La lettre juridique n°406 du 2 septembre 2010 : Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] "Trêve de paroles, des actes" ! - Questions à Dominique Piau, Président de l'UJA de Paris

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[Questions à...] "Trêve de paroles, des actes" ! - Questions à Dominique Piau, Président de l'UJA de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211113-questions-a-i-treve-de-paroles-des-actes-i-questions-a-b-dominique-piau-president-de-luja-de-paris-b
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef

le 03 Mars 2011

Entré en fonction le 1er juillet 2010 comme président de l'Union des jeunes avocats à la cour de Paris (UJA de Paris), Dominique Piau succède à Yannick Sala à la tête du premier syndicat de la profession. Avocat au barreau de Paris depuis 2004, Dominique Piau est collaborateur du Cabinet Jacques Barthélémy & Associés, au sein duquel il a développé une activité de conseil et de contentieux en droit de la protection sociale. "Trêve de paroles, des actes", pour reprendre les termes employés dans son discours d'investiture, le nouveau président de l'UJA de Paris entend ainsi placer son mandat sous le signe de l'action, à l'instar de ses prédécesseurs. Finis les grands discours, Dominique Piau souhaite abréger les débats qui s'enlisent, notamment, sur les différents projets de réforme, et orienter la discussion sur les modalités de mise en oeuvre, une fois posées les règles de principe. Il a accepté de répondre à nos questions. Lexbase : Quelles sont les priorités de votre mandat ?

Dominique Piau : Le premier objectif que je me fixe est celui d'assurer une meilleure communication auprès des avocats à l'égard du statut de collaboration libérale. Dans la plupart des cas, le contrat signé correspond au contrat type de l'ordre, et la négociation ne porte finalement que sur la rémunération, alors qu'elle devrait porter sur bien d'autres éléments. Nous devons réaliser un travail de pédagogie afin de donner aux jeunes avocats les armes nécessaires à la négociation du contenu de leur contrat.

Le deuxième axe d'action porte sur les modalités d'installation des jeunes avocats qui subissent une véritable précarisation. Pour rappel, différentes modalités d'exercice que sont la vacation, la domiciliation, la sous-traitance et la co-traitance ne font l'objet d'aucune réglementation, alors même qu'elles se situent, à mon sens, à la limite de la légalité. A titre d'exemple, le jeune avocat sous-traitant est souvent confronté à des problèmes de trésorerie sachant qu'il n'est payé, par le cabinet délégant, qu'une fois que ce dernier a reçu paiement du client, et qu'il supporte la charge de la sous-location des locaux. Par ailleurs, il traite majoritairement avec la clientèle du cabinet et n'a guère les moyens de développer de clientèle personnelle. Force est de constater que sa situation est finalement très proche de celle d'un collaborateur libéral, à la différence qu'il doit payer un loyer de sous-location. On peut s'interroger sérieusement sur la légalité d'une telle situation.

Les seuls moyens de contestation dont disposent les jeunes avocats reposent sur les principes essentiels de déontologie, tel que, par exemple, le principe de délicatesse, sur le fondement duquel il était, par exemple, jusqu'à la mise en place des minimum ordinaux, possible de contester les contrats de collaboration à moins de 1 000 euros. Il conviendrait de trouver une alternative pour l'installation des jeunes avocats.

Enfin, le troisième objectif de mon mandat est de promouvoir la position de l'UJA sur tous les projets de réforme et d'initier celles qui sont nécessaires.

Lexbase : L'UJA de Paris a adopté le 8 juillet dernier, depuis votre élection, une motion sur le détachement en entreprise. Pouvez-vous nous préciser les conditions et modalités d'un tel détachement ?

Dominique Piau : L'UJA de Paris est favorable à la possibilité de procéder au détachement d'un collaborateur libéral ou avocat salarié en entreprise, à condition qu'un tel détachement soit encadré dans son objet et quant à son terme. S'agissant de la durée, elle n'est pas nécessairement définie, l'essentiel est que le terme soit fixé. Les missions du détachement doivent également bien être déterminées, et peuvent consister, par exemple, en une mission d'audit lors d'une restructuration d'entreprise, ou une mission de négociation dans le cadre d'une négociation collective.

Quoi qu'il en soit, la mission de détachement doit être opérée sur la base du volontariat du collaborateur, sachant qu'en réalité, aujourd'hui, elle procède le plus souvent d'une décision imposée par le cabinet. Par ailleurs, il faut veiller à ce que la mission apporte une réelle plus-value en termes de formation et de carrière, et, enfin, qu'elle permette au collaborateur d'exercer effectivement la profession d'avocat, ce qui suppose qu'il apparaisse clairement en tant que tel. A cet égard, le fait d'utiliser la messagerie de l'entreprise ou de disposer de cartes de visite propres à l'entreprise est source d'équivoque, et doit donc être prohibé.

S'agissant de l'organisation matérielle du détachement, l'avocat peut conserver son bureau au cabinet ou partir dans les locaux de l'entreprise. Dans ce dernier cas, il est important qu'il dispose d'un bureau personnel lui permettant de recevoir ses propres clients dans l'entreprise, sachant qu'il doit garder la possibilité effective de se constituer et de développer, en toute liberté, une clientèle personnelle.

Alors qu'aujourd'hui, les modalités du détachement s'organisent sous forme d'une convention d'honoraires conclue entre l'entreprise et le cabinet d'avocats, les conditions du détachement que nous préconisons imposent un encadrement tripartite des relations entre l'entreprise, le cabinet et le collaborateur, dans le cadre d'un contrat de mission conclu pour un terme déterminé. Outre une définition précise du contour de la mission et de son terme, le contrat doit, également, rappeler les règles déontologiques et principes essentiels auxquels l'avocat est soumis, notamment en matière de secret professionnel et de confidentialité, tout en précisant les dispositions permettant de lui assurer le respect de ces règles au sein de l'entreprise. L'objectif est ainsi de rendre ces dispositions opposables à la société utilisatrice cliente du cabinet d'avocat.

Mais le détachement d'un collaborateur libéral en entreprise trouve ses limites s'il correspond à un besoin permanent de l'entreprise.

Lexbase : Vous êtes donc favorable à la création du statut d'avocat en entreprise ?

Dominique Piau : Les statistiques (cf. LJA, décembre 2006) ont mis en évidence l'existence d'au moins 400 cas de détachement d'avocats en entreprise sur Paris. Je pense que ce chiffre est largement sous-estimé, et que la moitié des détachements ainsi dénombrés répond, non pas à une mission spécifique, mais à un besoin permanent de l'entreprise, et correspond donc, en réalité, à un exercice durable en entreprise.

Face à cette réalité, la création du statut d'avocat en entreprise s'impose en effet. Le débat, qui existe depuis près de cinq ans, sur l'opportunité, ou non, de créer un tel statut est désormais dépassé. Il faut commencer par poser clairement le principe d'une reconnaissance d'une nouvelle modalité d'exercice comme avocat en entreprise, et ce par une modification de l'article 7 de la loi de 1971 (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ), qui prévoirait que l'avocat peut exercer sa profession en qualité de salarié d'une entreprise. Les conditions d'encadrement de cette nouvelle modalité d'exercice, qui doivent, elles, donner lieu à débat, devront ensuite être précisées par décret et par le règlement intérieur national (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8). Il conviendra, notamment de prévoir les modalités d'application de notre déontologie à l'avocat en entreprise, inspirée, par exemple, de la pratique du barreau du Québec, qui a reconnu depuis longtemps le statut d'avocat en entreprise.

Lexbase : Vous qui avez été co-responsable de la commission Formation et Collaboration de l'UJA de Paris de 2005 à 2009, que pensez-vous du projet de formation commune des métiers du droit ?

Dominique Piau : L'UJA de Paris a publié un rapport, dès février 2010, prônant une "véritable" formation commune des métiers du droit, destiné à anticiper le rapport "Teyssié". Ce que nous préconisons en matière de formation commune va également à l'encontre de ce qui a été présenté par le CNB.

Nous souhaitons, dans ce cadre, la mise en place d'une véritable école de professionnels du droit commune à l'ensemble des professions, qui serait inspirée du modèle de l'IEP de Paris. Cette école regrouperait, à la fois, la fameuse année de formation commune, la ou les années de spécialisation qui suivraient (un an pour les avocats, deux ans pour les notaires...), mais également les formations ultérieures (de spécialisation ou de formation continue). C'est un projet ambitieux car il suppose la suppression des CRFP, de l'EFB, de l'ENM etc., et se heurte ainsi à des frictions politiques, sachant que les avocats étant majoritaires en nombre, les autres professions craignent une supériorité de pouvoir des avocats. Mais ce projet va dans le sens d'une vraie formation commune, contrairement à celui proposé par le CNB, qui me semble critiquable.

En effet, le CNB propose une année de formation commune, pendant laquelle sont proposées des matières de spécialisation spécifiques aux différentes professions. A l'issue de cette année de formation "commune" -dont on peut douter que le terme soit approprié- les élèves peuvent passer directement le CAPA afin de devenir avocat de plein exercice, tout en restant soumis à des obligations de formation pendant les deux premières années. Autrement dit, il s'agit de revenir au système du stage, pour la suppression duquel l'on s'était battu en 2004. Le CNB, qui a voulu réaliser un compromis entre le rapport Teyssié et celui d'une véritable formation commune, propose un système qui est finalement en régression par rapport au système actuel.

Lexbase : Et s'agissant du projet de réforme du CAPA ?

Dominique Piau : D'abord, s'agissant de l'idée d'un numerus clausus pour la profession d'avocat, telle que lancée par le Garde des Sceaux, cela nous semble irréaliste. La solution consisterait plutôt, à mon sens, à adapter en permanence les exigences de la spécialisation des élèves que l'on forme aux demandes du marché de la profession, en fonction des marchés émergents, pour lesquels apparaîtra un besoin de spécialistes. En effet, certains domaines sont insuffisamment couverts par les avocats, comme en protection sociale, alors que d'autres sont saturés.

Ensuite, s'agissant de la réforme du CAPA, nous sommes favorables à l'allègement de l'examen final des épreuves techniques par la mise en place d'un véritable contrôle continu, ainsi qu'à un renforcement de l'épreuve de déontologie. En revanche, nous restons sceptiques, d'une part, quant à la mise en place d'une épreuve sous forme de QCM en matière de déontologie, d'autre part, à l'égard du sort des élèves qui échouent à l'examen. En effet, le CNB propose à ces élèves de repasser uniquement les matières sur lesquelles ils auraient échoué, et donc de bénéficier d'équivalences sur celles qu'ils auraient validées. Nous sommes opposés à cette idée qui créerait une situation de latence de 18 mois, pendant laquelle l'élève concerné serait dans l'impossibilité de valoriser ce nouveau cursus, de se financer et de se former dans le cadre de nouveaux stages. Il conviendrait, selon nous, de prévoir une obligation de stage ou de travail dans un cabinet.

Lexbase : L'UJA de Paris a également adopté, le 8 juillet 2010, une motion sur l'action de groupe par laquelle elle approuve le rejet, par le Sénat, de la proposition de loi sur le recours collectif. Pourquoi cette opposition ?

Dominique Piau : Cette motion est une motion de synthèse qui a été adoptée à un moment où l'on sait que la Commission européenne est en train de préparer des projets de Directive sur l'action de groupe. Depuis cinq ans, certaines associations de consommateurs, par l'intermédiaire de leurs relais parlementaires, déposent un amendement ou une proposition de loi visant à introduire en droit français une action de groupe d'une nature très particulière, qui nous paraît inacceptable au regard de deux éléments : d'une part, son initiative serait réservée uniquement à certaines associations de consommateurs agréées, et d'autre part, son objet serait limité au seul droit de la consommation.

Nous prônons la mise en place d'une véritable action de groupe qui, en premier lieu, serait ouverte à tous les justiciables et passerait naturellement par le ministère obligatoire d'un avocat, et, en second lieu, ne serait pas limitée au simple contentieux du droit de la consommation. Nous estimons, par ailleurs, que ce contentieux devrait donner lieu à la spécialisation de certaines juridictions, dans la mesure où les conséquences d'une décision de principe en matière d'action de groupe sont extrêmement lourdes, puisqu'elle est de nature à provoquer une cascade d'indemnisations.

Là encore, à l'instar du débat sur l'avocat en entreprise, le débat sur la mise en place, ou non, de l'action de groupe est inutile, dès lors que, factuellement, l'action existe déjà, mais au détriment de principes déontologiques. Il est donc impérieux de reconnaître son existence dans son principe, et ensuite de l'encadrer.

Lexbase : Le projet de loi de modernisation des professions juridiques et judiciaires a été adopté le 30 juin dernier par l'Assemblée nationale. Quel est votre sentiment général sur la réforme en cours ?

Dominique Piau : L'acte d'avocat constitue bien sûr une avancée significative pour la profession. La réforme de la réglementation des agents sportifs, qui a pour objet de permettre aux avocats d'avoir un mandat d'agent sportif est un autre élément positif du projet de loi. En effet, les différents types de mandat ont fait l'objet, ces dernières années, d'une réglementation communautaire menaçant l'exercice de ces activités de mandataire par les avocats. Mais, en dehors de ces éléments, le contenu du texte est mince au regard de la profession d'avocat. Il profite bien plus aux notaires à qui le titre III est consacré.

Plus généralement, le projet manque encore d'ambition, à mon sens. Il reste très limité en termes de "modernisation", alors qu'il devrait permettre d'aller encore plus loin sur le fond. On dispose d'un véhicule législatif actuellement en cours de débat qui devrait être un vecteur de développement pour les professions juridiques et judiciaires.

S'agissant de l'interprofessionnalité, par exemple, le projet n'a pas encore intégré la demande d'interprofessionnalité avec les experts-comptables, qui constituerait, avec le recours aux structures de droit commun à la place des SEL, une vraie "évolution". En effet, si l'interprofessionnalité entre les professionnels du droit existe depuis 1991, l'interprofessionnalité d'exercice devrait être consacrée, et ce afin de permettre un rapprochement entre avocats et experts-comptables, sachant que le rapprochement avec les autres professionnels du droit tels que les notaires, les huissiers présente peu d'intérêt dans la mesure où ils sont moins complémentaires.

Ce projet de loi pourrait également être l'occasion de consacrer le statut d'avocat en entreprise, sachant que, techniquement, il suffit de rédiger un amendement de deux lignes prévoyant une modification de l'article 7 de la loi de 1971 (cf. supra). Le texte pourrait également servir de support à l'introduction de l'action de groupe telle qu'on la réclame (cf. supra). Il pourrait également permettre de mettre en oeuvre la formation commune aux professionnels du droit (cf. supra). La réforme de la Gouvernance de la profession d'avocat pourrait, enfin, figurer dans le cadre de ce projet de loi, si l'on veut bien admettre que la représentativité du CNB pose problème aujourd'hui.

Le projet de loi "de modernisation des professions juridiques et judiciaires" apparaît donc largement en deçà de ses ambitions. Je rappellerai que le rapport de Jean-Marc Varaut, en 1998, (précédent le rapport de Jean-Michel Darrois) contenait une proposition très intéressante visant à instituer un Code des professions juridiques et judiciaires. L'idée était de regrouper toutes les dispositions relatives aux professions juridiques et judiciaires en un seul et unique code, contenant une partie commune relative à la déontologie et la formation commune, et des parties additionnelles propres à chaque profession. En effet, force est de constater qu'il existe, par exemple, un socle commun sur le sens et l'utilité de la déontologie à l'ensemble des professions juridiques et judiciaires. Nous devons commencer par rassembler ce que nous avons commun si l'on veut créer une "grande profession". Je garde l'espoir que ce projet de loi, qui reste très perfectible, évolue en ce sens, conformément à son intitulé.


(1) Rappelons qu'une Journée des Jeunes Avocats, événement instauré par Romain Carayol aujourd'hui Président de la FNUJA, est organisée le 15 octobre 2010, au cours de laquelle se tiendra notamment un forum sur le recrutement ainsi qu'une permanence installation et association.

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