La lettre juridique n°325 du 6 novembre 2008 : Licenciement

[Jurisprudence] Licenciement et non-respect des procédures conventionnelles : la Cour de cassation toujours aussi intransigeante

Réf. : Cass. soc., 22 octobre 2008, n° 06-46.215, M. Bruno Payet, F-P (N° Lexbase : A9294EAH)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


L'employeur qui ne met pas en place, en dépit des difficultés pratiques qu'il peut rencontrer, la commission de discipline prévue par accord collectif, s'expose à de biens mauvaises surprises puisque tous les licenciements disciplinaires qu'il prononcera seront condamnés par les tribunaux, précisément, pour non-respect de la procédure concernée et ce, même si, sur le fond, les sanctions sont parfaitement justifiées (II). Telle est la morale d'un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 22 octobre 2008, qui s'inscrit dans la droite ligne d'une jurisprudence marquée par une grande sévérité pour les employeurs qui ne respectent pas les procédures conventionnelles applicables en matière disciplinaire (I).
Résumé

La consultation de l'organisme chargé, en vertu d'un accord collectif portant statut du personnel, de donner son avis sur un licenciement envisagé par l'employeur, constitue une garantie de fond ; le licenciement prononcé sans que la commission paritaire ait été consultée et ait rendu son avis selon une procédure conforme à cet accord n'a pas de cause réelle et sérieuse.

Commentaire

I - La sanction du non-respect des procédures conventionnelles de licenciement

  • La validité des procédures conventionnelles de licenciement

Le Code du travail définit de manière non exclusive la procédure qui doit être respectée lorsque l'employeur envisage le licenciement d'un salarié pour un motif disciplinaire (1). Conformément au principe de faveur qui prévaut dans le champ de l'ordre public social, les partenaires sociaux peuvent accorder aux salariés des garanties supplémentaires, qu'il s'agisse de restreindre les causes invocables pour l'employeur ou de renforcer les obligations procédurales qui pèsent sur lui, telle l'obligation de consulter une commission de discipline avant le prononcé de toute sanction.

  • La sanction du non-respect des procédures conventionnelles

La Cour de cassation assure, depuis 1999, l'effectivité de cette obligation, en considérant la consultation de la commission conventionnelle comme une garantie de fond et le licenciement intervenu en violation de la procédure conventionnelle comme dépourvu de cause réelle et sérieuse (2).

Cette sanction est appliquée non seulement lorsque l'employeur néglige purement et simplement de saisir la commission, mais, également, lorsqu'il ne respecte pas certains aspects de la procédure, qui tiennent soit à l'information du salarié sur le droit qui lui est reconnu de saisir la commission (3), soit à la communication des pièces figurant au dossier (4), soit au déroulement de la consultation (5), soit, encore, aux mentions qui doivent figurer impérativement sur le procès-verbal établi par la commission et transmis au salarié (6).

  • La sanction du non-respect imputable à l'employeur

Les irrégularités de procédures doivent, toutefois, être imputables à l'employeur et non à un dysfonctionnement interne à la commission (7). Qu'en est-il lorsque la commission de discipline n'a pas pu être mise en place, interdisant, de facto, à l'employeur de respecter celle-ci ? C'est à cette question intéressante que répond la Cour de cassation dans cet arrêt en date du 22 octobre 2008.

II - La confirmation lorsque le défaut de consultation résulte du défaut de mise en place de la commission

  • L'affaire

Cette affaire concernait le titre XII de l'accord du 1er février 2000, portant statut du personnel de l'Association pour la formation professionnelle des adultes de la Réunion (AFPAR), relatif aux sanctions disciplinaires. Aux termes de ce dernier, la rupture du contrat de travail doit être précédée de l'avis d'une commission paritaire disciplinaire dont les conditions d'exercice de ses compétences sont fixées par le règlement intérieur. Or, ce règlement intérieur n'était entré en vigueur que cinq ans après l'approbation par l'assemblée générale de l'association des statuts (16 février 2000), ce qui avait retardé d'autant la mise en place de la commission de discipline. Un salarié, licencié pour un motif disciplinaire sans que la commission n'ait été consultée (et pour cause, puisqu'elle n'avait pas encore été mise en place), avait alors réclamé des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion lui avait donné tort après avoir relevé que l'employeur n'avait pu consulter un organe inexistant.

L'arrêt est cassé, au visa des articles L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) et L. 122-41, alinéa 2 (N° Lexbase : L5579ACM), devenus L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G) et L. 1332-2 (N° Lexbase : L1864H9W) du Code du travail, ensemble les articles 77 et 82 de l'accord du 1er février 2000, portant statut du personnel de l'AFPAR, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant que "l'employeur qui s'était engagé en signant l'accord collectif du 1er février 2000, à mettre en place la commission paritaire de discipline ne l'avait pas fait, de sorte que cette commission n'avait pu donner son avis sur le licenciement du salarié prononcé plus de deux ans après l'adoption des statuts". En d'autres termes, l'employeur ne pouvait invoquer à son profit "sa propre turpitude" et le fait qu'il avait manqué à ses propres obligations pour prétendre se soustraire... à ses propres obligations.

  • La confirmation d'un précédent inédit

Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation fait application du principe, exprimé par l'adage latin nemo auditur propriam turpitudinem allegans, en droit du travail (8), ni, d'ailleurs, dans ce cas de figure ; dans une précédente décision inédite, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait, en effet, déjà rendu l'employeur responsable de la non-consultation d'une commission de discipline, cette dernière n'ayant pas été mise en place faute d'un nombre suffisant de délégués du personnel, désignés comme membres devant siéger (9).

  • Une solution logique

Cette solution, quoique sévère pour l'employeur, est logique.

L'employeur, qui entre dans le champ d'un accord collectif, est tenu d'en faire application ; si l'accord instaure une procédure conventionnelle applicable aux sanctions disciplinaires, il doit, alors, la mettre en place et la respecter. Sauf l'hypothèse d'un cas de force majeure l'empêchant de se conformer à ses obligations, hypothèse, en pratique, extrêmement improbable, il doit être considéré comme responsable du défaut de mise en place de la commission et, par conséquent, du défaut de consultation.

  • Une sévérité excessive

La sévérité de la décision tient, alors, moins dans l'application de la jurisprudence dégagée depuis 1999 à propos du défaut de consultation de la commission, que dans la sanction qui s'applique au défaut de consultation.

Il peut, en effet, sembler bien excessif de sanctionner systématiquement le défaut de consultation de la commission par l'attribution de dommages et intérêts pour défaut de cause réelle et sérieuse, surtout lorsque le licenciement disciplinaire était bel et bien justifié, notamment, par l'existence d'une faute grave commise par le salarié justifiant un licenciement immédiat.

Certes, cette sanction extrême vise à garantir le respect effectif de la procédure conventionnelle ; mais elle nous semble disproportionnée. Il serait, sans doute, plus juste de permettre aux juges du fond de moduler la sanction civile en fonction de l'incidence du non-respect de la procédure sur le déroulement de celle-ci, et de réserver l'attribution de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse aux seules hypothèses où le défaut de consultation n'a pas permis au salarié de faire valoir utilement ses droits et de convaincre le cas échéant son employeur du caractère infondé de la procédure engagée contre lui.

Cette sévérité nous semble, d'ailleurs, aussi contestable que celle qui consiste à sanctionner, par principe, le défaut de motivation de la lettre de licenciement par l'attribution de dommages et intérêts pour défaut de cause réelle et sérieuse. On ne pourra, alors, que regretter le silence de la loi de modernisation du marché du travail (loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail N° Lexbase : L4999H7B) sur cette question, alors que les partenaires sociaux, dans l'accord éponyme du 11 janvier 2008, avaient souhaité un assouplissement de cette jurisprudence. Cet arrêt montre, et on ne peut que le déplorer, que la Chambre sociale de la Cour de cassation n'entend pas tenir compte du voeu exprimé par les partenaires sociaux.


(1) C. trav., art. L. 1332-1 et s. (N° Lexbase : L1862H9T).
(2) Cass. soc., 23 mars 1999, n° 97-40.412, Mme Jaureguy c/ M. Leray, ès qualités de liquidateur de l'association d'aide à domicile en milieu rural pour le canton de Puymirol et autre (N° Lexbase : A3552AU4), Dr. soc., 1999, p. 634, obs. J. Savatier ; Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-43.411, Société nouvelle Air Toulouse international c/ M. Texier et autre (N° Lexbase : A6374AG8), RJS, 2000, n° 530 ; Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 97-45.781, M. Demarcke c/ Société Allianz Via assurances (N° Lexbase : A3560AUE), Dr. soc., 2000, p. 1027, et les obs. ; Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 99-46.070, Mlle Yves-Marie Gustave c/ Compagnie Assurances générales de France vie (AGF Vie), FS-D (N° Lexbase : A7816AXR), Dr. soc., 2002, p. 466, obs. J. Savatier ; Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-43.731, M. Bernard Hubert c/ Société BNP-Paribas, F-D (N° Lexbase : A0415DDQ).
(3) Cass. soc., 31 janvier 2006, n° 03-43.300, Caisse méditerranéenne de financement (CAMEFI) c/ M. Jean-Pierre Darnard, F-P (N° Lexbase : A6480DMX) : "il n'avait pas été avisé qu'il pouvait saisir le conseil de discipline pour qu'il donne son avis sur la mesure envisagée par l'employeur" ; Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 03-48.370, Société SMA Vie Btp, FS-P+B (N° Lexbase : A9583DRD).
(4) Cass. soc., 11 juillet 2006, n° 04-40.379, M. Ange Cenent, F-P (N° Lexbase : A4373DQZ) : "l'article 38 de la Convention collective nationale des banques, alors applicable, dispose que l'agent qui a demandé sa comparution devant le conseil de discipline reçoit communication de toutes les pièces relatives aux griefs articulés contre lui et des notes professionnelles et autres documents composant son dossier individuel, la cour d'appel, qui a constaté l'absence d'envoi par l'employeur de tels documents, a violé le texte susvisé".
(5) Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-41.532, Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Guadeloupe (CRCAMG), FS-P+B (N° Lexbase : A4076EA9) : "en dépit de la demande de report justifié dont il n'a pas été allégué qu'elle aurait été abusive, le conseil de discipline avait rendu un avis sans entendre l'intéressé".
(6) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.376, M. Michel Berthelot c/ Société Gan Prévoyance, FS-P+B (N° Lexbase : A8543DIA), Bull. civ. V, n° 221 : "le procès-verbal de réunion du conseil n'avait pas été établi conformément au texte précité, ce dont il résultait que l'avis de chacun des membres du conseil n'avait pas été porté à sa connaissance".
(7) Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 04-46.051, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde, FS-P+B (N° Lexbase : A7780DTC) : "l'absence d'avis du conseil de discipline régulièrement saisi [...] résulte de ce que ses membres n'ont pu se départager n'a pas pour effet de mettre en échec le pouvoir disciplinaire de l'employeur et de rendre irrégulière la procédure de licenciement".
(8) Ainsi, l'employeur ne peut invoquer les difficultés économiques de l'entreprise s'il a contribué à les créer, par ses propres fautes de gestion : Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 03-44.380, Association de gestion du lycée professionnel Sainte-Marguerite Marie c/ M. Christian Mfouara, F-P+B+R (N° Lexbase : A9864DLW) et nos obs., Licenciement économique : la légèreté blâmable de l'employeur ne peut être invoquée à tout propos, Lexbase Hebdo n° 197 du 12 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2943AK9) : "l'erreur du chef d'entreprise dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule la légèreté blâmable".
(9) Cass. soc., 4 octobre 2005, n° 03-45.983, Société Rema, venant aux droits des Assurances mutuelles d'Eure et Loir c/ M. Bernard Lasne, F-D (N° Lexbase : A7090DKS) : "la procédure prévue par l'article 90 de la Convention collective applicable selon lequel en cas de licenciement pour faute l'employeur doit obligatoirement consulter un conseil composé de trois représentants du personnel, et de trois représentants de l'employeur constitue une garantie de fond dont la convention ne limite pas l'application en fonction du nombre de représentants du personnel dans l'entreprise ; d'où il suit que la cour d'appel a légalement justifié sa décision en constatant que le salarié avait été privé de cette garantie de fond du fait de l'employeur qui n'avait pas mis en place les délégués du personnel alors qu'il y était tenu".

Décision

Cass. soc., 22 octobre 2008, n° 06-46.215, M. Bruno Payet, F-P (N° Lexbase : A9294EAH)

Cassation partielle, CA Saint Denis de la Réunion, ch. soc., 19 septembre 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) et L. 122-41, alinéa 2 (N° Lexbase : L5579ACM), devenus L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G) et L. 1332-2 (N° Lexbase : L1864H9W) ; accord du 1er février 2000, portant statut du personnel de l'AFPAR, art. 77 et 82 ; principe "à travail égal, salaire égal", ensemble l'article L. 140-2, alinéa 1 (N° Lexbase : L5726AC3), devenu L. 3221-2 (N° Lexbase : L0796H9D) du Code du travail

Mots clef : licenciement ; procédure conventionnelle ; commission de discipline ; défaut de mise en place ; conséquences ; licenciement sans cause réelle et sérieuse.

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