La lettre juridique n°973 du 8 février 2024

La lettre juridique - Édition n°973

Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] Rente AT : non-imputation par la Chambre criminelle de la rente sur le déficit fonctionnel permanent

Réf. : Cass. crim., 23 janvier 2024, n° 23-80.647, F-B N° Lexbase : A54152GN

Lecture: 2 min

N8303BZK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/104682018-edition-n-973-du-08022024#article-488303
Copier

par Laïla Bedja

Le 28 Février 2024

► La rente d'accident du travail a pour objet de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime au titre de ses pertes de gains professionnels et de l'incidence professionnelle. Dès lors, le recours des caisses de Sécurité sociale au titre d'une telle rente ne saurait s'exercer sur le poste de préjudice relatif au déficit fonctionnel permanent, que cette rente ne répare pas.

Les faits et procédure. M. X a été victime d’un accident de la circulation et sa constitution de partie civile a été déclarée recevable. La conductrice a été déclarée coupable par le tribunal correctionnel et condamnée à verser certaines sommes à la partie civile.

En appel, pour imputer la créance du tiers-payeur relative à la rente versée au titre des accidents du travail perçue par la partie civile sur le poste de préjudice relatif au déficit fonctionnel permanent, l'arrêt attaqué énonce qu'en l'absence de pertes de gains professionnels futurs ou d'incidence professionnelle, cette pension indemnise nécessairement le déficit fonctionnel permanent.

La décision. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule la solution rendue par les juges du fond. Par sa décision, la Chambre criminelle s’aligne avec le revirement de jurisprudence opéré le 20 janvier 2023, par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass. plén., 20 janvier 2023, nos 20-23.673 N° Lexbase : A962688Z et 21-23.947 N° Lexbase : A962588Y ; lire D. Asquinazi-Bailleux, Un revirement de jurisprudence salutaire : la rente AT/MP ne répare plus le déficit fonctionnel permanent, Lexbase Social, février 2023, n° 933 N° Lexbase : N4223BZG et Ch. Quézel-Ambrunaz, La portée indemnitaire de la rente accident du travail redéfinie par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, Lexbase Droit privé, février 2023, n° 933 N° Lexbase : N4210BZX).

newsid:488303

Assurances

[Brèves] Action en garantie : la recevabilité de l’action contre l’assureur n’est pas subordonnée à la mise en cause de l’assuré

Réf. : Cass. civ. 3, 1er février 2024, n° 22-21.025, FS-B N° Lexbase : A01422I4

Lecture: 2 min

N8361BZP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/104682018-edition-n-973-du-08022024#article-488361
Copier

par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 07 Février 2024

►L’action en garantie contre l’assureur est distincte de l’action initiée contre l’assuré ; la recevabilité de l’action ne dépend pas de la mise en cause de l’assuré.

Par un raisonnement par analogie, la recevabilité de l’appel en garantie initiée contre l’assureur n’implique pas la mise en cause de l’assuré, comme pour l’action directe de l’article L. 124-3 du Code des assurances N° Lexbase : L4188H9Y. La présente espèce est l’occasion de le rappeler.

Des travaux de construction d’un bâtiment à usage commercial et à destination de grandes surfaces, appartenant à une SCI, ont été réalisés. Se plaignant de désordres affectant le carrelage, après réception, le maître d’ouvrage et l’exploitant assignent les constructeurs et leurs assureurs aux fins de réparation.

La cour d’appel de Poitiers, dans un arrêt rendu le 5 juillet 2022, déboute un assureur de son appel en garantie contre l’assureur du sous-traitant de son assuré au motif que l’assuré n’aurait pas été appelé à la cause.

Au visa notamment de l’article L. 124-3, la Haute juridiction censure. Elle rappelle que la mise en cause de l’assuré n’est pas une condition de recevabilité de l’action directe du tiers lésé (pour exemple, Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 97-22.582, publié au bulletin N° Lexbase : A7747AHE, mais également Cass. civ. 2, 27 avril 2017, n° 16-15.525, F-P+B+I N° Lexbase : A8033WAR).

La solution est constante depuis cet arrêt de 2000.

L’action directe permet au tiers lésé de mobiliser la police d’assurance souscrite par l’auteur du dommage et ce par exception au principe de l’effet relatif des conventions.

Partant de ce principe, elle ajoute qu’aucun texte n’impose à celui qui appelle en garantie l’assureur de responsabilité d’un tiers de mettre en cause l’assuré.

Elle considère qu’une différence entre les règles applicables à la recevabilité de ces deux actions ne se justifie pas pour en déduire que, comme en matière d’action directe du tiers lésé, la recevabilité de l’action en garantie dirigée contre un assureur n’est pas subordonnée à la mie en cause de son assuré.

La décision rapportée est l’occasion de rappeler que la demande de mise en cause dirigée contre le constructeur n’interrompt la prescription à l’égard de son assureur que si celui-ci est directement cité dans l’action. La solution est la même devant le juge administratif (CE, 4 février 2021, n° 441593, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A81724EE).

newsid:488361

Copropriété

[Brèves] Sanction de l’irrégularité d’une clause de charges contenue dans un règlement de copropriété et office du juge

Réf. : Cass. civ. 3, 25 janvier 2024, n° 22-22.036, FS-B N° Lexbase : A80082GP

Lecture: 13 min

N8360BZN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/104682018-edition-n-973-du-08022024#article-488360
Copier

par Martine Dagneaux, Conseiller honoraire à la Cour de cassation

Le 07 Février 2024

Mots clés : clause du règlement de copropriété relative aux charges • non-conformité aux dispositions légales et réglementaires • sanction • réputé non écrit • nouvelle répartition

Le juge qui, saisi d’une demande tendant à faire constater l’irrégularité d’une clause relative à la répartition des charges contenue dans un règlement de copropriété, constate qu’elle n’est pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires, doit la réputer non écrite et non pas l’annuler et doit procéder, lui-même, au besoin d’office, à la nouvelle répartition.    


             

Un copropriétaire d’un lot situé dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, se plaignant de la façon dont les charges sont réparties, a assigné le syndicat des copropriétaires en « annulation » de la clause du règlement de copropriété répartissant ces charges et en remboursement des charges qu’il estimait avoir indûment payées depuis le 4 septembre 2009.

La cour d'appel de Rouen l’avait débouté de sa demande dans un arrêt du 21 juin 2017 [1], qui fut cassé par la troisième chambre de la Cour de cassation par arrêt du 14 mars 2019 [2] au motif que la cour d'appel n’avait pas répondu aux conclusions de ce copropriétaire qui soutenait que « la répartition des charges communes aux lots n° 2 à 5, selon le critère de l'utilité évalué en fonction du nombre de logement par bâtiment, était devenue obsolète en raison des modifications successives de l'état descriptif de division ».

La cour d'appel de Caen, désignée comme cour de renvoi, a, par arrêt du 15 février 2022 [3],  prononcé la nullité de la clause de répartition des charges et a ordonné qu’une nouvelle répartition des charges soit établie conformément aux modifications apportées dans les parties privatives par les modificatifs de l'état descriptif de division depuis 1964, et cela en fonction des critères fixés à l’article 10 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 N° Lexbase : L4803AHD.

Sur pourvoi du syndicat des copropriétaires, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a, par le présent arrêt du 25 janvier 2024, cassé l'arrêt attaqué au motif que « lorsqu'il relève qu'une clause contestée du règlement de copropriété relative à la répartition des charges n'est pas conforme aux dispositions légales et réglementaires citées, le juge doit, d'une part, non pas annuler, mais réputer cette clause non écrite, d'autre part, procéder à une nouvelle répartition des charges en fixant lui-même toutes les modalités que le respect des dispositions d'ordre public impose ». 

Cet arrêt comporte le rappel de deux principes importants : d’une part, la sanction de l’illicéité d’une clause d’un règlement de copropriété est le réputé non écrit et non la nullité, d’autre part, le juge ne peut renvoyer les parties à établir elles-mêmes ou faire établir par un tiers ou par l'assemblée générale la nouvelle répartition de charges : il doit y procéder de lui-même. Et ce principe est tellement important que peu importe que le demandeur à l’annulation n’ait pas lui-même sollicité une nouvelle répartition : le juge est tenu par l’effet de la loi d’y procéder.

La sanction en cas de non-conformité d’une clause du règlement de copropriété relative à la répartition des charges aux dispositions législatives et réglementaires : le réputé non écrit. L'article 10 de la loi du 10 juillet 1965 distingue deux sortes de charges : d’une part les charges entraînées par les services collectifs et les éléments d’équipement commun  auxquelles les copropriétaires sont tenus de participer en fonction de l’utilité objective que ces services et éléments présentent à l’égard de chaque lot, d’autre part, les charges relatives à la conservation, l’entretien et l’administration des parties communes auxquelles les copropriétaires contribuent proportionnellement aux valeurs relatives des parties privatives comprises dans leurs lots.

Cet article précise que c’est le règlement de copropriété qui fixe les quotes-parts afférentes à chaque lot.

L'article 1 du décret du 17 mars 1967 (décret n° 67-223 du 17 mars 1967 N° Lexbase : L5508IG4) prévoit par ailleurs que le règlement de copropriété comporte l’état de répartition des charges et définit les différentes catégories de charges.

Ces dispositions sont impératives en application de l'article 43 de la loi du 10 juillet 1965 N° Lexbase : L4850AH4. Mais quid si le règlement de copropriété ne respecte pas ces règles, notamment au fur et à mesure de ses modifications ou, comme en l’espèce, quand l'état descriptif de division de l'immeuble est modifié sans que le règlement de copropriété le soit également, ce qui peut amener une distorsion entre la situation nouvelle de l'immeuble et la façon dont chaque copropriétaire participe aux charges ?

Une clause du règlement de copropriété ne pourrait, en effet, prévoir que les charges relatives à la conservation, l’entretien et l’administration de l'immeuble seront réparties en fonction de l’utilité que le copropriétaire en retire (c’est ainsi par exemple que les primes ou surprimes d’assurance de l'immeuble ne peuvent être imputées à un seul copropriétaire ou à certains d’entre eux seulement [4]). Inversement s’agissant des charges entraînées par les services collectifs, une clause du règlement de copropriété ne pourrait prévoir que les charges seront réparties par parts égales entre tous les copropriétaires (cf. par exemple pour des charges d’ascenseur réparties par parts égales entre tous les lots, quel que soit l’étage de ceux-ci [5]). Pour de plus amples développements sur ces clauses cf. notre Étude : Les clauses illicites en copropriété, in Droit de la copropriété (dir. P.-E. Lagraulet), Lexbase N° Lexbase : E228403Y.

Mais en présence de ces clauses que peut faire le juge ?

L’action. Il faut d’abord que le juge ait été saisi d’une demande [6] : il ne pourrait d’office déclarer une clause du règlement de copropriété illicite à l’occasion d’un litige portant sur le paiement des charges, dont personne ne contesterait la régularité. Le juge peut être saisi par un ou plusieurs copropriétaires [7], par le syndicat des copropriétaires [8]. La question se pose de savoir si un tiers à la copropriété ou le syndic en son nom personnel pourrait agir : non à notre avis (sur cette question cf. l’étude Lexbase précitée sur les clauses illicites en copropriété).

Cette action est imprescriptible [9] .

La demande doit être faite sur le fondement de l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965, et non sur celui de l’article 42 [10] N° Lexbase : L4849AH3, quand bien même la clause de répartition résulterait d’une décision de l'assemblée générale [11]. Elle n’est pas subordonnée à la contestation préalable de l'assemblée générale qui a fixé la grille de répartition des charges [12].

La sanction. La cour d'appel a, en l’espèce, retenu que la clause de répartition des charges ne respectait pas les critères fixés par l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965, mais elle n’a pas bien lu l'article 43  de cette loi N° Lexbase : L4850AH4 qui, dans la rédaction applicable à l’espèce, antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 (qui a étendu le nombre d’articles impératifs), prévoyait expressément que « les clauses contraires aux dispositions des articles 6 à 37, 41-1 à 42 et 46 et celles du décret pris pour leur application sont réputées non écrites ». La cour d'appel a, en effet, annulé la clause du règlement de copropriété mise en cause par le demandeur et non pas déclaré celle-ci non écrite.

Certes, le propriétaire contestant la répartition sollicitait l’annulation de la clause de répartition des charges, selon les commémoratifs des deux arrêts de la Cour de cassation. Mais il appartient au juge, en application de l'article 12 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1127H4I, de redonner aux faits et aux actes litigieux leur exacte qualification. La cour d'appel ne pouvait donc prononcer la nullité de la clause, comme elle l’a fait, et la Cour de cassation la censure en premier lieu sur ce motif : « lorsqu'il relève qu'une clause contestée du règlement de copropriété relative à la répartition des charges n'est pas conforme aux dispositions légales et réglementaires citées, le juge doit, d'une part, non pas annuler, mais réputer cette clause non écrite ».

L’office du juge. Lorsqu’il déclare non écrite une clause de répartition des charges contenue dans un règlement de copropriété, le juge doit procéder à une nouvelle répartition des charges, quand bien même celle-ci n’a pas été sollicitée par les parties.

C’est le deuxième temps de la réponse de la Cour de cassation : le juge qui répute une clause non écrite doit « d'autre part, procéder à une nouvelle répartition des charges en fixant lui-même toutes les modalités que le respect des dispositions d'ordre public impose ».

La Cour de cassation avait déjà à plusieurs reprises, au visa de l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965, rappelé qu’il appartenait au juge de procéder à une nouvelle répartition des charges [13].

La cour d'appel aurait donc dû refaire les calculs de charges, au lieu de quoi elle s’est contentée d’« ordonner une nouvelle répartition des charges conforme aux modifications apportées dans les parties privatives par les modificatifs au descriptif de division, opérées sur ces parties privatives depuis le 22 juin 1964 et cela en fonction des critères fixés à l'article 10 de la loi du 10 juillet 1965 », sans dire d’ailleurs, qui devait procéder à cette répartition : le syndic ? Il n’a certainement pas compétence pour ce faire. L'assemblée générale ?  Elle n’aurait compétence pour ce faire que si c’était elle qui réputait non écrite la clause attaquée. En effet, les copropriétaires ou le syndicat des copropriétaires ne sont pas nécessairement obligés d’aller devant le juge pour faire réputer non écrite une clause du règlement de copropriété. Cette question pourrait être débattue par l'assemblée générale [14]. Mais en l’espèce la cour d'appel ne pouvait lui déléguer son office. Elle devait elle-même statuer.

Certes, il n’est pas interdit que le juge nomme un expert pour l’éclairer sur la nouvelle grille de charges, si la répartition s’avère complexe. Mais celui-ci agira sous l’autorité de ce juge qui, après dépôt du rapport, devra établir la nouvelle grille de charges en « fixant lui-même toutes les modalités que le respect des dispositions d’ordre public impose », ainsi que le précise la Cour de cassation dans une formule qui est la reprise de celles déjà contenue dans ses précédents arrêts.

Il est vrai que le copropriétaire qui contestait la répartition des charges demandait dans ses conclusions d’ « ordonner en tout état de cause la révision des charges et une nouvelle répartition en fonction des critères fixés à l'article 10 de la loi du 10 juillet 1965 » et non pas que la cour d'appel y procède elle-même.

Mais l'article 43 de la loi du 10 juillet 1965 est très clair : « Lorsque le juge, en application de l'alinéa premier du présent article, répute non écrite une clause relative à la répartition des charges, il procède à leur nouvelle répartition ». C’est pourquoi la Cour de cassation, en réponse à l’irrecevabilité du moyen soulevée par le copropriétaire qui soutenait que le syndicat des copropriétaires n’avait pas sollicité, même à titre subsidiaire, l’établissement d’une nouvelle répartition des charges, précise que le juge est tenu par l’effet même de la loi de procéder à cette répartition. Il s’agit donc d’une obligation du juge, qui ne peut s’y dérober, notamment en renvoyant les parties à y procéder elles-mêmes.

Il convient, par ailleurs, d’observer que le juge ne pourrait pas procéder à une nouvelle répartition sans déclarer non écrite la clause du règlement de copropriété relative à la répartition de ces charges [15].

Quant à la date d’effet de la nouvelle répartition des charges effectuée par le juge, la Cour de cassation a précisé que la décision de réputer non écrite une clause de répartition des charges n’a d’effet que pour l’avenir [16]. Avant l’entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, la Cour de cassation considérait que la nouvelle répartition ne prend effet qu'à compter de la date à laquelle la décision a acquis l'autorité de la chose jugée [17]. Désormais, l'article 43, dans sa rédaction issue de cette ordonnance, prévoit que « cette nouvelle répartition prend effet au premier jour de l'exercice comptable suivant la date à laquelle la décision est devenue définitive ».

À noter que tant que la clause n’a pas été réputée non écrite, elle doit recevoir application : ainsi, tant que l’état de répartition des charges résultant du règlement de copropriété n’a pas été modifié, il doit s’appliquer [18].

Le fait que la Cour de cassation ait statué en formation de section montre qu’elle tenait à réaffirmer, solennellement, deux principes importants quant à la sanction de l’irrégularité d’une clause de répartition de charges et à l’office du juge. Ces deux règles, qui sont toujours d’actualité, sont encore méconnues tant par les justiciables que par les cours d'appel, d’où la cassation sur ces deux motifs.

A retenir : le copropriétaire qui veut faire constater qu’une clause de répartition de charges contenue dans un règlement de copropriété n’est pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires doit demander non pas que la clause soit annulée mais qu’elle soit déclarée non écrite. Le juge, qui constate ce caractère non écrit, doit alors, même d’office, procéder lui-même à la nouvelle répartition.

Pour aller plus loin : cf. notre Étude : Les clauses illicites en copropriété, in Droit de la copropriété (dir. P.-E. Lagraulet), Lexbase N° Lexbase : E228403Y.

 

[1] CA, Rouen, 21 juin 2017, n° 12/3055.

[2] Cass. civ. 3, 14 mars 2019, n° 17-25.845, F-D N° Lexbase : A0113Y4X.

[3] CA Caen, 15 février 2022, n° 21/00689 N° Lexbase : A26417N7.

[4] Cass. civ. 3, 8 septembre 2016, n° 15-17.000, F-D N° Lexbase : A5166RZD.

[5] Cass. civ. 3, 9 mai 2019, n° 18-17.334, FS-P+B+I N° Lexbase : A0639ZBB.

[6] Cass. civ. 3, 22 juin 2022, n° 21-16.872, F-D N° Lexbase : A363878A.

[7] Cass. civ. 3, 26 avril 1989, n° 87-18.384 N° Lexbase : A3145AHX ; Cass. civ. 3, 9 février 1982, n° 80-11710, publié au bulletin N° Lexbase : A7236CG4 ; Cass. civ. 3, 9 juin 1999, n° 98-10.801 N° Lexbase : A3384CQE ; Cass. civ. 3, 16 décembre 2008, n° 08-10.480, F-D N° Lexbase : A9217EBY ; Cass. civ. 3, 28 janvier 2016, n° 14-26.921, FS-P+B N° Lexbase : A3402N77.

[8] Cass. civ. 3, 24 mars 1981, n° 79-16560, publié au bulletin N° Lexbase : A8096CIP ; Cass. civ. 3, 10 septembre 2020, n° 19-17.045, FS-P+B+I N° Lexbase : A16683TX.

[9] Cass. civ. 3, 9 mars 1988, n° 86-17.869 N° Lexbase : A7782AAH ; Cass. civ. 3, 26 avril 1989, n° 87-18.384 N° Lexbase : A3145AHX ; Cass. civ. 3, 12 juin 1991, n° 89-18.331 N° Lexbase : A4625ACB ; Cass. civ. 3, 28 janvier 2016, n° 14-26.921 FS-P+B N° Lexbase : A3402N77 ; Cass. civ. 3, 10 septembre 2020, n° 19-17.045 FS-P+B+I N° Lexbase : A16683TX.

[10] Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, art. 42. 

[11]  Cass. civ. 3, 28 janvier 2016 n° 14-26.921, FS-P+B N° Lexbase : A3402N77.

[12] Cass. civ. 3, 28 novembre 2019, n° 18-15.307, F-D N° Lexbase : A3504Z4K.

[13] Cass. civ. 3, 22 juin 2005, n° 04-12.659, FS-P+B N° Lexbase : A8379DI8 ; Cass. civ. 3, 30 janvier 2008, n° 06-19.773, FS-P+B N° Lexbase : A6712D4D ; Cass. civ. 3, 17 septembre 2013, n° 11-21.770, F-D N° Lexbase : A4931KL9 ; Cass. civ. 3, 23 septembre 2021, n° 20-16.572, F-D N° Lexbase : A4428477.

[14] Cass. civ. 3, 10 septembre 2020, n° 19-17.045, FS-P+B+I N° Lexbase : A16683TX.

[15] Cass. civ. 3, 9 mai 2019 n° 18-17.334 FS-P+B+I N° Lexbase : A0639ZBB.

[16] Cass. civ. 3, 28 novembre 2019 n° 18-15.307 F-D N° Lexbase : A3504Z4K.

[17] Cass. civ. 3, 9 septembre 2021, n° 20-15.608, F-D N° Lexbase : A249844B.

[18] Cass. civ. 3, 2 juillet 2013, n° 12-17.758, F-D N° Lexbase : A5447KIL.

newsid:488360

Discrimination

[Doctrine] L’apparence physique du salarié, un motif discriminatoire autonome ?

Lecture: 14 min

N8306BZN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/104682018-edition-n-973-du-08022024#article-488306
Copier

par Rodolphe Martinière, Docteur en droit, Aix-Marseille Université, Centre de droit social (CDS - UR 901)

Le 13 Février 2024

Mots-clés : discrimination • apparence physique • motif de discrimination en rapport avec le sexe • motif de discrimination autonome

Plus de vingt ans après son introduction dans la liste des critères de discrimination de l’article L. 1132-1 du Code du travail, l’apparence physique demeure un motif de discrimination à la portée incertaine. La Cour de cassation ne l’a retenu qu’à deux reprises, dans l’affaire de la « boucle d’oreille » en 2012 et dans celle des « tresses africaines » en 2022, mais l’a, à chaque fois, associé à un autre motif discriminatoire. La question se pose donc de savoir si l’apparence physique est vraiment un motif discriminatoire autonome. L’article soutient que lorsqu’elle est prise dans son acception large d’apparence choisie, englobant l’ensemble de l’aspect extérieur de la personne (tenue vestimentaire, bijoux, coupe de cheveux,…), l’apparence physique ne peut être retenue comme motif discriminatoire que combinée à un autre motif dont elle serait en quelque sorte le révélateur. En revanche, lorsqu’elle est prise dans son acception étroite limitée aux caractéristiques corporelles subies par la personne (taille, poids,…), elle constitue un motif discriminatoire autonome.


Inscrite par la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 N° Lexbase : L9122AUE dans la liste des motifs discriminatoires prohibés de l’article L. 122-45 devenu l’article L. 1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L0918MCY, l’apparence physique recèle une part de mystère que la jurisprudence récente de la Cour de cassation n’a pas permis de dissiper.

C’est que la notion est complexe [1] et susceptible d’interprétation [2]. Non définie par le législateur, elle peut, en effet, s’entendre de deux façons différentes. Selon une première conception restrictive, l’apparence physique se limite aux caractéristiques corporelles visibles et inaltérables qui échappent à la volonté de la personne, couleur de la peau, taille, morphologie, traits du visage, stigmates, … elle est alors une apparence subie. Selon une seconde conception, plus large, l’apparence physique vise l’ensemble de l’aspect extérieur de la personne et englobe les éléments par lesquels celle-ci exprime sa personnalité, tenue vestimentaire, bijoux et accessoires, maquillage, coupe et couleur de cheveux, barbe, piercings, tatouages,… elle est alors, pour une large part, une apparence choisie.

Le choix de l’une ou de l’autre de ces conceptions n’est pas dépourvu d’intérêt pratique. En effet, si l’on retient la conception étroite, tout ce qui n’en relève pas n’entre pas dans le champ de la discrimination prohibée, mais dans celui des libertés de l’article L. 1121-1 du Code du travail N° Lexbase : L0670H9P. En revanche, si l’on opte pour la conception large, le régime des discriminations s’applique intégralement à tous les éléments de l’apparence extérieure de la personne.

L’enjeu est de taille, car, selon que l’on se place sur le terrain de la discrimination ou sur celui des libertés, les conséquences ne sont pas les mêmes, le régime des discriminations assurant une meilleure protection des salariés. En effet, alors que la restriction aux libertés doit seulement être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché [3], la différence de traitement fondée sur un motif discriminatoire doit répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante [4], pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée [5]. En outre, le droit des discriminations offre au salarié un régime probatoire allégé [6], des délais d’action plus longs et comporte des sanctions plus sévères [7], y compris pénales [8], que celles des atteintes injustifiées aux libertés non fondamentales [9].

Quelle que soit la conception retenue, l’apparence physique occupe une place importante dans les relations de travail. De nombreuses études ont souligné les différences de traitement opérées en fonction de l’apparence physique des candidats à l’embauche ou des salariés [10]. Ceux dont le physique est jugé plus « attractif » bénéficient de salaires plus élevés que ceux dont le physique est considéré comme « disgracieux » [11]. Que l’emploi occupé implique un contact avec la clientèle ou non, le look, la beauté et le poids sont considérés comme importants dans le milieu professionnel, devant la couleur de peau [12]. L’apparence physique figure ainsi chaque année parmi les premiers motifs de discrimination cités par les personnes interrogées par le Défenseur des droits dans le cadre de ses baromètres sur la perception des discriminations [13].

Pour autant, le contraste entre l’impact de l’apparence physique dans les relations de travail et son appréhension juridique est saisissant. Ce motif ne concerne qu’une extrême minorité des réclamations formulées auprès du Défenseur des droits (2 %) [14] et il n’est que très peu appréhendé par la jurisprudence. Plus de 22 ans après sa consécration légale, il n’a fait l’objet que de quelques décisions des juges du fond [15] et la Chambre sociale de la Cour de cassation ne l’a retenu qu’à deux reprises, en 2012 [16] et 2022 [17], dans les célèbres affaires de la « boucle d’oreille » et des « tresses africaines ».

Plusieurs raisons expliquent que la discrimination sur l’apparence physique demeure « impensée » [18]. Sociologiquement, la discrimination fondée sur l’apparence physique a davantage tendance à être acceptée que celles fondées sur les autres critères comme l’âge, la situation de famille ou encore l’orientation sexuelle, en raison des préjugés et biais cognitifs encore fortement partagés [19]. Cela explique que les parties mobilisent d’autres fondements et préfèrent invoquer des critères « voisins » [20], comme la race, le sexe, l’âge ou encore la religion [21].

Ainsi, dans les deux affaires dans lesquelles elle a retenu le critère de l’apparence physique, la Cour de cassation l’a associé à un autre motif discriminatoire. La question se pose donc de savoir si l’apparence physique est véritablement un motif discriminatoire autonome.

On peut avancer l’idée que lorsqu’elle est choisie, l’apparence physique doit plutôt relever du régime des libertés et ne peut être retenue comme motif discriminatoire que combinée avec un autre motif, dont elle serait en quelque sorte le révélateur (I.). En revanche, lorsqu’elle est subie, l’apparence physique doit constituer un motif discriminatoire autonome (II.).

I. L’apparence physique choisie, un motif discriminatoire combiné

Pendant longtemps, les litiges relatifs à l’apparence physique choisie – tenue vestimentaire, coiffure … – des salariés ont été résolus par application du régime des libertés individuelles [22]. L’affaire dite du « bermuda » est particulièrement significative à cet égard [23]. Un salarié licencié pour avoir persisté dans sa volonté de porter un bermuda sous sa blouse alors que le port de cette tenue était autorisé pour les salariées de l’entreprise avait vainement prétendu être victime d’une discrimination sexiste.

Aujourd’hui, le débat s’est déplacé sur le terrain des discriminations. En témoigne l’affaire soumise à la Cour de cassation le 11 janvier 2012 dans laquelle les faits étaient similaires à ceux ayant donné lieu à l’arrêt de 2003. Un chef de rang d’un restaurant gastronomique avait été licencié pour avoir refusé, malgré les demandes de l’employeur, de retirer les boucles d’oreille qu’il portait pendant son service. La Cour de cassation décide que le licenciement avait pour cause « l’apparence physique du salarié rapportée à son sexe ». C’est que, entre-temps, l’apparence physique avait été ajoutée à la liste des discriminations prohibées, mais pour autant la Cour de cassation n’a pas fondé sa décision seulement sur l’apparence physique, mais sur une combinaison de ce motif avec le sexe, autre critère prohibé visé par l’article L. 1132-1 du Code du travail. L’arrêt était, cependant, difficile à interpréter, car la référence à une discrimination fondée sur le sexe paraissait justifiée par la teneur de la lettre de licenciement que l’employeur avait adressée au salarié. Celle-ci était en effet formulée ainsi : « Votre statut au service de la clientèle ne nous permet pas de tolérer le port de boucles d’oreille sur l’homme que vous êtes ». Autrement dit, l’employeur reprochait explicitement au salarié de porter une tenue inadaptée pour un homme. La référence au sexe du salarié dans la lettre de licenciement avait en quelque sorte contaminé la décision de l’employeur.

Cette circonstance ne se retrouvait pas dans l’arrêt rendu le 23 novembre 2022. Pour autant, la Cour de cassation retient, là encore, « une discrimination directe fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe », s’agissant d’un steward d’une compagnie aérienne auquel il avait été demandé de ne plus se présenter à l’embarquement avec des cheveux coiffés en tresses africaines nouées en chignon. En l’espèce, la référence au sexe était moins évidente, mais, c’est sans doute l’existence du code vestimentaire en vigueur dans l’entreprise qui a fondé la décision de la Haute juridiction, la coiffure interdite au steward étant, en revanche, autorisée aux hôtesses.

Ces solutions paraissent, néanmoins, justifiées dans la mesure où l’apparence physique apparaît plus comme le révélateur d’une discrimination fondée sur le sexe que comme le motif de discrimination. On comprend, à la lecture de ces décisions, que l’apparence physique choisie du salarié ne peut pas constituer, en soi, un motif de discrimination, car cela reviendrait à soumettre toute restriction à la liberté du salarié de choisir son apparence, tout code vestimentaire, aux règles de justification des discriminations. Celle-ci devrait ainsi répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, ce qui n’a pas de sens. Il en résulte que l’apparence physique choisie ne peut être qu’un révélateur d’une discrimination fondée sur un autre motif, notamment le sexe lorsque, par exemple, une tenue est réservée aux salariés d’un seul sexe ou l’identité de genre lorsque la tenue du salarié est liée à une transition de genre [24]. Nul doute que, dans l’affaire dite du « bermuda », la Haute juridiction retiendrait, aujourd’hui, l’existence d’une discrimination fondée sur l’apparence physique combinée au sexe.

Les conséquences de cette jurisprudence doivent néanmoins être soulignées. Sans doute, ces décisions témoignent-elles de la volonté de la Cour de cassation de lutter contre les stéréotypes de genre. Comme l’a souligné le Professeur Jean-Philippe Lhernould, il ressort effectivement de cette jurisprudence qu’il « paraît aujourd’hui difficile d’adopter sur la coiffure, et plus largement sur l’apparence, une politique d’entreprise différente entre les hommes et les femmes. Sous l’angle du droit des discriminations, l’objectif légitime existe, mais la proportionnalité fait défaut » [25].

Toute autre est la situation dans laquelle les éléments pris en compte relèvent de l’apparence physique subie.

II. L’apparence physique subie, un motif discriminatoire autonome

Lorsqu’un candidat n’est pas recruté ou un salarié est licencié en raison de son poids ou de sa taille …, il n’est nullement besoin de vérifier si sont seulement concernés les salariés masculins ou féminins, tout au plus cela pourrait révéler une discrimination intersectionnelle [26]. La seule prise en compte d’un tel élément suffit à caractériser la discrimination. Autrement dit, l’apparence physique subie constitue, dans un tel cas, un motif discriminatoire autonome qu’il n’est pas nécessaire de relier à un autre critère.

La Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur ce point, et l’on ne peut guère tirer d’enseignement des trois décisions, d’ailleurs contradictoires, rendues par les juges du fond [27], mais nous pensons que c’est cette conception de l’apparence physique que le législateur avait à l’esprit lorsqu’il l’a inscrite dans la liste des motifs discriminatoires de l’article L. 1132-1 du Code du travail [28]. Il aurait sans doute été plus explicite – et c’est ce que soutiennent les opposants à cette conception stricte – d’évoquer l’apparence corporelle ou même de manière plus restrictive la physionomie [29], comme le fait la législation belge, qui prohibe les discriminations fondées sur les « caractéristiques physiques » entendues comme « les caractéristiques innées ou apparues indépendamment de la volonté de la personne (exemples : tache de naissance, brûlures, cicatrices chirurgicales, mutilations…) » [30].

Il n’empêche que si le législateur français n’a pas été aussi explicite, nous pouvons néanmoins inférer des travaux préparatoires et des débats ayant abouti à l’adoption de la loi du 16 novembre 2001 qu’il visait exclusivement l’acception stricte de l’apparence physique. Les situations présentées comme l’archétype de ce que l’adjonction de ce nouveau motif discriminatoire entendait combattre concernaient toutes exclusivement la prise en compte illicite de l’apparence subie. Ont en effet été pris en exemple le licenciement d’une vendeuse chargée d’animer un stand de fromagerie au motif qu’elle « ne correspondait pas, en raison de la couleur de sa peau, à l’image du rayon » [31], de l’obligation faite à certaines hôtesses de l’air d’être « plus minces, plus attractives (…) » [32], ainsi que d’offres d’emploi comportant les mentions « profil : race blanche », exigeant une « bonne tête » ou un candidat « pas typé(e) ».

On ajoutera, en faveur de la conception restrictive de l’apparence physique, qu’un auteur très au fait du droit des discriminations a relevé [33] que les premières délibérations rendues par la HALDE relatives à l’apparence physique étaient centrées sur des éléments corporels, comme la taille des hôtesses d’accueil [34], des sapeurs-pompiers [35], des policiers en service actif [36] et des surveillants de l’administration pénitentiaire [37], ou le poids de salariés ou d’agents publics [38].

Soyons clairs. Notre propos n’est pas, ici, de refuser toute protection à l’apparence physique choisie, mais seulement d’affirmer que seule l’apparence physique subie constitue un motif de discrimination autonome et que telle était l’intention initiale du législateur. C’est, en effet, une chose de protéger les choix du salarié concernant son apparence physique, c’en est une autre de leur accorder le même niveau de protection qu’aux caractéristiques physiques sur lesquelles il n’a aucune prise et dont la prise en compte arbitraire par l’employeur est susceptible de porter atteinte à son intégrité morale, voire à sa santé mentale [39].

Conforte cette analyse la récente proposition de loi qui vise à compléter, dans l’article L. 1132-1 du Code du travail [40], le motif discriminatoire tenant à l’apparence physique et à préciser qu’il englobe « notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture [des] cheveux » [41]. Il ressort clairement de l’exposé des motifs que l’objectif poursuivi par cette disposition est de protéger les personnes d’origine africaine contre les discriminations liées à la texture de leurs cheveux et au style [42] capillaire [43] qui leur est associé, rétifs aux normes esthétiques en vigueur dans les entreprises. L’idée est que, dans l’affaire des « tresses africaines », l’existence d’une discrimination n’a pu être établie que parce que l’interdiction de porter cette coiffure ne concernait que les hommes, alors que, selon l’auteur de la proposition de loi, le problème était en réalité lié à la nature de la chevelure du steward, qui ne pouvait se conformer aux prescriptions du référentiel de la compagnie imposant une coiffure « d’aspect naturel et homogène », et donc d’apparence « eurocentrée » [44].

Quoi que l’on puisse penser de l’utilité de cette proposition de loi [45], on notera qu’elle conforte l’idée que, dans l’esprit des Hauts magistrats saisis de cette affaire, l’apparence physique ne permettait pas de retenir une discrimination fondée sur la coiffure sans le secours d’un autre motif discriminatoire.

De plus, en visant – ainsi que c’est affirmé dans l’exposé des motifs – à intégrer dans le champ des discriminations liées à l’apparence physique, la discrimination capillaire entendue comme une différence de traitement fondée sur le port du cheveu naturel et sur le style capillaire qui va avec, et non sur les coiffures résultant d’un choix personnel, cette proposition de loi tend à confirmer que l’apparence physique n’est un motif discriminatoire autonome que lorsqu’est en cause l’apparence subie. On ne choisit pas la texture ou la couleur originelle de ses cheveux.

Il reste que la distinction entre l’apparence physique « subie » et « choisie » n’est pas pleinement satisfaisante, et cela pour plusieurs raisons. D’une part, parce qu’il n’est pas toujours aisé de déterminer si l’aspect extérieur résulte d’un choix ou non de la personne, à l’instar du poids [46] ou de la beauté, voire des cheveux. D’autre part, parce que les progrès de la médecine pourraient encore renforcer le flou entourant cette délimitation dès lors que des aspects qui semblaient inaltérables comme la taille, la couleur des yeux ou encore le sexe le deviennent. Cela permettra-t-il de faire basculer l’élément concerné de l’apparence subie à l’apparence choisie ? C’est une autre question.  


[1] M. Mercat-Bruns, À la racine du mal : les tresses africaines, question de genre ou d’origine ?, RDT, 2023, p. 267.

[2] R.-E. Jabbour, La discrimination à raison de l’apparence physique (lookisme) en droit du travail français et américain. Approche comparatiste, F. Kessler (dir.), Univ. Panthéon-Sorbonne Paris I, 2013, § 12, p. 15.

[3] C. trav., art. L. 1121-1N° Lexbase : L0670H9P.

[4] Véritable, s’agissant du sexe. PE et Cons. UE, Directive n° 2006/54, 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre femmes et hommes en matière d’emploi et de travail, art. 14, § 2 N° Lexbase : L4210HK7.

[5] C. trav., art. L. 1133-1 N° Lexbase : L0682H97.

[6] C. trav., art. L. 1134-1 N° Lexbase : L2681LBW.

[7] C. trav., art. L. 1132-4 N° Lexbase : L0920MC3.

[8] C. pén., art. 225-2 N° Lexbase : L7899LCK.

[9] Dont ne relève pas la tenue vestimentaire du salarié.

[10] V. Défenseur des droits, décision-cadre n° MLD-2016-058, 12 février 2016, relative à la prise en compte de l’apparence physique dans l’emploi [en ligne]. – V. également Défenseur des droits, décision-cadre n° 2019-205, 2 octobre 2019, relative aux discriminations dans l’emploi fondées sur l’apparence physique [en ligne]. Il ressort des études que les femmes sont davantage touchées que les hommes : « Les discriminations à l’embauche liées à l’apparence physique sont rapportées presque 2 fois plus (1,7) par les femmes que les hommes, et ce, indépendamment de toute caractéristique d’âge, de poids, de style vestimentaire et de niveau d’étude », Défenseur des droits et OIT, Le physique de l’emploi, 9e éd. du Baromètre du Défenseur des droits et de l’OIT sur la perception des discriminations dans l’emploi, 2016, p. 5 [en ligne] ; J.-F., Amadieu, La Société du paraître – Les beaux, les jeunes… et les autres, Odile Jacob, 2016.

[11] En moyenne, 12 %. V. Association Française des Managers de la Diversité (AFMD) et EM Strasbourg, Aller au-delà des apparences, YouTube, vidéo publiée sur la chaîne Association Afmd, 21 mai 2015 [en ligne]. V. également D. Hamermesh, Beauty Pays : Why Attractive People Are More Successful » (La beauté paie. Pourquoi les gens beaux ont plus de succès), Ed. Princeton University Press, 2011. Une corrélation a également pu être identifiée entre la taille et la rémunération, de sorte que les vendeurs de grande taille ont tendance à percevoir des salaires plus élevés que la moyenne, J.-F. Amadieu, Le Poids des apparences, Odile Jacob, 2002.

[12] E. Chauvet et V. Fernandes, kantar tns, medef, Baromètre National de perception de l’égalité des chances, résultats nationaux 2018, 7ème vague, p. 25 [en ligne].

[13] 91 % des personnes interrogées considèrent que des personnes sont rarement, parfois, souvent ou très souvent traitées défavorablement ou discriminées en France du fait de leur apparence physique, Défenseurs des droits, 13ème baromètre, La perception des discriminations dans l’emploi, décembre 2020. Ce chiffre est de 92 % s’agissant de la jeunesse, v. Défenseur des droits, 14ème baromètre, La perception des discriminations dans l’emploi, éd. consacrée à la jeunesse, décembre 2021 [en ligne]. Il est de 58 % dans le secteur des services à la personne, v. Défenseurs des droits, 15ème baromètre, La perception des discriminations dans l’emploi, éd. consacrée au secteur des services à la personne, décembre 2022 [en ligne]. Selon le baromètre 2023, 43 % des actifs pensent que les personnes sont souvent discriminées en France en raison de leur apparence physique. Si ce chiffre peut sembler diminuer par rapport aux années précédentes, il convient de relever que le critère est dépassé par ceux de la nationalité, de l’origine ou de la couleur de peau (58 %), de l’état de santé et du handicap (56 %) et de l’identité de genre (46 %), auxquels l’apparence physique peut être liée, v. Défenseurs des droits, 16ème baromètre, La perception des discriminations dans l’emploi, Concilier maladies chroniques et travail : un enjeu d’égalité, décembre 2023 [en ligne].

[14] En 2022, seules 2 % des réclamations reçues pour discrimination concernaient des discriminations en raison de l’apparence physique. A titre de comparaison, le handicap réuni 20 % des réclamations, et l’origine 13 %. V. Défenseurs des droits, Rapport annuel d’activité 2022, p. 44 [en ligne]. 

[15] Selon des recherches opérées sur la base de données Lexis Nexis, cela ne concerne que 2 cas sur 5 743 décisions analysées dans le domaine administratif et 28 cas sur 30 054 dans le domaine judiciaire, J. Duflos et O. Hidri Neys, Entre perceptions accrues et recours marginaux : le paradoxe des discriminations selon l’apparence physique à l’embauche, Les cahiers de la LCD, L’Harmattan, 2018/1, n° 6, pp. 99-117, cité par Défenseur des droits, décision-cadre n° 2019-205 [en ligne], préc.

[16] Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-28.213, FS-P+B N° Lexbase : A5287IA3, D., 2012, p. 290 ; obs. J. Hauser, L’habit ne fait pas le moine. ni le travailleur !, RTD civ., 2012, p. 288 ; note J.-P. Lhernould, L’homme aux boucles d’oreille : liberté ou égalité ?, Droit social, 2012, p. 346 ; obs. L.T., Restauration – Apparence physique – Licenciement discriminatoire d’un serveur portant des boucles d’oreilles, JT, 2012, n° 141, p. 13 ; note M. Mercat-Bruns, “L’apparence physique du salarié rapportée à son sexe” : l’émergence de la discrimination fondée sur le genre ?, JCP G, 2012, act. 281 ; note N. Moizard, Justification d’une discrimination directe et exercice du pouvoir de direction, RDT, 2012, p. 159 ; obs. L. Perrin ; Discrimination en raison de l’apparence physique : port de boucles d’oreilles, D. actu., 8 février 2012 ; obs. J. PORTA, in « Droit du travail : relations individuelles de travail », D. 2012, p. 901 ; note C. Willmann, Boucles d’oreilles et appartenance du salarié au genre masculin : caractère discriminatoire du licenciement, Lexbase Social, février 2012, n° 471 N° Lexbase : N0007BTG.

[17] Cass. soc., 23 novembre 2022, n° 21-14.060, FP-B+R N° Lexbase : A97068TN ; obs. P. Adam, Détresse d’un steward, SSL, 2022, n° 2034 ; obs. D. Castel, Social – Discrimination – Peut-on interdire le port de tresses à un homme ?, JA, 2022, n° 670, p. 41 ; note P. Dupont et G. Poissonnier, Personnel navigant commercial : il est interdit d’interdire… aux hommes une coiffure autorisée aux femmes, D., 2023, p. 533 ; note J.-P. Lhernould, Réguler le port des coiffures dans l’entreprise peut constituer une discrimination fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe, JCP S, 2022, 1317 ; note M. Mercat-Bruns, À la racine du mal : les tresses africaines, question de genre ou d’origine ?, RDT, 2023, p. 267 ; note N. Moizard, Coiffure correcte exigée, Droit social, 2023, p. 338 ; obs. M. Peyronnet, La chambre sociale va-t-elle détruire les stéréotypes de genre à la racine ?, D. actu., 5 déc. 2022 ; S. Sereno, Port d’une coiffure, apparence physique et sexe : une solution d’une obscure clarté, Gaz. pal., n° 08, p. 52.

[18] I. Barth, L’apparence physique, cette discrimination impensée en entreprise, Harvard Business Review France, maj. 23 novembre 2023 [en ligne].

[19] Ibid. ­– v. aussi S. Sereno, “Le physique de l’emploi” : chronique d’une discrimination banalisée, Gaz. Pal., n° 11, mars 2020, p. 52.

[20] J. Mattiussi, L’apparence de la personne physique. Pour la reconnaissance d’une liberté, G. Loiseau (dir.), Université Paris I Pantheon-Sorbonne, 2016, p. 163 : l’apparence physique présente ainsi des liens avec l’origine, l’appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une race, le handicap, l’âge, le sexe ou encore l’orientation sexuelle.

[21] M.-L. Cavrois, Le traitement des discriminations fondées sur l’apparence physique, in Pélisson é. (dir.), L’apparence physique motif de discrimination – Entre norme, codes sociaux, esthétisation et rejet de la différence visible, Colloque 16 nov. 2009, Science Po Lille, p. 163, spéc. p. 164.

[22] C. trav., art. L. 1121-1N° Lexbase : L0670H9P. – V. not. M. Hautefort, Imposer un « dress code » dans l’entreprise, Cah. DRH, n° 312, 1er octobre 2023, maj. 10 octobre 2023.

[23] Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40.273, publié N° Lexbase : A6668CK8, obs. RJS 08-09/03, n° 975 ; note C. d’Artigue, La liberté de se vêtir : une liberté certes, mais pas fondamentale, Lexbase Social, juin 2003, n° 74 N° Lexbase : N9952AAT ; note Corrignan-Carsin, La liberté de se vêtir au temps et au lieu de travail n’est pas une liberté fondamentale, JCP E, 2003, 1328 ; note F. Guiomard, L’entreprise et le Bermuda (à propos d’un arrêt un peu “short”), D., 2003, p. 2718 ; obs. J. Hauser, Vie privée et vie en société : le bermuda, la manche, la toge et l’accordéon, RTD civ., 2003, p. 680 ; avis P. Lyon-Caen, L'atteinte portée à la liberté de se vêtir constitue-t-elle un trouble manifestement illicite ?, Droit ouvrier, 2003, p. 221 ; note P. Moussy, L’atteinte portée à la liberté de se vêtir constitue-t-elle un trouble manifestement illicite ?, Droit ouvrier, 2003, p. 224 ; note A. Pousson, La liberté de se vêtir n’est pas une liberté fondamentale, D., 2004 p. 176 ; note P. Waquet, Le bermuda ou l'emploi, Droit social, 2003, p. 808.

[24] CA Grenoble, 6 juin 2011, n° 10/3547. En l’espèce, un salarié transgenre en phase de transition s’était rendu sur son lieu de travail maquillé et vêtu d’une jupe et de talons hauts et avait été licencié au motif qu’une telle tenue, habituellement portée par des femmes, constituait un « déguisement curieux ». Le licenciement a été annulé en raison d’une discrimination fondée sur l’apparence physique et le sexe du salarié. Aujourd’hui, c’est sans doute le motif de l’identité de genre qui serait invoqué à la place du sexe.

[25] J.-P. Lhernould, Réguler le port des coiffures dans l’entreprise peut constituer une discrimination fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe, JCP S, 2022, 1317.

[26] Récemment consacrée au niveau européen, il s’agit d’une discrimination fondée simultanément sur le sexe et sur un ou plusieurs autres motifs de discrimination prohibés au titre de la Directive n° 2000/43/CE N° Lexbase : L8030AUX ou n° 2000/78/CE N° Lexbase : L3822AU4, PE et Cons. UE, Directive n° 2023/970, 10 mai 2023, visant à renforcer l’application du principe d’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d’application du droit, art. 3.1.e. N° Lexbase : L6790MHX. V. N. Moizard, Les logiques de la directive (UE) n° 2023/970 visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les sexes, Droit social, 2023, p. 877 ; M. Mercat-Bruns, La discrimination intersectionnelle et sa critique : quel intérêt ?, RDT, 2022, p. 289 ; Défenseur des droits, décision n° 2020-163, 25 novembre 2020 [en ligne], à propos d’une annonce rédigée ainsi « Femmes, entre 22 et 30 ans – Taille de vêtement, entre 36 et 38 – Cheveux blonds longs ou mi-longs », le Défenseur des droits a retenu une discrimination fondée sur le sexe, l’âge, l’apparence physique et l’origine des candidats.

[27] CA Rennes, 12 octobre 2011, n° 10/00985 N° Lexbase : A6716H7U ; CA Orléans, 21 juin 2007, n° 06/01917 N° Lexbase : A0066ETM ; CA Douai, 20 avril 2012, n° 11/02790 N° Lexbase : A5537IPR.

[28] D’ailleurs, parmi les personnes qui déclarent des discriminations fondées sur l’apparence physique, c’est cette acception qui prévaut : 63 % relient exclusivement celles-ci aux caractéristiques corporelles (poids, taille, traits du visage…). V. Défenseur des droits et OIT, 9e édition du Baromètre du Défenseur des droits et de l’OIT sur la perception des discriminations dans l’emploi, Le physique de l’emploi, 2016, p. 5, préc.

[29] V. not., CPH Paris, 17 décembre 2002, n° 02-3547, Tahri c/Téléperformance France, RJS, 2003, obs. 309.

[30] V. Ghesquière, La prise en compte de la discrimination à raison de l’apparence physique par les institutions publiques de lutte contre les discriminations : la Belgique, in E. Pélisson (dir.), L’apparence physique motif de discrimination – Entre norme, codes sociaux, esthétisation et rejet de la différence visible, Colloque 16 novembre 2009, Science Po Lille, p. 155, spéc. p. 158.

[31] P. Vuilque, Rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur la proposition de loi n° 2566 de M. Jean Le Garrec relative à la lutte contre les discriminations, Assemblée nationale, Rapport n° 2609, 4 octobre 2000 [en ligne].

[32] Sur le contentieux ayant opposé United Airlines à certaines de ses hôtesses, v. R.-E. Jabbour, La discrimination à raison de l’apparence physique (lookisme) en droit du travail français et américain. Approche comparatiste, F. Kessler (dir.), Univ. Panthéon-Sorbonne Paris I, 2013, § 136, p. 193, spéc. notes de bas de page n° 937, et p. 223, spéc. note de bas de page n° 1063.

[33] J.-Ph. Lhernould, L’homme aux boucles d’oreille : liberté ou égalité ?, Droit social, 2012, p. 346.

[34] Halde, délibération n° 2006-206, 2 octobre 2006.

[35] Halde, délibération n° 2011-44 à 46, 28 février 2011 [en ligne].

[36] Halde, délibération n° 2010-273, 13 décembre 2010 [en ligne].

[37] Halde, délibération n° 2010-272 et 273, 13 décembre 2010 [en ligne].

[38] Halde, délibération n° 2008-279, 8 décembre 2008 [en ligne] ; Halde, délibération n° 2007-136 et 137, 24 mai 2007 [en ligne]. V. aussi, Défenseur des droits, décision n° MLD-2013-225, 29 octobre 2013 [en ligne].

[39] V. B. Bossu, L’apparence physique au travail, in Mélanges offerts au Professeur Jean Mouly : voyage au bout de la logique juridique, PULIM, 2020, p. 93.

[40] Ainsi que dans les articles L. 1321-3 du Code du travail N° Lexbase : L7923LCG, L. 131-1 du Code général de la fonction publique N° Lexbase : L5800MBG et 225-1 du Code pénal N° Lexbase : L0903MCG.

[41] Proposition de loi n° 1640 visant à reconnaître et à sanctionner la discrimination capillaire, enregistrée le 12 septembre 2023 [en ligne].

[42] Cheveux portés en locks, cornrows, torsades, tresses, bantous knots, afro.

[43] Plusieurs études mettent en avant que de nombreuses femmes afro-descendantes se lissent les cheveux en raison des préjugés en vertu desquels les cheveux texturés renverraient une image « peu [professionnelle] », A. McGill Johnson, R. D. Godsil, J. Macfarlane, L. R. Tropp et P. Atiba Goff, Perception Institute, The « Good Hair » Study: Explicit and Implicit Attitudes Towards Black Women’s Hair, février 2017, [en ligne], p. 12. Selon une étude menée en 2023 aux États-Unis, deux tiers des femmes afro-descendantes changent de coiffure avant un entretien d’embauche, Dove, LinkedIn, CROWN 2023, Workplace Research Study, 2023. Témoignent de ces préjugés les visuels diffusés par Nivea en 2011 illustrant un homme noir aux cheveux courts sur le point de lancer une tête d’un homme noir portant une coupe « afro » et une barbe surmonté du slogan « Re-civilise Yourself » (« Recivilisez-vous »), v. M. Astor, Dove Drops an Ad Accused of Racism, The New York Times, 8 octobre 2017 [en ligne].

[44] M. Mercat-Bruns, Du test à la texture des cheveux : deux propositions de loi potentiellement révélatrices des discriminations fondées sur l’origine, RDT, 2023, p. 774. V. également, N. Moizard, Justification d’une discrimination directe et exercice du pouvoir de direction, RDT, 2012, p. 159.

[45] Notamment de sa formulation qui, en visant sans autre précision « notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture [des] cheveux », pourrait conduire à englober dans la discrimination les choix les plus extravagants comme les coiffures « à l’iroquoise » (V. CA Paris, 7 janvier 1998, n° 86/34010) ou les teintures multicolores.

[46] Dès lors qu’il est difficile de tracer une frontière étroite liée à la volonté de la personne, comme en témoigne le poids, qui peut autant résulter d’une alimentation déséquilibrée que de prédispositions génétiques. Pour autant, « une blessure auto-infligée n’en reste pas moins une blessure. Un employeur peut-il licencier un salarié atteint d’un cancer du poumon au motif que ce dernier a fumé toute sa vie, sans encourir le grief de discrimination ? En raisonnant par analogie, on ne peut que conclure que le juge ne doit pas faire de distinction entre les personnes obèses en fonction de l’origine de la prise de poids », A. Fiorentino, Le surpoids du salarié en droit français et américain, JCP S, 2014, n° 43, 1403. V. également, P.-E. Bastard, Quand le tour de taille est objet de discrimination, Gaz. Pal., 20 février 2018, n° 311, p. 12.

newsid:488306

Environnement

[Brèves] Dépôt sauvage de déchets : un maire peut visiter une parcelle privée

Réf. : Cass. civ. 3, 1er février 2024, n° 22-17.089, FS-B N° Lexbase : A01452I9

Lecture: 2 min

N8304BZL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/104682018-edition-n-973-du-08022024#article-488304
Copier

par Yann Le Foll

Le 07 Février 2024

Un maire peut visiter une parcelle privée aux fins de vérifier le respect des exigences posées par le Code de l'environnement et l'existence de dépôt de déchets.

Faits. Le demandeur fait grief à l'ordonnance attaquée (CA Caen, 27 avril 2022, n° 21/02942 N° Lexbase : A33678YD) de confirmer la décision du 22 octobre 2021 autorisant le maire, le maire-adjoint délégué, et un responsable technique, à procéder à la visite de parcelles lui appartenant, aux fins de vérifier le respect des exigences posées par le Code de l'environnement et l'existence de dépôt de déchets.

Selon lui, « le droit de pénétrer dans les lieux sur autorisation du juge n'est conférée qu'à des fonctionnaires ou agents ; que n'entre pas dans cette catégorie le maire ou le maire-adjoint délégué de la commune ; qu'en autorisant le maire et le maire-adjoint délégué à procéder à la visite des parcelles, les juges du fond ont violé l'article L. 171-2 du Code de l'environnement N° Lexbase : L0787LTC ».

Position Ccass. À défaut de dispositions particulières désignant, en matière de police des déchets, les personnes habilitées à procéder aux contrôles administratifs réalisés en application de cette règlementation, le maire de la commune concernée, titulaire de ce pouvoir de police, y est habilité et est un agent au sens de l'article L. 171-2 du Code de l'environnement.

C'est, dès lors, à bon droit que la déléguée du premier président de la cour d'appel de Caen a autorisé le maire de la commune et le maire-adjoint délégué à procéder à la visite des parcelles appartenant au demandeur.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, L'action pénale du contentieux répressif de l'urbanisme, La nature des infractions en matière d'urbanisme : l'entrave au droit de visite, in Droit de l’urbanisme (dir. A. Le Gall), Lexbase N° Lexbase : E4945E7B.

newsid:488304

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Calcul de la CVAE et charges non déductibles dans le cas de locations de boutiques de duty free dans un aéroport

Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 21 décembre 2023, n° 469209, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A36922AY

Lecture: 3 min

N8310BZS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/104682018-edition-n-973-du-08022024#article-488310
Copier

par Marie-Claire Sgarra

Le 12 Février 2024

Calcul de la CVAE et charges non déductibles. Nouveau cas porté devant le Conseil d’État. Il était question en l’espèce de locations de boutiques duty free au sein d’un aéroport.

Les faits. Une société loue des espaces au sein d’aéroports aux fins d’exploitation commerciale de boutiques de « duty free » sur le fondement de conventions conclues avec les autorités domaniales et constituant « des autorisations d’occupation temporaires et révocables » du domaine public, en contrepartie du versement de redevances comportant une part fixe et une part variable indexée sur le montant du chiffre d’affaires.

Procédure :

  • à la suite d'une vérification de comptabilité de la société au titre des exercices clos en 2014 et 2015, l'administration fiscale a remis en cause la déduction de certaines charges de la valeur ajoutée retenue pour le calcul de la CVAE dont elle était redevable au titre des années correspondant à ces deux exercices ;
  • le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires ;
  • la CAA de Marseille a rejeté son appel.

Précisions du CE (pour l’application des dispositions des articles 1586 ter N° Lexbase : L4163MGB et 1586 sexies N° Lexbase : L9484LZB du même Code) :

  • doivent être regardés comme des loyers ou redevances afférents à des biens corporels, non déductibles pour le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, et partant, pour le calcul de la taxe additionnelle et des frais de gestion, l'ensemble des sommes versées en contrepartie d'une prestation dont l'objet principal est la mise à disposition de tels biens, y compris celles constituant la contrepartie d'une prestation accessoire à cette mise à disposition ;
  • en revanche, les sommes versées en contrepartie d'autres prestations ou droits, distincts, fournies ou concédés en complément de la mise à disposition de biens corporels et des prestations accessoires, n'ont pas le caractère de loyers. En cas de facturation globale, il appartient au preneur d'établir, par tous moyens, la fraction du prix qui correspond à ces prestations distinctes.

Sur les faits de l’espèce.

La cour a relevé qu'il ne résultait d'aucune des stipulations de ces conventions conclues entre la société des aéroports de la Côte d'Azur et la chambre de commerce et d'industrie de région des Iles de Guadeloupe, et notamment pas de celles précisant que l'objet de l'occupation du domaine était l'exploitation commerciale de boutiques, que la part variable des redevances serait la contrepartie spécifique d'un droit conféré à l'occupant, distinct de celui d'occuper privativement le domaine public à des fins économiques.

Dès lors qu’il ne résulte d’aucune des stipulations de ces conventions que la part variable des redevances serait la contrepartie spécifique d’un droit conféré à l’occupant, distinct de celui d’occuper privativement le domaine public à des fins économiques, ces redevances constituent, pour leur totalité, la contrepartie de la location de biens corporels au sens de l’article 1586 sexies du CGI. Elles ne peuvent donc être déduites de la valeur ajoutée servant de base à la CVAE.

Le pourvoi de la société est rejeté.

newsid:488310

Fiscalité des entreprises

[Textes] Partage de la valeur au sein de l’entreprise

Réf. : Loi n° 2023-1107, du 29 novembre 2023, portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise N° Lexbase : L4230MKU

Lecture: 14 min

N8354BZG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/104682018-edition-n-973-du-08022024#article-488354
Copier

par Guillaume Massé et Hervé Bachellerie - Avocats, D'Alverny Avocats

Le 08 Février 2024

Mots-clés : PPV • partage de la valeur • intéressement • participation • formule dérogatoire • PEE • dialogue social • ANI • bénéfices exceptionnels • valorisation de l’entreprise


 

La loi du 29 novembre 2023 est venue codifier les dispositions de l’Accord national Interprofessionnel (ANI) du 10 février 2023 [1] concernant le partage de la valeur en entreprise.

Elle est entrée en vigueur le 1er décembre 2023, sauf dispositions particulières.

Il s’agit d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés en liant encore davantage leur rémunération à la performance de l’entreprise

Ce nouveau texte poursuit 2 objectifs principaux :

  • développer les systèmes de redistribution aux salariés en fonction des résultats de l’entreprise,
  • favoriser les dispositifs de partage de la valeur au sein des PME, lesquelles emploient aujourd’hui plus de 4 millions de salariés (soit environ 25 % des effectifs salariés).

Pour ce faire, la loi, qui contient 19 articles, s’articule autour de 6 mesures phares :

  • faciliter la mise en place de la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés (article 4),
  • développer les dispositifs de partage de la valeur dans les PME (articles 5 et 6),
  • développer les modalités de redistribution en cas d’augmentation exceptionnelle du bénéfice (article 8),
  • favoriser l’attribution de la prime de partage de la valeur, PPV (article 9),
  • instaurer une prime de partage de la valorisation de l’entreprise, PPVE (articles 10, 11),
  • assouplir les seuils d’attribution gratuite d’actions pour les salariés (article 17).

I.  Accroitre la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés (article 4)

Cette disposition prolonge plusieurs mesures d’incitation et de simplification adoptées ces dernières années :

  • l’exonération du forfait social en cas de participation dans une entreprise de moins de 50 salariés et en cas d’intéressement dans une entreprise de moins de 250 salariés,
  • la loi ASAP [2] du 7 décembre 2020 permettant aux entreprises de moins de 50 salariés d’appliquer un accord de participation et/ou un plan d’épargne d’entreprise (PEE) ou interentreprises (PEI) de branche,
  • la loi du 17 juin 2020 relative à diverses mesures sanitaires [3] permettant aux entreprises de moins de 11 salariés, sans délégués syndicaux, ni délégués du personnel de mettre en place unilatéralement un régime d’intéressement pour 1 à 3 ans,
  • la faculté [4] pour les entreprises de moins de 50 salariés non couvertes par un accord de branche agréé, de mettre en place un accord d'intéressement par décision unilatérale, si l'entreprise est dépourvue de délégué syndical et de Comité social et économique (CSE), ou si, au terme d'une négociation conduite avec les représentants du personnel, aucun accord n'a été conclu.

Cette mesure, expérimentale pour une durée 5 ans, vise à faciliter le déploiement de la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés (où elle n’est pas obligatoire), avec une formule dérogatoire de calcul de la réserve spéciale de participation [5], plus ou moins favorable que la formule légale [6].

Par ailleurs, obligation est faite aux branches d’ouvrir une négociation, avant le 30 juin 2024, en vue de la mise en place d’un accord de branche comportant une formule de participation qui peut être dérogatoire par rapport à la formule légale.

La participation dans les entreprises comportant moins de 50 salariés peut être mise en place par :

  • adhésion à un accord de branche agréé [7],
  • accord négocié au niveau de l’entreprise [8].

Quels sont les prélèvements obligatoires et avantages d’un système de participation ?

Pour les salariés : exonération des sommes pour l’impôt sur le revenu lorsqu’elles sont affectées à un plan d’épargne   salariale.

Pour les entreprises : la participation est déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés ou de l’IR.

Concernant les entreprises de moins de 50 salariés, elle n’est pas soumise au forfait social. Pour les autres entreprises, elles se voient appliquer le taux de 20 %.

La participation est exclue de l’assiette des cotisations de sécurité sociale salariales et patronales.

En revanche, elle est soumise à la CSG et à la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale).

II.  Développer les dispositifs de partage de la valeur dans les petites entreprises (moins de 50 salariés) (articles 5 et 6)

Cette mesure est prévue pour une durée 5 ans, et un bilan sera réalisé à son terme.

Le but est d’encourager la généralisation des dispositifs de partage de la valeur dans les entreprises entre 11 et 49 salariés, constituées sous forme de sociétés ou d’entreprises sociales et solidaires, qui, pendant 3 exercices consécutifs, réalisent un bénéfice net fiscal [9] ou des recettes (ESS) atteignant 1% du chiffre d’affaires.

La loi inclut [10] les entreprises de l’économie sociale et solidaire [11] : associations, coopératives, les mutuelles ou unions sous forme de coopérative relevant du Code de la mutualité et les sociétés d’assurance mutuelle. Comme elles ne déclarent pas de bénéfice net fiscal, il est retenu le chiffre d’affaires comme référence.

L’atteinte de la condition de bénéfice ou de recettes, pendant 3 exercices, déclenche l’obligation pour l’entreprise de mettre en place l’un des dispositifs suivants :

  • un dispositif de participation par adhésion à un accord de branche,
  • un régime d'intéressement par accord ou par décision unilatérale ou par accord de branche,
  • un abondement à un plan d'épargne salariale,
  • le versement d’une prime de partage de la valeur (PPV).

Ce nouveau dispositif sera opérationnel au 1er janvier 2025, en appréciant le bénéfice net fiscal des 3 exercices précédents, donc des exercices 2022 à 2024.

III.  Redistribution en cas d’augmentation exceptionnelle du bénéfice (article 8)

Ce nouveau dispositif prévoit une distribution supplémentaire aux salariés en cas de résultats exceptionnels, soit en application d’un dispositif préexistant, soit par la mise en place d’un nouveau dispositif de redistribution.

Sont concernées les entreprises de plus de 50 salariés.

Ainsi, ces entreprises sont désormais tenues, lors de la négociation avec les délégués syndicaux sur la mise en œuvre d’un dispositif de participation, de négocier aussi la définition d’une augmentation exceptionnelle du bénéfice et les modalités de partage de ce résultat.

Pratiquement, les entreprises déjà couvertes par un accord de participation ou d’intéressement doivent engager une négociation sur ce point, avant le 30 juin 2024.

Celles mettant en place un système de participation ou un intéressement doivent lors de cette négociation (i) définir ce qui constituera une augmentation exceptionnelle et (ii) fixer les modalités de partage de la valeur avec les salariés en cas d'augmentation exceptionnelle (telle que définie).

Par contre, les entreprises qui disposent déjà un accord de participation ou d’intéressement incluant une clause de résultats exceptionnels sont considérées comme remplissant  cette nouvelle obligation.

La mise en place du nouveau dispositif se fait par accord avec les délégués syndicaux.

La négociation doit définir l’augmentation exceptionnelle (critères tels que taille de l’entreprise, secteur, opérations de rachat d’actions ...). Elle doit également fixer les modalités de partage possibles qui peuvent consister en :

  • le versement d’un supplément de participation ou d’intéressement,
  • l’ouverture d’une nouvelle négociation ayant pour objet (i) la mise en place d’un dispositif d’intéressement (ii) l’abondement à un plan d’épargne salariale (PEE, PEI, PERCO, PERECO) ou (iii) le versement d’une PPV .

IV.  Prime de partage de la valeur, PPV (article 9)

La loi procède à des ajustements ciblés et mesurés par rapport aux dispositions de la loi préexistante du 16 aout 2022 [12] ayant créé la PPV.

Afin de mesurer les évolutions de la nouvelle législation, il convient de procéder à un certain nombre de rappels concernant la prime de partage de la valeur relative au pouvoir d’achat, pour la période 2022-2023.

Il s’agit, faut-il le rappeler, d’un dispositif pérenne qui ne se substitue à aucun élément de rémunération directe.

Sa mise en place se fait par accord d’entreprise ou, à défaut, sur décision unilatérale de l’employeur.

Le dispositif doit concerner tous les salariés, mais est modulable selon le niveau de rémunération, le niveau de classification, la durée de présence, la durée de travail, etc.

Le plafond annuel de la prime est 3 000 euros, porté à 6 000 euros en cas d’accord d’intéressement.

Les avantages sociaux et fiscaux sont les suivants :

  • pour les employeurs : exonération des cotisations sociales, de la participation à l’effort de construction, contribution à la formation professionnelle et à l’alternance et, pour les entreprises < 250 salariés, du forfait social (20 %),
  • pour les salariés ayant une rémunération inférieure à 3 SMIC (63 576 euros) : exonérations de cotisations sociales, de CSG/CRDS et d’IRPP,
  • pour les salariés ayant une rémunération supérieure à 3 SMIC : exonération des cotisations sociales (mais CSG/CRDS et IRPP exigibles)

Les nouvelles dispositions contenues dans l’article 9 sont les suivantes, pour la période 2024 à 2026 :

  • pour les salaires inférieurs à 3 SMIC et dans des entreprises ayant moins de 50 salariés, les règles d’exonérations applicables jusqu’en 2023 sont maintenues (« régime d’exonération renforcé »),
  • pour les salaires supérieurs à 3 SMIC ou dans les entreprises employant plus de 50 salariés, il y a un maintien des exonérations des cotisations sociales, mais CSG et CRDS deviennent exigibles.

Comme précédemment, la prime est exonérée d’impôt sur le revenu (IRPP), sous condition que les sommes soient versées sur un Plan d’épargne salariale ou de retraite.

Désormais, deux primes sont possibles par année civile, avec des montants et des bénéficiaires qui peuvent être différents. En revanche, les plafonds fiscaux et sociaux demeurent inchangés, quel que soit le nombre de primes.

Enfin, la ou les PPV, même versée(s) en tout ou partie sur un PEE ou PER, restent incluses dans le calcul du salaire de référence.

V.  Plan de partage de la valorisation de l’entreprise, PPVE (articles 10 et 11)

Il s’agit également d’une faculté nouvelle offerte par la nouvelle loi.

L’objectif est de pouvoir faire bénéficier les salariés d’une valorisation de l’entreprise, laquelle valorisation est aujourd’hui réservée aux sociétés par actions. 

Le nouveau dispositif permettra aux salariés de bénéficier d’une prime de valorisation de l’entreprise, lorsque celle-ci aura progressé sur une période de 3 ans.

Sont concernées toutes les entreprises de droit privé et les sociétés régies par le statut de la coopération.

Le plan de partage de valorisation de l’entreprise vise tous les salariés avec une ancienneté à supérieure à 12 mois, mais ce délai peut être raccourci, si l’accord le prévoit.

Le salarié doit être présent aux effectifs lors du versement de la prime.

La prime est modulable selon la classification, la rémunération et/ou le temps de travail.

Elle sera indexée sur la variation de la valeur de l’entreprise entre la date initiale et sa valeur à l’issue du délai de 3 ans, en fonction de la méthode de valorisation qui sera définie :

  • pour les sociétés cotées : capitalisation boursière moyenne sur les 30 derniers jours de bourse précédant la date de début et date de fin (des 3 ans),
  • pour les autres entreprises, la formule de valorisation est déterminée par l’accord. Elle peut tenir compte notamment de la situation comptable, de la rentabilité, des perspectives…

En cas d’accord, sans formule de valorisation ou si la formule s’avère finalement inapplicable, la loi prévoit alors à titre subsidiaire que la valorisation de l’entreprise est appréciée sur la base de l’actif net réévalué (ANR), calculé d’après le bilan le plus récent.

Le plan de partage de valorisation de l’entreprise est mis en place selon une des formules suivantes :

  • accord collectif de travail ou convention entre employeur et organisations syndicales,
  • accord au sein du Conseil social et économique (CSE),
  • ratification par 2/3 du personnel.

L’accord, établi sur rapport spécial du CAC, contient ces dispositions impératives :

  • montant et période de référence,
  • formule de valorisation de l’entreprise,
  • taux d’évolution,
  • modalités d’attribution de la prime,
  • date de début et date de fin (3 ans fixe).

Il doit également prévoir le taux de variation, lequel mesure l’évolution de la valeur de l’entreprise constatée au cours de la période.

La prime ne peut excéder, au cours d’un exercice, les ¾ du plafond annuel de la sécurité sociale (46 368 euros au 1er janvier 2024), soit 34 776 euros.

Cette prime ne peut se substituer à aucun autre avantage de rémunération et n’a pas le caractère de salaire pour l’application de la législation du travail (congés, licenciement, etc.).

Cette règle ne remet pas en cause les exonérations fiscales et sociales attachées à des éléments de rémunération dès lors qu’un délai de 12 mois s’est écoulé entre la suppression de l’élément de rémunération et la PPVE.

Au terme des 3 ans, les sommes dues sont à verser dans les 7 mois qui suivent, et peuvent l’être en une ou plusieurs fois sur une période de 12 mois maximum.

Concernant les prélèvements obligatoires :

  • pour la fiscalité, il y a une exonération de l’impôt sur le revenu, dans la limite de 5 % du montant maximum d’attribution de la prime pour un exercice (soit les ¾ du Plafond d’assurances sociales), c’est-à-dire  environ 1 800 euros / an, sous condition d’affectation des sommes à un plan d’épargne salariale (PES) ou à un plan d’épargne retraite (PER),
  • sécurité sociale : à l’instar de la Prime de partage de la valeur, la prime de valorisation de l’entreprise, bénéficie d’une exonération des cotisations sociales, de la participation à l’effort de construction, de contribution à la formation professionnelle et à l’alternance. En revanche, est due la contribution patronale de 20 % au profit de la CNAV (recouvrées et liquidées comme celles applicables aux AGA et SOP),
  • la CSG et la CRDS restent exigibles.

Ces exonérations, pour l’instant, ne sont prévues que pour les exercices de 2026 à 2028.

VI.  Favoriser l’actionnariat salarié

L’article 17 rehausse les différents plafonds existant quant au pourcentage maximal d’actions du capital social d’une société pouvant être constituée d’actions gratuites.

Il est prévu d’augmenter les plafonds d’attribution d’actions gratuites (AGA) :

  • 15 % au lieu de 10 % du capital pour les grandes entreprises et les ETI,
  • 20 % au lieu de 15 % pour les PME,
  • 40 % au lieu de 30 % lorsque l’attribution est dite démocratique.

Un nouveau plafond intermédiaire, fixé à 30 % est introduit, quand les AGA concernent au moins 25 % de la masse salariale. Il faut dans ce cas que l’AGA concerne au moins 50% des salariés représentant 25% de la masse salariale.

Par ailleurs, le plafond individuel de 10 % d’actions gratuites que peut détenir chaque salarié ou mandataire social est maintenu, mais dorénavant ne sont pris en compte que les titres de la société détenus directement depuis plus de 7 ans.

Enfin, les actions qui ne sont pas admises à un marché réglementé peuvent être attribuées aux présidents, directeurs généraux et directeurs généraux délégués, membres du directoire ou au gérant.

En outre, les sociétés non cotées peuvent, au terme d'un nouvel alinéa 3, inséré à l'article L. 225-197-1 II du Code de commerce N° Lexbase : L4493MKM, attribuer des actions aux mandataires sociaux des sociétés dans lesquelles elles détiennent, directement ou indirectement, au moins 10 % du capital ou des droits de vote.

En dernier lieu, il faut souligner que différents décrets doivent venir compléter ou préciser certaines dispositions de la loi du 29 novembre 2023, dont la date de publication à ce jour n’est pas connue.

 

 

[1] Le Projet de loi avait fait l’objet d’un avis du Conseil d’État du 17 mai 2023 [en ligne].

[2] Loi n° 2020-1525, du 7 décembre 2020, d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) N° Lexbase : L9872LYB, qui modifie des dispositions en matière de droit de l'environnement et de procédures.

[3] Loi n° 2020-734, du 17 juin 2020, relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne N° Lexbase : L4230LXX.

[4] Loi n° 2022-1158, du 16 août 2022, portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat N° Lexbase : L7050MDH.

[5] Dérogatoire au principe d’équivalence des avantages de l’article L. 3324-2 Code du travail N° Lexbase : L5939LQZ.

[6] C. trav., art. L. 3324-1 N° Lexbase : L5863MAE.

[7] C. trav., art. L. 3322-9 N° Lexbase : L0665LZN.

[8] C. trav., art. L. 3322-6 N° Lexbase : L8616LG9.

[9] Notion définie à l’article L. 3324-1 1° Code du travail applicable pour la RSP.

[10] Exclues expressément les entreprises individuelles et les SAPO.

[11] Non prévu dans l’ANI.

[12] Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

Guillaume Massé

Hervé Bachellerie

newsid:488354

Marchés publics

[Jurisprudence] Le dénigrement public d’un candidat par un élu sur Facebook méconnait le principe d’impartialité

Réf. : TA Montreuil,12 janvier 2024, n° 2315368 N° Lexbase : A55692EY

Lecture: 9 min

N8320BZ8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/104682018-edition-n-973-du-08022024#article-488320
Copier

par Johan Sanguinette, Avocat à la Cour

Le 08 Février 2024

Mots-clés : commande publique • concession • impartialité • égalité de traitement • Facebook

Le début de l’année 2024 a été l’occasion pour le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Montreuil de faire une application originale du principe d’impartialité à l’occasion du renouvellement de la délégation de service public relative au marché de la ville de Sevran.


 

En effet, en cours de procédure, la société Somarep, titulaire sortante et candidate à l’attribution du nouveau contrat, a reçu publiquement les foudres d’un élu local, par ailleurs président de la commission de délégation de service public.

Concrètement, à quelques jours de la date limite de remise des candidatures, l’élu en question s’est fendu d’un message sur le réseau social Facebook par lequel il indiquait, entre autres, que « ce marché est mal géré » et que « le bail de concessionnaire du marché doit être renouvelé en janvier prochain, c’est l’occasion de le réformer pour qu’il soit plus diversifié et qu’on y trouve plus de commerces de qualité ».

La Somarep ayant vu son offre classée deuxième et rejetée au terme de l’analyse des offres, elle a saisi le juge des référés précontractuels en invoquant, notamment, la méconnaissance du principe d’impartialité, principal général du droit dont on sait qu’il s’applique à tout acheteur [1], notamment en matière de concession [2], motif pris de l’opinion préétablie et rendue publique du président de la commission de délégation de service public à son égard.

Aux termes d’une ordonnance dont plusieurs enseignements peuvent être tirés quant à la portée du principe d’impartialité (II), le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil admet le moyen et, en conséquence, annule la procédure de passation dans son intégralité (I).

I. L’étendue du principe d’impartialité en matière de passation d’une délégation de service public

A. Les membres de la commission de délégation de service public sont soumis à l’exigence d’impartialité

Premièrement, l’ordonnance commentée est l’occasion pour le juge des référés de confirmer que le principe d’impartialité trouve à s’appliquer aux membres de la commission de délégation de service public, dans la mesure où cette dernière tient « un rôle éminent » dans la procédure de publicité et de mise en concurrence.

En effet, cette commission, prévue par l’article L. 1411-5 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4821LU4, a pour mission d’analyser les candidatures et de dresser la liste des candidats admis à présenter une offre, ainsi que d’analyser les offres et de présenter son rapport d’analyse à l’assemblée délibérante.

Ainsi, si l’assemblée délibérante dispose seule du pouvoir de choisir, en définitive, l’attributaire du contrat de délégation de service public [3], la commission de délégation de service public se trouve au cœur de la procédure de mise en concurrence conduite pour la désignation de cet attributaire.

Pour le juge des référés, « le rôle éminent reconnu à la commission (…) impose que ses membres, alors même que leur liberté d’expression, s’ils ont la qualité d’élu, est garantie, s’abstiennent, pendant la durée de la procédure, de toute prise de position de nature à compromettre le respect de ce principe d’impartialité ».

En tant que membre de la commission de délégation de service public, un élu local est donc tenu à un devoir de réserve durant la procédure de passation d’une délégation de service public, sur toute question afférente au contrat en cours de passation.

À titre d’analogie, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a, a contrario, considéré que les propos publics de la présidente et des vice-présidents de l’Eurométropole de Strasbourg en faveur d’un candidat ne méconnaissaient pas le principe d’impartialité, faute d’avoir exercé une influence sur la procédure de mise en concurrence, dès lors qu’il n’était pas démontré que les membres du conseil métropolitain se seraient crus liés par cette opinion [4].

La liberté d’expression des élus locaux au sujet des procédures de mise en concurrence en cours doit donc s’apprécier de façon circonstanciée, en fonction du rôle que lesdits élus tiennent effectivement dans le déroulement de la procédure.

B. Le dénigrement d’un candidat sur Facebook témoigne d’un défaut d’impartialité

Deuxièmement, par l’ordonnance commentée le juge des référés conclut que les propos tenus par le président de la commission de délégation de service public dans son commentaire publié sur Facebook étaient de nature à caractériser un défaut d’impartialité à l’égard d’un candidat.

D’une part, chacun pourra porter sa propre appréciation, nécessairement subjective, sur la teneur des propos en cause et on comprend d’ailleurs, à la lecture du considérant 10 de l’ordonnance, que la commune a tenté, en défense, d’exploiter l’ambiguïté du commentaire pour soutenir que la critique « présentait une portée générale » et qu’elle ne visait pas précisément la société exploitante du marché.

Le juge des référés n’a toutefois pas été du même avis et il a considéré, au contraire, qu’elle « visait directement la société Somarep, en charge à cette date de la gestion de ce marché urbain et candidate à sa succession ».

D’autre part, le juge des référés a considéré qu’un commentaire publié sur une page du réseau social Facebook - a fortiori sur une page « librement accessible au public » - peut constituer une « prise de position publique » d’un élu local.

Cette solution nous paraît difficilement critiquable à l’heure où le réseau social fête ses vingt ans d’existence avec plus de 2,11 milliards d’utilisateurs quotidiens [5].

Reste que l’on pourrait s’interroger sur l’importance du fait que la prise de position soit « publique » pour caractériser le défaut d’impartialité, puisque le parti pris de l’élu serait tout aussi problématique si les propos étaient tenus en privé.

Comme l’illustre l’ordonnance du tribunal administratif de Strasbourg susmentionnée [6], le caractère public des propos ne suffit pas, encore faut-il que leur auteur soit susceptible d’exercer une influence sur la procédure de passation.

En réalité, la considération liée au caractère public des propos tenus renvoie essentiellement, à notre sens, à une exigence d’apparence d’impartialité que l’acheteur doit renvoyer aux candidats, autant qu’au public. 

II. Une autre facette du défaut d’impartialité de l’acheteur

A. Le défaut d’impartialité ne se limite pas au conflit d’intérêts

Premièrement, le dixième considérant de la décision commentée se termine la phrase suivante : « Par ailleurs, l’existence d’une atteinte au principe d’impartialité n’implique pas la démonstration de l’existence d’un conflit d’intérêts ».

On suppose que cette incise a vocation à répondre à un argument de la défenderesse selon lequel le défaut d’impartialité n’était pas caractérisé faute de remplir les deux éléments de définition d’un conflit d’intérêts [7].

Or, on comprend de l’extrait susmentionné que, selon le juge des référés, le défaut d’impartialité pourrait être caractérisé sans pour autant que les deux éléments constitutifs d’un conflit d’intérêts - notamment le premier, tenant à l’existence d’un intérêt financier, économique ou un autre intérêt personnel- ne soient avérés.

Autrement dit, si le conflit d’intérêts constitue, par essence, un défaut d’impartialité, l’inverse n’est pas systématique.

Cette prise de position s’inscrit dans un contexte où les projecteurs ont été braqués sur la notion de conflit d’intérêts en raison, d’une part, de la définition posée par le droit européen [8] et le droit national [9], et d’autre part, de la frénésie jurisprudentielle en matière de conflit d’intérêts des assistants à maîtrise d’ouvrage [10].

Ceci a engendré des commentaires de doctrine traitant l’exigence d’impartialité à travers le prisme du conflit d’intérêts [11] et même, une tendance récente des rapporteurs publics du Conseil d’État à définir le défaut d’impartialité par référence aux deux éléments constitutifs du conflit d’intérêts [12].

Or, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil considère pour sa part que l’analogie entre les deux notions n’est pas parfaite et qu’un défaut d’impartialité peut subsister hors du conflit d’intérêts.

B. Le défaut d’impartialité en défaveur d’un candidat

Deuxièmement, la jurisprudence foisonnante rendue au sujet des conflits d’intérêts a également attiré les regards sur les situations où une personne participant à la procédure de mise en concurrence favoriserait, ou pourrait chercher à favoriser indûment un candidat.

L’originalité de la décision commentée tient à ce qu’elle porte sur une situation factuelle inverse, à savoir celle où le défaut d’impartialité réside dans le cas d’une personne participant à la procédure et dont on considère qu’elle défavoriserait indûment un candidat.

Une récente ordonnance du tribunal administratif de Limoges a traité d’un cas analogue, où un candidat évincé invoquait une prise de position d’une élue locale en sa défaveur dans le cadre de l’exécution d’un précédent contrat [13].

Le moyen n’avait toutefois pas été admis dans cette affaire, le juge des référés considérant qu’il n’était pas établi que l’élue en question « aurait exercé une influence quelconque dans le choix de l’attributaire ».

Il n’en demeure pas moins qu’une personne exerçant une influence sur la procédure de mise en concurrence peut donc porter atteinte au principe d’impartialité de façon « positive », autant que « négative. »

Ceci nous amène à conclure que la prudence est recommandée pour tous les élus et que le silence reste certainement la meilleure des approches.

 

[1] CE, 14 octobre 2015, n° 390968 N° Lexbase : A3734NTH.

[2] CE, 18 décembre 2019, n° 432590 N° Lexbase : A4704Z8Q.

[3] CGCT, art. L. 1411-7 N° Lexbase : L2862LNC.

[4] TA Strasbourg, 11 mai 2022, n° 2202519 N° Lexbase : A89002KT.

[5] Résultats trimestriels de Meta, Q4 2023.

[6] TA Strasbourg, 11 mai 2022, n° 2202519.

[7] Voir : Directive 2014/23/UE du 26 février 2014, sur l'attribution de contrats de concession N° Lexbase : L8591IZ9, art. 35 ; Directive 2014/24/UE du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics N° Lexbase : L8592IZA, art. 24 ; CCP, art. L. 2141-10 N° Lexbase : L4493LRT et L. 3123-10 N° Lexbase : L4380LRN.

[8] Directive 2014/23/UE du 26 février 2014, art. 35 ; Directive 2014/24/UE du 26 février 2014, art. 24.

[9] CCP, art. L. 2141-10 et L. 3123-10.

[10] Entre autres : CE, 25 novembre 2021, n° 454466 N° Lexbase : A13147DZ ; CE, 28 février 2023, n° 467455 N° Lexbase : A05229GG ; TA Cergy-Pontoise, 19 octobre 2023, n° 2312992 N° Lexbase : A99701NL ; TA Nantes, 5 janvier 2021, n° 2012289 N° Lexbase : A34462KT.

[11] Notamment B. Neveu et P. Terneyre, Impartialité dans l’attribution des contrats publics : de la nécessité d’anticiper les conflits d’intérêts, BJCP n° 143, p. 191.

[12] Voir notamment les conclusions de Mme Le Corre sous CE, 25 novembre 2021, n° 454466, §3. 

[13] TA Limoges, 1er août 2023, n° 2301189 N° Lexbase : A88501EI.

newsid:488320

Régimes matrimoniaux

[Brèves] Droit de poursuite des créanciers d’un époux commun en biens sur le logement commun : non-lieu à renvoi d’une QPC

Réf. : Cass. civ. 1, 31 janvier 2024, n° 23-18.056, FS-P, QPC N° Lexbase : A79092HE

Lecture: 3 min

N8363BZR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/104682018-edition-n-973-du-08022024#article-488363
Copier

par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 07 Février 2024

► Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l’encontre de l'article 1413 du Code civil, en ce qu'il permet à un époux de voir son bien immobilier à usage d'habitation saisi et vendu dans le cadre des poursuites engagées par les créanciers de l'autre époux ; la question de savoir si cet article serait contraire à la Constitution, et spécialement au droit pour toute personne de disposer d'un logement décent et au principe de responsabilité personnelle, tels qu'ils sont protégés par les alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 et par l'article 4 de la Déclaration de 1789, ne présente pas un caractère sérieux.

En effet, la Haute juridiction rappelle, en premier lieu, que la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle tenant à la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution (déjà en ce sens : Cass. civ. 3, 9 janvier 2020, n° 19-40.033, FS-P+B+I N° Lexbase : A47253AA).

En second lieu, aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Il résulte de ces dispositions qu'en principe tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, le législateur pouvant prévoir à certaines conditions l'engagement de la responsabilité d'une personne autre que celle par la faute de laquelle le dommage est arrivé (Cons. const., décision n° 2015-517 QPC, du 22 janvier 2016, cons. 7 et 9 N° Lexbase : A4221N44).

L'article 1413 du Code civil N° Lexbase : L1544ABS qui, dans sa rédaction issue de la loi n° 85-1372, du 23 décembre 1985, dispose que le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s'il y a lieu, a pour effet de permettre au créancier de l'un des époux de recouvrer sa créance sur les biens communs. S'il expose ainsi le conjoint de l'époux débiteur à supporter, à hauteur de ses droits dans la communauté, la charge des dettes souscrites par son conjoint, il n'en résulte pas pour autant l'engagement de sa responsabilité.

En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les dettes des époux, Le droit de poursuite des créanciers sur les biens communs, in Droit des régimes matrimoniaux (dir. J. Casey), Lexbase N° Lexbase : E4020EUG.

 

newsid:488363

Représentation du personnel

[Brèves] CSE : compétence du tribunal judiciaire pour statuer sur la contestation du coût final de l’expertise

Réf. : Cass. soc., 31 janvier 2024, n° 21-20.454, FS-B N° Lexbase : A79122HI

Lecture: 1 min

N8305BZM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/104682018-edition-n-973-du-08022024#article-488305
Copier

par Charlotte Moronval

Le 07 Février 2024

► La contestation du coût final de l'expertise, exclue de la procédure accélérée au fond, relève de la compétence du tribunal judiciaire, statuant au fond.

Faits et procédure. Un CSE a voté deux expertises, confiées à une société d'expertise comptable, en vue de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l'entreprise et celle sur la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi.

Saisi selon la procédure accélérée au fond par l’employeur, aux fins de contestation du coût définitif des deux expertises, le président du tribunal judiciaire de Rodez s'est déclaré territorialement incompétent. Il décide de renvoyer le dossier devant le président du tribunal judiciaire de Paris compétent, selon lui, selon la procédure de droit commun.

L’employeur forme un pourvoi en cassation.

La solution. La Chambre sociale de la Cour de cassation approuve le raisonnement du président du tribunal judiciaire.

Elle énonce que la contestation du coût final de l'expertise, exclue de la procédure accélérée au fond, relève de la compétence du tribunal judiciaire, statuant au fond.

En l’espèce, le président du tribunal judiciaire, saisi selon la procédure accélérée au fond d'une contestation du coût final de l'expertise, en a exactement déduit qu'il était incompétent.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le recours à l'expertise par le comité social et économique, La contestation, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E2027GAC.

 

newsid:488305

Sociétés

[Jurisprudence] Du nouveau sur les contours du devoir de vigilance

Réf. : TJ Paris, 5 décembre 2023, n° 21/15827 N° Lexbase : A670217D

Lecture: 19 min

N8323BZB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/104682018-edition-n-973-du-08022024#article-488323
Copier

par Isabelle Grossi, Maître de conférences - HDR (Aix-Marseille Université), Codirectrice de l'Institut de droit des affaires, Directrice du Master Ingénierie des société et du DJCE, Membre du Centre de droit économique

Le 07 Février 2024

Mots-clés : plan de vigilancedevoir de vigilance • mesures du plan exigées • cartographie des risques • office du juge

Le tribunal judiciaire de Paris a eu l’occasion de se prononcer pour la première fois, au fond, dans un jugement didactique et équilibré, en matière de plan de vigilance. Selon lui, le plan de vigilance de la société La Poste doit être complété par des mesures concrètes, adéquates et efficaces en cohérence avec la cartographie des risques. Le tribunal ne va cependant pas jusqu’à décider à sa place de la mesure la plus appropriée.


 

Trois bonnes raisons – au moins – de s’intéresser au jugement du 5 décembre 2023. C’est le premier à appréhender au fond les mots de la loi « Vigilance » [1] ; il supplée ce faisant l’inertie du pouvoir réglementaire, puisque le décret d’application de la loi du 27 mars 2017 n’a pas été adopté et qu’une certaine insécurité juridique nimbe la matière [2] ; sa décision intéressera à terme [3] plus de 1 500 sociétés [4]. Voilà trois bonnes raisons, au moins, de s’intéresser au jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 5 décembre 2023.

Un contentieux en droit du travail, transposable. Estimant que la société anonyme La Poste n’avait pas satisfait à la mise en demeure de se conformer au dispositif relatif au devoir de vigilance auquel elle était soumise [5], et au-delà, qu’elle devait renforcer certaines de ses politiques relevant du droit du travail, le syndicat Sud PTT l’a assignée, le 22 décembre 2021, devant le tribunal judiciaire de Paris [6].

Pour le syndicat, le plan de vigilance de La Poste ne respectait pas l’article L. 225-102-4 du Code de commerce N° Lexbase : L6675L7D [7]. C’est pourquoi il demande aux juges parisiens de lui enjoindre, sous astreinte de 50 000 euros par jour de retard, de compléter le plan en y intégrant :

  • une cartographie des risques destinés à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation, dont le périmètre doit couvrir l’ensemble des sous-traitants et fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, si bien que la liste de ces derniers doit être publiée ;
  • des procédures d’évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risques ;
  • un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements établi après concertation avec les organisations syndicales ;
  • des mesures adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves (notamment pour éviter le travail illégal par les sous-traitants, prévenir des risques psychosociaux et lutter contre le harcèlement) et ainsi procéder à la mise en œuvre effective de certaines mesures (en résiliant, par exemple, immédiatement les contrats conclus avec les sous-traitants ou prestataires ayant recours à du travail dissimulé) ;
  • un réel dispositif de suivi permettant d’apprécier l’effectivité et l’efficacité des mesures de vigilance.

En réponse, la société La Poste estimait notamment que le syndicat créait une confusion entre les obligations du groupe résultant du Code du travail et celles résultant de la loi « Vigilance » [8].

La réponse des magistrats est importante, de même que la méthodologie qu’ils adoptent, laquelle est applicable à tous les domaines concernés par le plan : droits humains et libertés fondamentales, santé et sécurité des personnes et environnement. Le tribunal judiciaire de Paris a pu ainsi livrer, pour la première fois, dans un jugement détaillé de plus d’une trentaine de pages, sa position aussi bien sur les exigences du plan (I) que sur les pouvoirs du juge en matière de devoir de vigilance (II).

I. Des exigences relatives au plan de vigilance

Pas de généralité, de la précision. Alors que le jugement « Total Ouganda » du 28 février 2023 [9] indiquait dans un obiter dictum que le contenu des mesures de vigilance demeure général, que la loi ne vise directement aucun principe directeur, qu’il n’est prévu aucun modus operandi d’élaboration du plan de vigilance, la décision sous examen livre un enseignement majeur : pas de généralité, de la précision ! Le tribunal judiciaire revient sur les cinq items composant les dispositions du plan de vigilance [10] (A) et sur les informations susceptibles d’être publiées (B).

A. Les dispositions du plan

Le dispositif légal. Pour rappel, l’article L. 225-102-4, I, du Code de commerce dispose dans les grandes lignes que les sociétés éligibles au dispositif établissent et mettent en œuvre de manière effective un plan de vigilance. Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant de leurs activités et de celles des sociétés qu’elles contrôlent et des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation.

Le plan, qui a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, comprend l’établissement d’une cartographie des risques, la mise en place d’une procédure d’évaluation des filiales, sous-traitants et fournisseurs, la mise en œuvre d’actions d’atténuation et de prévention des atteintes graves, la création d’un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements, ainsi que la mise en place d’un dispositif de suivi des mesures.

Le caractère fondamental de la cartographie. Selon le tribunal judiciaire de Paris, tout commence par la cartographie des risques : « la cartographie des risques des activités est la première étape de l’élaboration du plan de vigilance qui revêt un caractère fondamental dans la mesure où ses résultats conditionnent les étapes ultérieures et donc l’effectivité de l’ensemble du plan. Ainsi, il résulte de l’article L. 225-102-4, 2°, du Code de commerce que les procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels l’entreprise entretient une relation commerciale établie sont effectuées au regard de la cartographie des risques, que les actions d’atténuation des risques et de prévention des atteintes devront par définition être adaptées aux résultats de la cartographie des risques et que le plan devra prévoir un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques ».

Et les juges de préciser qu’il s’agit « en concertation avec les parties prenantes » d’identifier et d’analyser l’impact potentiel des activités de la société sur les droits fondamentaux des personnes (santé et sécurité), ou sur l’environnement, en prenant « concrètement en compte », sur l’ensemble de la chaîne de valeur, des « facteurs précis » susceptibles d’engendrer la réalisation des risques tels que « le secteur et la nature de l’activité, sa localisation, le mode de relation commerciale et le cadre juridique lui servant de support, la dimension, la structure ou les moyens des filiales ou des partenaires ainsi que les conditions matérielles de production ou de réalisation de la prestation ». D’emblée, on observera que pour les juges, la concertation avec les parties prenantes s’impose. Or, malgré le caractère « assez nébuleux » [11] des termes utilisés par le législateur concernant les acteurs devant être associés à la mise en œuvre du plan [12], la concertation des parties prenantes n’est pas imposée par lui ; elle relève davantage de l’incitation [13], en dehors de la question de l’alerte et du recueil des signalements, comme il le sera ultérieurement évoqué.

Les risques ainsi identifiés se doivent d’être, en raison des objectifs monumentaux de la loi sur le devoir de vigilance [14], hiérarchisés selon leur gravité afin de fixer, dans le cadre d’une « dynamique d’autorégulation certes contrôlée mais néanmoins active et évolutive », des « priorités d’actions raisonnables ».

La cartographie de La Poste applique une méthodologie communément pratiquée dans la gestion des risques [15] et évoquée par les recommandations de l’AFA [16]. Cette méthodologie repose sur la distinction entre risques bruts (risques identifiés) et risques nets (prenant en considération les actions existantes). Le tribunal estime ici que le document présenté procède à une description des risques à un « très haut niveau de généralité » et qu’il ne permet pas de déterminer quels « facteurs de risques précis liés à l’activité et à son organisation engendrent une atteinte aux valeurs protégées », le renvoi au classement de l’AFNOR n’étant pas jugé suffisant. De la même manière, l’analyse et la hiérarchisation des risques sont effectuées à un niveau « particulièrement global » : l’intégration des effets de mesures en vigueur ne permet pas d’identifier les actions devant être instaurées ou renforcées par priorité.

L’influence de la cartographie sur les autres mesures. Parce que l’évaluation des filiales (et sociétés contrôlées) et partenaires réguliers porte sur leur situation au regard de la cartographie des risques, le constat du tribunal ne pouvait être différent s’agissant du plan de La Poste. La cartographie de celle-ci ne précisant ni les facteurs précis de risque ni leur hiérarchisation, le plan ne permet pas réellement de mesurer si la stratégie d’évaluation est conforme à la gravité des atteintes. C’est ainsi que « malgré l’existence d’outils d’évaluation potentiellement performants, il ne peut être vérifié qu’ils sont stratégiquement orientés vers l’appréhension des risques devant être prioritairement traités ».

De la même manière, le tribunal souligne que les actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves, qui « ne peuvent se limiter à des déclarations générales d’intention », « doivent porter sur des risques identifiés, prioritairement ceux pour lesquels les risques d’atteinte aux personnes et à l’environnement ont été jugés les plus critiques dans la cartographie. Même raisonnables, les mesures doivent être suffisamment précises pour revêtir l’efficacité attendue afin d’empêcher la réalisation des atteintes le plus graves et limiter l’impact des autres risques identifiés ». Le tribunal reconnaît ici que le plan de La Poste édicte des mesures précises et concrètes « susceptibles de donner lieu à des résultats mesurables […] s’agissant du recours à la sous-traitance ou la prévention des risques psychosociaux et de formes de harcèlement » [17]. Cependant, les facteurs risques susceptibles de porter atteinte à la santé et à la sécurité n’étant pas intégrés à une cartographie des risques identifiés et hiérarchisés, le tribunal, par un effet domino, ne peut considérer que ces mesures sont « adaptées » au sens de l’article L. 225-102-4.

Une leçon doit être tirée pour les entreprises éligibles au devoir de vigilance : même efficaces, leurs actions pourraient être jugées inutiles si elles ne trouvent pas leur source dans une cartographie précise [18]

B. La publication des informations

Un principe de transparence toutefois limité. En vertu de l’article L. 225-102-4, I, du Code de commerce, le plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en œuvre effective sont rendus publics. Concernant le plan lui-même, le tribunal judiciaire précise que si la société mère et donneuse d’ordre peut disposer confidentiellement d’une cartographie détaillée enrichie de données chiffrées, la version publiée doit permettre au public et aux parties prenantes de connaître « l’identification précise des risques » que l’activité fait courir aux droits humains, à la santé, à la sécurité et à l’environnement. On a vu combien la précision des informations est fondamentale aux yeux des juges. Ces derniers tempèrent néanmoins leur position : la cartographie, pour précise qu’elle doit être, n’a pas à désigner tous les fournisseurs et sous-traitants. Pour ce faire, le tribunal judiciaire s’appuie, d’une part, sur la décision du Conseil constitutionnel du 23 mars 2017 [19], laquelle a précisé que la loi « Vigilance » [20] ne portait pas atteinte à la liberté d’entreprendre précisément car elle n’imposait pas aux sociétés de « rendre publiques des informations relatives à leur stratégie industrielle et commerciale ». D’autre part, les juges se réfèrent au secret des affaires de l’article L. 151-1 du Code de commerce N° Lexbase : L5710LL3, pour en conclure que « la liste des partenaires disposant d’une relation commerciale établie peut couvrir des milliers de sociétés et fluctuer dans le temps, il n’est pas démontré dans quelle mesure leur identification à la date d’établissement et de la publication du plan serait nécessaire pour sa mise en œuvre et son évaluation ».

Concernant le compte rendu de la mise en œuvre effective du plan, celui de La Poste « présente succinctement et de manière aléatoire certaines mesures comprises dans le plan de vigilance, avec une analyse centrée seulement sur deux sujets spécifiques ». Par ailleurs, il ne fait pas référence aux mesures donnant lieu à des bilans séparés (comme le bilan de soutien psychologique devant la Commission nationale santé-sécurité au travail). En somme, le tribunal considère que le compte rendu « ne permet pas de mesurer utilement l’efficacité des mesures prises ni de servir de bilan utile pour orienter l’action en matière de vigilance ».

En conséquence, le tribunal fait injonction à La Poste de publier un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance. Sur les injonctions en général, là encore, il fait preuve de réalisme et n’accède pas à toutes les demandes du syndicat SUD PTT.

II. Des pouvoirs du juge en matière de vigilance

Le texte. L’article L. 225-102-4, II, dispose que « lorsqu’une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n’y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter », le président du tribunal statuant en référé peut être saisi aux mêmes fins [21].

La décision du 5 décembre 2023 se révèle, sur ce point, équilibrée : si elle retient certaines mesures à l’encontre de la société La Poste (A), elle en rejette d’autres sollicitées par le syndicat SUD PTT (B).

A. Les mesures retenues

Des injonctions accueillies. Au regard du raisonnement précédemment développé, le tribunal ordonne à La Poste de compléter son plan de vigilance par une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation. Il lui prodigue ainsi des « conseils méthodologiques » quant aux moyens d’y parvenir. À travers ce jugement, le tribunal semble ainsi combler les lacunes du pouvoir réglementaire en émettant des recommandations à l’attention de La Poste sur les modalités de mise en œuvre de son plan de vigilance [22]. D’aucuns estimeront que le juge sort de son rôle ; il nous semble au contraire qu’il l’assume parfaitement dans le cadre si particulier des obligations découlant de loi « Vigilance » [23].

Les juges décident en outre d’enjoindre à La Poste d’établir des procédures d’évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risques et de publier un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance.

Précisions sur la notion de concertation avec les organisations syndicales. Enfin, le tribunal enjoint à la société La Poste de compléter son plan de vigilance par un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements après avoir procédé à une concertation des organisations syndicales représentatives. Pour ce faire, les juges donnent une définition de la concertation. Cette dernière s’entend selon eux comme « la volonté d’élaborer une mesure ou une décision de concert et ne peut se limiter au simple recueil d’un avis sur un dispositif d’ores et déjà finalisé ». « Il appartient en conséquence à la société mère d’établir qu’elle s’est efforcée de bâtir en coopération avec les organisations syndicales représentatives un mécanisme d’alerte de recueil de signalements adapté aux différentes étapes de sa chaîne de valeurs ». Ce qui est reproché ici à la société La Poste est d’avoir adapté le système d’alerte préexistant en application de la loi « Sapin II » [24] en en étendant le champ au devoir de vigilance. Les consultations initialement mises en place ne permettent pas, pour le tribunal, d’apprécier la réalité de la concertation sur le dispositif d’alerte propre au devoir de vigilance, « quand bien même il résulterait d’une simple adaptation ». Les entreprises soumises au devoir de vigilance doivent donc établir que les organisations syndicales ont pu exprimer leur point de vue et échanger sur le dispositif présenté par la direction. Tel ne fut pas le cas pour La Poste rendant l’injonction inévitable.

Précisions sur le rôle des parties prenantes. Le tribunal précise encore que le fait pour SUD PTT, ou les autres parties prenantes du reste, de n’avoir pas contesté la pertinence de la cartographie des risques lors de l’élaboration du plan importe peu : « certes, le rôle des parties prenantes est essentiel pour contribuer à l’élaboration de mesures pertinentes, mais l’absence d’expression lors de la phase de discussion ne peut les empêcher d’user de leur droit de mettre en demeure la société mère et/ou donneuse d’ordre d’améliorer son plan, cette formalité participant d’ailleurs à la phase amiable d’élaboration ».

B. Les mesures rejetées

Des injonctions, rien que des injonctions. À la lecture de la décision du 5 décembre 2023 et des injonctions prononcées, La Poste pourra ainsi connaître les actions correctrices à adopter concernant notamment le niveau de détail attendu d’elle dans le cadre de sa cartographie des risques. De ce point de vue, le jugement s’apparente davantage au rapport d’une autorité de contrôle, telle que l’Agence française anticorruption, qu’à une décision judiciaire formelle emportant sanction de La Poste. Il s’agit, là encore, d’une manifestation du rôle très particulier du juge dans le cadre du devoir de vigilance. Une telle sanction n’eût par ailleurs pas été possible dans la mesure où la société n’est pas mise en cause par SUD PTT, pour des atteintes graves de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l’article L. 225-102-5 du Code de commerce N° Lexbase : L3956LDU [25]. Le tribunal s’est donc borné à apprécier la mise en œuvre de procédures et à fournir des « conseils méthodologiques » sur la manière d’améliorer le plan de vigilance.

Des injonctions, mais pas toutes les injonctions. D’ailleurs, les prétentions du syndicat relevant du strict domaine du droit du travail ont été rejetées. Il s’agissait plus particulièrement de celles qui tendaient à délivrer à La Poste l’injonction d’adopter des mesures très précises et concrètes en matière de sous-traitance, de risques psychosociaux ou de harcèlement. Pour y parvenir, le tribunal précise les pouvoirs qu’il tient de la loi. Selon lui, l’article L. 225-102-4, II, « ne prévoit pas de donner au juge le pouvoir d’enjoindre à l’entreprise de prendre des mesures adéquates spécifiques, mais vise simplement “à faire respecter” à la société mère/donneuse d’ordre “les obligations prévues au I”, dont celle d’intégrer au plan “des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prétention des atteintes graves” ». La loi instaure, poursuit-il, « un contrôle judiciaire sur l’intégration au plan de mesures concrètes, adéquates et efficaces en cohérence avec la cartographie des risques ». En cas de manquement à cette obligation, elle lui donne le pouvoir d’enjoindre à la société d’élaborer des mesures de sauvegarde et des actions complémentaires plus concrètes et efficaces éventuellement en lien avec un risque identifié. Le juge ne saurait donc se substituer à la société et aux parties prenantes pour exiger d’elles l’instauration de mesures précises et détaillées [26]. Pareille retenue fait naturellement écho au devoir de non-immixtion du juge dans la gestion des sociétés.

Le rejet de l’astreinte. Enfin, car il n’est pas démontré l’utilité d’assortir les injonctions d’une astreinte, le tribunal rejette sur ce point également la demande du syndicat. Le tribunal reconnaît ici que « La Poste modifie et enrichit annuellement son plan de vigilance qu’elle a commencé à élaborer dès l’entrée en vigueur de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017. La comparaison des plans établis pour l’année 2020 et pour l’année 2021 démontre une évolution notable, dans le cadre d’une démarche dynamique d’amélioration ». 

Conclusion. Cette décision est bienvenue dans un domaine où des lignes directrices manquent [27] et où une autorité de contrôle se fait attendre [28] afin d’accompagner les entreprises et les parties prenantes dans la mise en place du plan de vigilance [29]. Elle est d’autant plus bienvenue que le juge fait clairement le partage entre ses pouvoirs, appréhendés strictement, et les demandes des parties prenantes qui risqueraient d’être tentées d’instrumentaliser le dispositif de la loi « Vigilance » [30] pour exprimer leurs revendications propres. En sensibilisant à ce risque, le jugement du 5 décembre 2023 nous donne une quatrième bonne raison de s’y intéresser.


[1] Loi n° 2017-399, du 27 mars 2017, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre N° Lexbase : L3894LDL. Voir précédemment, TJ Paris, 28 février 2023, deux ordonnances, n° 22/53942 N° Lexbase : A05249GI et n° 22/53943 N° Lexbase : A05239GH, JCP G, 2023, act. 373, M. Hautereau-Boutonnet et B. Parance – TJ Paris, 5-2, 1er juin 2023, n° 22/07100 N° Lexbase : A66029XS – TJ Paris, 6 juillet 2023, n° 22/03403 N° Lexbase : A64472IM.

[2] En raison de l’imprécision des notions utilisées par la loi « Vigilance », telles les notions d’« atteintes graves », « filiales directes ou indirectes », « parties prenantes de la société » ou « relations commerciales établies ». V. not. en ce sens, C. Dubost et D. Potier, Rapport d’information sur l’évaluation de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, Assemblée nationale, 24 février 2022, p. 34 [en ligne] ; Le Club des juristes, Devoir de vigilance, quelles perspectives européennes ?, juillet 2023, p. 13 et s.

[3] Voir Comm. UE, proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la Directive (UE) 2019/1937 [en ligne] , ayant conduit à l’adoption d’un accord politique le 14 décembre 2023 entre la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen.

[4] 263 entreprises françaises soumises au devoir de vigilance étaient recensées en 2021, V. CCFD-Terre Solidaire et Sherpa, Le radar du devoir de vigilance, juillet 2021.

[5] La loi vise « toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger », C. com., art. L. 225-102-4. Quant à la SA La Poste, elle emploie près de 250 000 collaborateurs.

[6] Conformément à l’article L. 211-21 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L1651MAE, créé par la loi n° 2021-1729, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l’institution judiciaire N° Lexbase : Z459921T. À cet égard, on notera la création d’une nouvelle chambre à la cour d’appel de Paris (5-12) dédiée aux contentieux émergents, dont les litiges sur le devoir de vigilance, v. ordonnance de roulement du 5 janvier 2024.

[7] Article qui sera transféré à l’article L. 225-102-1 à partir du 1er janvier 2025, en vertu de l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023, art. 4 N° Lexbase : L5068MKW.

[8] Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, préc.

[9]  TJ Paris, 28 février 2023, deux ordonnances, n° 22/53942 et n° 22/53943, préc.

[10] C. com., art. L. 225-102-4, préc.

[11] B. Delmas, Prendre (enfin) le devoir de vigilance au sérieux, Bull. Joly Travail, janvier 2024.

[12] « A vocation », « parties prenantes », « concertation ».

[13] Cons. const., 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, § 22 N° Lexbase : A8387UED, évoquant la portée incitative de l’expression « a vocation » à être élaboré avec les « parties prenantes de la société ». Adde, D. Poracchia, Le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, in « Les nouvelles contraintes des sociétés » (dir. B. Brignon et I. Grossi), LGDJ, coll. Pratique des affaires, 2018, p. 13, spéc. 23.

[14] Voir TJ Paris, 28 février 2023, deux ordonnances, n° 22/53942 et n° 22/53943, préc., faisant déjà référence aux buts monumentaux de protection des droits humains et de l’environnement de la législation sur la vigilance.

[15] A. Dunoyer de Segonzac et K. Chaïb, Première condamnation sur le fondement du devoir de vigilance : quels enseignements en tirer ?, JCP G, 2023, 104.

[16] V. Avis relatif aux recommandations de l'Agence française anticorruption destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêts, de détournement de fonds publics et de favoritisme, §137 et s. N° Lexbase : L6810LZA.

[17] Telles la démarche de contractualisation permettant d’intégrer aux contrats de sous-traitance les éléments du plan de vigilance, la formation de 7 230 managers et opérationnels aux règles de prévention santé-sécurité au travail, etc.

[18] J.-B. Barbièri, note ss. TJ Paris, 5 décembre 2023, JCP G, 2024, 85.

[19] Cons. const., 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, préc.

[20] Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, préc.

[21] Sur les pouvoirs du juge des référés en la matière, V. M. Hautereau-Boutonnet, Première assignation d’une entreprise pour non-respect de son devoir de vigilance en matière climatique : quel rôle préventif pour le juge ?, D., 2020, p. 609 ; J.-B. Barbièri, Le pouvoir (très) restreint du juge des référés en matière de devoir de vigilance, JCP E, 2023, 1086.

[22] En effet, l’on constate l’absence de lignes directrices, privant ainsi les entreprises de guides méthodologiques pour mettre en œuvre les obligations stipulées à l'article L. 225-102-4, I, du Code de commerce.

[23] Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, préc.

[24] Loi n° 2016-1691, du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique N° Lexbase : L6482LBP.

[25] Article transféré le 1er janvier 2025 à l’article L. 225-102-2 du Code de commerce.

[26] Est visé ici l’exemple discuté par les parties de la nécessité d’instaurer dans les contrats de sous-traitance la clause systématique de résiliation de plein droit lorsque le prestataire recourt au travail illégal.

[27] Selon le projet de Directive « CS3D », la Commission européenne pourrait émettre des lignes directrices afin d'assurer une application harmonisée, par les entreprises européennes, des dispositions relatives au devoir de vigilance (article 13).

[28] Voir la possible adoption d'une Directive européenne avec la création d'une autorité de contrôle dotée de pouvoirs d'enquête étendus (article 17 et article 18 du projet).

[29] C. Dubost et D. Potier, Rapport d’information sur l’évaluation de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, Assemblée nationale, 24 février 2022, préc., p. 84, recommandant la mise en place d’une autorité administrative de contrôle, sans préjudice de recours judiciaires par des personnes lésées ou ayant plus largement intérêt à agir.

[30] Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, préc.

newsid:488323

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.