La lettre juridique n°144 du 25 novembre 2004 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Licenciement du salarié malade et moment du "remplacement définitif"

Réf. : Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.156, Mme Christine Chapet, épouse Marcais c/ Société Express national service, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8471DD4)

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par Nicolas Mingant, Ater en droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Lorsque le licenciement n'est pas directement fondé sur l'état de santé du salarié, mais sur la désorganisation de l'entreprise qui résulte de ses absences, il n'est pas considéré comme discriminatoire au sens de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L5583ACR). Mais, un tel licenciement est traditionnellement soumis à d'assez lourdes conditions. Si la jurisprudence a très récemment allégé le formalisme applicable à ce type de licenciement (voir Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.187, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8472DD7, voir C. Radé, Licenciement du salarié malade et motivation de la lettre de licenciement : une hirondelle fera-t-elle le printemps ?, Lexbase hebdo n° 143 du 18 novembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3533ABH), les obligations de fond pesant sur l'employeur restent assez contraignantes. Le licenciement du salarié malade ne peut intervenir que si l'entreprise "se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif du salarié dont l'absence prolongée ou les absences répétées perturbent son fonctionnement" (Cass. soc., 15 juin 2000, n° 98-42.587, M. Roland Bettinger c/ Société Les Rapides de Lorraine, inédit N° Lexbase : A9893ATL, voir N. Mingant, Le licenciement du salarié malade et la nécessité d'un remplacement définitif, Lexbase hebdo n° 139 du 22 octobre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3230ABA). Dans un arrêt de principe (FS-P+B+R+I) du 10 novembre 2004, la Cour de cassation précise que le licenciement du salarié malade ne peut reposer sur une cause réelle et sérieuse que si le remplacement définitif est réalisé dans un délai raisonnable après le licenciement (1), ce délai raisonnable devant être apprécié "in concreto" (2).
Décision

Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.156, Mme Christine Chapet, épouse Marcais c/ Société Express national service, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8471DD4)

Cassation partielle (CA Paris, 21ème chambre, section B, 27 juin 2002)

Mots clef : licenciement d'un salarié malade ; nécessité d'un remplacement définitif ; délai raisonnable pour procéder au remplacement

Textes visés : C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9)

Lien base :

Faits

Mme Marcais, engagée en qualité de comptable salariée par la société Express national service, s'est trouvée en arrêt de travail pour maladie à compter du 2 novembre 1998. Elle a été licenciée le 15 décembre 1999 -son préavis expirant au 17 mars 2000-, au motif que son absence prolongée désorganisait le service comptable de l'entreprise et qu'il était nécessaire de pourvoir à son remplacement définitif. Contestant le bien-fondé de son licenciement, elle a alors saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes. La cour d'appel l'a déboutée, au motif que le licenciement était justifié dès lors que l'entreprise avait pourvu à son remplacement.

Problème juridique

A quel moment l'employeur doit-il procéder au remplacement définitif du salarié malade pour que le licenciement de ce dernier repose sur une cause réelle et sérieuse ?

Solution

1. Cassation partielle sans renvoi.

2. "Le remplacement définitif d'un salarié absent en raison d'une maladie ou d'un accident non professionnel doit intervenir dans un délai raisonnable après le licenciement, délai que les juges du fond apprécient souverainement en tenant compte des spécificités de l'entreprise et de l'emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l'employeur en vue d'un recrutement".

Commentaire

1. L'exigence d'un remplacement définitif dans un délai raisonnable

1.1. La réalité du remplacement définitif

La jurisprudence a très clairement posé le principe selon lequel le licenciement du salarié malade ne peut reposer sur une cause réelle et sérieuse que "si l'entreprise se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif du salarié dont l'absence prolongée ou les absences répétées perturbent son fonctionnement" (Cass. soc., 15 juin 2000, n° 98-42.587, M. Roland Bettinger c/ Société Les Rapides de Lorraine, inédit N° Lexbase : A9893ATL ; Cass. soc., 3 décembre 2003, n° 01-45.692, F-D N° Lexbase : A3659DAR ; Cass. soc., 6 octobre 2004, n° 02-44.586, F-D N° Lexbase : A5713DDX).

Il est évident que si l'employeur invoque la nécessité de remplacer le salarié malade, il doit impérativement y procéder effectivement par la suite. S'il ne le fait pas, la preuve que le remplacement n'était pas nécessaire est par là même rapportée. Le juge, saisi dans le cadre d'un contentieux sur la validité du licenciement, examinera le comportement de l'employeur de nombreux mois après le licenciement, ce qui lui permettra de s'assurer que le remplacement a bien été effectué. Si tel n'est pas le cas, ou si le salarié remplaçant est, peu de temps après son recrutement, affecté à un autre poste dans l'entreprise sans être lui-même remplacé (Cass. soc., 5 mars 2003, n° 01-41.872, Mme Arlette Auzou c/ Association de salariés de l'agriculture pour la vulgarisation du progrès agricole (ASAVPA), F-D N° Lexbase : A3773A7U), le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. En d'autres termes, le juge s'assure de la réalité du remplacement définitif et vérifie ainsi que l'employeur n'a pas utilisé ce motif comme un prétexte pour licencier.

1.2. Le moment du remplacement définitif

Il ne suffit donc pas que la nécessité du remplacement soit établie, il faut également que la réalité du remplacement soit contrôlée par le juge. Il reste, cependant, à déterminer si l'employeur est ou non tenu par un délai pour procéder au remplacement définitif du salarié malade.

Il est, tout d'abord, certain que le recrutement doit avoir été réalisé au moment où le juge statue sur la validité du licenciement. Si le remplacement n'a pas été effectué au cours des nombreux mois pendant lesquels le plaideur doit attendre la décision des juges, c'est qu'il n'était pas nécessaire. Dans l'espèce commentée, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 27 juin 2002 avait retenu cette solution minimaliste, en admettant le licenciement pour la seule raison "qu'il avait été pourvu au remplacement de la salariée".

Le niveau d'exigence imposé à l'employeur apparaissait alors notoirement insuffisant. Si le remplacement n'intervient que longtemps après le licenciement, c'est que l'entreprise pouvait se passer de licencier. La solution est, en outre, particulièrement injuste pour le salarié licencié qui aurait très bien pu redevenir "apte à l'emploi" au cours de la (longue) période allant du licenciement jusqu'au remplacement.

Deux options semblaient sérieusement envisageables : soit, dans une logique maximaliste, on imposait à l'employeur de procéder au remplacement avant même de licencier le salarié malade, soit on lui imposait seulement de respecter un certain délai après le congédiement du salarié malade. Quelques arrêts d'espèce semblaient avoir retenu la première solution. Ainsi, dans l'arrêt du 5 mars 2003 précité, la Cour de cassation avait motivé la cassation par le fait qu'il résultait des constatations de la cour d'appel "que la salariée n'avait pas fait l'objet d'un remplacement définitif à la date de la rupture du contrat de travail". Il est vrai que les circonstances particulières de l'espèce devaient conduire à la prudence dans l'interprétation. Il n'en reste pas moins que, prise à la lettre, la formule jurisprudentielle faisait obligation à l'employeur de "remplacer avant de licencier".

L'adoption d'une telle solution pouvait se défendre. Il n'était peut-être pas déraisonnable de contraindre l'employeur à tirer rapidement les conséquences de ses propres constats. En effet, dans une pareille situation, la nécessité de remplacer le salarié est, pour l'entreprise, plus évidente que la nécessité de procéder au licenciement (il faut rappeler que, sauf dispositions conventionnelles contraires, l'employeur n'est pas tenu de maintenir la rémunération du salarié malade). Cette solution n'est cependant pas retenue dans l'arrêt commenté du 10 novembre 2004.

Dans un arrêt de principe, marqué des lettres FS-P+B+R+I, la Cour de cassation affirme que "le remplacement définitif d'un salarié absent en raison d'une maladie ou d'un accident non professionnel doit intervenir dans un délai raisonnable après le licenciement". Il est donc possible de ne remplacer le salarié malade qu'après qu'il ait été procédé à son licenciement. Mais, il convient alors que le remplacement soit réalisé dans un délai raisonnable. Si tel n'est pas le cas, c'est que le remplacement définitif n'était pas nécessaire.

Mais, afin de tenir compte des éventuelles difficultés de recrutement d'un remplaçant, la Cour de cassation invite les juges du fond à apprécier in concreto le respect par l'employeur de ce délai raisonnable.

2. L'appréciation in concreto du délai raisonnable

Dans l'arrêt commenté du 10 novembre 2004, la Cour de cassation affirme que le délai est apprécié souverainement par les juges du fond "en tenant compte des spécificités de l'entreprise et de l'emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l'employeur en vue d'un recrutement". La formule utilisée par la Cour de cassation, dont les juges du fond devront s'inspirer, n'est pas sans importance. L'appréciation du respect du délai raisonnable ne doit pas être effectuée in abstracto, à partir de l'idée qu'il existerait un délai objectivement raisonnable applicable, quelle que soit la situation. La Cour invite, au contraire, les juges du fond à apprécier le respect du délai par l'employeur in concreto, c'est-à-dire en fonction des circonstances particulières. En effet, s'il apparaît logique d'imposer à l'employeur de remplacer effectivement le salarié malade, il convient également de tenir compte des difficultés éventuelles qu'il pourrait rencontrer lors de sa tentative de recrutement.

Il convient d'abord de tenir compte des "spécificités de l'entreprise et de l'emploi concerné". On peut, en effet, concevoir que le recrutement d'un salarié sur un poste très "qualifié" ou très "spécifique" nécessite plus de temps qu'un recrutement sur un poste ne nécessitant pas de qualification particulière (il faut noter que les juges retiennent ce type d'éléments lorsqu'ils apprécient la "nécessité" ou non de pourvoir au remplacement définitif du salarié malade (Cass. soc., 25 juin 1997, n° 95-44.315, M. Manuel Rubio c/ Société Balat Serge, société anonyme, inédit N° Lexbase : A3032AUT). Parmi les "spécificités de l'entreprise" susceptibles d'être prises en compte par les juges, on peut également citer les procédures de recrutement que certaines entreprises mettent parfois en oeuvre et qui "ralentissent" les embauches.

En réalité, le critère décisif n'est pas nécessairement la "rapidité" du recrutement, mais les diligences accomplies par l'employeur pour y procéder. La Cour de cassation indique ainsi qu'il convient de prendre en compte les "démarches faites par l'employeur en vue d'un recrutement". Quelles que soient les difficultés rencontrées, l'employeur doit montrer sa bonne foi en réalisant ce qu'on pourrait appeler des "actes positifs de recherche d'un remplaçant".

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