La lettre juridique n°739 du 19 avril 2018 : Droit des étrangers

[Jurisprudence] Rétention des «Dublinables» : le Conseil constitutionnel admet une rétention préventive sans perspective immédiate d’éloignement

Réf. : Cons. const., décision n° 2018-762 DC du 15 mars 2018, loi permettant une bonne application du régime d'asile européen (N° Lexbase : A2298XHL)

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N3707BXL

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[Jurisprudence] Rétention des «Dublinables» : le Conseil constitutionnel admet une rétention préventive sans perspective immédiate d’éloignement. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/45196432-jurisprudence-retention-des-dublinables-le-conseil-constitutionnel-admet-une-retention-preventive-sa
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par Serge Slama, Professeur de droit public, Université Grenoble-Alpes, CESICE

le 19 Avril 2018

Droit des étrangers / Doctrine /  Loi «permettant une bonne application du régime d'asile européen» / Dublinés / Rétention administrative / Décision de transfert 

Lorsqu’on examine la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la rétention des étrangers depuis 1980 [1], on est surpris de constater que, loi après loi (et dans ce domaine le législateur adopte une loi tous les deux ans en moyenne), le juge constitutionnel se montre de plus en plus permissif en admettant décision après décision un abaissement de son degré d’exigence. Par inversion de la théorie (abandonnée) de l’effet cliquet, qui voulait que la loi ne pût que rendre plus effective les garanties apportées dans l’exercice des droits et libertés constitutionnels, le Conseil constitutionnel admet à chaque nouvelle décision de raboter le niveau de protection [2]. En la matière, la jurisprudence constitutionnelle fonctionne comme une ceinture (sur un ventre de plus en plus bedonnant) dont on desserre à chaque prise de poids un cran.

 

Avec la proposition de loi «permettant une bonne application du régime d'asile européen» (N° Lexbase : L7968LIX), dite proposition «Warsmann», du nom du député de l’opposition l’ayant déposé, avec l’aval du Gouvernement, un cap a indiscutablement été franchi. En effet, pour la première fois, un texte de loi a autorisé la rétention administrative d’étrangers non pas dans la perspective de permettre ou d’organiser matériellement leur éloignement mais afin de mettre en œuvre la procédure d’examen de l’Etat responsable de la demande d’asile régie par le Règlement «Dublin 3» n° 604/2013 du 26 juin 2013 [3] et eu égard au «risque non négligeable de fuite» que les intéressés représenteraient.

Comme l’avaient fait valoir aussi bien les ONG de défense des étrangers, le Défenseur des droits [4] que l’auteur de ces lignes dans les médias [5], la possibilité de placer en rétention administrative des étrangers (et a fortiori des demandeurs d’asile) dès le stade de la procédure de détermination de l’Etat responsable de la demande constitue une rupture radicale avec les législations applicables jusque-là qui n’autorisaient une telle privation de liberté que s’il existait une perspective raisonnable d’éloignement de l’étranger.

Notons aussi que, pour surmonter une censure -différée au 30 juin 2018- prononcée par le Conseil constitutionnel dans l’affaire «Daoudi», le Sénat a aussi, dans la loi du 15 mars 2018, introduit une modification du huitième alinéa de l'article L. 561-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L9292K4W). Celle-ci vise à permettre, en particulier dans le cas de Kamel Daoudi, d’assigner des étrangers faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion ou d’une interdiction de séjour liée au terrorisme, sous la seule réserve, au-delà d'une durée de cinq ans, d’adopter une «décision spécialement motivée faisant état des circonstances particulières justifiant cette prolongation». Par souci de cohérence (ou frilosité ?), le groupe dess sénateurs socialistes a pris le parti, dans la mesure où il avait voté en faveur de la disposition, de ne pas saisir le Conseil de la constitutionnalité des dispositions de l’article 4. Il est, toutefois, fort à parier qu’à la première occasion l’avocat du «plus vieil assigné à résidence» (10 ans) [6], Me Bruno Vinay, déposera une QPC contre cet article.

Pour le reste, restant sourd aux arguments des auteurs de la saisine et à ceux du Défenseur des droits qui, pour la première fois de son histoire, a déposé une «porte étroite» au soutien de la saisine [7], le Conseil constitutionnel a fait fi de sa propre jurisprudence en admettant d’abaisser d’un cran les garanties légales liées aux exigences constitutionnelles régissant la rétention des étrangers, qui est une forme de privation de liberté au sens de l’article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM). Ainsi non seulement il valide, en l’estimant proportionnée, au nom de l’ordre public (II), une rétention préventive de quarante-cinq jours de demandeurs d’asile «Dublinables» dès le stade de la procédure de détermination de l’Etat responsable (I) mais, en outre, il estime que la réduction à sept jours du délai de recours ouverts aux «Dublinés» contre la décision de transfert ne porte pas substantiellement atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D) (III).

 

I - La validation d’une rétention préventive des «Dublinables» dès le stade la procédure de détermination de l’Etat responsable

 

C’est un curieux effet d’aubaine qui a permis l’adoption de ce texte issu des rangs du groupe «Les Constructifs» (devenu depuis «groupe UDI, Agir et indépendants»), c’est-à-dire de parlementaires de l’opposition de Droite «compatibles avec Macron» [8], de déposer la proposition de loi «Warsmann» à l’Assemblée nationale le 24 octobre 2017 [9]. Visant officiellement à «sécuriser juridiquement» la rétention des demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert dans le cadre de l’application du Règlement «Dublin 3», elle a aussi, et pour la première fois, autorisé la rétention des «Dublinables» dès le stade de la procédure de détermination de l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes.

Cette proposition arrivait, pour le Gouvernement, à point nommé, dans la mesure où son projet de loi «pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif» n’était pas encore prêt et qu’en tout état de cause, et alors même que l’urgence a été déclarée, il sera adopté -au mieux- à l’été 2018 [10].

La loi du 29 juillet 2015 [11] censée appliquer en France le régime d’asile européen commun (RAEC) -en transposant les deux Directives «asile» et le Règlement «Dublin 3» de juin 2013- avait laissé une faille juridique béante en ne définissant pas dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile la notion de «risque non négligeable de fuite» malgré les exigences de l’article 28 § 2 du Règlement. Cette obligation de définir objectivement dans la loi nationale cette notion était d’autant plus évidente que la même difficulté s’était posée en 2011 s’agissant de l’absence de définition légale, jusqu’à la loi «Besson» du 16 juin 2011 (loi n° 2011-672 du 16 juin 2011,relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité N° Lexbase : L4969IQ4), du «risque de fuite» dans le cadre des procédures de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier en application de l’article 7 de la Directive «retour» 2008/115/CE du 16 décembre 2008 [12].

Il était donc prévisible que la Cour de justice de l’Union européenne, saisie dans l’affaire «Al Chodor» (CJUE, 15 mars 2017, aff. C-528/15 N° Lexbase : A9971T43) d’une question préjudicielle d’une juridiction tchèque sur cette exigence estime qu’il résulte des articles 2, sous n) et 28, § 2, du Règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 «lus conjointement» que les Etats membres doivent fixer, «dans une disposition contraignante de portée générale», les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert. En outre, précise la Cour à cette occasion, «l’absence d’une telle disposition entraîne l’inapplicabilité de l’article 28, § 2, de ce Règlement» [13] et, donc, rend la rétention de décisions fondées sur ce Règlement légalement impossible. Et force était de constater que jusqu’à la loi du 20 mars 2018, le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne comprenait aucune définition de cette notion de «risque non négligeable de fuite». Cela n’empêchait, toutefois, pas les préfets d’utiliser les critères de droit commun de la rétention (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 511-1), issus de la transposition de la Directive «retour» de 2008 (qui a trait de manière générale au «risque de fuite» et non au «risque non négligeable de fuite») pour placer en rétention les «Dublinés» [14].

Par la suite, il était tout autant prévisible que saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation considère que ces critères de droit commun de l'article L. 511-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'étaient pas suffisants pour justifier le placement en rétention d'un «Dubliné». C’est ce qu’elle fit dans un arrêt du 27 septembre 2017 dans lequel elle considéra, sans aucune ambiguïté, «qu’en l’absence de disposition contraignante de portée générale, fixant les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert, l’article 28, § 2, du Règlement était inapplicable» [15]. Depuis elle a constamment confirmé cette position, y compris malgrés l’intervention d’un avis contentieux du Conseil d’Etat, le 19 juillet 2017 [16] dans lequel le juge administratif a estimé que les préfets ne pouvaient placer en rétention un étranger faisant l’objet d’une procédure de transfert «avant l’intervention de la décision de transfert». La loi n’avait alors pas prévu la possibilité d’assigner l’intéressé à résidence ; un placement en rétention n’étant susceptible d’être prononcé sur le fondement de l’article L. 551-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu’après la notification de la décision de transfert [17].

Pourtant, malgré la clarté de ces jurisprudences et d’un certain nombre de décisions de juges de fond [18], les préfectures ont depuis mars 2017 continué [19], en violation flagrante du droit de l’UE, de placer des «Dublinés» en rétention, y compris des familles de «Dublinés» avec enfants [20]. Ces placements en rétention «hors la loi» ont même continué après que le Conseil d’Etat ait annulé en mars 2018 une instruction ministérielle du 19 juillet 2016 prévoyant ceux-ci [21].

On comprend dès lors que le Gouvernement, alors qu’il a fait de l’effectivité des transferts des «Dublinés» une priorité politique, ait pris la proposition «Warsmann» comme du pain béni [22] ; s’il ne l’a pas, en réalité, «téléguidée» comme l’affirme la Cimade [23]. Qui plus est, même si le ministre de l’Intérieur a dû pour cela forcer le bras de la majorité «LREM», c’est la version du texte durci par le Sénat qui a été adopté.

Pourtant dès que la proposition de loi «Warsmann» a été rendue publique, elle a rencontré une vive opposition des défenseurs des droits humains, en particulier du Défenseur des droits. Jacques Toubon fit, notamment, valoir très tôt que ce texte «opère avant tout un changement total de philosophie : en France, seules des personnes en situation irrégulière peuvent être placées en centre de rétention administrative et uniquement dans le but d’exécuter une décision d’éloignement, pour le temps strictement nécessaire à leur départ, et si l’éloignement demeure une perspective raisonnable. C’est tout le sens de l’ensemble des décisions du Conseil constitutionnel depuis 1980» [24]. Preuve de son engagement sur cette question l’autorité constitutionnelle indépendante a non seulement émis un avis défavorable à cette proposition [25] mais aussi, pour la première fois de sa (jeune) histoire, et alors même que cela n’est pas expressément prévu (ni interdit) dans les textes le régissant, produit au soutien de la saisine des sénateurs Socialiste et républicains une «porte étroite» [26] ; comme en témoigne sur le site du Conseil constitutionnel en annexe de la décision la liste des «contributions extérieures», selon le vocable non «vedélien» désormais utilisé [27].

Il est vrai que la rupture jurisprudentielle est profonde. Dès 1992, le Conseil constitutionnel a validé, au regard du quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L1356A94) (droit d’asile constitutionnel), la possibilité de maintenir en zone de transit (ancêtre des zones d’attente) un étranger ayant sollicité son admission sur le territoire français au titre de l'asile que sous réserve que celui-ci ne puisse être maintenu que «le temps nécessaire à son départ, moyennant des garanties adéquates» et dans la mesure où il apparaît que «sa demande d'asile est manifestement infondée» [28].

Dans le même sens, et dans le prolongement d’autres décisions [29], le Conseil constitutionnel n’a admis en 2003 l’allongement de la durée de rétention de douze à trente-deux jours que dans la mesure où «l'étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet» et sous la réserve que «l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient» [30]. Et en 2011, dans sa décision sur la loi «Besson», il réitère ce considérant de principe de 2003 pour valider un nouvel allongement de la rétention à quarante-cinq jours [31] et rappelle aussi que le placement en rétention d'un étranger «qui ne peut quitter immédiatement le territoire doit respecter le principe, résultant de l'article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire» [32].

Ajoutons que cette jurisprudence était convergente avec celle de la Cour européenne des droits de l’Homme. Car si la Cour rappelle fréquemment que, compte tenu du fait que les Etats membres ont un «droit indéniable» de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire et de décider de leur expulsion, ils peuvent décider à cette fin de les placer en détention [33] ; toutefois, cette privation de liberté n’est acceptable, à ses yeux, que pour permettre aux Etats de «combattre l’immigration clandestine» [34] et en étant assortie de garanties adéquates [35]. Dans ce cadre, si la Cour européenne admet la détention de demandeurs d'asiles, au même titre que d’autres migrants, jusqu’à l'octroi par l'Etat d'une autorisation d'entrer [36], elle exige que cela soit justifié par le fait qu’une procédure d'expulsion soit en cours [37].

Certes, dans l’affaire «Al Chodor», la Cour de justice de l’Union européenne admet le principe de la rétention de demandeurs d’asile «Dublin» en cours de procédure, selon les modalités prévues par l’article 28 § 2 du Règlement n° 343/2003 (Règlement (CE) du Conseil du 18 février 2003 N° Lexbase : L9626A9E) et 8 de la Directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 Directive établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale (N° Lexbase : L9264IXE). Mais elle prend bien soin de souligner que dans la mesure où ces dispositions prévoient une limitation de l’exercice du droit fondamental à la liberté, consacré à l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux (droit à la liberté et à la sûreté), il faut tenir compte de l’article 5 de la CESDH (N° Lexbase : L4786AQC) «en tant que seuil de protection minimale» pour interpréter cette limitation comme le prévoit l’article 52 § 1, de la Charte [38]. S’inspirant de l’économie de cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel valide, au regard de l’article 66 de la Constitution, les dispositions déférées en se fondant pour sa part sur des considérations d’ordre public qui sous-tendrait la rétention visant à prévenir le «risque non négligeable de fuite».

 

II - L’admission de la proportionnalité de la rétention de 45 jours des «Dublinables» au nom de la sauvegarde de l’ordre public

 

Pratiquant, pour mesurer l’atteinte à l’article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM), le «triple test» popularisé durant l’état d’urgence par l’affaire «Domenjoud» [39] mais qui avait déjà été pratiqué en droit des étrangers dans la décision de 2011 sur la loi «Besson» [40], le juge constitutionnel estime la mesure nécessaire, adaptée et proportionnée sur la base de trois considérations :

 

En premier lieu, il relève que le placement en rétention d'un demandeur d'asile, décidé par la préfecture, ne peut intervenir qu’à un stade de la procédure où elle dispose d' «indices sérieux» que l'examen de la demande d'asile échoit à un autre Etat en application du Règlement européen du 26 juin 2013 (cons. 12). En effet, selon les dispositions déférées, la rétention ne peut intervenir qu'à compter de l'émission par la préfecture d'une requête aux fins de «prise en charge» ou de «reprise en charge» adressée à l'Etat estimé responsable de l'examen de la demande de protection internationale ou d'une décision de transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Il est vrai que l’article 22 (réponse à une requête aux fins de prise en charge) et l’article 23 (procédures applicables aux requêtes aux fins de reprise en charge) du Règlement n° 604/2013 prévoient que l’Etat requérant fournit dans sa demande «des éléments de preuve et des indices». Le paragraphe 5 de l’article 22 précise qu’«à défaut de preuve formelle», l’Etat membre requis doit admettre sa responsabilité si les indices présentés par l’Etat requérant sont «cohérents, vérifiables et suffisamment détaillés pour établir la responsabilité».

Toutefois, si ces exigences résultent bien du Règlement «Dublin 3» il n’est pas acquis que lorsque les préfectures formulent ces demandes de prises en charge ou de reprises en charge, elles disposent systématiquement de ces éléments de preuve ou indices (autre que la mention sur le fichier «EURODAC») et, surtout, que les éléments détenus soient réellement suffisants pour obtenir une réponse favorable de l’Etat requis ; la majeure partie des demandes n’aboutissant pas dans la réalité. A ce stade de la procédure, il n’y a en réalité aucune certitude que la procédure va réellement aboutir. Bien au contraire, dans la majeure partie des cas, comme le reconnaissent d’ailleurs les rapports parlementaires, les réadmissions n’aboutissent pas pour de multiples raisons (notamment l’absence de réponse de l’Etat requis ou le fait que, suivant la logique de l’arrêt «Tarakhel» de la CEDH [41], que l’Etat requis -comme l’Italie ou la Hongrie- n’est pas en mesure d’assurer la prise en charge matérielle des demandeurs d’asile compte tenu de leur vulnérabilité particulière). De ce fait le Conseil constitutionnel admet la constitutionnalité, en toute connaissance de cause (notamment au regard de la «porte étroite» du Défenseur des droits), d’une rétention administrative de 45 jours reposant sur une perspective très éventuelle à ce stade de la procédure qu'elle aboutisse, ou qu’elle aboutisse plusieurs mois après la rétention [42]. Il est d’ailleurs fort à parier qu’une grande partie des demandeurs d’asile retenus à ce stade de la procédure ne seront pas effectivement transférés.

 

En deuxième lieu, le juge constitutionnel estime l’atteinte à la liberté individuelle justifiée par le motif de «sauvegarde de l’ordre public» que constitue, à son sens, l’existence d’un «risque non négligeable de fuite» (cons. 13). Ce n’est pas la première fois que le juge constitutionnel utilise cette exigence de valeur constitutionnelle pour limiter la liberté individuelle des étrangers. Ainsi, en 2011, le Conseil constitutionnel avait validé l’«inversion» de l’ordre d’intervention du juge administratif et du juge judiciaire, en repoussant le contrôle de ce dernier à cinq jours au lieu de quarante-huit heures, eu égard aux considérations de bonne administration de la justice mais aussi à «l’efficacité des procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière» ; étant donné qu’à partir de cette décision «l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l'ordre public». Comme le Conseil d’Etat pour l’instauration d’un visa de transit aéroportuaire pour éviter l’afflux de réfugiés et de migrants [43] ou, plus récemment, la prolongation des contrôles aux frontières intérieures «Schengen» [44], le Conseil constitutionnel réduit donc ce texte européen en un simple instrument de police administrative qui permet, à titre préventif, de priver de leurs libertés des demandeurs d’asile en cours de procédure.

Dans le considérant 6 de sa décision, le Conseil constitutionnel a, néanmoins, pris le soin de préciser, en examinant le grief de méconnaissance de l’objectif  de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, que le fait que le second alinéa de l'article L. 554-1 Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5867G43) dispose que le placement ou le maintien en rétention, prononcé ou non à la suite d'une assignation, dure «le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen» de la demande de protection internationale «n'a pas pour effet de permettre à l'autorité administrative de prendre cette mesure avant la requête de prise ou de reprise en charge». De la sorte est donc neutralisée la possibilité de placer en rétention avant que la demande de réadmission soit formulée auprès de l’Etat requis et une éventuelle contrariété avec le Règlement n° 604/2013. Certains défenseurs des demandeurs d’asile s’étaient, en effet, émus du risque que les «Dublinables» puissent être placés en rétention dès le premier rendez-vous en préfecture avant même que la requête aux fins de prise ou reprise en charge soit formulée. En séance le ministre de l’Intérieur avait déjà garanti, afin de répondre aux craintes de certains députés, qu’un étranger qui se présente au guichet pour déposer une demande d’asile ne sera pas «immédiatement renvoyé en centre de rétention» [45].

Et, en effet, le placement en rétention ne peut être décidé à l’occasion du premier rendez-vous au guichet unique (GUDA). Le cinquième alinéa de l’article L. 741-1 (N° Lexbase : L6649KDM) précise en effet qu’au moment de sa présentation à l’administration en vue de l’enregistrement d’une première demande d’asile, l’étranger ne peut être regardé comme présentant le risque non négligeable de fuite défini aux 1° à 10 du II de l’article L. 551-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L9286K4P).

 

En troisième et dernier lieu, relevant que les dispositions déférées prévoient, comme garanties, d’une part que l'administration préfectorale doit apprécier, sous le contrôle du juge, les situations caractérisant un risque non négligeable de fuite «sur la base d'une évaluation individuelle prenant en compte l'état de vulnérabilité de l'intéressé»[46] et tenir compte «d'éventuelles circonstances particulières ne permettant pas de regarder le risque allégué comme établi» (art. L. 551-1 § 2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) (cons. 14) ; d’autre part que le placement en rétention n'est susceptible «d'intervenir qu'en dernier ressort», dans le cas où une mesure d'assignation à résidence n'est pas suffisante «pour parer au risque de fuite» et qu’il doit être «proportionné à ce risque» et enfin que cette rétention ne peut durer que «le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen» de la demande d'asile, «une fois émise la requête de prise» (cons. 15). Ces garanties apportées correspondent, non semble-t-il, à celles résultant de l’article 28 § 2 et § 3 du Règlement.

Le juge constitutionnel ajoute, au titre du contrôle de proportionnalité de la mesure privative de liberté, qu’en tout état de cause la rétention, prolongée au-delà de quarante-huit heures qu'avec l'accord du juge judiciaire, «ne peut durer plus de quarante-cinq jours» (cons. 15). Il faut néanmoins prendre en compte que dans le projet de loi «asile-immigration», dans sa version adoptée par la Commission des lois, la durée de rétention maximale serait portée à quatre-vingt-dix jours et même dans des cas particuliers (obstruction ou demande présentée pour faire échec à l’exécution d’office) à cent trente-cinq jours [47]. Or en vertu du Règlement n° 604/2013 la rétention des «Dublinables» est limitée dans la mesure où son article 28 prévoit, en cas de rétention, des délais de procédure raccourcis : un mois pour transmettre la requête à l'autre Etat «Dublin» (contre 60 à 90 jours en l'absence de rétention), ce dernier disposant alors de deux semaines pour répondre (contre 15 à 60 jours) [48]. Et il est précisé que lorsque l’Etat membre requérant ne respecte pas les délais de présentation d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge ou lorsque le transfert n’intervient pas dans le délai de six semaines, «la personne n’est plus placée en rétention» (alinéa 3). La Cour de justice a estimé qu’un demandeur en procédure «Dublin» ne peut être placé en rétention au-delà d’une durée de deux mois après que l’Etat requis a accepté le transfert, ou six semaines après que l’effet suspensif du recours a cessé [49].

Quoi qu’il en soit, si cette disposition du projet de loi «Collomb» est adoptée on changera d’échelle. Et surtout la philosophie du système rétentionnaire est substantiellement changée puisque la rétention de ces demandeurs d’asile ne répondra donc plus à la logique de porte vers la sortie du territoire, pour exécuter une mesure d’éloignement, mais de sas d’attente durant l’examen d’une éligibilité à une procédure.

On aurait pu s’attendre d’un juge constitutionnel qu’il marque fermement un coup d’arrêt à une telle évolution portant aussi substantiellement atteinte à la liberté individuelle de demandeurs d’asile en cours de procédure. Tel n’a malheureusement pas été le cas.

Cela est d’autant plus inquiétant qu’il admet aussi dans le cadre de l’examen du grief de méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, que la définition du «risque non négligeable de fuite» par les douze catégories fixées par le législateur à l’article L. 551-1 II du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont «ni équivoques ni inintelligibles» (cons. 7) et «comptent au nombre des situations pouvant caractériser un tel risque de fuite» (cons. 8).

Dans l’arrêt "Al Chodor", la Cour de justice avait rappelé qu’en vertu des articles 2, sous n), et 28, § 2, du Règlement (UE) n° 604/2013 qu’il appartient aux Etats membres de fixer, «dans une disposition contraignante de portée générale» les critères objectifs définis par la loi sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert. Il aurait donc été bienvenu que le juge constitutionnel se montre plus sourcilleux au regard de ses propres normes de contrôle. Il appartiendra donc aux juges administratifs et judiciaire dans le cadre du contrôle d’unionité de vérifier que ces douze catégories, qui couvrent en réalité une très grande partie des «Dublinables», reposent sur des critères suffisamment objectifs et précis. Dans sa décision du 15 mars 2017, la Cour de Luxembourg a rappelé qu’à l’aune tant de l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) que de l’article 5 de la CESDH (N° Lexbase : L4786AQC) la mise en œuvre d’une mesure de privation de liberté implique, notamment «qu’elle soit exempte de tout élément de mauvaise foi ou de tromperie de la part des autorités» et qu’elle est soumise au respect de garanties strictes, «à savoir la présence d’une base légale, la clarté, la prévisibilité, l’accessibilité et la protection contre l’arbitraire» [50].

Dans son avis du 10 janvier 2018 et ses observations devant le Conseil constitutionnel du 8 mars 2018, le Défenseur des droits avait aussi insisté sur l’imprécision des modalités d’évaluation de la situation individuelle et de la vulnérabilité des demandeurs ainsi que sur le caractère incomplet du dispositif de prise en compte d’éventuelles défaillances systématiques dans le dispositif d’accueil de l’Etat requis [51] au regard du droit d’asile et de son corollaire le droit aux conditions matérielles d’accueil décente, qui se rattache au principe de dignité [52]. Toutefois, le juge constitutionnel ne répond pas spécifiquement sur ces points.

 

III - La validation de la réduction à sept jours du délai de recours des «Dublinés» contre la décision de transfert

 

La majorité sénatoriale avait, également, saisi l’effet d’aubaine que constituait la proposition «Warsmann» et le fait que, sans pour autant déclarer l’urgence, le Gouvernement était pressé de remédier à la faille juridique béante laissé par l’arrêt «Al Chodor» de mars 2017 et la décision de la Cour de cassation de septembre 2017 pour raccourcir le délai de recours contre les décisions de transfert (fixé à quinze jours par la loi du 29 juillet 2015 N° Lexbase : L6640KDB) à sept jours lorsque le demandeur ne fait l’objet d’aucune mesure de surveillance (article L. 742-4-I du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L9275K4B). Là aussi le Conseil constitutionnel a validé, sans sourciller, la constitutionnalité de ce délai au regard du droit à un recours juridictionnel effectif.

Si, sur le fondement de l’article 16 de la DDHC [53], le juge constitutionnel garantit, de longue date, ce droit à un recours juridictionnel effectif aux étrangers [54], son niveau d’exigence dans les procédures d’éloignement n’a jamais été très exigeant.

Certes, en matière de privation de liberté, dans le prolongement de sa jurisprudence fondatrice de 1980, il estime que le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit «tenu de statuer dans les plus brefs délais» [55]. Pourtant il a admis en 2011 comme cela a déjà été rappelé précédemment que le JLD n’intervienne que dans le délai de cinq jours au nom de la bonne administration de la justice et l’efficacité, supposée (et pas démontrée entre 2011 et 2016), des procédures d’éloignement [56]. Il n’avait pas non plus censuré la modification d’un délai de saisine du juge judiciaire en cas de maintien en rétention, parce qu’elle ne faisait pas «en elle-même obstacle au droit de l’étranger de contester la décision administrative qui le contraint à quitter le territoire national» [57].

Il a même estimé, en 2003, que la possibilité d'écarter, selon une procédure accélérée, des demandes manifestement infondées devant la Commission des recours des réfugiés (ancêtre de la CNDA) visait à assurer «un exercice plus effectif du droit de recours des demandeurs d'asile» [58] ; se plaçant pour apprécier l’atteinte à ce droit du point de vue du juge et non du demandeur d’asile.

Toutefois dans des décisions relatives à l’état d’urgence, le Conseil constitutionnel a indiqué que le droit à un recours juridictionnel effectif «impose que le juge administratif soit tenu de statuer sur la demande d'annulation de la mesure dans de brefs délais» [59]. Et dans sa récente décision sur les principales dispositions de la loi «SILT» du 30 octobre 2017, il a prononcé la censure de dispositions de l'article L. 228-5 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L2137LHM) qui prévoyait que le fait pour des personnes sous mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) d’être interdites de se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes ne pouvait faire l'objet d'un recours en référé liberté ou suspension mais seulement d’un recours pour excès de pouvoir dans les deux mois devant le tribunal administratif ; qui devait dans ce cas se prononcer dans un délai de quatre mois. Or, pour le Conseil, un tel délai en raison de sa longueur portait une atteinte disproportionnée au droit au recours juridictionnel effectif «compte tenu de l'atteinte qu'une telle mesure porte aux droits de l'intéressé» [60].

Il aurait donc été possible d’estimer que la réduction à sept jours du délai de recours contre la mesure de transfert, qui concerne des étrangers qui, n’étant pas placés en centres de rétention [61] n’ont pas accès aux dispositifs légaux d’assistance à l’accès aux droits assuré par les associations en rétention, et sont souvent placés dans des conditions matérielles très précaires, rendait ce recours ineffectif. En tout cas c’est ce que défendaient les sénateurs auteurs de la saisine ainsi que le Défenseur des droits dans sa contribution extérieure. Au soutien de son argumentation ce dernier invoquait aussi l’arrêt de la CEDH du 2 février 2012, «I. M. c/ France» (CEDH, 2 février 2012, Req. 9152/09 N° Lexbase : A9424IBN), affaire dans laquelle la France a été condamnée en raison de l’ineffectivité des recours dans le cadre des demandes d’asile en rétention.

Mais le Conseil constitutionnel s’est montré insensible à ces arguments. Il a estimé que dès lors que d’une part certaines garanties procédurales étaient apportées (mention des voies et délais de recours ; droit d'avertir ou faire avertir son consulat, un conseil ou tout autre personne de son choix et lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un avocat, les principaux éléments de cette décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend), que, d’autre part, la décision de transfert ne peut pas faire l'objet d'une exécution d'office avant l'expiration d'un délai de quinze jours (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 742-5 N° Lexbase : L6647KDK) et, qu’enfin, le recours contre cette décision a un caractère suspensif de plein droit, il n’y a pas d’atteinte «substantielle» au droit à un recours juridictionnel effectif (cons. 22). Comme à son habitude le contrôle du Conseil constitutionnel reste, particulièrement dans le cadre du contrôle a priori, très formel et est bien loin des réalités bassement matérielles du droit des étrangers.

La loi du 20 mars 2018 a, néanmoins, une vulnérabilité que ses concepteurs semblent avoir mal appréciée. On aurait pu penser, comme semble le considérer "Legifrance", que ses dispositions régissant la rétention des «Dublinables» sont entrées en vigueur le lendemain de sa publication au JORF, soit le 22 mars 2018. Toutefois, comme l’a souligné Christophe Pouly dans ses commentaires [62], on peut penser que le dispositif reste suspendu à la publication d’un décret en Conseil d’Etat devant préciser «les modalités de prise en compte de la vulnérabilité et, le cas échéant, des besoins particuliers des demandeurs d’asile ou des étrangers faisant l’objet d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge» (art. 1er, 7°). C’est en tout cas ce qu’a considéré notamment la cour d'appel d'Aix-en-Provence [63].

En outre, et surtout, comme le ministre de l’Intérieur s’y était engagé afin de convaincre sa majorité d’adopter le texte de la proposition "Warsmann" durci par le Sénat, un amendement a été introduit [64] par la rapporteure de la commission des lois de l’Assemblée, Elise Fajgeles, afin de ramener ce délai de recours contre la décision de transfert de sept à quinze jours (article 7 bis du texte adopté par la commission des lois modifiant l’article L. 742-4 I. du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L9275K4B).

Ainsi, comme le Conseil constitutionnel avec sa décision du 15 mars 2018, le groupe «LREM» a fait marche arrière…

 

 

 

 

 

 

[1] Décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980 N° Lexbase : A8010ACN).

[2] Pour une première démonstration en ce sens : cf., Serge Slama, Les lambeaux de la protection constitutionnelle des étrangers, in Jurisprudence du Conseil constitutionnel, Revue française de droit constitutionnel, avril 2012, n° 90, p. 373-386.

[3] Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (N° Lexbase : L3872IZG).

[4] Communiqué du Défenseur des droits, Régime d’asile européen : le Défenseur des droits dénonce une proposition de loi qui permet de priver de liberté les demandeurs d’asile, 7 décembre 2017.

[5] Pourquoi la proposition de loi sur le renforcement de la rétention des migrants inquiète les ONG, 20 minutes, 7 décembre 2017 (à propos de notre tweet).

[7] Voir, aussi, cette porte étroite en PDF.

[8] Voir la Fiche "Wikipédia" du groupe "Groupe UDI, Agir et indépendants". 

[9] Proposition de loi n° 331 déposé à l'Assemblée le 24 octobre 2017 permettant une bonne application du régime d’asile européen.

[10] Le "projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile" effectif a été présenté le 21 février 2018 en Conseil des ministres et vient d’être adopté le 6 avril par la Commission des lois de l’Assemblée avant d’être examiné en séance publique à partir du 16 avril 2018.

[11] Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile (N° Lexbase : L9673KCA).

[12] V., not., CE 2° et 7° ch-r., 21 mars 2011, n° 345978 (N° Lexbase : A6964HEN).

[13] CJUE, 15 mars 2017, aff. C-528/15.

[14] Selon "La Cimade", le nombre de demandeurs d’asile faisant l’objet d’une procédure relevant du Règlement «Dublin» est passé d’environ 6 000 personnes en 2014, 12 000 en 2015 et 22 000 en 2016 (25 % des personnes demandeuses d’asile). Dans les centres de rétention où "La Cimade" exerce la mission d’aide à l’exercice des droits (Bordeaux, Toulouse, Hendaye, Mesnil-Amelot et Rennes), 946 personnes «Dublinées» ont été placées dans un centre de rétention au cours des dix premiers mois de 2017 contre 342 pour la même période en 2016 ("La Cimade", Dublin : l’urgence de changer de cap) ; Le rapporteur du projet de loi, M. Warsmann, confirme que le nombre de demandes d’asile relevant de la procédure «Dublin» s’établissait à 5 156 en 2014, 12 094 en 2015, et à 25 963 en 2016. La tendance s’accélérait depuis le début de l’année 2017 puisque ce chiffre était de 21 404 pour le seul premier semestre, soit une augmentation de 176 % par rapport au premier semestre 2016 mais que l’administration préfectorale «peine à mettre en œuvre les procédures de transfert vers les Etats européens» dans la mesure où en 2016, seuls 1 293 des 14 308 demandeurs d’asile sous procédure «Dublin» que les Etats membres avaient accepté de reprendre en charge ont effectivement été transférés, soit un peu moins de 9 %, (v., Rapport n° 427 fait au nom de la Commission des lois, sur la proposition de loi permettant une bonne application du régime d’asile européen (n° 331) par M. Warsmann) ; Curieusement il ne donnait aucun élément chiffré sur le nombre de «Dublinés» placés en rétention et sur l’efficacité, réelle ou supposée, de la rétention dans l’effectivité du transfert. Selon le rapporteur de la commission de lois du Sénat, M. Buffet, à la préfecture de Police de Paris, le nombre de placement en rétention de «Dublinés» s’élevait à 20 par semaine avant la décision de la Cour de cassation de septembre 2017 (v., Rapport n° 218 de M. Buffet, fait au nom de la commission des lois, déposé le 17 janvier 2018).

[15] Cass. civ. 1, 27 septembre 2017, n° 17-15.160, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1404WT8) ; C. Pouly, «Dublinés» : fin des rétentions administratives jusqu'à nouvel ordre», Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, 28 septembre 2017.

[16] CE 2° et 7° ch.-r., 19 juillet 2017, n° 408919 (N° Lexbase : A6250WNS).

[17] Cass. civ. 1, 7 février 2018, n° 17-14.866, FS-P+B (N° Lexbase : A6883XCW).

[19] Se plaçant hors la loi, les préfets ont donc pendant six mois violé systématiquement et en toute connaissance de cause le droit de l’Union européenne. En effet, selon "La Cimade", malgré la décision de la Cour de justice de mars 2017 et l’arrêt de la Cour de cassation de septembre 2017, «entre le 28 septembre 2017 et le 19 mars 2018, dans les seuls centres où "La Cimade" exerce la mission d’aide à l’exercice des droits, au moins 451 personnes dont 60 enfants ont été placées en rétention pour l’exécution d’une décision de transfert et au moins 171 (dont 15 enfants) ont été transférées vers un autre Etat Dublin. Pour contourner les décisions des juridictions suprêmes, les préfets ont placé les personnes le soir pour un vol dès potron-minet, les empêchant de saisir les juges. 85 % des personnes ont ainsi été placées pendant un ou deux jours. Dans d’autres lieux, ce sont les juges des libertés et de la détention qui ont prolongé la rétention sous prétexte que les personnes étaient en fuite. Les tribunaux administratifs de Melun et de Montreuil ont enjoint au préfet de mettre fin à la rétention de personnes pour qui la procédure Dublin était éteinte» (v., Rétention des personnes «Dublinées» : publication de la loi permettant sa généralisation) ; le rapport du sénateur Buffet confirme qu’à la préfecture de police de Paris, même après l'arrêt de la Cour de cassation «le nombre de personnes transférées est compris entre 5 et 10 par semaine» (rapport préc.).

[20] V., à titre d’illustration, la désormais fameuse décision de cour d’appel de Paris du 9 février 2018 qui admet la prolongation de la rétention administrative d’une jeune-femme de 21 ans et de son bébé de 13 mois dans le cadre d’une réadmission «Dublin 3», malgré l’absence de définition légale du «risque non négligeable de fuite» en considérant d’une part que «la circonstance que l’arrêté querellé ne mentionne pas que la retenue est mère d’un jeune enfant ne permet pas de déduire que le préfet ne se serait pas livré à un examen particulier de sa situation personnelle» et surtout que «l’application des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ne relève pas, en tout état de cause, de la compétence du juge judiciaire» (NB : la France a été condamnée en 2012 et 2016 à 5 reprises s’agissant de la rétention d’enfants accompagnant leurs parents). Cet exploit judiciaire a valu à cette décision d’être doublement récipiendaire du prix «Créon 2018» délivré par Me Norbert Clément le 1er avril 2018 ; v., aussi, le communiqué de "La Cimade" et du "Gisti".  

[21] CE, 5 mars 2018, n° 405474. C. Pouly, Rétention en procédure «Dublin» : le Conseil d'Etat emboîte le pas de la Cour de cassation, Dictionnaire permanent – droit des étrangers, 6 mars 2018.

[22] Lors de la discussion le ministre de l’Intérieur avait lui-même affirmé que cette proposition devait être conçue «comme la première pierre de la refondation de notre politique d’immigration et d’asile, lancée par le Gouvernement le 12 juillet», Assemblée nationale, Deuxième séance du 7 décembre 2017.

[23] La Cimade, Une proposition de loi téléguidée par le gouvernement pour enfermer massivement les demandeurs d’asile, 28 novembre 2017 ; Le journal «Le Monde» confirme que le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, aurait «invité» les députés «les Constructifs» à déposer cette proposition afin de «retire[r] à court terme une épine du pied du Gouvernement» ; M. Baumard, Une loi pour mettre en rétention les «dublinés», Le Monde, 6 décembre 2017.

[24] Défenseur des droits, Régime d’asile européen : le Défenseur des droits dénonce une proposition de loi qui permet de priver de liberté les demandeurs d’asile, Communiqué, 7 décembre 2017.

[25] Défenseur des Droits, avis 18 février du 10 janvier 2018 relatif à la proposition de loi n° 149 permettant une bonne application du régime d'asile européen, Communiqué, 7 décembre 2017.

[26] Défenseur des Droits, Décision 2018-090 du 8 mars 2018 portant observations devant le Conseil constitutionnel dans le cadre de l’examen de la loi permettant une bonne application du régime d'asile européen

[27] Défenseur des Droits, Avis 18-02 du 10 janvier 2018 relatif à la proposition de loi n° 149 permettant une bonne application du régime d'asile européen.

[28] Cons. const., décision n° 92-307 DC du 25 février 1992 (N° Lexbase : A8265AC4), loi portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France dite «zone de transit», cons. 11. Curieusement cette décision, pourtant essentielle (puisqu’il s’agit du seul précédent d’admission d’une privation de liberté de demandeurs d’asile le temps d’examen de la recevabilité manifeste de leur demande d’asile) ne figure pas dans le dossier documentaire annexé à la décision n° 2018-762 DC du 15 mars 2018…

[29] Cons. const., décision, n° 86-216 DC du 3 septembre 1986 (N° Lexbase : A8142ACK) ; Cons. const., décision, n° 89-261 DC du 28 juillet 1989 (N° Lexbase : A8203ACS).

[30] Cons. const., décision n° 2003-484 DC, du 20 novembre 2003 (N° Lexbase : A1952DAK), cons. 66.

[31] Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-631 DC (N° Lexbase : A4307HTP), cons. 75.

[32] Ibid., cons. 66.

[33] CEDH, 25 juin 1996, req. n° 19776/92 (N° Lexbase : A3731IW4), §. 41 ; CEDH, 28 février 2008, Req. 37201/06 (N° Lexbase : A0713D7K) ; CEDH, 28 février 2008, Req. 37201/06 (N° Lexbase : A0713D7K), §. 66.

[34] CEDH, 21 janvier 2011, Req. 30696/09 (N° Lexbase : A4543GQC) §. 216.

[35] CEDH, 8 décembre 2005, Req. 74762/01.

[36] CEDH, 25 juin 1996, Req. 19776/92, §. 43.

[37] CEDH, 15 novembre 1999, Req. 22414/93.

[38] CJUE, 15 mars 2017, aff. C-528/15, pp. 37-38.

[39] Cons. const, décision n° 2015-527 QPC, du 22 décembre 2015 (N° Lexbase : A9511NZB), cons. 4.

[40] Cons. const., décision n° 2011-631 DC, du 9 juin 2011, loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : A4307HTP) cons. 66.

[41]  CEDH, 4 novembre 2014, Req. 29217/12 (N° Lexbase : A5408MZC).

[42] Dans le cadre du Règlement du 26 juin 2013 les Etats membres sont tenus d’effectuer le transfert dans les 6 mois, délai qui peut être porté à 18 mois si le demandeur est en fuite. Ensuite l’Etat requérant devient compétent pour examiner la demande.

[43] V., pour un autre exemple, dans le contentieux des visas de transit aéroportuaires la limitation du droit d’asile eu égard à l’ordre public, v., CE 2° et 7° ch.-r., 18 juin 2014, n° 366307 (N° Lexbase : A6266MRI) ; cf., C. Lantero, De la validation du VTA par le Conseil d’Etat à la condamnation du refus de visa par le TA de Nantes, La Revue des droits de l’Homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 02 octobre 2014.

[44] CE 9° et 10° ch.-r., 28 décembre 2017, n° 415291 (N° Lexbase : A6080W93) ; F. Hamon, A. Fadier, Le droit de l’Union européenne à l’épreuve du paradigme sécuritaire : autour du refus du Conseil d’Etat d’annuler la décision de maintenir les contrôles aux frontières, La Revue des droits de l’Homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 10 avril 2018. 

[45] Assemblée nationale, Compte-rendu intégral de la deuxième séance du jeudi 07 décembre 2017.

[46] Comme le souligne Christophe Pouly, ces précisions sont «en réalité sans portée, la vulnérabilité faisant l’objet d’une évaluation dès le premier entretien (et il est peu probable que l’état de la personne évolue entre cet entretien et le rendez-vous précédant le placement)» ; «Les demandeurs d'asile 'dublinés"' peuvent être placés en rétention», Dictionnaire permanent - droit des étrangers, 22 mars 2018.

[47] Assemblée, article 16 du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie

[48] Rapport n° 218 (2017-2018) de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois, déposé le 17 janvier 2018.

[49] CJUE, 13 septembre 2017, aff. C-60/16.

[50] CJUE, 15 mars 2017, aff. C-528/15, pp. 39-40.

[51] CEDH, 21 janvier 2011, Req. 30696/09 (N° Lexbase : A4543GQC) ; CJUE, 21 déc. 2011, aff. C-411/10 (N° Lexbase : A6906H8B).

[52] CJUE, 27 septembre 2012, aff. C-179/11 (N° Lexbase : A4352ITD) ; CJUE, 27 février 2014, aff. C-79/13 (N° Lexbase : A9418MEK).

[53] Cons. const., décision n° 2004-492 DC, du 2 mars 2004, loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : A3770DBA) ; Cons. const., décision n° 2011-138 QPC, du 17 juin 2011 (N° Lexbase : A6178HTY).

[54] Cons. const., décision n° 93-325 DC, du 13 août 1993, loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France (N° Lexbase : A8285ACT) «Statut constitutionnel des étrangers», cons. 3.

[55] Cons. const., décision n° 2016-561/562 QPC, du 9 septembre 2016 (N° Lexbase : A4005RZD).

[56] Cons. const., décision n° 2011-631 DC, du 9 juin 2011, Loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : A4307HTP).

[57] Cons. const., décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997 (N° Lexbase : A8441ACM), cons. 55. 

[58] Décision n° 2003-485 DC, du 4 décembre 2003 (N° Lexbase : A0372DIM), cons. 51.

[59] Cons. const., décision n° 2017-691 QPC, du 16 février 2018 (N° Lexbase : A4593XDH), cons. 18.

[60] Cons. const., décision n° 2017-695 QPC, du 29 mars 2018 (N° Lexbase : A0553XIC), cons. 53. 

[61] Lorsque la décision de transfert est notifiée alors que l’intéressé est déjà en rétention, le délai de recours est fixé à quarante-huit heures (c. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 742-4-II N° Lexbase : L9275K4B). Pendant ce délai, la décision ne peut pas être exécutée (c. entr. séj. étrang. et asile L. 742-5 N° Lexbase : L5934G4K).

[62] V., supra, et C. Pouly, «L'application de la loi «Dublin» neutralisée faute de décret d'application ?», DPDE, 29 mars 2018.

[63] CA Aix-en-Provence, 29 mars 2018, n° 18/00285 (N° Lexbase : A6612XIQ) ; toutes les cours d’appel n’ont, toutefois, pas adopté la même solution.

[64]  Amendement n° CL922

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