Le Quotidien du 20 mai 2024 : Bancaire

[Brèves] Appréciation de l’existence d’une anomalie apparente

Réf. : Cass. com., 2 mai 2024, n° 22-17.233, FS-B N° Lexbase : A885529T

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par Jérôme Lasserre Capdeville

le 17 Mai 2024

► Le caractère illogique de demandes de rachat du livret d’épargne souscrit par l’intéressé, au regard des finalités de ce placement, ne constitue pas une anomalie apparente dès lors que le client est libre de disposer de ses actifs ;

De même, des demandes de virement faites par la même personne des comptes de sa société vers ses comptes personnels n’appellent pas, en dépit du montant inhabituel du dernier virement, une vigilance particulière dès lors qu’il en est le bénéficiaire économique.

L’application dans un même temps du droit bancaire et du droit des majeurs protégés peut donner lieu à des difficultés juridiques. Il arrive ainsi, parfois, qu’un banquier se voit reprocher un manquement à son devoir de vigilance. Cette question était au cœur de la décision sélectionnée.

Faits et procédure. Entre le 23 février et le 5 décembre 2017, M. U. avait ordonné cinq virements, pour un montant total de 1 950 000 euros, du compte ouvert dans les livres de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] par la société A., dont il était le gérant et l’associé unique, vers son compte personnel ouvert dans les livres de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 8]. Puis les 12 juillet et 12 octobre 2017, M. U. avait procédé au rachat du livret retraite qu’il détenait dans les livres de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 8], pour un montant de 320 000 euros.

Or, le 6 mars 2018, M. U. avait été placé sous sauvegarde de justice. Surtout, le 22 mars 2018, une information judiciaire avait été ouverte du chef d’escroquerie sur personne vulnérable. M. U. était finalement décédé en 2018, en laissant pour lui succéder sa fille unique, Mme U.

Les 7 et 9 février 2019, la société A., représentée par son administrateur provisoire, et Mme U. avaient assigné les sociétés Caisse de crédit mutuel de [Localité 8] et Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] pour manquement à leur obligation de vigilance et obligations de teneur de compte.

La cour d’appel de Paris ayant, par une décision du 6 avril 2022, rejeté leurs demandes, la société A. et Mme U. avaient formé un pourvoi en cassation.

Décision. En premier lieu, les intéressés faisaient grief à l’arrêt d’avoir rejeté leurs demandes en restitution des sommes versées sur le compte personnel de M. U. Plusieurs arguments étaient opposés.

La Cour de cassation observe, pour sa part, qu’après avoir rappelé que les conditions générales de la convention du compte de la société et celles du compte à terme de M. U. stipulaient que, sauf accord entre les parties, les instructions seraient données par le payeur par écrit, et constaté que M. U. donnait régulièrement des ordres de virement oralement, l’arrêt de la cour d’appel avait relevé qu’il n’avait pas contesté les virements des 23 février et 5 décembre 2017, après qu’un préposé de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] lui avait demandé, par courriel du 2 février 2018, de signer les documents écrits qu’il lui adressait concernant ces virements.

La décision des juges du fond avait ajouté qu’après que la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] se soit montrée réticente à accéder à ses demandes, M. U s’était rendu personnellement à l’agence bancaire le 6 février 2018 pour obtenir à nouveau des déblocages de fonds, sans davantage remettre en cause les virements antérieurs, que, le 13 février, un avocat se présentant comme son représentant avait écrit pour se plaindre de l’impossibilité d’effectuer certains virements importants et, enfin, qu’il avait disposé d’une partie des sommes virées sur son compte personnel, en opérant plusieurs retraits et en établissant divers chèques.

Dès lors, la cour d’appel, qui pouvait se fonder sur des éléments postérieurs aux virements pour apprécier si M. U. y avait consenti à la date où les ordres avaient été donnés, avait pu retenir que les opérations de paiement litigieuses avaient été autorisées. Le moyen n’est donc pas jugé fondé.

Cette solution emporte notre conviction. Il revient, en effet, aux juges du fond de déterminer, à la vue des circonstances de fait, si le payeur a consenti aux opérations de paiement en question. Ici, l’ensemble des circonstances permettait objectivement de penser que l’intéressé avait bien souhaité verser les sommes en question sur son compte personnel.

On soulignera que les magistrats paraissent considérer, en l’occurrence, qu’il importe peu que les règles de forme préalablement définies pour consentir aux opérations n’aient pas été scrupuleusement respectées, si d’autres circonstances sont de nature à démontrer la volonté du payeur.

En second lieu, Mme U. et la société A. faisaient grief à l’arrêt des juges parisiens d’avoir rejeté leurs demandes de dommages et intérêts dirigées contre la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 8] et la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6]. Ils rappelaient, dans leur pourvoi, que le banquier est tenu d’un devoir de vigilance et doit engager sa responsabilité en procédant à des opérations sur un compte, malgré des anomalies apparentes.

La Cour de cassation observe alors qu’après avoir énoncé que le devoir de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client ne cède, en vertu de son obligation de vigilance, qu’en cas d’anomalie apparente, l’arrêt de la cour d’appel avait retenu que le caractère illogique des demandes de rachat du livret d'épargne souscrit par M. U., au regard des finalités de ce placement, ne constituait pas une anomalie apparente, dès lors que le client est libre de disposer de ses actifs et que les demandes de virement faites par M. U. des comptes de la société, dont il était l'associé unique et le gérant, vers ses comptes personnels, n'appelaient pas, en dépit du montant inhabituel du dernier virement, une vigilance particulière dès lors qu’il en était le bénéficiaire économique.

Après avoir ensuite analysé les certificats médicaux et les témoignages des employés de la banque produits et relevé que le signalement adressé par la banque au ministère public sur l’état de santé de M. U. avait été concomitant de ceux émanant de la famille de ce dernier, l’arrêt des juges du fond avait encore retenu que, compte tenu de sa nature, faisant alterner des périodes de cohérence et des épisodes « excitatifs », l’affection dont souffrait M. U. ne permettait pas au banquier, tenu d’un devoir de non-ingérence, et qui avait évité certains paiements, de déterminer si les demandes émanant de son client étaient ou non en relation avec son trouble.

Pour la Cour de cassation, la cour d’appel avait pu retenir que les opérations de rachat et les ordres de virement ne comportaient, au moment de leurs réalisations, aucune anomalie apparente, qui aurait obligé les banques à procéder à des vérifications particulières. Le moyen n'est donc pas fondé.

Ici encore, la solution parait échapper à la critique. Le fait que l’intéressé ait été le bénéficiaire des opérations réalisées est, bien évidemment, une circonstance importante. Aucun détournement de la part de tiers n’apparaissait à la vue des circonstances de fait. La banque semblait donc devoir respecter son devoir général de non-ingérence.

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