Lexbase Droit privé n°572 du 29 mai 2014 : Procédure pénale

[Evénement] La qualification dans le procès pénal

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par Aziber Seid Algadi, Docteur en droit, Rédacteur en chef - Droit pénal et Droit processuel

le 29 Mai 2014

Dans le cadre du cycle "Le droit pénal en mouvement", présidé par Messieurs Serge Guinchard, recteur honoraire d'académie, Yves Mayaud, Professeur à l'Université de Panthéon-Assas et Jacques Buisson, conseiller à la Cour de cassation, dont l'objectif est de faire le point sur les grandes évolutions du droit pénal, s'est tenue, le 7 avril 2014, à la Grand'Chambre de la Cour de cassation, une conférence, introduite par Monsieur Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, et intitulée "la qualification dans le procès pénal". Outre Le Professeur Mayaud, intervenaient Monsieur Xavier Salvat, Avocat général à la Cour de cassation et Maître Emmanuel Piwnica, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.
Présentes à cette occasion, les éditions Lexbase vous proposent une synthèse de la conférence. Introduction, par Vincent Lamanda

"Et si le pouvoir judiciaire, c'était simplement le pouvoir de qualifier" (1). Il faut dire que la qualification désigne cette démarche essentielle, consubstantielle à tout raisonnement juridique qui tend à donner aux faits concrets, par delà leur complexité, un visage juridique déterminant.

L'opération procède presque de l'alchimie, couvrant d'un manteau juridique une situation qui, sans elle, serait dépourvue de tout effet de droit. A l'image du peintre, l'interprète qui qualifie ne se contente pas de rendre le visible, il rend visible, au regard de tous, une réalité. En reliant un tel comportement à une catégorie prédéfinie en droit, qualifier, c'est lui conférer, lui appliquer un régime juridique.

Processus indispensable de concrétisation de la norme, la qualification ne cesse pourtant d'interroger. Ici, l'on débat du rôle du juge comme interprète des faits (2), de la part subjective qui présiderait à son action, en terme d'évaluation ou de prescription ; là, c'est la confusion et l'intelligibilité, dénoncées par certains auteurs, enclins à percevoir un opportunisme répressif, dans le choix de telle ou telle qualification comme le fondement d'une investigation particulièrement intrusive ou d'une exception aux droits de la personne mise en cause.

En toute hypothèse, les enjeux d'une qualification, quelle qu'elle soit, sont toujours majeurs. Terrain d'élection de la fonction expressive du droit pénal, la dénomination, donnée aux agissements d'un individu souligne et réaffirme l'interdit. Elle détermine la procédure applicable, reprécise le rôle, les pouvoirs, les droits et devoirs de chacun. Elle souligne la gravité de la transgression et définit la peine encourue ; d'où l'importance, d'une part, de restituer aux faits leur exacte qualification, d'autre part, de résoudre avec technique, finesse et sagacité, des questions épineuses de conflit de qualification, de cumul réel ou idéal d'infractions, avec l'exigence d'un débat loyal et contradictoire.
Mais le visage offert par le droit, à un délit qualifié de vol, d'escroquerie ou d'abus de confiance, appelle une vigilance pour que, derrière le mot, ne soit pas oubliée une réalité humaine complexe, pour que tous les acteurs du procès pénal ne soient amenés à raisonner sur un faux problème, abusivement caricaturé au point d'en ignorer les subtilités.

Certaine lectures nous mettent en garde, car si la qualification est un temps essentiel du procès pénal, elle peut aussi faire écran aux réalités d'une souffrance vécue.

I - La perception théorique de la qualification dans le procès pénal, par Yves Mayaud

La qualification en droit pénal permet d'entrer dans le quotidien des fonctions judiciaires.

Qu'est-il demandé aux juges sinon de procéder à un travail de rapprochement des faits et du droit ?

Il s'agit d'une démarche logique qui consiste à rechercher la meilleure correspondance entre les comportements poursuivis et les prévisions de la loi. Mieux que cela, plus qu'une correspondance, il est question d'une fusion complète entre le fait et le droit. Aucune procédure ne peut en faire l'économie et tout contentieux pénal en dépend, tant il est vrai que la réponse pénale, par hypothèse fondée sur des bases légalistes, implique que les faits reprochés, objet des poursuites, soient en relation pertinente avec ce qui est spécialement érigé en crime, délit ou contravention. Mais les apparences sont trompeuses, si la qualification se présente sous les traits d'un simple ajustement, l'opération n'est pas si évidente ; elle est tout ce qu'il y a de plus subtile et est moins facile qu'elle ne paraît.

Elle se révèle complexe, nuancée, voire en quête de solutions à confirmer.

La qualification est soumise à des principes qui en traduisent les exigences : incriminations, règles de procédure. Elle sera doublement en lien, d'abord, avec le support de la qualification recherchée et, ensuite, avec la sélection de la qualification adaptée.

A - Le support de la qualification recherchée

La démarche intellectuelle, correspondant au travail de qualification, suppose que l'on parte des faits qui sont matériellement rapportés dans l'acte de saisine de la juridiction, appelée à en connaître. La qualification ne peut intervenir que dans le contexte de la saisine préalable. C'est en rapport seulement avec ce que celle-ci contient de références précises à des circonstances parfaitement délimitées que la Justice, dans ses différentes formations, peut procéder à la juste application des textes, qu'il s'agisse des juges d'instruction ou des juridictions de jugement, qui ne peuvent statuer que sur les faits inclus dans la décision de renvoi ou l'acte de saisine.

Seule, la chambre de l'instruction échappe à ce principe dans le cadre de son pouvoir de révision (C. pr. pén., art. 202 N° Lexbase : L1755IPP). Mise à part cette hypothèse, la qualification doit être le reflet des seuls faits relatés, empruntés à l'acte de saisine.

La saisine tient lieu de support pour la qualification recherchée puisque toute démarche consistant à ne pas la respecter est vouée à l'échec. Il ne s'agit pas simplement de ménager les susceptibilités, générées par la séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et jugement ; un enjeu d'importance s'y attache. Le respect de l'acte de saisine est une garantie pour le justiciable qui est ainsi assuré de la stabilité des poursuites et doit pouvoir organiser sa défense en rapport avec les circonstances retenues à sa charge sans interférer avec l'éventualité d'autres faits nouveaux.
Il n'est donc pas nécessaire d'ouvrir la compétence du juge à des faits nouveaux qui ne seraient pas visés dans l'acte de poursuite. A supposer que le justiciable consente à être jugé sur de tels faits, la solution serait la même car, par principe, le juge ne peut s'autosaisir et il serait choquant que l'action publique fasse l'objet d'un arrangement entre la juridiction de jugement et la personne poursuivie.

Certaines formules de la Cour de cassation voulaient convaincre du contraire, c'est-à-dire à la possibilité d'une acceptation expresse du prévenu d'être jugé sur des faits nouveaux ou distincts de ceux visés à la prévention. Il s'agit, en réalité, moins d'une extension de la saisine à de nouveaux faits que de l'exploitation de circonstances séparées d'abord délaissées et ensuite qualifiées.

B - La sélection de la qualification adaptée

Le devoir du juge se dédouble en un devoir de juste qualification et de requalification.

1 - La juste qualification

Le juge doit examiner les faits qui lui sont soumis sous l'incrimination qui leur est spécialement applicable. Il doit apprécier toutes les qualifications possibles afin de dresser un inventaire complet des incriminations pouvant être retenues. Ainsi, il ne peut prononcer une relaxe qu'autant qu'il aura vérifié que les faits ne sont constitutifs d'aucune infraction. Il aura, ensuite, l'obligation de restituer, à la poursuite, sa qualification véritable, en se référant au seul texte applicable.

La qualification est un exercice de confrontation des faits et du droit hautement cartésien et soumis à l'objectivité.

2 - La requalification

La recherche de la juste qualification passe également par la requalification des faits lorsque le texte retenu dans l'acte de saisine ne rend pas compte de la réalité des faits, de leur gravité.

Ainsi, la qualification retenue dans l'acte de saisine ne lie pas le juge d'instruction qui peut même ajouter une nouvelle qualification à celle préalablement retenue.

Plusieurs conditions sont à remplir pour procéder à la requalification.

- Le respect de la chose jugée (absence de décision définitive sur les faits) : la requalification ne peut être faite que si les faits n'ont pas donné lieu à une décision définitive. Il s'agit de l'application de la règle non bis in idem. L'autorité de la chose jugée est un obstacle infranchissable à la requalification car le juge a un devoir de recenser toutes les qualifications avant de se prononcer. C'est l'"effet de purge" du travail du juge. Mais la Cour de cassation et la CEDH n'ont pas toujours consacré cette solution (3) : tel est le cas dans l'affaire du "sang contaminé" qui s'est soldée par de nouvelles poursuites pour crime d'empoisonnement contre un prévenu qui avait déjà été définitivement condamné pour délit de tromperie au nom d'une approche plus juridique que matérielle de la notion de "mêmes faits", même si la CEDH a renoué avec une réponse fondée sur une juste perception matérielle des faits, objet de la requalification.

- La prohibition de la dénaturation : aucune dénaturation des faits ne doit accompagner un changement de qualification. Selon une formule très explicite de la Cour de cassation, s'il appartient aux juridictions correctionnelles de modifier la qualification des faits et de substituer une qualification nouvelle à celle sur laquelle ils leur ont été déférés, c'est à la condition qu'il ne soit rien changé, ni ajouté aux faits de la prévention tels que mentionnés dans l'acte de saisine. Il convient, toutefois, de distinguer la dénaturation du simple réexamen qui s'inscrit dans la fonction du juge.

- Le respect et la garantie des droits de la défense : la nouvelle qualification est sans conséquence si la personne mise en cause n'a pas été placée en situation de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée. Certaines décisions ont également laissé entendre qu'il fallait aussi une acceptation explicite du prévenu.

En somme, le juge doit d'abord respecter l'acte de saisine et procéder, ensuite, à la purge des qualifications qui implique une reconsidération de l'expression juridique des faits et il doit le faire éventuellement par une requalification.

En marge des principes, il y a aussi des pratiques, qui font, d'ailleurs, office de principes.

La qualification n'est pas toujours le résultat d'une démarche idéale, elle est également l'instrument de préoccupation plus immédiate, empruntée à la sensibilité des espèces. Les principes doivent être appliqués avec humanité et sensibilité, d'où l'existence de certaines pratiques : la première pratique, partagée entre les juridictions de fond, consiste à minimiser les faits afin de retenir une qualification moindre et la seconde, propre à la Cour de cassation, consiste à entériner les erreurs des juges en prétextant de la justification de la peine.

La sous-qualification consiste à ne pas donner aux faits poursuivis leur véritable portée juridique : le juge est volontairement en retrait par rapport aux exigences de la loi. Il n'en restitue pas les termes avec application, il procède à la réduction de leur portée. Cette pratique a ses raisons mais inspire de véritables questions. Les raisons sont soit l'indulgence (correctionnalisation des peines), soit le besoin de célérité (confrontation à des magistrats professionnels plutôt qu'à un jury d'assisses).

La sous-qualification suscite des réserves dans la mesure où il suffit qu'il y ait opposition à la sous-qualification pour revenir à la qualification telle que prévue par les textes. La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8), dite "Perben 2" favorise le principe de cette opposition. L'article 186-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1730IPR) précise, à ce sujet, que "la personne mise en examen et la partie civile peuvent interjeter appel des ordonnances prévues par le premier alinéa de l'article 179 (N° Lexbase : L1748IPG) dans le cas où elles estiment que les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel constituent un crime qui aurait dû faire l'objet d'une ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises".

L'ouverture de la voie de l'appel n'est pas sans contrepartie et se double de l'impossibilité pour le tribunal correctionnel de revenir sur la correctionnalisation opérée, si le recours n'a pas été exercé ou ne peut plus l'être.

La compétence du juge est alors définitivement figée. L'orientation du procès ne peut plus être corrigée par une remise en cause de la qualification. Le retour au droit échappe donc aux juridictions de jugement les privant ainsi du contrôle de leur propre compétence, dès lors qu'aucune contestation par les parties privées au procès, n'a été formulée alors même que les règles de compétence sont d'ordre public.

Pour finir, il convient de mentionner la pratique de la peine justifiée propre à la Cour de cassation, qui pose aussi une question de légalité.

II - Les applications pratiques de la qualification dans le procès pénal

A - Du point de vue du magistrat, par Xavier Salvat

La qualification n'a pas de définition précise dans le Code pénal et le Code de procédure pénale n'y fait allusion que très rarement. Les articles 113-8 ([LXB=L3293IQZ ]) à 116 du Code procédure pénale soulignent, dans le cadre d'une mise en examen, que le juge d'instruction "peut également procéder à cette mise en examen en adressant à la personne une lettre recommandée précisant chacun des faits qui lui sont reprochés, ainsi que leur qualification juridique, et l'informant de son droit de formuler des demandes d'actes ou des requêtes en annulation, ainsi que du délai prévisible d'achèvement de la procédure, conformément aux dispositions des septième et huitième alinéas de l'article 116".

L'article 123 du même code (N° Lexbase : L5539DYS) dispose également que "les mandats d'amener, de dépôt, d'arrêt et de recherche mentionnent en outre la nature des faits imputés à la personne, leur qualification juridique et les articles de loi applicables".

La qualification juridique est différente des faits et des articles de loi applicables. Ceux-ci sont les incriminations. Ce sont des qualifications légales. L'infraction est le comportement punissable.

La qualification juridique des faits au cours du procès pénal consiste en une opération intellectuelle permettant au juge de passer du fait au droit. Il existe plusieurs définitions : par exemple, selon Gérard Cornu, qualifier, "c'est rechercher dans la loi, pour l'appliquer à l'espèce, l'incrimination susceptible de compter" et pour le Professeur Guinchard, la qualification est une "opération d'intelligence qui va permettre au juge en matière pénale de vérifier la concordance des faits matériels commis, au texte d'incrimination susceptible de s'appliquer".

Comme l'a souligné Madame Eudoxie Gallardo, dans sa thèse intitulée "la qualification pénale des faits" (4), l'opération de qualification judiciaire doit résulter d'une double interprétation des faits et de la règle de droit. La qualification est alors une image, une représentation de la nature pénale des faits par le policier ou le magistrat, à un moment de la procédure qui évoluera au rythme de l'avancement de l'affaire.

La qualification judiciaire des faits est donc provisoire et les acteurs de la procédure vont qualifier, disqualifier et requalifier tout au long de la procédure et jusqu'au prononcé de la condamnation définitive.

Le juge répressif est saisi des faits selon l'un des modes énumérés à l'article 388 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3795AZL). Il est saisi in rem et in personam.

Sans cesse, la Chambre criminelle rappelle que la juridiction répressive doit restituer à la poursuite sa qualification véritable dès lors qu'elle puise les éléments de sa décision dans les faits mêmes dont elle est saisie. Le juge a aussi l'obligation de requalifier.

De ce devoir, découlent plusieurs conséquences.

En premier lieu, une juridiction répressive n'est jamais liée par la qualification retenue dans l'ordonnance de renvoi, rendue par le juge d'instruction. Le juge doit requalifier les faits, y compris en tenant compte des débats à l'audience. Au besoin, le juge doit procéder à un supplément d'information.

En deuxième lieu, le juge ne peut aussi prononcer une relaxe sans avoir purgé la procédure de toutes les qualifications pénales existantes. Cette obligation découle du principe de l'autorité de la chose jugée et de la règle non bis in idem, selon laquelle un même fait ne peut être jugé deux fois sous une qualification différente. L'article 368 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4375AZ3) reprend cette règle en ces termes : "aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente".

En troisième lieu, le juge doit restituer aux faits leur véritable qualification, sous leur plus haute acception pénale. Si plusieurs qualifications sont possibles, le juge ne doit en retenir qu'une seule, sous réserve de la jurisprudence qui applique plusieurs qualifications aux mêmes faits lorsqu'il y a des intérêts juridiques protégés.

Enfin, le juge doit aussi vérifier sa compétence par rapport à la nouvelle qualification retenue, à l'exception de la cour d'assises qui dispose de la plénitude de juridiction et peut juger les personnes, renvoyées devant elle, quelle que soit la qualification finalement retenue. La Chambre criminelle juge ainsi qu'en matière répressive, la compétence juridictionnelle est d'ordre public et il appartient au juge, même d'office, de se déclarer incompétent, le cas d'échéant.

Le devoir de qualifier du juge ne s'exerce que dans la seule limite de sa saisine et il ne peut l'étendre à moins que le prévenu n'accepte de se faire juger pour les nouveaux faits.

Pour requalifier un fait, le juge doit prendre en compte les circonstances de faits qui figurent au dossier même non énoncés dans l'acte de saisine.

Une conception restrictive du principe de la saisine in rem interroge sur la nécessité de requalifier, autrement dit, s'il doit s'en tenir uniquement aux termes de l'acte de saisine. A l'inverse, une conception extensive de la saisine in rem contredit le principe de la séparation des fonctions qui veut que le juge pénal ne puisse se saisir lui-même. La jurisprudence a longtemps été incertaine mais elle permet, aujourd'hui, de dégager certaines solutions.

- D'abord, depuis longtemps, la Chambre criminelle juge que les circonstances dans lesquelles les faits ont été commis ne constituent pas en elles-mêmes des faits nouveaux. Le juge saisi in rem est saisi non seulement du fait principal mais aussi des circonstances de faits qui accompagnent et caractérisent le fait principal et il peut s'en servir pour restituer aux faits leur véritable qualification. Au même titre que le juge d'instruction ou celui d'assises, le juge correctionnel devrait pouvoir requalifier au vu des circonstances aggravantes.

- Ensuite, la Chambre criminelle juge que l'évolution des conséquences de l'infraction sur la victime ne constitue pas un fait pénal nouveau. Cela concerne essentiellement les atteintes aux personnes volontaires ou involontaires, lorsque l'incrimination prend en compte le résultat de l'infraction pour déterminer la nature de l'infraction (par ex. : qualification d'homicide volontaire des blessures involontaires car le décès de la victime constitue une conséquence de fait et non un fait nouveau).

- Par ailleurs, dans l'optique de préserver les droits de la défense, le juge peut prendre en compte d'office la circonstance aggravante (cf. C. pén., art. 132-16-5 N° Lexbase : L3751HGZ).

- Enfin, la juridiction répressive doit rectifier la qualification lorsque celle-ci a été mal interprétée par l'autorité qui a qualifié. Qualifier les faits, c'est choisir la loi applicable aux faits et lorsque l'agent qui qualifie se trompe, le juge doit rectifier ladite erreur.

Quand la masse matérielle des faits dont était saisi le juge n'a pas changé, il peut requalifier.

Une nouvelle qualification suppose le respect des règles du procès équitable.

Jusqu'en 2000, la Chambre criminelle faisait dépendre l'exercice des droits de la défense de la seule notion de "fait nouveau", ce qui a généré une extension du contenu de la notion. Cette tendance n'est plus d'actualité et la CEDH l'a confirmé dans l'affaire "Pélissier et Sassi", rendue en grande Chambre, le 25 mars 1999 (CEDH, 25 mars 1999, Req. 25444/94, P. c/ France N° Lexbase : A7531AWT) (6).

Dans cette affaire, la CEDH a relevé que l'article 6 § 3 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) reconnaît à tout accusé le droit d'être informé de la cause de l'accusation et de la qualification juridique donnée à ces faits, et ce, de manière détaillée.

La Cour de justice de l'Union européenne, quant à elle, ne discute pas aux juridictions nationales le droit de faire usage de la requalification, seule l'exercice effectif des droits de la défense commande la solution.

La jurisprudence actuelle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation s'inspire directement des principes énoncés par la CEDH (7).

B - Du point de vue de l'avocat, par Maître Emmanuel Piwnica

La difficulté du sujet est évidente. La qualification dans le procès pénal implique la qualification des faits, mais aussi celle de la peine et de l'infraction.

S'agissant de la qualification des faits, il convient de se reporter aux auteurs tels les Professeurs Serge Guinchard et Yves Mayaud.

La qualification suscite beaucoup d'interrogations. Ainsi, par exemple, dans le cadre de l'affaire du "sang contaminé", il s'est posé la question de savoir s'il s'agissait d'une tromperie ou un empoisonnement, voire d'une publicité mensongère. L'on s'aperçoit, en effet, que certains faits matériels ne sont pas qualifiables de la même manière. En réalité, ce qui détermine la pensée scientifique n'est pas toujours compréhensible.

Le terme d'alchimie traduit bien la notion de qualification. Cette dernière est essentielle pour le pénaliste. Elle n'a pas la même importance pour un civiliste. En droit civil, l'acte de qualification peut être un acte postérieur. Il est possible de suivre toutes les phases du procès sans qualification. En matière pénale, sans qualification, il n'y a pas de procès et cette qualification suppose de déterminer le périmètre des faits. Le juge pénal a le devoir de qualifier les faits au regard de la loi pénale, mais aussi au regard de critères administratifs (notion de service public, obligation de service public, agent public au sens de l'outrage etc.), ainsi qu'au regard de l'ensemble des législations.

La qualification pénale des faits matériels implique un choix des faits qui entrent dans le périmètre de la poursuite. Lorsque les faits sont, par exemple, des faits de vol à main armé, il arrive d'ignorer la circonstance aggravante. En cas de pluralité des faits, il faut choisir l'infraction la plus grave sauf qu'il peut y avoir des actes distincts, auquel cas, aucun choix n'est possible.

En cas de faits distincts, les poursuites sont susceptibles d'être faites distinctement. La difficulté résulte du cumul idéal, lorsque les mêmes faits matériels, tels que poursuivis, peuvent être retenus sous deux qualifications distinctes : la première hypothèse est celle de la mauvaise législation, lorsque le législateur reprend les mêmes faits de la même manière, mais cette situation est assez rare (8) ; la seconde résulte d'un seul fait qualifiable d'une même manière où le seul élément qui changera est l'élément intentionnel.

En guise d'illustration, la Cour de cassation approuve systématiquement les arrêts prononçant les relaxes, fondées sur la tromperie alors que, sur l'annonce publicitaire, il y a une erreur qui ne correspond pas à la réalité.

Lorsqu'il y a deux éléments intentionnels distincts l'on retient deux qualifications distinctes : ainsi en est-il de l'hypothèse où il y a une volonté de détruire un bien et une autre de donner la mort parce que les deux éléments intentionnels correspondent à deux valeurs distinctes (9).

Il en résulte que, d'une part, l'on ne peut faire l'économie de l'élément intentionnel dans la qualification des faits. Le seul élément matériel est insuffisant à justifier la qualification ; d'autre part, la règle non bis in idem prend toute son importance.

L'arrêt récent, sur l'application de ladite règle dans le cadre d'une affaire internationale (Cass. crim., 2 avril 2014, n° 13-80.474, FS-P+B+I N° Lexbase : A3541MIY ; lire, sur l'arrêt : N° Lexbase : N1685BUX), révèle la difficulté de la qualification à retenir. A ce sujet, ce qui a été jugé d'exportation illicite à l'étranger sera jugé, en France, d'importation illicite, par exemple.

L'on s'interroge aussi sur le fait de savoir s'il est possible, aujourd'hui, de poursuivre les mêmes faits ou comportements devant une autorité administrative et devant la juridiction pénale française ?

La Cour de cassation y a répondu par l'affirmative dans une affaire sur l'AMF (Cass. crim., 22 janvier 2014, n° 12-83.579, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9859KZ8). C'est en réalité une solution classique admise par le Conseil d'Etat, la Chambre criminelle, la Chambre commerciale de la Cour de cassation ainsi que le Conseil constitutionnel.

La CEDH pourrait avoir adopté une solution différente dans l'affaire "Sergueï Zolotoukhine c/ Russie" (CEDH, 10 février 2009, Req. 14939/03, S. c/ Russie N° Lexbase : A0804ED7), où elle a admis que l'on doit s'en tenir uniquement et exclusivement aux faits à l'exception des éléments de qualification. Pour la CEDH, il est interdit de poursuivre ou de juger une personne, une seconde fois, pour des faits identiques ou, en substance, les mêmes.

Après cette affaire, la CEDH a rendu deux décisions : une première du 31 mai 2011 (CEDH, 31 mai 2011, Req. 16137/04, Kurdov et Ivanov c/ Bulgarie N° Lexbase : A0986HU3) et une seconde du 29 octobre 2013 (CEDH, 29 octobre 2013, Req. 24935/04, S.C. IMH SUCEAVA S.R.L.c/ Roumanie N° Lexbase : A5362KNW) par lesquelles elle rappelle que le seul critère pour voir si la règle non bis in idem s'applique ou pas est le critère de la peine (qualification juridique de l 'infraction en droit interne, et deux critères alternatifs, à savoir la nature de l'infraction et la sévérité de la sanction).

La CJUE, à travers l'affaire Akerberg (CJUE, 26 février 2013, aff. C-617/10, Aklagaren c/ Hans Akerberg Fransson N° Lexbase : A6106I8N), est en parfaite adéquation avec la jurisprudence de la CEDH postérieure à l'affaire Zolotoukhine.

Concernant la question de la peine, la solution peut être trouvée notamment dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière, qui impose de prendre en compte les critères de sévérité de la sanction (Cons. const., décision n° 89-268 DC, du 29 décembre 1989, relative à la Loi de finances pour 1990 N° Lexbase : A8205ACU).


(1) L'expression est reprise du Professeur Gérard Lyon-Caen.
(2) M. Troper, Le réalisme et le juge constitutionnel, Cahier du Conseil constitutionnel, n° 22, 2007.
(3) L'affaire du "sang contaminé" est un scandale ayant touché plusieurs pays dans les années 1980 et 1990 relativement à des infections ayant eu lieu par des transfusions sanguines. En raison de mesures de sécurité inexistantes ou inefficaces, plusieurs personnes ont été contaminées par le virus du sida ou de l'hépatite C à la suite d'une transfusion sanguine.
(4) E. Gallardo, La qualification pénale des faits, Thèse Aix-Marseille III, 2011, PUAM, 2013.
(5) Cf. C. pr. pén., art. 469.
(6) Voir également, entre autres, CEDH, 19 décembre 2006, Req. 34043/02, Mattei c/ France (N° Lexbase : A3744DTT).
(7) Cf. par exemple : Cass. crim., 15 janvier 2014, n° 12-87.863, F-D (N° Lexbase : A7814KTL).
(8) C'est le cas d'infractions très proches : publicité mensongère et tromperie, infractions en droit de l'environnement, même s'il y a des différences.
(9) Par exemple dans l'affaire du "sang contaminé", la qualification de tromperie n'empêchait pas la qualification d'empoisonnement.

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