La lettre juridique n°191 du 24 novembre 2005 : Bancaire

[Jurisprudence] Coffre-fort et incendie : le banquier est-il toujours responsable ?

Réf. : Cass. com., 11 octobre 2005, n° 03-10.975, Crédit Lyonnais c/ Sirin, FS-P+B (N° Lexbase : A0188DLK)

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le 07 Octobre 2010

Le contentieux relatif au contrat de location de coffre-fort tend souvent à rechercher la responsabilité du banquier pour la perte de la chose entreposée. Mais il peut, aussi, se manifester à l'occasion d'une privation temporaire. En témoigne l'arrêt du 11 octobre dernier, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (1), condamnant le banquier à indemniser le client qui a été privé, pendant un certain temps, de l'accès à son coffre, quand bien même l'entrave serait-elle due à un évènement extérieur à la volonté du banquier. En l'espèce, une banque conclut un contrat de location de coffre-fort avec un client qui y dépose des bons au porteur avant qu'un incendie ne dévaste ses locaux. Un arrêté de péril est alors pris par le préfet de police et, quelque temps plus tard, le client est informé par la banque que, si la salle des coffres n'a pas directement été atteinte par l'incendie, d'importants travaux de consolidation doivent, néanmoins, être entrepris, ce qui rend son accès impossible avant plusieurs mois. Le client, n'ayant pu effectivement accéder à son coffre pendant près d'un an, assigne subséquemment la banque en responsabilité pour la perte des intérêts consécutive à l'immobilisation de ses titres. Débouté par les premiers juges, il est, ensuite, accueilli par les juges du second degré (2). La banque forme, alors, un pourvoi que rejette finalement la Chambre commerciale en apportant plusieurs réponses inédites aux différentes questions posées.

La banque peut-elle d'abord soutenir que la mise à disposition d'un coffre-fort, moyennant un loyer, est un contrat de location soumis aux règles de l'article 1722 du Code civil (N° Lexbase : L1844ABW), et partant, qu'une interdiction administrative relève du fait du prince et exclut toute indemnisation ? Placer le débat sur la nature juridique du contrat est habile car aux termes de cet article, "si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite [...] par cas fortuit [...], il n'y a lieu à aucun dédommagement". La banque pouvait, d'ailleurs, d'autant plus, emprunter une telle voie que la jurisprudence y paraissait favorable. Dans ce même incendie, mais pour un autre client, la cour d'appel de Paris avait ainsi déjà pu considérer que le contrat de coffre-fort constituait un contrat de louage de bien meuble pour lequel l'article 1722 du Code civil devait recevoir application, même quand -suivant une jurisprudence constante (3)-, le locataire se trouve dans l'impossibilité de jouir de la chose (4). La Cour de cassation, dans un arrêt plus ancien, avait pu, au contraire, qualifier un tel contrat de louage d'immeuble, mais c'était pour rendre plus encore applicable l'article 1722 (5). Dans une autre décision, elle avait aussi admis le caractère exonératoire du fait du prince (6). Une telle argumentation ne pouvait à la vérité prospérer. Rompant avec les arrêts antérieurs, les Hauts magistrats décident, très justement, que "l'article 1722 du Code civil n'est pas applicable au contrat par lequel la banque loue à un client un compartiment ou un coffre dont elle assume la surveillance et auquel le client ne peut accéder qu'avec le concours du banquier". La déconnexion opérée sur ce point, entre le contrat de location de coffre-fort et le droit commun du louage, ne peut qu'apparaître salutaire pour le client, car en définitive, il n'a qu'un accès limité à la chose louée, sans jamais en avoir la maîtrise.

Au vrai, le contrat de coffre fort est un contrat de nature plus complexe qu'un simple contrat de louage (7) : en ne conférant pas une "jouissance directe" au preneur (8), le contrat est hybride, à mi-chemin du contrat de location et du contrat de dépôt. Aussi ne s'étonnera-t-on pas que la Cour de cassation, qui a déjà eu l'occasion de n'y voir qu'un "contrat de garde" (9), ait pu, ici, encore repousser l'application du louage.

Le loueur du coffre-fort peut-il davantage invoquer une clause du contrat aménageant sa responsabilité ? La clause prévoyait, en l'espèce, "qu'en cas de sinistre prouvé, par [...] incendie, [...] ou toute autre cause, entraînant la disparition ou la détérioration des objets contenus dans le compartiment de coffre, le titulaire de la location devrait, outre la preuve que [la banque] n'a pas apporté la diligence normale convenue, faire celle de la consistance et du montant de son préjudice par tous moyens en son pouvoir [...] pour pouvoir prétendre à indemnisation". Elle précisait, également, que la responsabilité de la banque "ne pourrait être mise en cause en cas de force majeure". La Chambre commerciale écarte, cependant, totalement la clause en décidant que "l'incendie, qui est à l'origine de l'arrêté de péril, ne constitue pas un événement imprévisible et irrésistible". A contrario, si l'incendie peut être prévu et s'il est possible d'y résister, sa seule survenance permet d'inférer que la banque n'a probablement pas apporté la diligence attendue.

Cela étant, faut-il admettre la solution pour tous les incendies ? Ne faut-il pas rechercher la cause précise de l'incendie ? La responsabilité du banquier se conçoit sans peine si la cause directe du sinistre lui est imputable. C'est le cas, par exemple, si l'incendie résulte d'un défaut d'entretien de son installation électrique, s'il s'est déclaré au cours de travaux qu'il a entrepris, ou plus généralement, s'il s'avère qu'il n'a pas pris les mesures suffisantes. Mais la force majeure doit-elle encore lui être refusée si l'incendie a une origine criminelle (10), s'il est le fait de tiers ayant pénétré par effraction (11), ou s'il lui a été communiqué par un immeuble voisin ? L'hésitation est permise au regard de la jurisprudence rendue en d'autres domaines. Mais l'arrêt du 11 octobre 2005 ne faisant pas spécialement de distinction, il est possible de penser que le banquier dont les installations sont dévastées par un incendie devrait toujours indemniser ses clients.

Il est, en fait, assez normal que le banquier soit responsable. En premier lieu, même s'il s'agit d'une location dérogatoire au droit commun du louage, comme tout bailleur, il est "obligé, par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail" (12). En second lieu, la fin principale du contrat est, comme on l'a vu, la garde de la chose dans les installations louées. Une obligation de sécurité particulière s'impose donc à la banque : celle de mettre tous les moyens en oeuvre pour que les valeurs que ses installations abritent ne soient pas exposées. En dernier lieu, la garde suppose restitution, ou, ce qui revient au même, de faire en sorte, ici, que le client puisse reprendre possession de la chose déposée. Or, le banquier ne peut ordinairement pas invoquer la force majeure pour se libérer de son obligation de restitution (13).

Une dernière question se posait encore à la Cour : la responsabilité de la banque pouvait-elle être retenue en l'absence de lien de causalité entre le défaut de paiement des intérêts afférents aux bons et une éventuelle négligence de sa part ; qui plus est si, à aucun moment, elle n'a été informée de l'existence des bons au porteur et de la date avant laquelle ceux-ci devaient être récupérés ? La Cour de cassation répond par l'affirmative. Le fait que les bons au porteur devaient être présentés physiquement à leur échéance pour percevoir les intérêts, ce qui n'a pu être fait en raison de l'impossibilité pour la banque d'assurer à son client l'accès à la salle des coffres, atteste l'existence d'un lien de causalité.

La solution découlant du présent arrêt, qui n'admet pas que le banquier loueur de coffre-fort puisse tirer parti de l'incendie qui le frappe pour s'exonérer de ses obligations, est à approuver. Son incidence pour le banquier est au demeurant très relative, s'agissant d'un sinistre, qui, de toute façon, est -ou peut être- couvert par les assurances.

Richard Routier
Maître de Conférences à l'Université du sud Toulon-Var


(1) Cass. com., 11 octobre 2005, n° 03-10.975, Crédit Lyonnais c/ Sirin, FS-P+B.
(2) CA Paris, 15ème ch., sect. A, 26 novembre 2002, n° 2001/05578, Sirin c/ Crédit Lyonnais (N° Lexbase : A7782A4Y).
(3) Cass. civ. 1, 5 juillet 1965, n° 63-10.325, Obadia c/ Philippe, Bull. civ. I n° 446 ; Cass. civ. 3, 17 octobre 1968, n° 66-13 032, Société Mansour c/ Riffert (N° Lexbase : A0931AUZ), Bull. civ. III, n° 383 ; Cass. com., 16 juillet 1980, n° 78-16.022, Société Centre Bretagne de Paris c/ Société Gho (N° Lexbase : A7330AGL), Bull. civ. IV, n° 294.
(4) CA Paris, 31 mars 2000, Vannier c/ Crédit lyonnais, D. 2001, Somm. p. 166, obs. CRDP Nancy II.
(5) Cass. req., 11 février 1946, D. 1946, Jur. p. 365, note A. Tunc.
(6) Cass. civ. 1, 29 novembre 1965, D. 1966, p. 101.
(7) CA Paris, 19 avril 1984, JCP éd. E, 1985, II, 14491 ; Cass. civ. 1, 15 novembre 1988, SA Banque La Henin c/ Consorts Souleyreau (N° Lexbase : A8250CTQ), D. 1989, Somm. p. 332, obs. M. Vasseur, et Jur. p. 349, note Ph. Delebecque ; RTD com. 1989, p. 285 obs. M. Cabrillac et B. Teyssié.
(8) Th. Bonneau, Droit bancaire, 5ème éd. Montchrestien, spéc. n° 783.
(9) Cass. civ. 1, 2 juin 1993, n° 91-10.971, Consorts Goldfinger et autres c/ M. Sébastien (N° Lexbase : A3601ACD), Bull. civ. I n° 197, D. 1994, Jur. p. 582, note B. Fauvarque-Cosson.
(10) Cass. civ. 3, 28 septembre 1983, n° 81-15.840, Cie Rhin et Moselle c/ Mohamed Chenna, Mohamed Ouali (N° Lexbase : A8822AH9), Bull. civ. III n° 172.
(11) Cass. civ. 3, 21 décembre 1987, n° 86-14.626, Norwich union fire insurance society limited et autres c/ Compagnie les Assurances générales de France (AGF) et autres (N° Lexbase : A4894CI4), Bull. civ. III n° 211.
(12) Cass. civ. 3, 19 mai 2004, n° 02-19.908 et 02-19.730, Caisse des règlements pécuniaires des avocats de Papeete c/ Société n° 4 rue du Ct Destremeau (N° Lexbase : A1977DC9), Bull. civ. III n° 100, D. 2004, IR p. 1640.
(13) CA Paris, 22 novembre 1924, DH 1925, 48.

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