Lexbase Public n°367 du 26 mars 2015 : Fonction publique

[Jurisprudence] L'intérêt à agir des membres de l'organe délibérant d'une collectivité territoriale contre les contrats de recrutement d'agents non titulaires - Conclusions du rapporteur public

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 2 février 2015, n° 373520, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1440NBX)

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par Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section

le 26 Mars 2015

Dans un arrêt rendu le 2 février 2015, le Conseil d'Etat a dit pour droit que les membres de l'organe délibérant d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour contester, devant le juge de l'excès de pouvoir, les contrats de recrutement d'agents non titulaires par la collectivité ou le groupement de collectivités concerné. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public sur cet arrêt, Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat. A la suite des élections municipales de 2001, le maire de la commune d'Aix-en-Provence, Mme C.-E., a recruté son mari, M. C., par ailleurs ancien maire de la commune, en qualité de collaborateur de cabinet. Ce recrutement a été formalisé par la conclusion le 18 avril 2001 d'un contrat. L'article 3 du contrat stipulait que M. C. percevrait la rémunération afférente à l'indice majoré (IM) 1232. Ce contrat a été ensuite modifié par deux avenants : par le premier du 23 août 2001, les fonctions de directeur de cabinet du maire ont été confiées à M. C. ; par le second du 24 octobre 2002, sa rémunération a été fixée à l'IM 1279.

A l'occasion du vote du budget communal pour l'exercice 2005, M. G., conseiller municipal d'opposition, s'est ému des conditions de rémunération de M. C. Il a demandé l'annulation du contrat d'embauche du 18 avril 2001, ainsi que de ses deux avenants, au motif que la rémunération de M. C. méconnaissait la limite fixée par le décret n° 87-1004 du 16 décembre 1987, relatif aux collaborateurs de cabinet des autorités territoriales (N° Lexbase : L9104HBS). Le tribunal administratif de Marseille a fait droit à cette demande.

Vous avez déjà statué une première fois sur ce litige en tant que juge de cassation, en annulant l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Marseille sur appel de la commune et de M. C. (1). La cour administrative d'appel, dans son second arrêt, a confirmé le jugement du tribunal administratif. La commune et M. C. se pourvoient en cassation.

Disons d'emblée que le troisième moyen du pourvoi est fondé -mais il ne conduit qu'à une cassation très partielle de l'arrêt attaquée et cette cassation ne mène pas loin. Nous y reviendrons après avoir examiné les autres moyens du pourvoi, dont certains posent des questions intéressantes.

1. Le premier moyen ne vaut rien. Contrairement à ce que soutiennent les requérants dans leur pourvoi, M. C. soutenait dans son mémoire d'appel du 4 avril 2011, non pas qu'il n'avait pas été mis en mesure de connaître le sens des conclusions du rapporteur public devant le tribunal, mais que le sens des conclusions que venait de lui communiquer le rapporteur public à l'occasion de la première instance conduite devant la cour était insuffisamment clair.

2. Le deuxième moyen, tiré du défaut de réponse à une fin de non-recevoir, n'est selon nous pas fondé. En jugeant qu'"un conseiller municipal qui soutient que le contrat conclu par le maire d'une commune pour le recrutement d'un agent non titulaire a été pris en méconnaissance des compétences du conseil municipal présente un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de ce contrat", la cour a admis qu'un conseiller municipal justifiait d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre le contrat de recrutement d'un agent non titulaire, alors même qu'il aurait approuvé, explicitement ou implicitement, la création de ce poste et les modalités de sa rémunération.

3. Nous traiterons ensemble les quatrième et cinquième moyens du pourvoi. Le quatrième reproche à la cour d'avoir admis l'intérêt pour agir de M. G. sans rechercher si les moyens tirés de la méconnaissance des prérogatives du conseil municipal dont il se prévalait étaient effectivement fondés. Le cinquième lui reproche d'avoir accueilli un moyen tiré de ce que les conditions de rémunération de M. C. n'étaient pas conformes aux dispositions du décret du 16 décembre 1987, alors que cette illégalité n'a rien à voir avec une méconnaissance des prérogatives du conseil municipal, seul moyen que M. G., en sa qualité de conseiller municipal, était recevable à soulever.

Rappelons l'état de la jurisprudence sur ces questions. Vous jugez depuis longtemps qu'un conseiller municipal est recevable à attaquer un acte du maire lorsqu'il soutient qu'il entre dans les compétences du conseil municipal (2). Cette jurisprudence n'est elle-même que l'illustration d'un courant plus vaste qui admet tout en l'encadrant l'intérêt pour agir des membres d'organismes collégiaux : leur intérêt pour agir est admis à condition qu'ils fassent valoir une méconnaissance des prérogatives de l'organisme auquel ils appartiennent ; et dans ce cas ils ne peuvent invoquer que des moyens tirés de la méconnaissance des prérogatives de cet organisme (3). Notons que vous avez évolué dans le sens d'un plus grand libéralisme s'agissant des recours intentés par les membres d'organes délibérants contre les délibérations adoptées par l'organe auquel ils appartiennent : dans ce cas, leur intérêt pour agir est systématiquement reconnu (4).

Vous avez décliné cette jurisprudence ancienne et constante à l'hypothèse particulière dans laquelle un conseiller municipal introduit un recours pour excès de pouvoir contre le contrat portant recrutement d'un agent public. Par vos décisions "Ville de Lisieux" (5), vous avez admis la contestation par les tiers, par le biais du recours pour excès de pouvoir, du contrat conclu pour le recrutement d'un agent non titulaire. Mais à cette occasion, saisi de recours de cette nature émanant d'un membre du conseil municipal contre des contrats de recrutement conclus par le maire, vous n'avez admis la recevabilité de ces recours qu'en relevant que le requérant "invoquait sa qualité de conseiller municipal et soutenait que ces décisions avaient été prises en méconnaissance des compétences du conseil municipal" (6).

La question se pose du maintien de cette jurisprudence compte tenu de votre récente décision d'assemblée "Département de Tarn-et-Garonne" (7). Rappelons que, par cette décision, vous avez complètement renouvelé, pour l'avenir, le contentieux des contrats administratifs en ouvrant aux tiers une voie de recours directe contre ces contrats, prenant la forme d'un recours de pleine juridiction. Nous ne croyons pas que cette décision, éclairée par les conclusions de Bertrand Dacosta, remette en cause le recours pour excès de pouvoir "Ville de Lisieux". Ce recours pour excès de pouvoir propre aux contrats portant recrutement d'agents publics était et demeure, nous semble-t-il, justifié par la nature particulière de ces contrats, "faux contrats" comme on les appelle parfois compte tenu de leur étroit encadrement par les dispositions législatives et réglementaires. En revanche, votre décision "Département de Tarn-et-Garonne" invite à réexaminer les conditions dans lesquelles les membres des organes délibérants des collectivités territoriales peuvent demander l'annulation pour excès de pouvoir des contrats conclus par l'exécutif de la collectivité pour le recrutement d'agents publics.

Dans le régime contentieux défini par votre décision "Département de Tarn-et-Garonne", vous avez réservé un sort particulièrement favorable aux membres des organes délibérants des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Dans ce régime, pour être recevables à agir contre le contrat, les tiers doivent en principe faire valoir un intérêt lésé par celui-ci et ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec cet intérêt ou, bien évidemment, ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. En revanche, vous avez jugé que les membres de l'organe délibérant justifient, à l'instar du préfet, d'un intérêt leur donnant qualité pour agir contre tout contrat administratif conclu par l'exécutif de leur collectivité ou EPCI. Et ils peuvent, à l'appui du recours de pleine juridiction contestant la validité d'un tel contrat, invoquer tous moyens de légalité -pas seulement ceux tirés de la méconnaissance des prérogatives de l'organe délibérant. Cette solution est justifiée, aux termes mêmes de votre décision, par les "intérêts dont ils ont la charge". C'est dire que vous avez consacré la fonction de contrôle des actes de l'exécutif que jouent les membres de l'organe délibérant de la collectivité ou de l'EPCI -au même rang que le rôle de gardien de la légalité imparti au préfet.

Compte tenu de cette évolution, nous croyons difficile de maintenir la restriction qui existe, en l'état de la jurisprudence, aux possibilités de contestation ouvertes aux membres des organes délibérants des collectivités territoriales et EPCI à l'encontre des contrats de recrutement de leurs agents publics (8). Il y a matière à hésitation, bien sûr. Partant du principe que le recrutement des agents est une prérogative de l'exécutif local, placé à la tête de l'administration de la collectivité (9), vous pourriez hésiter à permettre aux membres de l'organe délibérant de contester, sans limite, les contrats portant recrutement d'agents publics. D'autant qu'il serait bien difficile de limiter cette extension aux décisions et aux conditions de recrutement des seuls agents contractuels : une fois le pas franchi, nous voyons mal comment ne pas admettre tout aussi libéralement l'intérêt pour agir des membres de l'organe délibérant à l'encontre des décisions et des conditions de recrutement des titulaires. Nous surmontons cette hésitation essentiellement pour deux raisons. D'une part, l'impact sur les finances locales des décisions portant recrutement d'agents publics n'est pas un enjeu moindre que celui des conséquences des engagements pris par la collectivité ou l'EPCI au travers des différents types de contrats entrant dans le champ de la jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne". Dès lors, "compte tenu des intérêts dont ils ont la charge", il nous paraît légitime d'autoriser les membres de l'organe délibérant à contester le principe et les modalités de recrutement des agents de leur collectivité ou EPCI. D'autre part, les décisions de recrutement peuvent d'ores et déjà être contestées par les requérants se prévalant de leur qualité de contribuable local, dès lors qu'elles ont une incidence sur les finances de la collectivité (10). Et les contribuables locaux peuvent à l'appui de leurs recours soulever tous moyens. Il ne sert à rien de barrer la porte de votre prétoire aux membres de l'organe délibérant si les mêmes personnes peuvent y rentrer par la fenêtre en leur qualité de contribuable local -et relevons d'ailleurs qu'en l'espèce, M. G. avait également pris le soin de mettre en avant cette qualité devant la cour administrative d'appel.

Si vous nous suivez vous écarterez le moyen d'erreur de droit tiré de ce que la méconnaissance du décret du 16 décembre 1987 ne pouvait être invoquée par M. G. en sa qualité de conseiller municipal. Et vous écarterez aussi le moyen tiré de ce que la cour a omis de vérifier si la méconnaissance des prérogatives du conseil municipal dont M. G. se plaignait était effectivement fondée, ce moyen devenant en tout état de cause inopérant.

4. La critique ensuite formulée par le pourvoi nécessite elle aussi quelques développements. Elle est dirigée contre les motifs par lesquels la cour a écarté la fin de non-recevoir formulée par la commune, selon laquelle la demande présentée par M. G. devant le tribunal était tardive.

Selon cette fin de non-recevoir, M. G. devait, au plus tard le 7 mars 2002, être regardé comme ayant eu connaissance acquise du contrat de M. C.. La cour a relevé la circonstance, mise en avant par la commune, que M. G. avait participé aux délibérations du conseil municipal qui, en 2001 et 2002, avaient approuvé la création de cinq emplois de collaborateurs de cabinet ainsi que le budget de la commune. Mais elle a refusé d'en déduire que M. G. devait être regardé comme ayant eu connaissance acquise du contrat de recrutement de M. C.. Son raisonnement est critiqué sur ce point sous l'angle de l'erreur de droit et de la dénaturation.

4.1. Sur le strict terrain de ce qu'on appelle un peu pompeusement la "théorie" de la connaissance acquise, le raisonnement de la cour ne nous paraît pas critiquable.

Vous avez en effet une conception exigeante de la connaissance acquise : comme le résumait Anne Courrèges dans ses conclusions sur une de vos décisions (11), votre jurisprudence "refus[e] de faire jouer [la théorie] lorsqu'il ne peut être certain que le requérant ait eu connaissance de la décision, dans tous ses éléments". Bien sûr, la participation aux délibérations d'un organisme permet d'admettre que l'intéressé a connaissance acquise des délibérations en question (12). Toutefois, comme la cour l'a souligné, elle n'était pas saisie d'un recours contre une des délibérations auxquelles a participé M. G. mais contre des contrats conclus sur leur fondement. Les conditions d'application de la théorie de la connaissance acquise n'étaient donc pas réunies.

4.2. Toutefois, la critique du pourvoi ne s'arrête pas là. En réalité, elle reformule la fin de non-recevoir soumise à la cour administrative d'appel pour la présenter sous le pavillon voisin mais distinct de la "connaissance indirecte". Ou, plus précisément, elle vous invite à faire une combinaison raffinée de la "connaissance acquise" et de la "connaissance indirecte"...

Pour reprendre l'exposé qu'en faisait Emmanuel Glaser dans ses conclusions sur l'une des rares décisions récentes faisant application de la "connaissance indirecte" (13) , celle-ci repose sur l'idée que le requérant va déduire de la publication, de l'affichage ou de la notification d'un acte l'existence d'un autre acte, qui n'a, lui, fait l'objet d'aucune procédure d'information régulière, mais dont l'existence est nécessairement impliquée par la publication, l'affichage ou la notification du premier. Et le délai de recours à l'encontre de l'acte qui n'a fait l'objet d'aucune mesure de publicité sera déclenché à compter de la mesure d'information faite pour l'acte qui en révèle l'existence.

Nous parlions de combinaison entre connaissance acquise et connaissance indirecte. En effet, les auteurs du pourvoi partent de la participation de M. G. aux délibérations du conseil municipal autorisant le recrutement de collaborateurs de cabinet et approuvant le budget de la commune pour en déduire qu'il avait connaissance acquise du contenu de ces délibérations. Jusqu'ici, il ne s'agit que d'appliquer classiquement l'un des aspects de la connaissance acquise (14). C'est ensuite que le raisonnement se corse : la commune et M. C. soutiennent que l'existence du contrat de ce dernier était nécessairement impliquée par le contenu de ces délibérations, de sorte que M. G. en avait connaissance indirecte.

Précisons trois points avant d'examiner le bien-fondé de cette argumentation.

Premier point : le caractère nouveau en cassation de l'argumentation présentée sur le terrain de la connaissance indirecte ne fait pas obstacle, en lui-même, à ce que vous l'examiniez -il s'agit en effet d'une question de recevabilité, donc d'ordre public. Il faut seulement que, l'examinant, vous vous absteniez de toute appréciation de fait, qui serait incompatible avec votre office de juge de cassation.

Deuxième point : la circonstance, constante, qu'aucune mention des voies et délais de recours ouverts à l'encontre du contrat de recrutement de M. C. n'ait été portée à la connaissance de M. G. ne ferait pas obstacle à ce que vous jugiez fondée la fin de non-recevoir soulevée, si vous estimiez qu'il a bien eu connaissance indirecte du contrat. M. G. étant un tiers au contrat, l'information sur les voies et délais de recours n'était en effet pas requise à son égard pour que le délai de recours fût déclenché (15).

Troisième point : ce ne serait pas la première fois que vous feriez une application combinée de la connaissance acquise et de la connaissance indirecte. Nous relevons une décision du 31 juillet 2009 par laquelle vous avez opposé à un conseiller municipal la connaissance indirecte d'une convention d'exploitation signée par le maire, connaissance indirecte que vous avez déduite de sa participation à des délibérations du conseil municipal ayant pour objet d'approuver des avenants à cette convention (16).

Ceci précisé, nous vous proposerons cependant d'écarter l'argumentation du pourvoi. Pour que joue la "connaissance indirecte", nous le disions, il faut qu'une décision connue du requérant implique nécessairement l'existence d'une autre. Tel n'est pas le cas, à notre avis, des délibérations du conseil municipal dont se prévalent la commune et M. C.. Celle du 17 mai 2001 autorise la création de cinq emplois de collaborateurs de cabinet. Celle du 6 février 2002 concerne le débat sur les orientations budgétaires de l'exercice 2002. Celle du 7 mars 2002 approuve le budget primitif de cet exercice. Ces délibérations ont donc autorisé la création des emplois dont l'un a été occupé par M. C. et ouvert les crédits nécessaires à leur rémunération. Mais elles n'ont fait qu'ouvrir des facultés à l'autorité communale. Elles n'impliquaient pas nécessairement la conclusion de contrats pour pourvoir ces emplois, et encore moins que M. C. fût retenu pour occuper l'un d'entre eux. Bref, nous ne croyons pas possible d'affirmer que ces délibérations impliquaient nécessairement l'existence du contrat conclu avec M. C..

Bien sûr, il ne fait guère de doute, au vu des pièces du dossier, notamment des extraits des procès-verbaux des séances du conseil municipal au cours desquelles ont été adoptées ces délibérations, que M. G. savait que M. C. avait été recruté sur contrat pour occuper les fonctions de principal conseiller du maire et il est vraisemblable qu'il connaissait aussi son indice de rémunération. Mais la connaissance d'une décision n'est pas sa connaissance acquise ou indirecte au sens de votre jurisprudence sur le point de départ du délai de recours contentieux, comme vous y insistez régulièrement (17).

Si vous nous suivez vous jugerez que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en admettant que la demande présentée par M. G. devant le tribunal administratif n'était pas tardive. Et vous écarterez également le moyen de dénaturation présenté à titre subsidiaire sur ce point : en jugeant que le contenu du contrat et de ses avenants n'avait pas été porté à la connaissance de M. G. lors du vote des délibérations du conseil municipal, la cour n'a rien dénaturé et quand bien même l'inverse serait vrai, cela ne vaudrait pas connaissance acquise ou connaissance indirecte de ces actes.

5. Avec la critique formulée en septième lieu par le pourvoi, on en arrive enfin au fond de l'affaire. Les auteurs du pourvoi soutiennent que la cour a donné de l'article 7 du décret du 16 décembre 1987 une interprétation entachée d'erreur de droit.

Ces dispositions, dans leur rédaction en vigueur à la date du contrat contesté, limitaient la rémunération des collaborateurs de cabinet des autorités territoriales à "90 % de celle afférente à l'indice terminal de rémunération du fonctionnaire territorial titulaire du grade le plus élevé en fonctions dans la collectivité". La définition de ce plafond a ensuite été légèrement modifiée et, à la date des avenants litigieux, il était égal à 90 % de la rémunération "qui correspond à l'indice terminal de l'emploi du fonctionnaire occupant l'emploi administratif fonctionnel de direction le plus élevé de la collectivité" ou, faute d'emploi fonctionnel dans la collectivité, 90 % de la rémunération "qui correspond à l'indice terminal du grade détenu par le fonctionnaire territorial titulaire du grade le plus élevé en fonctions dans la collectivité". Devant la cour était en débat la question, commune à ces deux versions successives du texte, de savoir si la rémunération mentionnée devait s'entendre du seul traitement indiciaire ou de celle incluant en outre l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que d'éventuelles indemnités. Notons que les dispositions en cause ont été depuis lors précisées par un décret du 30 mai 2005 (18), de sorte que la question d'interprétation que vous devez trancher ne se pose que pour le passé.

Le pourvoi reproche à l'arrêt d'avoir comparé la rémunération résultant de l'indice attribué à M. C. à 90 % de la seule rémunération indiciaire résultant de l'application de l'indice terminal mentionné par le texte. Selon le pourvoi, le texte impliquerait au contraire de retenir 90 % de la rémunération globale représentée par la rémunération indiciaire, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités. Indiquons que, si le pourvoi cite des réponses ministérielles à des questions parlementaires sur ce sujet (19), ces réponses ne sont pas parfaitement limpides sur la question qui nous intéresse.

Nous n'avons guère de doute que la réponse de la cour est la bonne. Il n'y a aucun sens à inclure dans les termes de comparaison le supplément familial de traitement et l'indemnité de résidence, puisque leurs montants sont entièrement déterminés par le traitement indiciaire, la situation familiale et la résidence administrative de l'agent. Quant aux primes, elles nous paraissent également devoir être exclues des termes de comparaison. D'une part, il résultait de l'article 9 du décret du 16 décembre 1987, dans sa rédaction applicable à la date des décisions attaquées, que les collaborateurs de cabinet ne pouvaient percevoir "aucune rémunération accessoire", à la seule exception de frais de déplacement. D'autre part, la lettre du texte n'est nullement dans le sens de l'inclusion des primes dans la rémunération servant de base au calcul du plafond de 90 %. Cette rémunération est en effet celle, selon la version du texte, "afférente à" ou "correspondant à" l'indice terminal d'un grade de référence. Or, on ne détermine pas un montant de primes par référence à un indice ni même à un grade désigné in abstracto. Les primes dépendent des fonctions effectivement exercées par un agent donné, des sujétions auxquelles il est soumis et de sa manière de servir.

Il s'ensuit que l'article 7 du décret du 16 décembre 1987 devait, selon nous, s'appliquer en comparant la rémunération du collaborateur de cabinet, hors supplément familial de traitement et indemnité de résidence, à 90 % du traitement indiciaire correspondant à l'indice terminal mentionné par ces dispositions. C'est bien ce qu'a jugé la cour, en dépit d'une petite maladresse de rédaction qui lui a fait mentionner la "rémunération globale" du directeur de cabinet. Et c'est aussi, relevons-le, une interprétation que vous aviez refusé de censurer, statuant sur un pourvoi dirigé contre une ordonnance du juge des référés rendue sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS) (20) -mais, bien sûr, ceci ne suffit nullement à conférer à cette décision valeur de précédent puisque la solution a été adoptée eu égard à l'office du juge des référés, c'est-à-dire dans le cadre du contrôle d'erreur de droit " distant " qui est le vôtre, en cassation de référés d'urgence (21).

Si vous nous suivez, vous écarterez en conséquence le moyen d'erreur de droit du pourvoi.

6. Vous écarterez également le huitième moyen du pourvoi, tiré d'une insuffisance de motivation, qui ne nous paraît pas fondé. La cour a jugé que le pouvoir réglementaire avait pu, sans méconnaître la liberté contractuelle des collectivités territoriales, fixer "dans l'intérêt général et de manière proportionnée" un plafond de rémunération applicable aux collaborateurs de cabinet. Elle a ainsi suffisamment répondu à l'exception d'illégalité qui était formulée à l'encontre du décret du 16 décembre 1987 -même si elle n'a pas précisé le motif d'intérêt général en question, ni expliqué en quoi la limitation était proportionnée.

7. Nous terminons par le seul moyen du pourvoi que nous croyons fondé.

Devant la cour administrative d'appel, M. C. avait présenté, dans un mémoire du 22 juillet 2013, une série de conclusions formulées à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour confirmerait l'illégalité de la rémunération fixée par son contrat. Il lui demandait d'ordonner une expertise pour déterminer le montant du trop-perçu, de dire prescrite l'action en remboursement de ce trop-perçu et de l'exonérer de tout remboursement en reconnaissant la responsabilité de l'Etat. La cour a rejeté ces conclusions subsidiaires comme irrecevables, au motif qu'elles soulevaient un litige distinct de celui, d'excès de pouvoir, dont elle était saisie. Nous n'avons pas de doute sur le bien-fondé de ce motif puisqu'effectivement, vous l'aurez compris, les conclusions subsidiaires de M. C. avaient trait au litige de plein contentieux relatif aux conséquences à tirer de l'annulation de son contrat -litige qui, au demeurant, ne paraissait pas encore né à la date à laquelle il a formulé ces conclusions.

Mais, en cassation, la commune et M. C. font valoir que la cour a soulevé d'office un tel motif de rejet de ces conclusions, sans en informer au préalable les parties, en méconnaissance de l'article R. 611-7 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3102ALH). Et ce moyen est fondé (22). Vous devrez donc annuler partiellement l'arrêt, en tant seulement qu'il statue sur les conclusions subsidiaires de M. C.. Nous croyons que vous devrez régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), sans qu'aient d'incidence, nous semble-t-il, les circonstances que ces conclusions ont été présentées pour la première fois après votre première décision de cassation et qu'elles soulèvent un litige nouveau et distinct de celui dont la cour était saisie : malgré ces circonstances, vous êtes bien saisi d'un second pourvoi dans la même affaire. Ce règlement au fond sera rapide au demeurant, puisque nous vous proposons de reprendre, maintenant qu'il a pu être débattu entre les parties, le même motif que celui opposé par la cour pour rejeter les conclusions subsidiaires de M. C..

Par ces motifs nous concluons dans le sens qui suit :

1. Annulation partielle de l'arrêt attaqué, en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées à titre subsidiaire en appel par M. C..

2. Dans le cadre du règlement au fond de l'affaire, rejet des conclusions d'appel subsidiaires de M. C., comme irrecevables car nouvelles en appel.

3. Rejet du surplus des conclusions du pourvoi.

4. Mise à la charge de la commune et de M. C. d'une somme de 3 000 euros au profit de M. G. au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4).


(1) CE 3° s-., 25 février 2013, n° 351427, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9302I8Z).
(2) CE, 1er mai 1903, Sieurs Bergeon, Dalle et autres, n° 9132, au Recueil, p. 323 ; a contrario, CE 3° et 5° s-s-r., 14 octobre 1977, n° 00594, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0296B8H), p. 391.
(3) CE, 4 décembre 1935, Sieur Canat et autres, n° 29260 29431, au Recueil, p. 1135 ; CE Sect., 26 octobre 1956, Dlle Cavalier et autres, n° 17904 et autres, au Recueil, p. 387 ; CE 24 juin 1970, Min. des anciens combattants et victimes de guerre c/ sieur L..., n° 78265, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6722B8H), p. 430.
(4) CE 24 mai 1995, Ville de Meudon, n° 150360, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4125AN4).
(5) CE, Sect., 30 octobre 1998, n° 149662 et 149663, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8279ASG), p. 375.
(6) Voir l'affaire "Ville de Lisieux", CE, Sect., 30 octobre 1998, n° 149662 et 149663, publié au recueil Lebon, préc..
(7) CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6449MIP).
(8) Restriction qui, au demeurant, n'a pas toujours été appliquée avec constance, du moins avant votre décision "Ville de Lisieux" : voyez CE 18 septembre 1991, n° 86852, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2509ARD), éclairée par les conclusions de Laurent Touvet, qui paraît admettre l'intérêt pour agir du conseiller municipal contre une décision d'embauche d'un contractuel.
(9) Voir sur ce point les dispositions des articles L. 2122-18 (N° Lexbase : L4569IZA) du Code général des collectivités territoriales pour le maire, L. 3221-3 (N° Lexbase : L1838IYQ) pour le président du conseil général, L. 4231-3 (N° Lexbase : L4568IZ9) pour le président du conseil régional et L. 5211-9 (N° Lexbase : L9382IZI) pour le président d'un EPCI.
(10) Voyez par exemple, à propos d'une délibération prévoyant la création d'un poste et recrutant un agent pour l'occuper, CE 3° et 5° s-s-r., 6 février 1998, n° 168406, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6372ASS).
(11) CE 1° et 6° s-s-r., 1er juillet 2009, n° 312260, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5640EIQ).
(12) Voir, sur ce point, votre décision "Ville de Meudon", précitée.
(13) CE 3° et 8° s-s-r., 7 août 2008, n° 288408, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0692EAU). Autres exemples : CE 1° et 6° s-s-r., 27 juillet 2009, n° 306245, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1293EK4) ; CE 4° et 6° s-s-r., 29 septembre 2003, n° 227655, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6445C9L).
(14) Illustré par la jurisprudence "Ville de Meudon" ; voyez aussi, bien avant cela, CE 4 août 1905, Sieur Martin, n° 14220, au Recueil, p. 749, avec les conclusions Romieu.
(15) Voyez notamment CE 3° et 8° s-s-r., 28 octobre 1991, n° 81080, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0505AR7), p. 1115 ; CE, Sect.,15 juillet 2004, n° 266479, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3962KR8), p. 331.
(16) CE 2° et 7° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 296964, 297318, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1249EKH), sur un autre point).
(17) Pour ne citer qu'un exemple, à propos précisément de décisions dont les requérants auraient eu connaissance par leur participation à un organe délibérant, voyez CE, Ass., 18 janvier 1980, n° 10352, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6794AIH), p. 33. Voir aussi, dans la même veine, CE 25 mai 1962, n° 51873, publié au recueil Lebon, p. 349 ; CE, Ass., 10 juillet 1996, n° 138536, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0215APN), p. 274 ; CE 2° et 10° s-s-r., 20 septembre 1991, n° 105409, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0456ARC), p. 1116.
(18) Décret n° 2005-618 du 30 mai 2005, portant modification de certaines dispositions relatives aux collaborateurs de cabinet des autorités territoriales (N° Lexbase : L7931G8A), article 1er.
(19) JO Sénat, quest. n° 11, 18 mars 1999, p. 892 ; JOAN, n° 11262, 22 juin 1998, p. 3450.
(20) CE 9° et 10° s-s-r., 15 octobre 2004, n° 266496, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4036DKP), p. 597.
(21) Sur ce contrôle, voir CE, Sect., 29 novembre 2002, n° 244727, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5285A4I), p. 421.
(22) Voyez pour des précédents accueillant des moyens similaires : CE 7° et 10° s-s-r., 21 juin 1999, n° 154474, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4406AXH), ou CE 4° et 5° s-s-r., 16 mai 2007, n° 281195, inédit au recueil Lebon ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 2555229, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CE 4/5 SSR, 16-05-2007, n\u00b0 281195", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A3880DWM"}}).

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