La lettre juridique n°393 du 6 mai 2010 : Éditorial

Sur ma tablette I-pad, sur mon net book et sur les arbres, j'écris ton nom...

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Au chapitre des libertés publiques, vous pouvez zapper sur vos téléviseurs, sur vos radios, feuilleter vos quotidiens et vos hebdomadaires : il n'y en a que pour la burqa ! Pardon, le voile intégral, devrais-je dire ; employons le vocable générique, c'est, nul doute, moins stigmatisant, tout aussi efficace, bien que non remboursé par la Sécurité sociale. Il faut dire qu'avec un article 5 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen qui dispose que "la loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas", et un article 10 qui précise que "nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi", il n'en faut pas plus pour que Gouvernement et parlementaires rameutent le ban et l'arrière ban législatif contre l'atteinte aux valeurs de la République fomentée par 150 femmes entièrement voilées sur son territoire laïc -l'on omettra, ici, le cas de Mayotte, département d'outre-mer français à l'horizon 2011, dont 98 % de la population mahoraise est musulmane et dont les enfants fréquentent aussi bien l'école coranique que l'école primaire de la République-. Et, l'on s'empressera de dire, avec bien d'autres juristes, avocats, professeurs et constitutionnalistes -et, dernièrement Massimo Giordano, maire de Novare, dans le Piémont-, que l'arsenal législatif et règlementaire pourfend, d'ores et déjà, l'atteinte à la dignité des femmes ainsi orchestrée, l'atteinte à la sécurité civile ainsi supputée.

Mais, que voulez-vous, "la politique moderne fait de la loi un fétiche simplement parce que c'est la loi" (Gandhi, Lettres à l'Ashram). Sauf que, si la loi est un fétiche, elle demeure, elle-même, subordonnée à l'Etre Suprême que constituent les libertés fondamentales, et notamment religieuses, que garantissent, pêle-mêle, la Constitution, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, les différents Pactes civiques et autres Conventions internationales pour les droits de ou les droits à.... Le fétiche, même par transsubstantiation, n'est pas toujours vénérable et vénéré ! Et, au final, que dire d'un législateur qui, au mépris de l'étude rendue par le Conseil d'Etat, le 30 mars 2010, qui estime qu'une interdiction générale et absolue du port du voile intégral ne serait pas juridiquement fondée, entend persévérer au risque d'encourir la censure constitutionnelle, une censure aux allures et aux effets "carboniques". C'est fouler l'oripeau constitutionnel redoré par l'effervescence de la question prioritaire de constitutionnalité.

Et, pourtant, il est un sujet, qui, pour le coup, est entièrement voilé par les médias, et qui, lui, nécessiterait, sans doute, que l'on s'y attache plus sérieusement : celui des bases de données nominatives relatives aux faits relevant de la vie privée -sans doute parce que les grands médias sont financés par la publicité, publicité dont la côte est, elle-même, fixée grâce ces bases de données-. Ne soyons pas dupes, lorsque plusieurs associations demandent l'annulation du décret portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé "CRISTINA", destiné à faciliter l'exercice de ses missions par la direction centrale du renseignement intérieur, c'est la partie émergée de l'iceberg que l'on attaque, le risque d'atteintes à la vie privée et de prolifération de l'exploitation des données personnelles à des fins commerciales étant plus important que celui relatif à l'exploitation des données personnelles à des fins sécuritaires. Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 16 avril 2010, ne s'y est pas trompé en estimant que le fichier "CRISTINA" devait être regardé comme intéressant la sûreté de l'Etat, notamment la lutte contre l'espionnage et le terrorisme. Le Premier ministre pouvait donc, sans méconnaître l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978, faire usage de la dispense de publication. Et, dans la même mesure, le 7 avril 2010, les Sages du Palais-Royal fixent, sans ménagement, les conditions de création des traitements de données destinés à recenser les bons et les mauvais locataires indiquant, d'une part, que la CNIL ne pouvait légalement refuser la création d'un "fichier des locataires de confiance" en se bornant à constater que la mise en oeuvre du traitement était susceptible de porter atteinte au droit au logement, et qu'il n'appartenait, en conséquence, qu'au législateur de le créer, sans vérifier si les modalités de fonctionnement de ce fichier ne comportaient pas de garanties suffisantes pour assurer le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ; et, d'autre part, en refusant à une société la mise en oeuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel intitulé "fichier des impayés locatifs". La CNIL est donc placée au centre du dispositif de défense des libertés publiques, mais a-t-elle les moyens de sa compétence, pour ne pas dire de ses ambitions ? Notamment, face à la multiplication des bases de données et de notation d'à peu près tout et n'importe quoi ?

Après les profs, les avocats et les médecins, maintenant, les mauvais locataires ; lorsque l'on sait la crise du logement qui sévit actuellement, et sans tomber dans Zola, on peut légitimement s'interroger sur les effets désastreux d'une inscription, sur un tel fichier, pour la vie des personnes concernées, souvent en situation précaire. D'autant que, comme tout système, il n'est pas infaillible et l'on peut se retrouver fortuitement sur la liste des mauvais payeurs pour une raison tout autre que financière, voire sans aucune raison, comme cela arrive d'ailleurs pour d'autres fichiers -le fichier des interdits bancaires, par exemple-. Plus globalement, on aura beau expliquer à tout un chacun que les systèmes de notation sont subjectifs, ne reflètent qu'une opinion élaborée à partir de bases de données et relèvent de la liberté d'expression, l'on voit, aujourd'hui, à l'échelle d'un pays comme la Grèce, toute l'influence et les conséquences financières y afférentes de ces agences, que l'on vouait aux gémonies, il y a peu, pour ne pas avoir prévenu la crise économique. Mais que voulez-vous : "plus faibles sont les risques, meilleure est l'entreprise" (Sophocle, Philoctète) !

En attendant, la "fichiérisation" de la société progresse à grands pas, notamment, via internet. Après Facebook, épinglé pour réutiliser des données, voire des photos personnelles à des fins commerciales, c'est la firme de Mountain View, Google, qui défraie la chronique en admettant conserver les données de navigation -c'est un peu comme si vous étiez sur écoute téléphonique pendant neuf mois- afin de profiler ses annonces publicitaires, commerciales, et ce, au mépris des règles de transparence et d'usage, comme cela fut révélé en Allemagne. Google avait collecté des données (photos des rues, des propriétés, des visages des passants, les SSID et les adresses MAC des réseaux wi-fi visibles) sans le déclarer aux autorités allemandes. Au final, Google propose de flouter toute personne, propriété ou rue entière dont on lui ferait la demande, entend déclarer son fichier d'adresses wi-fi aux différentes CNIL européennes, mais compte toujours sortir son projet Street View en Allemagne, dans l'année ! Autant dire, que les pouvoirs publics demeurent nécessairement impuissants face à des géants économiques, dont la trésorerie suffirait à éponger la dette de... la Grèce, par exemple.

Et si nécessité n'avait pas besoin de loi, comme dit l'adage ? Le meilleur réflexe ne serait-il pas le réflexe citoyen ? En Allemagne, le réseau social Facebook peine à décoller : les allemands lui préférant un réseau national plus sécurisé et plus transparent. C'est que, dans un pays qui a connu pendant 50 ans l'espionnage civil, la délation et l'atteinte à la vie privée, on ne badine pas avec les libertés publiques ! Et, à l'autre bout de l'échiquier, pour ne pas dire de la planète, si Google a peiné à s'installer en Chine, c'est aussi parce que Big brother est le chef d'un Parti unique, omniprésent sur les affiches et les "télécrans" des domiciles privés. Et, c'est une lapalissade de dire qu'il ne peut y avoir deux partis uniques dans un même pays !

Il reste, dès lors, à ces réseaux internet de ne plus paraître comme des icônes de propagande commerciale et aux Etats d'être plus vigilant en renforçant leur arsenal législatif et répressif à l'encontre de cette systématisation des bases données personnelles, pour ne pas finir comme l'Etat d'Océania, dans le roman de George Orwell.

L'article 34 de la Constitution ne dispose-t-il pas que "la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense Nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens" ? Voilà la vocation législative : l'intérêt du plus grand nombre, plus volontiers que l'intérêt médiatique. A ce jeu-ci, la Belgique en crise identitaire aura damé le pion à Sa Majesté Peu Chrétienne chère à Patrick Rambaud...

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