La lettre juridique n°958 du 28 septembre 2023

La lettre juridique - Édition n°958

Assurances

[Brèves] De la clarté d’une clause d’exclusion de garantie des dommages corporels causés par l'amiante

Réf. : Cass. civ. 2, 21 septembre 2023, n° 21-19.776, FS-B N° Lexbase : A28791H4

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 27 Septembre 2023

► La clause, qui exclut de la garantie, « les dommages corporels, matériels et immatériels (consécutifs ou non), causés par l'amiante et ses dérivés », exclut de façon claire et précise, tous les dommages corporels causés par l'amiante, sans requérir aucune interprétation ; elle est formelle et doit ainsi recevoir application.

Faits et procédure. En l’espèce, une société, qui avait pour activité principale la construction et la réparation navales, et qui avait été en activité du 31 décembre 1970 au 31 juillet 2000, date de sa dissolution anticipée, avait souscrit plusieurs contrats d'assurances garantissant sa responsabilité civile.

Se prévalant de l'inscription, par arrêté du 7 juillet 2000 publié au Journal officiel du 22 juillet 2000, sur le fondement de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 N° Lexbase : L5411AS9, de la société sur la liste des établissements ouvrant droit au versement de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) aux salariés et anciens salariés y ayant travaillé pendant des périodes où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, 150 anciens salariés de la société avaient engagé, à compter du 6 juillet 2009, plusieurs procédures à son encontre, afin d'être indemnisés de leur préjudice spécifique d'anxiété. Plusieurs arrêts irrévocables avaient condamné la société à verser, à chacun d'entre eux, une certaine somme en réparation de ce préjudice.

La société avait ensuite assigné les différents assureurs devant un tribunal de grande instance afin qu'elles la garantissent des condamnations mises à sa charge.

Clause d’exclusion de garantie des dommages corporels. Les assureurs ont alors opposé une clause d’exclusion de garantie, qui visait « les dommages corporels, matériels et immatériels (consécutifs ou non), causés par l'amiante et ses dérivés ».

Inapplicabilité de la clause selon la cour d’appel. La cour d’appel de Rouen avait jugé que ladite clause ne pouvait recevoir application, en tant qu’elle ne serait pas formelle et limitée et nécessiterait d'être interprétée (CA Rouen, 20 mai 2021, n° 19/03634 N° Lexbase : A33714SN). Précisément, elle avait relevé que la seule lecture de cette clause ne permettait pas de connaître avec certitude son étendue et, notamment, si elle visait seulement les maladies causées par l'amiante.

L’arrêt avait retenu que les assureurs, qui recouraient à la notion de « cause technique », à savoir l'exposition des salariés à l'amiante, étaient contraintes d'interpréter la clause et d'expliquer la nature du lien de causalité qui reliait le préjudice spécifique d'anxiété subi par les anciens salariés de la société ACH à l'amiante.

Elle les avait donc condamnés à verser à la société la somme de 2 115 794,45 euros au titre des garanties responsabilité civile et frais de défense.

Cassation : applicabilité de la clause. Les assureurs ont alors formé un pourvoi. Ils obtiennent gain de cause devant la Haute juridiction, qui rappelle d’abord, qu’il résulte de l’article L. 113-1 du Code des assurances N° Lexbase : L0060AAH que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées ; ensuite qu’une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation (cf. Cass. civ. 1, 22 mai 2001, n° 99-10.849, publié au bulletin N° Lexbase : A5004ATI ; et plus récemment : Cass. civ. 3, 27 octobre 2016, n° 15-23.841, FS-P+B  N° Lexbase : A3270SC4 ; Cass. civ. 2, 26 novembre 2020, n° 19-16.435, F-P+B+I N° Lexbase : A173538R).

Or, en l’espèce, la Haute juridiction estime que la clause, qui excluait de la garantie, de façon claire et précise, tous les dommages corporels causés par l'amiante, ne requérait pas interprétation.

À noter que la Cour de cassation opère dans ce domaine un véritable contrôle de l’appréciation des clauses par les juges du fond.

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Baux d'habitation

[Questions à...] au professeur Julien Laurent relatives au nouvel article 24-I de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 27 juillet 2023 n° 2023-668 : quelle application aux contrats de bail d’habitation en cours ?

Réf. : Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, art. 24 I N° Lexbase : Z00019UY ; loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite N° Lexbase : L2872MI9

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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice associé, Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement, Expert près l’UIHJ

Le 25 Octobre 2023

Julien Laurent, Professeur à l'Université Toulouse Capitole, Directeur du Master droit immobilier (FOAD), Centre IEJUC

Il y a des sujets qui réunissent la profession. D’autres provoquent de très vives discussions, comme la question de savoir si le nouvel article 24-I de la loi du 10 juillet 1989 (dans sa version issue de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite N° Lexbase : L2872MI9, prévoyant désormais l’insertion systématique d’une clause résolutoire dans le contrat de bail d’habitation) s’applique aux contrats en cours ou non. Afin d’arbitrer, il me fallait interroger un tiers spécialiste. Le Professeur Julien Laurent l’est. Agrégé des facultés de droit, spécialiste de droit immobilier et notamment des baux, il a accepté de répondre à mes interrogations. J’aurais adoré le rencontrer à Toulouse, où il enseigne, pour l’interroger, mais nous avons préféré un entretien téléphonique. Initialement, nos avis étaient opposés, mais je dois avouer qu’il est très persuasif, avec des arguments extrêmement percutants ! 

Sylvian Dorol : Que prévoyait l’article 24-I de la loi du 6 juillet 1989 ancien ?

M. Le Pr. Julien Laurent : Jusqu’à la promulgation de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite N° Lexbase : L2872MI9, l’article 24 de la loi de 1989 N° Lexbase : Z00019UY autorisait, conformément au droit commun et plus précisément l’article 1224 du Code civil N° Lexbase : L0826KZM, mais en l’encadrant strictement, la stipulation d’une clause résolutoire en cas de non-paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou en cas de non-versement du dépôt de garantie. Le texte disposait que « I.-Toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie ne produit effet que deux mois après un commandement de payer demeuré infructueux ».

L’avantage de ce type de clause est bien connu : si l’inexécution par l’une des parties au contrat de bail peut bien entendu toujours potentiellement justifier la résolution judicaire du contrat (C. civ. art. 1224), voire une résolution unilatérale aux risques et périls du bailleur (art. 1226, C. civ.) c’est à la condition que le juge estime que le manquement contractuel reproché au locataire est suffisamment grave. Afin précisément de priver le juge de son pouvoir d’appréciation sur la gravité de l’inexécution, les parties prennent souvent le soin d’insérer dans le contrat une clause résolutoire de plein droit (C. civ. art.1225 N° Lexbase : L0828KZP) Il suffit que le juge constate le manquement reproché pour faire produire à la clause son effet et donc prononce la résolution du contrat. Du fait de sa dangerosité pour le locataire, deux règles encadrent la stipulation d’une clause résolutoire : d’une part, la clause résolutoire de plein droit ne peut viser qu’un certain type de défaut d’exécution, parmi lesquels figure évidemment et notamment le non-paiement du loyer, des charges et du dépôt de garantie (L. 89, art. 4, g)) ; d’autre part, sa prise d’effet est subordonnée à un commandement de payer resté infructueux pendant deux mois (art. 24-I, ancien). Cette clause résolutoire est très couramment prévue en pratique.

Sylvian Dorol : Quelles modifications ont apporté l’article 9 de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite à l’article 24-I de la loi du 6 juillet 1989 ?

M. Le Pr. Julien Laurent : Entre autres innovations, la loi du 27 juillet 2023 n° 2023-668 N° Lexbase : L2872MI9 réécrit l’article 24-I de la loi du 6 juillet 1989. Le nouveau texte prévoit désormais que « I. - Tout contrat de bail d'habitation contient une clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie. Cette clause ne produit effet que six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux. ».

Autrement dit, la loi prévoit une systématisation de la clause de résiliation du bail (pour défaut de paiement de loyer ou des charges ou de versement du dépôt de garantie) dans les contrats de bail qu’elle concerne. Corollairement, il est prévu que le commandement de payer contient, à peine de nullité la mention que le locataire dispose d'un délai de six semaines pour payer sa dette (même texte).

Dans le même temps, le délai minimal entre l’assignation aux fins de constat de la résiliation et l’audience diligentée par le commissaire de justice est également réduit de deux mois à six semaines (art. 24-III).

Sylvian Dorol : Comment devrait s’appliquer le nouveau texte dans le temps ? S’applique-t-il notamment aux contrats de bail en cours ?

M. Le Pr. Julien Laurent : Il faut d’emblée préciser que la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 ne contient pas de dispositions transitoires venant régler les conditions de son application dans le temps. Il faut donc revenir aux principes généraux.

  • S’agissant de sa prise d’effet, conformément à l’article 1er du Code civil N° Lexbase : L3088DYZ, à défaut de date particulière d’entrée en vigueur et faute, à notre sens, de devoir nécessiter de disposition règlementaire particulière pour son application, l’article 24-I, dans sa rédaction issue de la loi du 27 juillet 2023 est entré en vigueur le lendemain de la publication de la loi soit le 29 juillet 2023. Concrètement, les contrats conclus à partir de cette date seront donc soumis à l’article 24-I nouveau et « contiennent » (sic) de plein droit une clause résolutoire, qui prendra effet à l’issue d’un commandement de payer resté infructueux pendant six semaines.
  • S’agissant des contrats de bail en cours, la question est plus délicate en l’absence de dispositions transitoires. Le seul texte de portée générale applicable est l’article 2 du Code civil N° Lexbase : L2227AB4 qui ne traite explicitement que de la non-rétroactivité de la loi, mais qui ne règle pas explicitement et directement la question de l’application de la loi nouvelle à des situations juridiques déjà nées et encore en cours, telles qu’un contrat. En la matière, l’on se réfère en principe à la théorie du droit transitoire – attribuée au Doyen Roubier – afin de régler cette question. Très schématiquement, il faut distinguer les situations juridiques non contractuelles (celles nées non d’une convention, mais d’une loi qui en détermine entièrement les effets) et les situations juridiques contractuelles (celles qui découlent d’un contrat et qui sont donc en principe soumises à la prévision des parties). Pour les premières, le principe est l’effet immédiat de la loi nouvelle aux effets à venir des situations juridiques qu’elle concerne, au moment où elle entre en vigueur. Pour les secondes – dont relève le contrat de bail d’habitation – le principe est inverse : c’est celui de la survie de la loi ancienne. La raison principale du maintien de la loi ancienne pour les situations contractuelles est le respect de la prévision des parties qui, au moment où elles se sont engagées, l’on fait en considération de règles existantes. Si l’on s’en tient à ce point du raisonnement, le nouvel article 24-I ne s’appliquerait qu’aux contrats futurs (c’est-à-dire ceux conclus après l’entrée en vigueur de la loi et, en principe, ceux renouvelés postérieurement à cette date).

Toutefois, et par exception, les lois nouvelles sont parfois immédiatement applicables aux contrats en cours. La Cour de cassation – aiguillée par la doctrine – a eu ainsi  en sus recours notamment à deux critères permettant de fonder cette application immédiate de la loi nouvelle aux situations contractuelles nées antérieurement à la loi mais toujours en cours : le critère de l’ « ordre public » (de protection ou de direction), et dans le dernier état de sa jurisprudence, l’ « effet légal du contrat » (une partie du contrat, largement prédéfini par la loi, de sorte qu’elle en deviendrait plus « legalsensible », et verrait ses effets soumis pour cette part à la loi nouvelle). Derrière ces concepts (aux différences parfois subtiles), l’idée est au fond toujours la même : la loi nouvelle est munie d’une certaine « charge » impérative, suffisante pour justifier l’uniformisation entre les contrats soumis à la nouvelle loi et les contrats en cours, au détriment des prévisions contractuelles, qui intégraient la loi ancienne.

L’article 24-I relève-il de cette catégorie de disposition ? Quel que soit le critère justifiant l’application immédiate de la loi nouvelle au contrat en cours auquel on pourrait avoir recours, il y a, selon nous, tout lieu de le penser.

  • D’abord, il faut rappeler que les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 sont traditionnellement teintées d'ordre public (son article 2 dispose d’ailleurs que les articles 1 à 25 de la loi sont d’ordre public). S’agissant spécifiquement de l’article 24-I nouveau, il nous semble relever d’un ordre public de protection, en l’occurrence du bailleur. À cet égard, le Conseil constitutionnel a considéré, aux termes de la décision n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023 N° Lexbase : A61471GR, que l’objectif du délai de six semaines était de protéger le droit de propriété du bailleur (§ 88). On pourra certes rétorquer que le caractère d’ordre public de protection de la loi ne profiterait qu’au seul locataire – il est vrai que quarante ans de législation uniquement dans ce sens ont pu créer cet habitus – mais ce serait oublier que la loi du 6 juillet 1989 est une loi d’équilibre, comme l’énonce implicitement son intitulé (« tendant à améliorer les rapports locatifs »). Or, n’est-ce pas précisément un rééquilibrage que vise à atteindre la loi du 27 juillet 2023 ? Au demeurant, La Cour de cassation a pu juger par le passé que l’ordre public de protection jouait tant en faveur du locataire que du bailleur (Cass. civ. 3, 2 juin 1999, n° 97-17.373 N° Lexbase : A8939AYQ).
  • Ensuite, et surtout, l’article 24-I pourrait bien relever de l’hypothèse d’une application immédiate de la loi nouvelle aux « effets légaux » du contrat, principe de droit transitoire que la Cour de cassation applique régulièrement aux situations juridiques contractuelles depuis une quinzaine d’années. Rappelons rapidement que, dans un avis du 16 février 2015 (Cass., avis, 16 février 2015, n° 15002 N° Lexbase : A6002NBW), la Cour de cassation a énoncé que « la loi nouvelle [régit] immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ». Or, l’on s’en souvient, cet avis était précisément et justement rendu à propos de l’application aux baux en cours de l’article 24-V tel qu’issu de la loi « ALUR » N° Lexbase : L8342IZY] ayant porté, par dérogation au Code civil, le délai de grâce maximum de paiement des dettes locatives de deux ans à trois ans. C’est en se fondant sur cette notion d’effet légal du contrat que la Cour de cassation a appliqué immédiatement la disposition nouvelle aux contrats en cours (alors même que la loi « ALUR » prévoyait le contraire) et ainsi jugé « que l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014 en ce qu'il donne au juge la faculté d'accorder un délai de trois ans au plus au locataire en situation de régler sa dette locative s'applique aux baux en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014 ». Le contrat de bail d’habitation s’est d’ailleurs révélé par la suite un domaine particulièrement réceptif à la notion d’effet légal du contrat, conduisant à l’application de textes nouveaux à des baux conclus antérieurement à leur entrée en vigueur, ainsi du régime de la restitution du dépôt de garantie (Cass. civ. 3, 17 novembre 2016, n° 15-24.552, FS-P+B+I ,N° Lexbase : A3248SHR) du congé (Cass. civ. 3, 23 novembre 2017, n° 16-20.475, FS-P+B+I N° Lexbase : A5736W3T) ou encore en dernier lieu du motif réel et sérieux de reprise de l’article 15 (Cass. civ. 3, 9 février 2022, n° 21-10.388, FS-B N° Lexbase : A68177MG). Il n’y a à notre sens aucune raison pour que la jurisprudence ne voit pas dans l’article 24-I (nouveau), comme elle l’avait considéré à propos de l’article 24-III, un « effet légal » du contrat de bail, surtout lorsque l’on lit dans la notice ayant accompagné son avis que l’article 24 s’analyse « comme un effet légal du bail, s’agissant non pas d’un dispositif soumis à la liberté contractuelle des parties, mais d’un pouvoir accordé au juge par la loi » ; que dire alors d’un article 24 qui insère de lege une clause de résiliation dans tout contrat de location ? Certes, il s’agissait dans l’avis de 2015 et dans les hypothèses citées de faire bénéficier au locataire d’une protection accrue – sorte d’application immédiate in mitius de la loi nouvelle. Le même raisonnement s’appliquera-t-il symétriquement au profit du bailleur ? Cela nous renvoie à la discussion abordée plus haut sur la ratio legis de la loi de 89. Il est difficile de répondre avec certitude car la réponse à cette question est en partie politique.

En somme, quel que soit le critère retenu, une considération d’uniformité devrait selon nous prévaloir et conduire à faire produire effet immédiat à la loi nouvelle aux baux en cours. À défaut, coexisteraient (certes pendant trois ans au plus) deux catégories de baux d’habitation relevant de la même loi : ceux qui contiendront automatiquement une clause produisant effet après un délai de six semaines et ceux qui, soit n’en contiendront jamais (parce que les parties ne l’avaient pas prévu) soit en contiendront une mais ne produisant effet qu’après un délai de deux mois, créant ainsi deux catégories de locataires et de bailleurs très différemment protégées. Ce serait à notre avis inopportun.

Sylvian Dorol : Quel sera probablement l’effet concret du nouveau texte sur les contrats de bail qui ne contiennent aucune clause résolutoire ?

M. Le Pr. Julien Laurent : Si l’on accepte les prémisses d’une application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours, les contrats ne contenant aucune clause résolutoire – hypothèse rare en pratique – seront immédiatement soumis à la loi nouvelle. Ils contiennent donc depuis l’entrée en vigueur de la loi, tous, une clause résolutoire prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie. Cette clause produit effet six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux.

Sylvian Dorol : Quel sera l’effet du nouveau texte sur les contrats de bail qui contiennent une clause résolutoire ?

M. Le Pr. Julien Laurent : S’agissant des contrats contenant une clause résolutoire se bornant à reprendre l’ancien article 24-I de loi de 89 (en substance ou servilement), se référant notamment au délai (ancien) de deux mois avant que la clause ne puisse produire effet, ces clauses sont de plein droit remplacées, dès l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, par une clause résolutoire prenant effet six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux. Ici, le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle aux effets légaux du contrat devrait jouer à plein, s’agissant d’une clause dont les conditions d’application sont empruntées à la loi ancienne et qui se trouverait remplacée dans ses effets par la loi nouvelle.

Mais la même solution devrait prévaloir à notre avis pour les clauses ayant accordé un délai supérieur au minimum légal (donc plus de deux mois). Certes, on pourrait arguer qu’en stipulant de la sorte, les parties auraient entendu se mettre hors du champ légal et qu’il conviendrait par conséquent de ne pas appliquer la loi nouvelle à leur contrat. Ce serait à notre sens parfaitement fictif et rétrospectif puisqu’elles ignoraient par hypothèse la survenance de la loi nouvelle ; comment préjuger dans ces conditions et a posteriori de leur volonté ? Au demeurant, cela reviendrait non sans paradoxe à traiter plus sévèrement les bailleurs ayant pris la précaution d’insérer une clause résolutoire (soumise par conséquent au délai minimum de deux mois ou plus), que ceux qui n’auraient rien prévu, puisque leur contrat se verrait appliquer immédiatement la loi nouvelle et bénéficieraient ainsi du délai accéléré de six semaines.

Sylvian Dorol : Comment analyser techniquement l’effet de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle sur les stipulations contractuelles existantes ?

M. Le Pr. Julien Laurent : À notre sens, il est possible de considérer que les clauses anciennes deviennent caduques du fait de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Il n’y a donc pas lieu d’agir en nullité des anciennes clauses.

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Cybercriminalité

[Textes] La cybersécurité à l’heure de « NIS II » : entre régulation et répression, quelle place pour le droit pénal ?

Réf. : Directive n° 2022/2555, du 14 décembre 2022, du Parlement européen et du Conseil du 14-12-2022, concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l'ensemble de l'Union, modifiant le règlement (UE) n° 910/2014 et la directive (UE) 2018/1972, et abrogeant la directive (UE) 2016/1148, « NIS II », art. 6, §2  N° Lexbase : L3158MG3

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N6746BZU

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par le Dr Nicolas Catelan, Maître de conférences à l’Université Paris Cité

Le 27 Septembre 2023

Mots-clés : cybersécurité • justice pénale • conformité • compliance • illégalisme

Avec la Directive « NIS II » l’Union européenne a décidé en 2022 de faire basculer la cybersécurité dans le giron du droit répressif. Afin que les obligations reposant sur certaines entités ne restent lettres-mortes, l’Union a en effet choisi d’accompagner la « conformité cyber » de sanctions dissuasives. Celles-ci seront avant tout administratives et portées par l’ANSSI. À l’heure de la transposition de la directive, la place du droit pénal doit être interrogée même s’il est constant, en droit de la régulation, de ne mobiliser qu’accessoirement la justice pénale.


 

 

Normativité accélérée. Le temps long n’est plus l’unité à l’aune de laquelle les normes européennes peuvent être appréhendées et évaluées. Le droit de la cybersécurité [1] en atteste : les textes sont adoptés à une vitesse croissante. Si l’agence européenne de cybersécurité voyait certes le jour en 2004 [2], ce n’est qu’en 2016 que la sécurité des systèmes d’information sortait de terre avec la directive « NIS I » [3] suivie en 2019 par le règlement sur la cybersécurité [4]. Et la directive NIS « II » faisant suite et abrogeant le texte de 2016, était déjà publiée au JOUE en décembre 2022 [5]. 6 ans à peine ont ainsi suffi pour qu’un consensus d’obsolescence se dégage quant au texte initial. À cela s’ajoutait en 2022 encore la nécessité de prévoir un droit spécifique pour le secteur financier [6], et enfin un encadrement de la sécurité physique des opérateurs de services critiques [7]. Le temps long, nécessaire à la compréhension des phénomènes, à leur structure globale et à leurs effets parfois sous-terrains, ne permettra sans doute pas de mesurer la déflagration que devrait provoquer la directive « NIS II ». Car la directive « NIS III » imposera tôt ou tard, et sans doute plus tôt que tard, de changer à nouveau de braquet, de champs, d’impératifs... en raison de nouvelles menaces toujours plus graves.

Marché numérique. Le tournant numérique au début du XXIè siècle a permis l’essor de nouvelles activités économiques à telle enseigne qu’en 2023 peu de secteurs marchands peuvent se targuer d’être indifférents à l’endroit de ce que l’informatique permet. Si le fleuriste de quartier n’a sans doute pas de site internet (quoique...), il serait étonnant qu’il ne dispose pas d’un terminal de paiement avec ou sans contact. De sorte que la cybersécurité sera une composante fondamentale de son activité, sans doute de lui inconnue (comme de ses clients), mais que sa banque, les intermédiaires de paiement ou encore les confectionneurs de cartes bancaires ou de smartphones ne peuvent ignorer. La Directive « NIS II » mentionne évidemment l’importance du numérique pour la construction et la pérennisation du marché intérieur, et ce très tôt dans ses considérants [8]. Cela n’étonnera pas les lecteurs habitués au principe de subsidiarité [9] et coutumiers de la référence à l’article 114 TUE pour justifier l’action des institutions européennes. L’Europe est économique avant tout, il faudrait être atteint d’une grave cécité et/ou d’une mémoire particulièrement entamée pour l’ignorer. Derrière cette constante économique, se retrouvent évidemment de nombreuses variables d’action à l’aune des risques [10] pesant sur les systèmes d’information. Le passage de « NIS I » à « NIS II » offrait un vaste champ d’évolutions [11].

Réaction. Construire un droit de la cybersécurité implique fort logiquement d’identifier les menaces[12] avec cette précision, toujours inquiétante, qu’anticiper ne permet jamais de prévenir toutes les ingéniosités. Il n’en demeure pas moins que la cybersécurité, fut-elle condamnée à la réaction plus qu’à la pro-action, comporte encore de nos jours une marge d’amélioration considérable. Nul ne peut affirmer que cette sécurité est prise au sérieux par chacun, l’hygiène numérique est tout sauf un réflexe acquis (et encore moins inné). Les risques numériques sont encore très virtuels pour de nombreux citoyens et entreprises même si l’étau se resserre inexorablement. On sait que les comportements individuels ont ici une importance capitale. On n’ignore pas davantage que certaines pratiques restent le fruit d’un effet de structure de sorte qu’une implication affirmée d’une équipe dirigeante en faveur de la cybersécurité peut déverrouiller des prises de conscience et de vrais changements dans les pratiques quotidiennes des employés et usagers. En d’autres termes, montrer l’exemple présente des vertus inexorables. Reste à construire une articulation juridique qui innerve cette vertu en permettant aux responsables, prima facie, de prendre conscience des enjeux. Le droit est ici monté en régime à trois égards qui font la substance de la directive « NIS II » : toucher plus de structures que la directive « NIS I »,  passer par leur gouvernance, et imposer un régime d’obligations bien plus impératives. L’expression ne manquera pas de surprendre mais il faut bien reconnaître que les obligations de cybersécurité prévues dans la directive « NIS I » ne bénéficiaient pas d’un cadre particulièrement contraignant en raison d’un système de sanctions peu dissuasif [13]. On le sait, à défaut de sanction [14], le droit s’apparente à de la poésie pour techniciens, le style en moins : sans sanction effective et dissuasive les normes ressemblent à de vagues commandements, plus proches de la charte éthique (propre à rassurer un régulateur peu exigeant), que d’une véritable norme [15]. L’énoncé juridique, pour imposer ses vues et ses objectifs, a besoin que les transgressions de ses commandements soient effectivement sanctionnées [16]. Et souvent le droit pénal est alors appelé en renfort [17].

Régulation et répression. Le droit du numérique, comme droit régulé, ne participe pourtant pas de cette logique « pénale ». Pour le dire autrement, le droit du numérique est économiquement trop important pour que le politique abandonne la sanction des comportements illicites à la justice pénale. Le propos peut étonner ou choquer mais il  peut se réclamer d’une constance historique certaine. On sait à quel point le droit pénal des affaires souffre d’une vraie concurrence : qu’il s’agisse de droit fiscal, de droit répressif administratif des marchés financiers (assuré en première instance par l’AMF), de droit de la concurrence, ou encore de données personnelles, la justice pénale joue ici une partition minimaliste voire inexistante. Dans l’orchestre de la régulation [18], le droit pénal a la place du triangle. Le droit de la cybersécurité n’échappe pas à cette logique de fond, structurelle qui tient la justice pénale à distance d’activités bien trop importantes pour l’économie. Les stigmates de la condamnation pénale vont ici s’effacer au nom d’un très officiel besoin de spécialisation [19]. Mais puisqu’être incitatif ne suffisait plus, la directive « NIS II » est montée elle-même en puissance. Aux sanctions très virtuelles que le droit français avait mises en place en 2018 dans le cadre de la transposition de « NIS I », devra succéder un vrai droit répressif tel que prévu aux articles 31 et s. du nouveau texte. Qu’est-ce à dire ? Le lecteur familier du RGPD [20] ne sera pas décontenancé par le système mis en place : les sanctions, et la procédure pour y parvenir, sont en effet calquées sur les mécanismes existant dans le champ du droit des données à caractère personnel (la sémantique en moins). Il est à parier que la France choisira, dans le cadre da la transposition, une procédure similaire à celle construite autour de la CNIL. L’ANSSI, en tant qu’autorité compétente, devrait ainsi connaître un vrai bouleversement de son organisation avec l’apparition en son sein d’une commission des sanctions. Ce droit à venir repose évidemment sur des obligations imposées à certaines entités (I.). Les manquements permettront une réponse juridique (en ce compris l’infliction de sanctions) (II.), qui devra composer avec ce qui a déjà été éventuellement accompli au niveau de la CNIL et de la justice pénale. Le droit à venir sera donc le fruit d’une vaste conciliation (III.)...

I. Les obligations

A. Les entités

Extension. La directive « NIS II » impose un « changement de paradigme » [21] en termes de cybersécurité puisque, si à date, la directive « NIS I » permettait d’encadrer environ 300 opérateurs de service essentiel, il est acquis que « NIS II » concernera des milliers de régulés une fois la directive transposée. Il s’agit de passer, d’une sécurité des systèmes d’information propre à des opérateurs critiques, à une véritable cybersécurité de masse, et ce afin de mailler un territoire de sûreté numérique. Cette (r)évolution substantielle du périmètre de la cybersécurité accompagne et reflète l’évolution de la menace cyber [22]. Cette extension du périmètre emporte tout d’abord un premier changement sémantique puisque les anciens « opérateurs » deviennent désormais des « entités ». Alors que la directive « NIS I » ne concernait que quelques opérateurs de services essentiels et certains fournisseurs de service numériques (prestataires de services en nuage, places de marché et moteurs de recherche), la directive « NIS II » vise beaucoup plus large. La directive couvre désormais 18 secteurs d’activité répartis dans deux annexes accompagnant le texte. Au surplus, la directive inclut à la fois des administrations publiques et la chaîne d’approvisionnement [23] car évidemment, les failles d’une entité peuvent se trouver en dehors de celle-ci. De la même manière que l’anti-corruption ou l’anti-blanchiment impose une salutaire « due diligence » à l’endroit des fournisseurs et intermédiaires, la cybersécurité, qui repose sur une vraie compliance, ne saurait s’arrêter pas aux portes de l’entité concernée.

Entités essentielles et importantes. L’architecture essentielle du texte repose sur le partage « entités essentielles / importantes ». La qualification dépend du secteur et de la nature de l’activité, mais également de la taille de l’entité. En fonction de la qualification, un régime de supervision et d'obligation plus ou moins rigoureux s’applique. L’objectif de la norme tombe sous le sens : définir « un équilibre entre le régime de cybersécurité et la charge administrative que le contrôle de conformité implique pour elles » (cons. 15). Plus précisément, les entités essentielles (EE) sont :

  • celles qui dépassent les plafonds déterminant les moyennes entreprises (entreprise qui occupe plus de 50 personnes ou dont le chiffre d'affaires annuel ou le total du bilan annuel excède 10 millions d'euros) ;
  • les prestataires de services de confiance ;
  • les fournisseurs de réseaux publics de communications électroniques publics ou de services de communications électroniques ;
  • les entités de l'administration publique ;
  • les autres entités (moyennes, petites et très petites entreprises) relevant de l'annexe I ou II et qui sont identifiées comme entités essentielles ;
  • les entités qualifiées d'entités critiques au sens de la directive 2022/2557 [24] ;
  • ainsi que, si les États membres le décident, à titre transitoire, les entités identifiées comme opérateurs de services essentiels.

Il en résulte que, par défaut, les moyennes entreprises relevant de l'annexe I sont, sauf les exceptions précitées, des entités importantes. Comme l’observent Thibault Douville et Sarah Porcher « ce faisant, les fournisseurs de service numérique pourront dorénavant être qualifiés d'entités essentielles et être soumis à un contrôle plus important ». Les entités concernées devront être identifiées par les États membres au plus tard le 17 avril 2025.

B. Les impératifs

Compliance orientée cyber-résilience. L’article 21 de la Directive « NIS II » constitue le cœur de la conformité « cyber » en ce qu’il précise le contenu des mesures devant être adoptées. Il s’agit logiquement de mesures de cyber-résilience destinées à accomplir deux séries d’objectifs :

  • gérer les risques qui menacent la sécurité des réseaux et des systèmes d’information que ces entités utilisent dans le cadre de leurs activités ou de la fourniture de leurs services ;
  • et éliminer ou réduire les conséquences que les incidents ont sur les destinataires de leurs services et sur d’autres services.

Le texte liste pêle-mêle :

  • des mesures dites techniques : politiques et surtout procédures relatives à l’utilisation de la cryptographie voire du chiffrement ; sécurité de l’acquisition, du développement et de la maintenance des réseaux et des systèmes d’information, y compris le traitement et la divulgation des vulnérabilités ; utilisation de solutions d’authentification à plusieurs facteurs ou d’authentification continue, de communications vocales, vidéo et textuelles sécurisées et de systèmes sécurisés de communication d’urgence au sein de l’entité, selon les besoins ;
  • opérationnelles : sécurité de la chaîne d’approvisionnement et des ressources humaines, politiques de contrôle d’accès et gestion des actifs ; pratiques de base en matière de cyberhygiène et formation à la cybersécurité ;
  • et enfin organisationnelles : politiques relatives à l’analyse des risques et à la sécurité des systèmes d’information, gestion des incidents, continuité des activités (par exemple la gestion des sauvegardes et la reprise des activités), et la gestion des crises.

Les termes employés restent vagues, incontestablement. La directive précise au demeurant que la Commission adoptera des actes d’exécution établissant les exigences techniques et méthodologiques liées aux principales mesures.

Le niveau de sécurité doit logiquement être adapté au risque existant, en tenant compte de l’état des connaissances et, s’il y a lieu, des normes européennes et internationales applicables, ainsi que du coût de mise en œuvre [25]. De manière intéressante, ces mesures doivent, on l’a dit, couvrir les chaînes d'approvisionnement et donc de fournisseurs qui n'entrent pas par nature dans le champ d'application de la directive. Comme l’observent très pertinemment Th. Douville et S. Porcher, « l'objectif est similaire à celui qui sous-tend le régime de la sous-traitance en droit des données à caractère personnel ». Les entités essentielles et importantes seront ainsi soumises à une véritable compliance : l’approche par les risques [26] est de mise, et la gouvernance en constitue la force motrice. En effet, en application de l’article 20, les organes de direction des entités essentielles et importantes doivent approuver les mesures de gestion des risques en matière de cybersécurité prises afin de se conformer à l’article 21. Elles doivent superviser sa mise en œuvre et sont tenues responsables en cas de manquement.

Obligations d’information. Assez logiquement, l’article 23 reprend l’obligation de notification des incidents de cybersécurité affectant une entité importante ou essentielle [27]. Cette notification déjà connue de « NIS I » [28] doit tout d’abord se faire à un CSIRT [29] ou à l’autorité compétente (ANSSI) et concerne tout incident ayant un impact important [30] sur la fourniture des services. Et le texte d’ajouter que, le cas échéant, les entités concernées notifient, sans retard injustifié, aux destinataires de leurs services les incidents importants susceptibles de nuire à la fourniture de ces services. Étrangement, le texte précise que « Le simple fait de notifier un incident n’accroît pas la responsabilité de l’entité qui est à l’origine de la notification ».

Les différentes obligations pesant sur les entités importantes et essentielles exposent ces dernières à des sanctions en cas de manquements. L’ANSSI disposera en effet de mesures de supervision lui permettant d’effectuer ou de faire effectuer des audits et de requérir la fourniture de certains documents[31]. Si cette supervision permet de constater des violations, alors des mesures d’exécution deviennent possibles afin de corriger les mauvaises pratiques constatées ou de les sanctionner. En accompagnant ainsi les nouvelles contraintes, la Directive « NIS 2 » N° Lexbase : L3158MG3 permettra à la cybersécurité d’entrer dans l’ère du risque punitif.

II. Les sanctions

En application de l’article 36, il est acquis que les « États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre de ces sanctions. Les sanctions prévues sont effectives, proportionnées et dissuasives ». La directive ne précise ni la nature de ces sanctions ni toutes les articulations possibles. À la lecture de la norme européenne et de ses dispositions préliminaires, il est évident que ce sont avant tout, comme à l’accoutumée, des sanctions administratives qui doivent être mises en place.

A. L’éventail des sanctions administratives

Du contrôle à la sanction en passant par la correction. La directive innove à nouveau sur le plan sémantique puisque, en lieu et place des mesures correctrices, telles que contenues dans le « RGPD » N° Lexbase : L0189K8I, apparaissent dans « NIS 2 » N° Lexbase : L3158MG3 des « mesures d’exécution ». Les mesures de contrôle sont quant à elles nommées « mesures de supervision ». Les audits, contrôles, scans de sécurité  et demandes de documents sont ainsi détaillés aux articles 32 et 33 pour, respectivement, les entités essentielles et importantes. Elles prévoient logiquement un contrôle plus rigoureux pour les premières que pour les secondes. Quant aux mesures d’exécution, elles sont par nature des mesures correctrices destinées à mettre une entité en conformité avec ses obligations, mais une dynamique répressive s’en évince. Outre la possibilité de prononcer une amende – qui implique on le verra une transformation du système juridique -  le droit applicable aux entités essentielles atteste de la dynamique répressive de la réaction puisqu’il est possible de prononcer à leur endroit des interdictions (suspension temporaire de certification, ou d’activité autorisée) lorsque certaines mesures d’exécution n’ont pas été respectées. Il s’agit bien de sanctions à la progressivité avérée qui va imposer, dans le cadre de la transposition, de créer une procédure ad hoc respectueuse des droits de la défense. La directive, en ses dispositions préliminaires, ne peut que le concéder [32].

1) Mesures d’exécution

Les articles 32 et 33 décrivent, pour les entités essentielles et importantes, les mesures d’exécution de manière similaire. A minima, l’autorité compétente - l’ANSSI en France - doit pouvoir dans le cadre du contrôle :

a) émettre des avertissements ;

b) adopter des instructions contraignantes, ou une injonction exigeant de remédier aux insuffisances constatées ou aux violations de la présente directive;

c) ordonner de mettre un terme à un comportement qui viole la  directive « NIS II » et de ne pas le réitérer ;

d) ordonner de garantir la conformité de leurs mesures de gestion des risques en matière de cybersécurité avec l’article 21 ou de respecter les obligations d’information énoncées à l’article 23, de manière spécifique et dans un délai déterminé ;

e) d’ordonner d’informer les personnes physiques ou morales à l’égard desquelles elles fournissent des services ou exercent des activités susceptibles d’être affectées par une cybermenace importante de la nature de la menace, ainsi que de toutes mesures préventives ou réparatrices que ces personnes physiques ou morales pourraient prendre en réponse à cette menace;

f) d’ordonner de mettre en œuvre les recommandations formulées à la suite d’un audit de sécurité dans un délai raisonnable ;

g) de désigner, pour une période déterminée, un responsable du contrôle ayant des tâches bien définies pour superviser le respect, par les entités concernées, des articles 21 et 23;

h) d’ordonner de rendre publics les aspects de violations de la présente directive de manière spécifique ;

i) d’imposer ou de demander aux organes compétents ou aux juridictions d’imposer, conformément au droit national, une amende administrative en vertu de l’article 34 en plus de l’une ou l’autre des mesures d’exécution précédentes.

Les termes employés ont évidemment leur importance et la répétition du verbe « ordonner » ne laisse pas de place au doute. La menace d’une sanction pécuniaire en atteste : il s’agit bien d’un droit répressif, à dynamique essentiellement pédagogique et correctrice certes, mais qui confère à l’ANSSI un  pouvoir dépassant nettement ce qu’elle est actuellement autorisée à accomplir. La possibilité de prononcer une amende en atteste plus que de raison.

2) L’amende

L’article 34 de la directive « NIS II » N° Lexbase : L3158MG3 détermine les conditions générales pour imposer des amendes administratives [33] à des entités essentielles et importantes [34] à raison des manquements aux différentes obligations pesant sur elles. Elles se doivent évidemment d’être effectives, proportionnées et dissuasives, compte tenu des circonstances de chaque cas (§ 1). Elles peuvent, au surplus, être imposées en complément des autres mesures d’exécution (§ 2). Lorsqu’une entité essentielle manque à ses obligations de compliance cyber ou de notification, les États devront prévoir des amendes administratives d’un montant maximal s’élevant à au moins 10 000 000 EUR ou à au moins 2 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent de l’entreprise à laquelle l’entité essentielle appartient, le montant le plus élevé étant retenu (§ 4). Quant aux entités importantes, doivent être envisagées des amendes d’un montant maximal s’élevant à au moins 7 000 000 EUR ou à au moins 1,4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent de l’entreprise à laquelle l’entité importante appartient. Une fois de plus, le montant le plus élevé doit être retenu (§ 5). La directive ajoute la possibilité d’imposer des astreintes pour contraindre une entité essentielle ou importante à mettre un terme à une violation de la présente directive conformément à une décision préalable de l’autorité compétente.

B. Le prononcé des sanctions administratives

Selon l’article 32, § 7, applicable aux « EE » mais également aux « EI » par renvoi de l’art. 33§5, lorsqu’une autorité compétente prend toute mesure d’exécution visée au paragraphe 4 ou 5, elle doit respecter les droits de la défense. Cette exigence impose en réalité de mettre en place une procédure de sanction également respectueuse des règles applicables au procès équitable. Au-delà, et dans une perspective de conformité au principe d’individualisation des sanctions, le texte ajoute que les autorités de contrôle doivent tenir compte « des circonstances propres à chaque cas ». La directive impose de prendre en considération « au minimum »,

a) la gravité de la violation et de l’importance des dispositions enfreintes, les faits suivants, entre autres, devant être considérés en tout état de cause comme graves :

            i) les violations répétées ;

            ii) le fait de ne pas notifier des incidents importants ou de ne pas y remédier ;

            iii) le fait de ne pas pallier les insuffisances à la suite d’instructions contraignantes des autorités compétentes ;

            iv) le fait d’entraver des audits ou des activités de contrôle ordonnées par l’autorité compétente à la suite de la constatation d’une violation ;

            v) la fourniture d’informations fausses ou manifestement inexactes relatives aux mesures de gestion des risques en matière de cybersécurité ou aux obligations d’information prévues aux articles 21 et 23 ;

b) la durée de la violation ;

c) toute violation antérieure pertinente commise par l’entité concernée ;

d) des dommages matériels, corporels ou moraux causés, y compris des pertes financières ou économiques, des effets sur d’autres services et du nombre d’utilisateurs touchés ;

e) le fait que l’auteur de la violation a agi délibérément ou par négligence ;

f) les mesures prises par l’entité pour prévenir ou atténuer les dommages matériels, corporels ou moraux ;

g) l’application de codes de conduite approuvés ou de mécanismes de certification approuvés ;

h) le degré de coopération avec les autorités compétentes des personnes physiques ou morales tenues pour responsables.

À la lecture des critères minimaux individualisation, on peut aisément affirmer que l’exigence formulée est rigoureuse. Le vade mecum, très proche de celui imposé par le RGPD [35], est infiniment plus précis que ce que le droit pénal impose, qui, rappelons-le, ne fait référence qu’à la gravité des fats reprochés et à la personnalité de l’auteur.

Obligation de motivation. Évidement, l’obligation d’individualisation n’aurait que peu de sens si l’autorité jugeant les faits n’avait pas à laisser trace de son respect. C’est la raison pour laquelle, en son § 8, l’article 32 formule une obligation de motivation : les « autorités compétentes exposent en détail les motifs de leurs mesures d’exécution ». Car la procédure est primordiale, il est précisé, au surplus, qu’avant « de prendre de telles mesures, les autorités compétentes informent les entités concernées de leurs conclusions préliminaires. Elles laissent en outre à ces entités un délai raisonnable pour communiquer leurs observations, sauf dans des cas exceptionnels dûment motivés où cela empêcherait une intervention immédiate pour prévenir un incident ou y répondre ».

La justice pénale aimerait sans doute se targuer d’un dispositif aussi complet au moment où un magistrat  prononce les sanctions les plus lourdes que le droit connaisse. Et pourtant si certaines peines connaissent un régime assez rigoureux de motivation [36], le principe général d’individualisation en fonction de la gravité et de la personnalité [37] n’est pas aussi contraignant en droit pénal qu’en droit du numérique. On peut autant s’en étonner que s’en inquiéter. Est-il en effet normal qu’une amende pénale repose sur l’analyse des charges et ressources [38], et le binôme gravité/ personnalité, quand une amende administrative repose, a minima, sur 8 critères fort précis ?

III. Les conciliations

Prima facie, on peut observer que la France choisira sans doute à nouveau d’adopter un système alternatif quant à la qualification « entités importantes ou essentielles » d’une part, et « opérateurs d’importance vitale » [39] d’autre part. On sait en effet qu’à l’heure de transposer la directive « NIS I », le droit français avait préféré conserver le régime national des OIV en parallèle de celui des « OSE » tout en excluant leur cumul [40]. Au moment de mettre en musique « NIS II » N° Lexbase : L3158MG3, la France optera certainement pour une solution similaire. Surtout, des procédures répressives peuvent se retrouver en concours en cas de manquement à une obligation de cybersécurité car de nombreuses autorités, tant administratives que judiciaires, pourront être compétentes afin de constater des manquements. Il en va ainsi tant en termes de données à a caractère personnel (ci-après « DCP ») depuis le RGPD (A.), que dans le cadre du droit pénal stricto sensu (B.).

A. Avec le droit des DCP

Assez logiquement, la Directive « NIS II » N° Lexbase : L3158MG3 institue un principe de bonne intelligence au moment d’envisager les règles applicables à un cumul de sanctions. Ainsi aux termes de l’article 31, § 3,   « lorsqu’elles traitent des incidents donnant lieu à des violations de données à caractère personnel, les autorités compétentes coopèrent étroitement avec les autorités de contrôle en vertu du règlement (UE) 2016/679, sans préjudice de la compétence et des missions des autorités de contrôle ». L’article 35§1 précise ainsi que lorsque l’ANSSI prendra connaissance, dans le cadre de la supervision ou de l’exécution, du fait que la violation commise par une entité essentielle ou importante à l’égard des obligations énoncées aux articles 21 et 23 peut donner lieu à une violation de données à caractère personnel (cf. RGPD, art. 4, 12°), devant être notifiée (cf. RGPD, art. 33), elle en informe sans retard injustifié la CNIL [41].  Il est à parier que ces cas seront tout sauf rares. On sait en effet que l’obligation de cybersécurité est une pierre de touche du droit des DCP. Ce principe est formulé à l’article 5, § 1, f et rappelé in concreto à l’article 32 du RGPD. Et les sanctions pour non-respect des articles 25 ou 32 et s. ne sont pas rares devant la CNIL [42]. À terme les entités sanctionnées pour ces faits seront, pour certaines d’entre elles, classées a minima « EI » de sorte que le manquement à une obligation de cybersécurité sera de nature à la soumettre au contrôle de l’ANSSI. C’est déjà le cas actuellement puisqu’un OSE exposé à une violation de sécurité concernant des DCP doit, sous certaines conditions, notifier la violation tant à la CNIL [43] qu’à l’ANNSI [44]. Une fois la directive « NIS II » transposée, un régime de sanction propre à la cybersécurité pourrait s’appliquer en parallèle de la procédure suivie devant la CNIL. Aussi la Directive prend-elle le soin de cadrer le cumul de sanctions à venir.

Impossible cumul d’amendes. En vertu de l’article 35, § 2 si la CNIL impose une amende administrative (cf. art. 58, § 2, i « RGPD »), l’ANSSI ne pourra pas imposer de sanction pécuniaire  pour une violation découlant du même comportement. Les autorités compétentes peuvent toutefois imposer les mesures d’exécution prévues à l’article 32, paragraphe 4, points a) à h), à l’article 32, paragraphe 5, et à l’article 33, paragraphe 4, points a) à g), de la directive « NIS II ».

Ce faisant, la directive « NIS II » N° Lexbase : L3158MG3 n’ a pas mis sur le même pied l’amende et les autres mesures d’exécution. La règle ne bis in idem, proscrivant de sanctionner deux fois un comportement similaire, ne joue ici qu’à l’endroit de la sanction patrimoniale. La Directive n’est malheureusement pas aussi précise au moment d’aborder le cumul de sanctions administratives et pénales.

B. Avec le droit pénal

1) Ne bis in idem et CJUE

Largesses. Les normes européennes n’ont jamais été particulièrement exigeantes au moment d’envisager les cumuls de poursuites administratives et pénales [45]. Une certaine gêne peut ici transparaître tant il est difficile d’imposer à un État membre la marche à suivre en droit pénal. Hautement régalienne, la justice pénale est en effet suffisamment sensible pour que les institutions européennes n’y touchent qu’avec précaution et parcimonie. On ne s’étonnera donc pas que seuls les considérants de la Directive « NIS II » N° Lexbase : L3158MG3 abordent la difficulté et ce, au moyen de mécanismes éculés et peu contraignants. Qu’on en juge : le considérant n° 113 indique ainsi que « lorsque les États membres exercent leur compétence, ils ne devraient pas imposer de mesures d’exécution ou de sanctions plus d’une fois pour un même comportement, conformément au principe non bis in idem ». Sur des œufs, le Parlement et le Conseil précisent que « les États membres devraient pouvoir déterminer le régime des sanctions pénales applicables en cas de violations des dispositions nationales transposant la présente directive. Toutefois, l’imposition de sanctions pénales en cas de violation de ces dispositions nationales et l’imposition de sanctions administratives connexes ne devraient pas entraîner la violation du principe non bis in idem tel qu’il a été interprété par la Cour de justice de l’Union européenne » (cons. n° 131). Le texte ajoute que « lorsque la présente directive n’harmonise pas les sanctions administratives ou, si nécessaire dans d’autres circonstances, par exemple en cas de violation grave de la présente directive, les États membres devraient mettre en œuvre un système qui prévoit des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives. La nature de ces sanctions et le fait qu’elles soient pénales ou administratives devraient être déterminés par le droit national » (cons. n° 132).

Les institutions rappellent ainsi quelques principes essentiels :

  • il revient, subsidiarité oblige, aux États membres de déterminer quels comportements doivent relever de la sphère pénale ou simplement administrative ;
  • en principe un même comportement ne devrait être sanctionné qu’une seule fois ;
  • en cas de cumul de poursuites, le principe ne bis in idem tel qu’interprété par la CJUE doit s’imposer.

À cet égard, il convient de préciser que dans ses derniers développements la juridiction de Luxembourg a accepté, dans le champ fiscal, sous condition de prévisibilité, que des cumuls de poursuites aient lieu [46]. Mais en cas de cumul de sanctions, elle impose que toutes les mesures prononcées soient analysées à l’aune du principe de proportionnalité de sorte que même les peines d’emprisonnement doivent être appréhendées globalement [47]. La Cour de cassation en a dégagé une exigence de motivation in concreto reposant sur les juges du fond et contrôlée par la Cour elle-même [48].

2) Droit pénal positif ?

Réalisme. Reste alors à savoir ce que le législateur décidera de faire en termes de droit pénal de la cybersécurité. Les précédents n’éclairent sans doute que les phénomènes passés comme l’expérience n’est une lumière que pour celui qui la porte. Certes. Mais deux constats peuvent ici être dressés :

  • sous l’empire de la directive « NIS I » N° Lexbase : L3158MG3, le droit pénal était quasi absent [49], son application encore plus. Symboliquement, le Code pénal ne contient aucune disposition répressive ad hoc en lien avec une obligation de cybersécurité !
  • le droit des DCP atteste que malgré l’entrée en vigueur d’un texte particulièrement novateur, le législateur n’a pas profité de l’occasion pour mettre le droit pénal en adéquation avec le droit répressif administratif. Pour le dire autrement, les sanctions pécuniaires sont beaucoup plus élevées que les sanctions pénales malgré le léger toilettage du droit pénal effectué en 2018 [50]. Certains comportements jugés graves par le RGPD ne sont même pas des délits (absence de désignation d’un DPO par exemple). La partition minimaliste jouée par le droit pénal est criante et se double, logiquement, d’une activité judiciaire tout aussi évanescente. On sait que le contentieux a en réalité été absorbé par la CNIL et ce d’autant plus que cette dernière dispose d’une procédure rapide, dite « simplifiée » [51] lui permettant de se concentrer sur de plus « gros poissons » en procédure ordinaire.

Ces deux constats conduisent à imaginer une transposition de la directive « NIS II » N° Lexbase : L3158MG3 faisant la part belle à l’ANSSI avec, peut-être, quelques manquements graves pénalement sanctionnés. Cela ne devrait pas ouvrir la boite de Pandore de la justice pénale. La régulation a de tout temps eu le même effet sur la justice pénale : ce contentieux échappe, nonobstant l’existence de lois pénales, à la justice pénale au bénéfice d’une « justice » feutrée, entre pairs sans emprisonnement à la clef, les manquements fussent-ils qualifiés de graves.

Cet instantané de la réglementation européenne (et de sa transposition à venir) interroge quant au rôle que la justice pénale est censée jouer dans un État de droit. Le partage des contentieux, les répartitions officieuses à côté des séparations normatives, doivent être continuellement interrogés. La cybersécurité est suffisamment importante pour que le droit soit pensé en termes d’efficience. Le droit pénal doit quant à lui être interrogé à l’aune de pratiques qui l’excluent de facto quand bien même la loi n’en soufflerait mot. On retrouve là la thématique chère à Michel Foucault depuis Surveiller et punir [52] à travers sa théorie des illégalismes. On peine à sortir de la question foucaldienne lorsqu’on se penche sur les droits répressifs qui accompagnent la régulation à la française, surtout depuis qu’elle est modelée par le droit de l’Union : « Les questions qu'il faut poser au pouvoir ne sont pas : est-ce que oui ou non vous allez cesser de faire fonctionner de vilaines prisons, qui nous font tant de mal à l'âme ? — quand nous ne sommes pas prisonniers et qu'elles ne nous font pas mal au corps. Il faut dire au pouvoir : arrêtez vos bavardages sur la loi, arrêtez vos soi-disant efforts pour faire respecter la loi, dites-nous plutôt un peu ce que vous faites avec les illégalismes ? Le vrai problème est : quelles sont les différences que vous, les gens au pouvoir, vous établissez entre les différents illégalismes ? Comment vous traitez les vôtres et comment vous traitez ceux des autres ? À quoi vous faites servir les différents illégalismes que vous gérez ? Quels profits vous tirez de ceux-ci et de ceux-là ? Ce sont ces questions-là, ces questions sur l'économie générale des illégalismes, qu'il faut poser au pouvoir, mais comme, bien sûr, il ne faut pas espérer qu'il réponde, ce sont ces questions-là qu'il faut essayer d'analyser. Et toute mise en question de la loi pénale, toute mise en question de la pénalité qui ne tiendra pas compte de ce gigantesque contexte économico-politique qu'est le fonctionnement des illégalismes dans une société, sera nécessairement une manière abstraite de poser la question »  [53].

La cybersécurité n’échappe pas à cette problématisation quand bien même la spécialisation [54] de ses « juges » relève tout à la fois de l’évidence et de l’exigence.

 

[1] Entendue comme la capacité des réseaux et des systèmes d'information de résister, à un niveau de confiance donné, à des actions qui compromettent la disponibilité, l'authenticité, l'intégrité ou la confidentialité de données stockées, transmises ou faisant l'objet d'un traitement, et des services connexes que ces réseaux et systèmes d'information offrent ou rendent accessibles (v. art. 4, § 2 Directive (UE) 2016/1148, du 6 juillet 2016, du Parlement européen et du Conseil, 06-07-2016, concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et des systèmes d'information dans l'Union, « NIS I » N° Lexbase : L3613K9P et Directive n° 2022/2555, du 14 décembre 2022, du Parlement européen et du Conseil du 14-12-2022, concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l'ensemble de l'Union, modifiant le règlement (UE) n° 910/2014 et la directive (UE) 2018/1972, et abrogeant la directive (UE) 2016/1148, « NIS II », art. 6, §2  N° Lexbase : L3158MG3).

[2] Règlement (CE) n° 460/2004, du 10 mars 2004, instituant l'Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l'information N° Lexbase : L0750I38.

[3] Directive (UE) 2016/1148, du 6 juillet 2016, concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et des systèmes d'information dans l'Union N° Lexbase : L3613K9P.

[4] Règlement (UE) 2019/881, du 17 avril 2019, relatif à l’ENISA (Agence de l’Union européenne pour la cybersécurité) et à la certification de cybersécurité des technologies de l’information et des communications, et abrogeant le règlement (UE) n° 526/2013, « Cybersecurity Act » N° Lexbase : L4354LQC.

[5] Directive n° 2022/2555, du 14 décembre 2022, « NIS II » N° Lexbase : L3158MG3.

[6] Règlement n° 2022/2554, du 14 décembre 2022, sur la résilience opérationnelle numérique du secteur financier  N° Lexbase : L2960MGQ. La perspective d’un droit commun de la cybersécurité fond comme neige au soleil : v. Th. Douville, L'émergence d'un droit commun de la cybersécurité, D., 16 novembre 2017, n° 39, p. 2255.

[7] Directive (UE) 2022/2557, du 14 décembre 2022, sur la résilience des entités critiques, et abrogeant la Directive 2008/114/CE du Conseil N° Lexbase : L3160MG7.

[8] « (L)es incidents peuvent nuire à la poursuite des activités économiques sur le marché intérieur, entraîner des pertes financières, entamer la confiance des utilisateurs et causer un préjudice majeur à l’économie et la société de l’Union. La préparation à la cybersécurité et l’effectivité de la cybersécurité sont dès lors plus essentielles que jamais pour le bon fonctionnement du marché intérieur. En outre, la cybersécurité est un facteur essentiel permettant à de nombreux secteurs critiques d’embrasser la transformation numérique et de saisir pleinement les avantages économiques, sociaux et durables de la numérisation » (cons. n° 3).

[9] TUE, art. 5, § 3.

[10] V. Th. Douville, L’émergence des cyber-risques, Archives de philosophie du droit, 2020, n° 62 - p. 289.

[11] On le sait, la cybersécurité emporte avec elle de vraies questions de souveraineté, en ce sens que la cyberdéfense n’est jamais très loin.

[12] « Les réseaux et systèmes d’information sont devenus une caractéristique essentielle de la vie quotidienne en raison de la transformation numérique rapide et de l’interconnexion de la société, y compris dans le cadre des échanges transfrontières. Cette évolution a conduit à une expansion du paysage des cybermenaces et à l’émergence de nouveaux défis, qui nécessitent des réponses adaptées, coordonnées et novatrices dans tous les États membres. Le nombre, l’ampleur, la sophistication, la fréquence et l’impact des incidents ne cessent de croître et représentent une menace considérable pour le fonctionnement des réseaux et des systèmes d’information » (idem).

[13] L’article 21 de la directive « NIS I » laissait à chaque État le soin de définir les sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, encourues en cs de manquement à la loi de transposition. La France avait opté pour des amendes pénales assez faibles à l'article 9 de la loi de transposition n° 2018-133 du 26 février 2018 N° Lexbase : L3772LIK. Sur cette transposition v. Th. Douville, Cybersécurité : transposition de la directive NIS, ses limites et ses conséquences, JCP E, 12 avril 2018, n° 15-16, p. 9.

[14] Sur cette notion v.entre autres Ph. Jestaz, La sanction ou l'inconnue du droit, D., Chron. XXXII, 1986, p. 197. V. également C. Sintez, À l’origine de la sanction, la norme ou son interprétation ?, Archives de Philosophie du Droit, n° 54, 2011, p. 389.

[15] Même si l’air du temps incite à voir du droit partout, concédons ici avec une âme assumée de pénaliste, que le droit spontané ou transactionnel, choisi, littéralement autonome, confine le plus souvent à de jolies déclarations d’intention qui n’engagent, selon le bon mot, que ceux qui y croient.

[16] Évidemment, un biais disciplinaire conduit à voir dans la norme pénale la technique inéluctable faisant entrer de plain pied la règle dans le giron de la norme réelle et effective. Le réflexe est connu mais, admettons-le, cela revient, dès lors qu’on détient un simple marteau, à voir en chaque problème un clou.

[17] Pour une déconstruction v. F. Ost François ; M. Van de Kerchove, « VI. Les lois pénales sont-elles faites pour être appliquées ? Réflexions sur les phénomènes de dissociation entre la validité formelle et l'effectivité des normes juridiques », In : Jalons pour une théorie critique du droit, Bruxelles : Presses de l’Université Saint-Louis, 1987.

[18] V. M.-A. Frison-Roche, Le droit de la régulation, D., 2001, chron., p. 610.

[19] Il faut ici bien comprendre les équilibres en mouvement : il existe bien d’un côté une justice pénale dédiée à certaines formes de déviance méritant politiquement un éventuel emprisonnement, et d’un autre côté des activités nobles, car concourant au succès économique du PIB, et qui méritent une certaine tolérance. On sait en effet que la pensée néo-libérale valorise la prise de risque au nom du succès, la transgression de la norme pouvant être assimilée à un tel risque. Si bien que le succès peut absoudre une partie des manquements. Comme l’a si bien exprimé le président Macron en visite à l’Université Georgetown  : « Don't believe those who say "That's the rules of the games. Don't question the rules of the game. It's always been like that. You have to follow these rules ..." That’s bullshit ! » (avril 2018).

[20] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE N° Lexbase : L0189K8I.

[21] Y. Verhoeven, Directive NIS 2 : Ce qui va changer pour les entreprises et l’administration françaises, 17 janvier 2023 [en ligne].

[22] V. ANSSI , Panorama de la cybermenace 2022, janv. 2023 [en ligne].

[23] V. art. 21, § 2, d.

[24] Directive, du 14 décembre 2022, sur la résilience des entités critiques, et abrogeant la directive 2008/114/CE du Conseil N° Lexbase : L3160MG7.

[25] L’article 21, § 1 précise que « lors de l’évaluation de la proportionnalité de ces mesures, il convient de tenir dûment compte du degré d’exposition de l’entité aux risques, de la taille de l’entité et de la probabilité de survenance d’incidents et de leur gravité, y compris leurs conséquences sociétales et économiques ».

[26] Et plus précisément sur une approche « tous risques » (v. art. 21, § 2).

[27] Pour la procédure à suivre et les délais à respecter, v. art. 23 §4.

[28] Directive « NIS I », art. 14, § 3 N° Lexbase : L3613K9P. Dans le cadre de la transposition, v. Loi n° 2018-133, du 26 février 2018, art. 7.

[29] Les Computer Security Incident Response Team sont des centres de réponse aux incidents cyber. V. « NIS II », art. 1 , § 2, a et 10 N° Lexbase : L3158MG3.

[30] Selon l’art. 23, § 3 « Un incident est considéré comme important s’il :

a) a causé ou est susceptible de causer une perturbation opérationnelle grave des services ou des pertes financières pour l’entité concernée ;

b) a affecté ou est susceptible d’affecter d’autres personnes physiques ou morales en causant des dommages matériels, corporels ou moraux considérables ».

La définition de l’évènement générateur de l’obligation de notification a très sensiblement évolué pour se simplifier depuis « NIS I » (rapp. Directive « NIS I », art. 14, § 4 N° Lexbase : L3613K9P).

[31] V. art. 32, §2 pour les entités essentielles, art. 33, § 2 pour les entités importantes.

[32] « Les mesures d’exécution, y compris les amendes administratives, devraient être proportionnées et leur imposition soumise à des garanties procédurales appropriées conformément aux principes généraux du droit de l’Union et à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après dénommée «Charte»), y compris le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, la présomption d’innocence et les droits de la défense » (§ 127).

[33] En vertu de l’art. 34, § 8, si le système juridique d’un État membre ne prévoit pas d’amendes administratives, alors l’amende doit être déterminée par l’autorité compétente et imposée par les juridictions nationales compétentes, tout en veillant à ce que ces voies de droit soient effectives et aient un effet équivalent aux amendes administratives imposées par les autorités compétentes. En tout état de cause, les amendes imposées sont effectives, proportionnées et dissuasives.

[34] Chaque État membre peut établir les règles permettant d’imposer des amendes administratives à des entités de l’administration publique. (§ 7)

[35] V. Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, art. 83, § 2 N° Lexbase : L0189K8I.

[36] Pour la double motivation spécifique en matière d’emprisonnement prévue à l’art. 132-19 C. pén. N° Lexbase : L7614LPP, v. M. Giacopelli, Retour sur le contrôle de la peine d'emprisonnement ferme à la suite de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, Lexbase Droit privé, janvier 2017, n° 683 N° Lexbase : N6110BW9 note sous Cass. crim., 29 novembre 2016, trois arrêts, n° 15-86.116 N° Lexbase : A4623SLS, n° 15-86.712 N° Lexbase : A4624SLT et n° 15-83.108 N° Lexbase : A4622SLR ».

Pour la confiscation v. Cass. crim., 12 juin 2019, n° 18-83.396 N° Lexbase : A0794ZE7.

[37] V. C. pén., art. 132-1 al. 3 N° Lexbase : L9834I3M.

[38] V. C. pén., art. 132-20 al. 2 N° Lexbase : L5004K8T.

[39] V. C. défense, art. L1332-6-1 à L1332-6-6 N° Lexbase : L9663KCU et R. 1332-41-1 et s. N° Lexbase : L2574I8T.

[40] V. Loi n° 2018-133 du 26 février 2018, art. 5, al. 2 N° Lexbase : L3772LIK.

[41] Au surplus, selon  l’article 35, § 3, lorsque l’autorité de contrôle compétente en termes de DCP est établie dans un autre État membre que l’autorité compétente, l’ANSSI devra informer la CNIL de la violation potentielle de données à caractère personnel.

[42] V. entre autres Délibération CNIL, 18 novembre 2020 "Carrefour France" (SAN-2020-008) N° Lexbase : X1227CKN.

[44] Loi n° 2018-133, du 26 février 2018, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la sécurité, art. 7 N° Lexbase : L3772LIK.

[45] V. par ex. la Directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché, cons. n° 23 N° Lexbase : L5914I3G.

[46] CJUE, 20 mars 2018, aff. C‑524/15, Menci [en ligne].

[47] CJUE, 5 mai 2022, aff. C-570/20, BV, §5 0 N° Lexbase : A11807WM. V. N. Catelan et L. Saenko, Ne bis in idem, fraude fiscale et cumul des actions et sanctions : épilogue ?, GPL, 20 septembre 2022, n° GPL440b9.

[48] Cass. crim., 22 mars 2023, n° 19-81.929 N° Lexbase : A31923YU et n°19-80.689 N° Lexbase : A06949KW. V. L. Saenko, D. 2023 p. 1162 ; S. Detraz, JCP, 2023, n° 19, p. 923 ; V. Pelletier, Dr. pén., mai 2023, n° 5, Comm. 97.

[49] V. Loi n° 2018-133 du 26 février 2018, art. 9 et 15 N° Lexbase : L3772LIK.

[50] V. Ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018, art. 13 N° Lexbase : L3271LNH : N. Martial-Braz, JCP G, 4 janvier 2019, n° 1, p. 10.

[51] Décret n° 2022-517, du 8 avril 2022, modifiant le décret n° 2019-536 du 29 mai 2019 pris pour l'application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L3360MCG. V.  E. Netter, L'instauration d'une procédure simplifiée de sanction au profit de la CNIL, Chron. Numérique et vie des affaires, RTD Com, 2022-2, p. 308 ; CNIL, Procédure de sanction simplifiée : la CNIL présente son premier bilan 2022, 31 janvier 2023 [en ligne].

[52] M. Foucault, Surveiller et Punir, Gallimard, 1975, p. 90-91.

[53] M. Foucault, in Alternatives à la prison : diffusion ou décroissance du contrôle social : une entrevue avec Michel Foucault, par J.-P. Brodeur, Criminologie, vol. 26, n° 1, 1993, p. 33.

[54] Sur cette question v.  Les nouvelles figures du juge pénal, Dr. pén., n° 5, Mai 2023, dossier. Spé. N. Catelan, Juge pénal - La spécialisation nouvelle des domaines, Dossier n° 8.

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Discrimination

[Chronique] Chronique égalité et discrimination (janvier à juin 2023)

Lecture: 1 heure, 13 min

N6840BZD

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par Morgan Sweeney, Maître de conférences à l’Université de Dauphine et Delphine Tharaud, Professeure de droit privé à l’Université de Limoges

Le 27 Septembre 2023

Mots-clés : discrimination • non-discrimination • discriminations directe et indirecte • principes d’égalité • égalité en droits européens • égalité en droit public

Cette première livraison semestrielle de la chronique « égalité et discrimination » porte sur les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’Homme, la Cour de cassation, des cours d’appel (arrêts remarqués et remarquables), du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel dans le domaine social. La jurisprudence du premier semestre 2023 est marquée par le chantier, plus vaste, du droit à la preuve en cours de construction par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Elle précise les conditions de recours à l’article 145 du Code de procédure civile pour qu’un salarié qui suspecte une discrimination puisse se voir communiquer les éléments de rémunération d’autres salariés dans une situation comparable. En somme, comment il peut constituer un panel de comparaison en forçant l’employeur à lui fournir des données, qui ne seront pas nécessairement anonymisées. La Chambre sociale a également explicité la voie à suivre pour que cette communication de pièces soit conforme aux droits tirés du RGPD des salariés avec lesquels le requérant se compare. Une autre évolution, plus discutable, semble se faire jour dans la jurisprudence judiciaire : la charge de la preuve de la discrimination à l’occasion d’un licenciement varierait selon que le licenciement soit fondé, ou non, sur une cause réelle et sérieuse. À l’occasion de questions prioritaires de constitutionnalité, la Chambre sociale saisit l'occasion d’affirmer que sa jurisprudence constante à propos du point de départ du délai de prescription de l’action en justice, c’est-à-dire à compter de la « révélation » de la discrimination, repose « sur des faits qui n'ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription ». Enfin, les deux juridictions européennes sont de plus en plus saisies de contentieux de discrimination en raison de l’orientation sexuelle. Les prétoires deviennent le terrain de l'affrontement des défenseurs des communautés homosexuelles contre ceux qui luttent contre ce qu’ils appellent une « idéologie LGBT ».


I. Discrimination

A. Signification du motif discriminatoire

Discrimination en raison de l’état de santé (Cass. soc., 13 avril 2023, n° 21-24.149, F-D N° Lexbase : A56639PG). Les régimes de l’accident du travail et de la non-discrimination en raison de l’état de santé se télescopent souvent. Dans un contentieux qui concerne le licenciement d’un salarié accidenté du travail à son retour d’arrêt maladie en Nouvelle-Calédonie, la Chambre sociale est invitée à interpréter l’article Lp. 112-1 du Code du travail de la Nouvelle-Calédonie, moins riche que l’article L. 1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L0918MCY, qui dispose : « dans l'offre d'emploi, l'embauche et dans la relation de travail, il est interdit de prendre en considération l'origine, le sexe, l'état de grossesse, la situation de famille, l'appartenance ou la non-appartenance réelle ou supposée à une ethnie, une nation ou une race, l'opinion politique, l'activité syndicale, l'exercice d'une responsabilité coutumière, le handicap ou les convictions religieuses. Il en va de même en cas de sanction ou de licenciement d'un salarié ». Il est frappant de constater que ne figure pas le motif de l’état de santé – mais qu’il existe un motif discriminatoire particulier à la Nouvelle-Calédonie : la « responsabilité coutumière ». Le juge des référés en appel refuse de prononcer la nullité du licenciement, car dans le régime de l’accident du travail la nullité n’est prévue par le Code du travail de la Nouvelle-Calédonie que pour les ruptures pendant la période de suspension. Or en l’espèce, le licenciement a été prononcé à la suite du retour du salarié. La Chambre sociale a, malgré tout, trouvé un fondement prohibant la discrimination en raison de l’état de santé au détour d’un article concernant la situation de handicap selon lequel : « les différences de traitement fondées sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectives, nécessaires et appropriées » (Lp. 471-2 du Code précité). Les juges du fond auraient donc dû rechercher si le licenciement n'était pas discriminatoire pour avoir été prononcé en raison de l'état de santé du salarié. Pour plus de cohérence, il serait bon que le motif de l’état de santé figure dès l’article Lp. 112-1 du Code du travail de la Nouvelle-Calédonie, qui énonce la règle générale de non-discrimination (article étrangement logé dans un chapitre intitulé « Discriminations et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes »).

M. Sweeney

B. Domaines de la non-discrimination

Discrimination et non-renouvellement d’un détachement d’un agent public (Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-16.391, FS-B N° Lexbase : A08989HQ). La lutte contre la discrimination s’étend aujourd’hui à l’ensemble des décisions que l’employeur prend. Cette décision peut consister en une abstention. En l’espèce, il s’agissait d’un fonctionnaire en détachement qui a occupé, en tant que salarié, différentes fonctions au sein de Réseau ferré de France (RFF). À la suite d’arrêts maladie et congés de longue durée, l’établissement employeur signifie au salarié qu’il ne sollicitera pas le renouvellement de son détachement. Le salarié estime que ce non-renouvellement est motivé par son état de santé et introduit une action pour discrimination. La Chambre sociale confirme que toute décision de l’employeur est susceptible d’être contestée pour discrimination. En l’occurrence, le non-renouvellement du détachement ne fait pas partie des hypothèses expressément visées par l’article L.1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L0918MCY. Le détachement d’un agent public est à durée déterminée et à l’expiration de la période de détachement l’agent est automatiquement réintégré dans son corps d'origine et affecté au poste qu'il occupait avant son détachement. Aucun acte positif n’est requis. Cette automaticité ne fait pas obstacle au contrôle d’une discrimination éventuelle et à l’obligation de l’employeur de se justifier d’absence de discrimination. Toutefois, en l’espèce, les juges ont estimé que la décision n’est pas discriminatoire.

M. Sweeney

Compétence juridictionnelle et discrimination syndicale (Cass. soc., 19 avril 2023, n° 21-21.349, F-B N° Lexbase : A02119QU). En matière de discrimination syndicale, peut se poser la question de l’identification du juge compétent. En effet, lorsque le salarié dispose d’un mandat, l'inspecteur du travail doit autoriser ou non son licenciement. En l’espèce, une salariée élue au comité d’entreprise (désormais comité social et économique) avait été déclarée inapte à la reprise de son poste par le médecin du travail et l’employeur avait sollicité, à la suite de l’impossibilité de reclassement, l’autorisation de l’inspection du travail. Ce dernier, dans sa décision administrative d’autorisation du licenciement, précise qu'il n'apparaissait pas que la demande d'autorisation de licenciement par l’employeur serait en lien avec l'exercice de son mandat par la salariée et qu'ainsi l'éventualité d'une discrimination syndicale était exclue. La salariée saisit le juge judiciaire en affirmant que son inaptitude découle de la discrimination syndicale dont elle s’estime victime. L’employeur conteste la compétence du juge judiciaire au motif qu’il appartient à l’inspecteur du travail de rechercher si la demande de licenciement est en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Qui du juge judiciaire ou du juge administratif est compétent pour la qualification de discrimination à la source de l’inaptitude d’un salarié protégé ? La Chambre sociale précise qu’en cas de licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé, il n’appartient pas à l’inspecteur du travail « de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral ou d'une discrimination syndicale ». En conséquence, « l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations ». La sanctuarisation de la compétence du juge judiciaire sur les causes de l’inaptitude n’est pas nouvelle, cette décision interroge néanmoins sur la capacité et le sérieux du contrôle de l’inspecteur du travail sur l’absence de lien de la demande de licenciement d’un salarié protégé inapte lorsque cette inaptitude résulte d’une discrimination syndicale. Au nom de la séparation des pouvoirs, l’inspecteur n’est pas censé s’interroger sur la source de l’inaptitude, mais en même temps il doit s’assurer que le licenciement n’est pas en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Il semblerait dès lors qu’un double contrôle puisse jouer en cas d’inaptitude résultant d’une discrimination syndicale : l’inspecteur du travail dans le cadre de ses prérogatives habituelles, qui consiste peu ou prou à traquer toute discrimination syndicale éventuelle ; le juge judiciaire dans le cadre de l’appréciation de la source de l’inaptitude.  La Cour de cassation de préciser simplement que la conclusion de l’inspecteur du travail d’absence de discrimination syndicale dans le cadre de la décision administrative ne s’impose pas au juge judiciaire quant à la source de l’inaptitude.

M. Sweeney

C. Discrimination directe

1) Reconnaissance de la discrimination directe et aménagement de la charge de la preuve

Accès à la preuve en matière de discrimination syndicale et atteinte proportionnée à la vie personnelle (Cass. soc., 15 février 2023, n° 21-15.033 N° Lexbase : A44669DR ; Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-12.492, FS-B N° Lexbase : A08929HI ; Cass. soc., 1er juin 2023, n° 22-13.238 N° Lexbase : A64069XK). La preuve d’une discrimination est la plupart du temps faite par l’intermédiaire d’une comparaison entre la situation du demandeur et un panel de situations similaire à la première. Pour autant, si évidente soit-elle en théorie, la comparaison se heurte souvent à des entraves pratiques et juridiques. En effet, pour comparer, il faut avoir accès aux éléments que l’on souhaite mettre en balance avec la situation estimée discriminatoire. Or, ces données touchent d’autres salariés et les juges peuvent alors avoir à trancher ce que la Cour européenne des droits de l’homme nomme un conflit de droits fondamentaux : les droits procéduraux du demandeur en matière de non-discrimination peuvent aller à l’encontre de la vie privée des autres salariés. Comme dans tout conflit de ce type, le travail du juge s’apparente à celui d’un équilibriste. Ces dernières années, la Cour de cassation construit une jurisprudence forte sur cette question où la balance semble pencher du côté des droits du demandeur. Plusieurs arrêts du premier semestre 2023 attestent de cette dynamique, à commencer par un arrêt du 1er juin 2023 N° Lexbase : A64069XK relatif à une situation concernant un ensemble de personnes sur un site. Une soixantaine de salariés exerçant des mandats de représentants du personnel au sein de la société Renault Trucks ont obtenu une ordonnance sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49 leur permettant d’avoir accès à un vaste jeu de données concernant d’autres salariés : nom, prénom, sexe, âge, date d’entrée sur le site pour toutes les personnes ayant une qualification professionnelle similaire et ayant été embauchée la même année ou jusqu’à deux ans plus tôt ou plus tard, ainsi que les bulletins de paye, diplômes, éventuels changements de poste ou de qualification. La Cour rappelle que l’article 145 du Code de procédure civile permet d’ordonner des mesures d’instruction « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige » et qu’une atteinte à la vie privée garantie par l’article 9 du Code civil N° Lexbase : L3304ABY et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme N° Lexbase : L4798AQR est possible « à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi ». Or, la cour d’appel a établi que les salariés ont connu une évolution de carrière « très lente » avec un salaire quasi inchangé et que l’employeur n’a pas donné suite à la demande d’un syndicat de transmettre des éléments qu’il avait à sa disposition afin d’établir la comparaison nécessaire à la preuve de la discrimination. Dès lors, la cour d’appel, dans son appréciation souveraine, a estimé que le jeu de données précédemment cité était indispensable à l’apport de la preuve. La cour d’appel ayant établi l’utilité de chaque élément devant être transmis par l’employeur dans le cadre d’une opération de comparaison, l’atteinte à la vie personnelle reste proportionnée. La cour précise que l’opération de comparaison suppose une précision des informations. En l’espèce, cela comprend un tableau récapitulatif devant être élaboré par l’employeur.

La Cour de cassation rappelle également que la production des noms et prénoms des salariés faisant partie du panel de comparaison peut relever d’une atteinte proportionnée à la vie personnelle, et que, ce qui est plus inédit, les bulletins de salaire peuvent être produits dans leur intégralité. La cour d’appel n’est pas tenue de s’expliquer sur l’utilité de chaque mention et, par ailleurs, la « cancellation » de certaines données ne lui avait pas été demandée. Le pourvoi de l’employeur est donc rejeté.

Dans un autre arrêt publié au bulletin en date du 8 mars 2023 N° Lexbase : A08929HI , la Chambre sociale avait déjà affirmé cette dynamique. Le visa du règlement RGPD du 27 avril 2016 N° Lexbase : L0189K8I n’y change rien, les nécessités de la preuve de la discrimination peuvent conduire, si les données en cause sont indispensables, à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés. Même si la proportionnalité de l’atteinte justifie l’occultation de données personnelles, d’autres restent apparentes. En l’occurrence, la cour d’appel a pu, de manière justifiée, admettre la nécessité pour l’employeur, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, de produire les bulletins de paye de 8 collègues masculins de la salariée comportant leur nom et prénom, leur classification conventionnelle, leur rémunération mensuelle détaillée et leur rémunération brute totale cumulée par année civile. Cette force du droit de la non-discrimination est une belle victoire pour la salariée obtenue le 8 mars, journée des droits des femmes.

On le comprend, grâce à ces premiers arrêts, le droit de la preuve en matière de non-discrimination est fort. L’employeur peut donc être valablement soumis à la production de pièces qui vont permettre au salarié d’établir la différence de traitement. Plutôt que d’attendre et, selon la règle de l’aménagement de la charge de la preuve, essayer de se justifier de manière objective, il peut tenter d’avoir lui-même la maîtrise du panel. C’est ce que démontre un arrêt du 15 février 2023 N° Lexbase : A44669DR. Le salarié essayait d’obtenir la production d’éléments concernant 33 autres salariés afin de prouver l’existence d’une discrimination sur sa rémunération liée à son origine (l’arrêt précise d’ailleurs de manière très atypique qu’il s’agit de « ses origines culturelles et ethniques »). La cour d’appel a refusé cette demande en indiquant que l’employeur avait déjà transmis de lui-même un ensemble de données relatives à 12 salariés sous la forme d’un tableau récapitulatif ainsi que les bulletins de paye de 20 personnes. Pour les juges du fond, le salarié ne justifie pas d’un motif légitime afin d’obtenir la communication de pièces supplémentaires. La Cour de cassation casse et annule cet arrêt, car la cour d’appel aurait dû vérifier si ces pièces supplémentaires étaient nécessaires à l’apport de la preuve et si, dans le cas d’une atteinte à la vie privée des salariés concernés, elles étaient indispensables et nécessitaient éventuellement de cantonner le périmètre des pièces concernées.

D. Tharaud

Fiabilité de la comparaison et prise en compte par les juges du fond des éléments apportés par le salarié (Cass. soc., 8 février 2023, n° 21-16.433, FS-D N° Lexbase : A65789CM ; Cass. soc., 22 mars 2022, n° 21-21.276, F-D N° Lexbase : A01039LE ; Cass. soc., 5 avril 2023, 2 arrêts, n° 21-25.838 N° Lexbase : A44459NX et n° 21-24.556 N° Lexbase : A43119NY, F-D ; Cass. soc., 13 avril 2023, n° 20-23.619, F-D N° Lexbase : A55589PK ; Cass. soc., 19 avril 2023, n° 22-11.065, F-D N° Lexbase : A78779QS ; Cass. soc., 17 mai 2023, n° 21-24.159, F-D N° Lexbase : A18459WA). Comme elle en a l’habitude depuis quelques années, en ce premier semestre 2023, la Cour de cassation a tranché à plusieurs reprises la question de l’opération de comparaison et spécifiquement les éléments apportés par le salarié pour procéder à celle-ci. Cette étape procédurale est essentielle pour le salarié puisque suivant la règle d’aménagement de la charge de la preuve mise en place par la loi du 16 novembre 2001, il doit apporter des éléments qui laissent supposer l’existence d’une discrimination. Et ce n’est que si c’est le cas que l’employeur devra tenter de se justifier en apportant des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Pour espérer voir son action prospérer, le salarié doit donc, en pratique, établir l’existence d’une différence de traitement. Pour cela, il doit comparer sa situation à celles d’autres personnes qui sont dans une situation similaire à la sienne. Cette question est particulièrement sensible dans le contentieux de l’évolution de la carrière et de la rémunération qui suppose de se comparer à des personnes présentant des caractéristiques communes assez fortes (qualification, expérience professionnelle, date d’entrée dans l’entreprise…). Le contentieux porte alors souvent sur la pertinence de ce panel.

Dans un arrêt du 5 avril 2023 N° Lexbase : A44459NX, la Cour de cassation rappelle que le panel de comparaison élaboré par le salarié, et plus largement tous les éléments apportés par ce dernier, est apprécié souverainement par les juges du fond. En l’espèce, concernant la preuve d’une discrimination syndicale quant à l’évolution de la rémunération du salarié, les éléments apportés par ce dernier consistaient en une comparaison avec des personnes occupant des fonctions supérieures et dans un contexte où il a bénéficié d’une augmentation constante de salaire. Dès lors, la Cour de cassation valide l’analyse de la cour d’appel qui a jugé que ces éléments ne permettaient pas de supposer l’existence d’une discrimination et rejette ainsi le pourvoi.

Quelques jours plus tard et dans un contentieux similaire, la Cour de cassation réitèrera sa position le 19 avril 2023 N° Lexbase : A78779QS en rappelant que les juges du fond ont un pouvoir d’appréciation souverain dans l’analyse de la fiabilité de la comparaison telle que présentée par le salarié. Tout comme dans la première affaire, la question des similitudes des situations faisant l’objet d’une comparaison est mise en lumière, cette fois sur les plans temporel et spatial. Certes, le salarié a transmis des bulletins de paie d’autres salariés de l’entreprise, mais ceux-ci ne travaillaient pas sur le même site et les bulletins ne dataient pas de la même période. S’ajoutent à ce problème de fiabilité des éléments de comparaison le fait que le salarié bénéficiait d’une rémunération comprise entre la fourchette la plus haute et la fourchette la plus basse, supérieure aux minimas conventionnels, et qu’il a bénéficié d’augmentations individuelles juste après le début de son élection au comité d’entreprise et de son mandat de délégué syndical. Par ailleurs, les juges du fond ont estimé que l’ensemble des sanctions disciplinaires (une mise en garde, 4 avertissements et une mise à pied) était justifié. De ces éléments, il ressort que la cour d’appel a pu estimer que le salarié ne présentait pas d’éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination. Le pourvoi est alors rejeté.

S’ajoute à ce lot d’arrêts sur l’apport de la preuve par le salarié une troisième espèce en date du 13 avril 2023 N° Lexbase : A55589PK qui, cette fois, permet au salarié qui a formé le pourvoi de voir l’arrêt de la cour d’appel cassé et annulé. La particularité de l’affaire provenait de la disparité des éléments présentés par le salarié qui extraient l’espèce de la dimension classique de la simple comparaison à la situation d’autres salariés. En effet, les données produites se concentraient sur la situation propre du salarié : période anormalement longue d’intercontrat, difficultés rencontrées en matière de formation professionnelle et enfin plusieurs sanctions disciplinaires en lien avec l’exercice de son mandat de représentant du personnel. La cour d’appel a eu une réponse consistant à indiquer que l’ensemble de ces éléments n’était que la réaction de l’employeur face à « l’activisme mal fondé » du représentant du personnel. Outre que cette réponse laisse songeur quant à son aspect plus moral que juridique, elle brille également par son absence d’argumentation technique sur le plan du régime de discrimination, mais également sur le plan disciplinaire si c’est bien ce dont il s’agit. Logiquement, la Cour de cassation estime que ces motifs sont impropres à écarter l’existence d’une discrimination syndicale. La cour d’appel était tenue de prendre en compte l’ensemble des éléments présentés pour vérifier s’ils étaient suffisants pour laisser supposer l’existence d’une discrimination. La Haute juridiction rappelle qu’en cas de réponse positive, les juges du fond ont alors l’obligation d’analyser les éléments objectifs de justification apportés par l’employeur. Pour ce qui est de son office, elle casse et annule l’arrêt de la cour d’appel.

Dans le même esprit, une cour d’appel ne peut se contenter de dire que des arrêts de travail pour maladie d’origine non professionnelle mentionnant des crises d’angoisse et un syndrome dépressif réactionnel présentés par le salarié ne démontrent aucun lien de causalité entre la dégradation de l’état de santé et les conditions de travail dans le contexte de l’exercice d’un mandat de représentant du personnel. La Cour de cassation rappelle, par une décision du 17 mai 2023 N° Lexbase : A18459WA, que les juges du fond sont tenus préalablement de rechercher si les faits présentés par le salarié ne laissaient pas supposer l’existence d’une discrimination.

Dans le même sens, à propos d’une discrimination syndicale, le salarié se plaignait de n’avoir jamais été promu comme chef d’équipe. Les juges de la cour d’appel retiennent que pour l’une des promotions contestées, le salarié retenu présentait une ancienneté plus importante et que donc « pris dans leur ensemble » les éléments ne permettent pas de présumer une discrimination. Par décision du 8 février 2023 N° Lexbase : A65789CM, la Chambre sociale casse l’arrêt pour violation de la loi, car les juges du fond auraient dû retenir deux éléments caractérisant la suspicion de discrimination en l’espèce : tout d’abord la promotion comme chef d’équipe de collègues ayant une expérience et une ancienneté moins importantes ; ensuite le directeur du site avait publiquement annoncé sa promotion comme chef d’équipe, ce qui ne sera jamais suivi d’effet. Cette décision souligne que les juges du fond doivent prendre en considération chaque élément présenté par le salarié et qu’ils ne peuvent « diluer » les éléments susceptibles de caractériser une discrimination pour plusieurs promotions d’autres salariés face à une seule promotion où le salarié retenu présentait une ancienneté plus grande.

L’ensemble du contentieux met en lumière deux dynamiques différentes de la discrimination et de la preuve qui y est associée dans le cas de la problématique de l’évolution de carrière. Soit le retard se fait par rapport à ce que les autres salariés connaissent et, dans ce cas, l’enjeu est de constituer un panel de comparaison viable et pertinent. Outre le choix des éléments, cette difficulté renvoie également aux questions d’accès à la preuve évoquées plus haut. Soit, le retard ou la dégradation de sa situation provient de faits multiples que seul le salarié subit (climat de tension, multiplication de sanctions…). Cette diversité des actes ne suppose pas d’opération de comparaison, mais nécessite de la part des juges du fond une analyse complète de l’ensemble des éléments. Le contentieux fait alors souvent apparaître une multiplication des procédures disciplinaires dont l’employeur devra se justifier de manière objective, comme indiqué dans un arrêt du 5 avril 2023 N° Lexbase : A43119NY. Tel n’est pas le cas lorsqu’il n’apporte aucun élément au fait qu’il ait coupé l’accès à un logiciel et qu’il ne l’a pas rétabli, qu’il ne démontre pas les faits justifiant une sanction disciplinaire et que, pour d’autres, elles apparaissent disproportionnées (mise à pied de 3 jours pour non-respect du port d’un costume).

D. Tharaud

Discrimination et cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. soc., 22 mars 2023, n° 22-10.556, F-D N° Lexbase : A01359LL ; Cass. soc., 28 juin 2023, n° 22-11.699, F-B N° Lexbase : A266997Y). La Chambre sociale précise l’application de l’aménagement de la charge de la preuve en fonction de l’existence ou non d’une cause réelle et sérieuse de licenciement. Dans une première affaire en date du 28 juin 2023 N° Lexbase : A266997Y, le salarié avait sollicité l'organisation d’élection professionnelle dans l’entreprise. Le jour même de réception de la demande du salarié, l'employeur a entamé une procédure de licenciement disciplinaire. La cour d’appel refuse d’y voir une discrimination. La cassation est encourue, car dès lors que les juges du fond constatent tout d’abord que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et, ensuite que la décision de l’employeur est concomitante à la demande d'organisation des élections, la suspicion de discrimination syndicale est établie. D’aucuns pourraient s’interroger sur la qualification de discrimination syndicale en l’espèce, car en soi la demande d’organisation d’élection d’un délégué du personnel, qui n’est pas un mandat « syndical », n’est nullement réservée aux militants syndicaux. Néanmoins, cette décision est heureuse : si en effet il ne s’agit pas de l’action d’un adhérent d’une organisation syndicale (personne morale), cette demande concerne directement l’intérêt collectif et la mise en place d’une représentation du personnel. Le caractère syndical, entendu largement, s’inscrit dans la défense de l’intérêt collectif. Nous retrouvons cette conception large de l’activité syndicale dans la jurisprudence de la CEDH, qui fonde l’action revendicative de grève et le droit à la négociation collective sur la liberté syndicale, alors même qu’en France et dans d’autres États parties de la convention ces prérogatives ne sont pas exclusivement réservées aux membres d’organisations syndicales. Dans une seconde affaire du 22 mars 2023 N° Lexbase : A01359LL, une salariée, licenciée pour insuffisance professionnelle, invoquait une discrimination en raison de l’état de santé. La Chambre sociale rejette le pourvoi de la salariée en affirmant que « lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte antérieure au sein de l'entreprise pour discrimination ». La salariée ne produisait comme élément de preuve de suspicion de discrimination que ses propres écrits envoyés une fois qu’elle a reçu la convocation à l’entretien préalable. Indépendamment de l’insuffisance de la preuve en l’espèce, faire dépendre ainsi l’aménagement de la charge de la preuve du salarié en matière de discrimination en fonction de l’existence ou non d’une cause réelle et sérieuse peut de prime abord convaincre : si le licenciement est légalement justifié, c’est qu’il n’y a pas de discrimination dans la motivation de la rupture. Toutefois, cette jurisprudence paraît dangereuse au regard de la charge de la preuve : en matière de licenciement, si le salarié ne subit pas le risque de la preuve, il doit néanmoins en assumer la charge. Il ne jouit pas d’aménagement de la charge de la preuve. La solution de la Chambre sociale dans ces deux arrêts revient peu ou prou à ce que lorsque les juges retiennent la cause réelle et sérieuse du licenciement, l’aménagement de la charge de la preuve en matière discriminatoire n’a plus lieu à s’appliquer. Le vocabulaire de la Chambre sociale est signifiant : en présence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement le salarié doit « démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion » et non simplement « des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination », exigé à l’article L. 1134-1 du Code du travail N° Lexbase : L2681LBW [1]. Cette solution méconnaît également le fait que le motif discriminatoire peut être une raison accessoire et non principale de la décision de licencier. Or, même accessoire une discrimination doit être sanctionnée [2]. Il est parfaitement concevable qu’un salarié soit fautif ou n’ait plus les compétences nécessaires pour occuper son emploi et que ces événements seront l’occasion pour l’employeur de licencier un salarié qui a subi une discrimination tout au long de sa carrière. Rien ne justifie qu’il ne puisse pas dans une telle situation apporter la preuve d’une simple suspicion de discrimination.

M. Sweeney

Protection des lanceurs d’alerte et apport facilité de la preuve (Cass. soc., 1er février 2023, n° 21-24.271, FS-B N° Lexbase : A01919BP ; Cass. soc., 17 mai 2023, n° 21-24.159, F-D N° Lexbase : A18459WA). Parfois, c’est un événement unique qui permet de considérer l’apport de la preuve par le salarié comme accompli. C’est par exemple le cas relevé dans un arrêt du 1er février 2023 lorsque ce dernier a dénoncé des faits pouvant relever d’une corruption à sa hiérarchie puis au comité d’éthique de l’entreprise et a par la suite été licencié. Sa bonne foi n’étant pas mise en doute, la salariée bénéficiait, selon les juges du fond, de la qualité de lanceur d’alerte au titre de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 N° Lexbase : L6482LBP dans ses dispositions alors applicables. Dès lors, elle pouvait se prévaloir du régime de la preuve en matière de discrimination puisque la qualité de lanceur d’alerte est un des motifs envisagés par le Code du travail (à l’époque isolé au sein de l’article L. 1132-3-3 N° Lexbase : L0919MCZ, ce motif a été intégré par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 N° Lexbase : L0484MCW à la liste principale de l’article L. 1132-1 N° Lexbase : L0918MCY). La cour d’appel avait considéré, suivant la même dynamique que dans l’arrêt du 17 mai N° Lexbase : A18459WA, qu’il n’était pas démontré de lien manifeste entre la détérioration de relation de travail et l’alerte (qui a suivi la procédure alors applicable qui a également subi des modifications depuis), l’employeur s’appuyant sur des considérations purement professionnelles dans les évaluations de la salariée et pour motiver son licenciement. La Cour de cassation casse et annule cet arrêt en indiquant que les juges du fond avaient « constaté que la salariée présentait des éléments permettant de présumer qu'elle avait signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 » et que, partant, ils auraient dû rechercher si l’employeur se justifiait par des éléments étrangers à toute discrimination. Nous pouvons remarquer que la Cour opère ici un glissement puisque le fait de présenter la qualité de lanceur d’alerte semble ici être suffisant pour considérer que la salariée a apporté des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination. Même si, en application de l’aménagement de la charge de la preuve, l’employeur aura toujours la possibilité de se justifier objectivement, il n’en reste pas moins que cette position établit une forme de suspicion planant sur tout acte pris après une procédure d’alerte. Cela fait comprendre que c’est bien le motif qui conduit ce glissement des règles de preuve. En effet, à l’instar de l’exercice du droit de grève, il ne s’agit pas d’un motif orthodoxe fondé sur les préjugés et stéréotypes associés à une caractéristique, mais un motif de représailles. C’est d’ailleurs cette dynamique de riposte de l’employeur que faisait valoir explicitement la salariée. Cela peut être critiqué sur le plan dogmatique, encore plus en pensant que dorénavant ce motif de représailles est inscrit parmi les motifs au fonctionnement plus classique, puisque cela conduit à apprécier la charge de la preuve différemment selon le motif mobilisé. Il n’en reste pas moins une meilleure protection des salariés concernés.

D. Tharaud

2) Exception : exigences essentielles et déterminantes

 [...]

3) Autres exceptions (action positive, etc.)

Discrimination en raison de l’âge, mise en inactivité d’office et statut d’entreprise publique (Cass. soc., 17 mai 2023, n° 21-25.622, F-D N° Lexbase : A18349WT). La Directive européenne n° 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4 en son article 6, § 1, transposé à l’article L.1133-2 du Code du travail N° Lexbase : L6055IAI, prévoit un régime propre au motif de l’âge, selon lequel une différence de traitement sur ce motif « ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ». Régulièrement sont contestés les statuts d’entreprises publiques qui prévoient qu’à un âge déterminé, souvent 65 ans, le salarié est d’office mis en inactivité. Cette règle est le décalque de celle qui prévalait dans la fonction publique, justifiée par la mise à la retraite d’agent public pour créer des emplois disponibles pour des agents plus jeunes. Les juges de la cour d’appel ont pris prétexte que le Conseil d’État a, dans un arrêt du 13 mars 2013, jugé conforme le statut d’EDF, qui prévoyait un tel dispositif de mise en inactivité, avec la directive européenne. La Chambre sociale rappelle qu’il appartient au contraire aux juges judiciaires de rechercher concrètement « si, pour la catégorie d'emploi de la salariée, la différence de traitement fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime, notamment par des objectifs d'emploi des jeunes et de promotion d'accès à l'emploi avec une meilleure distribution de celui-ci entre les générations, et si la mise en inactivité d'office de la salariée était un moyen approprié et nécessaire de réaliser cet objectif ». L’aval du Conseil d’État, opérant un contrôle in abstracto, ne suffit nullement à telle justification.

M. Sweeney

D. Discrimination indirecte

1) Suspicion de discrimination indirecte

[...]

2) Justification de la différence de traitement

a. Raisonnabilité de la mesure

[...]

b. Proportionnalité de la mesure

[...]

3) Charge de la preuve

[...]

E. Sanction et réparation de la discrimination

Prescription quinquennale de l’action en discrimination (Cass. soc., 19 avril 2023, n° 21-15.751, F-D N° Lexbase : A76139QZ ; Cass. soc., 7 juin 2023, n° 22-22.920, FS-B N° Lexbase : A69039YC). La prescription quinquennale de l’action en discrimination continue de faire l’objet de contestation. Le contentieux autour de la carrière des salariés syndiqués discriminés souligne combien la brièveté de ce délai peut être en décalage avec la discrimination « à bas bruit étalée sur plusieurs années. La Chambre sociale a répondu à cette difficulté en reportant le point de départ de ce délai de prescription reposant sur la « révélation de la discrimination » (selon les termes de l’article L.1134-5 du Code du travail N° Lexbase : L5913LBM). Malgré une jurisprudence constante, la cour d’appel de Basse-Terre avait jugé comme prescrit les faits de discrimination syndicale pour une action introduite le 17 décembre 2015, car aucune des décisions attaquées n’était postérieure au 17 décembre 2010. La Chambre sociale rappelle, dans un arrêt du 19 avril 2023 N° Lexbase : A76139QZ, qu’en matière de discrimination affectant la carrière d’un syndicaliste, il appartient à la victime de faire « valoir que cette discrimination s'était poursuivie tout au long de sa carrière en termes d'évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, ce dont il résultait qu'elle se fondait sur des faits qui n'avaient pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription ». Le point de départ de la prescription s’apprécie non au regard de la date des décisions de l’employeur, mais de la cessation des effets de celles-ci sur la carrière. Par une décision du 7 juin 2023 N° Lexbase : A69039YC, la Chambre sociale a été saisie de questions prioritaires de constitutionnalité à l’encontre de cette prescription quinquennale. Un ancien salarié de la SNCF estime avoir été discriminé en raison de sa nationalité et réclame réparation de son préjudice. Il a travaillé pour la SNCF jusqu'en 2000 et a liquidé sa retraite en 2008. Il n’a introduit son action pour discrimination que le 22 décembre 2017. Le conseil de prud’hommes et la cour d’appel l’ont débouté de son action, jugeant à l’unisson que son action est atteinte par la prescription tant pour la demande de rappel de salaire que ses droits à pension. Au moment de son pourvoi en cassation, le salarié saisit la Chambre sociale de trois questions prioritaires de constitutionnalité, qui en substance interrogent cette prescription au regard du droit à un recours juridictionnel effectif et de la non-discrimination en raison de la nationalité. Le salarié reproche en creux aux juridictions du fond d’avoir retenu comme point de départ de la prescription soit la rupture de la relation de travail, soit le jour où le salarié pouvait liquider ses droits à pensions. La Chambre sociale refuse de transmettre les questions prioritaires de constitutionnalité. Tout d’abord, parce que « il n'existe pas, en l'état, de jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle l'article L.1134-5, alinéa 1, du Code du travail N° Lexbase : L5913LBM, serait interprété en ce qu'il aurait pour conséquence de fixer, dans tous les cas, le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue tout au long de la carrière à date de la rupture du contrat de travail et celui du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue dans les droits à la retraite au moment où le salarié se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension ». Les jurisprudences citées par le pourvoi, où ces points de départ avaient été retenus, ne sont que des arrêts d'espèces. Par ailleurs, la Chambre sociale rappelle sa jurisprudence constante [3] selon laquelle “quand bien même le salarié fait état d'une discrimination ayant commencé lors d'une période atteinte par la prescription, l'action n'est pas prescrite dès lors que cette discrimination s'est poursuivie tout au long de la carrière en termes d'évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, ce dont il résulte que le salarié se fonde sur des faits qui n'ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription”. Il est heureux que cette jurisprudence constante qui n’a été jusqu’ici appliquée qu’à des cas de discrimination syndicale soit étendue dans cette décision à la discrimination en raison de la nationalité - les règles de prescriptions étant les mêmes, quel que soit le motif discriminatoire en jeu. Il reste donc au salarié à démontrer que les faits de discrimination dont il s’estime victime produisent toujours des effets, notamment sur son niveau de pension.

M. Sweeney

Sanction de la non-discrimination: repositionnement dans la carrière (Cass. soc., 14 juin 2023, n° 22-11.601, F-D N° Lexbase : A206193Q). Toujours en matière de carrière de la victime discriminée, la Chambre sociale a été saisie de la question de la demande du salarié syndiqué à être repositionné à la qualification à laquelle il aurait dû être s’il n’avait pas été discriminé. Les juges du fond, alors qu’ils avaient retenu la discrimination syndicale en raison de la décélération et stagnation de carrière du salarié, avaient refusé un tel repositionnement, car le salarié « ne démontre pas avoir exercé des fonctions d'encadrement, critère objectif justifiant l'attribution d'un coefficient de rémunération supérieur, que l'employeur démontrait le silence de la salariée à des propositions de poste » et que la salariée ne s’était pas portée candidate sur ces postes. La Chambre sociale rappelle au contraire qu’en réparation du préjudice dans le déroulement de sa carrière la salariée peut prétendre « à un reclassement dans le coefficient de rémunération qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination et qu'il appartient au juge de rechercher à quel coefficient de rémunération le salarié serait parvenu sans la discrimination constatée ». Les juges du fond avaient également décidé de réparer le préjudice financier démontré à hauteur de 100 000 euros « tous chefs de préjudice confondus », sans donner aucun motif pour avoir débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral résultant d'une discrimination. La cassation est encourue pour ces deux motifs.

M. Sweeney

Réparation des préjudices nés de la discrimination et du harcèlement (Cass. soc., 19 avril 2023, n° 22-14.778, F-D N° Lexbase : A77229Q3). La Chambre sociale rappelle que le préjudice né d’une discrimination se distingue de celui né d’un harcèlement, et cela même si le motif en jeu est le même. Elle casse un arrêt de cour d’appel qui avait alloué une somme unique de dommages-intérêts au titre de la discrimination et du harcèlement. Elle rappelle que « Les obligations résultant des articles L. 1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L0918MCY, au titre du principe de non-discrimination, et L. 1152-1 du même Code N° Lexbase : L0724H9P, au titre de la prohibition du harcèlement moral, sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne des préjudices différents, ouvre droit à des réparations spécifiques ».

M. Sweeney

Sanction de la discrimination et remboursement des indemnités chômage (Cass. soc., 19 avril 2023, n° 22-11.148, F-D N° Lexbase : A76659QX). Lorsque le salarié à la suite d’une démission obtient qu’elle soit requalifiée en licenciement nul en raison d’une discrimination syndicale, les juges du fond peuvent ordonner d’office le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois. La contestation de l’employeur tenait au fait que la rupture du contrat consistait en une démission et non en un licenciement. Cet argument ne tient pas lorsque la démission a les effets d’un licenciement nul, comme en l’espèce. Dans une autre affaire, un employeur a contesté le remboursement des indemnités de chômage prononcé à la suite d’une discrimination pour fait de grève. L’employeur affirme en effet que la sanction de la discrimination pour fait de grève est énoncée à l’article L. 2511-1 du Code du travail N° Lexbase : L0237H9N, qui n’est pas visé à l’article L.1235-4 du Code du travail N° Lexbase : L0274LM4 qui énumère limitativement les cas où le juge peut ordonner le remboursement des indemnités chômage. La chambre sociale écarte cet argument, car l’article précité vise l’article L.1132-4 N° Lexbase : L0920MC3 qui dispose que « Toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre (...) est nul ». Or, la non-discrimination en raison de l'exercice normal du droit de grève est énoncée à l’article L.1132-2 du Code du travail N° Lexbase : L0676H9W, au sein du chapitre visé par l’article L.1132-4.

M. Sweeney

Assiette de calcul des dommages et intérêts pour discrimination (Cass. soc., 1er juin 2023, n° 21-21.191, FS-B N° Lexbase : A63919XY). La Chambre sociale précise également l’assiette de calcul des dommages et intérêts en cas de violation du statut protecteur d’un salarié, victime de discrimination syndicale. Le principe de calcul, lorsque le salarié ne demande pas sa réintégration « est la rémunération que le salarié aurait dû percevoir depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection résultant du mandat en cours à la date de la rupture, dans la limite de trente mois ». Qu’en est-il lorsque le salarié protégé a été en arrêt de travail pour maladie pendant la période d'éviction? La Chambre sociale précise qu’il convient de prendre pour les besoins du calcul le salaire moyen des douze derniers mois, incluant les commissions, perçues avant l'arrêt de travail. La cour d’appel avait refusé d’inclure les commissions perçues dans l’assiette de calcul du salaire moyen. La cassation est prononcée de ce chef.

M. Sweeney

II. Principes d’égalité

A. Égalité en droits européens

1) Le principe d’égalité en droit de l’Union européenne

Différences de traitement dans les prestations sociales subies par les travailleurs transfrontaliers durant un confinement (CJUE, 15 juin 2023, aff. C-411/22 N° Lexbase : A097593I). La question de la gestion nationale du COVID n’échappe pas aux règles de la libre circulation des travailleurs comme l’a rappelé la CJUE dans un arrêt du 15 juin 2023, Termalhotel Fontana. En l’espèce, plusieurs salariés résidant en Slovénie et Hongrie et travaillant dans un hôtel autrichien ont été testés positifs au COVID-19. Après information de l’employeur auprès des autorités autrichiennes, celles-ci informent les autorités des deux pays concernés qui ordonnent chacune un confinement des salariés à leur domicile en vertu de leur droit national. Les salariés ont vu leur rémunération continuer à être versée par leur employeur pendant cette période, lequel demande alors aux autorités autrichiennes d’effectuer un remboursement, car la somme versée correspondrait à un manque à gagner pour raison de maladie et l’employeur estime qu’il ne s’agit que d’un système de subrogation au bénéfice des salariés. Cela lui est refusé, car la mesure du confinement a été ordonnée par les autorités slovènes et hongroises et non autrichiennes. La question préjudicielle porte alors sur le fait de savoir s’il est possible de faire une différence de traitement selon l’origine nationale ou étrangère de la décision de confinement qui provoque le manque à gagner pour les salariés. Cette différence de traitement doit être lue au prisme de l’article 45, § 2 TFUE qui, au titre de la liberté de circulation des travailleurs, interdit les discriminations faites en raison de la nationalité. La Cour reconnait dans le cas d’espèce l’existence d’une discrimination, car si le refus des autorités autrichiennes de faire droit au remboursement de l’employeur se justifie par la volonté d’éviter tout enrichissement sans cause des salariés avec une double indemnisation par la législation du lieu de travail et celle du lieu de résidence, il est possible aux autorités autrichiennes de mettre en place une indemnisation conditionnée aux montants déjà perçus au titre de la législation du lieu de résidence. Dès lors, le refus automatique et sans prise en considération de la situation réelle est constitutif d’une discrimination.

D. Tharaud

Le calcul de l’expérience professionnelle avant le recrutement d’un fonctionnaire peut relever d’une discrimination (CJUE, 15 juin 2023, aff. C-132/22 N° Lexbase : A096893A ; CJUE, 20 avril 2023, aff. C-650/21 N° Lexbase : A29879R3). Dans un but de lutte contre la précarité dans certains établissements publics d’enseignement, la loi italienne a mis en place un système de recrutement de personnes n’ayant pas obtenu le diplôme habituellement requis, mais ayant déjà passé un concours sélectif et ayant accumulé un certain nombre d’années d’expérience d’enseignement. Dans l’arrêt Ministero dell'Istruzione, dell'Università e della Ricerca N° Lexbase : A096893A, la question préjudicielle posée à la Cour, au titre d’une éventuelle rupture de l’égalité de traitement contraire à la libre circulation des travailleurs, provient du recours exercé par plusieurs personnes contestant les règles énoncées en ce qu’elles ne permettent pas de prendre en compte l’expérience professionnelle acquise à l’étranger. La Cour rappelle ici que sont prohibées les discriminations directes et indirectes. Elle précise alors le fait que le décret italien qui est au cœur de la discussion n’incite pas à la liberté de circulation des travailleurs puisque l’expérience acquise sur le territoire d’un autre État membre n’est pas prise en compte. De fait, cette disposition est susceptible d’affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux. Par ailleurs, la Cour ne trouve pas d’adéquation entre l’objectif poursuivi, à savoir la lutte contre la précarité, et les restrictions présentées par le texte. Dès lors, elle conclut que l’article 45 du TFUE s’oppose à de telles dispositions qui s’avèrent contraires à la libre circulation des travailleurs.

En revanche, un autre arrêt N° Lexbase : A29879R3, la Cour indique que l’État peut mettre en place une différence dans la prise en compte des périodes d’apprentissage effectuées dans une collectivité territoriale avant le recrutement du fonctionnaire selon la date de ce dernier pour calculer la rémunération. Cette différence n’est pas contraire à la Directive n° 2000/78 N° Lexbase : L3822AU4 combinée avec l’article 21 de la CDFUE qui prohibe les discriminations. Cependant, le même arrêt indique qu’un système de rémunération fondé sur un ancien classement discriminatoire est lui-même contraire à ces deux textes. Dans le même esprit, le fait que le reclassement s’effectue alors que la position du fonctionnaire dans le barème de rémunération est pendante entre en opposition avec le principe d’égalité de traitement proclamé par l’article 20 de la CDFUE et le principe de sécurité juridique.

D. Tharaud

Âge et pensions de retraite (CJUE, 20 avril 2023, aff. C-52/22 N° Lexbase : A37209R9 ; CJUE, 27 avril 2023, aff. C-681/21 N° Lexbase : A55729S8). Dans l’arrêt BVAEB du 20 avril 2023, la CJUE a été confrontée à l’application de la Directive n° 2000/78/CE, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4 à propos de la législation autrichienne modifiant les règles relatives au montant des pensions de retraite afin de mettre en place un régime uniforme incluant le secteur privé et le secteur public. Plusieurs ajustements ont été mis en place provoquant ainsi une modulation des règles applicables aux fonctionnaires avec une mise en place déployant des règles distinctes en fonction de la date d’entrée dans la fonction publique et de la date à laquelle le fonctionnaire peut faire valoir son droit à la retraite. Ce régime conduit la Cour a rapidement exclure l’existence d’une discrimination directe fondée sur l’âge puisque ce critère n’est pas utilisé dans la réforme. En revanche, le fait que les dispositions en cause permettent une mise en place progressive du nouveau calcul de la pension en fonction de la date à laquelle le fonctionnaire fait valoir son droit à la retraite induit une utilisation indirecte du critère de l’âge puisque cela conduit nécessairement à prendre en compte le nombre d’années de travail et le dépassement d’un seuil d’âge.

Reste pour la Cour à identifier s’il s’agit d’une discrimination indirecte qui suppose que « parmi l’ensemble des personnes visées par le champ d’application de la réglementation nationale (…), cette réglementation affecte négativement, et sans justification, une proportion significativement plus importante de personnes d’un âge donné par rapport à d’autres personnes » (point 49). Tel n’est pas le cas ici, car la différence de traitement se fonde uniquement sur la date de naissance du droit à pension et que le régime de retraite propose des aménagements qui permettent à une personne d’être admise à la retraite plus tôt ou plus tard que les 65 ans de principe. Dès lors, la Cour considère qu’il n’existe pas de désavantage significatif pour certaines catégories d’âge.

Par ailleurs, sur le plan des justifications, la CJUE rappelle que des arguments d’ordre budgétaire ne peuvent permettre de valider une discrimination fondée sur l’âge. Cependant, la finalité de financement durable des pensions de retraite reste un objectif légitime de politique sociale dénué de tout aspect discriminatoire. La Cour ajoute, comme le fait également régulièrement la CEDH, que les États bénéficient dans ce cas d’une large marge d’appréciation. Tous ces éléments conduisent la Cour à estimer que la différence faite entre des catégories de fonctionnaires selon l’année d’ouverture du droit à pension n’est pas contraire à la Directive n° 2000/78. Autrement dit, la vitesse d’ajustement du régime de pension peut varier selon les catégories de travailleurs.

Malgré tout, le deuxième arrêt BVAEB, du 27 avril 2023, vient limiter la liberté des États énoncée 7 jours plus tôt. En effet, cette fois, la question préjudicielle portait sur un aspect rétroactif de la réforme des retraites qui avait pour conséquence qu’un fonctionnaire qui appartenait à une catégorie antérieurement favorisée soit assimilé à une catégorie antérieurement défavorisée. En effet, même si l’objectif poursuivi par l’État était de mettre fin à une discrimination fondée sur l’âge et qu’il est possible d’assimiler une catégorie privilégiée à une catégorie moins privilégiée, toujours dans un but d’équilibre financier du régime de pension, l’effet rétroactif de la mesure entre en contradiction avec le principe de sécurité juridique. Cette fois, une telle disposition doit être considérée comme contraire à la Directive n° 2000/78. Prise dans son ensemble, la réforme autrichienne des pensions de retraite ne produit pas de discrimination fondée sur l’âge et se trouve en contradiction avec le droit de l’Union pour une mesure de lutte contre les discriminations fondées sur l’âge. Certes, ce dernier point s’explique par l’atteinte à la sécurité juridique, mais le constat général sur la réforme est contrintuitif lorsque l’on songe que l’âge bénéficie en droit de l’Union européenne de la qualité de principe général de non-discrimination [4]. Ce résultat s’explique, comme dans beaucoup de situations liées aux prestations sociales, par l’application d’une large marge d’appréciation, que ce soit en droit de l’Union ou en application de la Convention européenne des droits de l’homme.

D. Tharaud

Liberté d’entreprendre et discrimination en raison de l’orientation sexuelle (CJUE, 12 janvier 2023, aff. C-356/21 N° Lexbase : A6644879). Dans l’arrêt TP du 12 janvier 2023, la CJUE a une nouvelle fois ce semestre été confrontée à l’interprétation des règles contenues dans la Directive n° 2000/78/CE, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4. Cette fois, il s’agit d’un homme, entrepreneur individuel polonais exerçant la profession de monteur audiovisuel, dont le contrat d’entreprise n’a pas été renouvelé. Il y voit une discrimination en raison de son orientation sexuelle dont il demande indemnisation. L’entrepreneur avait conclu un ensemble de contrats de courte durée sur une période de 7 ans avec une société qui exploite une chaîne de télévision publique. Évalué positivement dans le cadre d’un projet de réorganisation, le monteur a conclu de nouveaux contrats avec établissement d’emploi du temps précis. Cependant, deux jours après avoir publié avec son compagnon une vidéo sur YouTube visant à promouvoir la tolérance en faveur des couples de même sexe, il reçoit une annulation concernant la période d’intervention qui avait fait l’objet d’un contrat et il ne signera aucun autre contrat par la suite.

La question posée ici à la Cour est celle de la compatibilité de la loi polonaise par rapport à la Directive n° 2000/78, car elle ne mentionne pas l’orientation sexuelle au titre des motifs de discrimination prohibés, au contraire du texte européen. Après avoir établi le fait que le refus de conclure un contrat d’entreprise avec un contractant exerçant une activité économique indépendante entrait dans le champ des activités visées par la Directive de 2000 et que les notions de travail et d’emploi présentes dans la directive ne devaient pas faire l’objet d’une interprétation « trop restrictive », la Cour rappelle que l’orientation sexuelle doit être identifiée comme motif protégé en application de ce texte. Il restera cependant à la juridiction de renvoi de juger s’il existait bien en l’espèce une discrimination directe ou indirecte qui ne pourra trouver justification que dans les objectifs démocratiques listés dans le texte de la directive : sécurité publique, défense de l’ordre et prévention des infractions pénales, protection de la santé et protection des droits et des libertés d’autrui. Cette affaire est importante dans le contexte où la Pologne, l’un des pays les plus homophobes d’Europe, soumet actuellement les personnes homosexuelles à un recul fort de leurs droits au nom de la protection des familles contre ce qui est appelé « l’idéologie LGBT ».

D. Tharaud

2) L’article 14 de la CESDHLF

Absence de protection contre les discours discriminatoires (CEDH, 30 mai 2023, n° 39954/09 et n° 3465/17 ; CEDH, 31 janvier 2023, n° 33470/18). Soumise une fois de plus à la dynamique de recul des droits des homosexuels en Russie, la Cour européenne des droits de l’homme a admis, dans un arrêt du 30 mai 2023, l’existence d’une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 au titre de propos homophobes émis par des personnalités politiques dans les médias (« La tolérance ? Bon sang ! Les Homos doivent être mis en pièces. Et les morceaux jetés au vent ! », qualification des homosexuels de « malades et pervers »). Cette atteinte discriminatoire à la vie privée provient en premier lieu des propos eux-mêmes, mais également en second lieu de l’absence de réaction de la justice russe malgré plusieurs actions judiciaires engagées par les 4 requérants. Il est à noter que la Cour admet ici la recevabilité de la requête de ces derniers, simples militants de la cause. En effet, les propos tenus sur la communauté “LGBTI” touchent directement les requérants en tant que membres de cette dernière et militants, même s’ils n’étaient pas nommément cités. Cette acceptation ouvre des perspectives intéressantes dans le cadre des actions liées aux discriminations de manière générale.

Cet arrêt est également à mettre en lien avec une autre affaire russe tranchée par la Cour le 31 janvier 2023, Kreyndlin c. Russie, dans laquelle des militants de Greenpeace ont été agressés physiquement par un groupe de personnes armées (couteaux, matraques, armes à feu et engins explosifs artisanaux) dans un contexte xénophobe. La Cour conclut ici à une violation de l’article 14 (non-discrimination) combiné avec l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) en raison de la passivité et des insuffisances de l’enquête des autorités russes. Comme dans l’arrêt Nepomnyashchiy et autres, c’est le refus d’agir des autorités, laissant les actes discriminatoires impunis et ouvrant ainsi la voie à d’autres actes de même type, qui provoque le constat de violation. L’inaction procédurale de l’État est fautive. On sait même, grâce à des arrêts précédents, que le traitement réservé à la victime d’actes discriminatoires durant la procédure peut conduire à ce que la Cour appelle une « victimisation secondaire » [5].

D. Tharaud

Licenciement non discriminatoire d’un président adjoint d’un syndicat (CEDH, 17 janvier 2023, n° 976/20). L’arrêt Hoppen et syndicat des employés de AB Amber Grid c. Lituanie rendu le 17 janvier 2023 a été l’occasion pour la Cour européenne des droits de l’homme de se pencher sur la discrimination syndicale à la suite d’une procédure, initiée par un salarié ayant des responsabilités syndicales, au titre de l’article 14 (principe de non-discrimination) combiné avec l’article 11 (liberté de réunion et d’association). L’action du syndicat sera quant à elle uniquement considérée sous l’angle de l’article 11 pris isolément. Travaillant depuis de nombreuses années dans la même entreprise, M. Hoppen a subi une procédure de licenciement après une tentative de l’employeur de rompre son contrat à l’amiable. Cette procédure est initiée durant une période où les salariés de l’entreprise créent un syndicat dans lequel M. Hoppen prend des responsabilités importantes (membre du conseil d’administration puis président adjoint, participation à la négociation collective). Estimant que cette procédure de licenciement était en lien direct avec l’activité syndicale du salarié, ce dernier ainsi que son syndicat ont agi en justice pour faire reconnaître l’existence d’une discrimination. Ils échoueront en cela devant la Cour européenne comme devant les juges internes. En effet, il est établi qu’ils n’ont pas réussi à prouver le lien entre le licenciement et l’activité syndicale dans le cadre d’un régime procédural protégeant contre les discriminations jugé satisfaisant. Le droit lituanien présente à cet égard des similitudes importantes avec le droit français : nécessité d’obtenir l’autorisation préalable de l’inspection nationale du travail, procédures de recours devant le juge administratif et le juge civil, possibilité de recours constitutionnel. Dès lors, la simple concomitance des événements ne fait pas la cause du licenciement et l’article 14 combiné avec l’article 11 n’est pas violé.

D. Tharaud

Conditions d’octroi des prestations sociales (CEDH, 24 janvier 2023, n° 4723/13). Dans la décision d’irrecevabilité du 24 janvier 2023, Berisha c. Suisse portant sur l’article 14 combiné avec l’article 8, le requérant est une personne présentant un handicap lourd. Cette situation a conduit à une prise en charge quotidienne effectuée pendant plusieurs décennies par ses parents, épaulés par leur fille durant quelque temps. L’âge de plus en plus avancé de ses aidants a finalement conduit le requérant à demander une aide extérieure permettant de lui assurer une assistance permanente. Cependant, la caisse de compensation a refusé de procéder à un remboursement complet arguant du fait que les frais dépassaient le plafond annuel de remboursement des frais de maladie et d’invalidité.

M. Berisha, comme beaucoup d’autres requérants présentant un handicap, se heurte à une décision d’irrecevabilité. La Cour estime en effet que les prestations en cause ne relèvent ni de la vie familiale, ni de la vie privée. Sur le premier item, la Cour s’appuie sur l’argument du gouvernement selon lequel le requérant n’a jamais été contraint d’aller dans une institution. Sa vie familiale n’a donc pas été touchée par la problématique du remboursement de soins. Sur le deuxième item, la juridiction, faisant une analyse in concreto de la situation du requérant, estime qu’il n’a pas été empêché de vivre tel qu’il le souhaitait. L’article 8 n’est donc pas applicable, ce qui rend l’article 14 lui-même inapplicable puisqu’en raison de son absence d’indépendance il doit être combiné à un autre article de la Convention.

Il est à noter que cette affaire pose une question récurrente devant le prétoire strasbourgeois, à savoir si les prestations sociales entrent dans le champ de protection de l’article 8 sous l’angle de la vie privée ou de la vie familiale. La réponse à cette interrogation est d’autant plus importante pour les ressortissants suisses que la Confédération helvétique n’a pas signé le protocole additionnel 1, intégrant le droit au respect des biens, qui sert souvent de lecture au refus discriminatoire de prestations sociales. Autrement dit, dans le contexte suisse, l’absence d’applicabilité de l’article 8 sonne le glas des prétentions des requérants. Au contraire, lorsque l’État défendeur a signé le protocole 1, l’absence d’applicabilité de l’article 8 peut laisser le droit au respect des biens s’exprimer, même si le caractère économique et social de ce dernier peut abaisser le niveau de protection (prise en compte des justifications budgétaires de l’État par exemple). En revanche, quel que soit l’article combiné avec la clause de prohibition des discriminations, cette dernière impose son régime technique. La discrimination provient du traitement différent réservé à deux situations similaires. En conséquence, des situations différentes peuvent être traitées de manière distincte. Tel est le cas lorsqu’il s’agit de verser une allocation familiale à des mères de nationalité étrangère. Le fait de ne pas verser la prestation sociale à des mères n’ayant pas de titre de séjour ne provoque pas de discrimination, car elles sont dans une situation différente des mères ayant un titre de séjour [6]. Partant, il n’y pas dans ce cas de violation de l’article 14 combiné avec l’article 1 Protocole 1.

D. Tharaud

3) Protocole n° 12 de la CESDHLF

[...]

B. Égalité en droit public

1) Dans la jurisprudence constitutionnelle

Réforme des retraites et principe d’égalité (Cons. const., décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023, Loi de financement rectificatives de la Sécurité sociale pour 2023 N° Lexbase : A17809PM). Le caractère discriminant de la dernière réforme des retraites à l'égard des femmes a été l’un des points brûlants des débats parlementaires. Les députés et sénateurs requérants ont tenté, en vain, de contester la réforme sur le terrain de l’égalité. Ils ont tout d’abord invoqué une inégalité entre ceux qui ont commencé à cotiser à un jeune âge et ceux ayant commencé plus tard, les premiers devant cotiser plus longtemps avant de pouvoir liquider leur retraite. Après avoir rappelé que le principe d’égalité « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit », le Conseil écarte toute violation de la Constitution. Tout d’abord, en raison d’un dispositif dans la loi qui permet à ceux ayant commencé à cotiser avant 21 ans de voir l’âge minimal de liquidation abaissé. Ensuite, pour ceux qui malgré tout seraient amenés à cotiser des semestres supplémentaires, cela « ne méconnaît pas le principe d’égalité, au regard de l’objet d’un système de retraite par répartition qui implique de fixer un âge minimal de départ à la retraite ». Argument contestable, car un système par répartition pourrait parfaitement être fondé uniquement sur un nombre minimal de trimestres de cotisation… Par ailleurs, des députés invoquaient que certains dispositifs avaient « pour conséquence d’annuler les effets compensatoires des mesures destinées à corriger les inégalités entre les hommes et les femmes et seraient ainsi contraires au troisième alinéa du même préambule ». Le Conseil écarte cet argument de manière lapidaire « les dispositions contestées de l’article 10 n’ont en elles-mêmes ni pour objet ni pour effet de supprimer le bénéfice de la majoration de la durée d’assurance de quatre trimestres attribuée aux femmes assurées sociales au titre de l’incidence sur leur vie professionnelle de la maternité ». Il est patent, qu’en matière sociale, le Conseil constitutionnel laisse au législateur une plus grande liberté de distinguer, bien plus que dans d'autres matières.

M. Sweeney

Aide sociale et personne en situation de handicap (Cons. const. décision n° 2023-1039 QPC du 24 mars 2023 N° Lexbase : A50179KZ). Le Conseil constitutionnel a également été saisi, par QPC, d’une contestation  des aides financières destinées à compenser les frais liés au handicap par les départements - limité à 10 % des ressources personnelles du bénéficiaire. Les associations requérantes invoquent « des différences de traitement injustifiées entre les personnes handicapées selon le fonds départemental dont elles dépendent, entre les personnes handicapées et les bénéficiaires d’autres prestations sociales, et entre les personnes handicapées et les personnes qui ne sont pas en situation de handicap ». Le Conseil, après avoir rappelé le principe d’égalité, se contente de constater que les personnes en situation de handicap sont dans une situation différente de celles des bénéficiaires d’aides sociales obligatoires ou des personnes qui ne sont pas en situation de handicap. Le critère du handicap n’est pas prêt d’être consacré comme un motif discriminatoire au niveau constitutionnel.

M. Sweeney

2) Dans la jurisprudence administrative

Absence d’égalité entre salariés et agents publics (CE, 1e-4e ch. réunies, 30 juin 2023, n° 465323 N° Lexbase : A806297Q). Le Conseil d’Etat a confirmé son approche formelle de l’égalité dans une décision inédite du 30 juin 2023. La question fait suite à la mise en place de la prime « grand âge » en faveur des agents publics des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Cette prime vise à revaloriser le métier d’aide-soignant. Les établissements privés à but non lucratif du secteur ont décidé de s’aligner sur cette politique pour accorder une prime équivalente aux aides-soignants salariés du secteur. La fédération patronale des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs conteste une instruction du ministre des solidarités et de la santé et de la directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie aux agences régionales de santé en ce qu’elle ne prévoit pas de crédits supplémentaires pour financer la prime « grand âge » pour les aides-soignants du secteur privé. Seul un argument juridique nous intéresse ici : les crédits alloués ne servent qu’au financement de la prime « grand âge » au seul bénéfice des agents de la fonction publique. Les juges administratifs écartent la rupture d’égalité aux motifs que « les agents de la fonction publique ne sont pas, en matière de régime indemnitaire, placés dans la même situation que les salariés de droit privé ». Les agents publics et les salariés forment deux catégories juridiques différentes et les juges ne recherchent pas si concrètement les aides-soignants salariés effectuent le même travail que les aides-soignants agents publics, en dépit d’une recommandation patronale cherchant à assurer une égalité entre ces catégories. Recommandation patronale pourtant agréée par le ministre… entre la volonté affichée d’égalisation et la décision budgétaire pour réaliser cette égalité, il existe souvent un gouffre.

M. Sweeney

Autorisation de licenciement pour motif économique d’un salarié protégé en situation de handicap (CE, 1e-4e ch. réunies, 4 avril 2023, n° 449276, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A83129MS). Le présent contentieux concerne la place de l’avis du médecin du travail dans la recherche de reclassement d’un salarié protégé en situation de handicap, dans le cadre d’un licenciement économique. Plane alors sur l’employeur le risque de discrimination en raison du handicap, faute de prise en compte de « mesures appropriées » dans les offres de reclassement. En matière de licenciement économique, l’administration vérifie que l’employeur « a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié protégé ». Comment s’apprécie cette recherche sérieuse, lorsque le salarié est en outre en situation de handicap ? Le Conseil répond, que lorsque l’employeur a connaissance de la situation de handicap (rappelons que le salarié n’a pas obligation de révéler sa situation), il est suffisant de proposer des postes identiques à celui précédemment occupé pour lequel le médecin du travail l’avait déclaré apte et « qu'il n'était pas allégué que ce poste aurait fait l'objet d'adaptations particulières liées à sa qualité de travailleur handicapé, ni que les postes proposés auraient nécessité des adaptations liées à cette qualité ». Dans ces conditions, l’employeur n’avait pas à solliciter l’avis du médecin du travail préalablement à sa recherche de reclassement. Deux remarques s’imposent. Tout d’abord, l’employeur ne connaît pas la situation médicale à la source de la situation du handicap. Seul le médecin, tenu par le secret médical, en a connaissance. Seul lui est apte à faire l’évaluation des mesures appropriées propres à chaque poste. L’employeur n’ayant pas cette connaissance ne peut inférer d’un avis d’aptitude précédent, l’aptitude pour un autre poste. Ensuite, la situation du handicap doit s’apprécier par rapport à l’environnement concret du travail. L’avis d’aptitude pour un poste de travail ne vaut pas avis d’aptitude pour un poste fonctionnellement identique, mais dans un autre lieu de travail, aux aménagements éventuellement différents. Le juge administratif en voulant alléger les formalités qui pèsent sur l’employeur en cas de reclassement d’un salarié protégé en situation de handicap en l’exonérant de l’avis préalable du médecin du travail sur les postes proposés au reclassement, le fait au détriment de la protection attachée à la situation de handicap.

M. Sweeney

C. Égalité en droit social

1) La comparaison

Principe d’égalité de traitement et situations similaires (Cass. soc., 1er février 2023, n° 21-21.471, F-D N° Lexbase : A51679BY ; Cass. soc., 15 mars 2023, n° 21-18.078, F-D N° Lexbase : A70499IW ; Cass. soc., 24 mai 2023, 2 arrêts, n° 21-21.902 N° Lexbase : A83029WE et n° 21-17.027 N° Lexbase : A96559WI ; Cass. soc., 21 juin 2023, n° 21-23.487, F-D N° Lexbase : A426794S). Le salarié qui estime être désavantagé sur le plan de la rémunération peut agir sur le fondement de l’égalité de traitement. Si celle-ci laisse apparaître des différences de régime avec la non-discrimination [7], ils présentent des points communs, notamment quant aux ressorts techniques sur lesquels ils reposent. Rupture d’égalité de traitement ou discrimination s’appuient en effet toutes deux sur l’existence d’un traitement différent. Lorsque l’opération de comparaison se fait sous l’égide de l’application du principe de l’égalité de traitement, l’élément le plus sensible est la détermination du caractère identique, ou à tout le moins similaire, des situations auxquelles le salarié se compare. Le contentieux est dorénavant assez classique et les derniers arrêts reprennent les dynamiques que la Cour de cassation a déjà pu installer. Ainsi, la seule différence de diplôme ne peut fonder une différence de rémunération alors que les salariés occupent les mêmes fonctions. Pour qu’une rémunération différente puisse être justifiée, il faut démontrer que le diplôme en question atteste de « connaissances particulières utiles à l’exercice de la fonction occupée ». Par ailleurs, les juges du fond auraient dû vérifier, comme il leur était demandé, si le salarié n’avait pas une expérience professionnelle plus importante N° Lexbase : A426794S. Cependant, comme le montre un arrêt du 24 mai 2023 N° Lexbase : A83029WE, l’expérience professionnelle ne peut être prise en compte pour établir une différence de traitement que lors de l’embauche. Les fonctions similaires occupées après celle-ci doivent alors conduire à une égalisation de la rémunération et de l’évolution de carrière. Ainsi, selon la formule générale insérée dans cet arrêt : « l’expérience professionnelle acquise auprès d'un précédent employeur ainsi que les diplômes ne peuvent justifier une différence de salaire qu'au moment de l'embauche et pour autant qu'ils sont en relation avec les exigences du poste et les responsabilités effectivement exercées ». Or, ce principe n’a pas été respecté en l’espèce. En effet, la salariée et le collègue auquel elle se compare ont connu après leur embauche une évolution de carrière et de rémunération semblables pendant environ 2 ans. Mais, après cette première période, l’autre salarié a bénéficié d’une augmentation de salaire justifiée par l’employeur au regard d’un diplôme que ne présentait pas la demandeuse et d’une plus grande expérience professionnelle. En appliquant le principe énoncé au cas d’espèce, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel sur ce point, la différence de traitement apparaissant au cours de la carrière professionnelle. La salariée a également agi sur le plan de la discrimination en raison du traitement qui lui a été réservé après sa grossesse. En effet, dans les actions de lutte contre les discriminations figure une protection spécifique identifiée à l’article L. 1225-25 du Code du travail N° Lexbase : L0899H98 : « à l'issue du congé de maternité, la salariée retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente ». En l’occurrence, l’arrêt de la cour d’appel est également cassé sur ce point, car les juges du fond ont omis de s’assurer du caractère similaire de l’emploi proposé au retour de congé maternité (en l’occurrence une mission refusée par la salariée) à l’emploi précédent. Cet arrêt, qui mobilise concomitamment égalité de traitement et non-discrimination montre bien les ressorts techniques communs à ces deux fondements.

Suivant la même logique d’effacement dans le temps de la différence initiale montrée dans l’arrêt du 24 mai 2023, des salariés embauchés ou promus après la mise en œuvre d’un nouveau barème conventionnel peuvent bénéficier d’une avancée en carrière plus rapide, sans toutefois dépasser le niveau de rémunération des autres personnes n'en bénéficiant pas et occupant des fonctions similaires [8].

Par ailleurs, dès lors que les situations sont jugées similaires et que le salarié a démontré qu’il avait été traité de manière différente, le fait qu’il ne produise pas la totalité des bulletins de salaire sur la période pertinente n’empêche pas de considérer qu’il existe bien des éléments laissant supposer l’existence d’une inégalité de traitement. Même si la comparaison ne peut être effectuée sur l’ensemble de la période, les éléments transmis aux juges sont suffisants pour prouver qu’il existe une différence de traitement, même sur un temps relativement court. L’employeur aura alors à s’en justifier [9]. En revanche, si le salarié n’a pas apporté la preuve que les personnes auxquelles il se compare sont dans une situation similaire à la sienne, les juges du fond n’ont pas à analyser les tentatives de justification de l’employeur [10].

D. Tharaud

Principe d’égalité de traitement et absence de situations identiques dans le cadre de l’obtention d’un avantage (Cass. soc., 10 mai 2023, n° 21-17.011, F-D N° Lexbase : A01759UZ). À partir du moment où la loi met en place un régime salarial spécifique, les personnes en bénéficiant sont considérées comme étant dans une situation différente et, par conséquent, ne peuvent demander l’application d’avantages réservés à une autre catégorie. C’est ainsi que l’équipe de suppléance, dont les fonctions sont de remplacer l’équipe première les jours de repos, et qui se voit appliquer en vertu de la combinaison des articles L. 3132-16 N° Lexbase : L7354LHT et L. 3132-19 N° Lexbase : L0472H9D du Code du travail, une majoration d’au moins 50 % de la rémunération ne peut prétendre à la prime pour « incommodité de nuit » touchée par l’équipe première. Ici comme dans d’autres arrêts qui traitent d’une inégalité de traitement face à un simple avantage – et non pas sur l’ensemble d’une rémunération –, la Cour de cassation se réfère uniquement à des situations « identiques » pour appliquer l’égalité de traitement. La similarité ne serait donc pas suffisante pour déclencher le mécanisme égalitaire.

D. Tharaud

2) La justification

Principe d’égalité de traitement et présomption de justification (Cass. soc., 10 mai 2023, n° 21-21.673, n° 21-21.674 et n° 21-21.675, F-D N° Lexbase : A01579UD ; Cass. soc., 8 juin 2016, n° 15-11.324, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0807RSP). Depuis une jurisprudence constante [11], la Chambre sociale juge que « les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ». La même présomption a été étendue aux salariés exerçant des fonctions distinctes au sein d’une même catégorie professionnelle [12]. Ces présomptions ont été utilisées pour écarter les réclamations de conducteurs de cars à propos de différentes primes et de reclassification [13]. L’identité de fonction peut être écartée sur des éléments très frustes: ainsi le fait que certains doivent être détenteur d’un permis TZ et d’un badge personnel ou que d’autres effectuent de façon régulière le transport de passagers entre l'aéroport et les hôtels et non seulement sur le tarmac – ce qui supposerait  des sujétions particulières, sans plus de précision – suffit à caractériser l’absence d’identité. Nous sommes très loin de l’approche pragmatique de l’équivalence des situations qui a prévalu après 2008. Avancer que la détention ou non d’un badge personnel caractérise la distinction de fonction est pour le moins contre-intuitif, car ne dit rien de la capacité d’exercer une fonction du conducteur de car. La liberté de distinguer abandonnée aux interlocuteurs sociaux promet quelques voyages en absurdie.

M. Sweeney

3) La sanction

[...]


[1] Pour une critique de ces décisions, v. P. Adam, L'absence d'élections professionnelles, entre preuve des mesures de rétorsion et préjudice nécessaire, Droit social, 2023, p. 729.

[2] L’importance du motif discriminatoire, parmi les autres motifs qui ont présidé à la prise de décision, n’est pas un élément dont dépend la qualification de discrimination v. Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 08-40.988, FS-P+B N° Lexbase : A6023EIW, ou en matière pénale Cass. crim., 15 février 2011, n° 10-85.081, F-D N° Lexbase : A1808HDC.

[3] V. not. I. Meftah, Discrimination syndicale dans le déroulement de carrière et prescription, RDT, 2021, p. 464.

[4] CJCE, 22 novembre 2005, aff. C-144/04 N° Lexbase : A6265DLM.

[5] à propos du traitement des agressions sexuelles qui fait lui-même ressortir un arrière-plan social sexiste, v. CEDH, 27 mai 2021, J.L c. Italie, n° 5671/16 [en ligne].

[6]  CEDH, 22 juin 2023, X et autres c. Irlande, n° 28351/20 et 24360/20 [en ligne].

[7] notamment en matière de prescription puisque l’égalité de traitement est soumise à une prescription de 3 ans tandis que l’action en discrimination bénéficie d’un temps plus long fixé à 5 ans. Sur ce point, v. Cass. soc., 30 juin 2021, n° 20-12.960, FS-B N° Lexbase : A20724YE.

[8] Cass. soc., 24 mai 2023, n° 21-17.027, F-D N° Lexbase : A96559WI.

[9] Cass. soc., 15 mars 2023, n° 21-18.078, F-D N° Lexbase : A70499IW.

[10] Cass. soc., 1er février 2023, n° 21-21.471, F-D N° Lexbase : A51679BY.

[11] Cass. soc., 27 janvier 2015, n° 13-22.179, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3401NA9.

[12] Cass. soc., 8 juin 2016, n° 15-11.324, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0807RSP.

[13] Cass. soc., 10 mai 2023, n° 21-21.673, n° 21-21.674 et n° 21-21.675, F-D N° Lexbase : A01579UD.

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[Focus] L’administration fiscale commente la hausse du seuil pour l’application de l’abattement de 75 % en cas de transmission à titre gratuit de biens ruraux ou de parts de GFA

Réf. : BOFiP, actualité, 11 juillet 2023

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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

Le 27 Septembre 2023

Mots-clés : biens ruraux • groupements fonciers agricoles • mutations à titre gratuit

L’administration fiscale est venue commenter la hausse du seuil au-delà duquel l'exonération partielle, prévue par l'article 793 bis du CGI, sur les mutations à titre gratuit de biens ruraux et de parts de groupements fonciers agricoles est réduite de 75 % à 50 %.


 

1.- En cas de transmission à titre gratuit, de biens ruraux donnés à bail à long terme ou de parts de GFA, le donataire est susceptible de bénéficier d’un abattement.

Celui-ci était jusqu’à présent égal à 75 % de la valeur du bien, jusqu’à 300 000 euros, et 50 % pour la fraction excédant ce seuil [1].

2.- Concernant les terres agricoles, le bénéfice de ce régime est soumis à plusieurs conditions cumulatives :

  • le bien transmis doit constituer un bien rural ;
  • il doit faire l’objet d’un bail à long terme ou d’un bail cessible hors du cadre familial au jour de la transmission. Le bail doit être en cours au moment de la transmission ;
  • il doit rester la propriété du donataire, héritier ou légataire pendant cinq ans à compter de la mutation à titre gratuit ;
  • le bail doit avoir été consenti depuis au moins deux ans lorsque le preneur est le donataire ou un membre de sa famille. Cette condition n’est pas exigée en cas de transmission par succession.

En outre, si bail a été conclu depuis moins de deux ans, et que le preneur est une société contrôlée par le donataire, le conjoint et/ou les descendants, le régime de faveur ne s’applique pas.

3.- Ce régime trouve également à s’appliquer en cas de transmission à titre gratuit des parts d’un groupement foncier agricole(GFA). Plusieurs conditions cumulatives doivent être respectées :

  • Les statuts doivent interdire aux GFA d’exploiter en faire-valoir direct. Attention, car si les statuts ne contiennent pas une telle clause, le GFA serait déqualifié, et le régime de faveur inapplicable. La cour d’appel de Riom [2] a notamment pu rappeler par le passé, que dans l’hypothèse où les statuts permettraient une telle exploitation, mais que dans les faits l’exploitation serait effectuée par un tiers, que le régime de faveur ne trouverait également pas à s’appliquer.
  • Les immeubles présents à l’actif du GFA doivent être donnés à bail à long terme ou à bail cessible. Les baux doivent être en cours au moment de la transmission à titre gratuit. Attention, l’ensemble des immeubles agricoles doivent être donnés à bail à long terme ou à bail cessible, sauf à remettre en cause l’application du régime de faveur. Par ailleurs, si une parcelle du GFA est donnée à bail emphytéotique [3], pour accueillir une éolienne par exemple, le régime de faveur est susceptible d’être remis en cause.
  • En principe, les parts doivent être détenues depuis au moins deux par le défunt ou le donateur au moment de la transmission à titre gratuit.

Le délai de deux ans n’est pas requis [4] lorsque le donateur ou le défunt a constitué le GFA, et qu’il a effectué des apports exclusivement constitués par des immeubles ou des droits immobiliers à destination agricole.

  • L’exonération ne s’applique pas aux parts de GFA détenues par des SCPI ;
  • Les parts de GFA transmises doivent rester la propriété du bénéficiaire de la transmission pendant à minima 5 ans ;
  • Le bail doit avoir été consenti depuis au moins deux ans lorsque le preneur est le donataire ou un membre de sa famille. Cette condition n’est pas exigée en cas de transmission par succession.

En outre, si bail a été conclu depuis moins de deux ans, et que le preneur est une société contrôlée par le donataire, le conjoint et/ou les descendants, le régime de faveur ne s’applique pas.

4.- L’article 23 de la loi de finances pour 2023 rehausse le seuil permettant de bénéficier de l’abattement de 75 %. Le plafond passe de 300 000 euros à 500 000 euros. En contrepartie, la durée de conservation est renforcée, celle-ci passe de 5 ans à 10 ans. Cette modification entre en vigueur pour les transmissions à titre gratuit intervenant à compter du 1er janvier 2023. Cette modification suscite des interrogations pratiques.

5.- L’administration fiscale vient de publier une série de trois instructions fiscales [5], commentant la mise en œuvre de l’article 23 de la loi de finances pour 2023.

Celles-ci apportent plusieurs réponses quant à l’articulation des seuils de 300 000 euros et 500 000 euros.

Faut-il une option pour bénéficier du seuil de 500 000 ? Et le cas échéant, où formuler l’option ?

6.- La doctrine administrative opère une distinction entre la valeur des biens.

Si le bien a une valeur atteignant au plus 300 000 euros, alors c’est le régime prévu pour ce seuil qui, à priori au vu de la rédaction des commentaires, devrait s’appliquer. En d’autres termes, c’est l’abattement de 75 % qui s’applique avec l’application de l’engagement de conservation de 5 ans.

Ici, l’administration fiscale ne laisse vraisemblablement pas la possibilité de basculer sur le nouveau régime avec l’application du délai de conservation de 10 ans. Attention tout de même, ce seuil s’apprécie au regard des transmissions antérieures, et vraisemblablement par catégorie de biens au vu des exemples donnés par l’administration.

7.- Si le bien a une valeur excédant 300 000 euros, alors dans une telle situation, le contribuable a le choix entre le seuil de 300 000 euros et le seuil de 500 000 euros. Cela impacte bien évidemment la durée de l’engagement de conservation.

Autre exemple, si en N+1 des terres faisant l’objet d’un bail rural à long terme d’une valeur de 190 000 euros sont données, c’est vraisemblablement le seuil de 300 000 euros qui s’applique.

En revanche, si en N+3 des terres faisant l’objet d’un bail rural à long terme d’une valeur de 250 000 euros sont données, dans ce cas, le montant total des donations effectuées d’élevant à 440 000 euros, le contribuable retrouve la faculté d’option entre le seuil de 300 000 euros et de 500 000 euros.

L’exemple donné par l’administration fiscale semble ainsi ouvrir la possibilité de gérer les obligations de conservation au gré des donations, et de la catégorie de biens.

Concernant la possibilité de choisir, il convient de relever que la récente réponse ministérielle Anglars [6] semblait déjà être en ce sens [en ligne].

8.- Quant au lieu de matérialisation de l’option, l’administration fiscale comble le vide législatif en indiquant explicitement que celle-ci doit être formalisée dans l’acte de donation ou la déclaration de succession. En outre, il doit également être fait mention de la durée de conservation choisie.

Parmi les points intéressants, il convient de relever que l’administration fiscale permet de revendiquer l’application du seuil de 500 000 euros et l’obligation de conservation de 10 ans en découlant, par voie de réclamation précontentieuse.

Peut-on bénéficier d’un seuil différent dès lors que l’on transmet des parts de GFA et des biens ruraux faisant l’objet d’un bail à long terme ou d’un bail cessible ?

9.- La doctrine administrative confirme de manière explicite la possibilité de bénéficier d’un seuil différent selon la catégorie de biens transmis.

Ainsi, en cas de donation de parts de GFA et de biens ruraux faisant l’objet d’un bail à long terme ou d’un bail cessible, il est possible par exemple de choisir le seuil de 500 000 euros pour les parts de GFA, et le seuil de 300 000 euros pour les biens ruraux faisant l’objet d’un bail à long terme ou d’un bail cessible.

Cela peut ainsi permettre d’apporter de la souplesse quant à l’application des obligations de conservation, et d’avoir une gestion par typologie de biens.

10.- La rédaction de la doctrine administrative ne semble pas interdire d’opérer ce choix au sein du même acte de transmission. Cela impliquerait ainsi d’adapter par catégorie de biens la clause fiscale dédiée à l’option, dans l’acte de donation ou dans la déclaration de succession. À vrai dire, il semble que la question n’ait pas été traitée par la doctrine administrative.

11.- Cependant, en précisant qu’un seuil différent est susceptible de s’appliquer à chaque catégorie de biens, la doctrine administrative semble ne semble pas apporter de précisions sur l’existence un tel choix au sein d’une même catégorie de biens et au sein du même acte de donation.

À titre d’exemple, si un père transmet plusieurs hectares de terres à son fils, faisant l’objet d’un bail à long terme, situés en des lieux distincts, la doctrine administrative ne précise pas si le contribuable pourra opter pour le seuil de 300 000 euros ou de 500 000 euros, selon la parcelle. Il n’y a ainsi pas de commentaires portant sur la possibilité d’adopter une logique distributive, lui permettant d’appliquer le seuil qu’il souhaite pour chacune des parcelles, au sein du même acte.

En revanche, une telle logique semble accepter au vu des commentaires administratifs en présence d’actes de transmission distincts, et intervenants à des périodes différentes.

En cas d’apport dans le délai de 10 ans, mais à l’issue d’une période de 5 ans, la déchéance emporte-t-elle l’intégralité de l’avantage fiscal ?

12.- L’administration fiscale apporte une réponse intéressante. Elle prend l’exemple de l’apport. Elle indique, au cas d’un contribuable qui aurait choisi le seuil de 500 000 euros et l’obligation de conservation de 10 ans, que si l’apport intervient après le délai de conservation de 5 ans, alors il y aura une remise en cause du dispositif, cependant il ne s’agira que d’une remise en cause partielle.

En effet, la remise en cause portera sur la fraction excédant 300 000 euros ayant bénéficié de l’abattement de 75 % au lieu de 50 %.

13.- À titre d’exemple, si une personne physique transmet des terres agricoles faisant l’objet d’un bail rural à long terme à un enfant d’une valeur de 600 000 euros.

Il a été fait application du seuil de 500 000 euros.

Ainsi, le donataire a bénéficié d’un abattement de 375 000 euros sur la partie allant jusqu’à 75 %, et de 50 000 euros sur la partie excédant 500 000 euros.

Ainsi, le montant d’exonération totale s’est élevé à 425 000 euros, et le montant taxable s’élève à 175 000 euros.

Si, au bout de la 6ème année de détention, le donataire cède les terres reçues.

Dans ce cas, au vu de la doctrine administrative, il y aura une reprise partielle de l’avantage fiscal.

Dans cette situation, 200 000 euros ont bénéficié de l’abattement de 75 % au lieu de l’abattement de 50 %.

Le montant de l’abattement aurait ainsi dû s’élever à 100 000 euros au lieu 150 000 euros.

Il y a ainsi eu, une déduction excessive s’élevant à 50 000 euros, susceptible d’être reprise outre l’application de l’intérêt de retard visé à l’article 1727 du Code général des impôts N° Lexbase : L5776MA8.

14.- Plusieurs des précisions apportées par l’administration fiscale, malgré l’existence de certaines interrogations pratiques, demeurent intéressantes pour le contribuable.

 

[1] CGI, art. 793,2-3° N° Lexbase : L3146LDU et art. 793 bis N° Lexbase : L4146MGN.

[2] CA Riom, 27 mai 2010, n° 05/01756 N° Lexbase : A4462E97.

[3] QE n° 04105 de M. Pierre André, JO Sénat 17 avril 2008 p. 748, réponse publ. 21 août 2008 p. 1650, 13ème législature N° Lexbase : L0025KMU.

[4] Cass. com., 19 mars 1985, n° 83-15012, publié au bulletin N° Lexbase : A2592AAA.

[5] BOI-ENR-DMTG-10-20-30-20 N° Lexbase : X7067ALC et BOI-ENR-DMTG-10-50-50 N° Lexbase : X4151ALC.

[6] Donation de terres agricoles faisant l’objet d’un bail à long terme ou d’un bail cessible ou parts de GFA – une petite précision est apportée par une réponse ministérielle, Les fourmis du patrimoine [en ligne].

newsid:486846

Droit des biens

[Brèves] Construction sur le terrain d’autrui : l’action en remboursement par le constructeur est-elle subordonnée à son éviction préalable ?

Réf. : Cass. civ. 3, 21 septembre 2023, n° 22-15.359, FS-B N° Lexbase : A28741HW

Lecture: 2 min

N6859BZ3

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 27 Septembre 2023

► L'action en remboursement de celui qui a construit sur le terrain d'autrui avec des matériaux lui appartenant, contre le propriétaire du fonds, prévue au troisième alinéa de l'article 555 du Code civil, n'est pas subordonnée à son éviction.

En l’espèce des époux, mariés sous le régime de la communauté légale, avaient édifié, au cours de l'année 2005, une maison d'habitation constituant leur domicile familial, sur une parcelle appartenant au père de l’époux.

Après le divorce des époux prononcé en 2014 et une mise en demeure demeurée infructueuse, l’ex-épouse avait assigné son ex-beau-père en paiement d'une certaine somme correspondant, selon elle, à sa quote-part sur la valeur de la maison construite sur la parcelle appartenant à ce dernier.

Le beau-père faisait grief à l'arrêt rendu par la cour d’appel de Bastia de dire qu'il était redevable envers son ex-belle-fille d'une créance correspondant à sa quote-part, soit la moitié, du remboursement du coût des matériaux et du prix de la main-d'oeuvre estimés à la date du remboursement, soutenant que « que l'action en paiement ouverte au tiers qui a édifié une construction sur le terrain d'autrui suppose que ce tiers ait été évincé par le propriétaire du terrain ».

L’argument est balayé d’un revers de main par la Cour de cassation, qui relève simplement, sans développer sa motivation, que « L'action en remboursement de celui qui a construit sur le terrain d'autrui avec des matériaux lui appartenant, contre le propriétaire du fonds, prévue au troisième alinéa de l'article 555 du Code civil N° Lexbase : L3134ABP, n'est pas subordonnée à son éviction ».

newsid:486859

Droit des étrangers

[Brèves] Application de la Directive « retour » à tout ressortissant de pays tiers entré illégalement sur le territoire de l’UE

Réf. : CJUE, 21 septembre 2023, aff. C-143/22, Association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) N° Lexbase : A28551H9

Lecture: 4 min

N6885BZZ

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par Yann Le Foll

Le 27 Septembre 2023

La Directive « retour » s’applique à tout ressortissant de pays tiers entré sur le territoire d’un État membre sans remplir les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence.

Rappel. Selon la Directive « retour » (Directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 N° Lexbase : L3289ICS), tout ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier doit, en règle générale, faire l’objet d’une décision de retour. Toutefois, l’intéressé doit, en principe, bénéficier d’un certain délai pour quitter volontairement le territoire. L’éloignement forcé n’intervient qu’en dernier recours.

Question préjudicielle. Le Conseil d’État interroge la Cour de justice sur la question de savoir si, lorsqu’un État membre décide de réintroduire temporairement des contrôles aux frontières intérieures, il peut adopter à l’égard d’un ressortissant de pays tiers qui est intercepté, sans titre de séjour valable, à un point de passage frontalier autorisé situé sur son territoire et où s’exercent de tels contrôles, une décision de refus d’entrée sur la seule base du Code frontières Schengen, sans devoir respecter les normes et procédures communes prévues par la Directive « retour ».

Réponse CJUE. Dans une telle situation, une décision de refus d’entrée peut être adoptée sur la base du Code frontières Schengen mais, en vue de l’éloignement de l’intéressé, les normes et procédures communes prévues par la Directive « retour » doivent tout de même être respectées, ce qui peut aboutir à priver d’une large partie de son utilité l’adoption d’une telle décision de refus d’entrée.

En effet, la Directive « retour » s’applique, en principe, dès qu’un ressortissant de pays tiers est, à la suite de son entrée irrégulière sur le territoire d’un État membre, présent sur ce territoire sans remplir les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence, et se trouve donc en séjour irrégulier. Cela vaut également lorsque, comme dans l’hypothèse en question, l’intéressé a été appréhendé à un point de passage frontalier qui se situe sur le territoire de l’État membre concerné. En effet, une personne peut être entrée sur le territoire d’un État membre avant même d’avoir franchi un point de passage frontalier (CJUE, 5 février 2020, aff. C-341/18, J. e.a. N° Lexbase : A37823DG).

La Cour précise que ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Directive « retour » permet aux États membres d’exclure les ressortissants de pays tiers qui séjournent irrégulièrement sur leur territoire du champ d’application de cette Directive. Si tel est, notamment, le cas lorsque des ressortissants de pays tiers font l’objet d’une décision de refus d’entrée à une frontière extérieure d’un État membre, il n’en va pas de même lorsque ces ressortissants font l’objet, comme en l’occurrence, d’une décision de refus d’entrée à une frontière intérieure d’un État membre, même lorsque des contrôles y ont été réintroduits.

La Cour rappelle, enfin, que les États membres peuvent placer en rétention un ressortissant de pays tiers, dans l’attente de son éloignement, notamment lorsque ce ressortissant représente une menace pour l’ordre public, et qu’ils peuvent réprimer d’une peine d’emprisonnement la commission de délits autres que ceux tenant à la seule circonstance d’une entrée irrégulière (CJUE, 2 juillet 2020, aff. C-18/19, WM N° Lexbase : A10783QY).

De plus, la Directive « retour » ne s’oppose pas à l’arrestation ou au placement en garde à vue d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier lorsqu’il est soupçonné d’avoir commis un délit autre que sa simple entrée irrégulière sur le territoire national, et notamment un délit susceptible de menacer l’ordre public ou la sécurité intérieure de l’État membre concerné (CJUE, 19 mars 2019, aff. C-444/17, Abdelaziz Arib N° Lexbase : A1600Y4Z).

Décision. La CJUE en déduit le principe précité, ajoutant que cela vaut aussi lorsque l’intéressé est entré sur ce territoire avant même d’avoir franchi un point de passage frontalier où s’exercent de tels contrôles.

newsid:486885

Droit international privé

[Jurisprudence] Règlement « Succession » : nouvelle illustration des critères d’identification de la dernière résidence habituelle du défunt

Réf. : Cass. civ. 1, 12 juillet 2023, n° 21-10.905, FS-D N° Lexbase : A79621A7

Lecture: 15 min

N6925BZI

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par Larick Okounda, Juriste-Documentaliste, Doctorant en droit international à l'Université Le Havre Normandie

Le 27 Septembre 2023

Mots clés : succession • Règlement « succession » • défunt • de cujus • résidence habituelle

La Cour de cassation maintient la résidence habituelle du défunt en France alors que celui-ci avait officiellement déménagé au Portugal. Elle confirme ainsi l’idée que la résidence habituelle est une notion objective et autonome qui s’apprécie par l’évaluation des faits pertinents de la vie du de cujus les années précédant son décès et au moment de son décès.


 

Par un arrêt du 12 juillet 2023, la Cour de cassation a apporté des précisions sur les critères permettant de déterminer la résidence habituelle du de cujus au moment de son décès. 

Les faits sont les suivants : un homme (de nationalité française et guérie de son cancer) déménage au Portugal avec son épouse où il décède peu après, le 20 novembre 2016, par un infarctus, laissant pour lui succéder ses deux filles et son épouse actuelle. Les 21 mai 2014 et 13 janvier 2015, il avait souscrit un contrat d'assurance sur la vie et désigné comme bénéficiaire, outre son épouse actuelle, d’autres personnes ainsi qu’une fondation et une association.  De même avait-il, avant son déménagement, liquidé une partie de son patrimoine immobilier en France et souscrit une assurance-vie au Portugal dont les bénéficiaires n’étaient pas les enfants de son premier lit.

Soutenant que le de cujus avait sa résidence habituelle en France au jour de son décès, les héritiers réservataires, représentés par leur mère, ont assigné les légataires universels en partage de la succession devant une juridiction française. Ils ont également assigné en intervention forcée les autres bénéficiaires du contrat d'assurance sur la vie.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence est saisie de la demande et déclare la juridiction française compétente pour connaître de l'ensemble de la succession jugeant que la dernière résidence du défunt était située en France au moment de son décès. Insatisfaite, l’épouse forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Elle soulevait ainsi l'incompétence du juge français sur le fondement de l’article 4 du Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, dit Règlement « Successions » N° Lexbase : L8525ITW, en soutenant que la dernière résidence était au Portugal et soutenait que le changement de résidence s'expliquait par une motivation autre que celle de changer de loi successorale.

La Cour de cassation confirme la position de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et maintient à son tour la résidence du de cujus en France. En effet, elle affirme qu’« après avoir constaté que [Le de cujus ] ne s'était installé au Portugal qu'à compter du 28 juin 2016 et qu'étant décédé le 20 novembre 2016, il n'y avait résidé que moins de cinq mois, la cour d'appel a relevé que celui-ci avait entrepris très tardivement d'apprendre le portugais, qu'au moment de son décès, il était toujours inscrit sur les listes électorales françaises et que, s'il était propriétaire avec son épouse d'au moins un bien immobilier au Portugal, où ils étaient officiellement domiciliés, ceux-ci détenaient toujours une maison en France et que l'examen des nombreuses attestations produites révélait que les familles des époux, la plupart de leurs relations amicales, ainsi que les principaux bénéficiaires du contrat d'assurance sur la vie, étaient domiciliés en France. » Ainsi, pour la Haute juridiction, la cour d'appel en a souverainement déduit qu'à la date de son décès, le de cujus avait sa résidence habituelle en France et non au Portugal.  

La décision est rendue sous les visas de l’article 4 du Règlement « Succession » qui pose le principe de la compétence générale, et de son considérant 23 qui apporte des indications sur les critères permettant d’identifier la dernière résidence habituelle du défunt aux fins notamment de déterminer la juridiction d’un État membre compétente pour en connaître la totalité de la succession. Or si le Règlement « Succession » fait de la résidence habituelle le critère fondamental de rattachement de la compétence juridictionnelle et de la loi applicable en matière de succession internationale (article 4), il n’apporte cependant pas de définition [1]. Les indications apportées par les considérants 23, 24, 25 restent pour le moins vagues et imprécises [2]. Ce qui signifie que l’identification de la résidence habituelle dépend entièrement de l’appréciation souveraine de l’autorité judiciaire de l’Etat saisie. Pour ce faire, celle-ci se doit d’analyser les faits pertinents de la vie du défunt avant et au moment de son décès. En ce sens, cette décision illustre parfaitement les critères permettant de déterminer la dernière résidence habituelle du défunt au moment de son décès.

I. Illustration des critères matériels

L’arrêt de la Cour nous rappelle à juste titre que si la résidence habituelle se caractérise avant tout par la présence de l’individu sur le territoire, celle-ci doit être néanmoins appréciée à la fois de manière quantitative et qualitative [3].

A. Les critères quantitatifs

Les critères quantitatifs renvoient à la durée et à la régularité de la résidence dans l’État concerné [4].  Elles en demeurent pour le moins des éléments déterminants. Or sur ce point le Règlement ne précise pas la durée minimum qu’il faudrait résider dans l’État concerné [5]. L’autorité saisie doit donc apprécier.  Dans le cas d’espèce, les juges ont relevé que le de cujus ne s'était installé au Portugal qu'à compter du 28 juin 2016 et qu'il était décédé le 20 novembre 2016, soit moins de six mois. On en déduit qu’une domiciliation ou une présence inférieure à six mois dans l’État concerné ne saurait être considérée comme habituelle. Qui plus est, constatent-ils qu'au moment de son décès, « il était toujours inscrit sur les listes électorales françaises et que, s'il était propriétaire avec son épouse d'au moins un bien immobilier au Portugal, où ils étaient officiellement domiciliés, ceux-ci détenaient toujours une maison en France ». Ainsi, pour les juges, la présence avérée du de cujus sur le territoire ne suffisait pas à établir de manière stable et permanente sa résidence habituelle, la cour d’appel ayant considéré que la durée était moins importante.

On se souvient que dans l’affaire « Hallyday », la durée de résidence du de cujus avait été un élément déterminant pour identifier sa dernière résidence. En effet, le tribunal de Nanterre avait alors jugé que la durée et la régularité de sa présence étaient plus importante en France qu’aux États-Unis [6].  De même que la Cour de cassation, dans son arrêt du 29 mai 2019 [7], avait jugé sur la base de l’article 4 et des considérants 23 et 24 que les durées respectives des séjours du de cujus en France et aux États-Unis ne permettaient pas d’identifier la dernière résidence du de cujus, car ces durées ne suffisaient pas à déterminer une présence majoritaire dans l’un des États. La Cour avait alors pris en compte d’autres faits pertinents. Il apparaît clairement que c’est le même raisonnement qu’ont suivi les juges dans cette affaire.

B. Les critères qualitatifs

Les critères qualitatifs sont les autres critères soulevés par les juges pour maintenir la résidence du de cujus en France. Ils renvoient à l’ensemble de liens sociaux et familiaux de l’intéressé décédé [8].  Autrement dit, il pourrait s’agir à notre sens de la prise en compte du degré d’intégration du de cujus dans l’État concerné [9]. En l’espèce, l’un des aspects relevés est, pour le moins surprenant, l’apprentissage de la langue locale. À ce titre, les juges ont relevé que celui-ci n’avait entrepris que très tardivement d'apprendre le portugais, c’est-à-dire peu avant son décès. Néanmoins, cet argument n’est pas sans soulever des interrogations. En effet, le fait de ne pas parler couramment la langue locale ou d’entamer tardivement les démarches en vue de son apprentissage constitue-t-il un élément pertinent ou valable pour neutraliser la résidence habituelle ou le déménagement dans un autre pays ? Ne peut-on pas vivre dans un État autre que notre État d’origine sans couramment parler la langue locale ? Mais l’on constate que visiblement la Cour a eu une approche différente. Et cela devrait désormais interpeller les candidats à l’expatriation ainsi que les praticiens qui pourraient être confrontés à un cas de figure similaire.

L’autre élément qualitatif apprécié par les juges est celui de l’intégration sociale et familiale. Or si le de cujus et son épouse avaient acquis une maison au Portugal, les juges ont-ils relevé après « examen des nombreuses attestations produites que les familles des époux, la plupart de leurs relations amicales, ainsi que les principaux bénéficiaires du contrat d'assurance sur la vie, étaient domiciliés en France ».  Selon eux, en effet, il existait encore un certain nombre de liens étroits familiaux et sociaux avec l’État d’origine. Ainsi, ont-ils considéré que le centre des intérêts du de cujus était toujours en France et non au Portugal. On retrouve ici le même raisonnement et la même démarche de la Cour de cassation dans son arrêt précité de 2019 [10].

II. Illustration des critères ou faits intentionnels

Ici la question de l’intention permet d’apprécier les raisons de la présence de cujus dans l’État concerné et dans une certaine mesure sa volonté de s’y installer : qu’est-ce qui pourrait motiver le transfert ou le changement de résidence d’un État à un autre ? Les juges peuvent-ils prendre en compte l’intention du défunt du temps de son vivant ? L’arrêt commenté semble répondre à ces questions car il s’illustre, d’une part, par le rejet de l’intention du de cujus de transférer sa résidence habituelle au Portugal, et d’autre part par la sanction de la fraude à la loi successorale.

A. La non-prise en compte de l’intention de fixer la résidence dans l’État concerné

On voit bien à travers cet arrêt que la Haute juridiction a rejeté l’intention du de cujus de fixer sa résidence habituelle au Portugal. Pourtant cette intention nous semble manifeste puisque le de cujus avait acquis une maison au Portugal dans le but d’y établir le centre de ses intérêts, bien qu’il ait conservé une maison en France. Aussi, cette intention pourrait se vérifier par le fait que le défunt avait effectué, avec son épouse, plusieurs séjours au Portugal courant 2014 avant de déménager de manière définitive et qu’il avait noué des relations amicales. C’est dire qu’il n’était pas en terre inconnue et qu’il avait pris le soin de construire des liens étroits dans l’État concerné. Mais la position de la Haute juridiction bien que discutable est tout à fait justifiée dans la mesure où elle s’inscrit dans l’esprit même du Règlement « Succession » du 4 juillet 2012. En effet, si le Règlement « Succession » permet au de cujus de choisir la loi applicable pour sa succession (article 22) [11], il n’en est pas de même pour sa résidence qui, elle, est une notion objective qui fait l’objet d’une interprétation autonome [12]. En ce sens, il ne dispose pas de la liberté de choisir la juridiction chargée de régler sa succession. Ainsi, à bien des égards, la question de l’intention d’une personne de fixer sa résidence de manière durable dans un autre Etat ne devrait pas se poser [13], car seuls les faits pertinents devraient être appréciés. C’est en effet cette position qu’a adoptée la CJUE dans son arrêt du 16 juillet 2020 en rappelant notamment qu’ « afin de déterminer la résidence habituelle, l’autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. La résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent règlement [14]».

B. Sanction de l’intention de frauder la loi successorale ?

Selon les juges du fond, « il y a fraude à la loi lorsque les parties ont volontairement modifié le rapport de droit « dans le seul but » de le soustraire à la loi normalement compétente ; que la fraude suppose un élément matériel, résidant dans la manipulation destinée à échapper à la loi normalement applicable, un élément légal qui réside dans les dispositions que l'on cherche à contourner et un élément intentionnel qui doit avoir été déterminant ». La question qui se pose ici est celle de savoir si le changement de domicile était fait dans le but de ne pas soumettre la succession à la loi Française. Pour les juges du fond, la réponse est affirmative. Selon elle en effet, « le défunt avait tout mis en œuvre pour que ne s'appliquent pas les dispositions de la loi française en matière de réserve héréditaire et de primes manifestement excessives s'agissant des contrats d'assurance vie, de sorte que l'objectif poursuivi était de voir appliquer la loi portugaise à sa succession ». Et que « c’est à partir de la connaissance de son cancer qu’il a commencé à liquider son patrimoine immobilier en France pour placer une partie du produit de ces ventes sur un contrat d'assurance vie qui n'était pas au bénéfice de ses héritières réservataires ».

Mais à supposer que le de cujus avait acquis à la nationalité portugaise avant son décès, et qu’il avait préalablement choisi la loi portugaise comme loi applicable à sa succession conformément à l’article 22 du Règlement (professio juris), dans ce cas, la question de sa résidence habituelle, de la compétente des juridictions et de la loi portugaises ne se serait pas posée, elles se serait appliquée de plein droit du fait de la nationalité et de l’autonomie de la volonté du de cujus [15] et la juridiction française se serait déclarée incompétente [16].  En effet, « la condition d’un lien particulièrement étroit entre celui-ci et la loi choisie, permet d’éviter une utilisation de la professio juris aux fins de frauder les héritiers réservataires [17] ».

On pourrait aussi penser que les juges aient voulu sanctionner les démarches tardives (apprentissage de la langue locale et inscription aux listes électorales) entreprises par le de cujus, interprétant cela comme un manque de volonté réelle de transférer de manière définitive sa résidence au Portugal [18].

À retenir. Il faut retenir de cet arrêt que la dernière résidence n’est pas toujours la résidence habituelle du défunt dans la mesure où cette notion est objective et dont la détermination doit être fondée sur des faits pertinents avant et au moment du décès du de cujus. Elle exclut par conséquent, du moins en matière de succession internationale, l’intention de fixer la résidence. Cependant, comme certains auteurs l’admettent, une telle analyse « a le défaut de l'imprévisibilité, voire de la création de disparité entre des individus dont les situations semblables pourraient être interprétées de manière différente selon la juridiction saisie. En droit de l'UE, il est loisible d'espérer que les critères de détermination de la notion de résidence habituelle seront progressivement précisés par la Cour de justice afin de permettre une application et une interprétation relativement harmonisées des règlements au sein des États membres[19] ».

Cela étant, il est important de rappeler qu’en matière de succession internationale, la résidence habituelle du défunt doit être effective et stable au moment de son décès afin de déterminer la juridiction compétente. 

   

 

[1] Pour plus de développements, voir H. Gaudemet-Tallon, Les règles de compétence dans le règlement européen sur les successions, in Droit européen de successions internationales, Defrénois, 2023, pp. 127 à 140. Voir également, P. Lagarde, Les principes de base du nouveau règlement européen sur les successions. Revue critique de droit international privé 2012/4 (N° 4), pages 691 à 732. Voir enfin Grégoire Laurentin, La notion de résidence habituelle en droit international privé des successions, Solution Notaire Hebdo n° 15, 20 avril 2023, pp. 11-15. Voir Floriane Chasse, Les aspects civils du changement de résidence habituelle, Actes pratiques et stratégie patrimoniale n° 3, Juillet 2021, dossier 14.

[2] Ibid..

[3] G. Laurentin. Op.cit.

[4] Ibid.

[5] G. Laurentin. Op.cit.

[6] TGI Nanterre, 28 mai 2019, RG 18/01502. Notes de M. Jaoul, Dalloz actualité n° 62 (20 juin 2019) ; JL Van Boxstael, Revue du notariat belge 2019, pp. 871-881, R. Le Guidec, JCPN, n° 38, 20 septembre 2019, 1278.

[7] Cass. civ. 1, 29 mai 2019, n° 18-13.383, FS-P+B+I N° Lexbase : A1010ZDR. Notes de S. Godechot-Patri, in RJPF n° 7-8 juillet-août 2019 ; F. Melin, in Dalloz actualité n° 57 13 juin 2019 ; M. Jaoul, in Dalloz actualité du 20 juin 2019 ; G. Escudey et A. Mars, in Lexbase Droit privé, n° 789 N° Lexbase : N9682BXU.

[8] F. Chasse, op.cit.

[9] G. Laurentin, op.cit.  

[10] Cass. civ. 1, 29 mai 2019, n° 18-13.383, préc. Voir note de S. Godechot-Patri, in RJPF n° 7-8 juillet-août 2019

[11] P. Lagarde, Les principes de base du nouveau règlement européen sur les successions, op.cit. pp. 719-720

[12] Ibid. F. Chasse, op.cit. l’auteur parle de la « notion de fait ».

[13] E. Fongaro, Le choix de la loi applicable au régime matrimonial : JCP N 2018, n° 16, 1166.

[14] CJUE, 16 juillet 2020, aff. C‑80/19 « Kauno » N° Lexbase : A57083RT, point 23. Voit Note de François Melin, Dalloz actualité n° 116 (4 septembre 2020) ; A. Guichard, AJ Famille 2020, n° 9, p.491 9.

[15] Paul Lagarde, Les principes de base du nouveau règlement européen sur les successions, op.cit. p.719 - 720

[16] CJUE, 9 septembre 2021, aff. C-422/20, RK c/ CR N° Lexbase : A896043A. Note A. Lelouvier, Déclinatoire de compétence du Règlement « successions » : mode d’emploi !, Lexbase Droit privé, n° 880, 7 octobre 2021 N° Lexbase : N9001BYZ ; C. Nourissat, Déclinatoire de compétence en matière successorale, in Procédures n° 1.

[17] Ibid. p. 720.

[18] Voir le présent arrêt sous commentaire : Cass. civ. 1, 12 juillet 2023, n° 21-10.905.

[19] F. Chasse, op.cit.

newsid:486925

Élections professionnelles

[Brèves] Pas d’annulation des élections du CSE en cas de transmission de la liste d’émargement après la clôture du scrutin

Réf. : Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-11.338, F-B N° Lexbase : A47961GQ

Lecture: 2 min

N6833BZ4

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par Charlotte Moronval

Le 27 Septembre 2023

► En matière d’élections professionnelles, l'irrégularité résultant de la transmission directe par l'employeur, après la clôture du scrutin, de la liste d'émargement à la demande d'une partie intéressée, n'est pas susceptible d'entraîner en elle-même l'annulation des élections.

Faits et procédure. Des élections des membres du CSE se sont déroulées dans une entreprise, par voie électronique.

La déléguée syndicale et le syndicat ont saisi le tribunal judiciaire d'une demande d'annulation des élections, invoquant une atteinte à la confidentialité résultant de la transmission, par l'employeur et à leur demande, de la liste d'émargement.

Rappel. La liste d'émargement n'est accessible qu'aux membres du bureau de vote et à des fins de contrôle de déroulement du scrutin (C. trav., art. R. 2314-16 N° Lexbase : L0620LIS).

L'employeur, ou le prestataire qu'il a retenu, conserve sous scellés, jusqu'à l'expiration du délai de recours et, lorsqu'une action contentieuse a été engagée, jusqu'à la décision juridictionnelle devenue définitive, les fichiers supports comprenant la copie des programmes sources et des programmes exécutables, les matériels de vote, les fichiers d'émargement, de résultats et de sauvegarde, après la clôture du scrutin, et qu'il appartient aux parties intéressées de demander au juge, en cas de contestation des élections, que les listes d'émargement soient tenues à sa disposition (C. trav., art. R. 2314-17 N° Lexbase : L0619LIR).

Le tribunal judiciaire déboute les requérants de leur demande. Selon lui, la demande de transmission de la liste par la déléguée syndicale constituait un stratagème, la déléguée ayant placé l’employeur en situation de commettre une faute.

Ils forment un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

La Haute juridiction en a déduit que dès lors que l’employeur avait transmis directement la liste d’émargement à la déléguée syndicale à la demande de celle-ci, postérieurement à la clôture du scrutin, le tribunal a débouté à bon droit l’intéressée et le syndicat de leur demande d’annulation des élections.

Pour aller plus loin :

  • lire J. Damiano, Le vote électronique aux élections professionnelles au CSE, Lexbase Social, juillet 2022, n° 915 N° Lexbase : N2256BZL
  • lire également J. Cadot et M. Nabier, L’organisation des élections du CSE : les points de vigilance, Lexbase Social, février 2023, n° 936 N° Lexbase : N4444BZM
  • v. notamment ÉTUDE : Le déroulement des élections des membres de la délégation du personnel, Le recours au vote électronique, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E2092GAQ.

 

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Experts-comptables

[Brèves] Rémunération des experts-comptables : l’article 1165 du Code civil n’est pas applicable

Réf. : Cass. com., 20 septembre 2023, n° 21-25.386, FS-B N° Lexbase : A22251HU

Lecture: 3 min

N6866BZC

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par Vincent Téchené

Le 27 Septembre 2023

► Les dispositions de l'article 1165 du Code civil, selon lesquelles dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation,  ne sont pas applicables à une prestation de service fournie par un expert-comptable.

Faits et procédure. Par un acte du 8 juillet 2021 transformé en procès-verbal de recherches infructueuses, un expert-comptable a assigné l’un de ses clients aux fins de le voir condamné à lui payer, d'une part, la somme de 756 euros, correspondant à trois factures émises pour des frais de domiciliation, et, d'autre part, la somme de 2 910 euros, correspondant à neuf factures mensuelles émises entre avril et décembre 2019 pour des interventions comptables, outre la somme de 645,66 euros au titre de frais de recouvrement.

La cour d’appel a condamné la cliente à payer les sommes correspondantes aux frais de domiciliation et de recouvrement, mais a rejeté les demandes de l’expert-comptable s’agissant des interventions comptables. L’expert-comptable a alors formé un pourvoi en cassation

Décision. En premier lieu, l’expert-comptable invoquait les dispositions de l’article 1165 du Code civil N° Lexbase : L1982LKM. Selon ce texte, dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation.

La Cour de cassation rappelle que selon l'article 1105, alinéa 3 N° Lexbase : L0820KZE, les règles générales relatives à la formation, à l'interprétation et aux effets des contrats s'appliquent sous réserve des règles particulières propres à certains contrats.

Par ailleurs, selon l'article 151, alinéa 1er, du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable N° Lexbase : L6889ISX, l'expert-comptable passe avec son client un contrat écrit définissant sa mission et précisant les droits et obligations de chacune des parties.

Il en résulte, selon la Haute juridiction, que les dispositions de l'article 1165 du Code civil ne sont, conformément à l'article 1105, alinéa 3, du même code N° Lexbase : L0820KZE, pas applicables.

En second lieu, l’expert-comptable prétendait que le juge était tenu de fixer le montant d'honoraires dont il ressort de ses constatations qu'ils sont fondés en leur principe. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel sur ce second point. Elle retient en effet qu’en refusant d'évaluer le montant des honoraires dus à l’expert-comptable, alors qu'il résultait de ses propres constatations que les prestations avaient été réalisées et que ces honoraires étaient fondés en leur principe, le tribunal, qui devait en fixer le montant, a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les articles 4 du Code civil N° Lexbase : L2229AB8 et 24 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 N° Lexbase : L8059AIC.

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Institutions

[Questions à...] De la non-incursion du juge administratif dans le fonctionnement des assemblées parlementaires - Questions à Philippe Blacher, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 24 juillet 2023, n° 471482, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A34811CW

Lecture: 11 min

N6830BZY

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Le 27 Septembre 2023

Mots clés : séparation des pouvoirs • assemblées parlementaires • sanctions internes • injusticiabilité • non-interférence

Dans une décision rendue le 24 juillet 2023, la Haute juridiction a énoncé qu’il n’appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs aux sanctions infligées par les organes d’une assemblée parlementaire aux membres de celle-ci. Pour revenir sur cet arrêt sanctuarisant la séparation des pouvoirs entre exécutif et législatif à l’heure où de nombreuses tensions se font jour entre ces derniers, Lexbase Public a interrogé Philippe Blacher, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3.


 

Lexbase : Le juge administratif est-il totalement absent des actes des assemblées parlementaires ?

Philippe Blacher : En vertu de l’histoire, d’une conception organique de la séparation des pouvoirs et d’une interprétation stricte de l’autonomie des assemblées parlementaires, le juge administratif est resté pendant longtemps absent au Parlement. Invité à statuer sur les litiges en annulation ou en réparation portant sur des actes des assemblées parlementaires, le Conseil d’État s’est très tôt déclaré incompétent [1]. Cette position constante a pu se justifier, en outre, par le principe de la souveraineté parlementaire et du fait que les actes des assemblées politiques n’étaient pas assimilables à des actes administratifs édictés par une autorité administrative.

Cette immunité juridictionnelle a cependant connu quelques tempéraments. D’une part, l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires N° Lexbase : L1125G88, prévoit, pour trois types d’activités détachables des fonctions de législation et de contrôle, la possibilité d’un contentieux devant la juridiction administrative : il s’agit des dommages de toute nature causés par les services des assemblées parlementaires (art.8, alinéa 1er), des litiges individuels des fonctionnaires parlementaires (art. 8, alinéa 3) et des litiges relatifs aux marchés publics (art.8, alinéa 3). L’idée générale retenue par ce texte est de confier à la compétence de la juridiction administrative certains actes qui intéressent directement l’organisation et le fonctionnement de l’administration des assemblées parlementaires. Sur la base de ces dispositions, le Conseil d’État a, par exemple, admis la compétence de la juridiction administrative à l’occasion de litiges relatifs à la passation et à l’exécution des marchés conclus par l’Assemblée nationale en vue de l’équipement audiovisuel du Palais Bourbon, ces marchés ayant le caractère de contrats administratifs [2]. D’autre part, la jurisprudence a pu reconnaitre ponctuellement que certaines activités, non mentionnées par l’ordonnance de 1958, pouvaient être détachables des fonctions de législation et de contrôle et, par ailleurs, rentrer dans le giron de la compétence des juridictions administratives. Tel est notamment le cas de la décision du Président du Sénat de déprogrammer une exposition initialement prévue par une convention d’occupation temporaire du musée du Luxembourg [3].

Lexbase : Qu’en est-il de la vie interne des assemblées parlementaires ?

Philippe Blacher : La vie interne d’une assemblée politique renvoie à différentes activités exercées par des élus qui s’appuient sur une administration permanente. En vertu du principe de la séparation des pouvoirs, le juge administratif se déclare incompétent pour contrôler les décisions qui se rattachent directement à la fonction législative ou à la fonction de contrôle [4]. Mais il est parfois sollicité s’agissant d’actes qui se rapprochent de l’acte administratif : la sanction disciplinaire infligée à un député en est un exemple. Assimilée en jurisprudence à un « acte parlementaire » (qui concernent l’administration interne d’une assemblée), cette catégorie d’acte reste perçue comme indissociable des fonctions de législation et de contrôle et directement liée à l’exercice de la souveraineté nationale. Saisi par des parlementaires sanctionnés, le juge administratif s’est toujours estimé incompétent au motif que « le régime de sanction ainsi prévu par le règlement de l’Assemblée nationale fait partie du statut du parlementaire, dont les règles particulières découlent de la nature de ses fonctions ; que ce régime se rattache à l’exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement ; qu’il en résulte qu’il n’appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs aux sanctions infligées par les organes d’une assemblée parlementaire aux membres de celle-ci » [5]. Cette solution est régulièrement confirmée. Dans une affaire médiatisée, le tribunal administratif de Paris s’est déclaré incompétent pour contrôler le rappel à l’ordre avec inscription à l’ordre du jour infligé au député qui avait refusé d’appeler la présidente de séance « Madame la présidente ». Le juge a estimé que « l’acte par lequel le président de l’Assemblée nationale inflige à un député une sanction instituée par le règlement en raison de son comportement au cours d’un débat parlementaire, n’est pas détachable de la fonction législative dévolue au Parlement par la Constitution » [6]. Les décisions rendues le 24 juillet 2023 par le Conseil d’État s’inscrivent dans cette lignée.

Le débat sur l’immunité juridictionnelle du droit disciplinaire au Parlement est pourtant réactivé depuis le début de la XVIème Législature, ouverte en juin 2022, car le nombre de sanctions prononcées contre des élus au titre de la police des débats a explosé : plus de 90 en quelques mois (contre 128 depuis 1958). Et il n’est pas anodin de constater que ce sont des députés qui sollicitent, dans les affaires n°471482, n°473409 et n°473588, un revirement de jurisprudence en la matière.

Dans une période où d’aucuns soulignent – à juste titre - les risques liés à la judiciarisation renforcée de la vie politique [7] et dénoncent, parfois, l’avènement d’un nouveau « Gouvernement des juges » [8] des parlementaires rattachés à l’opposition réclament une extension de la compétence du juge administratif pour contrôler la vie interne de l’Assemblée nationale. Les motivations de cette démarche s’avèrent sans doute multiples : volonté de contester dans l’espace public une décision prise au sein du Palais Bourbon ; mise en scène destinée à dénoncer « l’excès de pouvoir » (au sens littéral et contentieux) de la présidence de l’Assemblée nationale ; mise en évidence des lacunes présumées du régime prévu aux articles 70 à 80 du règlement qui permet de sanctionner de façon expéditive, par le Bureau ou par le Président seul, un élu qui, par son comportement, a troublé l’ordre ou s’est rendu coupable d’outrages ou de provocations envers l’Assemblée ou son Président. Pour les juristes, la seule question qui vaille est de savoir si l’injusticiabilité d’une sanction parlementaire résiste à l’épreuve des droits fondamentaux [9] : la procédure méconnait-elle le droit à un recours effectif garanti par la Déclaration de 1789 (art. 16 N° Lexbase : A0762KBT) ? S’engager dans cette voie n’implique pas nécessairement de plaider en faveur d’un recours juridictionnel car le droit parlementaire fonctionne, depuis l’origine, sur des procédures internes patinées par la pratique.

Lexbase : Le principe de non-interférence du juge est-il compatible avec la jurisprudence de la CEDH ?

Philippe Blacher : Le juge de Strasbourg s’est prononcé récemment sur cette question dans l’affaire « Karacsony c/ Hongrie » [10]. Saisie par des parlementaires hongrois, sanctionnés durant l’année 2013, qui contestaient l’absence de recours juridictionnel face à ces décisions litigieuses (et qui, par ailleurs, invoquaient une atteinte à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la CESDH N° Lexbase : L4743AQQ), la Cour EDH a rappelé que « les États membres jouissaient d’une large marge d’appréciation » ( §146) pour aménager les règles de fonctionnement interne d’un parlement national. Plus précisément, elle estime qu’en « matière de sanctions disciplinaires a posteriori, (…) les garanties procédurales offertes à cette fin doivent prévoir, au minimum, le droit pour le parlementaire d’être entendu dans le cadre de la procédure parlementaire préalablement au prononcé de la sanction » (§156). De plus, « compte tenu des principes universellement reconnus de l’autonomie du Parlement et de la séparation des pouvoirs, un parlementaire frappé d’une sanction disciplinaire n’est pas censé jouir d’un droit de recours hors du cadre parlementaire pour s’y opposer » (§157). Cette position correspond à celle retenue par le Conseil d’État dans la décision du 24 juillet 2023 : « La circonstance qu’aucune juridiction ne puisse être saisie d’un tel litige ne saurait avoir pour conséquence d’autoriser le juge administratif à se déclarer compétent » [11].

Pour autant, « la latitude inhérente à la notion d’autonomie parlementaire, dont jouissent les autorités nationales pour sanctionner les propos ou comportements au Parlement, (…) n’est pas absolue. Cette latitude doit être compatible avec les notions de « régime politique véritablement démocratique » et de « prééminence du droit » auxquelles renvoie le Préambule de la Convention (§147). Le juge de Strasbourg rappelle ainsi une règle de bon sens : une sanction disciplinaire, infligée à un député par un organe parlementaire, ne saurait être arbitraire ; la procédure ne doit pas être instrumentalisée pour étouffer la liberté d’expression des élus mais elle est instaurée pour sanctionner tout comportement répréhensible.

Lexbase : Au final, la décision du Conseil d’État vous semble-t-elle justifiée ?

Philippe Blacher : L’injusticiabilité des sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre des députés ne signifie pas que les droits élémentaires du parlementaire sont bafoués ! Il convient de rappeler que le régime disciplinaire des députés repose sur des règles inscrites dans le règlement de l’Assemblée nationale (art.70 à 80) et qu’il a été rénové par la résolution du 28 novembre 2014. Lors des travaux préparatoires, la question de la légitimité de la sanction prononcée par le président de séance en cas d’injures, de provocations ou de menace à son égard s’est posée en ces termes : « Nul besoin d’évoquer l’article de la Convention européenne des droits de l’Homme dédié au procès équitable puisqu’il ne s’agit certes pas d’une matière juridictionnelle mais, tout de même, il est très choquant que le président de séance puisse décider, depuis son fauteuil, d’une sanction très lourde pour réparer ce qu’il perçoit comme un outrage dirigé contre sa propre personne » [12]. Conscients du caractère rudimentaire de la procédure interne, les députés ont introduit des mesures destinées à permettre à un député, s’il en fait la demande, de s’expliquer face aux accusations portées à son encontre. L’article 72 du règlement prévoit par ailleurs pour les sanctions les plus sévères (la censure simple et la censure avec exclusion temporaire) une proposition du Bureau (organe collégial) et un vote par l’Assemblée, par assis et levé sans débat.

Il semble difficile d’aller plus loin en renforçant le caractère contradictoire du régime des sanctions disciplinaires au risque de « juridictionnaliser » inutilement la procédure interne. Mais si d’aventure, dans l’avenir, un parlementaire n’était plus en mesure d’être entendu par le bureau, le juge pourrait être tenté de voir ces sanctions comme des actes administratifs pouvant être déférés à son office [13]. Pour en revenir à l’essentiel, on doit ici rappeler que le droit disciplinaire a pour but de punir dans l’urgence des comportements qui portent atteinte au bon déroulement du travail parlementaire, à la dignité de l’institution et de ses membres. La violence des propos - qui n’est pas un phénomène nouveau mais qui a tendance à se systématiser - et les comportements répréhensibles de certains élus dans l’hémicycle incitent à ne pas chercher à démunir la présidence – chargé de diriger les débats, de faire observer le règlement et de maintenir l’ordre (art.52.1 du règlement) – face au tumulte.  En somme, le principal défaut de la procédure ne réside pas dans son caractère a-juridictionnel mais dans son champ d’application : le dérapage d’un membre du gouvernement échappe toujours à d’éventuelles sanctions disciplinaires. Peut-être que la fin de l’interdiction du cumul entre les fonctions de membre du gouvernement et l’exercice d’un mandat parlementaire (article 23 de la Constitution N° Lexbase : L0849AHW) améliorerait l’état actuel du droit français ?

* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.

[1] CE, 15 novembre 1872, Carrey de Bellemare, Rec. p. 590.

[2] CE, ass., 5 mars 1999, n° 163328 N° Lexbase : A4539AXE, Rec. p. 41.

[3] CAA Paris, 25 mars 2013, n° 11PA00169 N° Lexbase : A4568KC8.

[4] Par exemple, incompétence du juge pour connaitre de l’acte par lequel le Président de l’Assemblée nationale rend public un rapport d’une commission d’enquête parlementaire, cet acte se rattachant à la fonction de contrôle : CE, 16 avril 2010, n° 304176 N° Lexbase : A0118EWB, Rec. p.114.

[5] CE, référé, 28 mars 2011, n° 347869 N° Lexbase : A3796HMK, Rec. p. 837.

[6] TA Paris, 24 juin 2015, n° 1500257 N° Lexbase : A0158NMS.

[7] B. Mathieu, Justice et politique, la déchirure ? , Lextenso LGDJ, collection forum 2015.

[8] J.-E. Schoettl, La démocratie au péril des prétoires, De l’État de droit au gouvernement des juges, Gallimard, collection le Débat, 2022.

[9] Pour reprendre le titre d’un article d’O. Renaudie, L’injusticiabilité d’une sanction parlementaire à l’épreuve des droits fondamentaux, D., 2011, 1540.

[10] CEDH, 17 mai 2016, Req. 42461/13 et 44357/13 N° Lexbase : A7779RTB.

[11] Arrêt commenté.

[12] G. Larrivé, JOAN, 2ème séance du mercredi 26 novembre 2014, p. 9281.

[13] M. Balnath, L’administration des assemblées parlementaires, thèse dactyl., Lyon 3, 2022.

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Procédure civile

[Point de vue...] Réformer la signification ?

Lecture: 44 min

N6733BZE

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par Sylvain Jobert, Professeur à l’Université d’Angers, Directeur du Master droit et pratique des procédures, co-Directeur de l'IEJ d'Angers

Le 04 Octobre 2023

Mots clés : notification • signification • signification à personne • signification à domicile • article 659 du Code de procédure civile • commissaire de justice • clerc significateur.

La question de la réforme de la signification sur support papier se pose, du moins si l’on tient à en défendre l’existence. Afin de la promouvoir, il est proposé dans cet article tout à la fois d’accroitre certains devoirs des significateurs et d’améliorer les moyens dont ils disposent pour accomplir leur mission, en jouant sur une assez large gamme de normes régissant cette activité.


 

Réformer la signification n’est pas à l’ordre du jour. Du moins est-ce ce que l’on peut penser à la lecture de rapports récents qui constituent autant de matrices des modifications en cours du droit positif : pas plus le rapport du groupe de travail sur la simplification de la justice civile remis en février 2022 que le rapport du comité des États généraux de la justice remis en avril 2022 ne s’attardent sur cette question [1]. Dans ce prolongement, aucun décret ne semble prévu sur ce point et l’on chercherait en vain son évocation dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023‑2027 en cours de discussion au Parlement. Dans ce cadre, l’idée de réformer la signification peut laisser interrogatif, et l’on pourrait se satisfaire que cette institution juridique reste à l’abri des vents réformistes qui balaient la procédure civile depuis bien des années maintenant [2].

Car la signification est aujourd’hui bien assise en droit français. Chacun sait en effet, parmi les juristes, que la signification est « la notification faite par acte d'huissier de justice » selon les mots du Code de procédure civile [3], et sera bientôt plus précisément celle faite par acte de commissaire de justice [4]. Elle est alors « l’action de porter à la connaissance d’un intéressé un acte qui le concerne » [5], action dont il est important de souligner d’emblée qu’elle est matériellement parfois – voire souvent – effectuée non par un commissaire de justice mais par un clerc dénommé « clerc significateur », ce qui ne sera pas sans incidences sur les propositions que nous formulerons. Quoi qu’il en soit, il s’agira bien ici de s’attarder sur cette action essentielle dans le procès civil et au-delà, mais sur cette action seulement, en elle-même : les questions du type d’acte à signifier et des effets à y attacher ne nous retiendront pas [6], pas plus que la signification faite par voie électronique dans laquelle la règlementation de l’action du significateur est réduite à une assez simple expression [7].

Contrairement à une impression que l’on pourrait ressentir de prime abord par effet de contraste avec les réformes incessantes qui ont lieu dans certains domaines, la règlementation de la signification n’a rien d’immuable. Des modifications sont intervenues lors de ces dernières décennies, qui en ont plus ou moins modifié la physionomie : par le décret no 65-1006 du 26 novembre 1965 relatif à la règlementation des délais de procédure et de la délivrance des actes [en ligne], par le décret no 75-1123 du 5 décembre 1975 instituant un nouveau Code de procédure civile [en ligne], par le décret no 86-585 du 14 mars 1986 modifiant et complétant certaines dispositions du nouveau Code de procédure civile [en ligne] et particulièrement l’article 659 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6831H77, par le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 relatif à la procédure civile, à certaines procédures d'exécution et à la procédure de changement de nom N° Lexbase : L3298HEU ayant notamment modifié la signification faite à domicile, par le décret no 2012-366 du 15 mars 2012 relatif à la signification des actes d'huissier de justice par voie électronique et aux notifications internationales N° Lexbase : L4789IS8. Dans cette lignée plutôt régulière, la décennie 2020 devrait-elle également connaître d’une réforme de la matière ? Cela ne va pas de soi, et le point d’interrogation figurant dans l’intitulé de cet article porte tout entier la mise en garde de Portalis : « il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, parce que s’il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ; qu’il faut laisser le bien, si on est en doute du mieux ; qu’en corrigeant un abus, il faut encore voir les dangers de la correction même, qu’il serait absurde de se livrer à des idées absolues de perfection, dans des choses qui ne sont susceptibles que d’une bonté relative » [8].  

Reste qu’il est malaisé de déterminer avec certitude la pertinence du droit positif. S’il est des indicateurs sur le fonctionnement de la Justice [9], il n’en existe pas à notre connaissance sur la question des significations, qu’ils soient le fruit du ministère de la Justice ou de la profession de commissaire de justice. Or une juste réforme requerrait une bonne information préalable : quel est le taux de significations à personne, de significations à domicile, de mise en œuvre de l’article 659 du Code de procédure civile lorsque le destinataire n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus ? Combien de destinataires viennent chercher l’acte en l’étude, combien de lettres recommandées avec demande d’avis de réception reviennent non réclamées ? L’expérience semble montrer que la modalité de signification la plus commune est la signification à domicile avec dépôt de l’acte en l’étude et que, le plus souvent, le destinataire ne s’y rend pas pour retirer l’acte, mais il n’est guère possible de s’avancer davantage, ce d’autant que les résultats paraissent varier d’une étude à l’autre. À défaut de telles données, un indicateur du bon fonctionnement des significations pourrait être recherché dans les décisions de justice, mais il n’indiquerait guère plus que la fréquence de la contestation des significations, et leur plus ou moins grande rigueur aux yeux des juges, sans renseigner véritablement sur leur efficacité et, plus encore, sur leur efficience.

Néanmoins, l’observation de la jurisprudence récente de la Cour de cassation est la source d’une autre sorte d’enseignement : ces toutes dernières années, la deuxième chambre civile paraît s’attacher à clarifier les règles applicables aux significations, par de réguliers arrêts publiés. Ainsi le significateur d’acte a-t-il été requis de vérifier le domicile du destinataire avec sérieux, sans se contenter du nom indiqué sur la boîte aux lettres [10] ; il a en revanche été dispensé de se présenter sur le lieu de travail dès lors qu’une remise à personne a été tentée, sans succès, au domicile avéré du destinataire [11]. Ce faisant, la Cour de cassation dessine plus précisément sa conception de la signification, dans la mesure où l’interprétation des textes le permet. Parce que l’on peut ne pas intégralement partager cette conception, il y a là une incitation à exposer une autre règlementation possible de la signification, qui comblerait par ailleurs ce qui nous apparaît comme des carences de la législation en la matière. Au reste, le moment est peut-être opportun d’un point de vue plus institutionnel, qui ne doit pas être négligé. On le sait, les huissiers de justice deviennent commissaires de justice, et ce changement s’accompagne de diverses réformes dont le dernier exemple en date est l’arrêté du 21 mars 2023 fixant les normes de présentation des actes, exploits et procès-verbaux des commissaires de justice N° Lexbase : L2582MH4, qu’il actualise. La réforme de la signification ne pourrait-elle pas accompagner ces transformations ? Ne pourrait-elle pas contribuer, en partie, à la restauration de la confiance que recherche la nouvelle Chambre nationale des commissaires de justice [12] ? L’enjeu est selon nous déterminant car, outre la confiance des justiciables, la confiance des autorités nationales et européennes doit aussi être continuellement recherchée si l’on veut bien se souvenir que la suppression pure et simple de la signification a un temps été suggérée [13]. Sa survie, à terme, est donc en jeu, rien de moins.

Le temps pourrait donc être venu de réformer la signification, et de répondre par l’affirmative à la question posée par l’intitulé de cet article. Demeure le plus difficile : étayer cette affirmation par des propositions. La question véritable est alors de savoir comment réformer la signification, ce « comment » devant s’entendre comme invitant aussi à évoquer la nature des instruments normatifs à employer pour ce faire. Il ne s’agira pas ici de proposer une refonte complète de la signification sur support papier ; à bien des égards, le droit positif nous semble en effet satisfaisant. Néanmoins, sans viser l’exhaustivité dans les lignes qui vont suivre tant la matière fourmille de règles, des modifications peuvent être suggérées. Elles doivent aller ensemble si l’on veut correctement améliorer l’outil séculaire qu’est la signification : accroitre certains devoirs (I) et améliorer les moyens au service des commissaires de justice (II) sont deux voies à emprunter.

I. Accroître certains devoirs

Afin d’accomplir une signification régulière, le commissaire de justice est astreint à un certain nombre de devoirs par le Code de procédure civile, qui constituent une part de ce que l’on a pu justement appeler son « office » [14]. Au titre de ceux-ci, le significateur doit accomplir tout à la fois certaines diligences et certaines formalités, qui ont été pensées comme autant de garanties visant à s’assurer de la connaissance de l’acte signifié par son destinataire. Or, de ces deux points de vue – diligences et formalités –, des progrès pourraient être accomplis sur l’ensemble du processus de signification, des déplacements du significateur (A) aux mentions qu’il indiquera (C), en passant par les vérifications qu’il opérera (B).

A. Les déplacements

Au nombre des diligences que le significateur d’acte doit accomplir figure un certain nombre de déplacements que commande la hiérarchie des modalités de signification : avant toute chose, il convient de se rendre en un lieu où le destinataire doit pouvoir être trouvé afin que la remise de l’acte ait lieu soit en main propre pour les personnes physiques, soit entre les mains d’un représentant légal, d’un fondé de pouvoir de ce dernier ou de toute autre personne habilitée à cet effet pour les personnes morales [15]. La primauté de la signification à personne l’exige [16]. Toute la question est alors de savoir ce qui aujourd’hui doit être fait pour tenter une remise de l’acte à la personne même du destinataire de l’acte avant de pouvoir entreprendre une signification à domicile. Il ne s’agira pas ici de reprendre l’intégralité de la jurisprudence  sur ce point [17], mais de s’attarder sur une décision récente précédemment évoquée : « lorsqu'il s'est assuré de la réalité du domicile du destinataire de l'acte et que celui-ci est absent, l'huissier de justice n'est pas tenu de tenter une signification à personne sur son lieu de travail, et peut remettre l'acte à domicile » [18].

Par cette décision, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation opère manifestement un revirement de jurisprudence [19] dont on peut regretter qu’il n’ait pas fait l’objet d’une motivation enrichie. Ce n’est pas dire que des justifications ne pourraient pas être trouvées à la solution nouvelle. Celle qui vient d’emblée à l’esprit est l’ « atteinte à la vie privée et à la réputation » [20] que peut emporter une signification faite à personne sur le lieu de travail, quoiqu’on en ignore la teneur, au vu et au su de l’employeur du destinataire, de ses collègues ou de clients. À cet égard, il faut souligner que la solution s’inscrit dans une tendance plus profonde, qui peut se recommander de l’initiative du législateur et qui conduit progressivement à limiter les modalités de signification pouvant conduire à ce type d’atteintes. Que l’on songe à la suppression de la signification faite avec dépôt de l’acte en mairie, ou encore à la signification faite à domicile avec remise de l’acte à un voisin, modalités disparues avec l’entrée en vigueur du décret du 28 décembre 2005. Au-delà, si l’on met cette décision en rapport avec un arrêt de la même deuxième chambre civile rendu en date 8 décembre 2022 et décidant que « lorsqu'il n'a pu s'assurer de la réalité du domicile du destinataire de l'acte et que celui-ci est absent, l'huissier de justice est tenu de tenter une signification à personne sur son lieu de travail » [21], on perçoit que tout est question de mesure dans les droits fondamentaux en cause, entre droits de la défense et droit au respect de la vie privée [22] : plus le risque d’ignorance de l’acte est grand, plus la signification sur le lieu de travail – en dépit des atteintes qu’elle charrie – devient souhaitable. Mais il y a là aussi une logique qui se retrouve dans des situations où de telles atteintes ne sont pas à craindre, notamment quant à l’obligation de se présenter à nouveau en un lieu où la remise d’un acte a déjà été tentée en vain : une telle diligence n’est pas attendue pour que soit valablement accomplie une signification à domicile [23], mais elle l’est pour qu’un procès-verbal de recherches infructueuses soit dressé [24] ; autrement dit, « l’accroissement des diligences de l’huissier semble correspondre à l’amenuisement de la certitude que l’acte a effectivement touché la personne visée » [25]. Cette seule logique gagne peut-être désormais davantage les solutions de la Cour de cassation en matière de signification.

Il n’en reste pas moins qu’au regard de la jurisprudence actuelle, les déplacements requis pour réaliser une signification à personne peuvent paraître très réduits lorsque le domicile du destinataire de l’acte est connu ; en pratique, le significateur se rendra au domicile du destinataire, constatera que le destinataire en est absent et cela suffira à constituer une « impossible » signification à personne. Toutefois, il ne suffira pas ici d’écrire que, de la sorte, la jurisprudence paraît s’éloigner de la lettre du Code en admettant une conception très souple de l’impossibilité de signifier à personne : le propos consiste à se demander comment le droit pourrait être réformé, en opportunité. De ce point de vue, on pourrait se satisfaire du droit positif en ce que, dans les situations que nous avons évoquées, le domicile étant vérifié, il est vrai qu'il y aura des chances raisonnables que l'acte parvienne à son destinataire [26]. Mais cela doit-il constituer l’horizon de la signification ? Augmenter les chances d’une rencontre entre le significateur et le destinataire n’est-il pas un objectif assez important pour que des efforts plus grands soient accomplis ? Pour plaider en faveur de davantage de diligences du commissaire de justice, nous n’en appellerons pas à la tradition, à l’image de l’huissier touchant le destinataire de sa baguette de bois [27], car il faut souligner que la primauté de la signification à personne n’existe pas de tout temps en droit français et s’est au contraire imposée à l’encontre du droit ancien qui ouvrait une alternative à l’huissier de justice : soit signifier à personne, soit signifier à domicile [28]. Plutôt, il nous semble que des considérations très actuelles tendent à la revalorisation de la signification à personne : la signification à personne peut être propice à un véritable échange entre le significateur et le destinataire de l’acte [29], permettant non pas seulement à ce dernier de connaître l’acte, mais de mieux le comprendre, d’en saisir les enjeux ; la signification à personne rend possible l’identification d’un handicap physique ou de difficultés intellectuelles chez le destinataire, qui peuvent alors être prises en considération ; la signification à personne comprend une dimension humaine que l’on peut vouloir sauvegarder à l’heure où – parfois très légitimement – le numérique se développe et la relègue quelquefois.À bien des égards, c’est une certaine conception de l’accès à la justice qui est en jeu derrière la très technique règlementation de la signification.

Reste à savoir quelles justes diligences attendre du significateur, car tout aussi louable que soit l’objectif, il ne peut conduire à envisager l’emploi de moyens disproportionnés. De ce point de vue, il est compréhensible que l’on souhaite limiter la signification accomplie en personne sur le lieu de travail voire dans un lieu public où pourrait se trouver le destinataire. Néanmoins, les diligences effectuées par le significateur devant être pensées ensemble, ces déplacements en moins ne pourraient-ils pas être compensés par quelques déplacements en plus ? Il nous apparaît en effet moins évident qu’aujourd’hui, le commissaire de justice n’ait pas parfois à se présenter de nouveau au domicile du destinataire, règle dans laquelle on a pu voir la raison principale du faible taux de significations faites à personne [30].  N’est-ce pas ce que, avec plus ou moins de succès certes, les agents de La Poste accomplissent quotidiennement ? La question est à dessein provocatrice pour attirer l’attention sur un argument qui risquerait d’être invoqué par les adversaires de la signification si la question de sa suppression devait reparaître. Pour le contrecarrer, il ne s’agirait pas de copier le régime de la lettre recommandée avec demande d’avis de réception, qui laisse une trop grande part à la volonté du destinataire. Ce dernier ne saurait, s’agissant d’une signification, imposer la date de remise qui lui convient, décidant ainsi de la date des effets de l’acte à son égard et de l’organisation des tournées des significateurs. En revanche, le destinataire pourrait disposer d’un très bref délai pour indiquer – par téléphone, par courriel, comme cela lui serait indiqué dans un avis de passage – s’il souhaite que le significateur revienne à son domicile ou non.

Dans le premier cas, une date serait déterminée par le commissaire de justice sans concertation obligatoire avec le destinataire, qui devrait s’organiser pour être présent (s’il ne l’est pas, la signification sera faite à domicile avec remise de l’acte à un tiers présent ou dépôt de l’acte en l’étude, c’est selon) ; dans le second cas, la signification sera considérée comme faite à domicile avec dépôt de l’acte en l’étude. Faut-il craindre que la tâche des significateurs en soit considérablement alourdie ? Tout dépendrait du succès remporté par la demande de nouvelle présentation, difficilement prévisible bien qu’il soit très douteux que chaque destinataire souhaitera vraiment un nouveau passage du commissaire de justice : combien se satisferont très bien de ne pas le rencontrer, et combien se contenteront de la possibilité d’aller chercher l’acte en l’étude ? Beaucoup peut-on penser, mais l’important pour nous est que le destinataire souhaitant une rencontre avec le significateur ait la possibilité de la susciter.

Quoi qu’il en soit, cette nouvelle règle gagnerait à faire l’objet d’une véritable expérimentation : ce ne pourrait être que si le taux de significations faites à personne devait significativement en ressortir augmenté que la règle mériterait d’être inscrite dans le Code de procédure civile par le pouvoir règlementaire. En toute hypothèse, corrélativement et nécessairement, une revalorisation de la rétribution attachée à la signification faite à personne en particulier devrait intervenir. 

B. Les vérifications

À divers égards, il entre dans la mission du commissaire de justice d’opérer certaines vérifications. On l’a évoqué, récemment, la Cour de cassation a pu insister sur la nécessité de ne pas s’en tenir à l’examen du nom du destinataire sur la boîte aux lettres afin de vérifier la réalité de son domicile. Cette exigence par laquelle le commissaire de justice se distingue du simple postier nous semble bienvenue, mais nous aimerions insister sur un autre type de vérification : la vérification de l’identité du destinataire de l’acte, ou de son pouvoir de recevoir l’acte. En la matière, la jurisprudence est exempte d’ambiguïtés. D’une part, pour ce qui concerne les personnes physiques, il est acquis que, pour la Cour de cassation, « l'huissier de justice qui procède à la signification d'un acte à personne n'a pas à vérifier l'identité de la personne qui déclare être le destinataire de cet acte » [31], solution qui s’étend à la vérification de l’identité du tiers présent au domicile du destinataire et acceptant de recevoir l’acte [32]. D’autre part, pour ce qui concerne les personnes morales, il n’est pas demandé au significateur de vérifier l’exactitude de la déclaration d’une personne se prétendant habilitée à recevoir l’acte [33].

Faudrait-il obliger le commissaire de justice à vérifier ces déclarations ? Un temps, une distinction a été mise en lumière, selon le lieu auquel la signification était accomplie à destination d’une personne physique [34] : si la signification à personne était réalisée au domicile du destinataire, la vérification d’identité pouvait être souhaitable ; si la signification à personne était réalisée en un autre lieu comme la loi le permet, cette vérification devenait indispensable. La vraisemblance pourrait expliquer ces solutions : lorsque le significateur se trouve bien au domicile du destinataire et que la personne en face de lui prétend être le destinataire, il y a de grandes chances que l’affirmation soit exacte.

Hors ce lieu, ces chances sont plus ténues. Une telle dichotomie peut s’entendre pour les personnes physiques quoiqu’elle fragilise déjà cette modalité de signification, mais étendue aux personnes morales elle perd de sa pertinence. En l’absence d’un contrôle de l’habilitation de la personne acceptant de recevoir l’acte au siège de la personne morale, on s’expose à une remise de l’acte à des intermédiaires peu fiables car on l’a relevé très justement « à ce compte-là, toute personne au service d’une société tend à devenir une personne habilitée, pour peu que la question lui soit habilement posée »[35]. Le risque est alors que l’acte ne soit pas correctement transmis, lors même que la qualification de « signification à personne » fera perdre certaines protections au destinataire, à commencer par l’opposition en cas de défaillance à la suite d’une assignation.

Serait-il à cet égard excessif d’obliger à une vérification de l’identité ou du pouvoir de la personne à qui l’acte est remis quel que soit le lieu où cette remise s’effectue ? Oui, si cette vérification devait être automatique et concerner même des destinataires – débiteurs habituels notamment – que le significateur connaît bien. Néanmoins, pour le reste, dans la lignée de Solus et Perrot [36], il nous semble qu’une telle vérification serait utile. Certes, cette nouvelle diligence ralentira le processus de signification en y ajoutant une nouvelle étape voire empêchera parfois la mise en œuvre de la modalité de signification si la personne dont l’identité est contrôlée se montre réticente ou dans l’impossibilité de s’y soumettre. Cependant, cette situation sera-t-elle si fréquente ? Il est difficile de le prévoir [37], mais elle n’empêchera pas toute signification à l’égard d’un destinataire qui se montrerait de mauvaise volonté. Surtout, à tout prendre, cette vérification participerait au renforcement des garanties offertes par la signification et donc à la protection du destinataire de l’acte : ne lui serait ainsi fermée la voie de l’opposition que lorsqu’il sera très sûr qu’il a bien reçu l’acte. Cette vérification d’identité mettrait au reste un terme à l’usage de l’expression « ainsi déclaré » dans les actes des commissaires de justice, qui vient souvent clore l’énoncé des éléments d’identification que l’on a bien voulu lui fournir, et dont la survivance est curieuse à l’heure où le postier à l’obligation – pour le moins inégalement respectée - de vérifier l’identité du destinataire d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception [38]. Comme pour ces derniers, une disposition générale prévoyant que, s’il n’est pas connu du significateur, l’identité ou le pouvoir de la personne à qui l’acte est remis doit être justifié devrait être insérée dans le Code de procédure civile. Par souci de clarté, la possibilité de ce contrôle pourrait apparaître également dans le texte principal régissant la profession de commissaire de justice [39] et dans celui relatif aux clercs assermentés [40].

C. Les mentions

Déplacements, vérifications : ces éléments doivent être relatés par le commissaire de justice. Cette exigence est connue, mais il est intéressant d’évoquer rapidement la façon dont elle est parfois appréciée avec souplesse par la Cour de cassation [41]. Ainsi, lorsqu’est effectuée une signification à domicile, « l'huissier de justice doit relater dans l'acte les diligences qu'il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification » [42].

Or, à l’examen, même lorsque la jurisprudence semblait exiger plus d’efforts que la seule recherche du destinataire au lieu où il a son domicile, elle a pu se contenter de formules stéréotypées : un arrêt de cour d’appel relevant « qu'hormis une mention pré-imprimée, les circonstances exactes de cette impossibilité au visa de l'article 655 du nouveau Code de procédure civile N° Lexbase : L6822H7S ne sont pas mentionnées » a ainsi pu être cassé, l’acte de signification faisant ressortir que « les circonstances rendant impossible la signification à la personne même, l'acte à signifier a été remis au domicile, à une personne présente, avec indication de son nom, de son prénom et de sa qualité, ce dont il résulte que l'acte n'avait pu être remis au destinataire lui-même et que ce dernier habitait bien à l'adresse indiquée » [43]. Par ailleurs, si le Code de procédure civile prévoit que l’acte de signification doit indiquer les vérifications faites par l’huissier de justice pour s’assurer que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée [44], la Cour de cassation a pu affirmer que « l'huissier de justice n'était pas tenu de mentionner l'identité des personnes auprès desquelles il s'assurait du domicile » [45]. Si, depuis lors, la Cour de cassation a heureusement pu insister sur le fait que la vérification du domicile auprès d’ « un voisin » est insuffisante [46], c’est nous semble-t-il pour souligner qu’il fallait opérer davantage de vérifications, et non pour sanctionner une identification approximative [47]. Ainsi, lorsque dans le premier rapport « Magendie » il était relevé que dans les actes de signification « les justifications apportées sont trop souvent vagues et sommaires » [48], on peut considérer que les significateurs n’étaient pas seuls en cause, la jurisprudence de la Cour de cassation ayant admis sur certains points quelques imprécisions.

En vérité, pour bien comprendre le degré de précision attendu des commissaires de justice dans la relation de leurs diligences, il faut revenir à une circulaire du 2 mai 1974 relative à la rédaction des actes d'huissier de justice [49]. En annexe de cette circulaire figure un modèle d’acte de signification [50] ainsi présenté par Jean Taittinger, alors garde des Sceaux, ministre de la Justice : « Ce document, qui s’inspire d’un imprimé élaboré par des huissiers de justice, est destiné à relater, d’une façon qui soit à la fois pratique pour ces officiers ministériels, claire pour le juge et compréhensible pour le public, les modalités de remise de l’acte, et fait partie intégrante de celui-ci dont il constitue en réalité la dernière page. Il est indispensable que cet imprimé soit systématiquement utilisé afin d’éviter notamment les formules du genre : “où étant et parlant à” portées, parfois à l’aide de cachets, dans le corps même des actes au détriment de leur clarté » [51]. Or, dans ce modèle, on retrouve un certain nombre de formules vagues que les huissiers de justice d’alors ont repris de façon assez compréhensible, et que la Cour de cassation a progressivement accepté davantage. Aujourd’hui, ce modèle n’est bien sûr plus utilisé car la règlementation a évolué sur bien des points. Néanmoins, les significateurs utilisent toujours des formulaires, variant d’une étude à une autre, certains pouvant être plus complets que d’autres, mais alternant toujours formules pré-imprimées, cases à cocher et espace vierges par lesquels il est possible de personnaliser l’acte.

Plutôt que de proposer dans ce domaine une réforme par voie de décret, ne serait-il pas plutôt temps, près de cinquante ans après, de remettre l’ouvrage sur le métier et que, ensemble, ministère de la Justice et représentants de la profession déterminent un nouveau modèle d’acte de signification ? Si l’on en juge par l’influence qu’a eu le modèle initial sur la pratique des significateurs, cela serait sans doute la façon la plus efficace de réformer la matière. Néanmoins, une concertation plus large serait souhaitable, car d’autres acteurs sont concernés par les mentions des actes de commissaire de justice, qui tombent régulièrement sous leurs yeux. On pense aux professionnels du droit, d’abord. Au juge, bien sûr, que l’on invite d’ailleurs à davantage contrôler les actes de signification dans certaines circonstances où le destinataire de l’acte n’est pas en mesure de relever lui-même ce qui manque à la signification opérée [52]. Aux avocats, aux greffiers également, familiers des actes de signification et dont la réflexion serait utile. On doit songer, ensuite, aux justiciables eux-mêmes, qui doivent pouvoir comprendre l’acte de signification autant que faire se peut, sans entraver la lecture de l’acte par des tournures obscures pour un non-initié, mais sans sacrifier à la rigueur du vocabulaire juridique.

II. Améliorer les moyens

Améliorer les moyens mis à la disposition des commissaires de justice est l’autre condition nécessaire à une juste réforme de la signification. À l’évidence et comme on l’a déjà évoqué chemin faisant, cela concerne les moyens financiers : si la promotion de la signification faite à personne est selon nous une priorité, cela doit en passer par une revalorisation de son tarif et par une forte distinction de celui-ci d’avec les significations accomplies à domicile. Sans doute faudrait-il plus largement revoir la rémunération de la signification en général, mais il sera difficile d’entrer ici dans des détails chiffrés, car là encore les données manquent : il faudrait appréhender plus finement ce que coûtent globalement les significations, le rapprocher de ce qu’elles rapportent véritablement aux commissaires de justice, distinguer selon les études dont les modèles économiques reposent plus ou moins sur cette activité, examiner les éventuelles péréquations pouvant justifier que certaines activités des commissaires de justice soient mieux rémunérées et que d’autres le soient moins. En somme, une collaboration entre juristes et économistes pourrait être utile. Toutefois, les moyens financiers ne sont pas les seuls leviers que l’on pourrait actionner pour permettre aux commissaires de justice de mieux accomplir leur mission : les moyens d’information (A), techniques (B) et humains (C) seraient à améliorer.

A. Les moyens d’information

Les commissaires de justice doivent avoir accès à davantage d’informations afin d’être en mesure de localiser le destinataire de l’acte, et d’avoir ainsi plus de chance de lui signifier l’acte avec succès. Plus exactement, ils doivent obtenir ces informations plus précocement. Actuellement, au titre de l’article L. 152-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L1721MAY, « les administrations de l'État, des régions, des départements et des communes, les entreprises concédées ou contrôlées par l'État, les régions, les départements et les communes, les établissements publics ou organismes contrôlés par l'autorité administrative doivent communiquer à l'huissier de justice chargé de l'exécution, y compris d'une décision de justice autorisant une saisie conservatoire sur comptes bancaires, les renseignements qu'ils détiennent permettant de déterminer l'adresse du débiteur, l'identité et l'adresse de son employeur ou de tout tiers débiteur ou dépositaire de sommes liquides ou exigibles et la composition de son patrimoine immobilier, à l'exclusion de tout autre renseignement, sans pouvoir opposer le secret professionnel » [53]. Si ce texte a été récemment modifié par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire afin de permettre l’obtention d’informations même dans le cas de la mise en œuvre d'une décision de justice autorisant une saisie conservatoire sur comptes bancaires, il ne l’autorise pas à la seule fin de signification d’un acte. Et ce n’est pas faute pour les commissaires de justice d’appeler cette évolution de leurs vœux [54].

Comment expliquer une telle réticence ? Une réponse ministérielle l’explicite : « L'intérêt qui s'attache à ce qu'un acte de procédure, par exemple une assignation, soit remis à la personne de son destinataire ne suffit à justifier ni la levée du secret auquel sont tenues les administrations, ni l'atteinte à la vie privée qui résulterait de la divulgation du domicile du destinataire de l'acte » [55] ; et de poursuivre en exposant les diligences attendues du significateur pour trouver lui-même le destinataire de l’acte, en affirmant que la notification accomplie en application de l’article 659 du Code de procédure civile « satisfait aux exigences du procès équitable » et que « des procédures permettent au destinataire de disposer d'un droit d'accès effectif à un juge », comme l’opposition et le relevé de forclusion.

Il ne s’agira pas ici de prétendre que la situation de l’émetteur de l’acte ignorant l’adresse de son destinataire pour lui signifier l’acte est identique à celle du créancier dépourvu d’informations pour exécuter, et requerrait pas conséquent un accès aux mêmes informations. Dans le dernier cas, l’absence d’information peut empêcher la réalisation du droit fondamental qu’est le droit à l’exécution. Dans le premier cas, en revanche, l’ignorance de la localisation du destinataire n’est pas un tel frein, car non seulement l’article 659 du Code de procédure civile existe, mais en plus – si l’on raisonne à partir de l’exemple de la signification d’une citation en justice - l’absence du défendeur à son procès en raison de son ignorance de l’acte n’empêchera pas le procès de se poursuivre. Autrement dit, le droit d’accès au juge du demandeur ne pourrait justifier spécialement que l’on passe outre le droit au respect de la vie privée du défendeur.

Néanmoins, la balance opérée entre les droits et les garanties en cause dans cette réponse ministérielle ne manque-t-elle pas de mesure ? D’une part, si l’on peut considérer que l’ouverture de l’opposition au défendeur défaillant et le relevé de forclusion contribuent à la protection du destinataire de l’acte, il faut souligner qu’il s’agit là de techniques qui, non seulement pourraient être améliorées, mais interviennent ex post, curatives plutôt que préventives. Pour qu’elles trouvent à s’appliquer, encore faudra-t-il que le destinataire se montre réactif, exerce un recours et ne considère pas qu’il est trop tard pour qu’il puisse faire valoir ses droits. À cet égard, on peut penser qu’une bonne information du destinataire de l’acte ex ante est préférable et sauvegarde mieux ses intérêts. En cela, dans notre hypothèse, s’il n’y a pas dans un plateau de la balance le droit à l’exécution des décisions de justice, il n’y en a pas moins des droits qui pourraient être mieux protégés. Or, dans l’autre plateau, l’atteinte à la vie privée serait moindre en matière de signification qu’en matière d’exécution des décisions de justice, car il ne s’agirait pour le commissaire de justice que d’obtenir l’adresse du destinataire de l’acte ainsi que son lieu de travail, et non des informations plus précises relatives à son patrimoine. Ne parvient-on pas alors à un équilibre satisfaisant ? On peut le penser, et considérer même que cette nouvelle possibilité reconnue aux commissaires de justice d’obtenir des informations sur le destinataire de l’acte pourrait également satisfaire les exigences issues de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans une décision « Davran » contre Turquie, la Cour européenne a en effet pu affirmer qu’ « il incombe à l'État défendeur d'organiser son système judiciaire de manière à rendre effectifs les droits prévus à l'article 6 de la Convention et de se doter des moyens propres à assurer un réseau d'information entre les entités judiciaires de l'ensemble du pays » [56] ; l’État turc avait ici failli à cette exigence en ce que les autorités chargées de la notification n’avaient pas été informées de ce que le destinataire était emprisonné dans un établissement turc, et avaient par conséquent procédé à une notification par voie de publication. La configuration de cette espèce était particulière [57], mais la généralité de l’affirmation de la Cour européenne invite à envisager la possibilité que le commissaire de justice puisse s’insérer à tout le moins dans le réseau des entités judiciaires françaises et puisse y trouver quelques informations. Craindrait-on qu’ils sollicitent trop souvent les autorités disposant de ces informations, sans même avoir accompli les recherches qui leur incombent ? On peut en douter : non seulement les réponses apportées à leurs requêtes sont parfois si tardives qu’ils n’utiliseront cette voie qu’en dernier recours, mais surtout leur qualité d’officiers publics ministériels implique qu’ils bénéficient d’une certaine confiance. En ce sens, une disposition pourrait utilement venir compléter l’ordonnance règlementant leur profession [58].

B. Les moyens techniques

Si la signification s’est ouverte au renouvellement des moyens techniques avec la création de la signification faite par voie électronique, la signification sur support papier est restée en retrait de ce point de vue alors que des moyens techniques efficaces pourraient lui être adjoints afin qu’elle remplisse mieux son office. Ici, l’ordre des modalités de signification peut être suivi.

D’abord, on gagnerait à permettre l’utilisation des outils numériques dans le cadre de la signification faite à personne. La proposition n’a rien de paradoxal, et elle a pu être formulée dans le rapport Le juge du 20ème siècle, remis en décembre 2013 par Pierre Delmas-Goyon : la proposition no 35 invite à « étudier, en concertation avec les huissiers de justice, une adaptation des modes de délivrance des actes aux possibilités offertes par les nouvelles technologies de la communication » [59], et le paragraphe précédent explicite davantage l’idée qui pourrait consister à permettre « d’aviser par voie électronique le destinataire qu’un acte doit lui être délivré. Ainsi prévenu, il pourra prendre ses dispositions pour se rendre à l’étude à sa convenance ou, à défaut, se rendre disponible au moment qui lui sera fixé pour recevoir l’acte »[60], dans la perspective affichée d’augmenter le nombre de significations faites à personne. La proposition est intéressante, qui renverse en quelque sorte la perspective : d’ordinaire, les formalités complémentaires interviennent après les recherches du commissaire de justice ; ici, elles interviendraient avant.

Afin de déterminer sa pertinence, il faut toutefois l’affiner. Est-il question de rendre obligatoire un tel avis électronique préalablement à la remise de l’acte ? On pourrait dans ce cas y être réticent : non seulement le significateur n’aura pas toujours l’adresse électronique du destinataire ou son numéro de téléphone, mais encore il peut exister des situations où il est préférable de ne pas avertir le destinataire de son passage, quand bien même on disposerait de ses coordonnées. Songeons à la signification d’une ordonnance d’injonction de payer : sa remise à personne est souhaitable, car elle fait courir le délai d’un mois pour former opposition, qui sinon est recevable « jusqu'à l'expiration du délai d'un mois suivant le premier acte signifié à personne ou, à défaut, suivant la première mesure d'exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur » (CPC, art. 1416, al. 2 N° Lexbase : L6356H7K) ; avertir le débiteur – parfois très bien connu du commissaire de justice - permettrait trop facilement à ce dernier d’empêcher une signification à personne et de faire durer l’attente du créancier. Un véritable devoir ne devrait donc pas exister en la matière, mais plutôt une bonne pratique laissée à l’appréciation du commissaire de justice. Reste à savoir s’il faudrait aller jusqu’à autoriser le significateur à indiquer au destinataire qu’il peut se présenter à l’étude pour y retirer l’acte, dispensant ainsi parfois le commissaire de justice de tout déplacement. On peut y être réticent : non seulement rendre ainsi l’acte d’emblée quérable et non plus portable remet en cause la physionomie habituelle de la signification [61], mais surtout plus concrètement l’identité de la personne remettant l’acte au destinataire se pose. S’agira-t-il du commissaire de justice ou d’un clerc significateur ? Leurs nombreux déplacements rendent la chose difficile, et l’on peut craindre que la tâche soit dévolue à un employé de l’étude qui n’est pas significateur  [62], , comme c’est le cas actuellement lorsque l’acte est retiré en l’étude après signification faite à domicile. Parce qu’il faut selon nous attacher beaucoup d’importance à la rencontre du destinataire et du significateur, la bonne pratique pourrait seulement consister à avertir le destinataire de la signification afin de le prévenir de la date du passage du commissaire de justice, voire de déterminer cette date avec lui. Bien sûr, dans cette situation, si le destinataire devait être absent en dépit de l’annonce du passage du significateur, ce dernier n’aurait pas à se représenter ensuite.

Ensuite, la signification faite à domicile peut être abordée, qui implique l’utilisation d’un moyen technique inchangé depuis l’avènement du nouveau Code de procédure civile : la lettre simple. L’article 658 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6829H73 dispose ainsi que « Dans tous les cas prévus aux articles 655 N° Lexbase : L6822H7S et 656 N° Lexbase : L6825H7W, l'huissier de justice doit aviser l'intéressé de la signification, le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable, par lettre simple comportant les mêmes mentions que l'avis de passage et rappelant, si la copie de l'acte a été déposée en son étude, les dispositions du dernier alinéa de l'article 656. La lettre contient en outre une copie de l'acte de signification ». À profit, de nouveaux moyens pourraient venir se substituer à la lettre simple dans cet article. Il serait ainsi envisageable d’envoyer plutôt un courrier électronique au destinataire [63]. Le destinataire privilégié de tels envois serait la personne morale, en ce qu’il peut raisonnablement être exigé d’elle la déclaration d’une adresse électronique à laquelle la joindre, de la même façon qu’elle doit renseigner son siège social. L’envoi se réaliserait à une adresse déclarée par la personne morale à un registre, ce qui présenterait plusieurs vertus : rapidité, moindre coût, emprunt d’un autre canal que l’avis de passage souvent laissé dans la boîte aux lettres et trace de l’envoi, que ne laisse pas la lettre simple. En l’état, il serait toutefois difficile d’étendre la règle aux personnes physiques, dont le commissaire de justice n’aura pas facilement l’adresse électronique. Pourtant, la lettre simple n’est pas sans défauts, que l’on a évoqués en passant : aucune preuve de son envoi ne peut être apportée, ce qui pourrait faire craindre qu’un significateur pressé l’oublie sans que cela ne prête à conséquences.

La solution se trouve alors dans la voie postale, qui depuis une cinquantaine d’années a élargi son offre et permet notamment l’envoi d’une lettre suivie. Un peu plus onéreuse que la lettre simple, elle offre des avantages dont chacun a pu faire l’expérience, permettant de faire ressortir la date d’envoi, la date de délivrance, soit autant d’informations qui pourraient contribuer à rendre plus sûres les significations faites à domicile, de rassurer sur les diligences du significateur (principe de l’envoi et respect du délai pour envoyer, qui sont souvent indiqués par des mentions stéréotypées très vagues dans les actes de signification actuels faisant foi jusqu’à inscription de faux [64]) et sur la délivrance de la lettre au domicile du destinataire.

Enfin, les significateurs pourraient recourir à des moyens techniques plus modernes dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 659 du Code de procédure civile. On le sait, au titre de cette disposition, un double envoi postal est réalisé : le commissaire de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, une lettre recommandée avec demande d'avis de réception ainsi qu’une lettre simple. Ce double envoi n’est pas inutile : l’espoir existe que le destinataire ait fait suivre son courrier, que les lettres lui parviennent, et s’il pouvait avoir des réticences à signer un accusé de réception, le contenu de la lettre simple pourrait lui parvenir. Ici comme précédemment, une substitution peut être envisagée : pour les personnes morales, le courrier électronique remplacerait la lettre simple ; pour les personnes physiques, la lettre suivie serait préférée. Toutefois, parce que le danger est grand que le destinataire de l’acte n’ait pas connaissance de l’acte, les moyens modernes de communication pourraient être exploités davantage. Car une réforme du Code de procédure civile lui-même s’impose ici, ne faudrait-il pas ajouter à l’article 659, alinéa 3, que le commissaire de justice avise le destinataire par lettre simple et par tout autre moyen de communication dès lors qu’il dispose d’indications sérieuses pour le joindre ainsi ? Ce serait toutefois là accroître les devoirs du significateur.

C. Les moyens humains

La signification sur support papier repose à l’évidence sur des moyens humains : commissaires de justice bien sûr, mais aussi clercs significateurs qui sont une catégorie de clercs assermentés. L’activité de clerc assermenté a été rendue possible par la loi du 27 décembre 1923 relative à la suppléance des huissiers blessés et à la création des clercs assermentés, et ceux-ci peuvent signifier « tous actes judiciaires et extrajudiciaires, à l'exception des procès-verbaux de constats et d'exécution et des ventes mobilières judiciaires ou volontaires » [65]. Il n’est pas rare ainsi qu’une étude regroupe plusieurs clercs significateurs, dont l’activité quotidienne est de signifier des actes. Par ailleurs, il faut souligner que dans certains lieux existent ce que l’on appelle des « bureaux communs » [66]. Ces bureaux dans lesquels plusieurs clercs significateurs exercent « sont constitués sous la forme d'un groupement par des huissiers ou sous la forme d'une société civile de moyens, dont les membres peuvent opter pour le statut de société coopérative » [67]. Leur objectif est très compréhensible : mutualiser les coûts et réaliser des économies d’échelle sur les prestations réalisées par les commissaires de justice, particulièrement quant à la signification des actes.

La proposition pourrait être faite de supprimer certains de ces acteurs de la signification. Pour ce qui concerne les bureaux communs, on pourrait faire valoir qu’ils distendent exagérément le lien qui devrait exister entre le commissaire de justice et son ou ses clercs significateurs, qu’il devrait très bien connaître et en qui il devrait avoir toute confiance pour accomplir une part de sa mission. cette distension ne serait d’ailleurs pas sans expliquer la qualité notoirement inégale du travail accompli par ces clercs, qu’une étude sociologique a pu faire ressortir en soulignant notamment que « dans les contacts avec les justiciables, pour gagner du temps et contourner les situations problématiques, le clerc met très souvent en avant le fait qu’il n’est qu’un simple intermédiaire et qu’il ne connaît pas le contenu de l’acte » [68]. Au-delà, on a pu également remettre en question l’existence même des clercs significateurs : soulignant que les clercs assermentés « viennent souvent d’horizons professionnels très variés » et que « la prestation de serment n’est en aucun cas conditionnée au suivi d’une formation initiale »,  maître Alexandre Bedon envisage que « la délivrance des actes soit à nouveau confiée exclusivement aux huissiers de justice à charge pour eux de renforcer la qualité de celle-ci », avant de souligner que cet horizon est trop lointain en raison de la faible rémunération de la signification [69].

Il nous semble qu’une solution moins radicale peut être trouvée, qui passe par l’exigence de formation des clercs significateurs. Sans doute ces clercs sont-ils en pratique formés par les commissaires de justice de l’étude qui les emploie ; bien sûr il a pu exister une formation optionnelle à leur destination, dispensée à l’époque par l’École nationale de procédure et que pourrait reprendre l’Institut national de formation des commissaires de justice. Toutefois, il n’est pas suffisant de s’en tenir à la pratique, à des formations optionnelles pour ce qui concerne une mission relevant du monopole de la profession, qu’initialement les huissiers de justice accomplissaient eux-mêmes, sauf à dévaloriser la signification et à mettre son existence en péril [70]. Une formation obligatoire devrait être dispensée aux clercs significateurs, et cette obligation pourrait être inscrite dans la loi du 27 décembre 1923. La durée de cette formation devrait être importante, supérieure à la soixantaine d’heures optionnelle qui a pu exister par le passé. Les candidats à cette profession ignorent souvent beaucoup du droit lorsqu’ils commencent à l’exercer : non seulement le droit de la signification doit leur être enseigné, mais encore la procédure civile et la procédure pénale dans lesquelles il s’insère, et au-delà les institutions judiciaires, une partie du droit substantiel et certaines exigences déontologiques. Il en va de la régularité de leurs significations, mais aussi de la qualité des informations qu’ils pourront ensuite donner au justiciable, destinataire de l’acte. S’il est donc une réforme qui devrait être affirmée d’un point d’exclamation, c’est celle-ci.


[1] Tout au plus est-il recommandé par le premier de modifier les règles de signification et de notification de la déclaration d’appel, en procédure ordinaire avec représentation obligatoire : Groupe thématique Simplification de la justice civile, Rapport remis au comité des États généraux de la justice, 1er février 2022, p. 104.

[2] Sur cette tendance, v. déjà G. Wiederkehr, Le Nouveau Code de procédure civile : la réforme permanente, in Mélanges J. Béguin, LexisNexis Litec, 2005, p. 787 et s.

[3] CPC, art. 651, al. 2 N° Lexbase : L6814H7I.

[4] Dès lors que l’ensemble des huissiers de justice en exercice auront rempli les conditions de formation à la profession de commissaire de justice, à défaut de quoi les derniers huissiers cesseront d’exercer ; v. art. 25, V, de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice N° Lexbase : L4070K8A. Dans la suite de cet article, nous utiliserons le nouveau nom de cette profession, sauf lorsqu’il sera fait mention d’anciennes jurisprudences.

[5] G. Cornu, Linguistique juridique, 3e éd., Montchrestien, 2005, no 58, p. 243.

[6] Sur ces questions, en procédure civile, v. S. Jobert, L’organisation de la connaissance des actes du procès civil, LGDJ, 2019.

[7] Ce qui ne revient pas à dire que cette signification ne mériterait pas également d’être réformée. Sur ce point, v. not. M. Dochy, La dématérialisation des actes du procès civil, Dalloz, 2021 et A. Yatera, La notification des actes du procès civil à l’ère des nouvelles technologies : proposition d’un système mixte, thèse Paris Panthéon-Assas, novembre 2021.

[8] J.-É.-M. Portalis, Discours, rapports et travaux inédits sur le Code civil, Joubert, 1844, p. 5.

[9] On pense à l’ensemble des données mises à disposition par le ministère de la Justice sur son site, dans la partie « Études et statistiques » , et l’on insistera particulièrement sur la subdivision « activité des juridictions », moins connue que d’autres mais pourtant riche de données brutes.

[10] Cass. civ. 2, 4 mars 2021, n° 19-25.291, F-P N° Lexbase : A02114KZ ; Dalloz actualité, 19 mars 2021, obs. T. Goujon- Bethan ; Procédures, n° 5, 2021, p. 15, obs. Y. Strickler.

[11] Cass. civ. 2, 2 décembre 2021, n° 19-24.170, F-B N° Lexbase : A90927D4 ; Dalloz actualité, 12 janvier 2022, obs. T. Goujon- Bethan ; obs. N. Hoffschir, Gaz. Pal., no 2, p. 45.

[12] Sur ce double objectif, v. l’interview accordée par B. Santoire à Lexbase en juin 2023 ; à 7 min et 12 s. 

[13] Il faut ici rappeler les mots de l’inspection générale des finances : « La description que la profession a faite, auprès de la mission, de l’activité de signification des actes de procédure et décisions de justice (à l’exclusion des commandements de payer) ne permet pas d’identifier la spécificité de cette activité légitimant qu’elle soit réservée aux huissiers. Une autre organisation de cette activité serait envisageable : soit la mise en place d’une délégation de l’activité à un échelon territorial large voire national à un opérateur à même de réaliser des économies d’échelles ; soit la mise en place d’une délégation spécifique d’activité consentie à un opérateur postal, réputé assurer un service public de proximité, et déjà engagé dans des transmissions de plus pour lesquels une preuve de remise est demandée (lettres recommandées) » ; Inspection générale des finances, Les professions réglementées, rapport de mars 2013, t. 1.

[14] Sur cette qualification et sa justification, v. spéc. T. Goujon-Bethan, L'office de l'huissier significateur à l'épreuve des boîtes aux lettres, Dalloz actualité, 26 septembre 2022.

[15] CPC, art. 654, al. 2 N° Lexbase : L6820H7Q.

[16] CPC, art. 654, al. 1 N° Lexbase : L6820H7Q.

[17] Pour un panorama complet, v. C. Bléry, Conditions de formation et communication des actes de procédure, in S. Guinchard (dir.), Droit et pratique de la procédure civile 2021/2022, 10e éd., Dalloz Action, 2021, n° 271.182 et s.

[18] Cass. civ. 2, 2 décembre 2021, n° 19-24.170, F-B, précitée.

[19] Précédemment, v. Cass. civ. 2, 10 novembre 2005, n° 03-20.369, FS-P+B N° Lexbase : A5081DLR ; Procédures 2006, comm. 5, obs. R. Perrot.

[20] T. Goujon-Bethan, L'office raisonnable de l'huissier significateur en cas d'absence du destinataire, Dalloz actualité, 12 janvier 2022.

[21] Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, F-B, n° 21-14.145, F-B N° Lexbase : A10288YQ ; Dalloz actualité, 13 janvier 2023, obs. T. Goujon-Bethan.

[22] Op. cit

[23] Cass. civ. 2, 28 mars 1984, no 82-16.779 N° Lexbase : A0532AAX, Bull. civ. 1984, II, no 56 ; RTD Civ. 1984, p. 558, obs. R. Perrot Mutatis mutandis, la règle vaut également pour le destinataire personne morale : Cass. civ. 2, 20 janvier 2011, n° 10-11.903, F-D N° Lexbase : A2947GQ9.

[24] Cass. civ. 2, 9 mars 1994, n° 92-18.865, Bull. civ. 1994, II, n° 88 ; Justices, 1995, n° 1, p. 237, obs. J. Heron.

[25] M. Giacopelli, note sous Cass. civ. 3, 12 mai 1993, JCP G 1994, II, 22320.

[26] T. Goujon-Bethan, L'office raisonnable de l'huissier significateur en cas d'absence du destinataire, op. cit.

[27] Que l’on doit à l’ordonnance de Moulins sur la réforme de la Justice de février 1566 : « nos huissiers ou sergens exploiteront en leurs ressorts, porteront en leur main une verge, de laquelle ils toucheront ceux auxquels ils auront charge de faire exploits de justice » ; art. 31.

[28] CPC, art. 68, N° Lexbase : L1277H43: « tous exploits seront faits à personne ou domicile ».

[29] En l’étude, l’acte n’aura pas à être remis par eux.

[30] D. D’Ambra, L’application de l’article 659 du nouveau Code de procédure civile et le procès équitable », Dr. et procédures, 2004, p. 17.

[31] Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, no 06-16.961, FS-P+B, N° Lexbase : A3069DXX, Bull. civ. 2007, II, n° 199.

[32] Cass. civ. 2, 12 octobre 1972, no 71-11981 N° Lexbase : A6804AG4, Bull. civ. 1972, II, n° 244.

[33] Cass. Com., 12 novembre 2008, no 08-12.544, F-D N° Lexbase : A2492EBW; Procédures 2009, comm. 7, obs. R. Perrot.

[34] H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t. 1, Sirey, 1961, n° 365, p. 333 et s.

[35] R. Perrot, obs. sous Cass. civ. 2, 1er juillet 1987, RTD Civ. 1988, p. 178.

[36] H. Solus et R. Perrot, op. cit., n° 365, p. 333 et s.

[37] Étant donné qu’en l’état les commissaires de justice ne sont pas confrontés à cette situation car ils n’opèrent pas ce contrôle, au contraire d’ailleurs bien souvent, et non sans paradoxe, du personnel de leurs études lorsque le destinataire vient y retirer l’acte.

[38] Articles 4 et 4-1 N° Lexbase : Z76050ME de l’arrêté du 7 février 2007 pris en application de l'article R. 2-1 du Code des postes et des communications électroniques et fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux.

[39] Ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice, JORF no 0128 du 3 juin 2016 N° Lexbase : L4070K8A.

[40] Loi du 27 décembre 1923 relative à la suppléance des huissiers blessés et à la création des clercs assermentés N° Lexbase : C29447BN, JORF no 352 du 29 décembre 1923.

[41] Sur cette question, v. de façon plus complète S. Jobert, op. cit., no141, p. 137 et s.

[42] CPC, art. 655, al. 2.

[43] Cass. civ. 3, 21 février 2001, nos 99-14.688 et n° 99-16.979 N° Lexbase : A6852C8B, Bull. civ. 2001, III, n° 18.

[44] CPC, art. 656, al. 1.

[45] Cass. civ. 2, 8 mars 2006, n° 04-19.140, FS-P+B N° Lexbase : A5014DNZ Bull. civ. 2006, II, n° 71.

[46] En ce sens, v. not. Cass. civ. 2, 12 janvier 2023, n° 21-17.842, F-D N° Lexbase : A956387C ; v. par ailleurs, ne se satisfaisant pas de la mention d’une confirmation du domicile par « le voisinage », Cass. civ. 2, 23 mars 2023, n° 21-20.131, F-D N° Lexbase : A97219KA.

[47] Rappr. Cass. civ. 2, 4 juin 2020, no 19-12.727, F-P+B+I, N° Lexbase : A05863NZ ; RTD civ., 2020, p. 701, obs. N. Cayrol : en l’espèce, il est relevé que le domicile avait été confirmé par  « la constatation de la présence de son nom sur la boîte aux lettres et la confirmation d'un voisin, dont il a indiqué le nom », mais sans manifestement ériger ce dernier point en exigence générale.

[48] J.-C. Magendie, Célérité et qualité de la justice, rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, La documentation française, 2004, p. 57.

[49] Circulaire du 2 mai 1974 relative à la rédaction des actes d’huissier de justice (modernisation du langage judiciaire ; allègement et simplification des actes ; renseignements sur les démarches et les formalités à accomplir par le justiciable ; humanisation des actes) ; JORF no 112 du 11 mai 1974, p. 5012 et s.

[50] Ibid., p. 5020.

[51] Ibid., p. 5012.

[52] V. spéc. Cass. civ. 2, 1er octobre 2020, n° 18-23.210, FS-P+B+I N° Lexbase : A49923WS ; Rev. prat. rec., 2020, p. 9, chron. O. Salati ; D., 2021, p. 491, chron. S. Lemoine et É. De Leiris ; Dalloz actualité, 30 octobre 2020, obs. A. Bolze ; D., 2021, p. 1249, note S. Jobert : « lorsqu'une partie, citée à comparaître par acte d'huissier de justice, ne comparaît pas, le juge, tenu de s'assurer de ce que cette partie a été régulièrement appelée, doit vérifier que l'acte fait mention des diligences prévues, selon les cas, aux articles 655 à 659 susvisés. A défaut pour l'acte de satisfaire à ces exigences, le juge ordonne une nouvelle citation de la partie défaillante ».

[53] Nous soulignons.

[54] Dernièrement, v. A. Bedon, La comparution : un droit. Le point de vue d’un huissier de justice, in Comparaître aujourd’hui (dir. L. Ascensi, C. Duparc et S. Jobert), Dalloz, 2023, spéc. p. 46.

[55] V. Rép. min. n° 52445, JOAN Q, 2 févr. 2010, p. 1169 ; Procédures 2010, alerte 12.

[56] CEDH, 3 novembre 2009, Davran c. Turquie, no 18342/03 N° Lexbase : A1983ENR, spéc. §45.

[57] La matière pénale était en cause, la publication de l’acte était lacunaire pour la Cour européenne et le requérant n’avait pu avoir accès à la Cour de cassation en raison de sa connaissance tardive de la décision rendue.

[58] Ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice.

[59] P. Delmas-Goyon, Le juge du 21ème siècle, rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, décembre 2013, p.88.

[60] Ibid.

[61] Bien que certains huissiers de justice aient pu procéder ainsi, ce qui a donné l’occasion à Pascal Clément, alors garde des Sceaux, ministre de la Justice, d’affirmer que « le recours systématique aux convocations par lettre simple sans se rendre auparavant au domicile de l'intéressé et à ne procéder à la notification que si les personnes se déplacent à l'étude caractérise un manquement aux règles professionnelles, passible de sanctions disciplinaires » ; V. Rép. min. n° 71377, JOAN Q, 10 janv. 2006, p. 297.

[62] Et, partant, n'a pas bénéficié d'une formation obligatoire telle celle que nous proposerons plus loin. Ce n'est pas dire que certains employés de l'étude ne seront pas compétents pour informer sur l'acte signifié ; c'est dire que la situation dépendra des cas, ce qui est discutable.

[63] La règle vaudrait aussi lorsqu’est réalisée une signification à personne, l’article 658, alinéa 2, prévoyant aussi l’envoi d’une lettre simple dans ce cas.

[64] Ch. mixte, 6 octobre 2006, N° Lexbase : A5094DR4 n° 04-17070, Bull. civ. 2006, Ch. mixte, n° 8 ; D., 2006, p. 2547, note V. Avena- Robardet ; Procédures, 2007, comm. 58, obs. R. Perrot ; Gaz. pal., 2007, n° 187, p. 22, obs. E. Du Rusquec.

[65] Art. 6 de la loi du 27 décembre 1923 relative à la suppléance des huissiers blessés et à la création des clercs assermentés N° Lexbase : C29507BU.

[66] Une décision assez récente de l’autorité de la concurrence en recense huit, à Paris, dans les Hauts-de-Seine, dans le Val-de-Marne, en Seine-Saint-Denis, à Bordeaux, dans le Rhône, à Marseille et à Valence ; Autorité de la concurrence, 13 janvier 2022, décision n° 22-D-02 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des huissiers de justice, §16.

[67] Ibid., §16.

[68] D. Collard, Ce que “signifier” veut dire : le cas des clercs du Bureau de Signification de Paris, in pratiques juridiques et écrit électronique : le cas des huissiers de justice, rapport final, 2005, p. 22.

[69] A. Bedon, op. cit., spéc. pp. 47-48.

[70] On observera que, dans son court paragraphe sur « le monopole des huissiers sur la signification des actes de procédure et décisions de justice », l’Inspection générale des finances consacre l’essentiel de ses développements aux bureaux communs, avant de recommander que l’activité de signification ne soit plus réservée aux huissiers de justice ; Les professions réglementées, op. cit., p. 25.

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Procédures fiscales

[Brèves] Défaut de notification des actes à tous les redevables solidaires : quelles conséquences sur la procédure ?

Réf. : Cass. com., 30 août 2023, n° 20-23.653, FS-B+R N° Lexbase : A31331ER

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N6875BZN

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par Marie-Claire Sgarra

Le 27 Septembre 2023

Le défaut de notification de la décision de rejet de la réclamation contentieuse à l'un des débiteurs solidaires de la dette fiscale n'entraîne pas l'irrégularité de l'ensemble de la procédure engagée par l'administration fiscale, ni la décharge des droits mais remet uniquement les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la notification irrégulière.

Les faits. Par deux actes authentiques les requérants ont donné à leurs enfants l'usufruit d'actions de la société [M] holding. L'administration fiscale a adressé aux parents des propositions de rectification portant sur les droits d'enregistrement au titre de ces donations.

Procédure. Après avis de mise en recouvrement (AMR), les parents ont formé une réclamation qui a été rejetée par l'administration fiscale et ont assigné cette dernière en annulation de ces décisions et en décharge des droits mis en recouvrement.

Principe. Aux termes de l’article 1705 du CGI N° Lexbase : L3350HMZ, les droits des actes à enregistrer ou à soumettre à la formalité fusionnée sont acquittés par les parties, pour les actes sous signature privée qu'elles ont à faire enregistrer.

En cause d’appel, après avoir retenu que l'administration fiscale ne justifie pas avoir adressé la lettre de notification du rejet de la réclamation des époux à la dernière adresse connue, l'arrêt déclare irrégulière l'ensemble de la procédure de redressement engagée contre les époux requérants, et ordonne la décharge des droits, intérêts de retard et majorations.

À tort selon la Chambre commerciale qui énonçant la solution susvisée amène quelques précisions :

  • le respect de la procédure contradictoire et la loyauté des débats impliquent que les actes suivant la proposition de rectification soient notifiés par l'administration fiscale dès leur établissement au cours de la procédure administrative à tous les débiteurs solidaires afin que ceux-ci puissent participer de façon utile à la procédure 
  • l'irrégularité résultant du défaut de notification d'un acte de la procédure administrative à tous les redevables solidaires n'atteint la procédure, à quelque stade que celle-ci se trouve, qu'après l'acte qui n'a pas fait l'objet d'une notification régulière
  • lorsque l'irrégularité intervient au cours de la procédure de rectification, le défaut de notification d'un acte à tous les redevables solidaires entraîne l'irrégularité des actes subséquents, l'annulation de l'acte de mise en recouvrement (AMR) et la décharge des droits et pénalités
  • en revanche, lorsque l'irrégularité intervient au cours de la phase contentieuse préalable, celle-ci, postérieure à l'AMR, ne saurait entraîner la décharge des droits et pénalités.

Dès lors, le défaut de notification de la décision de rejet de la réclamation contentieuse à l'un des débiteurs solidaires de la dette fiscale n'entraîne pas l'irrégularité de l'ensemble de la procédure engagée par l'administration fiscale, ni la décharge des droits mais remet uniquement les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la notification irrégulière.

À noter. La Chambre commerciale a rendu une solution similaire dans une décision du même jour (Cass. com., 30 août 2023, n° 21-12.307, F-B+R N° Lexbase : A31301EN).

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Salaire

[Brèves] Mi-temps thérapeutique : quel salaire prendre en compte pour le calcul de l’assiette de participation ?

Réf. : Cass. soc., 20 septembre 2023, n° 22-12.293, FS-B N° Lexbase : A22241HT

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N6842BZG

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par Lisa Poinsot

Le 19 Novembre 2023

La période pendant laquelle un salarié, en raison de son état de santé, travaille selon un mi-temps thérapeutique doit être assimilée à une période de présence dans l’entreprise, de sorte que le salaire à prendre en compte pour le calcul de l’assiette de la participation due à ce salarié est le salaire perçu avant le mi-temps thérapeutique et l’arrêt de travail pour maladie l’ayant, le cas échéant, précédé.

Faits et procédure. Une salariée saisit la juridiction prud’homale d’une demande de paiement de rappel de prime de participation au titre de sa période de travail à mi-temps thérapeutique en exécution de l’accord de participation de la société.

La juridiction prud’homale constate que la salariée a été victime le 4 mai 2015 d’un accident de travail. Elle est placée par la suite en arrêt de travail du 4 mai au 6 décembre 2015. Elle reprend le travail en mi-temps thérapeutique du 6 décembre 2015 au 8 août 2016.

De ces constatations, le conseil de prud’hommes juge qu’il y a lieu de tenir compte des heures non travaillées dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique pour le calcul de la prime de participation. Il condamne l’employeur à payer à la salariée un rappel de prime de participation pour les années 2015-2016 au titre de la période de travail en mi-temps thérapeutique.

L’employeur forme un pourvoi en cassation en soutenant qu’aux termes de l’article 5.2 de l’accord de participation de la société, seules les heures de travail effectif et/ou assimilées du salarié sont prises en compte pour le calcul du droit individuel de chaque salarié. Il argue que cet article ne mentionne pas, parmi les heures devant être assimilées, au sens de l’accord de participation, à des heures de travail effectif, les heures non travaillées dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi sur le fondement de l'article L.1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L0918MCY, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 N° Lexbase : L5073IZW, de l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 N° Lexbase : Z10511PU, de l’article L. 3322-1 N° Lexbase : L7667LQZ, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 N° Lexbase : L3415LQK, et de l’article L. 3324-5 du Code du travail N° Lexbase : L6535LQ4, dans sa rédaction antérieure à la même loi.

Pour aller plus loin :

  • v. fiche pratique, FP193, Mettre en place la participation, Rémunération et avantages N° Lexbase : X2790CQE ;
  • v. ÉTUDE : La participation aux résultats de l’entreprise, Le calcul de la réserve spéciale de participation – RSP, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E1017ETT ;
  • v. aussi ÉTUDE : L’inaptitude médicale au poste de travail du salarié à la suite d’une maladie non professionnelle, Le mi-temps thérapeutique du salaire malade, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3288ETX.

 

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Sociétés

[Jurisprudence] Prorogation d’une société : premières précisions sur les conditions de la « session de rattrapage »

Réf. : Cass. com., 30 août 2023, n° 22-12.084, F-B N° Lexbase : A31371EW

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par Thierry Favario, Maître de conférences, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 27 Septembre 2023

Mots-clés : société • prorogation • régularisation • unanimité • associé • bonne foi
 
Quelle que soit la raison pour laquelle la consultation des associés à l’effet de décider si la société doit être prorogée n’a pas eu lieu, le président du tribunal, statuant sur requête à la demande de tout associé dans l’année suivant la date d’expiration de la société, peut constater l’intention des associés de proroger la société et autoriser la consultation à titre de régularisation dans un délai de trois mois. Lorsque les statuts de la société prévoient que la prorogation peut être décidée à la majorité qu’ils fixent, il suffit au président de constater que des associés représentant au moins cette majorité ont l’intention de proroger la société.

1. Étourderie, oubli, mais aussi vindicte ou mauvaise volonté du dirigeant : peu importe la raison pour laquelle la société n’a pas été prorogée dans les temps, la « session de rattrapage » instituée par la loi dite « Soihili » du 19 juillet 2019 [1] lui paraît largement accessible. Tel est l’enseignement de l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, ci-dessus référencé, qui délivre ainsi ses premières vérités sur les conditions d’application de l’article 1844-6, alinéa 4, du Code civil N° Lexbase : L2413LRS.

2. Les faits de l’espèce sont simples. Un groupement foncier agricole (GFA) est constitué le 12 octobre 1979 pour une durée de quarante ans. Son terme est donc fixé au 12 octobre 2019. Les membres du GFA ne l’ont pas prorogé dans les temps (C. civ., art. 1844-6) si bien que le groupement encourt la dissolution par la survenance du terme (C. civ., art. 1844-7, 1° N° Lexbase : L7356IZH). C’était sans compter la « session de rattrapage » que propose désormais l’article 1844-6, alinéa 4, du Code civil. Un associé saisit donc sur requête le président du tribunal judiciaire, compétent en raison de la nature civile du groupement. Le président constate que les associés ont l’intention de proroger le groupement et autorise la consultation de ceux-ci à titre de régularisation dans un délai de trois mois. Un grain de sable grippe la machine : un des associés, M. X., arguant de la mauvaise foi de ses coassociés, demande en effet la rétractation de cette décision, laquelle est toutefois rejetée par la cour d’appel [2]. Son arrêt donne lieu à un pourvoi en cassation.

Pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation est donc appelée à se prononcer sur certaines des conditions d’application de l’article 1844-6, alinéa 4. Ses mots auront une portée générale : le GFA est une société civile (C. rur., art. L. 322-1 N° Lexbase : L3802AEK) et ledit article relève du droit commun des sociétés. Le moyen développe deux griefs distincts : le premier est relatif à la condition générale d’application de ce texte, lequel serait réservé aux seuls associés ayant omis « de bonne foi » de proroger la société. Or, il semble qu’en l’espèce une convocation des associés aux fins de statuer sur la prorogation a bien été envoyée dans les temps mais que l’assemblée ne s’est jamais tenue. Autrement écrit, l’absence de décision en amont l’avait été sciemment, excluant toute bonne foi de la demande de régularisation en aval. Le second concerne les modalités d’appréciation de « l’intention des associés de proroger la société », le demandeur soutenant que celle-ci suppose l’unanimité des associés. La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle affirme que, « quelle que soit la raison pour laquelle la consultation des associés à l’effet de décider si la société doit être prorogée n’a pas eu lieu, le président du tribunal […] peut constater l’intention des associés de proroger la société et autoriser la consultation à titre de régularisation dans un délai de trois mois. Lorsque les statuts de la société prévoient que la prorogation peut être décidée à la majorité qu’ils fixent, il suffit au président de constater que des associés représentant au moins cette majorité ont l’intention de proroger la société ». Respectant tant la lettre que l’esprit du texte, l’arrêt énonce deux solutions, l’une libérale (I), l’autre logique (II).

I. Une solution libérale

3. « Quelle que soit la raison […] » : difficile d’envisager formule plus libérale ! Le président du tribunal saisi doit se borner à constater que la consultation des associés sur une éventuelle prorogation de la société, laquelle doit intervenir un an au moins avant la date d’expiration de celle-ci (C. civ., art 1844-6, al. 2), « n’a pas eu lieu ». L’appréciation du magistrat s’arrête au seuil du « pourquoi ? » soit les raisons pour lesquelles cette consultation n’a pas eu lieu. La solution, libérale, est parfaitement justifiée… quoique.

4. Elle l’est si l’on se réfère à la lettre de la loi. Celle-ci n’évoque en effet aucune condition relative aux raisons du défaut de consultation des associés. L’arrêt sous examen refuse donc logiquement de réserver l’exercice du droit fondé sur l’article 1844-6, alinéa 4, du Code civil aux omissions « de bonne foi », soit les oublis, étourderies qu’il conviendrait de régulariser. Retenir la solution inverse aurait effectivement pu s’analyser comme l’ajout à la loi d’une condition que celle-ci ne contient pas : c’est l’argument de la cour d’appel. Le « hic », si l’on ose écrire, est que la lettre de la loi ne coïncide pas exactement avec l’intention première de son promoteur. Lorsqu’il dépose, le 4 août 2014, sa proposition de loi dite de « simplification, de clarification et d’actualisation du code de commerce », appelée à devenir la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019, M. Soilihi présente en effet son article 9 – lequel amende l’article 1844-6 du Code civil – comme visant « à permettre la prorogation d’une société lorsque ses associés ont, de bonne foi, omis de la proroger avant sa date d’expiration et expriment l’intention de la continuer ». Le sénateur poursuit en relevant que la prorogation « constitue une formalité parfois oubliée par les associés » [3]. Bonne foi, oubli… la « session de rattrapage » paraît concerner, dans l’esprit de son concepteur, des cas bénins. L’article 9 de la proposition de loi est cependant – pratiquement – identique à l’actuel article 1844-6, alinéa 4, du Code civil. Force est donc de constater un hiatus entre l’intention de l’auteur et sa traduction dans la loi. Le rapport au Sénat, s’appropriant les termes de M. Soihili, relaie du reste l’exigence de « bonne foi » [4]. Elle disparaît cependant dans le rapport présenté à l’Assemblée nationale [5] alors que celle de « sécurité juridique » fait son apparition. La condition de « bonne foi » disparaît ainsi au fil du sinueux parcours parlementaire de la proposition de loi.

5. Ce changement de pied – l’évaporation de la « bonne foi » et l’apparition de l’exigence de « sécurité juridique » – est opportun en ce qu’il restitue à l’article 1844-6, alinéa 4, du Code civil, sa raison d’être. La consultation en amont des associés en vue d’une éventuelle prorogation de la société est évidemment l’occasion d’une discussion sur son devenir ; elle l’est donc dans l’intérêt des associés qui peuvent mesurer l’exposition de leur risque et décider le cas échéant d’arrêter l’aventure entrepreneuriale. Un éventuel « oubli » devrait s’analyser en une affaire interne à la société, si bien que le comportement des associés pourrait être scruté pour faire obstacle à la demande de régularisation. Le défaut de consultation dans le délai légal et la dissolution qu’il postule dépasse cependant cet intérêt : il fragilise également les tiers ayant contracté avec la société sans avoir pris la précaution de consulter son Kbis. En d’autres termes, on retrouve ici la dualité de la société, contrat et personne morale : en rejetant la thèse conditionnant la demande de régularisation à un défaut de consultation des associés « de bonne foi », la Cour de cassation refuse au fond d’importer dans un débat intéressant la continuité de la société, personne morale, des considérations liées à un conflit entre associés. Il s’agit en effet de deux problématiques distinctes qui trouveront chacune des solutions appropriées : ici, assurer la continuité d’une société dans l’intérêt des associés et des tiers si les conditions en sont réunies ; là, régler un conflit entre associés en recourant aux ressources qui s’offrent habituellement en pareil cas (possibilité du retrait, rachat des parts sociales, demande de dissolution en justice, action en responsabilité civile contre les coassociés…). Il n’empêche qu’un commentateur averti avait estimé que « la procédure de régularisation devrait être fermée chaque fois que l’omission de la prorogation ne procède pas d’un comportement de bonne foi des associés et que la procédure est finalement instrumentalisée » [6]. C’est réserver l’hypothèse de la fraude. De fait, cette dernière « corrompt tout », y compris, il nous semble, la procédure de régularisation de l’article 1844-6, alinéa 4, du Code civil.

6. Le caractère libéral de la solution adoptée par la Cour de cassation est donc en parfaite cohérence avec la lettre et l’esprit final d’une règle légale instituée dans un intérêt qui dépasse celui des seules relations entre associés. On regrettera simplement que la Cour n’ait pas réservé – mais cela va de soi – le cas de la fraude.

II. Une solution logique

7. Pour la consultation « d’après », on fera comme si c’était celle « d’avant ». Louable pragmatisme de la Cour de cassation ! Une solution pragmatique qui ne s’imposait au vrai pas avec la force de l’évidence au regard de la lettre de l’article 1844-6, alinéa 4, du Code civil… quoique.

8. Le texte impose en effet au président du tribunal de constater « l’intention des associés de proroger la société ». Il est toutefois muet s’agissant des conditions de cette constatation. La doctrine en avait immédiatement soulevé les difficultés pratiques [7]. À défaut de précision légale, le demandeur au pourvoi sollicitait donc le constat d’une unanimité des associés en faveur de la prorogation de la société. Cette analyse lui conférait un « droit de dissoudre » la société dont il aurait été dépourvu si la consultation des associés avait eu lieu régulièrement. La Cour de cassation opte pour une lecture différente de l’alinéa 4 en l’interprétant en contemplation de l’alinéa 1er de l’article 1844-6 du Code civil, qui dispose que « la prorogation de la société est décidée à l’unanimité des associés ou, si les statuts le prévoient, à la majorité prévue pour la modification de ceux-ci ». Lecture séduisante qui suppose cependant de lier intellectuellement les deux alinéas. Le lien est en réalité aisé à établir : la décision relative à la prorogation de la société qu’envisage l’alinéa 1er implique une consultation des associés selon les modalités que prévoient les alinéas 2 et 3 de ce même article 1844-6. En visant « la consultation [qui] n’a pas eu lieu », l’alinéa 4 fait évidemment référence à celle que régissent les trois alinéas précédents : s’agissant de la même consultation, il n’y a pas lieu d’établir un régime juridique distinct selon qu’elle est intervenue avant ou après le terme de la société. La Cour de cassation est donc parfaitement légitime à affirmer que « lorsque les statuts de la société prévoient que la prorogation peut être décidée à la majorité qu’ils fixent, il suffit au président de constater que des associés représentant au moins cette majorité ont l’intention de proroger la société ». La solution adoptée est logique.

9. Il convient toutefois de souligner que la requête déposée auprès du président du tribunal risquera d’être rejetée en raison de la difficulté à prouver l’intention des associés de proroger la société. Le président se borne en effet à la « constater » : l’intention doit s’imposer avec la force de l’évidence. Il autorise une consultation « à titre de régularisation » : il ne saurait donc il y avoir d’aléa concernant l’issue du vote des associés. Autant de considérations qui pèsent sur l’exigence de la preuve de l’intention des associés et qui, en cas de doute, pourraient conduire au rejet par le président de la requête de l’associé. L’attention est donc appelée sur le soin particulier à prouver la réalité de l’intention des associés. Il avait en ce sens été conseillé de « bien prendre en compte la répartition du droit de vote entre les associés et [de] présenter au juge un tableau récapitulant la position de chacun des associés au regard d’une éventuelle prorogation de la société » [8]. La technique employée in casu mérite donc attention en ce qu’elle pourrait inspirer les praticiens. L’article 21 des statuts du GFA prévoyait que la décision de proroger ce dernier devait être adoptée par la majorité en nombre des associés représentant au moins les trois quarts du capital social. La requête est étayée par un procès-verbal d’huissier de justice du 22 septembre 2020 qui mentionne que quatre associés sur cinq, représentant 273 parts sur 303, sont favorables à la prorogation. La preuve de l’intention des associés de proroger la société est ici indéniablement rapportée : elle respecte les conditions qu’imposent les statuts du GFA, auxquels il convenait de se référer en application de l’article 1844-6, alinéa 1er, du Code civil par renvoi de l’alinéa 4 du même texte.

10. En conclusion, ce premier arrêt balise avec une rare clarté les conditions d’application d’un texte dont le sens se saisit aisément mais qui recèle tout de même quelques chausse-trappes. Par cette décision, la Cour de cassation en facilite l’application et la compréhension. Ne nous y trompons cependant pas : les principales difficultés restent à venir. La Haute juridiction a clarifié la première phrase de l’alinéa 4 de l’article 1844-6 du Code civil ; or, la seconde comprend son lot de pièges [9]. Qu’on en juge : « si la société est prorogée, les actes conformes à la loi et aux statuts antérieurs à la prorogation sont réputés réguliers et avoir été accomplis par la société ainsi prorogée ». Nul doute que l’on plaidera sur la question de l’acte « conforme ». À suivre donc.


[1] Loi n° 2019-744, du 19 juillet 2019, de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés N° Lexbase : L1638LR4, Lexbase Affaires, septembre 2019, n° 605 N° Lexbase : N0302BYT.

[2] CA Nançy, 3 janvier 2022, n° 21/01359 N° Lexbase : A69627HC.

[3] M. Soihili, proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du Code de commerce, enregistrée à la présidence du Sénat le 4 août 2014 [en ligne]

[4] Rapport n° 657 de A. Reichardt, déposé le 1er juin 2016 [en ligne], spéc. p. 40.

[5] Rapport n° 1771 de T. Degois, déposé le 20 mars 2019 [en ligne], spéc. p. 26.

[6] A. Lecourt, Simplifier, clarifier et actualiser le droit des sociétés : les minoritaires sacrifiés sur l'autel du libéralisme ?, RTD. com., 2019, 903 ; adde R. Mortier, Prorogation de société, Institution d’une procédure de régularisation de la prorogation d’une société (C. civ., art. 1844-6, al. 4 mod. et al. 5 nouveau), Dr. soc., 2019, comm. 165.

[7] Ph. Emy et B. Saintourens, Les dispositions de la loi du 19 juillet 2019 relatives à toutes les sociétés, aux sociétés civiles et aux SARL, Rev. soc., 2019, n° 20, p. 655.

[8] Ph. Emy et B. Saintourens, Les dispositions de la loi du 19 juillet 2019 relatives à toutes les sociétés, aux sociétés civiles et aux SARL, préc.

[9] Adde : N. Kilgus, Proroger par-delà l'expiration de la société : propos critiques, D., 2019, p. 1899.

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Voies d'exécution

[Brèves] Saisie de droits incorporels et mise à prix : transmission au Conseil constitutionnel d’une QPC

Réf. : Cass. QPC, 12 septembre 2023, n° 23-12.267, F-D N° Lexbase : A82681GC

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 28 Septembre 2023

► La Cour de cassation renvoie au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité dénonçant l’absence de disposition législative n’instituant ou organisant de recours du débiteur, en cas de saisie mobilière de ses droits incorporels, pour contester le montant de la mise à prix devant le juge de l’exécution.

Les faits. Une société a fait procéder à la saisie des droits incorporels détenus sa débitrice dans une société civile immobilière (SCI). La débitrice a assigné sa créancière devant un juge de l’exécution en contestation du montant de la mise à prix des parts sociales saisies. Elle a été déclarée irrecevable en contestation. La cour d’appel a confirmé la décision (CA Bordeaux, 3 novembre 2022, n° 22/01236 N° Lexbase : A02918SL).

À l’occasion de son pourvoi formé à l’encontre de cet arrêt, la demanderesse sollicite le renvoi au Conseil constitutionnelle une question prioritaire de constitutionnalité, relative à l’absence de disposition législative n’instituant ou organisant de recours du débiteur, en cas de saisie mobilière de ses droits incorporels, pour contester le montant de la mise à prix devant le juge de l’exécution.

La QPC. Ci-après reproduite la partie de l'arrêt relative à la question prioritaire de constitutionnalité :

« relative à la conformité des articles L. 213-6 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L5850IR4, et des articles L. 231-1 N° Lexbase : L5861IRI et L. 233-3 du même code composant du titre III " La saisie des droits incorporels " du livre II " Les procédures d'exécution mobilière ", à l'article 34 de la Constitution relatif à la compétence du législateur, au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et au droit au recours garanti par l'article 16 du même texte, en tant que ces dispositions, entachées d'incompétence négative, ne prévoient pas de possibilité pour le saisi, en matière de saisie mobilière de droits incorporels, de contester devant le juge de l'exécution le montant de la mise à prix ».

La décision. La Cour de cassation relève que si en matière de saisie immobilière, pour la vente par adjudication, l'article L. 322-6 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L5884IRD, le débiteur dispose d’un recours lui permettant, en cas d'insuffisance manifeste du montant de la mise à prix, de saisir le juge afin de voir fixer une mise à prix en rapport avec la valeur vénale de l'immeuble et les conditions du marché ; cette possibilité de recours n'existe pas en cas de saisie de droit incorporels.

Les Hauts magistrats énoncent : « à défaut de disposition législative instituant, en matière de vente sous forme d'adjudication des droits incorporels, un recours effectif du débiteur sur le montant de la mise à prix, lequel est fixé unilatéralement par le créancier poursuivant, la question d'une éventuelle méconnaissance par le législateur de sa propre compétence est susceptible de se poser au regard des droits et libertés garantis par les articles 2, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ». Dès lors, la question posée présentant un caractère sérieux, la Cour de cassation décide de renvoyer la question aux Sages.

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