La lettre juridique n°681 du 22 décembre 2016 : Procédure civile

[Textes] Justice du XXIème siècle : enfin la loi ! A propos des aspects de procédure civile de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016

Réf. : Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, de modernisation de la justice du XXIème siècle (N° Lexbase : L1605LB3)

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[Textes] Justice du XXIème siècle : enfin la loi ! A propos des aspects de procédure civile de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/36703312-textes-justice-du-xxieme-siecle-enfin-la-loi-a-propos-des-aspects-de-procedure-civile-de-la-loi-n-20
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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure civile"

le 30 Décembre 2016

Le thème de la Justice du XXIème siècle occupe le ministère de la Justice depuis le début du quinquennat. Nous y consacrons ici notre troisième chronique, après avoir étudié les rapports et propositions de l'année 2013 (1), puis avoir examiné les avancées intermédiaires en 2015 (2), pour finalement analyser dans cette étude la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, de modernisation de la justice du XXIème siècle. Le projet initialement concentré sur la justice judiciaire a pris beaucoup d'ampleur et s'est étendu à la justice administrative. Si certaines modifications de grande ampleur ont été abandonnées assez tôt dans le processus de la réforme (3), la loi du 18 novembre 2016 est un texte-fleuve qui apporte des modifications dans de très nombreux domaines de la procédure civile, pénale, et administrative, mais également dans l'organisation juridictionnelle. Par ailleurs, cette loi s'intègre dans un contexte de réforme plus vaste, qui a touché, par exemple, la justice prud'homale (4) ou encore la fusion des professions de juge de proximité et de magistrat exerçant à titre temporaire, qui accompagne la disparition des juridictions de proximité au 1er juillet 2017 (5). Par conséquent, la loi constitue le principal instrument de réforme de la justice, mais pas le seul. Le commentaire que nous proposons ici se concentre sur les dispositions de procédure civile. Nous signalons, à titre d'information, deux modifications importantes liées à l'organisation juridictionnelle. D'une part, l'article L. 123-3 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L1803LBE) institue un service d'accueil unique du justiciable (SAUJ) qui informe les personnes sur les procédures les concernant et reçoit les actes afférents à ces procédures. L'objectif de cette disposition consiste à aménager, dans chaque implantation juridictionnelle, un service qui permette à un justiciable de réaliser des actes de procédure concernant ses actions en justice, indépendamment des règles de compétence territoriale. Ainsi, la compétence du SAUJ s'étend au-delà de celle de la juridiction où il est implanté. L'acte reçu dans ce service sera valable sur tout le territoire national. Par ailleurs, un transfert de compétence est effectué en droit de la responsabilité. Ainsi, l'article L. 211-4-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L2484LBM) prévoit désormais que les actions en réparation d'un dommage corporel relèvent de la compétence exclusive du tribunal de grande instance. Enfin, les contentieux de la Sécurité sociale et de l'admission à l'aide sociale sont désormais attribués au TGI dans une formation qui intègre des représentants, des salariés, des employeurs et des travailleurs indépendants.

Au milieu de nombreuses modifications techniques, nous présentons ici trois modifications importantes de procédure civile issues de la loi. D'abord, le renforcement et l'élargissement des modes alternatifs de règlement des litiges (I) ; ensuite, l'introduction d'un recours permettant le réexamen des décisions civiles en matière d'état des personnes, après une condamnation de la France par la CEDH (II) ; enfin, le déploiement substantiel des actions de groupe spécifiques et la création d'un régime général applicable à la plupart de ces actions (III).

I - Les modes alternatifs de règlement des litiges

La recherche d'une conciliation entre les parties est un processus très ancien qui a été mis en avant par tous les rapports préparatoires à la réforme. Les avantages sont bien connus : obtenir l'accord des parties plutôt que trancher un désaccord, alléger la charge contentieuse des juges, etc.. Les modes alternatifs recensés par le Code de procédure civile sont très nombreux : conciliation et médiation judiciaire ou extrajudiciaire, procédure participative, accord des parties débouchant sur une transaction. Les parties n'ont que l'embarras du choix pour tenter de s'entendre. Pourtant, la pratique de ces modes amiables est très faible, notamment devant le tribunal d'instance et la juridiction de proximité. L'étude d'impact a ainsi fait le constat que les affaires donnant lieu à une tentative de conciliation ne dépassent pas les 2,2 % dans ces juridictions. Devant le TGI, la part des injonctions de médiation ne dépasse pas 1,4 % des affaires (0,3 % devant les cours d'appel). Les procédures participatives sont plus rares encore. En 2013, cinq ont abouti devant les TGI et 39 devant les TI.

Pour renverser cette tendance du "tout contentieux", le législateur a tenté de développer, une nouvelle fois, les modes alternatifs allant parfois jusqu'à les imposer.

A - La conciliation obligatoire devant le tribunal d'instance

Au premier juillet 2017, le tribunal d'instance absorbera le contentieux de la juridiction de proximité, qui va disparaître. En application de la loi du 18 novembre 2016, lorsque ce tribunal est saisi par une déclaration au greffe -c'est-à-dire lorsque le montant du litige n'excède pas 4 000 euros- la saisine doit être précédée d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice (6). Cette procédure est imposée à peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office. Toutefois, le recours au conciliateur de justice n'est pas le seul mode alternatif ouvert aux adversaires. Les parties sont dispensées de saisir un conciliateur de justice si elles ont déjà tenté de trouver un accord. Elles peuvent alors justifier de toute diligence entreprise en vue de parvenir à cet accord ou en demander l'homologation. Dès lors, toute tentative de résolution amiable satisfait aux conditions de saisine du TI par déclaration au greffe. Par ailleurs, la loi prévoit une dérogation lorsque l'absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime. La jurisprudence devra éclairer cette notion qui pourrait être invoquée fréquemment devant les juges d'instance.

B - Extension du champ de la procédure participative

Instituée en 2010 et mise en oeuvre dans le Code de procédure civile à la suite du décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012, relatif à la résolution amiable des différends (N° Lexbase : L8264IRI), la procédure participative n'a rencontré aucun succès auprès des avocats. On peut avancer des hypothèses pour expliquer cet échec. Cette procédure d'origine américaine ne correspond pas à la culture française. D'abord, la procédure participative institue une procédure avant la saisine du juge et elle la confie aux avocats. La figure intermédiaire du juge est effacée. Ensuite, la procédure participative n'est pas secrète. Tous les actes réalisés ou échangés durant cette phase amiable peuvent être réutilisés devant le juge, dans une instance contentieuse. La rupture avec la tradition des modes de résolution amiable, protégés par le secret, s'avère dissuasive. Enfin, même si certains barreaux ont créé des formations dédiées, les avocats ne sont pas rompus à l'exercice qui consiste, dans une même procédure, à négocier et mettre l'affaire en l'état, en échangeant notamment des conclusions et pièces. De fait, l'opportunité d'utiliser cette nouvelle voie amiable a été délaissée.

Pour stimuler son utilisation, le législateur a étendu son champ d'application dans deux directions. D'une part, la convention de procédure participative peut, désormais, être conclue après la saisine du juge. D'autre part, cette convention peut être utilisée dans le but de mettre en état le litige. Dans cette perspective, l'article 2062 du Code civil (N° Lexbase : L2429LBL) est réécrit pour définir plus largement le contrat nommé que constitue la convention de procédure participative (7).

La réforme est ici tout à fait mineure et on peut sérieusement douter de son impact sur la pratique. Le législateur s'est fondé sur l'idée que la convention de procédure participative a plus de chance d'être conclue une foi le juge saisi. L'avenir permettra de vérifier cette idée, mais il apparaît tout de même que la conclusion d'une telle convention constitue un retour en arrière pour les parties qui ont saisi le juge. Si, pour le demandeur, l'exercice de l'action en justice peut avoir pour but d'exercer une pression sur l'adversaire, il est douteux que le défendeur y voie une occasion de conclure un accord avec son contradicteur. Quant à l'idée d'utiliser la convention de procédure participative pour mettre l'affaire en état d'être jugée, là encore, on peut douter de l'efficacité d'un tel processus qui alourdira la charge des parties. On ne voit pas réellement l'intérêt pour les avocats de s'imposer par convention des obligations supplémentaires (des délais notamment) pour mettre en état l'affaire. Selon nous, l'échec de la procédure participative est surtout affaire de culture.

La modification légale de la procédure participative appelle des modifications réglementaires, qui auront pour but de définir le régime spécifique de la procédure participative après la saisine d'un juge. L'entrée en vigueur de ce dispositif est donc reportée.

C - Toilettage de la transaction

La transaction est un contrat nommé qui était déjà défini dans le Code civil de 1804. Le législateur a modernisé son régime en le nettoyant de dispositions surabondantes ou mal écrites et en consacrant les principales évolutions de la jurisprudence.

D'une part, la loi introduit une précision relative aux "concessions réciproques" qui constituent, selon la Cour de cassation, une condition de validité de la transaction (8). La définition du contrat à l'article 2044 du Code civil (N° Lexbase : L2431LBN) est ainsi étoffée (9).

D'autre part, l'effet de la transaction est formellement modifié. L'article 2052 (N° Lexbase : L2297ABP), qui disposait que "les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort", prévoit désormais que "la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet". Sur le fond, cette modification du texte ne change rien. L'autorité de la chose jugée constitue bien la fin de non-recevoir qui fait obstacle à l'exercice d'une action ayant le même objet entre les parties. Le législateur ne s'explique pas réellement sur les raisons de cette modification. L'objectif de clarification vise surtout, à notre sens, à effacer l'expression "autorité de la chose jugée" qui doit être attachée à une décision de justice.

Il n'en reste pas moins que, sans le dire, et même sans l'avoir vu, le législateur a confirmé ici une dérogation à l'article 1210 du Code civil (N° Lexbase : L0928KZE) qui prohibe les engagements perpétuels. En interdisant aux parties d'exercer une action en justice, la transaction possède un effet définitif qui les contraint à respecter l'accord ad vitam aeternam.

D - Ouverture de l'arbitrage aux non-professionnels

La convention d'arbitrage fait l'objet de quelques modifications formelles. Ainsi, le compromis et la clause compromissoires sont désormais regroupés dans un titre du Code civil intitulé "de la convention d'arbitrage" (10). Ces deux types de convention étaient réservés aux relations entre professionnels. Désormais, l'article 2061 du Code civil (N° Lexbase : L2433LBQ) dispose que "lorsque l'une des parties n'a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée". La formule n'est pas claire, mais la lecture des travaux parlementaire permet d'en comprendre le sens. Si un particulier souhaite confier son litige à un professionnel, il peut faire valoir la clause compromissoire introduite dans son contrat. En revanche, le professionnel ne peut opposer cette clause au non-professionnel si ce dernier en refuse l'application. Le particulier dispose finalement d'une option entre la juridiction arbitrale et la juridiction judiciaire (cf. D. Vidal, Justice du XXIème siècle : l'impact de l'article 11 alinéa 3 de la loi de modernisation de la Justice du XXIème sur le domaine de l'arbitrage, Lexbase éd. privé, 2016, n° 681 N° Lexbase : N5777BWU).

II - Le réexamen des décisions civiles en matière d'état des personnes

Depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (N° Lexbase : L0618AIQ), la procédure pénale connaît une voie de recours spécifique qui consiste dans la possibilité de faire réexaminer une condamnation pénale, à la suite d'un arrêt rendu par la CEDH. Cette procédure est aujourd'hui proche de celle du recours en révision (11). Certains plaideurs avaient tenté d'étendre le domaine de cette voie de recours à la matière civile, mais ils avaient rencontré une opposition frontale de la Cour de cassation (12), le Conseil d'Etat s'étant montré plus accueillant (13).

La loi du 18 novembre 2016 duplique la procédure de réexamen des décisions en procédure civile, mais elle en réduit considérablement le champ, puisque ce réexamen ne peut avoir lieu que pour les décisions civiles définitives rendues en matière d'état des personnes. On peut supposer que cette restriction fait référence au contentieux civil des personnes (changement de sexe par exemple), mais également à une partie du contentieux familial (celui de la filiation). Ce dispositif doit entrer en vigueur après la publication d'un décret d'application et au plus tard six mois après la promulgation de la loi. Il s'appliquera de façon rétroactive et tiendra donc compte des condamnations prononcées par la CEDH avant son entrée en vigueur.

En application du nouveau régime, le réexamen d'une décision civile définitive relative à l'état des personnes peut intervenir après une condamnation de la France par la CEDH ; dès lors que la violation constatée par la Cour européenne, "par sa nature et sa gravité", entraîne, pour la personne, des conséquences dommageables auxquelles la satisfaction équitable accordée en application de l'article 41 de la CESDH (N° Lexbase : L4777AQY) ne pourrait mettre un terme (14). Le recours doit être porté devant une juridiction spécifique -la Cour de réexamen- qui est distincte de la juridiction compétente en matière pénale. Cette juridiction est composée de treize magistrats issus de toutes les chambres de la Cour de cassation et présidée par le doyen des présidents de chambres. Les magistrats, qui ont déjà connu l'affaire avant les décisions de la CEDH, ne peuvent siéger. Le délai de recours est d'un an à compter de la décision de la CEDH. La qualité pour agir est étendue, puisque le recours peut être exercé, non seulement par la partie intéressée, mais également -en cas de décès de celle-ci- par un conjoint, partenaire pacsé, concubin, par un descendant ou par un légataire universel ou à titre universel.

La décision peut prendre plusieurs formes. Si la demande est manifestement irrecevable, le président le rejette par une ordonnance motivée insusceptible de recours. Si le recours est simplement mal fondé, c'est à la Cour qu'il appartient de le rejeter. Si la demande est fondée, la décision de la Cour présente encore des variations selon que le requérant sollicite l'annulation d'une décision ou le réexamen de son pourvoi en cassation. Dans le premier cas, la décision de la juridiction du fond qui a été prise en violation de la CEDH est annulée. La Cour de réexamen renvoie le requérant devant une autre juridiction du même ordre et de même degré. Dans le second cas, la Cour renvoie le requérant devant l'Assemblée plénière de la Cour de cassation pour que cette dernière examine son pourvoi.

III - Le déploiement de l'action de groupe

L'action de groupe est née en droit français à l'issue d'une très longue gestation à travers le prisme du droit de la consommation (15). C'est la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX) qui, la première, a intégré cette action particulière dans notre système juridique (16). En 2016, ce régime a été étendu et adapté à l'action de groupe en matière de santé (17).

La loi "J21" déploie le mécanisme de l'action de groupe de deux façons. D'une part, elle en étend le champ d'application en créant de nouvelles actions spéciales en matière de discrimination, en matière environnementale, et en matière de protection de données à caractère personnel. D'autre part, elle crée un régime général de l'action de groupe, tant devant le juge judiciaire que devant le juge administratif.

A - Organisation générale des différentes actions de groupes

Le droit applicable aux actions de groupe se scinde donc aujourd'hui en plusieurs ensembles.

  • Un régime général défini par la loi et applicable aux actions suivantes : actions en matière de discriminations sur le fondement de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39) ; action en matière de discriminations dans les relations de travail ; action en cessation d'un manquement qui cause un préjudice à l'environnement ; action en réparation d'un préjudice en matière de santé ; action liée au manquement à la loi informatique et liberté dans le cadre d'un traitement de données à caractère personnelles.
  • Chacune de ces actions fait également l'objet de règles spéciales introduites dans les différents codes (Code du travail, Code de l'environnement, Code de la santé publique) ou dans des lois spéciales (18).
  • Enfin, l'action de groupe en droit de la consommation et de la concurrence conserve son régime spécial, intégralement prévu dans le Code de la consommation (19), lequel n'a pas été modifié par la loi.

L'intention du législateur a été précisément de distinguer l'action de groupe en droit de la consommation et le régime général des autres actions. La première est destinée à régler des contentieux de masse dont les préjudices sont facilement identifiables, répétitifs et souvent de faible montant. Dans ce contexte, l'action de groupe vise à permettre aux justiciables d'obtenir collectivement ce qu'ils n'obtiendraient pas individuellement. Dans les autres domaines (santé, environnement, discriminations), les actions individuelles sont très développées et l'action de groupe ne vise pas à s'y substituer. L'objectif législatif consiste plutôt à faciliter la preuve des faits et "rationaliser le contentieux" (20). Pour cette raison, le régime général de l'action de groupe, s'il s'inspire de l'action en droit de la consommation, s'en distingue également sur de nombreux points.

Les nouvelles dispositions instituant le régime général et les actions spéciales s'appliquent aux actions dont le fait générateur est postérieur à l'entrée en vigueur de la loi.

B - Régime général de l'action de groupe

Si l'action de groupe est "introduite et régie" selon les règles du Code de procédure civile (21), la loi définit un régime général qui demeure extérieur à ce code (22). Pour assister les parties dans l'exercice de cette action, l'avocat doit donc jongler entre plusieurs textes : les règles de procédure civile, le droit commun de l'action de groupe inscrit dans la loi, et enfin, les règles propres à chaque action à rechercher dans des textes spéciaux.

  • Un cadre commun pour une liste limitative d'actions

Le cadre commun n'ouvre pas un droit généralisé à l'exercice d'une action de groupe. L'article 60 de la loi établit une liste limitative d'actions qui peuvent être exercées. Ce cadre commun n'a donc vocation à s'appliquer que si une action spéciale est ouverte. Sous cette réserve, l'action de groupe est définie de façon très générale par l'article 62, alinéa 1 : "Lorsque plusieurs personnes placées dans une situation similaire subissent un dommage causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles, une action de groupe peut être exercée en justice au vu des cas individuels présentés par le demandeur".

L'alinéa 2 du même article précise que l'action peut être intentée soit en cessation du manquement, soit pour obtenir réparation du préjudice consécutif à ce manquement (action en responsabilité), soit poursuivre ces deux finalités.

L'action de groupe se caractérise par une définition limitative de la qualité pour agir. Seules les associations agréées ou déclarées depuis cinq ans, qui comportent dans leurs statuts la défense d'intérêts auxquels il est porté atteinte, peuvent exercer une action de groupe. Cette qualité est élargie dans les relations de travail, puisque les organisations syndicales représentatives peuvent également exercer l'action de groupe (23). Les associations ou organisations qui disposent de la qualité pour agir sont définies dans les dispositions spécifiques prévues pour chaque type d'action. Par exemple, en matière de discrimination, peuvent agir les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins intervenant dans la lutte contre les discriminations ou oeuvrant dans le domaine du handicap.

L'action de groupe, exercée sur un fondement de droit privé, relève de la compétence exclusive du tribunal de grande instance. Lorsqu'elle implique l'application du droit administratif, elle est exercée devant le tribunal administratif selon une procédure définie par le Code de justice administrative.

  • Deux types d'actions : en cessation ou en réparation

La procédure de l'action de groupe est ensuite déclinée par la loi. Elle se divise de façon très inégalitaire selon que l'action est exercée en cessation du manquement, ou en réparation des préjudices.

Dans le premier cas, la loi se contente de préciser que le juge qui constate un manquement peut enjoindre au défendeur "de cesser ou de faire cesser ledit manquement et de prendre, dans un délai qu'il fixe, toutes les mesures utiles à cette fin, au besoin avec l'aide d'un tiers qu'il désigne". La loi reconnaît ici une action spécifique en cessation de l'illicite.

Dans le second cas, la réparation des préjudices par la voie de l'action de groupe suit une voie particulièrement complexe qui se divise en deux grandes étapes : le jugement sur la responsabilité et la procédure de mise en oeuvre de la réparation.

  • Le jugement sur la responsabilité

Le jugement sur la responsabilité doit trancher un très grand nombre de questions liées au caractère collectif de l'action. Il doit statuer d'abord sur la "responsabilité du défendeur". L'expression est ici mal choisie, car la responsabilité dépend tant du fait générateur que de l'existence de dommages et d'un lien de causalité. Or, au stade du jugement, seul le manquement du défendeur peut être mis en évidence avec certitude. Les préjudices subis par le groupe ne sont pas encore établis puisque les membres du groupe ne se sont pas manifestés. La responsabilité est donc constatée sur le seul fondement de "cas typiques" (24) qui sont présentés au juge.

Si le principe de la responsabilité est reconnu par la juridiction, le juge doit ensuite fixer les critères de rattachement au groupe, les préjudices susceptibles d'être réparés, les délais d'adhésion au groupe. Il doit encore définir les mesures de publicité du jugement qui seront à la charge du défendeur pour informer les victimes (après épuisement des recours).

  • La mise en oeuvre de la réparation : individuelle ou collective

L'exercice de l'action de groupe peut rencontrer des situations très différentes. Lorsque la demande en réparation porte sur des préjudices qui dépendent des caractéristiques de chaque membre du groupe, l'évaluation de ces préjudices doit se faire de façon individualisée. Il en est ainsi des préjudices corporels ou professionnels, qui varient très fortement d'un individu à l'autre, même si le fait générateur de responsabilité est identique. La mise en oeuvre du jugement suit alors une procédure individuelle de réparation des préjudices. A l'inverse, si l'action en responsabilité vise à réparer des préjudices matériels répétitifs, le juge peut décider de recourir à une procédure collective de liquidation des préjudices. La procédure collective est exclue dans certains types d'actions. Par exemple, en matière de discrimination imputable à un employeur, l'article L. 1134-10 du Code du travail (N° Lexbase : L5904LBB) dispose que "lorsque l'action tend à la réparation des préjudices subis, elle s'exerce dans le cadre de la procédure individuelle de réparation".

  • La procédure individuelle de réparation des préjudices

Lorsqu'aucune procédure collective de liquidation n'a été ordonnée par le juge, il appartient aux personnes qui souhaitent adhérer au groupe de se manifester, soit directement auprès de la personne déclarée responsable, soit auprès de la personne morale qui a exercé l'action (association, syndicat). Dans le second cas, la victime donne mandat à la personne morale de la représenter en justice. Une fois le groupe constitué, la personne déclarée responsable doit faire une proposition d'indemnisation individuelle à chacun des membres du groupe. En cas de litige, une nouvelle action peut être exercée concernant l'évaluation des préjudices individuels. Cette action peut être exercée, soit par chacun des membres du groupe, soit par la personne morale qui a reçu mandat de représenter certains membres en justice.

Dans cette procédure, qui porte uniquement sur le préjudice de chaque membre du groupe et sur le lien de causalité avec le manquement constaté, les victimes ont ainsi fait le choix d'agir à titre individuel ou au contraire de confier l'exercice de leur action à la personne morale demanderesse. A l'égard de ces victimes, le seul intérêt de l'action de groupe consiste à pouvoir bénéficier d'une décision définitive sur le fait générateur de responsabilité. Leur fardeau probatoire est allégé, ainsi que le risque inhérent à toute action en justice.

  • La procédure collective de liquidation des préjudices

Lorsque les préjudices sont sériels, le juge peut décider, dans le premier jugement, de mettre en oeuvre une procédure collective de liquidation des préjudices. Cette procédure se déroulera entre les mêmes parties : la personne morale demanderesse et le défendeur dont la responsabilité est déclarée. Le demandeur est alors habilité à négocier avec le défendeur sur l'indemnisation du préjudice subi par chaque membre du groupe. Les préjudices étant sériels, le juge fixe le montant de ces préjudices, ou les critères de calculs permettant d'individualiser les indemnisations. Il détermine également le délai et les modalités de négociation et de paiement.

A partir de ce premier jugement, s'ouvre une procédure en trois temps. D'abord, les personnes intéressées peuvent se joindre au groupe et donner mandat à la personne morale demanderesse à l'action, pour négocier le montant de leur réparation. Ensuite, s'ouvre une période de négociation entre les parties. Enfin, à l'issue de la période accordée par le juge pour négocier, les parties doivent présenter un accord, même partiel, aux fins d'homologation. Cet accord doit avoir été accepté par tous les membres du groupe concerné.

Lorsqu'un accord total a été trouvé, le juge peut décider de l'homologuer ou à l'inverse refuser, si les intérêts des parties et des membres du groupe lui paraissent insuffisamment préservés. Lorsque l'accord présenté au juge est partiel, le juge qui décide de l'homologuer est également saisi aux fins de liquidation des préjudices subsistants.

A défaut d'accord dans le délai d'un an à compte du jour où la décision au fond a acquis force de chose jugée, la procédure collective échoue et chaque membre du groupe doit présenter une demande individuelle au juge en réparation de son préjudice. La mise en oeuvre du premier jugement suit alors la procédure individuelle de réparation des préjudices.

  • Prescription et autorité de la chose jugée

L'action de groupe suspend la prescription des actions individuelles, ce qui permet aux victimes d'attendre le résultat de cette action avant de se déterminer en faveur d'une action individuelle. Par ailleurs, les jugements qui portent, tant sur le principe de la responsabilité, que sur la liquidation des préjudices, n'ont autorité de la chose jugée qu'à l'égard des personnes dont le préjudice a été réparé à l'issue de la procédure. Cela signifie qu'une personne qui n'est pas membre du groupe n'est pas atteinte par l'autorité de la chose jugée. Il en est de même de la personne qui a participé à la procédure, mais qui a refusé la proposition d'indemnisation faite par la personne déclarée responsable. Enfin, les préjudices qui n'ont pas été compris dans le jugement sur la responsabilité peuvent faire l'objet d'une action en réparation distincte de l'action de groupe.


(1) Nos obs., in La Justice du XXIème siècle : rapports, débats et réformes à venir, Lexbase éd. priv., n° 560, 2014 (N° Lexbase : N0942BUG).
(2) Nos obs., in La Justice du XXIème siècle : petits arrangements avec la procédure, Lexbase éd. priv., n° 632, 2015 (N° Lexbase : N9828BUK).
(3) On pense en particulier au projet de créer un tribunal de première instance qui aurait regroupé en sons sein la plupart des juridictions civiles et aurait résolu de nombreuses difficultés liées à la compétence juridictionnelle.
(4) K. Bouleau, P. Didier, Réforme de la justice prud'homale issue de la loi "Macron" : le décret d'application est enfin publié, Lexbase éd. soc., n° 659, 2016 (N° Lexbase : N3222BWA).
(5) Loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016, relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature (N° Lexbase : L6579K9K). Cf. également l'article 15 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016.
(6) Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, art. 4.
(7) C. civ., art. 2062 : "La convention de procédure participative est une convention par laquelle les parties à un différend s'engagent à oeuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend ou à la mise en état de leur litige".
(8) Cf. par ex. Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-40.984, FS-P+B (N° Lexbase : A6831E4R).
(9) "La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître".
(10) Anciennement intitulé "du compromis".
(11) C. pr. pén., art. 622 (N° Lexbase : L5444I3Z) et s..
(12) Cass. soc., 30 septembre 2005, n° 04-47.130, FS-P (N° Lexbase : A6001DKH) "Mais attendu que la décision du Comité des ministres du Conseil de l'Europe ou l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme dont il résulte qu'un jugement rendu en matière civile et devenu définitif a été prononcé en violation des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ouvre aucun droit à réexamen de la cause".
(13) CE Contentieux, 30 juillet 2014, n° 358564, publié au Recueil Lebon N° Lexbase : A7889MUQ) à propos des sanctions administratives.
(14) Cf. COJ, art. L. 452-1 (N° Lexbase : L1821LB3) et s..
(15) Le rapport "Calais-Auloy" proposait dès 1990 l'instauration d'une action de groupe en droit de la consommation.
(16) Cf., une présentation synthétique du mécanisme dans notre Chronique de procédure civile du mois de mai 2014, Lexbase éd. priv., n° 572, 2014 (N° Lexbase : N2414BUX).
(17) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, de modernisation de notre système de santé (N° Lexbase : L2582KXW), cf. J. Perot, Trois mesures phares de la loi "santé" du 26 janvier 2016 : la recherche sur l'embryon, la suppression du délai de réflexion en matière d'interruption volontaire de la grossesse et l'action de groupe santé, Lexbase éd. priv., n° 644, 2016 (N° Lexbase : N1340BWK).
(18) Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations est ainsi modifiée et loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8986H39).
(19) C. consom., art. L. 623-1 (N° Lexbase : L0812K79) et s..
(20) Etude d'impact de la loi, p. 153.
(21) Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, art. 61.
(22) Le Code de procédure civile, d'origine réglementaire, ne peut pas être modifié par le législateur.
(23) C. trav., art. L. 1134-7 (N° Lexbase : L5901LB8).
(24) Les "cas typiques" sont des cas de victimes individualisées qui sont présentés au juge dans le but d'établir l'existence d'un préjudice commun entre tous les membres du groupe.

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