Lexbase Fiscal n°561 du 6 mars 2014 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Sort des provisions comptables non déduites fiscalement : quand le fiscal est lié par le comptable

Réf. : CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 23 décembre 2013, n° 346018, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9156KSW)

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par Frédéric Douet, Professeur à l'Université de Bourgogne

le 06 Mars 2014

Lorsqu'une provision a été constituée dans les comptes de l'exercice, et sauf si les règles propres au droit fiscal y font obstacle, le résultat fiscal de ce même exercice doit, en principe, être diminué du montant de cette provision dont la reprise, lors d'un ou de plusieurs exercices ultérieurs, entraîne en revanche une augmentation de l'actif net du ou des bilans de clôture du ou des exercices correspondants. Ainsi en a décidé le Conseil d'Etat, grignotant par la même occasion l'étendue de la théorie de la liberté de gestion, telle que la ressentaient les fiscalistes des entreprises. L'indépendance du droit fiscal a trouvé sa principale limite : la comptabilité. 1. L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 23 décembre 2013 appelle deux séries d'observations relatives :
- d'une part, aux conséquences fiscales de la reprise comptable d'une provision non déduite fiscalement ;
- et, d'autre part, au jeu de la théorie de la correction symétrique des bilans et du principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture de la période non prescrite en cas de reprise fiscale d'une provision non déduite fiscalement.

I - Conséquences fiscales de la reprise comptable d'une provision non déduite fiscalement

2. S'agissant des conséquences fiscales de la reprise comptable d'une provision non déduite fiscalement, il est nécessaire de mettre la solution retenue par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 23 décembre 2013 en perspective avec les solutions antérieurement retenues par cette juridiction.

3. Jusqu'à l'arrêt du 23 décembre 2013, il était possible de considérer que la décision de constituer ou de ne pas constituer fiscalement une provision s'analysait en une décision de gestion opposable, par définition, à l'administration fiscale. Cette solution semblait résulter de la jurisprudence de la Haute juridiction. En effet, celle-ci jugeait que la constitution d'une provision était facultative (CE 9° et 10° s-s-r., 10 décembre 2004, n° 236706, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3351DET) et, pour cette raison, que les entreprises étaient libres :
- de ne pas constituer de provision (CE, 18 décembre 1963, n° 56852 ; CE, 12 février 1965, n° 60409) ;
- ou, dans un premier temps, de se contenter de constituer une provision d'un montant inférieur au montant admissible (CE 7° et 8° s-s-r., 5 mars 1975, n° 89781, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8013AYG ; CE 8° et 7° s-s-r., 27 mai 1983, n°s 27412, 27413 et 27414, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9114AL7 ; CE, 10 décembre 2004, précité) puis, dans un second temps, d'augmenter cette provision à la clôture des exercices suivants (CE, 27 mai 1983, n°s 27412, 27413 et 27414, précité).

4. Dans son arrêt du 23 décembre 2013, le Conseil d'Etat a choisi d'appliquer la règle du parallélisme des provisions comptables et des provisions fiscales. Deux conséquences découlent de cette règle :
- une provision déduite du résultat comptable d'un exercice doit également être déduite du résultat fiscal du même exercice ;
- la reprise comptable d'une provision doit s'accompagner de sa reprise fiscale, et ce, même si cette provision n'a pas été antérieurement déduite fiscalement.

La règle du parallélisme des provisions comptables et des provisions fiscales serait fondée sur l'article 39-1-5° du CGI (N° Lexbase : L3894IAH), qui dispose notamment que les provisions déductibles fiscalement sont "les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice".

5. Pour certains commentateurs, pourtant avisés, la solution énoncée dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 23 décembre 2013 ne contredirait pas sa jurisprudence antérieure (voir, en ce sens : G. Bachelier, Sort des provisions comptables non déduites fiscalement, Feuillet rapide Francis Lefebvre, 2/14, p. 3 et s. ; O. Fouquet, Provision comptable et provision fiscale : une saveur douce amère, à propos de CE, 23 déc. 2013, n° 346018, Min. c/ SAS Foncière du Rond Point, Dr. fisc., 2014, n° 1-2, act. 4). Selon ces commentateurs, la règle du parallélisme des provisions comptables et des provisions fiscales signifierait que leur traitement fiscal devrait être identique à leur traitement comptable. Suivant ce raisonnement, il n'y aurait que dans l'hypothèse où une entreprise ferait le choix de ne pas constituer comptablement une provision que ce choix se refléterait fiscalement. Il en irait de même en présence d'une entreprise qui se contenterait de doter partiellement une provision comptable.

6. Cette interprétation prête le flanc à la critique.

En premier lieu, les entreprises sont tenues de procéder aux provisions comptables nécessaires et ce, même en cas d'absence ou d'insuffisance du bénéfice (C. com., art. L. 123-14, al. 1er N° Lexbase : L5572AI9). Comptablement, la dotation d'une provision est donc obligatoire dès lors que les conditions de constitution de cette provision sont remplies. Le non-respect de cette obligation est susceptible de constituer un délit, en l'occurrence le délit de publication de comptes annuels ne donnant pas une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise (C. com., art. L. 241-3-3° N° Lexbase : L9516IY4 pour les SARL ; art. L. 242-6-2° N° Lexbase : L9515IY3 pour les SA ; et art. L. 244-1 N° Lexbase : L5772ISL pour les SAS). Puisque la constitution d'une provision est obligatoire comptablement, la liberté de la doter à laquelle le Conseil d'Etat se référait antérieurement à son arrêt du 23 décembre 2013 ne pouvait être qu'une liberté fiscale. Cet arrêt constitue donc un revirement de jurisprudence.

En second lieu, la solution retenue par le Conseil d'Etat dans l'arrêt commenté est contraire à la logique des provisions. Tant comptablement que fiscalement, celles-ci procurent simplement un avantage de trésorerie aux entreprises. Les provisions permettent d'anticiper une perte ou une charge future (exemple : en N-1 une entreprise dote comptablement et fiscalement une provision de 1 000, la charge provisionnée devient définitive en N à hauteur de 1 000. Au titre de l'exercice N la charge de 1 000 est compensée par la reprise de la provision de même montant constituée en N-1. Cette charge a été anticipée en N-1. Si la provision n'avait pas été constituée, le résultat de l'exercice N aurait été diminué de 1 000). L'arrêt du 23 décembre 2013 viole la règle de neutralité des provisions. En effet, cet arrêt permet à l'administration fiscale de comprendre dans le résultat fiscal une provision qui pourtant n'a pas d'existence fiscale (exemple : en N-1 une entreprise dote comptablement une provision de 1 000, la charge provisionnée devient définitive en N à hauteur de 1 000. Au titre de l'exercice N, la charge de 1 000 est compensée comptablement par la reprise de la provision de même montant constituée en N-1. Cette charge a été anticipée comptablement en N-1 mais pas fiscalement. La reprise fiscale de la provision en N en dépit de son absence de déduction fiscale antérieure revient à neutraliser fiscalement la charge et à majorer artificiellement le résultat fiscal de cet exercice de 1 000). La reprise d'une provision se traduit par la constatation d'un produit. Mais celui-ci n'est qu'un produit "virtuel". Juger le contraire revient à ne pas tenir compte de cette particularité et, en définitive, à violer la règle de neutralité des provisions. Cette neutralité se manifeste au travers de l'indissociabilité de la dotation fiscale et de la reprise fiscale des provisions. Contrairement à la solution retenue dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 23 décembre 2013, une provision ne peut donc pas être reprise fiscalement lorsqu'elle n'a pas été préalablement dotée fiscalement.

II - Jeu de la théorie de la correction symétrique des bilans et du principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture de la période non prescrite en cas de reprise fiscale d'une provision non déduite fiscalement

7. Le bilan de clôture d'un exercice correspond au bilan d'ouverture de l'exercice suivant. Il existe donc une continuité entre les bilans successifs. Cette continuité fait que la correction d'un bilan se répercute successivement sur les bilans antérieurs. A l'origine, la répercussion ne pouvait pas aller au-delà du premier exercice non prescrit (CE Plén., 31 octobre 1973, n° 88207, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7634AYE). Cette règle -dite du "butoir" fiscal- a été abandonnée par le Conseil d'Etat en 2004 (CE Ass., 7 juillet 2004, n° 230169, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0698DD9), avant sa consécration législative par la loi de finances rectificative pour 2004 (loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 N° Lexbase : L5204GUB, devenu CGI, art. 38-4 bis N° Lexbase : L2882IXZ).

8. L'arrêt du 23 décembre 2013 rappelle que la théorie de la correction symétrique des bilans s'applique à condition que l'omission ne soit pas délibérée (Dans le même sens : CE Plén., 27 juillet 1979, n° 11717, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2343AKY).

9. En l'espèce, la provision litigieuse était une provision comptable qui avait été constituée par l'entreprise en 1996 pour dépréciation d'un immeuble inscrit à l'actif de son bilan. A l'époque, la doctrine administrative considérait que de telles provisions n'étaient pas déductibles. L'entreprise aurait donc pu soutenir qu'elle n'avait pas déduit la provision litigieuse de son résultat fiscal afin de se conformer à la position des services fiscaux et, pour cette raison, que l'omission n'était pas délibérée. Mais cette question n'a pas été débattue dans la mesure où elle était sans incidence sur l'issue du litige. En effet, celui-ci devait être tranché conformément à la solution adoptée en 2004 par le Conseil d'Etat, c'est-à-dire en ne faisant pas application de la règle du "butoir" fiscal. La conséquence est que l'exercice de correction n'était pas le dernier exercice non prescrit mais l'exercice 1996 au cours duquel la provision pour dépréciation de l'immeuble a été comptabilisée. Cet exercice était prescrit. La question du caractère délibéré de l'omission était donc sans incidence sur l'issue du litige. La solution n'aurait probablement pas été la même si l'article 38-4 bis du CGI avait pu s'appliquer. L'inscription de la provision fiscale au bilan de clôture du premier exercice non prescrit aurait alors permis de compenser la reprise ultérieure de cette provision.

10. Il est possible de considérer que le Conseil d'Etat n'est pas allé jusqu'au bout de son raisonnement en ne tirant pas toutes les conséquences de la règle du parallélisme des provisions comptables et des provisions fiscales. L'exercice de constitution de la provision étant prescrit, il n'était pas possible de procéder à la correction symétrique. Dans ce cas de figure, le déséquilibre aurait dû conduire le Conseil d'Etat à conclure à l'impossibilité de reprendre fiscalement une provision n'ayant pas été antérieurement déduite fiscalement. L'affaire ayant été renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris, il ne reste plus qu'à attendre la suite du feuilleton des provisions comptables non déduites fiscalement.

Décision

CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 23 décembre 2013, n° 346018, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9156KSW)

Cassation (CAA Paris, 9ème ch., 18 novembre 2010, n° 09PA04821, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3912GN9)

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