La lettre juridique n°620 du 9 juillet 2015 : Sociétés

[Jurisprudence] Le quasi-usufruit sur la distribution des réserves : le traitement fiscal de la dette de restitution de l'usufruitier de droits sociaux

Réf. : Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-16.246, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6622NI4)

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N8295BUR

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux et Frédérique Julienne, Maître de conférences - HDR à l'Université de Bordeaux

le 09 Juillet 2015

L'articulation entre le droit des sociétés et le démembrement de droit que constitue l'usufruit représente un facteur important de contentieux au vu des difficultés techniques qu'elle induit. Ces difficultés sont aggravées par l'existence d'un régime d'usufruit dérogatoire, à savoir le quasi-usufruit qui, prévu à l'article 587 du Code civil (N° Lexbase : L3168ABX), a vocation à s'appliquer aux biens consomptibles. Pour mémoire, ce dispositif implique une extension des pouvoirs de gestion de l'usufruitier lui conférant le droit des disposer des biens en contrepartie d'une obligation de restitution par équivalant en fin d'usufruit. Pour la première fois, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans une décision rendue le 27 mai 2015, précise la nature des droits exercés par l'usufruitier de parts sociales sur les réserves distribuées sous formes de dividendes en se référant au quasi-usufruit.
L'élément déclencheur du contentieux était une question d'ordre fiscal opposant les ayants droit d'une succession à l'administration fiscale. Les ayants droit prétendaient pouvoir obtenir la rectification de la déclaration de succession initiale au motif d'une erreur d'évaluation du passif. L'enjeu portait sur le sort d'une dette de restitution dont le défunt était débiteur à l'égard du nu-propriétaire, au titre de sa qualité d'usufruitier sur des parts sociales après la perception de dividendes. La cour d'appel de Paris (1) a rejeté la demande au motif que le quasi-usufruit à l'origine de la dette était de nature conventionnelle. A l'appui de cette analyse, les juges du fond avançaient l'existence d'un accord intervenu entre les nus-propriétaires et l'usufruitier afin de verser les réserves distribuées sous forme de dividendes à ce dernier. Il découlait de cette qualification, la soumission de la dette aux dispositions de l'article 773, 2° du Code général des impôts (N° Lexbase : L9876IWP) qui prévoit un régime particulier de déduction régi par une présomption de fictivité. Le problème juridique posé à la Haute juridiction consistait à déterminer la nature de la dette de restitution issue du quasi-usufruit portant sur des dividendes. La décision de la cour d'appel est cassée par les juges de la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui fixent dans un attendu en tête de l'arrêt un principe de qualification de la nature des droits de l'usufruitier appliqués à la distribution de réserves sous forme de dividendes avant d'en tirer les conséquences sur le plan fiscal. Selon l'arrêt commenté, dans l'hypothèse où "la collectivité des associés décide de distribuer un dividende par prélèvement sur les réserves, le droit de jouissance de l'usufruitier de droits sociaux s'exerce, sauf convention contraire, sous la forme d'un quasi-usufruit", "de sorte que l'usufruitier se trouve tenu d'une dette de restitution exigible au terme de l'usufruit et qui, prenant sa source dans la loi, est déductible de l'actif successoral lorsque l'usufruit s'éteint par la mort de l'usufruitier".

A la lumière de cet arrêt il convient donc désormais de distinguer deux régimes distincts de traitement des dividendes perçus par l'usufruitier de droits sociaux. Lorsque les dividendes lui sont attribués par décision de l'assemblée générale annuelle d'approbation des comptes et d'affectation des résultats, on doit appliquer le régime commun de l'usufruit : l'usufruitier encaisse les sommes sans obligation de restitution au nu-propriétaire. En revanche, lorsque les dividendes sont, comme en l'espèce, prélevés sur les réserves, ils relèvent de l'article 587 du Code civil et l'usufruitier est tenu d'une restitution par équivalent au terme de l'usufruit.

Deux enseignements peuvent donc être tirés de cette décision : l'usufruitier est titulaire d'un quasi-usufruit sur les dividendes liés à la distribution des réserves (I) et la dette de restitution née de ce quasi-usufruit est déductible de l'actif successoral (II).

I - La nature des droits de l'usufruitier sur les dividendes prélevés sur les réserves : un quasi-usufruit

Pour la première fois, les juges de la Chambre commerciale identifient clairement la nature des droits de l'usufruitier à l'égard des réserves distribuées sous forme de dividendes: l'usufruitier de parts sociales bénéficie par principe d'un quasi-usufruit. Deux indications importantes sont apportées sur la qualification juridique de ce quasi-usufruit. D'une part, il s'agit d'un quasi usufruit légal et, d'autre part, il s'agit d'un quasi-usufruit ouvert aux aménagements conventionnels.

En premier lieu, les juges s'attachent à préciser l'origine du quasi-usufruit relatif aux dividendes. Selon la décision commentée, il trouve sa source dans la loi. Le fondement de cette qualification repose donc sur l'article 587 du Code civil qui a vocation à délimiter le domaine naturel du quasi-usufruit à savoir, les choses dont on ne peut faire usage sans les consommer. Le rapprochement entre cette solution et les décisions antérieures relatives au sort des dividendes versés par suite de l'assemble générale annuelle permet de dissocier deux régimes. Tout d'abord, lorsque les dividendes sont attribués en assemblée générale annuelle, ils sont qualifiés de fruits (2). A ce titre, ils relèvent du régime de droit commun de l'usufruit. Ils sont donc encaissés définitivement par l'usufruitier titulaire du droit de jouissance. Ensuite, lorsque les dividendes résultent d'une décision de distribution par prélèvement sur les réserves, ils sont soumis au régime du quasi-usufruit impliquant une restitution par équivalent de la somme encaissée par l'usufruitier au nu-propriétaire au terme du démembrement de droit. La solution retenue se justifie par la nature juridique des dividendes qui dans cette hypothèse-là sont analysés comme des créances de somme d'argent à l'égard de la société. La jurisprudence considère, en effet, que l'usufruit portant sur des créances "dégénère" en quasi-usufruit à l'échéance (3) ce qui offre la faculté pour le titulaire d'en percevoir le montant.

Il convient dès lors de distinguer clairement le sort des droits sociaux de celui des dividendes qui sont attachés à la distribution de réserves. Alors que les droits sociaux relèvent d'un usufruit ordinaire (4), les juges excluant à leur égard les dispositions de l'article 587 du Code civil, les réserves distribuées sous forme de dividendes sont, quant à elles, susceptibles d'être soumises à ce régime dérogatoire mais une fois uniquement qu'elles sont distribuées. Le "fait générateur" de l'application de la technique du quasi-usufruit découle alors de la décision de distribution de réserves. Cet élément spécifique de qualification légitime la question de la pertinence du raisonnement par analogie entre le régime du quasi-usufruit des dividendes et celui d'une créance ordinaire assortie d'un terme. Alors que les juges d'appel avaient mis en avant la décision de distribution pour rejeter la nature légale de la dette issue du quasi-usufruit, les juges de la Chambre commerciale retiennent une solution contraire. Le régime du quasi-usufruit est une hypothèse légale de l'article 587 du Code civil lorsqu'il s'agit de dividendes prélevés sur les réserves. En pratique, il sera nécessaire d'attirer l'attention des usufruitiers sur l'incidence de la décision de mise en réserve des bénéfices annuels sur l'existence d'une obligation de restitution dans l'hypothèse d'une mise en distribution ultérieure.

En deuxième lieu, les juges apportent une précision sur la portée de la qualification de quasi-usufruit sur les dividendes distribués. Cette dernière n'est pas d'ordre public et laisse donc une place aux conventions contraires. L'aménagement conventionnel aurait alors pour objectif d'écarter l'application de l'article 587 du Code civil et de priver l'usufruitier de tout droit sur les sommes mises en distribution. En effet, ces sommes prélevées sur les réserves n'ayant pas la nature de fruits, elles appartiennent au nu-propriétaire. Cette solution conforte le rôle traditionnellement laissé à la liberté conventionnelle dans le cadre des démembrements de droit que ce soit dans leur constitution ou dans leur gestion. Ainsi, est-on libre de créer conventionnellement un démembrement de droit non prévu dans le Code civil (5) ou, encore, d'aménager, par exemple, la répartition des travaux entre l'usufruitier et le nu-propriétaire. Cette liberté conventionnelle représente un enjeu particulier dans le cadre du quasi-usufruit au vu de la modification des pouvoirs de gestion qu'il induit au bénéfice de l'usufruitier. Ce dernier se voit, en effet, doter d'un pouvoir de disposition des biens et non plus d'un simple pouvoir de jouissance. Le nu-proriétaire, quant à lui, perdant la titularité d'un droit réel, se voit attribuer un droit personnel représenté par une créance de restitution due au terme du démembrement. L'intérêt d'un recours aux aménagements conventionnels consiste dès lors à éviter que l'usufruitier puisse percevoir et disposer des réserves distribuées sous forme de dividendes. Il pourra se justifier, notamment, lorsque le titulaire de l'usufruit se trouve dans une situation l'empêchant de gérer ses biens ou de présenter des garanties suffisantes de remboursement.

Le régime du quasi-usufruit induit donc l'existence d'une créance de restitution au bénéfice du nu-propriétaire qui, comme l'illustre l'arrêt commenté, est susceptible de soulever des difficultés de traitement au regard du droit des successions.

II - La dette de restitution née du quasi-usufruit : une dette déductible de l'actif successoral

L'enjeu attaché à la qualification de la nature des droits de l'usufruitier sur les dividendes était en l'espèce d'ordre fiscal. Il s'agissait de déterminer si la dette de restitution à laquelle l'usufruitier décédé était tenu à l'égard du nu-propriétaire, en tant que titulaire du quasi-usufruit, était ou non déductible de l'actif successoral dans le cadre de l'imposition de la succession.

L'actif net imposable est, en effet, déterminé en déduisant le passif successoral de l'actif brut imposable (6). En principe, les dettes du défunt existant au jour de l'ouverture de la succession sont déductibles de l'actif brut successoral à l'exception de certaines dettes présumées fictives ou éteintes. En l'espèce, le point de difficulté consistait à déterminer si la dette de restitution constituait une dette fictive telle que l'article 773, 2° du Code général des impôts la définit. Relèvent de cette qualification toutes dettes d'origine contractuelle consenties par le de cujus au profit de ses héritiers ou de personnes réputées interposées. La présomption de fictivité tombe, cependant, par la preuve contraire lorsque la dette a été consentie par un acte authentique ou par un acte sous seing privé ayant date certaine avant l'ouverture de la succession autrement que par le décès d'une des parties contractantes.

Le point essentiel consistait pour les juges à trancher sur la nature de la dette de restitution : est-elle d'origine contractuelle ou d'origine légale ?

Cette problématique a donné lieu à une analyse divergente entre les juges de la cour d'appel et les juges de la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Ces derniers rejettent la nature contractuelle en considérant que le quasi-usufruit qui a donné naissance à la dette litigieuse trouve sa source dans l'article 587 du Code civil. Cette solution est respectueuse de la nature de la décision prise par les associés de distribuer des réserves sous forme de dividendes. Cette décision relève, en effet, de la qualification d'acte unilatéral pris par la société et non de celle de contrat. En cohérence avec cette analyse, les juges du droit excluent la soumission de la dette du régime dérogatoire de l'article 773, 2° du Code général des impôts.

Cette solution illustre, alors, l'impact de la personne morale que constitue la société sur le jeu des présomptions fiscales de fictivité dans les relations familiales en présence d'un démembrement de droit. L'écran de la personne morale est en mesure de faire échec à cette présomption et de constituer un instrument intéressant d'optimisation patrimoniale. Dans la même logique, la jurisprudence considère que l'affectation des bénéfices votée par l'usufruitier à un compte de réserve n'est pas constitutive d'une donation consentie au nu-propriétaire (7).


(1) CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 25 février 2014, n° 11/12774 (N° Lexbase : A8419MEK).
(2) Cass. com., 5 octobre 1999, n° 97-17.377 (N° Lexbase : A8136AGG), Bull. Joly Sociétés, novembre 1999, § 258, note A. Couret ; Dr sociétés, 1999, n° 183, obs. H. Hovasse.
(3) Cass. civ. 1, 4 octobre 1989, n° 87-11.142 (N° Lexbase : A0784CG7), JCP éd. G., 1990, II, 21519, note J.-F. Pillebout ; RTDCiv., 1990, obs. F. Zenati.
(4) Cass. civ. 1, 4 avril 1991, 89-17.351, publié (N° Lexbase : A4632AHZ), Bull. civ. I, n° 129.
(5) Cass. civ. 3, 31 octobre 2012, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3197IWC) Bull. civ. III, n° 159 ; D., 2012, 2596, obs. V.-A. Tadros ; D., 2013, 53, note L. d'Avout et B. Mallet-Bricout, RTDCiv., 2013, obs. Gautier ; S. Jean et G. Beaussonie, La création prétorienne d'un droit de jouissance spéciale à durée indéterminée, Lexbase Hebdo n° 507 du 29 novembre 2012 - édition privée (N° Lexbase : N4669BT4).
(6) F. Douet, Précis de droit fiscal de la famille, LexisNexis, n° 2150.
(7) Cass. com., 10 février 2009, n° 07-21.806, FS-P+B (N° Lexbase : A1249EDM) ; RJF, 5/09, n° 514.

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