La lettre juridique n°144 du 25 novembre 2004 : Droit financier

[Le point sur...] Les actions de préférence : jusqu'où ne pas aller trop loin ?

Réf. : Ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales et extension à l'Outre-mer de dispositions ayant modifié la législation commerciale (N° Lexbase : L5052DZ7)

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par Yann Paclot, Professeur à l'Université de Paris XI

le 07 Octobre 2010

La création des actions de préférence constitue l'innovation majeure de l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales et extension à l'Outre-mer de dispositions ayant modifié la législation commerciale (sur cette ordonnance, cf. A. Lienhard, Présentation de l'ordonnance réformant les valeurs mobilières, D. 2004, chron. p. 1956, G. Notté, Valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales, JCP éd. E, 2004, act. p. 1953, Th. Bonneau, Dr. Soc. août-sept. 2004, p. 22, Y. Paclot et J.P. Dom, Les nouvelles règles applicables aux valeurs mobilières, Lexbase hebdo n° 138 du 13 octobre 2004 - éditions affaires N° Lexbase : N3136ABR, A. Couret et H. Le Nabasque, Valeurs mobilières, augmentations de capital, nouveau régime, Lefebvre 2004). Conférant à leurs titulaires des droits spécifiques, ces actions ont vocation à remplacer progressivement divers titres de capital faisant l'objet d'un régime différencié (actions privilégiées ou de priorité, actions à dividende prioritaire sans droit de vote, certificats d'investissement), que l'ordonnance qualifie de "catégories de titres en voie d'extinction". Les actions nouvelles ont déjà fait l'objet d'études remarquées (en particulier : A. Viandier, "Les actions de préférence", et V. Magnier "Les actions de préférence : à qui profite la préférence ?", D. 2004, chron. p. 2559). La formule employée à l'article L. 228-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L8368GQY) (réd. art. 31 de l'ordonnance) pour les définir ouvre aux sociétés émettrices de nouveaux espaces de liberté : "lors de la constitution de la société ou au cours de son existence, il peut être créé des actions de préférence, avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent" ; espaces d'autant plus vastes que, selon le nouvel article L. 228-13 du Code de commerce (N° Lexbase : L8370GQ3), "les droits particuliers mentionnés à l'article L. 228-11 peuvent être exercés dans la société qui possède directement ou indirectement plus de la moitié du capital de l'émettrice ou de la société dont l'émettrice possède directement ou indirectement plus de la moitié du capital".

Toutefois, si les actions de préférence peuvent conférer à leurs titulaires des avantages dont ne jouissent pas les titulaires d'actions ordinaires, elles pourront aussi leur conférer moins de prérogatives que les autres actions. A cet égard, la dénomination d'"actions de préférence" retenue par les rédacteurs de l'ordonnance ne doit pas faire illusion : paresse ou effet de mode, elle n'est que la traduction de l'expression "preferred stocks", alors que la dénomination d'"actions spécifiques" aurait été certainement mieux adaptée (sur cette question, cf. A. Viandier, art. préc. n° 8 à 10).

Or, qu'il s'agisse de reconnaître aux titulaires d'actions de préférence plus ou moins de droits qu'aux actionnaires ordinaires, les financiers ne pourront pas donner totalement libre cours à leur imagination, car les actions de préférence devront respecter les dispositions d'ordre public applicables à toute action, concernant certains droits patrimoniaux et extra-patrimoniaux, communément qualifiés par la doctrine de "droits propres" de l'actionnaire.

I- Du point de vue patrimonial, parmi les "droits particuliers de toute nature" mentionnés à l'article L. 228-11, figure la vocation aux bénéfices, aux économies et la contribution aux pertes (C. civ., art. 1832 N° Lexbase : L2001ABQ). La répartition de ces droits et obligations se fait, en principe, proportionnellement aux apports (C. civ., art. 1844-1 N° Lexbase : L2021ABH), mais les actions de préférence pourront évidemment déroger à cette clé de répartition, comme les actions de priorité ou de préférence émises avant la réforme.

A cet égard, puisque c'est désormais la liberté qui prévaut, on comprend mal pourquoi les rédacteurs de l'ordonnance n'ont pas jugé utile d'abroger l'article L. 232-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L6294AIX), qui régit, dans le détail, le dividende majoré attribué par les statuts aux actionnaires fidèles. Toujours est-il que la liberté des rédacteurs de statuts restera bornée par la prohibition des clauses léonines, définies à l'article 1844-1 du Code civil comme "attribuant à un associé la totalité du profit procuré ou l'exonérant de la totalité des pertes, l'excluant totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes". Dans le même ordre d'idée, la clause d'intérêt fixe ou intercalaire reste interdite (C. com., art. L. 232-15 N° Lexbase : L6295AIY).

Une autre limite tient au droit préférentiel de souscription aux augmentations de capital reconnu à tout actionnaire. La loi permet aux actionnaires d'y renoncer (individuellement) ou de le supprimer (collectivement, par une résolution de l'assemblée générale extraordinaire), mais, en dehors de ces deux cas, elle répute non écrite toute clause qui les priverait de ce droit (C. com., art. L. 225-132 N° Lexbase : L8388GQQ). Les actions de préférence seront donc assorties d'un droit préférentiel de souscription, puisque l'ordonnance n'a pas dérogé à ce principe protecteur.

Enfin, l'ordonnance a maintenu l'interdiction d'émettre des titres de capital susceptibles d'être convertis ou transformés en titres de créance (C. com., art. L. 228-91 N° Lexbase : L8336GQS). Cette interdiction figure dans la section consacrée aux "autres valeurs mobilières donnant droit à l'attribution de titres représentant une quotité du capital", mais il ne fait aucun doute qu'elle s'applique aussi aux actions de préférence ; les droits particuliers conférés par ces actions ne permettront donc pas à leurs titulaires de devenir créanciers de la société émettrice.

II- Du point de vue des droits extrapatrimoniaux, la liberté des rédacteurs de statuts trouvera certaines limites en ce qui concerne le droit de vote.
Certes, la loi emploie une formule extrêmement large lorsqu'elle mentionne que les actions de préférence peuvent être "avec ou sans droit de vote", avant de spécifier que "le droit de vote peut être aménagé pour un délai déterminé ou déterminable. Il peut être suspendu pour une durée déterminée ou déterminable ou supprimé" (C. com., art. L. 228-11). Le régime des actions de préférence apparaît, ici, beaucoup plus souple que celui des actions à dividende prioritaire sans droit de vote, dont on sait qu'elles recouvraient le droit de vote à défaut de versement durant trois exercices du dividende prioritaire. Il est probable aussi que les dispositions nouvelles provoqueront une inflexion de la jurisprudence sur les conventions de vote, puisque, si le droit de vote peut être supprimé, il paraît difficile de continuer à le ranger parmi les droits fondamentaux de l'actionnaire.

Toutefois, l'ordonnance n'a pas supprimé le principe de proportionnalité du droit de vote énoncé à l'article L. 225-122 (N° Lexbase : L5993AIS), selon lequel chaque action donne droit à une voix au moins, exceptée la faculté de conférer un droit de vote double (C. com., art. L. 225-123 N° Lexbase : L5994AIT). L'émission d'actions à droits de votes multiples restera donc l'apanage de la société par actions simplifiée (C. com., art. L. 227-1 N° Lexbase : L6156AIT).

Par ailleurs, l'article L. 225-125 (N° Lexbase : L5996AIW) continue à affirmer que "les statuts peuvent limiter le nombre de voix dont chaque actionnaire dispose dans les assemblées sous la condition que cette limitation soit imposée à toutes les actions sans distinction de catégorie, autre que les actions à dividende prioritaire sans droit de vote". Mais, dans la mesure où l'article L. 228-11 autorise l'émission d'actions de préférence sans droit de vote (dans la limite de 50 % du capital, ce seuil étant ramené à 25 % dans les sociétés cotées), on a pu soutenir qu'il permet "de pratiquer un plafonnement qui ne s'appliquerait qu'aux actions de préférence, puisque cela revient à supprimer le droit de vote pour les actions excédant le plafond" (A. Viandier, art. préc. n° 21). Ce raisonnement repose sur une certaine logique, mais il contrevient à la lettre, parfaitement claire, de l'article L. 228-1 (N° Lexbase : L8356GQK), que les rédacteurs de l'ordonnance, à tort ou à raison, n'ont pas modifié ; dans le mesure où les actions de préférence s'analysent comme une "catégorie d'actions", il semble donc contestable de prévoir le plafonnement du nombre de voix de leurs titulaires.

Enfin, l'article L. 228-13 disposant que "les droits particuliers mentionnés à l'article L. 228-11 peuvent être exercés dans la société qui possède directement ou indirectement plus de la moitié du capital de l'émettrice ou de la société dont l'émettrice possède directement ou indirectement plus de la moitié du capital", on est amené à se demander si le droit de vote conféré par une action de préférence pourrait être exercé aux assemblées d'une société autre que l'émettrice.

Plusieurs arguments conduisent à répondre par la négative. D'une part, dans la mesure où l'article L. 228-11 distingue droits particuliers et droit de vote, il n'y a pas lieu de considérer que, lorsque l'article L. 228-13 fait référence aux "droits particuliers mentionnés à l'article L. 228-11", il vise aussi le droit de vote. D'autre part et surtout, la thèse "hérétique" selon laquelle des actions pourraient conférer le droit de voter à d'autres assemblées que celles de la société émettrice reviendrait à bouleverser le droit des sociétés en supprimant le lien entre capital et droit de vote. Or, dans la société anonyme, ce lien a été maintenu par l'ordonnance, puisque l'article L. 228-11 renvoie expressément à l'article L. 225-122, qui pose le principe de proportionnalité. Dans un groupe constitué de sociétés par actions simplifiées, il ne sera pas non plus possible d'émettre ce type d'actions de préférence, car pour voter, il faut être associé (C. civ., art. 1844 al. 1er N° Lexbase : L2020ABG).

Toutes ces limites s'imposeront aux rédacteurs de statuts ; mais, dans leur respect et tout en exerçant pleinement les libertés nouvelles reconnues par l'ordonnance, ils pourront faire preuve de créativité et répondre aux attentes particulières des diverses catégories d'actionnaires (majoritaires et minoritaires, fondateurs et financiers, dirigeants, salariés, etc..) ayant, chacune, des intérêts propres, mais concourant ensemble à l'intérêt social.

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