La lettre juridique n°627 du 1 octobre 2015 : Électoral

[Jurisprudence] De nouvelles précisions sur l'office du juge électoral concernant le prononcé d'une sanction d'inéligibilité

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 14 septembre 2015, n° 385534, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9763NNW)

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par Romain Bourrel, Maître de conférences en droit public - GREAT, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, F-38000 Grenoble, France

le 01 Octobre 2015

Les nombreux recours consécutifs aux élections municipales de mars 2014 donnent encore l'occasion au Conseil d'Etat de préciser un certain nombre de règles en matière de contentieux électoral. La décision rendue le 14 septembre 2015 concernant les élections dans une commune du Val-de-Marne lui permet de se prononcer sur la procédure de saisine du juge de l'élection par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) et de rappeler le principe d'interdiction d'aggraver la sanction sur le seul appel de la personne frappée d'inéligibilité. En l'espèce, M. C. avait été élu conseiller municipal le 23 mars 2014 avant que le tribunal administratif de Melun ne soit saisi par la CNCCFP sur le fondement de l'article L. 52-15 du Code électoral (N° Lexbase : L7945I7E). Cette dernière a en effet constaté, par une décision du 10 juillet 2014, l'absence de dépôt du compte de campagne du candidat. Le tribunal a alors annulé son élection dans un jugement du 9 octobre 2014 et a prononcé une peine d'inéligibilité aux fonctions de conseiller municipal pour une durée d'un an à compter de la notification du jugement à l'encontre de M. C.

Ce dernier a donc décidé d'interjeter appel de ce jugement devant le Conseil d'Etat qui a annulé le jugement du tribunal de Melun qu'il a estimé avoir été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière : M. C n'avait en effet pas été informé de la saisine de CNCCFP, ni de l'audience au cours de laquelle le tribunal allait statuer sur ladite saisine. Le Conseil d'Etat a ensuite décidé de statuer lui-même car le délai de deux mois à partir de la date de réception par le tribunal administratif des décisions de la CNCCFP imparti au tribunal par l'article R. 120 du Code électoral (N° Lexbase : L3739HTN) pour statuer était expiré.

Dans la décision rapportée, deux points doivent être relevés. D'une part, l'étendue de l'application du principe du contradictoire devant la CNCCFP a été utilement précisée par le Conseil d'Etat (I). D'autre part, les règles relatives au prononcé de la sanction par le juge électoral, et notamment l'impossibilité pour le juge d'appel d'aggraver la sanction, ont été rappelées (II).

I - En l'absence de dépôt du compte de campagne d'un candidat, la CNCCFP n'a pas à respecter le principe du contradictoire

L'article L. 52-12 du Code électoral (N° Lexbase : L7947I7H) fait obligation à chaque candidat ou chaque tête de liste soumis au plafonnement des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11 (N° Lexbase : L5311IR7) et qui a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés d'établir un compte de campagne et de le déposer à la CNCCFP au plus tard à 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin. L'article L. 52-15 du même code prévoit quant à lui la procédure à suivre devant la commission. Il précise en effet que "la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne". Il poursuit de la manière suivante : "lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l'élection".

M. C. invoquait les irrégularités de la mise en demeure, donc de la relance, adressée par la commission et par conséquent l'irrégularité de la saisine du juge de l'élection. Or, en l'espèce, la commission n'a jamais reçu le compte de campagne de M. C., ce dernier l'ayant envoyé dans les délais légaux mais à une adresse erronée, et n'a pu que constater l'absence de dépôt du compte de campagne. Elle n'a ainsi pas été en mesure d'approuver ou de rejeter le compte mais a tout de même saisi le tribunal administratif. En effet, la saisine du juge électoral est prévue dans trois situations : dépassement du plafond des dépenses électorales, rejet du compte pour non-respect de la législation sur le financement des campagnes électorales et non-dépôt du compte (1). D'ailleurs, le Conseil d'Etat se montre très ferme s'agissant du respect du délai de dépôt puisqu'il estime que "la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, qui [n'a] pas le pouvoir de prolonger ce délai impératif, [est] tenue de saisir le juge de l'élection" (2).

La situation peu commune de M. C. offre au Conseil d'Etat l'occasion de préciser sa jurisprudence sur le respect du contradictoire : la CNCCFP n'a l'obligation de le respecter que lorsqu'elle souhaite réformer ou rejeter le compte de campagne, non lorsqu'elle n'est pas en mesure de se prononcer sur la régularité ou l'irrégularité dudit compte. Cette solution correspond à la lettre de l'article L. 52-15. Le juge administratif aurait sans doute pu retenir une position moins restrictive quant au champ d'application du contradictoire et ce d'autant plus facilement que l'absence de respect du contradictoire préalable au rejet du compte de campagne par la commission rend irrecevable la saisine du juge administratif (3).

II - L'impossibilité pour le juge d'appel d'aggraver la sanction sur le seul appel de la personne sanctionnée

Le second point qui attire l'attention dans l'arrêt rapporté concerne le prononcé de la sanction d'inéligibilité. En effet, l'article L. 118-3 du Code électoral (N° Lexbase : L7953I7P) dispose que "le juge de l'élection peut prononcer l'inéligibilité du candidat ou des membres du binôme de candidats qui n'a pas déposé son compte de campagne" et rajoute que "l'inéligibilité [...] est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s'applique à toutes les élections".

La jurisprudence administrative est très claire sur les prérogatives dont dispose le juge lorsqu'il est saisi par la CNCCFP : il doit apprécier si le compte de campagne a été rejeté à bon droit par la commission (4). En outre, si le juge de l'élection constate des irrégularités dans le financement de la campagne, il dispose d'une grande latitude pour prononcer l'inéligibilité du candidat (5) pour une durée maximale de trois ans qui vaut pour toutes les élections. Dans le cas du non-respect de l'obligation de dépôt du compte, le juge de l'élection est donc conduit à apprécier les faits reprochés au candidat et le caractère substantiel ou non de l'obligation méconnue pour prononcer une sanction d'inéligibilité. Il doit prendre en considération la nature de la règle méconnue, le caractère délibéré ou non du manquement, l'existence éventuelle d'autres motifs d'irrégularité du compte, le montant des sommes en cause et l'ensemble des circonstances de l'espèce. Le non-respect du délai de dépôt est d'autant plus durement sanctionné que le Conseil d'Etat estime que le dépôt du compte de campagne dans les délais constitue une formalité substantielle à laquelle il est impossible de déroger (6).

Néanmoins, et malgré l'effet dévolutif de l'appel, le Conseil d'Etat rappelle que le juge ne peut pas aggraver une sanction infligée en première instance sur le seul appel de la personne sanctionnée, en vertu de l'interdiction de la reformatio in pejus. Comme il le fait remarquer dans cet arrêt, il fait ainsi application d'un principe général du droit des sanctions et ne peut, en l'espèce, pas aggraver l'inéligibilité d'une année aux seules fonctions de conseiller municipal prononcée contre M. C par le tribunal administratif de Melun. Le juge adopte ici une position analogue à celle qu'il retient concernant les sanctions disciplinaires. Il a par exemple eu l'occasion de préciser l'étendue de ce principe général du droit en matière disciplinaire dans les termes suivants : "considérant qu'il résulte des principes généraux du droit disciplinaire qu'une sanction infligée en première instance par une juridiction disciplinaire ne peut être aggravée par le juge d'appel saisi du seul recours de la personne frappée par la sanction ; que cette règle s'applique y compris dans le cas où le juge d'appel, après avoir annulé la décision de première instance, se prononce par voie d'évocation ; que, relative à la compétence du juge d'appel, elle relève de l'ordre public ; que sa méconnaissance peut en conséquence être invoquée à tout moment de la procédure et qu'il appartient, le cas échéant, au juge de cassation de la relever d'office" (7).

Cette règle, somme toute parfaitement compréhensible, recèle cependant en l'espèce une conséquence néfaste : le fait que le tribunal administratif n'ait pas condamné M. C. à une peine d'inéligibilité s'appliquant à toutes les élections empêche le juge d'appel de prononcer ladite peine pourtant expressément prévue par la loi.


(1) Sur ce dernier point, voir CE, 18 décembre 1992, n° 139652, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1099AIK).
(2) CE, 29 juillet 2002, n° 242641, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2970AZZ).
(3) CE, Sect., 2 octobre 1996, n° 176967, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1463APU).
(4) CE, 19 juin 2013, n° 356862, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7900KGP).
(5) Qu'il devra prononcer dans les cas les plus graves, CE, 23 juillet 2012, n° 357453, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0776IR8).
(6) CE, Sect., 7 mai 1993, n° 140134, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9615AM3): "considérant que le délai de dépôt du compte de campagne prescrit par le deuxième alinéa de l'article L. 52-12 du Code électoral présente un caractère impératif".
(7) CE 4° et 5° s-s-r., 17 juillet 2013, n° 362481, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0093KKN).

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