La lettre juridique n°432 du 17 mars 2011 : Institutions

[Questions à...] Vers la mise en place d'une procédure de destitution du Président de la République - Questions à Philippe Houillon, député et rapporteur du projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution

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[Questions à...] Vers la mise en place d'une procédure de destitution du Président de la République - Questions à Philippe Houillon, député et rapporteur du projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4136955-questions-a-vers-la-mise-en-place-dune-procedure-de-destitution-du-president-de-la-republique-questi
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 17 Mars 2011

En ces temps troublés où un ancien Président de la République vient d'échapper (momentanément ?) à un procès devant le tribunal correctionnel de Paris pour des faits de financement occulte de parti politique s'étant (éventuellement) déroulés avant sa prise de fonction officielle en 1995, se pose la question de l'éventuelle mise en cause devant la justice du premier magistrat de France. La loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 (loi portant modification du titre IX de la Constitution N° Lexbase : L4654HUW) consacre, à la fois le principe de l'irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis en cette qualité et une procédure de destitution faisant intervenir le Parlement constitué en Haute Cour pour des actes aux termes desquels il serait considéré comme ayant manqué à ses devoirs de manière tellement grave et manifeste qu'il se rendrait, par là même, indigne de poursuivre l'exercice du mandat. Toutefois, les conditions d'application du dispositif devant être fixées par une loi organique, un projet de loi prévu à cet effet a été déposé devant l'Assemblée nationale le 22 décembre 2010, avec pour objectif de préciser, notamment, les conditions de présentation des propositions de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour, ainsi que les conditions et la portée de leur examen par les commissions permanentes compétentes des deux assemblées. Pour faire le point sur cette nouvelle procédure qui touche au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et à la continuité de l'Etat, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Philippe Houillon, député de la première circonscription du Val d'Oise, et rapporteur du projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution. Lexbase : Comment se caractérisait la situation antérieure à la révision constitutionnelle du 23 février 2007 concernant le statut pénal du Président de la République ?

Philippe Houillon : Avant cette révision, les règles constitutionnelles applicables n'avaient jamais été modifiées depuis 1958. En effet, le statut pénal du Président de la République, défini aux articles 67 (N° Lexbase : L0896AHN) et 68 (N° Lexbase : L0897AHP) de la Constitution, était largement inspiré des lois constitutionnelles de 1875 (loi du 25 février 1875, relative à l'organisation des pouvoirs publics) et de la Constitution du 27 octobre 1946, notamment à son article 42. Le Président de la République pouvait être mis en accusation devant une Haute Cour de Justice pour "haute trahison", notion héritée des Républiques précédentes. Deux séries de difficultés sont apparues, motivant l'intervention du Constituant en 2007.

D'une part, quel était le champ exact de l'immunité constitutionnelle conférée au Président de la République ? Ne concernait-elle que des fautes commises dans l'exercice des fonctions présidentielles ? Ou bien autorisait-elle la poursuite du chef de l'Etat pour des actes extérieurs à ses fonctions (actes purement privés ou commis avant le mandat) ? Si oui, devant quelle juridiction ? A ces questions, la jurisprudence avait fourni des réponses partiellement divergentes : le Conseil constitutionnel avait conclu à un privilège de juridiction au bénéfice de la Haute Cour de Justice (Cons. Const, décision n° 98 408 DC du 22 janvier 1999 N° Lexbase : A8770ACS), tandis que la Cour de cassation avait limité la compétence de la Haute Cour au seul cas de haute trahison, les juridictions pénales de droit commun restaient compétentes pour tous les autres actes, tout en reconnaissant au chef de l'Etat une inviolabilité temporaire pendant son mandat (Ass. plén., 10 octobre 2001, n° 01-84.922 N° Lexbase : A1629AWA).

D'autre part, le mécanisme constitutionnel de mise en cause du Président antérieur à 2007 avait l'inconvénient de mélanger responsabilité pénale et responsabilité politique. Cela tenait d'abord aux ambiguïtés de la notion de haute trahison, sorte de "crime contre l'Etat". Par ailleurs, l'imprécision de cette notion, difficile à caractériser en temps de paix, et sa connotation exclusivement pénale rendaient inadéquates les conditions dans lesquelles le Président de la République était susceptible d'être traduit devant la Haute Cour de Justice. Les peines que cette dernière pouvait infliger et son caractère juridictionnel étaient, de surcroît, difficiles à déterminer. Cela tenait, également, à la composition et au mécanisme de fonctionnement de la Haute Cour de Justice : saisie par les deux assemblées, composée de parlementaires élus, elle faisait, cependant, intervenir des magistrats de la Cour de cassation (au sein d'une commission d'instruction et pour l'exercice du ministère public). En outre, d'après l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959, portant loi organique sur la Haute Cour de Justice (N° Lexbase : L5070IPH), son rôle consistait, non à porter une appréciation politique, mais à statuer "sur la culpabilité des accusés". 

La révision constitutionnelle de 2007 a mis fin à ce mélange de genres en supprimant la haute trahison et en remplaçant l'ancienne procédure par un mécanisme purement parlementaire de mise en cause du Président de la République. Cependant, cette procédure n'a pas pour objet de rendre le chef de l'Etat politiquement responsable devant le Parlement, le Gouvernement assumant seul cette responsabilité dans les conditions prévues aux articles 49 (N° Lexbase : L0876AHW) et 50 (N° Lexbase : L0877AHX) de la Constitution.

Lexbase : Quels sont les cas de figure dans le comportement du Président qui, selon vous, justifieraient que soit enclenchée la procédure de destitution ?

Philippe Houillon : Il ne pourrait naturellement s'agir que d'actes très graves, qui rendraient inconcevable la poursuite du mandat présidentiel. Le nouvel article 68 de la Constitution dispose, en effet, que "le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat". Cette formulation est volontairement très large, afin de permettre de faire face à toute crise et à toute situation imprévisible. Les manquements en question pourraient donc résulter de violations graves de la Constitution (par exemple un usage abusif des pouvoirs exceptionnels de l'article 16 ou le refus de promulguer les lois), d'actes commis avant l'accession à l'Elysée mais révélés postérieurement, ou encore d'actes commis pendant le mandat sans lien avec les fonctions présidentielles. Peu importe, d'ailleurs, que ces actes soient pénalement répréhensibles ou non : la procédure de destitution ne vise pas à sanctionner une infraction, mais simplement à mettre fin au mandat de celui qui ne serait plus considéré digne de l'exercer. Si jamais les actes en question étaient susceptibles de poursuites devant les juridictions de droit commun, celles-ci pourraient avoir lieu une fois le Président redevenu simple citoyen.

En effet, le Président de la République demeure non responsable des actes accomplis en cette qualité et bénéficie d'un régime protecteur dans la mesure où, en vertu de l'article 67, toute action contre lui, devant une juridiction ou une administration, est prohibée pendant la durée de son mandat. Si elle ôte tout caractère pénal à la traduction du chef de l'Etat devant la Haute Cour sans préjuger d'éventuelles poursuites qui pourraient être entreprises à son encontre, elle n'institue pas, pour autant, la responsabilité politique du Président de la République devant le Parlement. La procédure de destitution a seulement pour objet d'organiser une issue à une situation de crise exceptionnelle dans laquelle le comportement du Président de la République serait de nature à porter une atteinte grave et manifeste à l'autorité de sa fonction et, partant, aux intérêts supérieurs de l'Etat.

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter les principales étapes de son déroulement ?

Philippe Houillon : Dans l'esprit du Constituant de 2007, cette procédure doit être exceptionnelle et, lorsqu'elle est mise en oeuvre, elle doit trouver un dénouement rapide. L'article 68 de la Constitution prévoit un déclenchement de la procédure par les deux chambres, chacune devant donner son accord à la majorité des deux tiers de ses membres. Lorsqu'une première chambre a décidé du renvoi du chef de l'Etat devant la Haute Cour, la seconde chambre doit se prononcer dans les quinze jours. Après quoi, la Haute Cour, qui n'est rien d'autre que la réunion des deux assemblées parlementaires, dispose d'un mois pour se prononcer sur la destitution du Président de la République. Le projet de loi organique prévoit qu'elle est dessaisie si ce délai n'est pas strictement respecté. En effet, permettre que la Haute Cour poursuive ses travaux au-delà du délai d'un mois que lui a assigné le Constituant pour accomplir sa mission créerait une incertitude prolongée quant au sort du Président de la République, nuirait à son autorité et, par conséquent, porterait atteinte au bon fonctionnement des institutions dont le chef de l'Etat est le garant.

Cette procédure n'a pas pour objet de rendre le chef de l'Etat politiquement responsable devant le Parlement, le Gouvernement assumant seul cette responsabilité dans les conditions prévues aux articles 49 et 50 de la Constitution. Il s'agit seulement pour la représentation nationale, dans le cadre de cette nouvelle procédure de destitution, d'apprécier si des actes ou des comportements reprochés au chef de l'Etat sont manifestement incompatibles avec l'exercice du mandat que lui a confié le peuple français, au point d'en rendre la poursuite impossible.

Lexbase : Comment éviter que ce mécanisme ne puisse être utilisé à des fins partisanes ?

Philippe Houillon : C'est l'un des enjeux de la future loi organique. Il faut à la fois permettre au mécanisme de destitution d'être opérationnel pour le jour où un manquement grave serait révélé, tout en évitant une banalisation de la procédure, qui résulterait soit d'une volonté du Parlement de rendre le chef de l'Etat politiquement responsable de l'action gouvernementale, soit de pratiques de "harcèlement" procédural par une minorité de parlementaires. Le Constituant a clairement indiqué qu'il n'entendait pas créer une prérogative à la discrétion des seuls parlementaires de l'opposition, à la différence, par exemple, des dispositions de l'article 61 (N° Lexbase : L0890AHG) permettant à soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel des lois votées, avant leur promulgation.

En l'état actuel du projet de loi organique, plusieurs garanties permettraient d'éviter un usage abusif de la procédure : la proposition de résolution visant à réunir la Haute Cour devrait être motivée, signée par un dixième des membres de l'assemblée concernée et soumise à la commission des lois de la première chambre afin de vérifier que la proposition n'est "pas dénuée de tout caractère sérieux". Si elle devait constater que tel est le cas, la proposition de résolution ne pourrait être inscrite à l'ordre du jour de cette assemblée. En revanche, le Gouvernement a estimé qu'il n'y a pas lieu de limiter à une seule le nombre de propositions de résolutions qu'un membre du Parlement pourrait présenter au cours du même mandat présidentiel, comme le proposait le rapport "Avril", qui a servi de base à la réforme constitutionnelle de 2007. Cette prérogative des parlementaires doit pouvoir être mise en oeuvre à tout moment, la procédure de destitution ayant vocation à s'appliquer à une situation certes exceptionnelle mais nécessairement imprévisible.

Lexbase : De quelle manière devrait s'organiser la Haute Cour ? Quels seraient ses pouvoirs d'investigation ?

Philippe Houillon : L'appellation "Haute Cour" (et non plus "Haute Cour de Justice") désigne la réunion de l'ensemble des parlementaires des deux assemblées, à l'instar du Congrès chargé d'approuver une révision constitutionnelle. La procédure de destitution étant purement politique, on retrouvera une intervention en amont, afin d'éclairer les débats de la Haute Cour, d'une commission composée de façon pluraliste, à cette différence près avec le travail parlementaire habituel qu'elle sera bicamérale. Cette commission serait dotée de prérogatives identiques à celles des commissions d'enquête (auditions, contrôles sur pièces et sur place, etc.), et conclurait ses travaux par un rapport rendu public. Cette commission étant chargée de réunir toute information nécessaire à l'accomplissement, par la Haute Cour, de sa mission, il est nécessaire de la doter de prérogatives d'investigation étendues. A cet égard, comme le suggérait la commission "Avril", le projet de loi organique propose d'attribuer à la commission les pouvoirs confiés aux commissions d'enquête par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires (N° Lexbase : L1125G88).

Après quoi, le Parlement réuni en Haute Cour se prononcera sur la destitution du chef de l'Etat, à bulletins secrets et à la majorité des deux tiers de ses membres. Le projet de loi organique précise que le vote doit intervenir dans les 48 heures suivant l'ouverture des débats. Devant la commission, comme devant la Haute Cour, le Président de la République pourra, à sa demande, être entendu (soit personnellement, soit en se faisant représenter). En effet, le Constituant a souhaité que le mandat ne soit pas suspendu du seul fait de la saisine de la Haute Cour, de sorte que l'exercice de ses fonctions, pendant toute la procédure devant elle, ne doit pas être contrarié par des convocations de la commission.

Lexbase : Quelles sont les différences notables avec la procédure d'impeachment aux Etats-Unis ?

Philippe Houillon : Aux Etats-Unis, la procédure d'impeachment peut viser à la fois, "le Président, le vice-président et tous les fonctionnaires civil", pour "trahison, corruption ou autres hauts crimes et délits" (article 2, section III, de la Constitution du 17 septembre 1787). A l'instar de l'article 68 de notre Constitution, elle peut donc aboutir à la destitution (removal) du Président des Etats-Unis. Au-delà de ce point commun, les différences entre les deux procédures sont nombreuses. La plus évidente concerne les conséquences de la procédure : une destitution du Président américain (hypothèse qui ne s'est, d'ailleurs, jamais produite) n'entraîne pas de nouvelle élection, le mandat étant achevé par le vice-président des Etats-Unis. Lorsque le Président américain est mis en cause, les débats devant le Sénat sont présidés par le président de la Cour suprême (article 1er, section II et III). Le Sénat, s'il vote la culpabilité, peut destituer le Président ou lui interdire d'occuper tout poste officiel à l'avenir. Deux fois, la Chambre des représentants a voté la mise en accusation du Président des Etats-Unis, pour Andrew Johnson (en 1868) et Bill Clinton (1998). Tous deux ont été acquittés par le Sénat.

Dans le cas français, la destitution entraîne la vacance de la présidence de la République, l'intérim exercé par le Président du Sénat et l'organisation, dans les 35 jours au plus tard, d'une élection présidentielle anticipée. C'est donc le peuple français qui, in fine, dispose du dernier mot. Le président destitué peut, d'ailleurs, se présenter à l'élection, sauf s'il tombe sous le coup de l'interdiction d'exercer plus de deux mandats consécutifs, introduite à l'article 6 de la Constitution par la révision du 23 juillet 2008 (loi n° 2008-724, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK). Par ailleurs, alors que la procédure française se veut désormais purement politique, la procédure d'impeachement est plus ambiguë, à mi-chemin entre le politique et le pénal. On peut le constater en se reportant à la Constitution des Etats-Unis, selon laquelle "le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des Etats-Unis seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs". L'interprétation très souple faite en pratique de ces "autres crimes et délits" aboutit à une responsabilité politico-pénale du Président américain. Ce caractère hybride se retrouve, également, dans la procédure de jugement, le Sénat étant, alors, présidé par le Président de la Cour suprême (Chief Justice).

Enfin, historiquement, les deux procédures ne répondent pas aux mêmes finalités. Le nouvel article 68 de la Constitution a été conçu comme une "soupape de sûreté" (l'expression émane du rapport "Avril"), susceptible de venir exceptionnellement compenser l'immunité conférée au Président de la République par l'article 67 de la Constitution. Aux Etats-Unis, l'impeachment a davantage été conçue par les Constituants de 1787 comme un tempérament à l'irresponsabilité politique du Président et donc, plus largement, à l'irresponsabilité de l'exécutif devant le Congrès.

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