La lettre juridique n°635 du 3 décembre 2015 : Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Notion de résident en droit fiscal international et assujettissement effectif à l'impôt

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 370054, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3592NWX)

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public à la Faculté de droit, Université de Paris XIII, CERAP, Sorbonne/Paris/Cité, et Responsable du parcours Fiscalité européenne & internationale, Master 2 Droit européen & international

le 03 Décembre 2015

La qualité de résident, au sens du droit fiscal international, est-elle subordonnée à l'assujettissement effectif à l'impôt ? Telle est la question centrale posée dans la présente affaire (CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 370054, publié au recueil Lebon). Et la réponse du juge de l'impôt est la suivante : les personnes non soumises à l'impôt concerné par la législation de l'Etat, à raison de leur statut ou de leur activité, ne peuvent être considérées comme assujetties. Au cas présent, un organisme de retraite des médecins ayant son siège en Allemagne perçoit, en 2000, des dividendes de sociétés françaises soumis à une retenue à la source de 25 %. Une telle retenue à la source découle de l'application du CGI, en la combinaison de l'article 119 bis 2 (N° Lexbase : L4671I77) et de l'article 187-1 (N° Lexbase : L0960IZL). L'organisme demande restitution partielle de cette retenue, sur le fondement de la Convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 (N° Lexbase : L6660BH7) ; en vertu de l'article 9 de cette Convention, le taux est seulement de 15 %. L'administration rejette les prétentions de l'organisme de retraite au motif qu'il n'est pas résident en Allemagne au sens de l'article 2 de la Convention ; l'organisme ne peut donc invoquer le texte international précité. Les juges du fond se montrent sensibles à l'argumentation de l'organisme. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 21 octobre 2010, n° 0703090) accorde la restitution partielle des retenues à la source, puis la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 4 avril 2013, n° 11VE00141 N° Lexbase : A9624MQI) rejette le recours formé par le ministre du Budget et des Comptes publics. Le Conseil d'Etat casse l'arrêt de la cour administrative d'appel pour erreur de droit. C'est à tort que la cour a jugé (selon le juge de cassation) que la Convention franco-allemande ne contenait aucune définition de la notion de résident subordonnant l'assujettissement à l'impôt dans un Etat au fait de ne pas être exonéré. Après avoir rappelé que les dispositions d'une convention internationale (ici l'article 2 de la Convention franco-allemande) "doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but" (référence implicite à l'article 31 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités), le juge adoube la position de la doctrine administrative quant à la notion de résident. Une société exonérée d'impôt ne peut être regardée comme méritant la qualité de résidente au sens d'une convention fiscale internationale. Le juge s'appuie sur la notion de résident pour éviter des cas de double exonération fiscale (I). Si cette lecture classique des dispositions d'une convention fiscale internationale semble relever du bon sens herméneutique, elle mérite néanmoins critique. Il est en effet loisible de soutenir, à l'instar de la cour administrative d'appel censurée pour erreur de droit, que la qualité de résident existe indépendamment de l'assujettissement effectif à l'impôt (II).

I - La notion de résident, un instrument de lutte contre la double exonération fiscale pour le Conseil d'Etat

Le Conseil d'Etat doit régler le hiatus entre droit national et droit international. D'un côté, une retenue à la source de 25 % découlant de l'application du CGI (combinaison des articles 119 bis 2 et 187-1) ; de l'autre, une retenue à la source de 15 % découlant de la Convention franco-allemande (article 9). Au centre du noeud fiscal, la notion de résident et de soumission, ou plutôt de non soumission, à l'impôt. En vertu de l'article 9 de la Convention franco-allemande, "les dividendes payés par une société qui est un résident d'un Etat contractant à un résident de l'autre Etat sont imposables dans cet autre Etat". Chaque Etat conserve certes le droit de percevoir l'impôt sur les dividendes par voie de retenue à la source ; mais ce prélèvement ne peut excéder 15 % du montant brut des dividendes.

Quant à la notion de résident, elle est visée à l'article 2, a du 4 du 1 de la Convention : par résident d'un Etat contractant, il faut entendre toute personne qui, en vertu de la législation, y est assujettie à l'impôt considéré en raison du domicile, de la résidence, du siège de direction ou de tout autre critère. Une fois mentionnées les différentes dispositions au coeur du litige, le Conseil d'Etat se réfère au principe herméneutique classique du droit international tel que posé dans la Convention de Vienne. Les stipulations de l'article 2 de la Convention franco-allemande "doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but". Cet article 2 emporte définition du champ d'application de la Convention eu égard à l'objet principal de celle-ci, objet principal qui est d'éviter les doubles impositions. De cela, le Conseil d'Etat déduit que les personnes non soumises à l'impôt concerné par la législation de l'Etat, à raison de leur statut ou de leur activité, ne peuvent être considérées comme assujetties. Le juge s'appuie encore sur l'article 25 b, 4 de la Convention allemande qui vise les organismes de placement collectif en valeurs mobilières : ces derniers peuvent bénéficier de certaines dispositions de la Convention quand bien même ils ne sont point assujettis à un impôt visé à l'article 1er la Convention (1). Il résulte de la combinaison de ces différentes dispositions conventionnelles que les personnes exonérées d'impôt dans un Etat ne peuvent être regardées comme assujetties à cet impôt au sens de l'article 2 de la Convention.

L'ultime conclusion juridictionnelle ne manque pas de tomber : de telles personnes, connaissant une telle situation fiscale, ne peuvent être regardées comme résidentes de l'Etat considéré en ce qui concerne l'application de la Convention. Un contribuable, à lire la décision du Conseil d'Etat, peut invoquer à bon droit les garanties inhérentes à un Traité seulement dans l'hypothèse où il est assujetti à l'impôt. On notera que le Conseil d'Etat ne s'appuie pas, pour rendre sa décision, sur les spécificités de la Convention franco-allemande. Le juge pouvait, comme le fait le ministre, s'appuyer sur le fait que la Convention franco-allemande (à la différence d'autres conventions, comme la Convention fiscale franco-américaine N° Lexbase : L5151IEI) ne prévoit aucune exonération au profit des organismes de retraite à but non lucratif (un avenant du 15 octobre 2008 comporte, certes, une clause prévoyant l'octroi du bénéfice de la Convention aux organismes de retraite des deux Etats, mais dans certaines proportions). Pour être résident, il faut donc être effectivement soumis à l'impôt (2). La philosophie fiscale qui sous-entend le raisonnement du Conseil d'Etat est centrée sur la notion "double non-imposition", ou plutôt sur la lutte contre la non double imposition. Les conventions fiscales n'ont pas pour objet de permettre les doubles non-impositions ; elles ont pour objet d'éviter les doubles impositions, ce qui conduit à la non-application de la Convention lorsqu'un contribuable n'est pas effectivement soumis à impôt.

II - La notion de résident, une qualité indépendante de l'assujettissement effectif à l'impôt selon les juges du fond

Ne fallait-il pas entériner la solution adoptée par la cour administrative d'appel de Versailles en 2013 ? Selon celle-ci, la caisse de prévoyance devait être qualifiée de résidente fiscale en Allemagne pour l'application de la Convention fiscale. Elle tire cette conclusion de sa lecture de l'article 2 de la Convention : on entend par "résident d'un Etat contractant toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère analogue". La qualité d'assujetti à l'impôt s'apprécie ainsi au regard de la loi de l'Etat dont la personne qui revendique le bénéfice de ses stipulations soutient être résident.

Or, les organismes de cette catégorie, comme en l'espèce, sont considérés comme assujettis à l'impôt de manière illimitée en vertu de dispositions expresses de la loi allemande. Certes, la loi allemande prévoit, sous certaines conditions, l'exonération de l'impôt ; pour autant, cela n'a pas pour conséquence de faire perdre aux organismes visés leur qualité d'assujetti à l'impôt de manière illimitée (position soutenue par l'administration fiscale allemande elle-même). L'Allemagne appartient donc à la catégorie d'Etats dans lesquels une personne est assujettie à l'obligation fiscale illimitée même si l'Etat ne lui applique pas l'impôt. La cour administrative d'appel se tourne vers la Convention fiscale franco-allemande pour constater que celle-ci ne contient aucune définition de la notion de résident subordonnant l'assujettissement à l'impôt dans un Etat contractant au fait de ne pas en être exonéré. Et s'il existe bien un objectif de lutte contre les doubles impositions poursuivi par la Convention, si cet objectif implique un assujettissement effectif à l'impôt, cela n'emporte pas de déroger aux règles énoncées par la Convention... Faute de stipulation expresse le prévoyant.

Ce raisonnement, celui de la cour administrative d'appel, semble plus logique que celui adopté par le Conseil d'Etat. A la lecture de la Convention, il convient de se tourner de prime abord vers la loi nationale visée, la loi allemande : dès lors que celle-ci prévoit, en des dispositions expresses, que les entités dont relève l'organisme sont assujetties à l'impôt de manière illimitée, l'exonération de l'impôt dont elles bénéficient n'induit pas la perte de qualité d'assujetti à l'impôt. Dans une décision du 20 octobre 2011 (CAA Lyon, 20 octobre 2011, n° 10LY01157 N° Lexbase : A6879NX3), la cour administrative d'appel de Lyon soulignait ceci : si une convention bilatérale conclue pour éviter les doubles impositions peut conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi nationale, elle ne peut pas, par elle-même, servir de base légale à une décision relative à l'imposition. La qualité de résident existe indépendamment de l'assujettissement effectif à l'impôt ; la qualité de résident ne se perd pas en raison d'une non sujétion à l'impôt qui peut n'être que temporaire. Le critère de l'assujettissement effectif à l'impôt ne saurait devenir le critère permettant de faire disparaître la qualité de résident. Une décision du 15 juin 1993 (CAA Paris, 15 juin 1993, n° 92PA00056 N° Lexbase : A9926BH4) de la cour administrative d'appel de Paris, relative à l'application de la Convention franco-britannique du 22 mai 1968 (N° Lexbase : L5161IEU), peut encore être citée : pour le juge, "Le fait qu'un citoyen britannique justifie avoir été soumis en Grande-Bretagne [...] à un impôt [...] ne suffit pas à établir sa qualité de résident du Royaume-Uni" (3). Parallélisme négatif et retour à notre affaire : si l'assujettissement à un impôt ne permet pas d'établir la qualité de résident, le non-assujettissement à un impôt ne doit pas conduire à la perte de la qualité de résident.

Le 9 novembre 2015, jour de l'arrêt présentement commenté, le Conseil d'Etat rend une décision adoptant un raisonnement identique à celui retenu dans l'affaire commentée (CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 371132, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3594NWZ) : interprétation des termes de la Convention franco-espagnole du 10 octobre 1995 (N° Lexbase : L6689BH9) conformément au sens ordinaire ; non-assujettissement à la Convention dans l'hypothèse où le requérant n'est pas soumis à l'impôt en cause par la loi de l'Etat visé ; censure de la cour administrative d'appel pour erreur de droit (CAA Versailles, 11 juin 2013, n° 12VE03166 N° Lexbase : A6599KKM). Cette dernière avait en effet estimé que les fonds de pension espagnol ne perdaient pas la qualité d'assujetti à l'impôt au sens de la Convention en étant soumis à l'IS espagnol. De la pratique à la théorie du droit fiscal international : ce qu'il faut conclure de tout cela est que le Conseil d'Etat se fonde sur l'intention présumée des parties aux conventions fiscales internationales. Le droit des traités étant un droit conventionnel, le juge s'appuie sur un raisonnement simple : les Etats ne peuvent pas vouloir instaurer un système de double exonération qui, par définition, serait préjudiciable à leurs intérêts budgétaires. Le problème de ce type de raisonnement est qu'il est libéral par essence au sens où il neutralise tout espace de non taxation au bénéfice des contribuables. Cela est d'autant plus critiquable que les méthodes d'interprétation usitées par le juge (l'herméneutique, mère de toutes les batailles) peuvent varier. S'agissant de l'interprétation de dispositions conventionnelles, il peut tantôt retenir une lecture littérale, tantôt une lecture centrée sur l'objet, tantôt une lecture téléologique. Est in fine posé en axiome le raisonnement suivant : "l'interprétation littérale du texte conventionnel ne saurait, en principe, et, sauf exception, vous conduire à encourager les cas de doubles exonération ce qui conduirait à un résultat absurde et déraisonnable par rapport au but du texte" (4). Le contribuable, un être juridique coincé dans les rets soit de l'insécurité, soit dans ceux de l'inévitable taxation ?


(1) Article 1er de la Convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 : "La présente Convention a pour but de protéger les résidents de chacun des Etats contractants contre les doubles impositions qui pourraient résulter de la législation de ces Etat en matière d'impôts prélevés directement sur le revenu".
(2) B. Castagnède, Précis de fiscalité internationale, PUF, 2015, p. 433.
(3) Cité par le rapporteur public s'agissant de l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon le 20 octobre 2011.
(4) Conclusions de Franck Locatelli, Revue de droit fiscal, 42, 2013, p. 41.

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