La lettre juridique n°224 du 20 juillet 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le salarié protégé reste un salarié ordinaire face à la mise à pied conservatoire

Réf. : Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 03-46.361, Mme Sylvia Beharel, FS-P+B (N° Lexbase : A3617DQZ)

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le 07 Octobre 2010

La qualité de représentant du personnel ne confère pas à son titulaire une immunité le mettant à l'abri de toute impunité. Une salariée l'a appris à ses dépens. Les salariés protégés restent, sauf disposition légale spéciale, des salariés comme les autres et se voient à ce titre appliquer des règles identiques à celles applicables aux salariés ne disposant pas de mandat de représentation. A une salariée qui croyait que son mandat pouvait empêcher l'employeur de prononcer contre elle une mise à pied disciplinaire, la Haute juridiction vient rappeler que l'employeur peut, après avoir mis à pied à titre conservatoire un salarié délégué du personnel et l'avoir convoqué à un entretien préalable, renoncer au licenciement et prononcer une sanction moindre. Elle rappelle simplement que dans ce cas, la durée de la mise à pied conservatoire s'impute sur la durée de la mise à pied disciplinaire. Cette double solution qui donne l'occasion de se pencher sur un versant rarement exploré des rapports existants entre la mise à pied conservatoire et la mise à pied disciplinaire doit, en tout point, être approuvée.
Résumé

L'employeur, qui a mis à pied un salarié délégué du personnel à titre conservatoire et l'a convoqué à un entretien préalable à un licenciement, peut renoncer au licenciement et prononcer une sanction moindre. Lorsque cette sanction est une mise à pied disciplinaire, la durée de la mise à pied conservatoire s'impute sur la durée de la mise à pied disciplinaire.

Décision

Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 03-46.361, Mme Sylvia Beharel, FS-P+B (N° Lexbase : A3617DQZ)

Rejet de CPH Montmorency (Section industrie), 4 juillet 2003

Mots clefs : salarié protégé, sanction disciplinaire, mise à pied conservatoire, mise à pied disciplinaire, imputation de la mise à pied conservatoire sur la mise à pied disciplinaire

Texte concerné : C. trav., art. L. 425-1 (N° Lexbase : L0054HDD)

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Faits

Une salariée, disposant d'un mandat de membre de la délégation unique du personnel, avait été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement et mise à pied à titre conservatoire. L'employeur ayant renoncé à la licencier, n'avait pas saisi l'inspecteur du travail et avait notifié au salarié une mise à pied disciplinaire de dix jours ayant rétroactivement pour point de départ le jour de la mise à pied conservatoire. Contestant cette sanction, la salariée avait saisi le conseil de prud'hommes d'une demande en rappels de salaires et dommages et intérêts.

Ce dernier avait rejeté la demande de la salariée.

Solution

1. Rejet

2. "Attendu que l'employeur, qui a mis à pied un salarié délégué du personnel à titre conservatoire et l'a convoqué à un entretien préalable à un licenciement, peut renoncer au licenciement et prononcer une sanction moindre ; que lorsque cette sanction est une mise à pied disciplinaire, la durée de la mise à pied conservatoire s'impute sur la durée de la mise à pied disciplinaire".

Commentaire

I. Soumission des salariés protégés à la mise à pied conservatoire ordinaire

  • Un préalable possible

Si la mise à pied conservatoire et la mise à pied disciplinaire doivent être distinguées, elles n'en demeurent pas moins liées.

La première constitue une mesure conservatoire, facultative, permettant à l'employeur d'écarter le salarié de l'entreprise en attendant le prononcé d'une sanction (1). Cette sanction peut être un licenciement, ce qui sera le cas dans la plupart des hypothèses, ou toute autre sanction disciplinaire de moindre importance, comme par exemple une mise à pied disciplinaire (2). Les juges considèrent en effet que l'employeur peut parfaitement prononcer une mise à pied disciplinaire à l'encontre d'un salarié déjà mis à pied à titre conservatoire même si la sanction originairement envisagée contre lui est un licenciement (3). Il faut cependant, dans ce cas, que l'employeur enclenche une procédure de licenciement (4) et singulièrement le convoque à un entretien préalable.

Ce principe s'applique-t-il aux salariés protégés ? La nécessité pour l'employeur d'obtenir une autorisation de l'inspecteur du travail pour prononcer le licenciement fait-elle obstacle à une telle mesure ?

  • Un préalable général

L'article L. 425-1, alinéa 3, du Code du travail dispose qu'"en cas de faute grave, l'employeur à la faculté de prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé en attendant la décision définitive [de l'inspecteur du travail]. En cas de refus de licenciement, la mise à pied est annulée et ses effets supprimés de plein droit".

Cette disposition interdit-elle à l'employeur de mettre à pied conservatoire puis à pied disciplinaire un salarié protégé ? L'employeur ne peut-il, pour ce type de salarié, que prononcer un licenciement postérieurement à une mise à pied conservatoire ?

C'est ce que croyait la salariée dans la décision commentée. Pour elle, le fait pour l'employeur d'avoir abandonné la procédure de licenciement, lui interdisait de transformer la mise à pied conservatoire en une mise à pied disciplinaire. Plus généralement, l'employeur ayant abandonné le licenciement, il ne pouvait plus la sanctionner. C'est cette position que vient censurer la Cour de cassation dans la décision commentée.

  • Espèce

Elle considère, en effet, que l'employeur, qui a mis à pied conservatoire un salarié délégué du personnel et l'a convoqué à un entretien préalable à un licenciement, peut renoncer au licenciement et prononcer une sanction moindre. Elle trouve, en outre, ici l'occasion de rappeler que lorsque la sanction est une mise à pied disciplinaire, la durée de la mise à pied conservatoire s'impute sur la durée de la mise à pied disciplinaire.

Les deux règles énoncées ne sont pas nouvelles mais doivent en tout point être approuvées.

II. Application plénière aux salariés protégés des règles propres à la mise à pied conservatoire

L'employeur n'est pas tenu de licencier un salarié protégé mis à pied conservatoire. Le principe est confirmé et il convient de s'en féliciter. Il lui est loisible de prononcer contre lui une autre sanction disciplinaire. Dans la mesure où celui-ci respecte la procédure disciplinaire (5), cette sanction sera valable, même si elle a été précédée d'une mise à pied conservatoire.

  • Une solution logique

Rien ne vient, dans les faits, contredire ce principe. Le statut protecteur applicable aux salariés protégés ne les met pas à l'abri des sanctions disciplinaires autres que le licenciement (6). L'employeur peut donc suivre, pour ces derniers, la même procédure que celle qu'il aurait suivie pour un salarié ordinaire, et le mettre à pied conservatoire puis à pied disciplinaire.

L'article L. 425-1, alinéa 3, du Code du travail autorise l'employeur à mettre à pied le salarié protégé, c'est-à-dire à l'évincer de l'entreprise dans l'attente de la réponse de l'inspecteur du travail à sa demande d'autorisation de licenciement. Cet alinéa ne permet au salarié protégé d'échapper à une autre sanction que lorsque l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement. Les juges considèrent dans ce cas, en effet que lorsque l'inspecteur refuse le licenciement, la mise à pied est annulée et ses effets sont supprimés de plein droit (7).

La mention expresse de la faculté pour l'employeur de mettre à pied à titre conservatoire un salarié protégé dans l'attente de l'autorisation de l'inspecteur du travail était nécessaire. Il aurait, en effet, été parfaitement envisageable, en l'absence de précision textuelle, d'obliger l'employeur à conserver le salarié protégé dans l'entreprise dans l'attente de la décision de l'inspecteur du travail. Son mandat n'étant pas suspendu, il aurait été logique de le laisser accéder à l'entreprise en sa qualité de représentant du personnel (8).

Cette disposition a, ainsi, pour unique objet d'introduire la mise à pied là où son application, en l'absence de texte, risquait d'être compromise. Elle n'a pas vocation à permettre au salarié d'obtenir une immunité lorsque l'employeur envisage, à l'issue de l'entretien, une autre sanction que le licenciement.

  • Des salariés ordinaires

Outre l'autorisation de l'inspecteur du travail préalable à leur licenciement, les salariés protégés restent des salariés ordinaires face à la procédure disciplinaire à laquelle ils sont pleinement soumis (9). L'employeur peut ainsi parfaitement les mettre à pied pour motif disciplinaire (10). Il faut simplement, lorsque cette sanction est précédée d'une mise à pied conservatoire, que l'employeur ait respecté la procédure de licenciement et, singulièrement, ait convoqué le salarié à l'entretien préalable. Le cas échéant, il se trouve privé de la possibilité de prendre une sanction, faute d'avoir respecté la procédure disciplinaire.

La solution est ainsi identique à celle appliquée aux salariés ordinaires (11) tant sur le principe que sur le régime applicable, et singulièrement, sur l'articulation qu'il convient de respecter entre la les deux mises à pied (12).

  • Un principe d'articulation désormais acquis

La Cour trouve, ici, l'occasion de rappeler que, dans ce cas, la mise à pied conservatoire s'impute sur la durée de la mise à pied disciplinaire, (13). Vu la rareté du contentieux sur ce point, et ses conséquences pour le salarié, elle méritait d'être réaffirmée.

Stéphanie Martin-Cuenot
Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) C. trav., art. L. 122-41, alinéa 3 (N° Lexbase : L5579ACM).
(2) C. trav., art. L. 122-40 (N° Lexbase : L5578ACL) ; Cass. soc., 29 mars 1995, n° 93-41.863, M. Biraud c/ Société Arnaud 79 (N° Lexbase : A2058AAH).
(3) Cass. soc., 29 mars 1995, n° 93-41.863, précité.
(4) Cass. soc., 18 février 1998, n° 96-40.219, Caisse régionale du Crédit agricole mutueldes Pyrénées-Atlantiques c/ Mme Narvarte (N° Lexbase : A2860ACW), Dr. soc 1998, p. 499, obs. A. Jeammaud.
(5) C. trav., art. L. 122-41, alinéa 2.
(6) Cass. soc., 22 juillet 1982, n° 80-41279, Carro, Faugeroux, Delgado, Iniger, Hirson, Raynal c/ Compagnie Industrielle pour les Techniques Electriques (N° Lexbase : A5935CIN), Bull. civ. V, n° 501.
(7) Cass. soc., 24 octobre 1997, n° 95-40.930, M. Gatelet (N° Lexbase : A2087ACB), Bull. civ. V, n° 334.
(8) Cass. soc. 2 mars 2004, n° 02-16.554, M. Patrice Verwaerde c/ M. Roger Delrue, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3741DB8), Bull. civ. V, n° 71.
(9) Cass. soc., 22 juillet 1982, Bull. civ. V, n° 501, précité.
(10) Cass. soc., 23 juin 1999, n° 97-41.121, M. X c/ Société Technique française du nettoyage (N° Lexbase : A4749AGY), Bull. civ. V, n° 301.
(11) Cass. soc., 5 novembre 1987, n° 84-44.971, Compagnie d'assurances générales de France c/ Mme Coste (N° Lexbase : A3848AGM), Bull. civ. V, n° 617.
(12) Cass. soc., 29 mars 1995, n° 93-41.863, précité.
(13) Cass. soc., 5 novembre 1987, Bull. civ. V, n° 617, précité ; Cass. soc., 29 mars 1995, n° 93-41.863, précité.

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