La lettre juridique n°605 du 19 mars 2015 : Éditorial

Service en ligne de résolution de litiges et association de consommateurs : tomber de Charybde en Scylla

Lecture: 5 min

N6496BU7

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Service en ligne de résolution de litiges et association de consommateurs : tomber de Charybde en Scylla. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/23622941-la-lettre-juridique-n-605-du-19-mars-2015
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 19 Mars 2015


Depuis plusieurs années, maintenant, se sont développés plusieurs sites en ligne de résolution des litiges amiables ou accompagnant le justiciable auprès des tribunaux devant lesquels la représentation par un avocat n'est pas obligatoire. Pour les avocats, ces sites transgressent le monopole judiciaire dont ils bénéficient (encore), puisque même si la représentation par un avocat n'est pas obligatoire devant les juridictions de proximité, pour les litiges de moins de 4 000 euros ou devant les conseils de prud'homme, nul doute que l'accompagnement dans les démarches nécessaires se fait dans le cadre d'un conseil personnalisé. Ces sites rétorquent que bien qu'à la lisière, ils ne pénètrent pas dans la forêt domaniale des avocats, puisque l'accompagnement s'opère dans le cadre de démarches standardisées. Le premier contentieux d'importance s'est soldé le 13 mars 2014 par une relaxe du gérant à qui il était reproché, sans être régulièrement inscrit au barreau, d'avoir assisté ou représenté des parties devant les juridictions ou organismes juridictionnels en mettant en place un site "demanderjustice.com" et un autre site "saisirlesprud'hommes.com", destinés moyennant rémunération, à réaliser les formalités de saisine de ces juridictions ; seule la saisine de juridictions pour lesquelles le ministère d'avocat n'est pas obligatoire étant concernée.

Les juges parisiens soulignaient, d'abord, qu'il s'agissait de la saisine de juridictions pour lesquelles le ministère d'avocat n'était pas obligatoire ; ensuite, que, selon l'article 411 du Code de procédure civile, le mandat de représentation consiste à pouvoir accomplir au nom du mandant les actes de la procédure ; enfin, que selon l'article 412 du Code de procédure civile la mission d'assistance permet de conseiller une partie et de présenter sa défense. Le TGI a donc vérifié, in concreto, par l'analyse des sites en cause ("demanderjustice.com" et "saisirlesprud'hommes.com") et, à travers l'enquête diligentée par le ministère public, si ces sites accomplissaient au nom de la partie des actes de procédure ou si des conseils lui étaient donnés ou si le site préparait la défense de cette même partie. De cette étude, il ressortait que ces sites offraient une prestation de services consistant à agréger des renseignements tirés de différents autres sites (parfois du site du ministère de la Justice), qu'ils proposaient une mise en forme informatique du remplissage par le plaignant du dossier (comme le proposent de nombreux sites administratifs sur des imprimés Cerfa), ainsi qu'une prestation de services consistant à apposer une signature électronique sur la saisine du tribunal et un envoi postal. Ainsi, pour les juges parisiens, ces sites remplissent la tâche qu'ils se fixent en page de garde du site à savoir de permettre à une personne de saisir une juridiction où le ministère d'avocat n'est pas obligatoire sans se déplacer et sans assistance. En conséquence, le gérant mis en cause n'avait pas, selon le TGI assisté ou représenté des parties devant les juridictions ou organismes juridictionnels en mettant en place des sites litigieux, destiné moyennant rémunération à réaliser les formalités de saisine de ces juridictions, sans être régulièrement inscrit au barreau.

On sait qu'il s'agit là d'un simple épisode de la bataille judiciaire ainsi engagée au nom de la lutte légitime de la profession d'avocat contre les "braconniers du droit". Leur crainte de voir se dévoyer les exceptions à leur monopole d'auxiliaire de justice, monopole instauré au nom de la sécurité juridique des justiciables, dans le cadre du développement de services en ligne, à travers lesquels la frontière entre conseil et simple documentation est si ténue qu'elle est facilement transgressable voire transgressée, était bel et bien fondée. Et il s'agira alors de convaincre les magistrats du bien-fondé de leur craintes et des attaques au monopole judiciaire comme les avocats les ont convaincu progressivement d'une atteinte, à titre principal, de certains organismes OPQCM, au monopole en matière de conseil et de rédaction d'acte.

Parallèlement, on se souvient que la loi "Hamon" a introduit une action de groupe à la française qui, exception hexagonale oblige, exclut quasiment les avocats de la conduite de telles actions. Ce sont bel et bien les associations de consommateurs agréées qui sont à l'initiative de telles actions et elles peuvent au même titre que les justiciables lambdas se passer de la représentation d'un avocat devant certaines juridictions et sous les mêmes conditions. Les avocats ont exprimé d'abord leur désapprobation lors du vote de la loi puis leur crainte d'une captation des actions de groupe par 8 associations de consommateurs, quand il s'agissait, officiellement, d'éviter la captation de ces mêmes actions par... 58 000 avocats ! Et, les choses pourraient même empirer au regard des récents amendements déposés lors de l'examen du projet de loi "santé", visant à introduire, dans ce domaine également, le principe de l'action de groupe. 

D'abord, Scylla qui incarne la mort certaine, ensuite Charybde qui symbolise le "tout ou rien", la mort pour tous ou la vie pour tous. Et voici que les avocats tombent de Charybde en Scylla, avec l'alliance d'une association de consommateurs avec un site en ligne de résolution des litiges. Pour les consommateurs qui ont un petit (jusqu'à 4 000 euros tout de même) litige avec un professionnel, l'association se propose de les renvoyer vers un site en ligne amiable ou accompagnant le justiciable auprès des tribunaux compétents. Les associations de consommateurs avaient donc déjà la main-mise sur l'action de groupe qui peut ne concerner, au demeurant, qu'un seul consommateur (sic) ; voici qu'elles font la promotion de services concurrentiels aux avocats en précisant toute de même que "Quand le litige présente une complexité juridique importante, il peut être cependant préférable d'avoir recours à un avocat" : on notera la formule putative, ne conditionnant pas nécessairement les services d'un avocat à la complexité de l'affaire ; où est la sécurité juridique des justiciables ? S'il est tout à fait possible de saisir le juge soi même, l'association souligne, encore, que le service en ligne ainsi promu est "utile" si le consommateur "n'a pas ou peu de connaissance juridique", "dispose de peu de temps à consacrer à cette démarche" ou "souhaite un minimum de réassurance', ici apportée par la présence d'une association de consommateurs agréée". Méfie-toi de tes ennemis, mais méfie-toi encore plus de tes amis ! L'association avoue tout de go au sujet de son nouveau partenaire que le service convient justement à un justiciable qui "n'a pas ou peu de connaissance juridique"... Ce faisant comment peut-il effectuer les démarches nécessaires sans qu'à un moment donné on ne lui explique, on ne lui conseille pas telle ou telle voie ?

Le Règlement européen du 21 mai 2013 prévoit certes la mise en place d'une plateforme européenne de règlement en ligne des litiges des consommateurs, à compter de 2016 ; un service permettant un règlement, par voie extrajudiciaire, des litiges en ligne entre consommateurs et professionnels, pour que les consommateurs de l'Union européenne puissent bénéficier de moyens de recours plus rapides, moins onéreux et plus accessibles qu'une procédure judiciaire pour régler en ligne leur litige lié à un achat sur internet. Mais il s'agit d'une démarche purement extrajudiciaire et étatique. Rien à voir avec ce nouveau partenariat ainsi constitué.

Point besoin pour les avocats de traverser le détroit de Messine... Ils peuvent bien se garder à droite et se garder à gauche, même quand la crainte veille, il arrive ce qui était à craindre, contrairement à ce qu'enseigne Lao-Tseu. Charybde associée à Scylla, que restera-t-il du monopole judiciaire des avocats ? Le combat est homérique, mais Ulysse finira par dépasser les eaux troubles : est-ce là l'Odyssée des avocats ?

newsid:446496

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.