La lettre juridique n°425 du 27 janvier 2011 : Santé

[Questions à...] "La procédure d'inaptitude est complexe, tant pour l'employeur que pour le salarié" - Questions à Maître Christophe Noize, avocat associé Acanthe Avocats

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[Questions à...] "La procédure d'inaptitude est complexe, tant pour l'employeur que pour le salarié" - Questions à Maître Christophe Noize, avocat associé Acanthe Avocats. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3570150-questions-a-la-procedure-dinaptitude-est-complexe-tant-pour-lemployeur-que-pour-le-salarie-questions
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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 31 Janvier 2011

La constatation de l'inaptitude d'un salarié est une procédure longue où interviennent différents acteurs dans et en dehors de l'entreprise. La Cour de cassation n'a eu cesse de préciser les obligations pesant sur l'employeur, les pouvoirs du médecin du travail et les droits des salariés. Récemment, plusieurs arrêts, dont la majorité a eu la faveur d'une publication, ont rappelé certaines règles. Lexbase Hebdo - édition sociale a ainsi décidé de faire un point sur ce contentieux et a rencontré Maître Christophe Noize, avocat associé Acanthe Avocats afin de discuter de cette question. Lexbase : Le médecin du travail, qui doit se prononcer sur l'inaptitude d'un salarié, doit procéder à deux examens espacés d'au moins 2 semaines. Un arrêt du 16 décembre 2010 (Cass. soc., 16 décembre 2010, n° 09-66.954, F-P+B N° Lexbase : A2535GN9) énonce cependant que ce délai doit être respecté sauf dans le cas où le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour la santé ou la sécurité de l'intéressé ou celle des tiers, et que ce danger ressort de son avis d'inaptitude du travail. Comment constater un danger grave et immédiat ? Comment doit réagir l'employeur ?

Christophe Noize : Le principe est que l'inaptitude du salarié est constatée par deux examens médicaux par le médecin du travail, espacés de deux semaines (C. trav., art. R. 4624-31 N° Lexbase : L3891IAD). Par exception, l'inaptitude peut être déclarée après un seul examen médical dans l'hypothèse où le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger grave et immédiat pour sa santé ou sa sécurité. C'est, par exemple, le cas dans des hypothèses de vertiges du salarié qui travaille en hauteur ou de souffrance risquant d'entraîner un risque de suicide.

C'est au médecin du travail et non à l'employeur de constater le danger grave et immédiat pour la santé ou la sécurité du salarié. Le contentieux porte donc essentiellement sur la rédaction de la fiche d'inaptitude par le médecin du travail. Afin de pouvoir se contenter d'une seule visite médicale et éviter que le licenciement du salarié pour inaptitude soit jugé nul, l'employeur doit vérifier que la situation de danger ressort bien de l'avis du médecin du travail ou que celui-ci, outre la référence à l'article R. 4624-31, précise qu'une seule visite est effectuée.

C'est ce que rappelle, également, l'arrêt de la Chambre sociale du 16 décembre 2010. Dans ce litige, le médecin du travail avait procédé à une seule visite médicale en indiquant sur son avis d'inaptitude la mention "à revoir". Toutefois, le même jour, il a écrit à l'employeur afin de l'informer de l'inaptitude définitive du salarié en raison du danger immédiat que présentait le maintien à son poste. L'employeur soutenait que le licenciement pour inaptitude définitive prononcé après un seul examen médical était régulier, en raison du courrier du médecin du travail complétant l'avis d'inaptitude. Pointilleuse, la Cour de cassation n'a pas suivi le raisonnement de l'employeur en estimant que la mention "à revoir" nécessitait un deuxième examen qui n'avait pas eu lieu et excluait, par conséquent, la situation de danger. Elle a considéré que le licenciement a été prononcé en raison de l'état de santé du salarié ce qui entraînait sa nullité, faisant ainsi peser sur l'employeur les conséquences d'une mauvaise rédaction de l'avis médical par le médecin du travail.

Lexbase : Par un arrêt du 5 janvier 2011 (Cass. soc., 5 janvier 2011, n° 08-70.060, FS-P+B N° Lexbase : A7426GND), la Cour de cassation précise les rôles du médecin du travail et du médecin traitant. Pouvez-vous nous rappeler le rôle de chacun ?

Christophe Noize : L'arrêt de la Cour de cassation rappelle une nouvelle fois que la procédure d'inaptitude avec son formalisme et ces différents acteurs potentiels (médecin traitant, médecin du travail, médecin conseil de la Sécurité sociale, l'employeur et le salarié) est complexe, tant pour l'employeur que pour le salarié.

Dans cette espèce, le salarié a été licencié pour inaptitude après deux visites de reprise auprès du médecin du travail. Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes en exposant que, postérieurement à son licenciement, il avait continué à bénéficier d'un arrêt de travail de son médecin traitant. Il en déduisait que son licenciement était nul car son contrat avait été rompu durant la période de suspension de son contrat de travail. La Cour de cassation juge le licenciement fondé et rappelle que seule la visite de reprise auprès du médecin du travail met fin à la période de suspension du contrat de travail. Cette décision est logique puisque seul le médecin du travail peut à la fois apprécier la santé du salarié et son aptitude à occuper un poste dans l'entreprise. Elle est à rapprocher d'un précédent arrêt (Cass. soc. 9 juillet 2008, n° 07-41.318 N° Lexbase : A6390D9K) sur l'invalidité constatée par le médecin conseil de la Sécurité sociale qui ne se substitue pas, également, à la décision d'inaptitude (1).

Lexbase : Après la déclaration d'inaptitude, l'employeur est tenu de respecter une obligation de reclassement. Plusieurs arrêts de la Chambre sociale du 30 novembre 2010 reviennent dessus (2). Cette obligation varie en fonction de la taille de l'entreprise, l'employeur étant tenu de l'exécuter loyalement, notamment par des recherches au-delà de son entreprise et en octroyant un délai de réflexion suffisant pour le salarié. Comment des PME-TPE peuvent respecter ces obligations ? N'y a-t -il pas une inégalité de traitement entre les salariés ?

Christophe Noize : L'article L. 1226-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1006H97) prévoit que le salarié déclaré inapte à son poste par le médecin du travail bénéficie d'une obligation de reclassement dans le mois qui suit le second examen médical. Le reclassement du salarié doit être recherché en tenant compte des propositions du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise dans un emploi approprié à ses capacités, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que la mutation, la transformation de postes ou l'aménagement du temps de travail. Cette obligation est renforcée depuis les arrêts du 7 juillet 2004 (3) qui imposent à l'employeur de rechercher un reclassement alors même que le salarié a été déclaré inapte à tout poste par le médecin du travail.

Le Code du travail ne distingue pas selon la taille de l'entreprise. Toutefois, la Cour de cassation rappelle que la loyauté de l'employeur dans la recherche du reclassement s'apprécie par rapport à la taille de l'entreprise (4).

Lexbase : L'omission de la formalité substantielle de consultation des délégués du personnel et la méconnaissance par l'employeur des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte ne peuvent être sanctionnées que par une seule et même indemnité au titre de l'article L. 1226-15 du Code du travail (N° Lexbase : L1035H99) comme l'énonce un arrêt du 16 décembre 2010 (Cass. soc., 16 décembre 2010, n° 09-67.446, FS-P+B N° Lexbase : A2542GNH). N'y a-t-il pas un parallélisme avec le non-cumul de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour le non-respect de la procédure de licenciement ?

Christophe Noize : En cas d'inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, l'employeur a l'obligation de rechercher le reclassement du salarié après avoir consulté les délégués du personnel et pris en compte les conclusions écrites du médecin du travail (C. trav., art. L. 1226-10 N° Lexbase : L9617IEW).

La sanction de cette formalité substantielle, en cas de refus de réintégration, est le versement d'une indemnité qui ne peut pas être inférieure à 12 mois de salaire (C. trav., art. L. 1226-15).

L'arrêt de la Cour de cassation du 16 décembre 2010 concernait un salarié licencié pour inaptitude dont l'employeur n'avait respecté ni l'obligation de consulter les délégués du personnel, ni l'obligation de reclassement. La Haute juridiction confirme sa jurisprudence antérieure (voir, en ce sens, Cass. soc., 13 juillet 2004, n° 02-44.336 (N° Lexbase : A1103DD9) en rappelant que cette double violation ne peut être sanctionnée que par une seule indemnité prévue à l'article L. 1226-15 du Code du travail. Cette solution peut, en effet, être rapprochée du non-cumul entre les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement.

Lexbase : La Cour de cassation a rappelé récemment que l'obligation de réentraînement au travail et de rééducation professionnelle des salariés malades et blessés, énoncée à l'article L. 5213-5 du Code du travail (N° Lexbase : L2456H9T), ne concerne que les salariés blessés ou malades reconnus comme travailleurs handicapés (5). Cette obligation ne devrait-elle pas être étendue à tous les salariés ?

Christophe Noize : L'article L. 5213-5 du Code du travail prévoit que tout établissement ou groupe d'établissement appartenant à une même activité professionnelle de plus de 5 000 salariés assure, après avis médical, le réentraînement au travail et à la rééducation professionnelle de ses salariés malades et blessés.

Ces dispositions ne concernent que les salariés blessés ou malades reconnus comme travailleurs handicapés, par décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, comme vient de le rappeler récemment la Cour de cassation.

Elle consiste à la création d'un atelier spécial de rééducation et de réentraînement au travail et/ou l'aménagement dans l'entreprise de poste spéciaux. Cette obligation ne se confond donc pas avec celle du reclassement du salarié inapte et on peut très bien imaginer que le législateur étende ces dispositions au salarié inapte.

Lexbase : Quel bilan peut-on tirer de ces arrêts. Viennent-ils simplifier cette procédure ou apporter davantage de complexité ?

Christophe Noize : En définitive, il semblerait que la Cour de cassation souhaite encadrer par ses jurisprudences la thématique complexe de l'inaptitude. Cette jurisprudence n'est toutefois pas très rassurante pour l'employeur tant la Cour se montre tatillonne en ce qui concerne le formalisme.

Surtout, demeure la jurisprudence de la Cour qui enjoint l'employeur à rechercher un reclassement nonobstant un avis d'inaptitude à tout poste dans l'entreprise rendu par le médecin du travail. C'est à mon sens une décision qui se heurte au bon sens puisqu'il est demandé à l'employeur d'aller à l'encontre de la décision de la médecine du travail alors que lui-même n'a pas de compétence médicale.


(1) V. les obs. de S. Martin-Cuenot, Inaptitude totale et obligation de reclassement : justification ?, Lexbase Hebdo n° 315 du 31 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7051BGA).
(2) Cass. soc., 30 novembre 2010, trois arrêts, n° 09-41.891, F-D (N° Lexbase : A4604GMH), n° 09-41.918, F-D (N° Lexbase : A4605GMI) et n° 09-42.236, F-D (N° Lexbase : A4610GMP).
(3) Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-43.141, deux arrêts, FS-P+B (N° Lexbase : A0403DDB) et n° 02-47.458, FS-P+B (N° Lexbase : A0438DDL).
(4) V. not., Cass. soc., 30 novembre 2010, n° 09-41.891, préc., l'employeur qui justifie ne pas être en mesure de reclasser le salarié en invoquant la taille de l'entreprise, qui comportait quatre salariés, et l'impossibilité de trouver un poste quelle que soit la nature de celui-ci (tâches inférieures ou poste à temps partiel ou création d'un poste nouveau sans rapport avec les besoins de l'entreprise), peut procéder au licenciement pour inaptitude du salarié sans être tenu de solliciter à nouveau le médecin du travail ; sur cette question, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" .
(5) Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 09-70.634, FS-P+B sur le troisième moyen (N° Lexbase : A9808GPX).

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