 2011 (13), le Conseil d'Etat a confirmé les ordonnances de référé du tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui avait enjoint à la commune de Saint-Gratien de mettre un local à la disposition de l'association franco-musulmane de la commune qui souhaitait organiser ses réunions dans un local communal pendant la durée du ramadan, à raison d'une heure par semaine pour l'exercice du culte de ses adhérents, car il n'était pas établi que ces réunions soient de nature à troubler l'ordre public.

Cette jurisprudence est également applicable aux réunions publiques qui se tiennent dans des établissements publics, bien que la jurisprudence paraisse un peu moins libérale, à l'instar de l'ordonnance de référé du Conseil d'Etat du 7 mars 2011 (14), validant la décision de la directrice de l'Ecole Normale Supérieure de refuser la mise à disposition d'une salle de réunion au "collectif Palestine ENS" pour ne pas associer dans l'opinion publique son établissement à une campagne politique internationale en faveur du boycott des échanges scientifiques et économiques avec un Etat.

Le régime de la liberté de réunion : de la liberté réelle aux procédures d'autorisation

Hors périodes particulières relevant de régimes légaux (état de siège ou état d'urgence) ou constitutionnels (circonstances exceptionnelles), le principe est la liberté de se réunir, qui appartient, sauf le cas particulier des détenus, à l'ensemble des sujets de droit.

Le régime n'est, en principe, pas le même selon la nature de la réunion, ce qui doit emporter la nécessité de bien déterminer la nature ou la catégorie de réunion en cause. Dans ses conclusions sous le fameux arrêt du Conseil d'Etat en date du 19 mai 1933 "Benjamin" (15), le commissaire du Gouvernement Michel définit la réunion publique, pour la distinguer de la manifestation, de l'association, du spectacle ou encore de la conférence lorsqu'elle peut être assimilée à une réunion privée. La réunion publique serait ainsi "un groupement momentané de personnes formé en vue d'entendre l'exposé d'idées ou d'opinions, ou de se concerter sur la défense d'idées ou d'intérêts". Dans ses conclusions sous l'arrêt "Bujadoux" (16), quelque temps plus tard et à propos de l'interdiction d'un banquet que devait présider Charles Maurras à Lyon, le commissaire du Gouvernement Lagrange faisait remarquer que les inscriptions étaient largement ouvertes et qu'une large publicité également avait été faite, empêchant de maintenir le moyen tiré de l'argument du caractère privé de la réunion. Ces distinctions n'apparaissent, toutefois, plus aussi importantes aujourd'hui. Ce qui compte réellement, c'est l'objet de la réunion. On peut ainsi formuler un principe général pour les réunions privées, mais s'apercevoir qu'un régime particulier existe pour les manifestations culturelles ou sportives, et que les rassemblements festifs à caractère musical sont également spécifiquement encadrés. Si les réunions publiques sont elles aussi régies par un principe général, les réunions électorales sont également spécifiques et les manifestations sur la voie publique font encore l'objet d'une législation propre, à distinguer de celle concernant les attroupements.

Le principe est que la liberté est presque totale pour les réunions privées, sur lesquelles a priori l'autorité publique ne peut pas intervenir, mais cette liberté concerne pour l'essentiel les réunions dans les domiciles privés, ne faisant participer qu'un nombre réduit d'individus. Il faut encore mettre à part le cas de la liberté de réunion au sein des entreprises, la plupart du temps liée à l'exercice de la liberté syndicale et qui fait l'objet de nombreuses dispositions au sein du Code du travail (C. trav., art. L. 3142-51 N° Lexbase : L0635H9E). En tout état de cause, il est difficile de qualifier de "réunions privées" des manifestations culturelles ou spectacles en tout genre, au motif qu'elles se tiennent dans des lieux privés. Ce sont les raisons pour lesquelles il existe finalement d'assez nombreuses hypothèses de réunions initialement et théoriquement privées où le législateur est venu apporter un certain nombre de restrictions, soit en instituant un régime déclaratoire, éventuellement poussé, soit en donnant la possibilité à l'autorité publique de prononcer des mesures restrictives. D'une manière générale, les spectacles, de leur création à leur diffusion, sont considérés somme toutes comme des réunions publiques, car la plupart du temps se tenant dans des lieux qualifiés d'établissements recevant du public (CCH, art. R. 123-2 N° Lexbase : L7905ABE). Ils font l'objet le plus souvent d'un régime d'autorisation organisé par l'ordonnance du 13 août 1945, réformée plusieurs fois. Il existe plusieurs types de "licences" qui permettent aux spectacles de se monter et de se tenir dans des conditions telles que l'autorité publique s'assure qu'ils se produisent et se diffusent dans des conditions conformes à l'ordre public. La tenue d'un spectacle nécessite la plupart du temps l'accord du maire de la commune, ou celui du préfet de département dans certains cas, dans laquelle il se tient, dans les conditions correspondant à ses particularités (par exemple, il y a une différence entre un spectacle de curiosité et une représentation théâtrale).

Certains rassemblements festifs, en raison de leur particularisme, font encore l'objet d'une législation particulière, comme c'est le cas des rave parties, pour lesquelles le législateur a instauré un régime déclaratoire poussé. Dans une réponse ministérielle (17), il est indiqué qu'en 2012, 43 manifestations de ce type ont été organisées, dont 33 n'avaient pas été déclarées, nonobstant la législation applicable. Le décret n° 2002-887 du 3 mai 2002 (N° Lexbase : L5033IS9) définit la rave partie comme un rassemblement, organisé sur un terrain public ou privé, qui doit donner lieu à la diffusion de musique amplifiée, réunir de manière prévisible au moins 500 personnes et être annoncé par voie de presse, d'affichage, de diffusion de tracts ou par tout moyen de communication ou de télécommunication. En outre, l'article 1er du décret indique que "le rassemblement est susceptible de présenter des risques pour la sécurité des participants, en raison de l'absence d'aménagement ou de la configuration des lieux", expliquant le régime particulier qui a été organisé. Ce sont ainsi les articles L. 211-5 (N° Lexbase : L5206ISM) à L. 211-8 du Code la sécurité intérieure qui instaurent un régime déclaratoire obligeant les organisateurs à indiquer quelles sont les mesures envisagées pour garantir la sécurité, la salubrité, l'hygiène et la tranquillité publiques. Si le préfet estime les mesures insuffisantes, une concertation est organisée, "destinée notamment à adapter lesdites mesures et, le cas échéant, à rechercher un terrain ou un local plus approprié". Une mesure d'interdiction peut être prononcée en cas de troubles graves à l'ordre public ou si "en dépit d'une mise en demeure préalable adressée à l'organisateur, les mesures prises par celui-ci pour assurer le bon déroulement du rassemblement sont insuffisantes" (C. secu. int., art. L. 211-7 N° Lexbase : L5208ISP).

Nonobstant ces différentes hypothèses concernant les spectacles et les rassemblements festifs, c'est le principe de liberté qui s'applique à la possibilité de tenir et de participer à des réunions publiques. Elles ne sont plus soumises à un régime déclaratoire depuis la loi de 1907, à la condition de ne pas se tenir sur la voie publique et de ne pas, sauf exceptions, se prolonger au-delà de onze heures du soir (loi du 30 juin 1881, art. 6). Toutefois, l'exercice de cette liberté s'accompagne du respect de certaines prescriptions (obligation de la tenue d'un bureau et obligation de laisser une place à disposition du fonctionnaire de l'ordre administratif ou judiciaire qui peut être délégué -articles 8 et 9 de la loi-, prescriptions dont le non-respect et punie de peines de simples polices -article 10).

Au-delà de ces prescriptions relatives à la tenue des réunions, celles-ci peuvent faire l'objet de certaines modulations sur le fondement de l'invocation de troubles à l'ordre public qui peuvent motiver les décisions éventuelles de limitation ou d'interdiction de l'autorité de police. L'article L. 2212-2 (N° Lexbase : L3470ICI) du Code général des collectivités territoriales dispose ainsi que "la police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : [...] 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics".

Il faut enfin mentionner le cas spécifique des réunions électorales qui font l'objet d'un régime d'aménagement lié notamment aux règles tendant à garantir le pluralisme des courants d'opinion. La réunion électorale est définie à l'article 5 de la loi du 30 juin 1881. C'est celle qui a pour but "le choix ou l'audition de candidats à des fonctions publiques électives, et à laquelle ne peuvent assister que les électeurs de la circonscription, les candidats, les membres des deux chambres et le mandataire de chacun des candidats". Comme toute réunion publique envisagée par la loi du 30 juin 1881, elles ne font pas l'objet d'une déclaration préalable, et doivent se tenir dans un local clos, tenir un bureau et laisser une place au délégué de l'autorité publique. Les locaux scolaires en dehors de leur utilisation habituelle peuvent accueillir des réunions électorales pendant la période de campagne électorale. Quelques règles particulières sont inscrites dans le Code électoral qui prévoit, par exemple, dans son article L. 52-1 (N° Lexbase : L9941IPU), que l'annonce d'une réunion électorale par voie de presse écrite, parlée ou audiovisuelle dans les trois mois précédant l'élection est interdite. Elle ne peut, par ailleurs, et en principe, se faire que sur les emplacements réservés à l'affichage électoral (C. élect., art. L. 51 N° Lexbase : L9942IPW).

Peuvent enfin être considérées comme des réunions publiques d'un genre particulier les manifestations qui se tiennent sur la voie publique autres que celles qui ont un caractère festif, sportif ou culturel. L'article L. 211-1 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L5202ISH) dispose que "sont soumis à l'obligation d'une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d'une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique". La déclaration doit être faite dans un certain délai (trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date de la manifestation, voir l'article L. 211-2 du Code de la sécurité intérieure N° Lexbase : L5203ISI) et indiquer, outre les coordonnées des organisateurs, le but, le lieu, la date et l'heure de la manifestation, et, s'il y a lieu, l'itinéraire projeté (même article). Comme dans le cas de tout régime déclaratoire, il s'agit de permettre à l'autorité publique de s'assurer du bon respect des lois et de l'absence de troubles à l'ordre public. L'autorité compétente doit donc aussitôt délivrer récépissé de la déclaration qui permet que la manifestation se tienne, mais elle peut aussi, en vertu de l'article L. 211-4 (N° Lexbase : L5205ISL), interdire la manifestation par un arrêté qu'elle notifie aux signataires de la déclaration. Le régime déclaratoire permet aussi de prendre les mesures nécessaires au bon déroulement de la manifestation. En-deçà de l'interdiction de l'interdiction même de la manifestation, l'autorité publique peut, "si les circonstances font craindre des troubles graves à l'ordre public [...] interdire, pendant les vingt-quatre heures qui la précèdent et jusqu'à dispersion, le port et le transport, sans motif légitime, d'objets pouvant constituer une arme au sens de l'article 132-75 du Code pénal" (article L. 211-3 Code de la sécurité intérieure N° Lexbase : L5204ISK, en considérant que "l'aire géographique où s'applique cette interdiction se limite aux lieux de la manifestation, aux lieux avoisinants et à leur accès, son étendue devant demeurer proportionnée aux nécessités que font apparaître les circonstances").

Le régime général des manifestations sur la voie publique n'est pas exclusif de celui sur les "attroupements", considérés comme "tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public" (C. pén., art. 431-1 N° Lexbase : L7626IP7). Par définition, un attroupement n'est pas considéré comme légal et n'est pas soumis à un régime particulier pour son organisation puisqu'il autorise au contraire des mesures de police spécifique visant à y mettre fin, surtout s'il est avéré que des individus y participant sont porteurs d'une arme. D'ailleurs, la "provocation directe à un attroupement armé, manifestée soit par des cris ou discours publics, soit par des écrits affichés ou distribués, soit par tout autre moyen de transmission de l'écrit, de la parole ou de l'image, est punis d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende" (C. pén., art. 431-6 N° Lexbase : L1801AMN), la peine étant portée à sept ans et à 100 000 euros d'amende dans le cas où la provocation est suivie d'effet.

En fonction des lieux pourtant, ce qui peut être considéré comme un simple groupement ici (réunion de quelques petites dizaines de personnes dans une grande agglomération), sera considéré comme un attroupement, éventuellement dangereux, là (petite commune). La notion d'attroupement pénalisé n'est ainsi pas applicable à tout rassemblement sur la voie publique qui n'aurait pas fait l'objet d'une déclaration, dès lors qu'il n'y a pas de trouble à l'ordre public. Et si trouble il y a, celui-ci doit être suffisamment grave : une simple gêne de la circulation, alors que le rassemblement est calme et pacifique, peut ne constituer qu'une simple contravention (18).

II - Une limitation des entraves à l'exercice de la liberté de réunion dans le but de ne pas priver ou dénaturer l'exercice de la liberté de réunion pacifique

La question s'apprécie dans plusieurs sens relativement distincts mais, semble-t-il, destinés à maintenir le caractère pacifique de la liberté de réunion et de manifestation qui fait l'objet d'une protection juridique. D'une part, il s'agit de permettre aux autorités publiques de limiter l'exercice de la liberté de réunion et de manifestation qui occasionnerait des troubles à l'ordre public, tout en limitant les mesures restrictives à une stricte nécessité. D'autre part, il s'agit de sanctionner les entraves des particuliers à la liberté de réunion. Enfin, il s'agit de faire que l'exercice de la liberté de réunion ne soit entravé par des actions individuelles ou collectives, comme il s'agit de sanctionner les infractions qui seraient occasionnées par l'exercice de la liberté de réunion afin de ne pas dénaturer la protection qui lui est accordée.

Les interdictions et dissolutions prononcées par l'autorité publique

Le juge est régulièrement confronté à des cas d'intervention de l'autorité publique dans l'exercice de la liberté de réunion et de manifestation. Des exigences quant aux conditions dans lesquelles la réunion est susceptible de se tenir, à la dissolution de la réunion ou à son interdiction pure et simple, l'autorité publique peut poser des obstacles à l'exercice de la liberté de réunion, considérés selon les hypothèses comme justifiés ou injustifiés.

En matière de réunion publique, la jurisprudence s'est dans l'ensemble montré plutôt libérale, en examinant avec suspicion les cas d'interdiction. Ainsi, avec l'arrêt "Benjamin" du 19 mai 1933, le Conseil d'Etat pose que l'exercice du droit de réunion est libre, y compris lorsqu'il s'agit de réunions publiques, et que l'autorité de police ne saurait prononcer de mesures d'interdiction en invoquant un trouble à l'ordre public qu'un encadrement par les forces de police à disposition ne permettraient pas de faire cesser ou d'empêcher (même chose avec l'arrêt "Bujadoux" déjà cité). L'idée est que, comme pour toutes les libertés dont l'exercice est libre, le juge estime, en effectuant un contrôle de proportionnalité, qu'une mesure restrictive n'est justifiée sur le fondement de l'ordre public que si aucune autre mesure moins sévère n'est susceptible d'empêcher ou de faire cesser le trouble. A la suite de l'arrêt "Benjamin", le Conseil d'Etat estima d'ailleurs que le maire de la ville de Nevers qui avait interdit la conférence de M. Benjamin avait commis une faute lourde engageant la responsabilité de la ville (19). Conformément à cette jurisprudence, le fait que plusieurs réunions, mêmes privées, susceptibles de constituer un trouble à l'ordre public se trouvent organisées en différents points d'un territoire qui nécessiteraient la mobilisation d'un contingent de forces de police plus important que celui existant, justifie des mesures d'interdictions (20). En revanche, les mesures ponctuelles d'interdiction ne peuvent jamais conduire légalement à une interdiction qui serait, de fait, générale et absolue. Le tribunal administratif d'Orléans, par une ordonnance du 3 octobre 1985, a ainsi sursis à l'exécution de la décision du maire de Dreux qui avait interdit toute installation de stand fixe de caractère politique ou parapolitique pendant toute la durée de la foire de Dreux, soit pendant cinq jours (21). Dans le même esprit mais portant sur une question politique et particulièrement sensible, la Cour européenne des droits de l'Homme elle-même, dans sa décision du 20 février 2003 "Djavit An c. Turquie" (22), a condamné le Gouvernement turc pour avoir systématiquement empêché que les chypriotes turcs rencontrent ceux de la partie grecque.

D'une manière générale, la mesure faite par le juge dépend des circonstances et du climat idéologique et politique du moment, mais c'est bien en vertu de ce que le trouble est anormal ou exceptionnel qu'une mesure restrictive peut être justifiée. Rappelons que le refus des communes de mettre à disposition, selon les modalités qu'elles définissent, les locaux sollicités par des groupements pour tenir des réunions publiques, s'il n'est pas légalement fondé sur des motifs d'ordre public, peut être, en quelque sorte, assimilé à une mesure restrictive de l'exercice de la liberté de réunion. La Cour européenne, encore une fois, a conclu que l'évacuation des sans-papiers d'une église pouvait constituer une ingérence à la liberté de réunion et de manifestation justifiée par des objectifs d'ordre public (23). D'une manière générale, la loi du 30 juin 1881 prévoit que le représentant de l'autorité publique peut prononcer la dissolution d'une réunion "s'il en est requis par le bureau, ou s'il se produit des collisions et voies de fait".

Le Code pénal prévoit encore le cas des attroupements illicites qui font l'objet de dispositions spécifiques. En vertu de l'ordonnance du 12 mars 2012, "un attroupement peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser restées sans effet" (C. pén., art. 431-3, alinéa 2 N° Lexbase : L4960ISI). Les conditions dans lesquelles sont adressées les sommations de se disperser sont déterminées à l'article L. 211-9 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L5210ISR) qui visent principalement les autorités habilitées à le faire mais qui permet aussi que "les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire directement sage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent".

La sanction des entraves des particuliers à l'exercice de la liberté de réunion et de manifestation

Elle concerne la liberté de réunion ou de manifestation en général, mais il existe aussi certaines dispositions spécifiques à propos de la liberté de réunion syndicale. Le Code du travail prévoit par exemple un délit d'entrave par l'employeur découlant de l'article L. 2315-6 (N° Lexbase : L2678H93) qui indique que l'employeur "met à la disposition des délégués du personnel le local nécessaire pour leur permettre d'accomplir leur mission et, notamment, de se réunir". C'est la non mise à disposition qui constitue ainsi un délit d'entrave (24).

L'article 431-1 du Code pénal sanctionne ainsi le fait d'entraver, "d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation [...] est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende". Le deuxième alinéa monte les peines à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende dans le cas où l'entrave a été constituée "à l'aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations". Le fait de troubler quelques instants la réunion du conseil municipal ne constitue pas une entrave au sens de l'article 431-1 du Code pénal (25). En revanche, à l'occasion de la conférence publique d'un député européen organisée par l'Université de Strasbourg, le fait pour un groupe d'étudiants, dont il est avéré que leur comportement était concerté, de se livrer à des voies de fait et des violences qui ont dégénéré en une échauffourée (les étudiants en question étaient montés sur les tables en criant des menaces et des slogans empêchant le conférencier de prendre la parole, ils avaient jeté des oeufs, provoqué des bagarres et une bousculade générale) constitue bien un délit d'entrave au sens de l'article 431-1 du Code pénal (26).

Les infractions ou autres mesures négatives occasionnées par l'exercice (ou l'invocation de l'exercice) de la liberté de réunion

En principe, la participation à une réunion ou une manifestation pacifique n'est pas susceptible d'être sanctionnée. C'est ce que relève notamment la Chambre civile de la Cour de cassation à propos de la sanction disciplinaire contre un avocat qui avait participé à une manifestation autorisée contre la loi "sécurité et liberté" (loi n° 81-82 du 2 février 1981, renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes N° Lexbase : L8215HI4) en sa qualité de responsable d'un syndicat d'avocat. Toutefois, la Chambre civile rappelle que des excès avaient été commis lors de cette réunion, notamment par l'inscription d'expressions injurieuses sur tous les murs du palais de justice, visant le corps des magistrats, ainsi qu'un conseiller à la cour d'appel nommément désigné et une personnalité du département exerçant la profession d'avocat, et que l'avocat sanctionné n'avait à aucun moment exprimé sa désapprobation de ces excès, ni abandonné le cortège pour se désolidariser de ces actes délictueux (27).

D'une manière générale, l'exercice de la liberté de réunion et de manifestation qui ne respecterait pas les règles propres au régime de cette liberté entraîne des sanctions de nature pénale, de la simple contravention au délit. Leur gradation est organisée par les différents textes législatifs et réglementaires.

S'agissant de la liberté de réunion, lorsqu'il existe des prescriptions spécifiques non liées à un régime déclaratoire, elles sont en général sanctionnées par de simples contraventions. En revanche, le Code pénal réunit les articles 431-9 à 431-12 sous une section intitulée "Des manifestations illicites et de la participation délictueuse à une manifestation ou à une réunion publique". S'agissant, ainsi, du non-respect des règles relatives aux manifestations sur la voie publique, les sanctions sont plus sévères et ce sont des peines délictuelles qui sont encourues par les organisateurs. Ainsi, "est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende le fait : 1° d'avoir organisé une manifestation sur la voie publique n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration préalable dans les conditions fixées par la loi ; 2° d'avoir organisé une manifestation sur la voie publique ayant été interdite dans les conditions fixées par la loi ; 3° d'avoir établi une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l'objet ou les conditions de la manifestation projetée". Le contentieux vise souvent des cas où, bien que la manifestation a été interdite ou limitée, ses organisateurs n'ont pas fait en sorte que la manifestation ne se tienne pas (28) ou se tienne dans les conditions fixées par l'autorité publique (29). S'agissant des rave-parties, les forces de l'ordre peuvent aussi saisir administrativement et provisoirement (six mois au maximum) les matériels utilisés, notamment les appareils de sonorisation (décret n° 2002-887 du 2 mai 2002, art. 9).

Les peines montent encore d'un cran lorsque l'article 431-4 du Code pénal prévoit que "le fait, pour celui qui n'est pas porteur d'une arme, de continuer volontairement à participer à un attroupement après les sommations est puni d'un an emprisonnement et de 15 000 euros d'amende", la dissimulation du visage étant une circonstance aggravante susceptible de multiplier la peine par trois depuis la loi n° 2010-201 du 2 mars 2010 (N° Lexbase : L6036IGN). La même proportion ne s'applique pas si la participation à un attroupement se faisant avec une arme, punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende (C. pén., art. 431-5 N° Lexbase : L6116IGM), la personne se dissimule aussi le visage (peines de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende).

Il faut enfin signaler l'existence de l'article 225-16-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2385AMB), issu de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998, relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs (N° Lexbase : L8570AIA), et qui a pour objet de réprimer les actions de bizutage : "hors les cas de violences, de menaces ou d'atteintes sexuelles, le fait pour une personne d'amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaires et socio-éducatif est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende".

L'exercice de la liberté de réunion et de manifestation est également susceptible d'occasionner la commission d'infractions qui ne sont pas, en tant que telles, un non-respect des règles spécifiques au régime de la liberté de réunion. Il s'agit, en quelque sorte, d'infractions susceptibles d'être commises à l'occasion de réunions ou de manifestations publiques mais qui peuvent aussi être commises en dehors de ce cadre. L'exercice de la liberté de réunion et de manifestation est souvent délicat dès lors que ses modalités dépendent le plus souvent des comportements de l'ensemble des individus participants. Mais, au-delà, la réunion et la manifestation sont souvent assimilées à des moyens de pression collective qui conduisent à commettre des infractions. C'est le cas évidemment du "fait, en vue d'entraver ou de gêner la circulation, de placer ou tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d'employer, ou de tenter d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle", qui est puni de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende. Cette disposition a fait l'objet d'un contentieux qui a conduit la France devant la Cour européenne des droits de l'Homme. En effet, un blocage de la circulation sur une autoroute par des véhicules poids-lourds avait conduit à une condamnation, sur le fondement de ce que les prévenus, informés par les policiers de l'illégalité de leur comportement, avaient délibérément fait obstacle au passage des véhicules (30).

La Cour européenne, dans son arrêt "Barraco c/ France" du 5 mars 2009 (31), a considéré qu'"il ne prête pas à controverse entre les parties que la condamnation du requérant constitue bien une ingérence des autorités publiques dans son droit à la liberté de réunion pacifique, qui englobe la liberté de manifestation. Cette ingérence avait une base légale, à savoir l'article L. 412-1 du Code de la route, relatif au délit d'entrave à la circulation publique, et tel qu'interprété par les tribunaux nationaux, à la lumière de la jurisprudence des hautes juridictions. Elle était ainsi "prévue par la loi" au sens de l'article 11 § 2 de la Convention. Reste la question de savoir si l'ingérence poursuivait un ou plusieurs buts légitimes et était nécessaire dans une société démocratique" (point n° 39). Au point n° 46, la Cour relève "que le requérant n'a pas été condamné pour avoir participé à la manifestation du 25 novembre 2002 en tant que telle, mais en raison d'un comportement précis adopté lors de la manifestation, à savoir le blocage d'une autoroute, causant par là même une obstruction plus importante que n'en comporte généralement l'exercice du droit de réunion pacifique". Constatant qu'un blocage complet avait été provoqué à plusieurs reprises, la Cour conclut finalement que, "dans ces conditions, mettant en balance l'intérêt général à la défense de l'ordre et l'intérêt du requérant et des autres manifestants à choisir cette forme particulière de manifestation, et compte tenu du pouvoir d'appréciation reconnu aux Etats en cette matière, la condamnation pénale du requérant n'apparaît pas disproportionnée aux buts poursuivis" (point n° 48). Dans un autre ordre d'idée, le Conseil d'Etat a pu conclure que les déversements de plusieurs centaines de tonnes de pommes de terre effectués à l'occasion d'une manifestation agricole dans les rues de l'agglomération et rendant impossible toute circulation automobile constituait bien une entrave au sens de l'article L. 412-1 du Code de la route (N° Lexbase : L1633DKP) (32).


(1) Cons. const., décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995 (N° Lexbase : A8320AC7).
(2) CEDH, 26 avril 1991, Req. 21/1990/212/274 (N° Lexbase : A6371AWU).
(3) CA Paris, 5 juillet 2001.
(4) CE référé, 27 mai 2005, n° 280866, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5044DIN).
(5) CE 5° et 7° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 237649, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2452C9P), à propos d'une manifestation de soutien aux membres de l'ETA emprisonnés en France et en Espagne.
(6) CE référé, 2 mai 2008, n° 315724, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0144EAL) à propos de la dissolution de l'"Association nouvelle des Boulogne Boys".
(7) CE référé, 3 mai 2005, n° 279999, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1783DIU).
(8) CE, 15 octobre 1969, n° 73563, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0676B8K).
(9) CAA Lyon, 6ème ch., 30 mai 2006, n° 01LY01853 (N° Lexbase : A5958DQQ).
(10) CE 3° et 5° s-s-r., 21 mars 1990, n° 76765, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5544AQE).
(11) CE, 19 août 2002, n° 249666 (N° Lexbase : A2256AZL).
(12) Voir aussi, à propos de la même association, CE référé, 30 mars 2007, n° 304053, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8164DUW).
(13) CE référé, 26 août 2011, n° 352106, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7595HXL).
(14) CE référé, 7 mars 2011, n° 347171, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3278G48).
(15) CE, 19 mai 1933, n° 17413, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3106B8K).
(16) CE, 5 février 1937.
(17) Publiée au JORF du 22 janvier 2013, p. 865.
(18) Voir l'ancienne jurisprudence, Cass. crim., 24 novembre 1899.
(19) CE, S., 3 avril 1936, Syndicat d'initiative de Nevers et Benjamin.
(20) CE Ass., 23 décembre 1936, Bucard.
(21) TA Orléans, 3 octobre 1985.
(22) CEDH, 20 février 2003, Req. 20652/92 (N° Lexbase : A7760KP4).
(23) CEDH, 9 avril 2002, Req. 51346/99 (N° Lexbase : A4984AYA).
(24) Cass. crim., 7 janvier 1981, n° 79-94.255 (N° Lexbase : A6267AAD).
(25) Cass. crim., 11 juin 2013, n° 12-85.104, FS-P+B (N° Lexbase : A5765KGM).
(26) Cass. crim., 22 juin 1999, n° 98-81.831 (N° Lexbase : A5834CIW).
(27) Cass. civ. 1, 19 juin 1985, n° 84-10.104 (N° Lexbase : A4508AA9).
(28) Cass. crim., 2 avril 1998, n° 97-81.805 (N° Lexbase : A3020ACT).
(29) Cass. crim., 26 octobre 1965, n° 64-92.241, publié au bulletin (N° Lexbase : A1047CKY).
(30) Cass. crim., 8 mars 2005, n° 04-83.979, F-P+F (N° Lexbase : A7646DHN).
(31) CEDH, 5 mars 2009, Req. 31684/05 (N° Lexbase : A5604EDW).
(32) CE 3° et 5° s-s-r., 18 novembre 1998, n° 173183, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9091ASI).

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Procédure civile

[Chronique] Chronique de procédure civile - Novembre 2013

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N9423BT8

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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France

Le 27 Novembre 2013

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II, membre de l'Institut universitaire de France. Dans la première partie de sa chronique, l'auteur revient en détail sur le rapport d'information sur la justice de première instance, remis par Mme Virginie Klès et M. Yves Détraigne, au nom de la commission des lois du Sénat. L'auteur s'arrête ensuite sur quelques décisions importantes, rendues au cours du mois d'octobre 2013, à propos de l'autorité de la chose jugée (Cass. civ. 2, 17 octobre 2013, n° 12-26.178 et n° 12-23.074, F-P+B) et sur la preuve civile (Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, n° 12-22.335, F-D). I - Le tribunal de première instance : une révolution juridictionnelle empreinte de réalisme (rapport d'information sur la justice de première instance, remis par Mme Virginie Klès et M. Yves Détraigne au nom de la commission des lois du Sénat, n° 54, 9 octobre 2013)

Que l'on soit professionnel du droit ou justiciable, il est difficile de nier la complexité de l'organisation juridictionnelle française. Le choix de la juridiction compétente, l'éclatement des procédures et la diversité des modes de saisine des juridictions, sont autant d'obstacle à l'accès au juge. Dans la perspective de simplifier l'organisation juridictionnelle et procédurale, les pouvoirs publics ont ouvert une réflexion assez large sur la justice et un chantier de réformes associées. Le rapport sénatorial sur la justice de première instance s'inscrit dans ce mouvement et propose à la fois la création d'un greffe universel, plusieurs regroupements juridictionnels et la création d'un tribunal de première instance. Ce rapport est porté par l'idée de faciliter l'accès à la justice en simplifiant l'organisation des juridictions judiciaires et en réduisant les difficultés liées à la saisine de la juridiction compétente.

Le rapport souligne avec justesse le double enjeu d'une réforme juridictionnelle. D'un côté, la justice doit répondre à un impératif d'efficacité lié à une logique gestionnaire de la justice. D'un autre côté, il est nécessaire d'accroître la proximité entre l'institution judiciaire et le justiciable. Ainsi, le rapport ne préconise pas une modification de l'implantation territoriale des juridictions judiciaires. En revanche, il suggère une profonde réorganisation.

Un projet qui s'inscrit dans une évolution historique. L'idée d'un tribunal de première instance n'est pas neuve. Elle est discutée depuis le début du 20ème siècle et a fait l'objet de propositions concrètes (1). Récemment, les pouvoirs publics s'en sont emparés. Ainsi, le 2 octobre 2012, devant les sénateurs, le Garde des Sceaux a annoncé une réforme juridictionnelle visant à simplifier l'organisation des juridictions. Dans son discours, Christine Taubira envisageait déjà la création d'un tribunal de première instance. Quelques semaines plus tard, l'enjeu de la réforme s'est précisé, lorsque le Parlement a souhaité reporter jusqu'en 2015 la suppression des juridictions de proximité (2). Le maintien de la juridiction de proximité pouvait paraître anecdotique, mais il entrait dans un projet de réforme plus vaste précisé par le Président de la République lors de l'audience de rentrée de la Cour de cassation, le 18 janvier 2013. Le Président affirmait alors : "une juridiction de première instance sera donc instituée. Elle regroupera tous les contentieux du quotidien". Par ailleurs, au cours de l'année 2013, les travaux sur l'organisation de la justice ont été étendus à un vaste projet intitulé "édification de la Justice du 21ème siècle", et présenté par le Garde des Sceaux lors d'une conférence de presse le 29 octobre 2013.

Dans un tel contexte, le rapport sénatorial constitue la première étape de ce chantier de réformes à venir et brosse un portrait assez complet de l'harmonisation des juridictions de première instance.

1. Les enjeux d'une réorganisation juridictionnelle

La création d'une "porte d'entrée unique pour la justice"

Le rapport met en évidence la nécessité de créer tout à la fois un guichet unique du greffe et la fusion de juridictions éclatées au sein d'une institution unique. Ainsi, les maisons de la justice et du droit orientent les justiciables vers les greffes des différentes juridictions, mais elles ne constituent pas cette porte d'entrée unique dans l'institution judiciaire. Cette question est essentielle dans le rapport. Le justiciable qui souhaite saisir la juridiction compétente doit se rendre au greffe de cette juridiction, lequel peut être éloigné de son lieu de résidence. L'implantation locale de certaines juridictions ne contribue pas à la proximité, dans la mesure où elle ne pallie pas l'éloignement d'autres juridictions. Le réseau de tribunaux sur le territoire ne joue pas son rôle. L'ambition du rapport porte donc tout à la fois sur la fusion de certaines juridictions et sur la mise en place d'un accès unique à la justice par l'intermédiaire d'un greffe universel.

La physionomie du tribunal de première instance

La création du tribunal de première instance est l'innovation majeure du projet porté par les pouvoirs publics. Elle inverse le mouvement de diversification qui avait été amorcé notamment par la création des juridictions de proximité, et par l'accroissement de leurs compétences. Des critiques importantes ont été émises à l'égard de ces juridictions et le rapport "Guinchard" a proposé leur suppression. C'est la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 (N° Lexbase : L3703IRL) qui a consacré cette disparition (3), avant que la loi n° 2012-1441 du 24 décembre 2012 (N° Lexbase : L7546IUZ) reporte cette disparition jusqu'en 2015 dans la perspective d'une réflexion plus globale. La simplification de l'organisation juridictionnelle constitue ainsi une voie nouvelle qui échappe aux clivages politiques. Toutefois, la création d'un tribunal de première instance, qui symbolise cette simplification, fait face à un certain nombre d'obstacles majeurs. Le rapport sénatorial envisage ainsi plusieurs scenarii, partant d'une hypothèse a minima et allant jusqu'à une fusion généralisée.

L'harmonisation a minima concerne la fusion des TGI, TI et des juridictions dites "non autonomes" qui en dépendent (juge des enfants, tribunal paritaire des baux ruraux, etc.).

L'harmonisation plus ambitieuse concerne également la catégorie des juridictions dites "sociales", qui regroupe le conseil des prud'hommes et le tribunal de commerce. Cette harmonisation globale a rencontré d'importantes oppositions au cours des auditions. Il paraît prévisible que la fusion de toutes les juridictions au sein d'une institution unique posera des problèmes qui dépasseront le strict cadre procédural. Qu'il s'agisse du monde syndical, ou de celui des commerçants, les corps intermédiaires expriment un attachement fondamental à leurs juridictions. La présence de juge non professionnel et attachés à une communauté (celle des salariés, des employeurs, des commerçants) est conçue comme un signe de grande proximité entre les justiciables et les hommes chargés de les juger. Le rapport souligne ainsi les difficultés de toutes natures suscitées par l'intégration du tribunal de commerce et du conseil des prud'hommes au sein du tribunal de première instance. Même l'hypothèse de la création de chambres spécialisées (commerciales, prud'homales) au sein du tribunal de première instance a rencontré une très grande hostilité auprès des personnes concernées (4). L'attachement à l'autonomie des juridictions commerciales et prud'homales est grand, et il repose sur une tradition ancienne. Dans une telle perspective, les préconisations du rapport sont empreintes de réalisme et tiennent compte de cette opposition.

L'harmonisation des procédures

La question est seulement effleurée par le rapport, mais elle est essentielle. La réunion des contentieux devant la même juridiction rendra nécessaire une harmonisation des procédures. A l'heure actuelle, la tendance procédurale est plutôt à l'éclatement. Au-delà de la division majeure entre procédure écrite et orale, la diversité procédurale est très marquée devant les juridictions judiciaires. Elle concerne les modes de saisine, la représentation, les procédures amiables, les pouvoirs d'instruction des juges, etc. A titre d'exemple, l'instance prud'homale présente de tels particularismes que son étude relève plus des spécialistes de droit du travail, que des processualistes. Le rapport n'envisage aucune solution concrète du point de vue de la mise en oeuvre des règles de procédure. Pourtant, il faudra faire coexister des procédures simplifiées et principalement orales avec d'autres procédures complexes et écrites. Le critère de cette dichotomie procédurale reste à déterminer, puisqu'il ne pourra plus reposer sur le choix de la juridiction saisie (TI ou TGI par exemple).

2. Les étapes de l'harmonisation juridictionnelle

Le rapport envisage une réforme en plusieurs étapes.

La première consiste dans la création d'un guichet universel de greffe. L'idée développée ici est intéressante. Il s'agit de créer, au sein de chaque implantation judiciaire, un greffe permettant d'avoir accès à toutes les juridictions. Le tribunal ou l'antenne judiciaire de proximité devrait alors permettre au justiciable de saisir n'importe quelle juridiction compétente et de suivre l'évolution de la procédure. L'idée n'est pas nouvelle, puisqu'elle avait déjà été formulée dans le rapport "Casorla" (5) et dans le rapport "Guinchard". Elle rendrait plus aisé le contact entre le justiciable et l'institution judiciaire. Elle nécessiterait également la mise en place d'outils techniques permettant de connecter les juridictions entre elles (application dite "Portalis"). C'est la priorité définie par le rapport sénatorial. Elle ne repose pas sur une unification juridictionnelle, mais simplement sur la création d'un mécanisme de communication entre les juridictions par l'intermédiaire du greffe.

La deuxième étape consisterait dans le rapprochement progressif entre certaines juridictions. Ainsi, le tribunal de police disparaîtrait au profit du tribunal correctionnel. De même, la suppression des juridictions de proximité serait confirmée tout en maintenant les juges de proximité. Enfin, les juridictions éparpillées qui traitent le contentieux de la sécurité sociale pourraient être regroupées au sein d'une même institution.

La troisième étape déboucherait sur la création d'un tribunal de première instance (TPI). Elle débuterait par la fusion entre le TGI et les TI de son ressort. Pour que cette fusion soit compatible avec l'impératif de proximité de la justice, l'organisation du TPI se diviserait entre le siège et les chambres détachées, qui seraient situées dans les implantations des anciens TI. Ces chambres détachées seraient en charge du contentieux de proximité actuellement dévolu au TI et à la juridiction de proximité.

La fusion des juridictions au sein du TPI est conçue, dans le rapport, comme une perspective à long terme. De plus, cette fusion n'engloberait pas toutes les juridictions de première instance. Le rapport préconise de conserver l'indépendance des juridictions commerciale et prud'homale, même s'il envisage de les inclure dans une réflexion à long terme. Les juridictions de la Sécurité sociale seraient fusionnées, mais elles conserveraient également leur indépendance.

En définitive, le rapport sénatorial propose tout à la fois une réflexion ambitieuse et réaliste. Cette démarche est convaincante. En effet, il est difficile d'imaginer qu'une révolution culturelle emporterait dans son sillage la disparition des juridictions aussi proches des justiciables que les tribunaux de commerce ou les conseils des prud'hommes. Le rapport ne préconise donc pas cette disparition. En revanche, on conçoit assez bien que les trois juridictions dont la compétence est par nature généraliste -le TGI, le TI et la juridiction de proximité- soient fusionnées dans une seule institution dotée d'une compétence de droit commun. On convient également que la création d'un greffe universel constituerait une avancée marquante pour le rapprochement des justiciables et de l'institution judiciaire. Le rapport présente néanmoins deux lacunes. D'une part, la question des procédures conduites devant le TPI n'a pas été évoquée sérieusement ; d'autre part, l'usage d'outils technologiques permettant de créer du lien entre la justice et le justiciable a été négligé dans cette réflexion qui se veut pourtant ambitieuse. Il est difficile d'imaginer qu'aujourd'hui, à l'heure de la généralisation de la communication électronique entre les auxiliaires et le palais de justice, ne soit pas évoqué, un projet plus ambitieux d'accès à la justice par l'utilisation des nouvelles technologies. C'est d'ailleurs pour cette raison que des sites marchands proposent aujourd'hui une prestation permettant de réaliser toutes les démarches en ligne en vue de saisir les juridictions qui admettent les modes de saisine simplifiés (6). La réorganisation des juridictions ne constitue donc pas le seul vecteur de la proximité.

II - Autorité de la chose jugée : la Cour de cassation précise son étendue (Cass. civ. 2, 17 octobre 2013, deux arrêts, n° 12-26.178 N° Lexbase : A1055KNE, n° 12-23.074 N° Lexbase : A1048KN7, F-P+B )

Deux arrêts rendus le 17 octobre 2013 viennent apporter des précisions utiles concernant l'étendue de l'autorité de la chose jugée.

Le premier arrêt (pourvoi n° 12-26.178) fait application de deux jurisprudences importantes rendues ces dernières années à propos de l'autorité de la chose jugée : celle sur les motifs décisifs et décisoires, et celle sur la concentration des moyens.

Dans cette espèce, un usufruitier avait ouvert, auprès d'un établissement bancaire, des comptes titres au nom de ses trois enfants, afin d'y déposer des sommes d'argent. Par la suite, les nus-propriétaires ont assigné la banque aux fins de voir prononcer la nullité des trois conventions de compte, conclues sans leur consentement. Ils ont également demandé la restitution des sommes placées. Un premier jugement a accueilli leurs demandes et a condamné la banque à restituer le capital initialement placé. La banque a restitué le capital dû, mais elle a déduit les intérêts qu'elle avait déjà versés aux titulaires des comptes durant les années de fonctionnement. En effet, les contrats ayant été annulés, ces intérêts devaient être restitués à la banque. Cette question n'avait pas été abordée au cours du premier procès, et la banque fut condamnée par le juge de l'exécution à exécuter le jugement tel qu'il avait été rendu. C'est dans ce contexte que la banque débuta une nouvelle procédure contre les nus-propriétaires, en restitution des intérêts perçus durant les années de fonctionnement du compte. La question se posait alors de savoir si l'action de la banque devait être déclarée irrecevable en vertu de l'autorité de la chose jugée.

La cour d'appel a déclaré l'action irrecevable en se fondant sur deux motifs distincts. D'une part, elle a affirmé que "l'autorité de la chose jugée s'étend non seulement aux énonciations formelles du jugement, mais aussi aux questions incidentes que le juge a dû nécessairement résoudre pour y parvenir". Elle a constaté qu'au cours de la première instance, les juridictions du fond avaient condamné la banque à restituer la somme de 171 657,59 euros, correspondant au capital initialement placé. Elle a ajouté que les motifs de ces décisions -"qui sont le soutien nécessaire du dispositif et viennent l'éclairer"- permettaient de constater que la banque n'avait pas contesté le montant des sommes dues. D'autre part, elle a fait référence au principe de concentration, en ajoutant que les parties doivent "présenter, dès l'instance initiale, l'ensemble des moyens qu'elles estiment de nature à fonder leur demande, soit à justifier de son rejet total ou partiel".

L'arrêt est cassé pour violation de la loi au visa des articles 1351 du Code civil (N° Lexbase : L1460ABP) et 480 (N° Lexbase : L6594H7D) du Code de procédure civile relatifs à l'autorité de la chose jugée. En effet, la cour d'appel a commis, dans cette affaire, deux erreurs.

La première a été d'ignorer l'arrêt d'Assemblée plénière rendu le 13 mars 2009 (7) relatif aux motifs décisifs et décisoires. La Haute juridiction a alors affirmé que "l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif". Par cet arrêt, elle a condamné la pratique des motifs qui tranche une partie du litige (motifs décisoires) ainsi que les motifs sans lesquels le dispositif ne peut être mis en oeuvre (motifs décisifs). Elle a affirmé clairement que l'étendue de l'autorité de la chose jugée est limitée au dispositif du jugement. Pourtant, la cour d'appel a conféré une autorité aux motifs du jugement "qui sont le soutien nécessaire du dispositif et viennent l'éclairer". Il s'agissait là de motifs décisifs, et la Cour de cassation n'a pas hésité à censurer cette motivation, en réaffirmant que "l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif".

La seconde erreur a été d'avoir déformé le principe de concentration des moyens. En effet, dans son arrêt "Cesaréo" (8), l'Assemblée plénière a affirmé qu'"il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci". Ce principe de concentration des moyens est aujourd'hui bien ancré dans la jurisprudence, bien qu'il fasse l'objet d'une application diversifiée entre les chambres de la Cour de cassation. Ainsi, la deuxième chambre civile limite-t-elle l'obligation de concentration aux moyens ; alors que la première chambre civile a tendance à étendre l'obligation de concentration à certaines demandes (9). Cette controverse jurisprudentielle désoriente les juridictions du fond. Dans l'affaire étudiée, la cour d'appel a reproché à l'établissement bancaire de n'avoir pas invoqué, lors du premier procès, être créancière des intérêts, qui devaient se compenser avec le capital dont elle était débitrice. Selon la cour d'appel, la banque aurait dû introduire ce moyen lors du premier procès.

C'est ici que la juridiction du fond a commis une erreur d'interprétation. L'allégation relative aux intérêts ne constituait pas un moyen nouveau, mais une demande nouvelle, et plus précisément, une demande reconventionnelle. La Cour de cassation requalifie ainsi l'allégation, en affirmant que la demande en restitution des intérêts formée par la banque n'avait pas été tranchée par l'arrêt. Il s'agissait bien d'une "demande" et non d'un "moyen". L'arrêt de cassation poursuit en affirmant que la banque "n'était pas tenue de présenter dès l'instance initiale une demande reconventionnelle en paiement des sommes qui lui seraient dues si l'annulation des conventions était prononcée". En cela, elle applique à la lettre l'article 4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1113H4Y) selon lequel "l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties". Cela signifie que les parties peuvent choisir de limiter l'objet du litige au cours d'un premier procès et d'exercer plus tard une nouvelle action sur la part du litige qui n'a pas été soumise, et n'a donc pas été jugée. C'est ce que décide finalement la Cour de cassation en affirmant que "la demande en restitution des intérêts formée par la banque n'avait pas été tranchée par l'arrêt de la cour d'appel qui n'avait été saisie que d'une demande principale en annulation de conventions et restitution de capital".

En définitive, cet arrêt de cassation est très classique. Il ne fait que reproduire des solutions affirmées avec constance depuis les deux décisions d'Assemblée plénière précitées. Mais la décision est intéressante, car elle montre que les contours de l'autorité de la chose jugée demeurent encore flous aux yeux de certaines juridictions du fond. Le principe a subi d'importantes mutations et il fait encore l'objet d'applications divergentes au sein de la Cour de cassation. On attend ainsi plus de stabilité, et peut-être un nouvel arrêt d'Assemblée plénière pour mettre fin à ces divergences.

Le deuxième arrêt portant sur l'autorité de la chose jugée soulève une question intéressante qui n'a, en apparence, jamais été tranchée (pourvoi n° 12-23.074). Il s'agit de savoir si la qualification du jugement (contradictoire, par défaut, etc.) est revêtue de l'autorité de la chose jugée. Dans cette espèce, une société a été condamnée par le tribunal de commerce au paiement de diverses sommes. Le tribunal a qualifié le jugement de "contradictoire", malgré le défaut de représentation de la société. Cette dernière a alors formé une requête en rectification d'erreur matérielle pour que le tribunal indique précisément qu'elle n'avait pas été représentée. La requête a abouti, mais le jugement rectificatif n'a pas modifié la nature contradictoire de la décision au fond. Par la suite, la société condamnée a saisi le juge de l'exécution pour faire déclarer le jugement au fond "non avenu" en application de l'article 478 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6592H7B). Cette disposition prévoit qu'un jugement est non avenu, lorsqu'il est réputé contradictoire ou rendu par défaut et qu'il n'a pas été notifié dans les six mois de sa date. L'article 478 ne semblait donc pas s'appliquer en l'espèce, puisque le jugement au fond était contradictoire. Mais la question se posait de savoir si la nature contradictoire du jugement -autrement dit sa qualification- possédait l'autorité de la chose jugée.

C'est précisément le débat qui a été porté devant la Cour de cassation. En effet, dans la procédure d'exécution, les juges d'appel avaient estimé que le caractère contradictoire du jugement était revêtu de l'autorité de la chose jugée. Ils en avaient déduit que "le juge de l'exécution [est] tenu par l'autorité de la chose jugée s'attachant en l'espèce à la qualification de sa décision". La Cour de cassation a cassé cette décision en affirmant que "la qualification par le juge de sa décision, peu important qu'elle ait fait l'objet d'une demande de rectification d'une erreur matérielle, n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée".

D'un côté, la solution paraît conforme à l'esprit de l'autorité de la chose jugée, qui concerne avant tout le fond du litige (la chose jugée) et non la manière dont il est tranché (la qualification du jugement). C'est pour cette raison que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'au dispositif. D'un autre côté, la solution paraît critiquable, en ce qu'elle affaiblit la décision d'une juridiction, en soumettant sa qualification à une incertitude permanente. Car si elle ne revêt pas l'autorité de la chose jugée, la qualification d'un jugement peut être indéfiniment remise en cause.

III - Preuve civile : l'acte notarié contesté par l'acte sous seing privé (Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, n° 12-22.335, F-D N° Lexbase : A1521KLW)

L'arrêt rendu le 11 septembre 2013 semble faire office de petit arrêt au regard de son classement par la Cour de cassation : rendu en formation restreinte et publié avec la mention "inédit" sur Legifrance. En ce sens, la solution qu'il pose n'est pas nouvelle. Pourtant, il présente l'intérêt de rappeler, non seulement la portée force probante de l'acte notarié, mais encore le rapport entre l'écrit notarié et l'écrit sous seing privé.

Traditionnellement, on présente le droit civil des actes juridiques comme reposant sur le système des preuves légales, qui donne à certains écrits une force probante particulière et qui établit une hiérarchie entre les preuves. Mais le système probatoire français est loin d'être aussi simple.

Dans l'arrêt commenté, une personne vivant en concubinage avait acquis à son nom un immeuble. Dans l'acte notarié d'acquisition, il était mentionné que l'immeuble avait été financé intégralement par l'acheteur. Toutefois, un autre acte avait été conclu entre les concubins. Il s'agissait d'un acte sous seing privé indiquant que le financement du prix de vente avait été assuré par moitié par chacun des concubins.

La preuve de l'origine des fonds utilisés pour financer l'acquisition par le concubin présentait une difficulté, puisque deux écrits s'opposaient, l'un authentique et l'autre sous seing privé. A ce titre, l'article 1319, alinéa 1er,  du Code civil (N° Lexbase : L1430ABL) du Code civil prévoit que l'acte authentique fait pleine foi de la convention qu'il renferme, et son alinéa 2 indique qu'il peut être attaqué par la voie de l'inscription de faux. En application de ce texte, la cour d'appel a pu juger que l'acte sous seing privé était "dépourvu de valeur probante pour contrarier les actes authentiques qui constituent le titre de propriété". Elle reconnaissait ainsi la force probante supérieure de l'acte authentique et l'impossibilité de le remettre en cause au moyen d'une preuve plus légère, l'acte sous seing privé.

Cette analyse est censurée par la Cour de cassation qui rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle "les énonciations faites par les parties dans un acte notarié et ne portant pas sur des faits personnellement constatés par l'officier public, peuvent faire l'objet de la preuve contraire sans qu'il soit nécessaire de recourir à la procédure d'inscription de faux" (10). La Cour de cassation établit ainsi une distinction entre les constatations personnelles du notaire, qui font pleine foi et ne peuvent être contestées que par une inscription de faux, et les constatations faites par les parties et simplement mentionnées dans l'acte authentique, qui peuvent faire l'objet d'une preuve contraire.

Les faits de l'espèce correspondaient à cette seconde hypothèse. L'acte authentique contenait une déclaration de l'acheteur, mais qui n'avait pas été vérifiée par le notaire. Il ne faisait foi que jusqu'à preuve contraire, cette preuve devant être rapportée par écrit (11). La Cour de cassation a alors pu reprocher aux juges du fond de n'avoir pas vérifié si l'acte sous seing privé conclu entre les concubins "ne rendaient pas vraisemblable l'inexactitude matérielle de l'énonciation relative à l'origine des fonds contenue dans l'acte authentique". Dans une telle situation, lorsque deux preuves littérales s'opposent, il convient d'appliquer l'article 1316, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1427ABH), selon lequel le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu'en soit le support.

Même s'il n'innove pas, l'arrêt est intéressant en ce qu'il rappelle, d'une part que l'acte authentique n'a pas toujours la force probante la plus élevée. Cette force peut varier selon l'objet de la preuve et les circonstances de réalisation de l'acte. D'autre part, l'arrêt montre qu'un acte sous seing privé peut contredire un acte authentique, donnant au juge une grande liberté pour apprécier la preuve la plus vraisemblable.


(1) Cf. sur ces discussions, S. Guinchard, L'ambition raisonnée d'une justice apaisée, rapport au Garde des Sceaux, 2008.
(2) Cf. par ex. notre commentaire, La recherche de l'efficacité procédurale, moteur de la modernisation de la procédure civile - A propos des ajustements procéduraux de l'année 2012, JCP éd. G, 2013, 95
(3) Cf. notre chronique de procédure civile de février 2012 (N° Lexbase : N0453BTX).
(4) Juges au tribunal de commerce et conseillers prud'homaux.
(5) F. Casorla (président), rapport au Garde des Sceaux du groupe d'étude et de réflexion sur l'amélioration de l'accès à la justice par la mise en place d'un guichet unique de greffe et la simplification des juridictions de première instance, 1997.
(6) Cf. E. Bonnet, Internet, les avocats et le marché du droit : la nouvelle donne, JCP éd. G, 2013, 822.
(7) Ass. plén., 13 mars 2009, n° 08-16.033 (N° Lexbase : A8023EDI).
(8) Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672, P+B+R+I (N° Lexbase : A4261DQU).
(9) Par ex. Cass. civ. 1, 28 mai 2008, n° 07-13.266, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7685D87) à propos des "demandes fondées sur la même cause".
(10) En ce sens déjà, Cass. civ. 1, 13 mai 1986, n° 84-17.246 (N° Lexbase : A4837AAE), Bull. civ. I, n° 122
(11) Selon les énonciations de l'article 1341 du Code civil (N° Lexbase : L1451ABD).

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Rel. collectives de travail

[Brèves] Précision sur l'appréciation de la représentativité d'un syndicat catégoriel

Réf. : Cass. soc., 14 novembre 2013, n° 13-12.659, FS-P+B (N° Lexbase : A6072KPL)

Lecture: 2 min

N9433BTK

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Le 22 Novembre 2013

Doit être considéré comme catégoriel le CFE-CGC métiers de l'emploi dont les statuts ne l'autorisent à représenter que les salariés techniciens, agents de maîtrise, cadres et cadres dirigeants des établissements de Pôle emploi et de l'UNEDIC, la mention "quel que soit leur statut" se référant uniquement au statut public ou privé des agents, peu important le contenu des tracts diffusés pendant la campagne électorale par le syndicat. Dès lors que le syndicat n'a présenté des candidats que dans les deuxième et troisième collèges, le fait que l'accord préélectoral rattache certaines catégories de techniciens au premier collège n'a pas d'incidence sur le droit, pour ce syndicat, à ce que le calcul des suffrages électoraux permettant de déterminer sa représentativité ne tienne compte que des résultats obtenus au sein des deuxième et troisième collèges. Telle est la solution rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 14 novembre 2013 (Cass. soc., 14 novembre 2013, n° 13-12.659, FS-P+B N° Lexbase : A6072KPL).
Dans cette affaire, le syndicat des techniciens, agents de maîtrise et cadres dirigeants de Pôle emploi, de l'UNEDIC et de la délégation UNEDIC AGS, dit CFE-CGC métiers de l'emploi (le syndicat) a constitué une section au sein de l'établissement Pôle emploi d'Ile-de-France et a désigné le 14 décembre 2012 des délégués syndicaux et des délégués supplémentaires conventionnels. La fédération Protection sociale Travail emploi dite PSTE CFDT a saisi le tribunal d'instance afin de contester la représentativité de ce syndicat et, partant, l'annulation de ces désignations. Sa demande ayant été rejetée, la fédération a formé un pourvoi en cassation, faisant valoir que le syndicat n'était pas un syndicat catégoriel et partant, il convenait, pour apprécier sa représentativité, de tenir compte des suffrages obtenus sur l'ensemble des collèges. D'une part, dans un certain nombre de documents et de tracts, le syndicat CFE-CGC métiers de l'emploi mentionnait expressément qu'il défendait tous les agents de Pôle emploi sans esprit partisan, ce dont il résultait que sa volonté était de ne pas circonscrire son activité à la défense d'une partie seulement des catégories de salariés. D'autre part, le syndicat représentant également les techniciens à l'occasion des élections, son audience devait être appréciée sur l'ensemble des suffrages exprimés dans les collèges où il pouvait présenter des candidats, peu important qu'il n'ait pas fait usage de cette faculté.
La Cour de cassation rejette le pourvoi, confirmant le jugement du tribunal, considérant que le syndicat CFE-CGC était un syndicat catégoriel et que, partant, sa représentativité s'appréciait sur les deuxième et troisième collèges (sur la représentativité syndicale au niveau de l'entreprise et de l'établissement, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E1798ETR).

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Responsabilité

[Brèves] Décès de la victime au cours de l'instance d'appel et évaluation du préjudice résultant de l'incapacité permanente

Réf. : Cass. crim., 13 novembre 2013, n° 12-84.838, F-P+B (N° Lexbase : A6233KPK)

Lecture: 1 min

N9491BTP

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Le 23 Novembre 2013

Si le droit pour la victime d'obtenir réparation du préjudice subi existe dès que le dommage a été causé, l'évaluation de ce préjudice doit être faite par le juge à la date où il se prononce. Tel est le principe énoncé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 13 novembre 2013 ; aussi, en cas de décès de la victime au cours de l'instance d'appel, si le droit à réparation du préjudice tel que subi par celle-ci se transmet à ses ayants droit, le préjudice résultant de son incapacité permanente doit être apprécié en fonction du temps écoulé entre la date de l'accident et celle de son décès, et non sur la base de son espérance de vie lors du premier jugement (Cass. crim., 13 novembre 2013, n° 12-84.838, F-P+B N° Lexbase : A6233KPK). En l'espèce, pour accorder aux ayant droits de M. S., décédé pendant le cours de l'instance causée par l'accident de la circulation dont il avait été victime, une somme au titre d'un déficit fonctionnel permanent, et déterminer les autres chefs de leur indemnisation, la cour d'appel avait retenu que la victime était décédée postérieurement au jugement dont appel, constitutif de droits, évaluant notamment l'indemnité lui revenant au titre de la réparation de son préjudice fonctionnel temporaire et définitif ; les juges du second degré avaient ajouté que cette indemnité était donc entrée dans son patrimoine avant de tomber dans celui de ses héritiers, de sorte que, selon la cour d'appel, les consorts S. soutenaient à bon droit qu'elle ne saurait subir aucune réduction au prorata temporis de la durée de la survie de la victime directe après consolidation. A tort, estime la Cour suprême, après avoir énoncé le principe précité, et rappelé que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties (cf. l’Ouvrage "Droit de la responsabilité" N° Lexbase : E0284EXS).

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