La lettre juridique n°240 du 14 décembre 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] L'obligation de reclassement : une obligation plénière ?

Réf. : Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 05-43.470, Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) des Yvelines, F-P+B (N° Lexbase : A7899DSD)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

L'accident du travail est problématique, surtout lorsqu'il entraîne l'inaptitude du salarié à son ancien poste de travail. Si le législateur impose à l'employeur le respect d'une obligation de reclassement du salarié déclaré inapte, il ne donne d'indication ni sur la nature, ni sur la teneur de cette obligation. Ce sont les juges qui sont venus petit à petit construire le régime applicable à cette obligation. Dans cette espèce, l'employeur avait licencié le salarié déclaré inapte qui avait refusé le poste de reclassement qu'il lui avait proposé. Le salarié contestait cette rupture. Les juges du second degré et, à leur suite, la Cour de cassation sont venus donner raison au salarié, considérant que le refus par un salarié d'un poste proposé par l'employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n'implique pas, à lui seul, le respect par celui-ci de cette obligation. Cette solution n'est pas nouvelle et semble, à tous points de vue, justifiée.


Résumé

Le refus par un salarié d'un poste proposé par l'employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n'implique pas, à lui seul, le respect par celui-ci de cette obligation.

Décision

Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 05-43.470, Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) des Yvelines, F-P+B (N° Lexbase : A7899DSD)

Rejet (CA Versailles, 17ème ch., 12 mai 2005)

Texte concerné : C. trav., art. L. 122-32-5 (N° Lexbase : L5523ACK)

Mots-clefs : salarié victime d'un accident du travail ; obligation de reclassement ; refus du salarié.

Lien bases :

Faits

A la suite d'un accident du travail, une salariée a été déclarée inapte à son poste, mais apte à un poste sans charges lourdes ni station debout prolongée. L'Apajh lui a, alors, proposé un reclassement sur un poste à temps partiel. Cette dernière l'a refusé en raison du faible nombre d'heures de travail. L'Apajh a, par suite, procédé à son licenciement.

La cour d'appel a qualifié le licenciement de licenciement sans cause réelle et sérieuse en se fondant sur le fait que l'Apajh n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement.

Solution

1. Rejet

2. "Mais attendu, d'une part, qu'il résulte des constatations souveraines de l'arrêt que les pièces n'avaient pas été communiquées en temps utile au sens des articles 15 et 135 du Nouveau Code de procédure civile".

3. "Attendu, d'autre part, que le refus par un salarié d'un poste proposé par l'employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n'implique pas, à lui seul, le respect par celui-ci de cette obligation".

Observations

1. Subordination du licenciement du salarié victime d'un accident du travail déclaré inapte à la démonstration par l'employeur de l'impossibilité de le reclasser

  • Obligation de reclassement du salarié victime d'un accident du travail

L'employeur d'un salarié victime d'un accident du travail déclaré inapte à l'issue de la visite de reprise est tenu d'une obligation de reclassement (C. trav., art. L. 122-32-5 N° Lexbase : L5523ACK). L'article L. 122-32-5 du Code du travail dispose, à cet effet, que "si le salarié est déclaré inapte à reprendre, à l'issue des périodes de suspension, l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise et après avis des délégués du personnel, un autre emploi approprié à ses nouvelles capacités et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail".

Il appartient ainsi à l'employeur d'un salarié déclaré inapte par le médecin du travail de lui proposer un poste approprié à ses nouvelles capacités, au besoin en mettant en oeuvre des mesures telles que mutation, transformation de poste ou aménagement du temps de travail (Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-43.141, Société Teinturerie de Tarare (TDT) c/ M. Mohamed Touil, FS-P+B N° Lexbase : A0403DDB).

Le législateur qui vient mettre cette obligation à la charge de l'employeur ne donne, toutefois, aucune indication sur sa teneur exacte. Ce sont les juges qui, au fil des espèces, donnent un cadre à cette obligation.

  • Teneur de l'obligation de l'employeur

L'obligation de reclassement doit être satisfaite, quel que soit le caractère de l'inaptitude, temporaire ou définitif.

La recherche d'un poste compatible avec les nouvelles capacités du salarié s'apprécie à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur concerné parmi les entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel (Cass. soc., 19 mai 1998, n° 96-41.265, M. Richard c/ Société Turboméca, publié N° Lexbase : A3147AB8).

Il appartient donc à l'employeur de faire un état aussi précis que possible des postes, de l'entreprise ou du groupe s'il y a lieu, compatibles avec les nouvelles capacités du salarié. Si l'employeur trouve un ou plusieurs postes susceptibles d'être occupés par le salarié, il doit le ou les lui proposer.

Lorsque le poste proposé emporte une modification du contrat de travail, le salarié est en droit de le refuser (Cass. soc., 15 juillet 1998, n° 95-45.362, Monsieur Sauzet c/ Société MPG, publié N° Lexbase : A5399ACX). Le refus du salarié ne suffit cependant pas à justifier son licenciement. L'employeur ne peut licencier le salarié qu'à la condition de ne pas fonder exclusivement cette rupture sur le refus de ce dernier et, singulièrement, de démontrer l'impossibilité devant laquelle il se trouve, en raison de ce refus, de reclasser le salarié (Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-45.056, M. Victor Estèves Docouto c/ Société Azevedo, société à responsabilité limitée et autres, inédit N° Lexbase : A8323AHQ).

C'est ce principe que la Cour de cassation vient, une nouvelle fois, appliquer dans la décision commentée.

  • Espèce

A l'employeur qui contestait la décision de la cour d'appel qui l'avait condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif qu'il n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement, la Haute juridiction vient rappeler que le refus par le salarié d'un poste proposé par l'employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n'implique pas le respect par celui-ci de cette obligation. Il lui appartenait donc de démontrer que ce refus le mettait dans l'impossibilité de le reclasser et, donc, de procéder à son licenciement.

Cette solution doit, en tout point, être approuvée.

2. Impossibilité pour l'employeur de fonder le licenciement d'un salarié inapte à la suite d'un accident du travail sur le refus par ce dernier du poste de reclassement proposé

Le principe sur lequel se fonde la Haute juridiction dans la décision commentée n'est pas une surprise. On le retrouve dans la jurisprudence antérieure. Il n'est, en outre, que la stricte application des règles relatives à l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur en cas d'inaptitude consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle.

  • Une jurisprudence constante

Dans une espèce antérieure, la Haute juridiction, amenée à se prononcer sur la régularité d'un licenciement consécutif au refus par le salarié d'une proposition de reclassement, était venue affirmer que "si le salarié est en droit de refuser le poste de reclassement proposé par l'employeur qui emporte modification du contrat de travail, il appartient à l'employeur de tirer les conséquences du refus du salarié, soit en formulant de nouvelles propositions de reclassement, soit en procédant au licenciement de l'intéressé au motif de l'impossibilité du reclassement".

L'employeur qui rapportait la preuve que ce refus le mettait dans l'impossibilité de conserver le salarié à son service, faute de disposer, dans l'entreprise, d'autres postes de reclassement conformes aux conclusions du médecin du travail, ne pouvait donc pas être sanctionné (Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-45.056, précité N° Lexbase : A8323AHQ). C'est cette étape qui faisait défaut dans la décision commentée et qui justifie le rejet de la demande formée par l'employeur.

L'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement de ses salariés, doit logiquement pouvoir établir qu'il a respecté son obligation en démontrant qu'il se trouve dans l'impossibilité de procéder au reclassement du salarié, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il se contente de le licencier. Préalablement au licenciement, ce dernier aurait, en effet, dû notifier au salarié que, face à son refus, il ne pouvait plus le reclasser.

Cette position, malgré sa légitimité, semble a priori dépasser la lettre de l'article L. 122-32-5, alinéa 4, du Code du travail.

  • Une solution praeter legem ?

L'article L. 122-32-5, alinéa 4, du Code du travail dispose que "l'employeur ne peut prononcer le licenciement que s'il justifie soit de l'impossibilité où il se trouve de proposer un emploi dans les conditions prévues ci-dessus, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions".

Cette disposition, appliquée à la lettre, semble indiquer que le licenciement peut intervenir dans deux hypothèses ; la première étant l'impossibilité de reclassement, la seconde étant le refus par le salarié du poste proposé. Cette disposition ne doit, cependant, pas être lue seule mais doit être rapprochée de celles relatives à l'obligation de reclassement.

Rapproché des alinéas 1 et 2 de l'article L. 122-32-5, l'alinéa 4 ne peut, alors, plus qu'imposer à l'employeur du salarié ayant refusé un poste de reclassement de rechercher s'il n'existe pas d'autres possibilités. Le cas échéant, il devra l'informer, par écrit, qu'il ne peut lui proposer un autre emploi compatible avec les conclusions du médecin du travail ainsi que les motifs de ce refus et, qu'en conséquence, il se voit contraint de le licencier.

S'il ne le fait pas, il y aura lieu de considérer que l'employeur n'a satisfait que partiellement à son obligation de reclassement, ce qui équivaut à une absence de reclassement et donc à la qualification de sans cause réelle et sérieuse du licenciement survenu.

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