Lexbase Fiscal n°537 du 25 juillet 2013 : Fiscalité des entreprises

[Projet, proposition, rapport législatif] Relation de confiance entre l'administration et les entreprises : in Bercy, we trust ?

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 25 Juillet 2013

Dans toute relation, la confiance, ça se mérite. La société individualiste que nous connaissons aujourd'hui a créé un état d'esprit dans lequel, si les gens se méfient des uns des autres, ils ont aussi cruellement besoin de pouvoir faire confiance à l'autre. Comment faire naître un sentiment de confiance dans une relation dans laquelle elle n'existe pas a priori ? En rassurant. La relation entre l'administration fiscale et l'entreprise contribuable est encore plus tendue qu'entre deux individus personnes physiques. En effet, en France, la pression fiscale est très forte (1), et les contribuables ressentent souvent de la contrariété à payer l'impôt. C'est le problème du consentement à l'impôt, qui est très peu partagé dans notre pays. De l'autre côté, l'administration fiscale doit gérer un système d'imposition basé, en grande partie, sur le mode déclaratif. Cette modalité repose sur la confiance qu'a l'Etat en ses contribuables, et sur la présomption selon laquelle ils vont déclarer correctement leurs revenus et payer leurs impôts. Mais comme le consentement à l'impôt n'est pas une notion très prisée des Français, cette confiance dans la déclaration fiscale s'est effilochée. Désormais, et cela est encore plus vrai aujourd'hui, l'administration traque les fraudeurs, avec l'appui du ministère de l'Economie (2). Ces derniers sont pointés du doigt, flagellés sur la place publique, ce qui alimente la défiance entre administration et contribuables. Consciente de cette relation très dégradée, Bercy a souhaité faire un effort. Elle s'est inspirée du modèle anglo-saxon, qui a institué un dialogue entre son Trésor public et ses contribuables (3). C'est ainsi que, le 1er juillet 2013, l'administration fiscale française a présenté à un public récalcitrant la relation de confiance (4) qu'elle se propose de mettre en place avec lui, sur la base du volontariat. Fondée sur la sécurité (on retrouve le critère "rassurant") et la réciprocité, la relation de confiance est une proposition de transparence entre l'administration et le contribuable (plus précisément, 20 entreprises volontaires), de la part de la première par le biais d'un diagnostic fiscal complet et opposable, de la part du second par la communication de toutes pièces indispensables à un tel diagnostic.

Alors, sincère main tendue ou coup de poignard dans le dos ? Tâchons de le découvrir...

I - L'information, pierre angulaire de la relation

Quand l'administration fiscale fait du marketing, cela donne un dépliant informatif utilisant comme image sur sa première page, une porte ouverte sur une lumière blanche aveuglante. Sans se mettre dans la peau d'un critique d'art, l'image du paradis renvoyée par cette représentation frappe l'esprit : une relation paradisiaque avec l'administration ? Ambitieux... Quoiqu'il en soit, le projet de Bercy pourrait séduire les entreprises, s'il n'y avait ce petit bémol, point d'ancrage de la relation de confiance : la porte ouverte à l'information.

A - L'information, c'est le pouvoir

La première fois que les avocats ont entendu parler de cette initiative de l'administration fiscale, en janvier 2013, ils ont souri. Lorsque l'administration leur a présenté son projet plus en détail, ils ont ri. Devant leurs clients, dans des conférences, ils ont mentionné ce projet, en plaisantant. Mimant les services de l'Etat, ils ont ironiquement minimisé l'aspect "informatif" de la relation de confiance.

Cette attitude démontre bien la méfiance tenace des contribuables et de leurs conseils face à l'administration fiscale. En effet, à l'heure où il est question de transparence et de fraude à chaque fois que le terme "impôt" est prononcé, demander à un contribuable une information que ce dernier est forcé de donner, dans une relation dite de "confiance", est interprété comme une menace.

Aujourd'hui, l'administration dispose déjà de nombreuses informations (5) :

- déclaration spéciale de résultats ;
- déclaration des traitements et salaires ;
- déclaration des pensions et rentes viagères ;
- déclaration des commissions, courtages, ristournes et honoraires ;
- déclaration des droits d'auteur ou d'inventeur ;
- déclaration relative à la participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue ;
- déclaration relative à la participation des employeurs à l'effort de construction ;
- déclaration de contrats de prêts ;
- déclarations récapitulatives des opérations sur valeurs mobilières et des revenus de capitaux mobiliers ;
- déclarations particulières accompagnant le versement au comptable public des prélèvements sur les produits de placements à revenu fixe ;
- déclaration des rémunérations d'associés et des parts de bénéfices ;
- déclaration de l'affectation des voitures de tourisme ;
- relevé des dépenses d'acquisition d'éléments d'actif des entreprises de presse ;
- relevé de frais généraux ;
- déclaration relative à la taxe sur les véhicules des sociétés ;
- déclaration relative à la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d'assurance de dommages ;
- déclarations et états relatifs aux crédits et réductions d'impôts ;
- déclaration des comptes ouverts, utilisés ou clos hors de France ;
- état de suivi des plus-values placées sous un régime de report d'imposition ;
- état de détermination du résultat exonéré pour les zones franches urbaines ;
- état de détermination du résultat exonéré pour les zones franches urbaines ;
- état comportant des renseignements sur la situation et la composition du capital des entreprises nouvelles et sur la situation de leurs associés personnes physiques ;
- état de détermination et de suivi du bénéfice exonéré pour les entreprises situées en zone de restructuration de la défense ;
- état de détermination du résultat exonéré pour les bassins à redynamiser ;
- déclaration des investissements qui ouvrent droit à l'aide fiscale pour investissements outre-mer ;
- etc..

De plus, elle peut effectuer une demande d'information auprès de l'entreprise (6), opérer une enquête (7), et même exécuter un contrôle de sa comptabilité (8), parfois précédé d'une visite pouvant s'accompagner de saisies (9).

Le Protocole de coopération en vue d'une revue contradictoire de la situation de l'entreprise, appelé relation de confiance, prévoit une extension des informations que peut obtenir l'administration. En plus des obligations légales tenant aux déclarations, l'entreprise s'engage, dans l'article 4 du Protocole proposé par l'administration, à :

"- présenter et documenter : son organisation, ses modalités de contrôle, interne et externe, et d'audit en matière fiscale, juridique, comptable et financière ;
- évoquer tout sujet de doute portant sur l'application ou la compréhension de la loi fiscale ayant fait l'objet d'une
consultation fiscale externe (10) ou d'une analyse interne en matière fiscale. Elle communiquera spontanément les consultations, avis ou expertises concernés, internes ou externes à l'entreprise et de façon générale tout élément ou document permettant d'apprécier la fiabilité de ses procédures et de ses choix fiscaux ;
- présenter avec un rythme
[néant] les évènements financiers, comptables et juridiques majeurs ayant affecté ou susceptibles d'affecter la vie de l'entreprise et de son groupe. Cette présentation peut être notamment formalisée par la remise de documents à l'administration qui servira à éclairer son examen du traitement fiscal des opérations réalisées ou à réaliser ;
-
répondre à toute demande de l'administration et lui communiquer l'ensemble des documents sollicités dans des délais compatibles avec le calendrier arrêté d'un commun accord ;
-
remettre, à la demande de l'administration, une copie des fichiers informatiques des écritures comptables (i.e. générale et analytique) et effectuer les traitements informatiques, sauf à ce qu'elle sollicite l'administration pour les réaliser ;
- corriger ses déclarations fiscales au vu des observations et réserves émises par l'administration pour les cas où l'Entreprise partage ces observations et réserves. L'entreprise dispose alors d'un délai de soixante jours pour déposer une déclaration rectificative qui ne donne pas lieu au paiement d'intérêts de retard ou de pénalités ;
- corriger, dans la limite des exercices non prescrits, y compris le solde des déficits reportables à l'ouverture du premier exercice non prescrit, les erreurs ou omissions révélées lors des revues; ces corrections sont assorties de l'intérêt de retard limité conformément aux dispositions de l'article L. 62 du LPF (
N° Lexbase : L7621HEY) ;
- ne contester les rectifications opérées par l'administration dans le cadre de la relation de confiance à la suite des réserves émises que sur le fond, à l'exclusion de toute contestation de procédure
".

Le champ des informations laissées à l'administration et donc très élargi, et surtout, l'entreprise doit communiquer ces informations spontanément ou sur demande de l'administration. La sanction du refus de l'entreprise de communiquer ces informations n'est pas explicitée dans le Protocole, et c'est dommage. En effet, l'on ne peut qu'imaginer que l'administration pourra alors résilier le Protocole (article 8). Il est spécifiquement prévu, dans cette clause de résiliation, que "l'administration détruit les documents remis par l'entreprise dans le cadre de la revue à l'exception de ceux ayant fondé une prise de position de l'administration". Cela peut paraître rassurant, mais en réalité, l'administration aura pris connaissance de l'information, peu importe son format. Ne pourrait-elle pas ensuite exercer un droit de communication sur les documents en cause ? Cette possibilité inquiète les contribuables, qui n'aiment déjà pas vraiment l'idée de divulguer toutes les informations qu'ils détiennent...

B - Pourquoi les entreprises se méfient-elles tant ?

Ce qui inquiète surtout les entreprises, c'est la comptabilité analytique. En effet, cette dernière permet l'identification et surtout la valorisation des éléments qui constituent le résultat de l'exercice. Surtout, elle rapproche chaque produit et chaque coût, classés par centre de décision. C'est le premier outil de pilotage de ces données pour une entreprise.

Ces informations sont confidentielles, parfois délicates. Les équipes comptables des entreprises sont tenues au secret sur cette matière, par le biais de clauses de confidentialité contenues dans les contrats de travail, auxquelles s'ajoutent parfois des accords de confidentialité spécifiques à certaines opérations particulièrement sensibles, qui pourraient avoir un impact sur le marché et les coûts d'acquisition.

L'administration disposerait ainsi d'informations qui ne sont pas retracées telles quelles dans les déclarations, et qui sont très précieuses. Elles touchent notamment à la stratégie de développement de l'entreprise.

De plus, le contribuable s'engage à donner à l'administration tout ce qui est préparé en amont de l'acceptation des comptes par le conseil d'administration et l'assemblée générale des associés. Ainsi, les consultations, avis ou expertises, internes ou externes à l'entreprise, devront être communiqués au service. Ces derniers sont nombreux, et concernent les experts-comptables, les avocats, les commissaires aux comptes, etc.. Ce point aussi inquiète.

L'administration se veut rassurante, et indique, dans l'article 9 du Protocole, que "les communications entre l'entreprise et l'administration dans le cadre du présent protocole sont protégées par un principe général de confidentialité, aucune information ne pouvant être utilisée par l'une ou l'autre des parties en dehors des objectifs définis au présent protocole". Or, l'objectif en question, défini à l'article 1 du Protocole est, pour l'administration, "d'améliorer sa connaissance de l'activité de l'entreprise et de sa gouvernance fiscale, de prévenir le contentieux en sécurisant le traitement fiscal des opérations structurantes pour l'entreprise et ainsi de s'assurer de la fiabilité de ses recettes fiscales". Vaste programme... qui ne rassure personne.

L'inquiétude est donc palpable, et l'administration n'a pas réussi à rassurer les destinataires de sa proposition, malgré ses engagements...

II - La sincérité, fondement indispensable d'une vraie relation de confiance

La sincérité... qualité difficile à mettre en place dans une relation, lorsque les petits mensonges facilitent tant le quotidien... Empruntant ce terme aux comptables (11), l'administration, dans sa quête de transparence, demande aux contribuables, qui sont volontaires dans cette démarche de relation de confiance, de baisser les armes et de montrer la vérité "toute nue". Au vu des peurs manifestes des contribuables (et de leurs conseils) face à ce souhait, l'administration rassure sur sa propre sincérité.

A - Un jeu d'écoute et de conseil

Dans son article 1er, le Protocole prévoit que "l'administration conduit, selon les modalités définies à l'article 5, une revue annuelle des options et obligations fiscales de l'entreprise en vue de la délivrance, dans les formes prévues à l'article 7, d'un avis qui lui est opposable". L'avis de l'administration équivaut donc à une prise de position formelle, opposable en vertu des articles L. 80 B (N° Lexbase : L0201IWD) et suivants du LPF (le Protocole ne spécifie pas ce fondement).

L'administration s'engage donc à opérer une sorte d'audit fiscal, portant sur "l'ensemble des impôts, taxes et obligations de l'entreprise qui relèvent de la compétence de la direction générale des finances publiques" (12). La suite du Protocole est construite de façon à convaincre : l'article 2 porte sur la réciprocité de la relation, l'article 3 sur les engagements de l'administration, et ce n'est que dans l'article 4 que l'entreprise apprend ce qu'elle sera tenue de faire si elle s'engage dans cette relation.

La réciprocité se manifeste dans les éléments suivants, soulignés par le Protocole : transparence ; célérité et disponibilité ; pragmatisme et prise en compte des contraintes techniques et opérationnelles ; conduite de la relation dans un esprit de confiance mutuelle. Le troisième point nous semble important. En effet, l'administration semble indiquer qu'elle tiendra compte des impératifs de l'entreprise dans sa stratégie, de ses contraintes, et qu'elle agira avec un esprit de pragmatisme. Il n'est pas question pour le service d'empêcher l'entreprise de se développer, par des contraintes fiscales qui sont tout de même annexes par rapport à une activité économique.

De plus, l'administration spécifie bien que les parties au protocole sont informées de ce que cet audit fiscal n'est pas une vérification de comptabilité. En effet, la contrainte disparaît. Cela semble logique, puisque l'entreprise s'est engagée sur la base du volontariat. Toutefois, les garanties attachées à cette procédure disparaissent aussi ! Pas de conseil, pas de débat contradictoire obligatoire, pas de procès-verbaux, pas de saisie du supérieur hiérarchique, etc.. Il revient à l'entreprise candidate de mesurer ce que cette relation de confiance peut lui apporter, et quels sacrifices procéduraux elle est prête à faire.

L'article 3 du Protocole présente les engagements de l'administration :

"- définir avec l'entreprise les modalités pratiques de la revue (périodicité des interventions, points d'étape, définition des interlocuteurs...) ;
- consacrer à cette revue des moyens stables et adaptés (composition de l'équipe, définition du responsable, permanence de l'équipe...) ;
- indiquer à l'issue d'une période de
[néant] semaines les axes majeurs de la revue sous réserve de l'apparition ultérieure d'une problématique nouvelle ;
- rendre un
avis écrit sur toute interrogation fiscale avant la fin des opérations de revue ou dans les trois mois suivants l'exposé de la problématique fiscale par l'entreprise ;
-
informer l'entreprise des erreurs commises à son détriment et effectuer les dégrèvements correspondants ;
- faire connaître par écrit ses éventuelles observations portant sur les principes fiscaux appliqués, les options fiscales retenues et sur la rectitude des déclarations souscrites des impôts et taxes soumis au présent protocole ;
- ce que
les positions prises expressément par l'administration dans le cadre de la relation de confiance lui soient opposables par toutes les sociétés du groupe se trouvant dans une situation identique. Les points corrigés par la société dans le cadre de la revue fiscale peuvent l'être en même temps dans les autres entreprises du groupe sans application des pénalités, sous réserve d'une identité de situation ;
- traiter les réclamations déposées au titre d'un exercice antérieur à celui révisé mais pendant la revue dans un délai de trois mois ;
-
ne pas appliquer les amendes prévues pour défaut de déclaration en l'absence de préjudice pour le Trésor en cas de première infraction et de bonne foi de l'entreprise ;
-
ne pas appliquer les intérêts de retard et des pénalités aux corrections effectuées spontanément par l'entreprise à la suite d'observations faites par l'administration au titre de l'exercice visé par la revue fiscale ;
- ne pas procéder à des opérations de contrôle fiscal sur place des exercices ayant fait l'objet de la revue en l'absence d'observations et en cas d'acceptation par l'entreprise des réserves émises par l'administration, sauf découverte ultérieure d'agissements graves contraires aux règles fiscales en vigueur commis par l'entreprise ou ses filiales ;
- ne pas utiliser les documents communiqués en application de l'article 4 de la présente convention à d'autres fins que celles prévues au présent protocole, sauf accord exprès de l'entreprise. Ces documents ne sont ni communicables, ni utilisables par l'administration, sauf si l'administration les demande et les obtient dans les conditions de droit commun prévues par le CGI ou le LPF ;
-
détruire les copies des fichiers informatiques des écritures comptables dont elle a eu communication dans les trente jours de la fin de sa mission de revue fiscale. L'administration ne pourra pas par la suite se prévaloir des documents transmis dans le cadre du présent protocole".

Il est intéressant de noter les deux alinéas correspondants à l'amnistie fiscale dont feront l'objet les entreprises volontaires. Ni amende pour défaut de déclaration, ni intérêt de retard. Cela est plus avantageux que la mesure mise en place pour "encourager" les contribuables détenant des avoirs non déclarés à l'étranger de régulariser leur situation (13).

Lorsque l'audit fiscal est terminé, l'administration remet à l'entreprise volontaire un avis. Ce dernier est écrit et opposable. Trois possibilités s'ouvrent alors : l'avis ne revêt aucune observation. L'avis valide les choix de l'entreprise. Ou alors, l'avis est réservé et motivé. Dans ce cas, soit l'entreprise accepte les réserves de l'administration, et dépose une déclaration initiale ou rectificative au titre de l'exercice concerné par la revue et, le cas échéant des exercices antérieurs, soit elle n'accepte pas ces réserves, et elle peut solliciter un second examen auprès du service juridique de la fiscalité au titre des points faisant l'objet de réserves dans les conditions fixées à l'article L. 80 CB du LPF (N° Lexbase : L4725ICY). En cas de désaccord persistant, l'administration engage une vérification ciblée portant sur les réserves en cause.

B - Un jeu dangereux ?

Que penser de ces engagements et des conséquences de la revue fiscale ?

Une question importante se pose : l'administration parle expressément, dans ses engagements, du "groupe de sociétés". De quel groupe s'agit-il ? Un groupe fiscalement intégré ? Des sociétés mères/filiales ? Là encore, le Protocole n'est, à notre sens, pas suffisamment clair, alors que les enjeux peuvent être importants puisque toutes les sociétés du groupe qui suivent la même stratégie fiscale et appliquent le même mode de fonctionnement (notamment en matière de prix de transfert) seront également traitées par l'avis de l'administration (ce qui, d'ailleurs, va un peu à l'encontre de l'engagement de pragmatisme et de prise en compte des données techniques et opérationnelles, ces dernières pouvant différer selon les sociétés et être justifier une décision fiscale dans l'une mais pas dans l'autre). De plus, quid du pilotage fiscal ? Tant que l'entreprise n'est pas en situation d'abus de droit, toute décision fiscale sera-t-elle acceptée ? Ou l'administration n'aura-t-elle pas tendance, en bonne gardienne des finances publiques, à exprimer des doutes sur une décision de gestion légale, mais permettant une économie d'impôt substantielle (14) ?

Le problème fondamental de cette relation de confiance est le suivant : l'administration tend la main à l'entreprise, et lui propose un audit fiscal (presque une sorte d'équivalent de l'audit comptable opéré par les commissaires aux comptes, d'ailleurs). L'entreprise lui ouvre la porte et lui donne accès à des informations qu'elle n'aurait pas pu obtenir sinon, ou alors en mettant en place des procédures, en respectant des garanties, sous le contrôle du juge, ce qui peut être contraignant. Si l'administration découvre des anomalies, elle va les pointer du doigt. Si l'entreprise estime qu'il s'agit d'un pilotage parfaitement légal, le risque d'une vérification de comptabilité est réel. Et alors toute la machine administrative fiscale se met en branle. Sauf que l'administration sait déjà tout. Le redressement est plus rapide, si redressement il y a. L'entreprise a donc facilité la vérification de comptabilité, qui n'est pas ainsi nommée.

Cette relation de confiance est-elle une bonne idée ? Oui, mais pas pour tous. Les entreprises qui ont intérêt à entrer dans cette relation ne sont, en aucun cas, les grands groupes de sociétés. Les systèmes de pilotage fiscal sont souvent très élaborés, font partie intégrante du développement et de la stratégie du groupe, que ce soit en France et à l'étranger. Les enjeux économiques sont, en outre, très importants. Donner accès à l'administration à toutes ces informations, que parfois l'AMF ne détient même pas, en cas de groupe côté, n'a pas de sens. Surtout que ces grands groupes sont surveillés par la DVNI, qui opère régulièrement des vérifications de comptabilité (tous les trois à cinq ans).

En revanche, une PME ou une TPE peut tout à fait avoir intérêt à entrer dans cette relation. Elle n'a peut-être qu'un juriste, qui traite tant des questions de droit que des questions fiscales, elle a peut-être un comptable chargé de la fiscalité. Le fait d'avoir l'administration fiscale à disposition pour sécuriser ses déclarations et se "former" aux méandres de la fiscalité peut être un plus non négligeable. En effet, les petites entreprises se trompent, mais elles se trompent en toute bonne foi, la plupart du temps. Les fraudeurs sont souvent maladroits dans ces cas-là, et faciles à repérer. Il est donc opportun pour une TPE, une PME, voire une ETI, de demander à entrer dans la relation de confiance, afin, déjà, de prendre connaissance de l'administration, de ses méthodes, et, aussi, d'apprendre comment gérer ses déclarations fiscales. En fait, dès qu'il y a pilotage, l'administration ne doit pas être admise. Il s'agit d'une décision de gestion, qui ne regarde que l'entreprise. Que l'administration ait accès à ce type de donnée n'apportera rien de bon à l'entreprise.

La relation de confiance aurait aussi pu s'adresser, non pas à des contribuables, mais à des régimes spécifiques. Notamment, une telle relation portant sur un point fiscal spécifique, comme les prix de transfert (il est déjà possible de faire état de sa politique de prix de transfert à l'administration, et d'obtenir un accord opposable, mais la procédure peut être longue), le CICE, ou le CIR. En effet, il y aurait là une véritable sécurisation du point fiscal, et l'entreprise ne se sentirait pas vulnérable et mise à nu devant un service de l'Etat, qui, de surcroît, est particulièrement véhément aujourd'hui au niveau fiscal. La mise en place d'une procédure de ruling, comme il existe aux Pays-Bas, constituerait une avancée dans la confiance. Il n'est pas possible de réclamer de la confiance tout de suite, alors que le climat est à la délation et à la mise au ban fiscal.

En conclusion, la relation de confiance de l'administration suscite la méfiance des contribuables, qui ont peur de tout dévoiler et de le regretter après. L'initiative est louable : l'administration et l'entreprise oeuvrent ensemble dans un seul objectif : le respect du droit fiscal. Sauf que leurs intérêts sont antinomiques. L'entreprise cherche son propre intérêt, ou celui de son groupe, et l'administration cherche l'intérêt de l'Etat. Or, dans une relation de confiance, les deux parties doivent avoir des intérêts communs, et faire des concessions équilibrées en vue d'atteindre un but commun aussi. Ce n'est pas la situation que nous connaissons aujourd'hui, et il aurait peut-être fallu que l'administration applique la politique communautaire des "petits pas", en commençant par instituer une politique de ruling partiel, pour l'étendre un peu plus chaque année jusqu'à proposer un ruling global. Le protocole tel que présenté ne séduira que les entreprises qui ont besoin d'aide au niveau fiscal, d'une part, et celles, mais elles seront rares, qui souhaiteront intégrer ce protocole à leur RSE (responsabilité sociale des entreprises), d'autre part.

Pour l'heure, vivons heureux, vivons cachés. Ceux qui ne le souhaitent pas peuvent se porter candidats à la relation de confiance. Elle est, pour deux ans, fondée sur le volontariat, et une vingtaine d'entreprises, de toutes tailles et de tous secteurs, sera accueillie dans cette relation. Pour faire acte de candidature, les contribuables doivent adresser une demande par courriel, en indiquant les coordonnées de l'entreprise, de la personne à contacter et en exposant, le cas échéant, ses motivations et ses attentes.


(1) Entre 2010 et 2011, Eurostat enregistre une hausse d'impôt en France de 42,5 % à 43,9 %, l'une des plus fortes en Union européenne. Le taux maximal moyen d'imposition sur les sociétés s'établit dans l'UE à 23 % en 2013, alors qu'il est de 36,1 % en France, qui enregistre la plus forte pression fiscale de l'Union (voir Taxation trends in the European Union, Eurostat, 2013, p. 82).
(2) Voir, notamment, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (lire Matthieu Sabonnadière, Complicité de l'avocat, montages internationaux, modernisation de l'administration et preuve - Commentaire du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, Lexbase Hebdo n° 536 du 17 juillet 2013 - édition fiscale N° Lexbase : N8049BTB), ainsi qu'un site étonnant permettant, de façon anonyme, de dénoncer une fraude fiscale (www.fraude-fiscale.fr), selon lequel "la dénonciation de fraudes fiscales est un acte citoyen"... No comment.
(3) En effet, au Royaume-Uni, la règle est la suivante : le contribuable envoie sa déclaration professionnelle à l'administration, qui a un an pour la valider ou la rejeter et procéder à un contrôle fiscal. Passé ce délai d'un an, en l'absence de manifestation de l'administration, la déclaration est validée. Ce n'est que si l'administration opère un "discovery", c'est-à-dire si elle découvre un élément nouveau, qu'elle pourra effectuer une vérification sur cinq ans, mais un tel cas se rencontre en réalité assez peu. De plus, l'institution d'un "ruling", dont on parle surtout aux Pays-Bas, mais qui existe aussi en Angleterre, et qui consiste en un dialogue entre le contribuable et l'administration sur un point particulier, avec une position finale qui a force de loi. En France, une telle procédure n'existe pas, les agents des impôts ne prenant que très rarement position. Il est possible d'utiliser la procédure du rescrit fiscal, mais elle est lourde et compliquée à suivre. Pour en savoir plus sur ce sujet, lire Contrôle fiscal - Le piège : comment faire changer l'administration fiscale ?, Sandrine Gorreri et Bernard Zimmern, L'Harmattan, 2001, pp. 79 et suivantes.
(4) Voir le dépliant de l'administration et la fiche descriptive présentée par l'administration.
(5) Déclarations de résultat (hors existence et modification du pacte social) dues au titre de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des BIC (CGI, art. 223 N° Lexbase : L4728IC4) et au titre de l'impôt sur les sociétés (CGI, art. 222 N° Lexbase : L4159HLM). La liste n'est pas exhaustive. Voir le BoFip - Impôt, BOI-IS-DECLA-30-10-10-20130318 (N° Lexbase : X4922ALU) et BOI-BIC-DECLA-30-10-10-30-20130715 (N° Lexbase : X7465AL3), notamment.
(6) LPF, art. L. 85 (N° Lexbase : L5753ISU) et R. 85-1 (N° Lexbase : L7055AEZ).
(7) LPF, art. L. 80 F (N° Lexbase : L0377IWU) à L. 80 J.
(8) LPF, art. L. 52 (N° Lexbase : L0281IWC).
(9) LPF, art. L. 16 B (N° Lexbase : L0277IW8).
(10) Quid des consultations d'avocats, normalement couverts par le secret professionnel ? Et des rapports des commissaires aux comptes ?
(11) La première règle apprise aux comptables est que les comptes doivent être réguliers, sincères et refléter une image fidèle de l'entreprise (C. com., art. L. 123-14 N° Lexbase : L5572AI9).
(12) Article 1er du Protocole, dernier alinéa.
(13) Sur ce point, lire N° Lexbase : N7718BTZ.
(14) Nous pensons notamment au pilotage du périmètre d'intégration des groupes de sociétés, qui peut permettre d'optimiser la gestion des déficits fiscaux.

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