La lettre juridique n°153 du 3 février 2005 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Du bon usage du CDD pour le remplacement de salariés absents

Réf. : Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-45.342, Société des Autoroutes du Sud de la France c/ Mme Monique Artus, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1244DG8)

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le 07 Octobre 2010

Soit une salariée ayant travaillé pendant deux ans pour la même société, suivant 104 contrats à durée déterminée successifs ayant pour objet le remplacement de salariés absents ! Pour apparaître quelque peu irréelle et non moins choquante, cette situation est pourtant à l'origine d'un arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 janvier 2005. Cette décision, dont l'importance est à souligner, conduit la Chambre sociale à affirmer qu'un employeur ne saurait recourir de façon systématique aux contrats à durée déterminée de remplacement pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre et les ériger en mode normal de gestion de celle-ci.
Décision

Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-45.342, Société des Autoroutes du Sud de la France c/ Mme Monique Artus, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1244DG8)

Rejet de CA Montpellier, 11 juin 2002

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-1 (N° Lexbase : L5451ACU) ; C. trav., art. L. 122-1-1 (N° Lexbase : L9607GQU) ; C. trav., art. L. 122-3-1 (N° Lexbase : L9625GQK).

Mots clefs : contrat à durée déterminée ; remplacement d'un salarié absent ; succession de contrats avec le même salarié ; requalification en contrat à durée indéterminée.

Liens base : ;

Faits

1. Mme X a travaillé pour le compte de la Société Autoroutes du Sud de la France (ASF) du 12 mai 1997 au 30 mai 1999, en qualité de receveuse, en application de 104 contrats à durée déterminée successifs ayant pour objet le remplacement de salariés absents. Estimant que ces divers contrats s'analysaient, en réalité, en un contrat à durée indéterminée, elle a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

2. L'arrêt attaqué a fait droit aux demandes de la salariée, requalifiant les contrats à durée déterminée conclus entre les parties en un contrat global à durée indéterminée. Les juges d'appel ont, également, condamné l'employeur à payer à la salariée des sommes à titre d'indemnités de requalification et de dommages-intérêts pour rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse.

Problème juridique

A quelles conditions la faculté de conclure avec un même salarié des contrats à durée déterminée successifs pour remplacer un ou des salariés absents peut-elle dégénérer en abus et entraîner une requalification en contrat à durée indéterminée ?

Solution

1. "La possibilité donnée à l'employeur de conclure avec le même salarié des contrats à durée déterminée successifs pour remplacer un ou des salariés absents ou dont le contrat de travail est suspendu ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; qu'il en résulte que l'employeur ne peut recourir de façon systématique aux contrats à durée déterminée de remplacement pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre" ;

2. "Ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que, pendant deux années consécutives, et quel que soit le remplacement assuré à l'occasion des cents quatre contrats à durée déterminée conclus, la salariée avait occupé le même emploi de receveuse de péage, pour des durées très limitées mais répétées à bref intervalle, que le nombre de contrat de travail à durée déterminée de remplacement au péage était important comparativement à l'effectif de l'entreprise et que le recours au contrat à durée déterminée était important comparativement à l'effectif de l'entreprise et que le recours au contrat à durée déterminée était érigé en mode normal de gestion de la main-d'oeuvre, la cour d'appel en a exactement déduit que l'emploi qu'elle occupait était lié durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise et qu'il y avait lieu de requalifier les contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée".

Observations

1. La possibilité de conclure un contrat à durée déterminée pour remplacer des salariés absents

  • Un cas de recours au contrat à durée déterminée autorisé par la loi

Il résulte de l'article L. 122-1, alinéa 2 du Code du travail (N° Lexbase : L5451ACU) que, "sous réserve des dispositions de l'article L. 122-2, [le contrat à durée déterminée] ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas énumérés à l'article L. 122-1-1". Le législateur a, ainsi, opté pour une énumération limitative des cas dans lesquels un contrat à durée déterminée peut être conclu. Parmi ceux-ci, figurent le remplacement d'un salarié absent ou dont le contrat est suspendu (C. trav., art. L. 122-1-1, 1° N° Lexbase : L9607GQU).

Ce contrat à durée déterminée jouit d'un régime quelque peu dérogatoire à, au moins, deux égards. D'une part, il peut ne pas comporter un terme précis (C. trav., art. L. 122-1-2, III N° Lexbase : L9608GQW) et, d'autre part, les contrats de remplacement à terme précis d'un même salarié peuvent se succéder immédiatement (C. trav., art. L. 122-3-11, al. 2 N° Lexbase : L9644GQA ; v., aussi, Cass. soc., 26 février 1991, n° 87-40.410, Mme Gautrand c/ Clinique Pasteur, publié N° Lexbase : A1417AAQ).

En d'autres termes, afin de remplacer un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu, l'employeur dispose de deux possibilités. Soit il conclut un contrat à durée déterminée à terme imprécis qui prendra fin au retour du salarié absent, soit il conclut plusieurs contrats à durée déterminée à terme précis qui pourront s'enchaîner sans interruption.

Dans les deux cas, l'article L. 122-3-1 (N° Lexbase : L9625GQK) impose de faire figurer dans le contrat conclu le nom et la qualification du salarié remplacé. Une telle exigence rend, par suite, impossible de prévoir simplement dans le contrat que la personne recrutée en contrat à durée déterminée occupera les postes vacants sans autre précision (v., également, Cass. soc., 24 février 1998, n° 95-41.420, Société Sonimar c/ M Ammar N° Lexbase : A5352AC9, Dr. soc. 1998, p. 608, obs. Cl. Roy-Loustaunau). Cela étant, rien ne s'oppose à ce qu'un même salarié enchaîne plusieurs contrats à durée déterminée dans une même entreprise pour pourvoir au remplacement de différents salariés, qui viendraient à s'absenter successivement.

  • Un cas de recours au contrat à durée déterminée encadré par la loi

La loi apporte, cependant, une importante limite à la solution précédemment évoquée. En effet, l'article L. 122-1 dispose, de manière générale, que "le contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise". La possibilité de recourir à des contrats à durée déterminée pour pourvoir au remplacement de salariés absents doit donc s'entendre dans cette stricte limite. C'est ce que rappelle la Cour de cassation dans l'espèce commentée, en affirmant que "la possibilité donnée à l'employeur de conclure avec le même salarié des contrats à durée déterminée successifs pour remplacer un ou des salariés absents ou dont le contrat est suspendu ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise".

Facile à énoncer dans son principe, la règle qui vient d'être énoncée est délicate à mettre en oeuvre en pratique. Comment, en effet, distinguer les entreprises abusant du procédé et celles qui, de bonne foi, sont amenées à enchaîner les contrats à durée déterminée de remplacement pour faire face à une succession d'absences imprévisibles ? On peut avancer, ainsi que le faisait en l'espèce la société demanderesse, que la succession de contrats à durée déterminée ne peut avoir pour effet de créer entre les parties une relation de travail à durée indéterminée, dès lors que le salarié a conclu des contrats distincts, autonomes les uns par rapport aux autres, pour le remplacement de salariés temporairement absents et nommément désignés. Telle n'est toutefois pas l'opinion de la Cour de cassation.

2. L'interdiction de recourir de façon systématique à des contrats à durée déterminée de remplacement pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre

  • Une prohibition de principe

Ainsi que l'indique la Cour de cassation dans cet arrêt du 26 janvier 2005, "l'employeur ne peut recourir de façon systématique aux contrats à durée déterminée de remplacement pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre" (1). Sans doute faut-il comprendre que seul un besoin conjoncturel de main-d'oeuvre permet un tel usage du contrat à durée déterminée de remplacement. Il reste que la frontière entre les deux situations n'est guère facile à dessiner.

Il est vrai, qu'en l'espèce, l'abus pouvait se deviner dès lors que la salariée avait été conduite à enchaîner pas moins de 104 contrats à durée déterminée en l'espace de deux ans ! Au-delà, et ainsi que prend soin de le souligner la Cour de cassation dans un motif que l'on qualifiera de "didactique", "la salariée avait occupé le même emploi de receveuse de péage, pour des durées très limitées mais répétées à bref intervalle, que le nombre de contrat de travail à durée déterminée de remplacement au péage était important comparativement à l'effectif de l'entreprise et que le recours au contrat à durée déterminée était érigé en mode normal de gestion de la main-d'oeuvre". Il s'en déduit, par suite, pour la Chambre sociale que l'emploi qu'occupait la salariée était lié durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

Deux lignes directrices, intimement liées, se dégagent de l'arrêt en cause : les contrats à durée déterminée de remplacement ne sauraient être utilisés pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre et être, ainsi, érigés en mode normal de gestion de main-d'oeuvre. Une telle affirmation, à laquelle on souscrit volontiers, ne saurait, malheureusement, empêcher toute casuistique en la matière. Il est, cependant, difficile d'en faire le reproche à la Cour de cassation, tant la notion d'emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise s'avère imprécise.

Il faut comprendre que, sous couvert du remplacement de salariés absents momentanément de l'entreprise, l'employeur ne saurait utiliser le contrat à durée déterminée comme un moyen commode de gestion de son personnel. C'est ce qui ressortait, en l'espèce, du fait que la salariée avait occupé le même poste pour des durées très limitées mais répétées à bref intervalle et que le nombre de contrats à durée déterminée de remplacement était important comparativement à l'effectif de l'entreprise (2). En d'autres termes, dans la mesure où l'employeur était conduit à faire face à des absences chroniques, il lui appartenait de recourir à des embauches en contrat à durée indéterminée, afin de pourvoir à des emplois qui étaient, en réalité, liés à l'activité normale et permanente de l'entreprise (3).

  • La requalification comme sanction

La sanction prononcée par les juges du fond, et confirmée par la Cour de cassation, n'appelle guère de commentaire. Il ressort clairement de l'article L. 122-3-13 du Code du travail (N° Lexbase : L5469ACK) que lorsqu'un contrat de travail à durée déterminée a été conclu en dehors des situations autorisées par la loi ou en violation des interdictions légales, il est réputé à durée indéterminée. La requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée entraîne des conséquences importantes : la rupture ou, en l'occurrence, le non-renouvellement du contrat, s'analyse en un licenciement dépourvu, par hypothèse, de cause réelle et sérieuse.

En définitive, le respect par un employeur des exigences formelles posées par le Code du travail dans le recours au contrat à durée déterminée de remplacement n'est pas de nature à éviter tout risque de requalification en contrat à durée indéterminée. La règle soumettant un tel recours au fait que l'emploi ne soit pas lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise doit, ici comme ailleurs, recevoir application.

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Cet arrêt est à rapprocher d'une précédente décision, dans laquelle la Cour de cassation a condamné la même société pour recours abusif aux contrats à durée déterminée de remplacement (Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-43.249, F-P+B N° Lexbase : A4742DDY). Dans cette espèce, une receveuse de péage avait été embauchée 22 fois en un an par la Société ASF pour pallier les absences de salariés dans six postes de péages différents. Selon la Cour de cassation, cette succession de remplacements revenait à utiliser le contrat à durée déterminée pour occuper un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

(2) On ne retrouve pas, dans cette décision, la constatation qu'avait pu faire la Cour de cassation dans l'arrêt précité du 29 septembre 2004, selon laquelle la salariée oeuvrait dans une "zone géographique étendue", qui couvrait en l'espèce six postes de péage. Selon un commentateur (F.V., Sem. soc. Lamy, préc.), cela était révélateur "car, dans un tel périmètre, il y a inévitablement et régulièrement des absences à combler. Il s'ensuit que l'employeur avait implicitement défini pour la salariée une zone d'intervention qui faisait du CDD de remplacement un mode de gestion des absences en général, même les plus prévisibles".

(3) En l'occurrence, c'était les absences qui tendaient à être normales et permanentes.

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