La lettre juridique n°550 du 5 décembre 2013 : Droit disciplinaire

[Jurisprudence] L'athéisme (neutralité), un nouveau critère d'identification de l'entreprise de tendance ?

Réf. : CA Paris, Pôle 6, 9ème ch., 27 novembre 2013, n° 13/02981 (N° Lexbase : A2218KQ9)

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N9694BT9

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"

le 05 Décembre 2013

Au pays de Jules Ferry, d'Aristide Briand et de la loi portant séparation de l'Eglise et de l'Etat (loi du 9 décembre 1905 N° Lexbase : L0978HDL), tout débat portant sur la religion et son exercice, ses manifestations, son financement, prend immédiatement une ampleur et une portée que nos voisins européens ou anglo-saxons ne comprennent pas, sauf peut-être depuis quelques semaines, les québécois. Le débat (les polémiques, souvent) sur le port du voile à l'école, puis la neutralité vestimentaire dans les services publics (loi n° 2004-228 du 15 mars 2004, relative au port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics N° Lexbase : L1864DPQ ; loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010, interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public N° Lexbase : L1365INU), s'est déplacé maintenant dans l'enceinte de l'entreprise ainsi que des structures à mi chemin entre services publics et entreprises, les crèches notamment. Il est institutionnel (CESE, avis du 26 novembre 2013, portant sur le fait religieux en entreprise (1)) et judiciaire : la cour d'appel de Paris a rendu un arrêt très remarqué et très médiatisé, dans le cadre de l'affaire "Baby loup" et "CPAM 93" (2).
Résumé

Au regard tant de la nécessité, imposée par l'article 14 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989, de protéger la liberté de pensée, de conscience et de religion à construire pour chaque enfant, que de celle de respecter la pluralité des options religieuses des femmes au profit desquelles est mise en oeuvre une insertion sociale et professionnelle aux métiers de la petite enfance, dans un environnement multiconfessionnel, les missions de l'association peuvent être accomplies par une entreprise soucieuse d'imposer à son personnel un principe de neutralité pour transcender le multiculturalisme des personnes auxquelles elle s'adresse.

En ce sens, l'association Baby Loup peut être qualifiée d'entreprise de conviction en mesure d'exiger la neutralité de ses employés.

La formulation de cette obligation de neutralité dans le règlement intérieur, en particulier celle qui résulte de la modification de 2003, est suffisamment précise pour qu'elle soit entendue comme étant d'application limitée aux activités d'éveil et d'accompagnement des enfants à l'intérieur et à l'extérieur des locaux professionnels ; qu'elle n'a donc pas la portée d'une interdiction générale puisqu'elle exclut les activités sans contact avec les enfants, notamment celles destinées à l'insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier qui se déroulent hors la présence des enfants confiés à la crèche.

Les faits, connus, méritent un bref rappel. Mme L. a été engagée en qualité d'éducatrice de jeunes enfants, exerçant les fonctions de directrice adjointe d'une crèche et halte-garderie, gérée par l'association Baby Loup. Elle a décidé de porter le voile, conformément à sa religion musulmane, en violation des dispositions du règlement intérieur de l'association, selon lesquelles le personnel doit dans l'exercice de son travail respecter et garder la neutralité d'opinion politique et confessionnelle en regard du public accueilli. L'employeur a, dans un premier temps, convoqué l'intéressée le 9 décembre 2008 à un entretien préalable, avec mise à pied à titre conservatoire, puis a licencié la salariée le 19 décembre 2008 pour faute grave. S'estimant victime d'une discrimination au regard de ses convictions religieuses, Mme L. a saisi la juridiction prud'homale le 9 février 2009, à titre principal, en nullité de son licenciement.

Par jugement rendu le 13 décembre 2010, le conseil de prud'hommes de Mantes-la-Jolie (CPH, Mantes-la-Jolie, 13 décembre 2010, RG n° F 10/00587 N° Lexbase : A1067GNT (3)) a rejeté les demandes de la salariée ; la cour d'appel de Versailles a confirmé la solution préconisée par les premiers juges (CA Versailles, 11ème ch., 27 octobre 2011, n° 10/05642 N° Lexbase : A9204HZW) (4). Mais la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi formé par la salariée, lui a donné raison (Cass. soc., deux arrêts, 19 mars 2013, n° 11-28.845, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5857KA8 et n° 12-11.690, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5935KA3) (5).

En effet, le principe de laïcité n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; il ne peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail ; enfin, les restrictions à la liberté religieuse formées par l'employeur doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché (C. trav., art. L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P, L. 1132-1 N° Lexbase : L8834ITD, L. 1133-1 N° Lexbase : L0682H97 et L. 1321-3 N° Lexbase : L8833ITC).

La Cour de cassation a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris, qui a statué en sens contraire de la Cour de cassation, et a suivi l'employeur, la crèche Baby Loup, dans son argumentation. La salariée ayant d'ores et déjà manifestée sa volonté de se pourvoir en cassation, qui statuera en Assemblée plénière, le débat ne fait que commencer : de judiciaire, il peut devenir législatif.

I - Les termes du débat

Les enjeux du débat se résument, au regard de la technique juridique, à la question de la clause de laïcité et de neutralité contenue dans le règlement intérieur d'une crèche (Baby Loup), applicable à tous les emplois de la crèche. La question a donné lieu à des appréciations différentes : inopposable, parce que générale et imprécise, pour la Cour de cassation (n° 11-28845, préc.) ; contrairement à la cour d'appel (arrêt rapporté). La Cour de cassation en avait déduit que le licenciement prononcé en violation du règlement intérieur était discriminatoire.

A - Le règlement intérieur peut-il faire référence au principe de laïcité ?

Le conseil de prud'hommes avait décidé que le règlement intérieur de l'association est bien conforme aux dispositions de l'article L. 1311-1 du Code du travail ; mais les autres juridictions saisies n'ont pas partagé cette analyse de manière unanime ou univoque.

1 - Cour d'appel de Versailles, 27 octobre 2011, préc. : les principe de laïcité /neutralité s'appliquent en entreprise

La cour d'appel de Versailles avait retenu cette thèse, de soumission des entreprises au principe de laïcité/neutralité. L'association a pour but de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d'oeuvrer pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier ; elle s'efforce de répondre à l'ensemble des besoins collectifs émanant des familles, avec comme objectif la revalorisation de la vie locale, sur le plan professionnel, social et culturel sans distinction d'opinion politique ou confessionnelle. La crèche doit assurer une neutralité du personnel dès lors qu'elle a pour vocation d'accueillir tous les enfants du quartier quelle que soit leur appartenance culturelle ou religieuse. Ces enfants, compte tenu de leur jeune âge, n'ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d'appartenance religieuse. Le règlement intérieur, entré en vigueur le 15 juillet 2003, prévoit que le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activités développées par Baby Loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu'en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche.

2- Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845, préc. : les principe de laïcité/neutralité ne s'appliquent pas en entreprise

La Cour de cassation écarte le principe de laïcité instauré par l'article 1er de la Constitution du champ des structures de droit privé : il n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. Il ne peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail. La solution, extrêmement commentée, n'est pas pour autant consensuelle. Elle n'a pas été reprise par la cour d'appel de Paris (arrêt rapporté).

3- Cour d'appel de Paris, 27 novembre 2013, sous examen : les principe de laïcité/neutralité s'appliquent aux entreprises "de conviction"

La cour d'appel de Paris avance une analyse que l'on ne retrouve ni dans le jugement du conseil de prud'hommes de Mantes-la-Jolie, ni dans l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles, mais qui a été préconisée par l'avocat général, devant la Cour de cassation (6).

Une personne morale de droit privé, qui assure une mission d'intérêt général, peut dans certaines circonstances constituer une entreprise de conviction (autre appellation de l'"entreprise de tendance") au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme et se doter de statuts et d'un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel dans l'exercice de ses tâches.

L'association Baby Loup peut être qualifiée d'entreprise de conviction en mesure d'exiger la neutralité de ses employés. La formulation de cette obligation de neutralité dans le règlement intérieur, en particulier celle qui résulte de la modification de 2003, est suffisamment précise pour qu'elle soit entendue comme étant d'application limitée aux activités d'éveil et d'accompagnement des enfants à l'intérieur et à l'extérieur des locaux professionnels.

Cette qualification d'entreprise de tendance a été critiquée, notamment par l'Observatoire de la laïcité (Avis du 15 octobre 2013, p. 7) : les entreprises de tendance sont généralement regroupées dans un ensemble limitativement définis (partis politiques, des syndicats et des organismes confessionnels) ; la Directive européenne 2000/78 du 27 novembre 2000 (N° Lexbase : L3822AU4) a prévu des dispositions spécifiques pour les entreprises de tendance, mais la France n'a pas adopté de législation spécifique ; enfin, "la laïcité incarne la neutralité vis-à-vis du fait religieux. Or, l'entreprise de tendance requiert une adhésion du salarié à une idéologie, à une morale ou encore à une politique. C'est donc le contraire de la neutralité. La laïcité n'est pas une opinion ni une croyance mais une valeur commune". L'argument de l'Observatoire ne convainc pas totalement : la neutralité ne s'apprécie pas en tant que telle (c'est-à-dire, l'absence de position), in abstracto, mais rapportée à un contexte religieux. La "neutralité" se comprend, en réalité, comme une forme d'athéisme.

B - Dans quelle mesure le règlement intérieur peut-il contenir des restrictions aux droits fondamentaux ?

1- Possibilité de restreindre certains droits fondamentaux, encadrée par les textes

L'affaire Baby loup se situe, au regard de la technique juridique (outre ses implications sociales, religieuses, politiques, symboliques), à la croisée de plusieurs enjeux : l'objet du règlement intérieur (liberté de l'employeur d'encadrer l'exercice d'une religion dans l'entreprise) ; la protection des droits fondamentaux et la prohibition de toute discrimination.

Le législateur a fixé un régime juridique précis du règlement intérieur, dont les clauses ne peuvent apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; ou discriminer les salariés dans leur emploi ou leur travail, en raison de leurs convictions religieuses (C. trav., art. L. 1321-3).

Outre ce régime du règlement intérieur, le législateur a mis en place des règles destinées à protéger les salariés contre toutes discriminations. D'abord, en ce que l'employeur ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (C. trav., art. L. 1121-1). Ensuite, parce qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié en raison de ses convictions religieuses (C. trav., art. L. 1132-1). Les différences de traitement sont permises, si elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée (C. trav., art. L. 1133-1).

2 - Ces restrictions ne doivent pas être générales ou imprécises

La Cour de cassation (n° 11-28.845, préc.) a synthétisé le régime de la discrimination fondée sur les convictions religieuses, tel que mis en place par le législateur : les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché.

Pour apprécier la condition de validité d'une restriction à la liberté religieuse (c'est-à-dire, vérifier que les restrictions sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché), la Cour attend qu'elle ne soit ni générale, ni imprécise.

Or, en l'espèce, le règlement intérieur de l'association Baby Loup, en prévoyant que "le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activités développées par Baby Loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu'en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche", souffre du double handicap d'instaurer une restriction générale et imprécise.

Selon l'avocat général, le caractère de généralité des dispositions du règlement intérieur tient à ce qu'il soumet l'ensemble du personnel de la crèche à une obligation de laïcité et de neutralité, ce qui rend ces dispositions illicites parce que non justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (7). Mais "il n'en aurait pas été de même si ce licenciement avait eu pour motif l'application justifiée d'un des critères restreignant la pratique religieuse, définis par le Code du travail et la jurisprudence et rappelés par la Cour de cassation elle-même".

Par exemple, la CEDH a jugé que l'ingérence dans le droit d'une salariée de manifester sa religion caractérisée par l'impossibilité de porter une croix de manière visible sur son lieu de travail est proportionnée et nécessaire, parce que l'interdiction du port de la croix pour une infirmière est fondé sur l'objectif légitime de protection de la santé et de la sécurité en milieu hospitalier (CEDH, 15 janvier 2013, n° 59842/10, arrêt en anglais, § 100) (8).

La cour d'appel de Paris (arrêt rapporté) ne partage pas du tout cette analyse. La formulation de cette obligation de neutralité dans le règlement intérieur est suffisamment précise pour qu'elle soit entendue comme étant d'application limitée aux activités d'éveil et d'accompagnement des enfants à l'intérieur et à l'extérieur des locaux professionnels. De plus, elle n'a pas la portée d'une interdiction générale puisqu'elle exclut les activités sans contact avec les enfants, notamment celles destinées à l'insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier qui se déroulent hors la présence des enfants confiés à la crèche.

II - Issue incertaine

Sollicité par un député (9) sur la volonté du Gouvernement de réagir, la réponse a été prospective (mise en place d'un Observatoire de la laïcité, le 8 avril 2013) et finalement circonspecte ("si des cas soulevant des difficultés sont observés, ils sont néanmoins peu nombreux, le dialogue permettant dans la très grande majorité des cas de régler les questions soulevées"). Institutions et parlementaires ne partagent pas la même analyse. Il est donc très délicat d'anticiper la solution qui sera retenue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, quand elle se prononcera, le moment venu, sur cette affaire "Baby Loup" ; surtout, le droit positif pourrait évoluer, sous l'impulsion du législateur, tenté de légiférer ; mais cette voie n'est pas consensuelle.

A - Propositions du CESE

Le Conseil économique, social et environnemental a apporté sa contribution au débat, mais elle paraît bien modeste.

Le CESE s'est en effet contenté de recommander :

- que les règles de droits applicables soient rappelées par la voie d'une circulaire de la Direction générale du travail (DGT) et déclinées sous forme de fiches techniques (recommandation 1) ;

- que les chefs d'entreprise et les DRH anticipent les demandes d'absence pour motif religieux de leurs salariés. Le calendrier des fêtes religieuses des différentes confessions devrait leur être communiqué chaque année, de façon officielle, afin que les demandes de congés correspondantes puissent être instruites dans les meilleures conditions (recommandation 2) ;

- de prendre en compte le cas des structures privées des secteurs social, médicosocial et de la petite enfance. Le CESE constate qu'aucune réponse de nature juridique adaptée n'a été trouvée à ce jour. Les difficulté rencontrées par des associations dans la conduite de projets associatifs d'intérêt général ne peuvent être ignorées : ces structures privées doivent se doter de moyens de régulation interne nécessaires à la conduite de projets fondés sur la volonté de tisser du lien social dans le respect de toutes les différences (recommandation n° 3) ;

- de communiquer sur la possibilité de recourir au Défenseur des droits (recommandation n° 4) ;

- que les institutions représentatives du personnel prennent toute leur place dans la régulation de la liberté religieuse sur les lieux de travail. Selon le CESE, le dialogue social devrait permettre de prévenir et de traiter la plupart des difficultés qui peuvent survenir du fait de l'expression des convictions et de l'accomplissement de rites religieux sur le lieu de travail (recommandation n° 5) ;

- de mettre l'accent sur des actions de formation continue qui s'adresseraient prioritairement aux managers de terrain et aux représentants des salariés (recommandation n° 6) ;

- enfin, de diffuser et mutualiser les bonnes pratiques entre les entreprises, à partir d'un site public d'information officielle (recommandation n° 7).

B - Autres propositions

Un certain nombre d'institutions se sont prononcées : le Haut conseil à l'intégration (avis relatif à l'expression religieuse et à la laïcité en entreprise, 6 septembre 2011) ; la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (avis sur le port du voile intégral, 21 janvier 2010) ; la Halde (délibération relative aux règles fixées par la loi et la jurisprudence pour l'expression religieuse dans l'entreprise, 6 avril 2009 N° Lexbase : X7282AEG ; délibération relative à une clause du règlement intérieur d'une entreprise visant à règlementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux du 26 janvier 2009 N° Lexbase : X7285AEK ; délibération n° 2011-67 du 28 mars 2011 (10)) ou enfin, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (avis du 26 septembre 2013, allant dans le sens d'une opposition à l'adoption d'une loi visant à renforcer le principe de laïcité).

1 - Observatoire de la laïcité

L'Observatoire de la laïcité s'est prononcé, le 25 juin 2013, en défaveur d'une loi visant à instaurer la laïcité dans les crèches privées. Surtout, l'Observatoire de la laïcité a adopté un avis, le 15 octobre 2013 (11), par lequel il a exprimé son opposition à l'adoption d'une loi visant à étendre le principe de neutralité dans ces structures ou à une réécriture de l'article L. 1121-1 du Code du travail en vue d'intégrer des motifs supplémentaires justifiant les restrictions à la liberté religieuse, en raison notamment du risque d'inconstitutionnalité. L'Observatoire a recommandé d'édicter une circulaire interministérielle rappelant l'état du droit positif sur le sujet, qui permet déjà de limiter l'expression religieuse, dès lors la mesure est justifiée et proportionnée.

2- Assemblée nationale et Sénat

Le législateur est intervenu, dans le débat, à de nombreuses reprises. Il faudrait mentionner :

- la résolution du 31 mai 2011, n° 672 ;

- la proposition de loi, déposée par F. Laborde, visant à étendre l'obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et à assurer le respect du principe de laïcité, du 25 octobre 2011. Cette proposition de loi, adoptée en première lecture par le Sénat, le 17 janvier 2012, et transmise à l'Assemblée nationale le 2 juillet 2012, n'a toujours pas été examinée en commission. Ce texte prévoit que les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans et bénéficiant d'une aide financière publique seraient soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse, tout comme les assistants maternels employés par des particuliers, sauf disposition contraire du contrat de travail.

Transmise à l'Assemblée nationale initialement le 18 janvier 2013, la proposition de loi a été de nouveau transmise le 2 juillet 2013. L'Observatoire de la laïcité note que le principe de neutralité serait, ici, pour la première fois étendu en dehors de la sphère publique et du service public et de ses délégataires. La proposition de loi risque une condamnation de la CEDH voire d'une censure du Conseil constitutionnel (avis de l'Observatoire de la laïcité sur la définition et l'encadrement du fait religieux dans les structures qui assurent une mission d'accueil des enfants, 15 octobre 2013, p. 7).

- la proposition de loi du 16 janvier 2013 (déposée par R.-G. Schwartzemberg et alii), visant à étendre l'obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité. Renvoyée à la commission des lois, ce texte vise à introduire une obligation de neutralité dans les dispositifs législatifs relatifs à la qualification professionnelle et à l'agrément des personnes habilitées à accueillir de jeunes enfants ;

- la proposition de loi n° 1027 (présentée par J. Myard) du 15 mai 2013, visant à assurer le principe de laïcité dans les entreprises privées, renvoyée à la commission des lois. Le député propose un nouvel article L. 1121-1 bis du Code du travail, selon lequel au sein de l'entreprise, afin de préserver l'harmonie sociale, tout salarié s'abstient du port de signe ou tenue vestimentaire ostensible d'appartenance religieuse. Il s'abstient également de toute manifestation d'activités affichant une appartenance religieuse. Le règlement intérieur de l'entreprise mentionne expressément l'obligation de neutralité en matière de croyances à cette fin. Le présent article ne s'applique pas aux entreprises à vocation confessionnelle ;

- Enfin, la proposition de loi n° 998 (C. Jacob et alii) du 24 avril 2013, relative au respect de la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations (12). La proposition de loi ne retient pas la solution juridique trouvée au Sénat (supra). Plutôt que d'étendre l'application du principe de laïcité à certaines entreprises et associations, lorsqu'elles bénéficient d'une aide financière publique, elle préfère permettre aux chefs d'entreprises de réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse sur le lieu de travail.


(1) E. Arnoult-Brill et G. Simon (rapporteurs), au nom de la section du travail et de l'emploi, Le fait religieux dans l'entreprise, Avis du Conseil économique, social et environnemental, Mandature 2010-2015, Séance 12 novembre 2013.
(2) Liaisons Sociales Quotidien n° 16476 du 28 novembre 2013 ; M. Peyronnet, Baby-Loup : passage en force des juges d'appel, D. actualité, 28 novembre 2013 ; P. Mbongo, L'"entreprise de tendance laïque" au secours de la cour d'appel de Paris dans l'affaire Baby-Loup, Zoom, JCP éd. G, n° 49, 2 décembre 2013, 1272.
(3) Licenciement pour port d'un voile : "une pierre à l'édifice de la laïcité" - Questions à R. Malka, Lexbase Hebdo n° 421 du 16 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N8427BQ8).
(4) P. Adam, La crèche et (l')au-delà..., SSL, n° 1527, Sup. 27 février 2012 ; M. Hautefort, Le droit à la laïcité crée-t-il une limite à la liberté d'exprimer ses opinions religieuses ?, JSL, n° 293 du 10 février 2011.
(5) B. Aldigé, Le champ d'application de la laïcité : la laïcité doit-elle s'arrêter à la porte des crèches ?, D., 2013 p. 956 (conclusions de l'avocat général) ; D. Corrignan-Carsin, Entre laïcité et liberté religieuse, l'art difficile du compromis, JCP éd. G, n° 19, 6 mai 2013, 542 ; I. Desbarats, Affaire Baby Loup : laïcité fragilisée ou liberté religieuse renforcée ?, JCP éd. S, n° 29, 16 juillet 2013, 1297 ; F. Dieu, Le principe de laïcité s'impose à tous les employés des services publics, JCP éd. S, n° 29, 16 juillet 2013, 1298 ; B. Gauriau, La Cour de cassation soulève le voile qui recouvre la question de la laïcité, Lexbase Hebdo n° 522 du 4 avril 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6484BTC) ; E. Dockès, Liberté, laïcité, Baby Loup : de la très modeste et très contestée résistance de la Cour de cassation face à la xénophobie montante, Dr. soc., mai 2013, p. 144 ; J.-B. Vila, Le juge judiciaire, les libertés individuelles, la laïcité et la neutralité, JCP éd. A, n° 18, 29 avril 2013, 2132.
(6) B. Aldigé, D., 2013 p. 956, préc..
(7) N. Cadène, Point d'étape sur les travaux de l'Observatoire de la laïcité, 25 juin 2013, préc., p. 48.
(8) Nos obs., Convictions religieuses du salarié vs Pouvoir de direction de l'employeur : un arbitrage de la CEDH nuancé, Lexbase Hebdo n° 515 du 7 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5652BTI).
(9) E. Woerth, Question n° 23126, Question publiée au JO le 2 avril 2013, p. 3502, Réponse publiée au JO le 3 septembre 2013, p. 9331 (N° Lexbase : L5978IY3).
(10) LSQ, n° 15827 du 31 mars 2011.
(11) LSQ, n° 16448 du 17 octobre 2013.
(12) E. Ciotti, Rapport Assemblée nationale n° 1084, 29 mai 2013.

Décision

CA Paris, Pôle 6, 9ème ch., 27 novembre 2013, n° 13/02981 (N° Lexbase : A2218KQ9).

Textes concernés : C. trav., art. L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P), L. 1132-1 (N° Lexbase : L8834ITD), L. 1133-1 (N° Lexbase : L0682H97) et L. 1321-3 (N° Lexbase : L8833ITC).

Mots-clés : employeur ; pouvoir de direction ; étendue ; restriction aux libertés fondamentales ; restriction à la liberté religieuse ; principe de laïcité ; organisme de droit privé ne gérant pas un service public ;

règlement intérieur.

Liens base : (N° Lexbase : E2668ETY).

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