La lettre juridique n°544 du 17 octobre 2013 : Licenciement

[Jurisprudence] Modulation du périmètre et de l'intensité de l'obligation de reclassement

Réf. : Cass. soc., 30 septembre 2013, n° 12-13.439, FS-P+B (N° Lexbase : A3218KM7)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 17 Octobre 2013

L'employeur qui entend procéder au licenciement d'un salarié pour motif économique doit au préalable rechercher si son reclassement dans l'entreprise ou dans le groupe auquel elle appartient est possible. Cette règle, depuis sa création en 1992, a été circonscrite par la jurisprudence de la Cour de cassation et ses modalités sont aujourd'hui bien connues. Par une décision rendue par la Chambre sociale le 30 septembre 2013, la Haute juridiction revient sur le régime juridique de cette obligation de reclassement rappelant à l'occasion quelques règles classiques. L'intérêt principal de la décision tient, cependant, à ce que de nouvelles précisions sont apportées, notamment s'agissant de la faculté de moduler l'intensité et le domaine de l'obligation de reclassement ce qui, sous réserve de quelques limites, doit être salué.
Résumé

L'obligation de proposer trois offres valables d'emplois à chaque salarié engage l'employeur, peu important qu'il ait sollicité le concours d'un organisme extérieur. Le non-respect de cet engagement, qui étend le périmètre de reclassement, constitue un manquement à l'obligation de reclassement préalable au licenciement et prive celui-ci de cause réelle et sérieuse.


Commentaire

I - La faculté de moduler l'intensité et le domaine de l'obligation de reclassement

Licenciement pour motif économique et techniques de recherche de reclassement du salarié. Depuis un célèbre arrêt rendu en 1992, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut être justifié qu'à la condition que son reclassement sur un autre emploi de l'entreprise soit impossible (1). Reprise par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale (N° Lexbase : L1304AW9), cette mesure figure désormais à l'article L. 1233-4 du Code du travail (N° Lexbase : L3135IM3) qui dispose que "le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque [...] le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient".

Cette obligation de reclassement préalable au licenciement a été agrémentée de nombreuses techniques d'accompagnement social des salariés. Ainsi, elle coexiste avec une autre obligation de reclassement imposée dans le cadre de la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, laquelle n'est pas limitée aux emplois disponibles dans l'établissement ou le groupe mais peut imposer à l'employeur de rechercher des reclassements externes à l'entreprise (2). De la même manière, de nombreux dispositifs d'accompagnement tels que les congés de mobilité (3), les congés de reclassement (4) et les actions menées dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle (5) ont tous pour objectif plus ou moins direct la recherche d'un reclassement du salarié.

Les modalités de l'obligation préalable de reclassement. L'employeur est seul débiteur de l'obligation, y compris lorsque l'entreprise appartient à un groupe et que, par conséquent, le champ de l'obligation de reclassement dépasse l'entreprise (6). Une exception à cette règle a tout de même été posée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans une situation de coemploi, les co-employeurs étant alors tous tenus d'indemniser le salarié pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en cas de manquement à l'obligation de reclassement (7). En principe, l'employeur n'est, en revanche, pas tenu de rechercher un reclassement externe au groupe ou à l'entreprise au stade de l'exécution de l'obligation préalable de reclassement. Cette règle connaît toutefois des exceptions (8) puisque la Chambre sociale a déjà eu l'occasion de juger que "la méconnaissance par l'employeur de dispositions conventionnelles qui étendent le périmètre de reclassement et prévoient une procédure destinée à favoriser un reclassement à l'extérieur de l'entreprise, avant tout licenciement, constitue un manquement à l'obligation de reclassement préalable au licenciement" (9).

Il est généralement considéré que l'obligation de reclassement dont l'employeur est débiteur est une obligation de moyens renforcée. Tous les moyens doivent être mis en oeuvre afin qu'un reclassement puisse être proposé. Cette qualification a notamment de l'importance lorsque le salarié refuse les propositions de reclassement présentées par l'employeur. En effet, si le salarié bénéficie d'un véritable droit au refus des propositions faites (10), ce refus peut parfois libérer l'employeur de son obligation de reclassement (11). Ainsi, par exemple, une décision rendue en 2008 jugeait qu'il ne pouvait être reproché à un employeur d'avoir manqué à son obligation de reclassement alors qu'une salarié avait refusé une proposition de reclassement qui lui avait été faite et que l'employeur "justifiait de l'absence de poste disponible en rapport avec les compétences de l'intéressée" (12).

L'espèce. Alors qu'une entreprise connaît des difficultés économiques, elle décide de procéder au licenciement de plusieurs salariés et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi. L'une des salariées concernées se voit proposer un reclassement au sein du groupe auquel l'entreprise appartient, proposition qu'elle refuse. Dans le même temps, cependant, la salariée conclut une convention de congé de conversion lui permettant de bénéficier des services d'un cabinet de recrutement externe, lequel s'engage à lui proposer au moins trois "offres d'emploi valables". La convention prévoit, en outre, que le contrat de travail prendra fin soit à l'occasion du reclassement effectif de la salariée chez un autre employeur, soit à l'échéance du congé de conversion d'une durée de huit mois. A l'issue de ce congé, faute qu'un emploi lui ait été proposé, la salariée est licenciée. Elle saisit le juge prud'homal pour contester le bien-fondé du licenciement.

La cour d'appel de Toulouse (CA Toulouse, 11 mars 2011, n° 09/06520 N° Lexbase : A5016HAZ), saisie de l'affaire, juge que le licenciement n'est pas abusif. Elle retient, d'abord, que l'engagement pris par l'employeur auprès du cabinet de recrutement n'avait qu'une nature financière et que l'engagement de proposer trois offres d'emploi n'incombait qu'au cabinet de recrutement et n'obligeait pas l'employeur. Les juges d'appel ajoutent que la recherche d'un reclassement préalable au licenciement est limitée au reclassement interne et qu'il ne saurait donc être reproché à l'employeur de n'avoir pas recherché un reclassement externe à l'entreprise ou au groupe. Ils terminent enfin leur argumentation en rappelant que l'employeur avait fait une proposition de reclassement à la salariée, proposition que celle-ci avait refusée. La cour d'appel déduit de ces arguments que la légitimité du licenciement ne pouvait être remise en cause.

Par un arrêt rendu le 30 septembre 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), L. 1233-3 (N° Lexbase : L8772IA7) et L. 1233-4 du Code du travail. La Chambre sociale juge que "l'obligation de proposer trois offres valables d'emplois à chaque salarié engageait l'employeur, peu important qu'il ait sollicité le concours d'un organisme extérieur" et que "le non-respect de cet engagement, qui étendait le périmètre de reclassement, constituait un manquement à l'obligation de reclassement préalable au licenciement et privait celui-ci de cause réelle et sérieuse".

II - La lutte contre les tentatives d'entreprises cherchant à se dégager de l'obligation de reclassement

La confirmation des modalités de l'obligation de reclassement. Sur plusieurs aspects, la solution rendue par la Chambre sociale ne surprend pas. Ainsi, comme nous l'avons vu, l'existence d'un refus du salarié d'une proposition de reclassement ne suffit pas à libérer l'employeur de son obligation de reclassement. La référence expresse, dans la motivation de la Chambre sociale, à ce refus antérieur est précieux en ce qu'il sera plus simple d'interprétation que la motivation adoptée en 2008 qui devait être lue a contrario pour parvenir à un tel résultat.

De la même manière, la Chambre sociale confirme que l'obligation préalable de reclassement peut parfois être étendue au-delà de l'entreprise ou du groupe à un reclassement externe. La solution apporte cependant de nouvelles précisions sur ce sujet. Jusqu'ici, l'extension au reclassement externe ne pouvait découler que des dispositions d'une convention collective de branche l'imposant (13). C'est une toute autre situation qui est ici en cause puisque c'est par l'effet d'une convention n'ayant pas la nature d'une convention collective que cette extension a lieu. L'extension du champ de l'obligation de reclassement intervient en application des dispositions d'une convention de congé de conversion, ancêtre de l'actuel contrat de sécurisation professionnelle.

L'amélioration des conditions de l'obligation légale de reclassement. Il convient donc de retenir que l'employeur et le salarié peuvent s'entendre pour améliorer les effets de l'obligation de reclassement, l'employeur pouvant, par exemple, s'engager à rechercher un reclassement externe au titre de l'obligation préalable.

Le visa de l'article L. 1233-3 du Code du travail, qui définit le motif et la cause de licenciement pour motif économique, permet de comprendre la logique qui guide cette faculté : tout ce qui peut être fait pour éviter que le salarié ne perde son emploi ou qu'il se retrouve sans emploi doit être fait. Si la loi n'a pas souhaité aller plus loin que la seule obligation de rechercher le reclassement en interne, rien n'empêche de s'engager, par contrat, à procéder à une recherche externe. L'employeur, engagé par le contrat conclu avec le salarié, doit alors respecter son engagement ce qui justifie, cette fois, la référence à l'article 1134 du Code civil.

Délégation de l'obligation de reclassement ? Il reste un point, cependant, sur lequel la motivation de la Chambre sociale de la Cour de cassation peut au mieux paraître insuffisante, au pire être contestée. La Chambre sociale relève, en effet, que l'obligation de proposer trois offres d'emploi engageait l'employeur, "peu important qu'il ait sollicité le concours d'un organisme extérieur". Le cabinet de recrutement est ainsi perçu comme un collaborateur, un "préposé" de l'entreprise auquel celle-ci aurait délégué une mission sans pouvoir lui faire supporter la responsabilité de l'échec du reclassement.

Il aurait été possible de dissocier la faculté d'extension de l'obligation au reclassement externe de la proposition d'offres d'emploi assumée par le cabinet de recrutement. Les faits de l'espèce nous apprennent en effet que cet engagement de proposer des offres d'emploi n'avait été pris que par le cabinet de recrutement dans le cadre d'une "charte" conclue avec la salariée et à laquelle l'employeur semble être demeuré tiers. L'employeur devait mettre en oeuvre des moyens pour rechercher un reclassement externe, ce qui ne signifie pas qu'il devait nécessairement être tenu des engagements pris par le cabinet de recrutement.

L'argumentation adoptée par la Chambre sociale fait peu de cas du principe d'effet relatif des conventions et la mène à faire peser sur l'employeur les conséquences d'une convention à laquelle il n'est pas partie (14). La formule employée par la Chambre sociale marque d'ailleurs une forme de gêne puisque les magistrats ne jugent pas que l'employeur est débiteur de l'obligation de proposer trois offres d'emploi mais que "l'obligation de proposer trois offres valables d'emplois à chaque salarié engageait l'employeur".

Pire encore, la nature des propositions faites par le cabinet de recrutement dépassaient sensiblement l'intensité habituelle de l'obligation de reclassement puisqu'il ne s'agissait plus de rechercher un reclassement mais de faire des propositions fermes de reclassement. Dit autrement, l'obligation de reclassement est quasiment transformée, par le jeu de cette charte, en une obligation de résultat. A nouveau, il nous semble que l'employeur pourrait décider avec l'accord du salarié d'assumer ce type d'engagement, mais on peut être surpris qu'il soit tenu des engagements pris par le cabinet de recrutement au-delà de ce que lui impose habituellement le droit du travail.

Malgré ces critiques, la décision comporte tout de même la vertu indéniable de chercher à juguler les stratégies de contournement qui aurait consisté, pour l'employeur, à se décharger de son obligation de reclassement sur un prestataire extérieur. Il n'est pas certain cependant que l'affaire en cause, dans laquelle l'employeur avait fait des propositions de reclassement interne, avait étendu le champ des recherches au-delà du groupe et avait fait appel à des prestataires extérieurs pour favoriser le reclassement, était la plus adaptée pour se montrer sévère, de manière générale, à l'égard des entreprises qui cherchent à échapper à leurs responsabilités...


(1) Cass. soc., 1er avril 1992, n° 89-43.494, publié (N° Lexbase : A9450AAA).
(2) C. trav., art. L. 1233-62 (N° Lexbase : L1239H9R).
(3) C. trav., art. L. 1233-77 (N° Lexbase : L1270H9W).
(4) C. trav., art. L. 1233-71 (N° Lexbase : L0731IXD).
(5)V. Présentation du contrat de sécurisation professionnelle, Encyclopédie "Droit de la protection sociale" (N° Lexbase : E6538ETC).
(6) Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-15.776, FS-P+B (N° Lexbase : A2943EQ3) ; RJS, 2010, n° 247.
(7) Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 10-12.278, F-D (N° Lexbase : A1361HY3) ; D., 2012, p. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Cass. soc., 12 septembre 2012, n° 11-12.343, F-D (N° Lexbase : A7450ISQ).
(8) Parfois contestées, v. P. Morvan, L'obligation irréelle de reclassement "extérieur" et les commissions paritaires de l'emploi fantômes, JCP éd. S, 2009, p. 1235.
(9) Cass. soc., 28 mai 2008, n° 06-46.009, FS-P+B (N° Lexbase : A7828D8G) et les obs. de Ch. Willmann, La Cour de cassation renforce l'obligation de reclassement externe, même conventionnelle, Lexbase Hebdo n° 309 du 19 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3636BGR).
(10) Par ex., Cass. soc., 29 janvier 2003, n° 00-46.322, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7667A4Q).
(11) Le refus du reclassement n'implique pas, à lui seul, que l'employeur soit considéré comme ayant convenablement exécuté son obligation, v. Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 05-43.470, F-P+B (N° Lexbase : A7899DSD) et les obs. de S. Martin-Cuenot, L'obligation de reclassement : une obligation plénière ?, Lexbase Hebdo n° 240 du 14 décembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3097A9L).
(12) Cass. soc., 13 novembre 2008, n° 06-46.227, FS-P+B (N° Lexbase : A2281EB4).
(13) Cass. soc., 28 mai 2008, n° 06-46.009, FS-P+B, préc..
(14) Le terme "charte" donne le sentiment que la Chambre sociale souhaite écarter l'idée d'une contractualisation de l'engagement du cabinet de recrutement. Si toutefois la volonté du salarié a rencontré celle du cabinet avec pour objet de créer une obligation à la charge du cabinet de proposer trois offres d'emploi, c'est bien d'un contrat qu'il s'agit.

Décision

Cass. soc., 30 septembre 2013, n° 12-13.439, FS-P+B (N° Lexbase : A3218KM7)

Cassation, CA Toulouse, 11 mars 2011, n° 09/06520 (N° Lexbase : A5016HAZ)

Textes visés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. trav., art. L. 1233-3 (N° Lexbase : L8772IA7) et L. 1233-4 (N° Lexbase : L3135IM3)

Mots-clés : licenciement pour motif économique, obligation de reclassement, périmètre, intensité.

Liens base : (N° Lexbase : E9304ESE)

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