La lettre juridique n°300 du 10 avril 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Les conventions individuelles de forfait dans le collimateur de la Cour de cassation

Réf. : Cass. soc., 26 mars 2008, n° 06-45.990, M. Jean Genieis c/ Société Paindor Côte-d'Azur, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6062D7N)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Ce que l'on pouvait pressentir après l'arrêt "Blue Green" du 31 octobre 2007 (1), se trouve confirmé par une importante décision rendue le 26 mars 2008 : les conventions individuelles de forfait, et spécialement les conventions de forfait en jours, sont dans le collimateur de la Cour de cassation. Cette position n'est, à dire vrai, guère surprenante, dès lors que l'on tient compte du caractère dérogatoire de ce dispositif. Ce qui l'est, en revanche, plus, au regard des textes applicables, c'est l'affirmation selon laquelle les conventions individuelles de forfait établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle doivent nécessairement être passées par écrit. Rendue au visa de l'article L. 212-15-3 du Code du travail (N° Lexbase : L7755HBT, art. L. 3121-38, recod. N° Lexbase : L1169HXL), dans sa rédaction applicable au moment des faits, cette solution peut être critiquée et sa portée circonscrite. Par ailleurs, l'arrêt rapporté démontre que la Cour de cassation entend faire une application très stricte des stipulations conventionnelles sur le fondement desquelles ces conventions individuelles de forfait peuvent être établies.
Résumé

Selon l'article L. 212-15-3, I, du Code du travail, la durée de travail des cadres ne relevant pas des dispositions des articles L. 212-15-1 (N° Lexbase : L7949AIA, art. L. 3111-2, recod. N° Lexbase : L1131HX8) et L. 212-15-2 (N° Lexbase : L7950AIB, art. L. 3121-39, recod. N° Lexbase : L1170HXM) peut être fixée par des conventions individuelles de forfait établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. Il en résulte que ces conventions doivent nécessairement être passées par écrit.

Dès lors que le salarié n'appartient pas à l'une des catégories de cadres expressément visées par l'accord collectif applicable dans l'entreprise, il ne peut être soumis à une convention de forfait en jours.

Commentaire

I La nécessité de rédiger la convention individuelle de forfait par écrit

  • Une exigence nouvelle

On doit à la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 (loi n° 2000-37, relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3) d'avoir fait apparaître, dans le Code du travail, des dispositions spécifiques au temps de travail des cadres. Depuis cette date, il convient, en la matière, de distinguer trois catégories de cadres soumises à des régimes différents : les cadres "dirigeants" (C. trav., art. L. 212-15-1 ; art. L. 3111-2, recod.), les cadres "intégrés" (C. trav., art. L. 212-15-2 ; art. L. 3121-39, recod.) et les cadres "intermédiaires" (2), ne relevant pas des catégories précédentes (C. trav., art. L. 212-15-3 ; art. L. 3121-38, recod.). S'agissant, plus spécialement, de ces derniers, la loi prévoit des régimes de forfait spécifiques, dont on sait qu'ils peuvent, désormais, s'appliquer à certains salariés non cadres disposant d'une large autonomie.

Ainsi que le précise l'article L. 212-15-3, I (art. L. 3121-38, recod.) du Code du travail, la durée du travail des cadres "intermédiaires" peut être fixée par des conventions individuelles de forfait, qui peuvent être établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle (3). Ces conventions de forfait ont en commun de ne pouvoir être conclues que sur le fondement d'une convention ou d'un accord collectif de travail. Toutefois, ce n'est pas parce qu'un tel acte juridique est applicable dans une entreprise que l'employeur est en droit d'imposer une convention de forfait à un cadre. En effet, il découle du texte précité que le forfait n'est valable qu'à la stricte condition d'avoir été accepté par le cadre concerné. En d'autres termes, et ainsi que l'a décidé la Cour de cassation à propos des conventions de forfait de droit commun, seul un accord entre les parties peut fonder le forfait (4). Cette exigence est parfaitement justifiée, dans la mesure où la convention individuelle de forfait relève, par nature, de la catégorie des contrats (5).

Si la validité d'une convention de forfait suppose l'accord des parties, la Cour de cassation a jugé que celui-ci n'a pas besoin d'être formalisé, étant entendu "qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'exige l'existence d'un écrit pour l'établissement d'une convention de forfait" (6). Partant, la preuve de l'existence du forfait peut être apportée par tous moyens (7).

En l'espèce, les juges du fond avaient fait application de ces principes de solution, retenus à propos des conventions de forfait de droit commun. Pour débouter le salarié de ses demandes en paiement d'heures supplémentaires, l'arrêt attaqué avait, en effet, considéré que le salarié, à compter de sa promotion, en mai 2002, avait bénéficié de jours de réduction du temps de travail au titre du forfait annuel en jours. La cour d'appel en avait déduit que cet accord avait donné au salaire convenu un caractère forfaitaire excluant la rémunération d'heures supplémentaires, peu important l'inexistence d'un écrit pour l'établissement de la convention de forfait.

Cette argumentation est censurée par la Cour de cassation qui affirme que, "selon l'article L. 212-15-3, I du Code du travail, la durée du travail des cadres ne relevant pas des dispositions des articles L. 212-15-1 et L. 212-15-2 peut être fixée par des conventions individuelles de forfait établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle ; qu'il en résulte que ces conventions doivent nécessairement être passées par écrit".

  • Une solution critiquable

S'il doit, désormais, être tenu pour acquis que les conventions individuelles de forfait doivent être rédigées par écrit, on ne peut qu'être dubitatif quant au fondement de cette exigence. Ainsi qu'il a été vu précédemment, la Cour de cassation fonde la solution nouvelle sur l'article L. 212-15-3, I du Code du travail (art. L. 3121-38, recod.). Or, cette disposition n'exige pas, de manière expresse, la rédaction d'un écrit. Sans doute évoque-t-elle l'"établissement" ou, encore, la "conclusion" de ces conventions. Mais, dans un système qui reste, encore, dominé par le principe du consensualisme, il est, pour le moins, excessif d'en inférer une exigence de forme particulière. Un contrat peut être conclu ou établi par une simple manifestation de volonté, sans que celle-ci soit constatée par la rédaction d'un écrit.

Ensuite, l'arrêt ne permet pas de savoir si l'exigence d'écrit est posée ad solemnitatem ou ad probationem. Si l'on retient la première analyse, le non-respect de la prescription sera sanctionné par la nullité de la convention ; tandis que, dans la seconde analyse, celle-ci sera valable, mais ne pourra, sauf commencement de preuve par écrit ou impossibilité de production d'un écrit, être prouvé par tous moyens (8). Il est évidemment difficile de déterminer quelle sera la position retenue par la Cour de cassation. A notre sens, dans la mesure où la loi n'exige pas la rédaction d'un écrit de manière expresse, il est, pour le moins, délicat d'affirmer que l'exigence de forme posée par la Chambre sociale l'est ad solemnitatem.

A dire vrai, cette question n'a de sens qu'à l'égard des conventions individuelles de forfait signées antérieurement à l'arrêt rapporté, à une époque où les employeurs et leurs conseils pouvaient légitimement penser, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, que l'écrit n'était pas exigé en matière de convention individuelle de forfait (9). Il n'est, en effet, guère besoin de souligner que la décision rendue le 26 mars 2008 présente un caractère rétroactif, ainsi que l'illustre, d'ailleurs, l'affaire en cause. Pour autant, il nous paraît prématuré de parler de revirement de jurisprudence, eu égard à la portée de la décision.

Il convient de rappeler que l'arrêt a été rendu au visa de l'article L. 212-15-3, I (art. L. 3121-38, recod.) du Code du travail, dont on a vu qu'il ne vise que les cadres "intermédiaires". Partant, on peut considérer que la solution retenue ne vaut que pour les conventions individuelles de forfait conclues avec des cadres relevant de cette catégorie, auxquels il conviendrait d'ajouter les "salariés itinérants non cadres dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée" et les salariés "qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées". En d'autres termes, il est possible d'avancer que les conventions individuelles de forfait de droit commun continuent d'être soumises au seul principe du consensualisme, dès lors qu'elles ne sont pas conclues avec les salariés précités.

La plus élémentaire des prudences commande, cependant, désormais, de rédiger par écrit toutes les conventions individuelles de forfait.

Pour conclure sur cette question, nous souhaiterions souligner que, pour être critiquable en droit, la solution peut, néanmoins, être jugée opportune en fait. Outre qu'elle évite de délicats problèmes de preuve, elle permet au salarié de connaître très précisément les conditions particulières de son forfait (10) qui, dans une mesure certes limitée, peut adapter les prescriptions de l'accord collectif de travail applicable, sur le fondement duquel la convention est établie.

II Le nécessaire respect des stipulations conventionnelles

  • L'importance des dispositions conventionnelles

La conclusion, avec un cadre intermédiaire, d'une convention individuelle de forfait, qu'elle soit hebdomadaire, mensuelle ou annuelle, en heures ou en jours, n'est possible que si une convention ou un accord collectif applicable dans l'entreprise le prévoit. La loi exige, en outre, que la norme conventionnelle comporte un certain nombre de précisions, telles que, par exemple, pour les conventions de forfait en heures sur l'année, la durée annuelle de travail sur la base de laquelle le forfait est établi.

S'agissant, plus spécialement, des conventions de forfait en jours, l'article L. 212-15-3, III du Code du travail (art. L. 3121-38, recod.), dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, disposait que la convention ou l'accord doit définir "les catégories de salariés concernés pour lesquels la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée du fait de la nature de leurs fonctions, des responsabilités qu'ils exercent et du degré d'autonomie dont ils bénéficient dans l'organisation de leur emploi du temps" (11).

Cette disposition doit être bien comprise. S'il appartient aux partenaires sociaux de déterminer les catégories de salariés qui peuvent se voir proposer une convention de forfait en jours, leur liberté n'est pas totale puisque ne peuvent relever de ces catégories que les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée. Il en résulte que le texte conventionnel ne saurait se borner à viser, de manière générale, les salariés dont la durée du travail ne peut être prédéterminée. En outre, quand bien même il viserait des catégories particulières de salariés parmi ceux-là, le juge disposera toujours du pouvoir de contrôler que ces salariés remplissent bien les conditions fixées par le texte légal.

Les prescriptions légale avaient été respectées, en l'espèce, puisque l'article 10 de l'accord d'entreprise de réduction et d'aménagement du temps de travail du 29 juin 2000 stipulait qu'il est possible de conclure des conventions de forfait annuel en jours à hauteur de 217 jours travaillés pour les "cadres, au sens de la convention collective, qui ne sont pas intégrés dans un service particulier et pour lesquels l'horaire de travail ne peut être prédéterminé. Ces cadres qui bénéficient d'une autonomie dans l'organisation de leur travail et dont l'horaire est aléatoire, appartiennent aux catégories suivantes : cadre dirigeant, cadre commercial".

  • La stricte mise en oeuvre des stipulations conventionnelles

En l'espèce, la cour d'appel avait retenu que le salarié demandeur, à compter de sa promotion, en mai 2002, faisait partie de la catégorie des cadres visés par l'accord d'entreprise. Bien que l'on n'en sache guère plus en lisant l'arrêt, sans doute les juges du fond avaient-ils, par voie de conséquence, déduit que ce salarié pouvait être soumis à une convention de forfait en jours.

Là encore, la décision est censurée par la Cour de cassation qui relève "qu'en statuant ainsi, alors que l'accord d'entreprise ne prévoyait pas la possibilité de conclure une convention de forfait annuel en jours avec un cadre technique, catégorie à laquelle appartenait le salarié selon ses propres constatations, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Rendue, entre autres textes, au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), cette solution doit être entièrement approuvée. Les stipulations de la convention, dont on ose à peine rappeler qu'elles font la loi des parties, étaient, ici, très claires : seuls les cadres dirigeants et les cadres commerciaux pouvaient se voir proposer des conventions de forfait en jours. Le salarié ne relevant pas de l'une de ces catégories, il était donc exclu de ce dispositif.

Envisagée de ce point de vue, la décision démontre, une nouvelle fois, le soin qui doit être apporté à la rédaction des stipulations conventionnelles. Cela est d'autant plus vrai que, en la matière, on se trouve en présence de stipulations dérogatoires qui, de ce fait, doivent être interprétées strictement par le juge.


(1) Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.876, SARL Blue Green c/ Loustaud (N° Lexbase : A2447DZN). Lire aussi nos obs., Le forfait jours sous la surveillance de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 281 du 15 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0155BD4) et A. Bugada, Arrêt Blue Green : la convention de forfait-jours sous contrôle judiciaire, Dr. soc., 2008, p. 443.
(2) Encore qualifiés de cadres "autonomes".
(3) Il convient de préciser que les cadres "intégrés" peuvent, comme les autres salariés, être soumis à des conventions de forfait de droit commun, dès lors qu'ils accomplissent régulièrement des heures supplémentaires.
(4) Cass. soc., 6 juillet 1999, n° 97-41.290, M. Quintana c/ M. Charpentier (N° Lexbase : A3549CGK) ; Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-46.369, Société Castorama France c/ M. Roy Cerezo, FS-P+B (N° Lexbase : A4840DBU).
(5) V., en ce sens, Cass. soc., 6 juillet 1999, n° 96-45.787, Société Saint-Frères Protection c/ M Lamarre (N° Lexbase : A4666AGW).
(6) Cass. soc., 11 janvier 1995, Joanne c/ Société Club Méditerrannée (N° Lexbase : A8637AGY), RJS, 2/95, n° 109.
(7) La charge de l'existence d'un forfait incombant à celui qui l'invoque, c'est-à-dire, dans la plupart des cas, à l'employeur (Cass. soc., 21 novembre 2000, n° 98-44.026, La Cuma de l'Hermine c/ M. Le Roy N° Lexbase : A7534AXC, Dr. soc., 2001, p. 317, obs. Ch. Radé).
(8) V., sur cette question, F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, p. 154.
(9) Relevons que, antérieurement, il était fréquemment conseillé de rédiger un écrit.
(10) Ce qui permet, au passage, de considérer que l'écrit a, avant tout, ici, une valeur informative.
(11) Modifiée par la loi du 17 janvier 2003 (loi n° 2003-47, relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi N° Lexbase : L0300A9Y), ce texte dispose, désormais, que "la convention ou l'accord définit, au regard de leur autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps, les catégories de cadres concernés". Dans la mesure où la loi continue d'exiger que l'acte collectif définisse les "catégories de cadres concernés", la solution retenue dans le présent arrêt doit recevoir application nonobstant la réforme apportée .

Décision

Cass. soc., 26 mars 2008, n° 06-45.990, M. Jean Genieis c/ Société Paindor Côte-d'Azur, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6062D7N)

Cassation partielle de CA Aix-en-Provence, 17ème ch., 11 septembre 2006

Textes visés : C. trav., article L. 212-15-3, dans sa rédaction alors applicable (N° Lexbase : L7755HBT, art. L. 3121-38, recod. N° Lexbase : L1169HXL) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; article 10 de l'accord d'entreprise de réduction et d'aménagement du temps de travail du 29 juin 2000

Mots-clefs : cadres "intermédiaires" ; convention individuelle de forfait ; exigence d'un écrit ; respect des dispositions conventionnelles.

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