Lexbase Affaires n°347 du 18 juillet 2013 :

[Jurisprudence] De la nature juridique du porte-fort d'exécution

Réf. : Cass. com., 18 juin 2013, n°12-18.890, FS-P+B (N° Lexbase : A1901KHU)

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N8054BTH

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par Gaël Piette, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur-adjoint de l'IRDAP

le 18 Juillet 2013

Un dirigeant se porte fort du respect par sa société, envers le cocontractant de celle-ci, des clauses et conditions du contrat conclu. Le bénéficiaire assigne par la suite le porte-fort en exécution de son engagement.
La cour d'appel d'Orléans déboute le bénéficiaire de ses demandes, en se fondant sur l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT). Pour les juges d'appel, le porte-fort s'était obligé, accessoirement à l'engagement principal souscrit par sa société, à y satisfaire si cette dernière ne l'exécutait pas elle-même. Selon leur raisonnement, il aurait alors fallu que la promesse de porte-fort respecte les dispositions de l'article 1326, et comporte "une mention manuscrite exprimant, sous une forme quelconque, mais de façon explicite et non équivoque, la connaissance [que le porte-fort] a de la nature et de l'étendue de l'obligation souscrite". L'acte ne comportant pas une telle mention manuscrite, la cour d'appel rejette les demandes du bénéficiaire.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation, par l'arrêt commenté du 18 juin 2013, casse cette décision, au double visa des articles 1120 (N° Lexbase : L1208ABD) et 1326 du Code civil. Par une formule aussi explicite que lapidaire, la Cour estime qu'il "résulte du premier de ces textes, que l'engagement de porte-fort constitue un engagement de faire, de sorte que le second ne lui est pas applicable". Pour aussi brève qu'elle soit, cette affirmation montre que la Chambre commerciale, dans cet arrêt promis à une publication au Bulletin, souhaite revenir sur une position initiée en 2005. Elle opère ici une distinction entre le porte-fort d'exécution et le cautionnement (I), ce qui conduit à s'interroger sur la nature juridique du porte-fort d'exécution (II).

I - La distinction entre le porte-fort d'exécution et le cautionnement

Traditionnellement, il était professé que la promesse de porte-fort consiste pour celui qui s'engage à promettre la ratification d'un acte juridique par un tiers. Pourtant, l'article 1120 du Code civil se contente de mentionner le "fait" d'un tiers. L'exécution d'un contrat étant un fait, il est apparu que le droit français connaît deux sortes de promesses de porte-fort (C. Aubert de Vincelles, Rép. civ., V° Porte-fort, spéc. n° 5) : le porte-fort de ratification, qui consiste à promettre que le tiers conclura l'acte juridique envisagé, et le porte-fort d'exécution, qui consiste à promettre que le tiers exécutera les obligations résultant de l'acte juridique.

La nature juridique de ce porte-fort d'exécution a été discutée (J.-F. Sagaut, Variations autour d'une sûreté personnelle sui generis : la promesse de porte-fort de l'exécution, RDC, 2004, 840). La jurisprudence n'avait pas, jusqu'à présent, été d'un grand secours. La première chambre civile de la Cour de cassation estime depuis longtemps que le porte-fort d'exécution a "pour objet, non le paiement d'une somme d'argent, mais une obligation de faire" (Cass. civ. 1, 16 avril 1991, n° 89-17.982, inédit N° Lexbase : A1450CUA). La Chambre commerciale, en revanche, a estimé, dans un arrêt très critiqué (C. Aubert de Vincelles, préc., n° 5), que "celui qui se porte fort de l'exécution d'un engagement par un tiers s'engage accessoirement à l'engagement principal souscrit par le tiers à y satisfaire si le tiers ne l'exécute pas lui-même" (Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-19.217, F-P+B+R N° Lexbase : A9826DLI, D., 2006, Pan. 2856, obs. P. Crocq ; JCP éd. G, 2006, II, 10021, note Ph. Simler ; Defrénois, 2006. 414, note E. Savaux ; RTDCiv., 2006, 305, obs. J. Mestre et B. Fages).

Les critiques portaient, entre autres, sur la confusion que cette décision effectue entre le cautionnement et le porte-fort d'exécution. La définition que donne la Chambre commerciale du porte-fort d'exécution dans l'arrêt de 2005 est approximativement celle que le Code civil donne du cautionnement. La question de l'autonomie conceptuelle, et même de l'intérêt, du porte-fort d'exécution pouvait alors raisonnablement se poser.

Dans la décision commentée, la Chambre commerciale modifie considérablement son point de vue. Elle adopte une solution comparable à celle retenue par la première chambre civile en 1991, en considérant que "l'engagement de porte-fort constitue un engagement de faire". Cette affirmation, aux allures de principe, suffit à distinguer très nettement le porte-fort d'exécution du cautionnement. En effet, ce dernier s'analyse en une obligation de donner, à savoir verser au créancier la somme due par le débiteur défaillant. Le cautionnement ne saurait donner naissance à une obligation de faire.

La conséquence tirée par la Chambre commerciale (et déjà déduite en 1991 par la première chambre civile) en est très simple : puisque le porte-fort d'exécution n'engendre pas d'obligation de donner, l'article 1326 du Code civil doit être écarté. Ce texte, qui exige à des fins probatoires la mention de la somme due, écrite par celui qui s'engage, se cantonne aux obligations de verser une somme d'argent ou de livrer un bien fongible.

L'article 1326 du Code civil étant l'un des textes "emblématiques" du droit du cautionnement (même s'il ne lui est pas spécifique), la question qui se pose désormais est celle de savoir s'il convient d'aller plus loin, et d'écarter tout le droit du cautionnement. L'arrêt du 18 juin 2013 distingue clairement le porte-fort d'exécution du cautionnement. Il parait donc cohérent de ne pas appliquer au premier le droit du dernier. Ainsi par exemple, dans un porte-fort d'exécution, le promettant ne doit pouvoir invoquer l'article 1415 du Code civil (N° Lexbase : L1546ABU) pour limiter l'assiette de recouvrement du créancier. Il ne doit pas davantage pouvoir obtenir limitation de son engagement par le jeu de l'exigence de proportionnalité (C. consom., art. L. 341-4 N° Lexbase : L8753A7C). Il ne doit point avoir droit à une information annuelle telle que celle imposée au créancier par l'article L. 341-6 du même code (N° Lexbase : L5673DLP). De même, la promesse de porte-fort n'a pas à respecter les crispantes mentions manuscrites prévues par les articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7) de ce code.

Par cette décision, le porte-fort d'exécution gagne son autonomie conceptuelle : il n'est pas réductible au cautionnement. La question qui se pose alors est celle de savoir quelle est sa nature.

II - La nature du porte-fort d'exécution

En rejetant, implicitement mais justement, toute assimilation avec le cautionnement, l'arrêt du 18 juin 2013 suscite davantage d'interrogations qu'il n'apporte de réponses. Il nous semble que trois questions émergent de cette décision.

La première est de savoir si le porte-fort d'exécution, éloigné du cautionnement, doit être assimilé aux lettres d'intention. L'affirmation de la Cour de cassation, selon laquelle "l'engagement de porte-fort constitue un engagement de faire" y invite, puisque telle est également la nature de l'engagement du confortant dans les lettres d'intention (C. civ., art. 2322 N° Lexbase : L1146HIB). Pour autant, il serait certainement dommage d'inféoder le porte-fort d'exécution aux lettres d'intention, alors même qu'il vient de s'affranchir du cautionnement. Cela vaut d'ailleurs tant sur le plan des concepts que sur celui de l'opportunité, car l'avenir des lettres d'intention n'est pas des plus certains.

Néanmoins, il est incontestable que le porte-fort d'exécution présente des points communs avec les lettres d'intention, en tant qu'engagement de faire, dont la violation est sanctionnée par l'attribution de dommages-intérêts au créancier. Il est donc judicieux de classer le porte-fort d'exécution dans la catégorie des garanties indemnitaires (Y. Picod, Droit des sûretés, PUF-Thémis, 2ème éd., 2011, n° 158 ; Ph. Simler, Peut-on substituer la promesse de porte-fort à certaines lettres d'intention, comme technique de garantie ?, RD bancaire et bourse, 1997, 223). A notre sens, il s'agit néanmoins d'une garantie indemnitaire plus efficace que les lettres d'intention, ne serait-ce que parce que le porte-fort d'exécution est générateur d'une obligation de résultat (Cass. civ. , 25 janvier 2005, n° 01-15.926, F-P+B N° Lexbase : A2829DGU, Banque et Droit, mars 2005, p.41, obs. N. Rontchevsky ; Cass. com., 17 mai 2011, n° 09-16.186, F-P+B N° Lexbase : A2554HSE, JCP éd. E 2011, p. 43, obs. Ph. Simler ; Cass. soc., 3 mai 2012, n° 11-10-501, F-P+B N° Lexbase : A6696IK9, RDC, 2012, p.1221, obs. D. Mazeaud). Cela permet également d'évacuer l'insécurité juridique qu'a créée la jurisprudence en distinguant les lettres d'intention constitutives d'une obligation de résultat et celles engendrant une obligation de moyens.

La deuxième interrogation consiste à savoir si le porte-fort d'exécution est un engagement accessoire ou autonome. L'arrêt précité du 13 décembre 2005 le qualifiait expressément d'engagement accessoire, contrairement au porte-fort de ratification. A l'inverse, le rapprochement susmentionné avec les lettres d'intention laisse penser à un engagement autonome. La décision commentée est muette sur ce point. En réalité, la question n'a vraisemblablement pas lieu de se poser, s'agissant d'une garantie indemnitaire. Celles-ci ne sont ni autonomes, ni accessoires (C. Aubert de Vincelles, préc., n° 13 ; Ph. Simler et Ph. Delebecque, Les sûretés, la publicité foncière, Précis Dalloz, 6ème éd., 2012, n° 336). Le porte-fort s'engage à une obligation de faire, et non de payer la dette du débiteur. Son engagement n'est pas accessoire. Mais il n'est pas davantage autonome : son engagement n'est pas détaché de l'obligation garantie, puisque le porte-fort sera sanctionné si cette dernière n'est pas exécutée.

Enfin, la troisième question est de savoir si le porte-fort d'exécution peut être qualifié de sûreté ou plus simplement de garantie (J.-F. Sagaut, Variations autour d'une sûreté personnelle sui generis : la promesse de porte-fort de l'exécution", préc., mais qui ne prend pas parti sur la qualification de sûreté). Le débat est surtout académique, puisque l'un des principaux enjeux pratiques de la distinction, à savoir l'application de l'article L. 225-35, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L5906AIL), ne pose pas ici de difficulté particulière. En effet, l'autorisation du conseil d'administration lorsqu'une société anonyme est concernée sera systématiquement requise en présence d'une promesse de porte-fort d'exécution, même si celle-ci n'était qu'une simple garantie, puisqu'elle est porteuse d'une obligation de résultat (CA Paris, 3ème ch., sect. A, 4 novembre 2008, n° 07/08909 N° Lexbase : A5600EBZ ; Droit des sociétés, mars 2009, comm. 51, note D. Gallois-Cochet).

Pour autant, la question mérite d'être posée. La réponse est certainement à rechercher dans le critère technique de la notion de sûreté : une sûreté répond à une technique particulière, qui est celle de l'affectation à la garantie de la créance d'un bien, d'un ensemble de biens ou d'un patrimoine. Le porte-fort d'exécution, en tant qu'engagement de faire, ne procède à aucune affectation, et ne répond, par conséquent, pas à ce critère. A notre sens, le porte-fort d'exécution n'est donc pas une sûreté, mais une simple garantie.

Quoi qu'il en soit, l'arrêt du 18 juin 2013 est le bienvenu, en ce qu'il revient sur une jurisprudence contestable de la Chambre commerciale et en ce qu'il aligne la position de cette dernière sur celle de la première chambre civile. Désormais, le doute ne semble plus permis : le droit français dispose d'une quatrième garantie personnelle, qui mériterait presque un article dans le livre IV du Code civil. Y aura-t-il bientôt un article 2322-1 du Code civil ?

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