La lettre juridique n°401 du 1 juillet 2010 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Formalisme du renouvellement de la période d'essai : la Chambre sociale abandonne son contrôle

Réf. : Cass. soc., 16 juin 2010, n° 08-43.244, Société Transfer, FS-P+B (N° Lexbase : A0908E3Z)

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N4404BPS

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Plusieurs décisions de la Chambre sociale de la Cour de cassation ont été remarquées ces dernières années en ce qu'elles exerçaient un contrôle fort et strict sur les conditions du renouvellement de la période d'essai. L'intensité de ce contrôle ne s'était pas atténuée avec la loi du 25 juin 2008 (1) qui, pourtant, encadrait sérieusement la faculté pour les parties de renouveler l'essai. Par un arrêt rendu le 16 juin 2010, la Chambre sociale semble desserrer l'étreinte sur les juges du fond en leur abandonnant le pouvoir d'apprécier souverainement le contenu du courriel d'acceptation du renouvellement (II), cela tout en maintenant le cap quant à la règle essentielle tenant à l'exigence d'un accord exprès du salarié au renouvellement (I).
Résumé

L'accord du salarié au renouvellement de la période d'essai doit être exprès. Lorsque les termes du courriel adressé par la salariée et supposé accepter le renouvellement sont ambigus, les juges du fond effectuent une interprétation exclusive de dénaturation.

I - Le renouvellement de l'essai, maintien de l'exigence d'un accord exprès du salarié

  • La faculté de renouvellement de la période d'essai

Depuis que la loi du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail, a été adoptée, le régime juridique de la période d'essai a sensiblement été modifié (2). L'hypothèse du renouvellement de l'essai, au terme d'une première période initiale, n'a pas été oubliée par cette réforme, reprenant pour l'essentiel des règles déjà façonnées par la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Le renouvellement de la période d'essai n'est envisageable qu'à la condition de reposer sur trois piliers.

  • Les conditions du renouvellement : les trois piliers

Le premier pilier est caractérisé par une double prévision du renouvellement de l'essai. Le renouvellement doit être envisagé dans la convention collective de branche à laquelle l'entreprise est soumise. Dans le même temps, le contrat de travail conclu entre le salarié et l'employeur doit prévoir l'éventualité que la période d'essai soit renouvelée. Initialement imposée par la Chambre sociale (3), cette double prévision est désormais reprise aux articles L. 1221-21 (N° Lexbase : L8446IA3) et L. 1221-23 (N° Lexbase : L8368IA8) du Code du travail.

Le deuxième pilier est formé de l'exigence que la période d'essai, renouvellement compris, soit enserrée dans une durée raisonnable (4). Les durées maximales d'essai ont été objectivement encadrées par la loi du 25 juin 2008 (5). Quand bien même une convention collective antérieure prévoirait encore une durée plus longue que les durées légales, la Cour de cassation a jugé, faisant application de la Convention n° 158 de l'OIT, qu'une durée d'un an n'était pas une durée raisonnable (6).

Enfin, troisième pilier soutenant l'hypothèse du renouvellement, le salarié et l'employeur doivent impérativement renouveler leur consentement au moment du renouvellement de la période d'essai. Il faut l'accord de chacune des parties, si bien que la décision unilatérale de l'employeur ne permet pas le renouvellement de l'essai (7).

  • L'exigence d'un accord exprès du salarié

Même si deux volontés paraissent s'être exprimées, la Cour de cassation exclut depuis longtemps toute hypothèse de renouvellement tacite : la volonté des parties doit être expresse (8). De nombreuses formes d'accords tacites ont été passées au crible de la jurisprudence de la Chambre sociale. Il est bien évidemment impossible de considérer que l'acceptation procède du silence du salarié (9) ou du fait que le salarié ait poursuivi son travail sans protester (10). Enfin, à l'évidence, le renouvellement par tacite reconduction est lui aussi banni (11).

Il existe, en réalité, une véritable défiance de la Chambre sociale de la Cour de cassation à l'égard du renouvellement de la période d'essai, défiance qui s'explique logiquement par le caractère quasi systématique des renouvellements en pratique. Poussant très loin sa volonté de juguler les renouvellements non véritablement souhaités par les deux parties, la Chambre sociale a récemment jugé que "le renouvellement ou la prolongation de la période d'essai doit résulter d'un accord exprès des parties et exige une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié". Il en découle que cette manifestation de volonté ne pouvait "être déduite de la seule apposition de sa signature sur un document établi par l'employeur" (12). C'est à nouveau à propos d'une affaire de formalisme du renouvellement de l'essai que la Chambre sociale était saisie dans l'affaire commentée.

  • En l'espèce

Une salariée avait été engagée en qualité de formatrice en langue anglaise par contrat de travail intermittent à temps partiel. Moins de trois mois après son embauche, l'employeur décidait de rompre la période d'essai qui avait fait l'objet d'un renouvellement. Outre des demandes tendant au paiement d'heures supplémentaires et de rappel de salaires, la salariée invoquait le caractère abusif de la rupture de la période d'essai.

La cour d'appel de Versailles jugea la rupture abusive aux motifs que le renouvellement de la période d'essai ne pouvait intervenir qu'avec l'accord exprès de la salariée. Or, si l'employeur soutenait qu'un échange de courriers électroniques entre la salariée et l'entreprise manifestait l'accord de la salariée au renouvellement, la cour jugeait que le courriel de la salariée ne contenait "aucun accord, ni acceptation du renouvellement de la période d'essai".

Au soutien de son pourvoi, l'employeur arguait que les juges d'appel avaient dénaturé les courriels soumis à leur examen, que la salariée avait répondu à un courriel l'informant de la possibilité de renouveler la période d'essai sans que ce renouvellement n'ait à être justifié, que la salariée pouvait prendre contact avec un membre du personnel à ce sujet. La réponse de la salariée mentionnait la rencontre avec ladite personne et précisait que, pour elle, "le courrier était nécessaire et formel". De ces éléments, l'employeur déduisait que la salariée avait donné son accord exprès au renouvellement de l'essai.

La Chambre sociale rejette le pourvoi sur ce point. Ecartant toute dénaturation du contenu du courriel, elle estime que la cour d'appel était en mesure d'interpréter le document ambigu et de décider qu'il "ne constituait pas l'accord exprès requis pour que la période d'essai soit prolongée".

II - Le renouvellement de l'essai, relâchement du contrôle du formalisme au profit des juges du fond

  • Une première impression trompeuse : le maintien d'un contrôle strict de la Cour de cassation

Le premier sentiment que suscite cette décision est celui du maintien par la Chambre sociale de sa position très stricte à l'égard du formalisme du renouvellement de la période d'essai.

En effet, non seulement l'accord exprès du salarié ne peut découler de sa signature au bas d'un document établi par l'employeur, mais encore, la réponse du salarié à un courrier électronique de l'employeur relatif au renouvellement de la période d'essai, courrier qui remercie l'employeur pour les précisions apportées et par lequel la salariée semble satisfaite de l'envoi d'un courrier formel ne permet pas de caractériser l'accord exprès de celle-ci.

  • L'abandon du contrôle au pouvoir souverain des juges du fond

On pourra, cependant, tirer comme enseignement direct de cette décision que la Cour de cassation semble abandonner à l'appréciation souveraine des juges du fond l'appréciation du caractère exprès ou non de l'acceptation du salarié au renouvellement. En effet, en acceptant d'exercer un contrôle de la dénaturation du courriel, la Chambre sociale, par effet de miroir, place la question de la qualification du consentement du salarié au renouvellement dans la sphère du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (13).

Il s'agit probablement là d'un changement d'optique de la Cour de cassation. En effet, la Chambre sociale avait jusqu'ici apposé son contrôle sur la nature et le contenu du document utilisé pour recueillir l'accord du salarié, comme en témoignait justement l'arrêt du 25 novembre 2009 où la chambre sociale analysait le document établi par l'employeur et signé par le salarié (14). Il y aurait donc un dessaisissement de la Chambre sociale de son contrôle sur cette question, lequel pourrait avoir pour effet de créer des disparités d'appréciation des exigences formelles du renouvellement de la période d'essai selon les ressorts.

Malgré le risque de disparités géographiques qu'il comporte, ce dessaisissement n'est pour autant pas sérieusement critiquable. En effet, l'une des justifications majeures de l'absence de contrôle de la Cour de cassation sur des éléments de faits tient à ce que la qualification procède ou non d'appréciations d'ordre essentiellement factuel. Or, "lorsqu'il s'agit d'apprécier un état psychologique ou une manifestation de volonté, le contrôle [de la Cour de cassation] sera exclu" (15).

Se trouve, par conséquent, fortement atténué le premier sentiment selon lequel la Chambre sociale entendait garder une appréciation très stricte et formelle du renouvellement de l'essai. En abandonnant aux juges du fond le contrôle de l'accord exprès au renouvellement, la Cour de cassation semble au contraire se désintéresser de cette question. A moins qu'elle ne considère que les années d'interprétation stricte de cette question ont suffisamment façonné la position des juges du fond sur le formalisme du renouvellement de l'essai.

  • L'usage des courriers électroniques implicitement accepté

Enfin, dernier enseignement qui peut être tiré de cet arrêt, l'accord exprès du salarié au renouvellement de l'essai semble pouvoir intervenir par la voie d'un courrier électronique.

Si cette question ne faisait que peu de doutes compte tenu de l'omniprésence contemporaine de la communication électronique (16), la Chambre sociale n'avait jamais véritablement pris position sur cette question. Or, en ne s'attachant qu'au caractère ambigu du contenu du courriel sans prêter attention au procédé de communication lui-même, la Chambre sociale semble bien, a contrario, se satisfaire de ce mode de communication électronique.


(1) Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B).
(2) Lire les obs. de G. Auzero, Article 2 de la loi portant modernisation du marché du travail : les nouvelles périodes d'essai, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5224BGL) ; et nos obs., Commentaire des articles 4, 5 et 6 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : période d'essai, accès à certains droits et développement des compétences des salariés, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8239BDI) ; J. Mouly, Sur le caractère impératif de la durée des nouvelles périodes d'essai, SSL, 28 avril 2008, n° 1351, p. 6 ; Une innovation ambiguë : la réglementation de l'essai, Dr. soc., 2008, p. 288 ; A. Mazeaud, Un nouveau droit de la formation du contrat de travail dans la perspective de la modernisation du marché du travail ?, Dr. soc., 2008, p. 626 ; A. Sauret, La période d'essai, JCP éd. S, 2008, 1364.
(3) Lire nos obs., La double prévision du renouvellement de la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 315 du 30 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7022BG8), obs. sous Cass. soc., 2 juillet 2008, n° 07-40.132, Société Laboratoires Forte Pharma, F-P+B (N° Lexbase : A4981D9D).
(4) Le caractère raisonnable de la durée de l'essai a longtemps été laissé à l'appréciation des juges. V., par ex., Cass. soc., 29 novembre 2000, n° 99-40.174, Mme Danielle Boullet, épouse Roton c/ Société Home 55, société à responsabilité limitée, inédit (N° Lexbase : A2433AYR).
(5) C. trav., art. L. 1221-21 (N° Lexbase : L8446IA3)
(6) Cass. soc., 4 juin 2009, n° 08-41.359, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6421EHB) et nos obs., Un an d'essai, une durée déraisonnable, Lexbase Hebdo n° 355 du 19 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6555BKY), RDT, 2009, p. 579 ; JCP éd. S, 1335, obs. J. Mouly.
(7) Cass. soc., 30 octobre 2002, n° 00-45.185, M. Xavier Nollet c/ Société Casa, F-D (N° Lexbase : A3985A3Y).
(8) Cass. soc., 5 mars 1996, n° 93-40.080, M. Jean-Pierre Dulong c/ Société NMI Trancell, société à responsabilité limitée (N° Lexbase : A2048AA4) ; Cass. soc., 10 janvier 2001, n° 97-45.164, M. Frédéric Furlotti (N° Lexbase : A2017AIK).
(9) Cass. soc., 5 mars 1996, n° 93-40.080, M. Jean-Pierre Dulong c/ Société NMI Trancell, société à responsabilité limitée, inédit (N° Lexbase : A2048AA4).
(10) Cass. soc., 2 février 1994, n° 89-43.868, Leclerc c/ SA Sedec et autre, inédit (N° Lexbase : A1711AAM).
(11) Cass. soc., 10 janvier 2001, n° 97-45.164, préc..
(12) Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-43.008, Société Costimex, F-P+B (N° Lexbase : A1681EPX) et nos obs., Formalisme du renouvellement de la période d'essai : le pas de trop ?, Lexbase Hebdo n° 375 du 11 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5941BMY).
(13) Sur cette dualité entre appréciation souveraine qui trouve ses limites dans le contrôle de la dénaturation, v. M.-N. Jobard-Bachellier, X. Bachellier, La technique de cassation, Dalloz, 6ème éd., pp. 75-81.
(14) Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-43.008, préc..
(15) M.-N. Jobard-Bachellier, X. Bachellier, préc., p. 107.
(16) Rappelons que la Chambre sociale a autorisé la preuve par texto, Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209, Société civile professionnelle (SCP) Laville-Aragon, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3964DWQ) et les obs. de Ch. Radé, La recherche de la vérité plus forte que le respect de la vie privée, Lexbase Hebdo n° 262 du 30 mai 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1969BBK).


Décision

Cass. soc., 16 juin 2010, n° 08-43.244, Société Transfer, FS-P+B (N° Lexbase : A0908E3Z)

Cassation partielle, CA Versailles, 6ème ch., 13 mai 2008

Textes cités : néant

Mots-clés : période d'essai ; renouvellement ; formalisme ; contrôle de la Cour de cassation

Lien base : (N° Lexbase : E8903ESK)

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