La lettre juridique n°192 du 1 décembre 2005 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Le logiciel, bien ou service au regard de la TVA ?

Réf. : CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-41/04, Levob Verzekeringen BV c/ Staatssecretaris van Financiën (N° Lexbase : A0986DL4)

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N1371AKY

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010

La qualification d'un échange économique revêt une grande importance en matière de TVA. En dépendent l'éventuelle exonération, le taux applicable, la date d'exigibilité et, ainsi que l'illustre l'arrêt "Levob", l'assiette et la territorialité de la TVA. Le 2 octobre 1997, Levob, société établie aux Pays-Bas, a conclu avec l'entreprise étasunienne FDP un contrat de cession d'un logiciel destiné à gérer des contrats d'assurance. Levob a, ainsi, obtenu une licence adaptée à ses besoins, d'une durée illimitée, non cessible et sans droit d'accorder des sous-licences. FDP devait installer le logiciel et former le personnel de Levob aux Pays-Bas. En outre, une adaptation du logiciel avait été convenue : traduction en néerlandais et intégration des fonctions nécessaires à l'intervention. Chaque prestation avait fait l'objet d'une évaluation et d'une facturation distincte, notamment le logiciel standard importé aux Pays-Bas et les supports informatiques. Une fraction du prix global avait donné lieu à paiement immédiat, le solde étant payable par mensualités. FDP a, apparemment, remis aux salariés de Levob le logiciel standard et ces derniers l'ont rapporté aux Pays-Bas. FDP a, ensuite, installé le programme de base en 1997, 1998 et 1999 sur les appareils de traitement des données de Levob, mené à bien les adaptations convenues et formé les membres de son personnel. La complexité de ce contrat devait retentir sur son régime fiscal. Levob et l'administration fiscale néerlandaise divergeaient sur l'étendue de l'assiette de la TVA. Levob considérait ne devoir la TVA aux Pays-Bas que pour les adaptations. L'administration fiscale soutenait que FDP avait concédé à Levob une licence globale sur le progiciel adapté incluant la cession du logiciel standard. Il s'ensuivait qu'une prestation globale de services était taxable aux Pays-Bas.

Ayant échoué devant les juges du fond, Levob s'est pourvu en cassation devant Le Hoge Raad der Nederlanden. Cette juridiction a, par arrêt du 30 janvier 2004, saisi la CJCE, conformément à l'article 234 CE , des questions suivantes en vue d'une décision à titre préjudiciel :

"1) a) Faut-il interpréter les dispositions combinées des articles 2, paragraphe 1, 5, paragraphe 1, et 6, paragraphe 1, de la sixième directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9), en ce sens que la fourniture d'un logiciel du type visé en l'espèce et selon les mêmes modalités, dans le cadre de laquelle, d'une part, le logiciel standard développé et commercialisé par le fournisseur, enregistré sur un support, et, d'autre part, l'adaptation ultérieure aux besoins de l'acheteur font l'objet de prix distincts, doit être considérée comme l'exécution d'une seule prestation ?

b) En cas de réponse affirmative, faut-il interpréter ces dispositions en ce sens que cette prestation doit être considérée comme un service (dont la livraison du bien, à savoir du support, fait partie intégrante) ?

c) En cas de réponse affirmative à cette dernière question, faut-il, dès lors, interpréter l'article 9 de la sixième directive-TVA (dans sa version du 6 mai 2002) en ce sens que ce service est réputé avoir été effectué au lieu mentionné au paragraphe 1 de cet article ?

d) En cas de réponse négative à la question qui précède, quelle partie de l'article 9, paragraphe 2, de la sixième directive-TVA est-elle d'application ?

2) a) En cas de réponse négative à la [première question, sous a)] au point ci-dessus, faut-il interpréter les dispositions qui y sont mentionnées en ce sens que la fourniture d'un logiciel non adapté sur le support doit être considérée comme la livraison d'un bien corporel, pour laquelle le prix distinct qui a été convenu constitue la contrepartie prévue à l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive-TVA ?

b) En cas de réponse négative à cette question, faut-il, dès lors, interpréter l'article 9 de la sixième directive-TVA en ce sens que la prestation de services est réputée accomplie au lieu mentionné au paragraphe 1 de cet article ou alors à un des lieux mentionnés au paragraphe 2 du même article ?

c) La situation est-elle la même pour le service consistant dans l'adaptation du logiciel que pour la fourniture du logiciel standard ?"

En réponse, la CJCE dit pour droit :

"1) L'article 2, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que, lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par un assujetti à un consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment objectivement, sur un plan économique, un tout dont la dissociation revêtirait un caractère artificiel, l'ensemble de ces éléments ou de ces actes constitue une prestation unique aux fins de l'application de la taxe sur la valeur ajoutée.

2) Tel est le cas d'une opération par laquelle un assujetti fournit à un consommateur un logiciel standard précédemment développé et commercialisé, enregistré sur un support, ainsi que l'adaptation subséquente de ce logiciel aux besoins spécifiques de cet acquéreur, même moyennant paiement de prix distincts.

3) L'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sens qu'une prestation unique telle que celle visée au point 2 du présent dispositif doit être qualifiée de "prestation de services" lorsqu'il apparaît que l'adaptation en cause n'est ni mineure ni accessoire, mais qu'elle revêt au contraire un caractère prédominant ; il en est notamment ainsi lorsque, au vu d'éléments tels que son ampleur, son coût ou sa durée, cette adaptation revêt une importance décisive aux fins de permettre l'utilisation d'un logiciel sur mesure par l'acquéreur.

4) L'article 9, paragraphe 2, sous e), troisième tiret, de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sens qu'il s'applique à une prestation de services unique telle que celle visée au point 3 du présent dispositif, rendue à un assujetti établi dans la Communauté, mais en dehors du pays du prestataire".

Un logiciel standard peut devenir un logiciel spécifique (1). Cette transformation retentit sur la désignation du pays d'imposition (2).

1. Du logiciel standard au logiciel spécifique

Si la remise d'un logiciel standard dans un pays se distingue matériellement de son adaptation aux besoins de l'acquéreur dans un autre pays, l'exécution en des moments différents et en des lieux différents ne doit pas faire perdre de vue l'unité économique des différentes tâches successivement exécutées. La CJCE rejette toute distinction artificielle entre les différentes phases d'une seule opération. Elle s'attache à vérifier "si l'assujetti livre au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, plusieurs prestations principales distinctes ou une prestation unique" (CJCE, 25 février 1999, aff. C-349/96, Card Protection Plan Ltd (CPP) c/ Commissioners of Customs & Excise, § 29 N° Lexbase : A7318AHI).

Au point 30 du même arrêt, la CJCE affirmait que "Il convient de souligner qu'il s'agit d'une prestation unique notamment dans l'occurrence où un ou plusieurs éléments doivent être considérés comme constituant la prestation principale alors que, à l'inverse, un ou des éléments doivent être regardés comme une ou des prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale. Une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu'elle ne constitue pas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire".

En résumé, constitue une prestation autonome soumise au régime prévu par la sixième directive-TVA toute prestation indépendante dont l'existence et la consommation ne nécessitent pas, dans l'intention des parties, un autre élément constitutif. Seule importe la volonté contractuelle. Inversement, si les parties sont convenues que la satisfaction du client et partant, l'exécution de ses engagements par le fournisseur ne seraient atteintes qu'après réalisation de plusieurs tâches dépendantes les unes des autres, ces dernières ne constituent que les différents éléments d'une prestation unique. Comme en droit civil français, le juge communautaire considère qu'il faut rechercher la volonté réelle des parties.

En l'espèce, certes, le logiciel acquis aux USA par Levob pouvait, in abstracto, être utilisé. Cependant, in concreto, il ne présentait aucune utilité sans les adaptations stipulées. Il ne semble guère contestable que les cocontractants aient entendu conclure à propos d'une prestation unique de fourniture d'un logiciel spécialement adapté aux activités professionnelles du client. Le fait que le prix soit distingué par élément composant la prestation demeure indifférent (§ 25 ; CJCE, 25 février 1999, aff. C-349/96, Card Protection Plan Ltd (CPP) c/ Commissioners of Customs & Excise, précité, § 21).

L'unité de l'opération étant admise, il reste à qualifier l'obligation principale. Se traduit-elle par la livraison d'un bien ou la fourniture d'un service ? De nouveau, il faut rechercher la volonté des parties. Ont-elles entendu stipuler à propos d'une chose déterminée à l'avance ou d'un travail spécifique, destiné à répondre aux besoins particuliers du donneur d'ordre (C. cass., civ. 1ère, 14 décembre 1999 : Bull. civ. I, n° 340 ; Gaz. Pal. 2000, 2, somm. 1655, obs. Peisse) ? La CJCE adopte la même démarche que notre Cour de cassation en préconisant d'"identifier les éléments prédominants de ladite prestation" (§ 27 ; CJCE, 2 mai 1996, aff. C-231/94, Faaborg-Gelting Linien A/S c/ Finanzamt Flensburg, § 14 N° Lexbase : A9401AUQ). En l'espèce, le contrat d'entreprise l'emporte sur la vente car "outre l'importance des adaptations du logiciel de base afin de lui conférer une utilité pour des activités professionnelles exercées par l'acquéreur, l'ampleur, la durée et le coût desdites adaptations constituent également des éléments pertinents à cet égard" (§ 28). Le juge communautaire approuve l'administration fiscale et les juges du fond néerlandais car "loin de présenter un caractère mineur ou accessoire, de telles adaptations revêtent un caractère prédominant en raison de leur importance décisive pour permettre à l'acquéreur d'utiliser le logiciel adapté à ses besoins spécifiques dont il fait l'acquisition" (§ 29).

La nature fiscale de l'opération étant précisée, il devient possible de désigner le pays d'imposition de la prestation de services en cause.

2. Du logiciel spécifique au pays d'imposition

Le titre VI de la sixième directive-TVA s'intitule "Lieu des opérations imposables". Il prévoit des règles différentes selon qu'il s'agit de livraisons de biens ou de prestations de services. L'article 9-1 de cette directive désigne le pays d'établissement du prestataire de services, autrement dit le pays de départ. Toutefois, le paragraphe 2 du même article déroge à cette règle générale de localisation des services à propos de certaines prestations matériellement localisables et des prestations immatérielles limitativement énumérées. L'article 9-2, e, tiret 3 renvoie, ainsi, les "prestations des conseillers, ingénieurs, bureaux d'études, avocats, experts-comptables et autres prestations similaires, ainsi que le traitement de données et la fourniture d'informations" à la souveraineté fiscale du pays d'arrivée, celui du preneur.

En l'espèce, la question se posait de savoir si les prestations d'adaptation effectuées par le fournisseur de logiciels constituaient un traitement de données. La CJCE répond positivement en constatant que "les sciences de l'informatique, dont la programmation et le développement de logiciels, occupent une place importante dans la formation dispensée aux futurs ingénieurs et qu'elles constituent même souvent l'une des diverses filières de spécialisations offertes à ceux-ci au cours de cette formation" (§ 38). Il en résulte que "l'adaptation d'un logiciel informatique aux besoins spécifiques d'un consommateur est, donc, susceptible d'être effectuée tantôt par des ingénieurs, tantôt par d'autres personnes disposant d'une formation leur permettant de répondre à la même finalité" (§ 39). En sorte que l'ensemble des prestations de fourniture et d'adaptation d'un logiciel de gestion de contrats d'assurance aux Pays-Bas relève de la TVA néerlandaise.

Sans l'assimilation des différentes phases de l'échange économique entre FDP et Levob à une prestation de service, la CJCE aurait eu à dire en droit si la cession d'un logiciel standard contribue à l'évolution technique et économique. L'article 11 B § 1 de la sixième directive-TVA fixe la base d'imposition à la TVA des importations de biens par renvoi au droit communautaire relatif aux droits de douane. Or, à l'époque des faits litigieux, le droit communautaire excluait la valeur du logiciel enregistré sur un support informatique (Règlement (CE) n° 2454/93 de la Commission, 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d'application du Règlement (CEE) n° 2913/92 Conseil établissant le Code des douanes communautaire, art. 167, § 1 N° Lexbase : L5879AUB). Cette règle a été abrogée en 2002 en vue de réduire à zéro les droits de douane sur les produits des technologies de l'information (Règlement (CE) n° 444/2002 de la Commission, 11 mars 2002, modifiant le règlement (CEE) n° 2454/93 fixant certaines dispositions d'application du Règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le Code des douanes communautaire et modifiant les règlements (CE) n° 2787/2000 et (CE) n° 993/2001N° Lexbase : L2900A3S). Cependant, dans la mesure où les règles douanières spécifiques ont pour objectif de faciliter l'évolution technique et économique, il n'est pas sûr que le commerce international de logiciel standard en bénéficie.

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