Le Quotidien du 29 août 2023

Le Quotidien

Construction

[Brèves] Youpi : le délai de deux ans de l’action en garantie des vices cachés est un délai de prescription

Réf. : Cass. mixte, 21 juillet 2023, n° 20-10.763, FS-B+R+I N° Lexbase : A85511BC

Lecture: 4 min

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 28 Août 2023

► Une personne qui découvre le défaut du bien qui lui a été vendu dispose d’un délai de deux ans pour engager une action en garantie des vices cachés ; s’agissant d’un délai de prescription, ce délai peut être suspendu lorsqu’une mesure d’expertise a été ordonnée ;
► le délai de l’article L. 110-4 du Code de commerce n’est pas un délai butoir.

Les arrêts rendus le 21 juillet 2023 étaient si attendus que la Haute juridiction a décidé de diffuser sur son site l’audience, qui s’est tenue le 16 juin 2023, au terme de laquelle la Chambre mixte de la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de la durée de la garantie des vices cachés (Cass. mixte, 21 juillet 2023, quatre arrêts, n° 20-10.763 N° Lexbase : A85511BC, n° 21-15.809 N° Lexbase : A85501BB, n° 21-17.789 N° Lexbase : A85491BA, n° 21-19.936 N° Lexbase : A85481B9, B+R ; v. Lexbase Droit privé, juillet 2023, n° 955 N° Lexbase : N6485BZ9).

La Cour de cassation considère que le délai de l’article 1648 du Code civil N° Lexbase : L9212IDK est un délai de prescription et non de forclusion. Selon elle (pourvoi n° 21-15.809), l’objectif poursuivi par le législateur est de pouvoir permettre à tout acheteur, consommateur ou non, de bénéficier d’une réparation en nature, d’une diminution du prix ou de sa restitution lorsque la chose est affectée d’un vice caché. Elle en déduit que l’acheteur doit être en mesure d’agir contre le vendeur dans un délai susceptible d’interruption et de suspension.

Et, dans l’arrêt rapporté (pourvoi n° 20-10.763), elle en fait l’illustration dans le domaine de la construction, où ces actions sont fréquemment exercées.

En l’espèce, un maître d’ouvrage a confié à une entreprise des travaux de couverture, de charpente et de bardage d’un bâtiment agricole. L’entreprise s’est approvisionnée en plaque de couverture auprès d’un fabricant.

Se plaignant d’infiltrations dans la toiture, le maître d’ouvrage assigne le constructeur et sollicite la désignation d’un expert. Le constructeur appelle le fabricant en garantie sur le fondement des vices cachés. Sans rentrer dans le détail procédural complexe de l’affaire, son action est considérée comme prescrite. Étaient en cause la nature du délai de l’action en garantie des vices cachés mais également le point de départ de l’article L. 110-4 du Code de commerce N° Lexbase : L4314IX3.

La Haute juridiction estime que le point de départ glissant de la prescription extinctive des articles 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC et L. 110-4 précité se confond désormais avec le point de départ du délai pour agir prévu à l'article 1648, alinéa 1er , du Code civil N° Lexbase : L9212IDK, à savoir la découverte du vice.

Dès lors, ces délais ne peuvent plus être analysés en des délais-butoirs spéciaux. L’encadrement dans le temps de l'action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l'article 2232 du Code civil N° Lexbase : L7744K9P, de sorte que cette action doit être formée dans le bref délai, devenu un délai de deux ans, à compter de la découverte du vice, ou, en matière d'action récursoire, à compter de l'assignation, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.

Autrement dit, pour engager une action en garantie des vices cachés, l’acheteur doit saisir la justice :

  • dans un délai de deux ans à compter de la découverte du défaut affectant le bien qui lui a été vendu ;
  • dans un délai de vingt ans à compter de la vente du bien.

Il y avait déjà eu des précédents (Cass. civ. 3, 25 mai 2022, n° 21-18.218, FS-B N° Lexbase : A25537Y9).

Le délai n’est donc pas un délai de forclusion (pour exemple, Cass. civ. 3, 5 janvier 2022, n° 20-22.670, FS-B {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 76659284, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. civ. 3, 05-01-2022, n\u00b0 20-22.670, FS-B, Rejet", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A42167HM"}}).

newsid:486606

Fonction publique

[Brèves] Réparation du préjudice causé par un refus illégal de réintégration d'un agent placé en disponibilité

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 19 juillet 2023, n° 462834, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A85311BL

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par Yann Le Foll

Le 28 Août 2023

► En cas de refus illégal de réintégration d'un agent placé en disponibilité, celui-ci a droit à réparation intégrale de son préjudice dont le terme peut être identifié avec certitude, même s’il n’a pas demandé l’annulation des décisions de refus de réintégration entachées d’illégalité.

Principe. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité des personnes publiques, l'agent public placé en position de disponibilité a droit à la réparation intégrale des préjudices de toute nature qu'il a effectivement subis du fait du refus illégal de faire droit à sa demande de réintégration et présentant un lien direct de causalité avec l'illégalité commise (365155), y compris au titre de la perte de la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre.

Ne sont pas incluses les primes et indemnités seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions et déduction faite, le cas échéant, du montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction. Il peut être tenu compte des fautes commises par l'intéressé.

Lorsque les préjudices causés par cette décision n'ont pas pris fin ou ne sont pas appelés à prendre fin à une date certaine, il appartient au juge de plein contentieux, forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, de lui accorder une indemnité versée pour solde de tout compte. 

Application. La proposition de réintégration adressée par le CNRS à une fonctionnaire placée en disponibilité sur un poste correspondant à son grade permet de considérer que les illégalités entachant des décisions de refus de réintégration antérieures ne préjudicient plus à cette fonctionnaire au-delà de la date d'effet de la réintégration proposée. En l’espèces, les illégalités entachant les décisions de refus de réintégration des 21 mars et 18 juillet 2016, n'ont pu ainsi préjudicier à l’agent au-delà du 1er juin 2017. 

Décision. Par suite, nonobstant la circonstance que la fonctionnaire n'a pas demandé l'annulation des décisions de refus de réintégration (elle n’a alors normalement pas droit à réintégration selon 365199), il appartient au juge du fond de lui allouer une indemnisation réparant intégralement les préjudices qu'elle a subis au cours de cette période, et non une indemnisation forfaitaire versée pour solde de tout compte (annulation CAA Bordeaux, 31 janvier 2022, n° 19BX01428 N° Lexbase : A028674D).

Précisions rapporteur public. Dans ses conclusions, Nicolas Labrune indique que « l’évaluation du préjudice indemnisable ne saurait être forfaitaire que lorsqu’il est impossible de déterminer avec certitude la date à laquelle ce préjudice a pris fin ou la date à laquelle il va prendre fin, et peu importe, au fond, que l’annulation de la décision fautive ait été demandée ou pas ».

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, Les positions statutaires dans la fonction publique d'État, La fin de la mise en disponibilité, in Droit de la fonction publique, (dir. P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E57103KP.

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Procédure civile

[Le point sur...] Tiers, constat et autres contrariétés…

Lecture: 22 min

N5893BZB

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par Sébastien Racine, Commissaire de justice associé, Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement, Intervenant à l’ENM, EFB, Legal Logion Office

Le 28 Juillet 2023

Mots-clés : tiers • constat • huissier • commissaire de justice • indépendance • achat
Cet article examine l'évolution du rôle du tiers dans les constats d'huissier de justice. Alors que la nécessité d'utiliser un tiers se multiplie, il est essentiel de comprendre les implications pour sa protection en tant que personne physique et l'intégrité de son identité numérique. Nous analysons les divers cas où le tiers est requis et explorons les mesures de protection appropriées. En outre, nous abordons les défis juridiques et techniques liés à la préservation de l'identité numérique du tiers dans un contexte d'utilisation croissante. Cette étude souligne l'importance de trouver un équilibre entre l'utilisation efficace du tiers et la sauvegarde de sa sécurité personnelle et de son identité numérique.

 

Si nous devions présenter l’échange entre un client et son commissaire de justice rompu aux arcanes du constat d’achat, nous pourrions l’envisager comme un cocktail composé d’une dose d’interrogation sur un éventuel conflit d’intérêts, à laquelle il faudra ensuite ajouter une dose de disponibilité teintée d’urgence et de risque de disparition, et enfin saupoudrer le tout d’une mise en relation entre un inconnu et son client, le tout recouvert d’une couche de secret professionnel, afin de conserver le tout à température idéale pour en préserver la force et la saveur.

Cette boisson, nous en conviendrons, pourrait également être celle d’un agent, spécialiste en rencontre. Si, à cela, nous ajoutons une dose de « chaperonnage » au cours des opérations de constatations, la ressemblance est quelque peu troublante.

Une fois ses ingrédients mélangés, nous obtenons le constat d’achat parfait prêt à être savouré par le magistrat et la partie adverse, en espérant qu’aucun oubli ne vienne entacher son goût si unique.

Cette pratique ancrée dans nos procédures, doit cependant nous inviter à la réflexion quant au rôle que prend cet inconnu qu’est le tiers dans le cadre des procédures liées à la protection de la propriété intellectuelle, et qu’il pourrait prendre dans le cadre d’autres contentieux. D’ailleurs, à bien y réfléchir ce tiers est tout sauf un inconnu.

Il peut sembler hâtif de limiter le recours à un tiers au seul cas du constat d’achat, tant les motivations entérinant cette pratique semblent pouvoir s’appliquer à d’autres types de constats. Le cas du constat dans le métavers en est un bon exemple (I).

Dans le sillage d’une réflexion sur une utilisation accrue du tiers, augmentant ainsi sa visibilité, il convient, comme n’importe quel organisme dont l’exposition aux effets extérieurs, de s’interroger selon le principe de précautions sur les effets néfastes de cette surexposition et sur les solutions pour en limiter les conséquences (II).

I. Le recours à l’assistance d’un tiers, un incontournable en pleine mutation

Si le recours au tiers est depuis de nombreuses années une pratique courante, force est constater que la fréquence et les cas de recours se sont théoriquement multipliés (A). Cette multiplication nous amène à nous interroger sur la définition de la qualité de tiers, et son éventuelle évolution (B).

A. Les cas de recours au tiers, une évolution nécessaire

Autrefois réservé aux constats d’achat (1), dont la jurisprudence et la pratique ont forgé son statut, il semble prendre également de la place dans un environnement technologique en plein essor et répondant à de nouveaux codes (2).

1) Le constat d’achat : berceau du concept de tiers acheteur

Lors de la réalisation d’un constat d’achat, le rôle du commissaire de justice est clairement défini. Cette définition découle, tout d’abord, des contraintes liées à la qualification juridique du lieu des constatations, et plus précisément de ses conditions d’accès. En effet, bien souvent l’achat nécessite l’accès à un lieu privé.

Il n’est pas permis au commissaire de justice de pénétrer dans un lieu privé, même ouvert au public, sans le consentement exprès de l’occupant des lieux ou sans être muni d’une autorisation judiciaire, peu important qu’il s’agisse d’un simple constat d’achat. De fait, l’achat qui serait réalisé par le celui-ci l’obligerait, préalablement, à se présenter à l’occupant des lieux, exposer sa mission, et requérir son accord pour que les constatations soient dressées, ce qui est tout simplement incompatible avec l’objectif du constat d’achat et la stratégie procédurale dont il dépend.

Ensuite, le commissaire de justice qui réaliserait lui-même l’achat ne se contenterait pas de réaliser des constatations matérielles. En effet, l’expression « constatations purement matérielles » doit s’entendre comme « toute situation personnellement constatée par l’huissier de justice au moyen de ses sens, et qu’il n’a pas provoquée par une opération intellectuelle de nature à troubler sa qualité de tiers neutre, indépendant et impartial ». Or conclure une vente suppose la manifestation d’une volonté juridique, et donc une forme d’opération intellectuelle, et à tout le moins un rôle actif de sa part.

La pratique du constat d’achat à l’aide d’un tiers est donc venue pallier ces deux limites, tout en permettant notamment aujourd’hui de satisfaire à la Directive (CE) n° 2004/48 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle N° Lexbase : L2091DY4, en ce qu’elle impose aux États membres de proposer les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente Directive.

La force probante du constat d’achat dressé par le commissaire de justice fait de celui-ci un élément privilégié, voire incontournable, dans certains litiges. Parallèlement, il a été reconnu par la jurisprudence que le recours à un tiers acheteur est un procédé loyal de preuve au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’Homme N° Lexbase : L7558AIR.

Le recours au tiers dans le constat d’achat permet ainsi d’harmoniser les intérêts divergents des parties aux constats. D’un côté, le demandeur souhaite pouvoir se défendre et établir la preuve des faits qu’il juge comme lui causant un dommage, de l’autre un défendeur souhaite que soit respectée l’obligation de loyauté ainsi que le droit à un procès équitable. Entre les deux, le commissaire de justice aura à cœur de procéder à des constatations dans le respect des règles régissant sa profession, tant sur le plan règlementaire que déontologique.

2) Les constats sur les réseaux sociaux et dans le métavers : un terreau fertile pour l’émergence du tiers navigateur

Au commencement, la pratique du constat d’achat avec un tiers ne concernait que l’achat physique. Il s’est donc naturellement posé la question de son applicabilité aux constats sur internet. La solution est aujourd’hui la même que pour les achats physiques, à savoir que le recours à un tiers est obligatoire.

Il a ainsi été énoncé que « l’huissier de justice ne peut effectuer des constatations sur un site internet dont l’accès est restreint par une identification, par mot de passe ou inscription préalable, comme un forum de discussion, par exemple, sauf si le propriétaire de ce site l’y autorise expressément » [1]. Or la simple création d’un compte, même en déclarant sa fonction, ne semble pas répondre à l’obligation du commissaire de justice d’agir à visage découvert. En effet, il s’agit bien souvent d’un traitement automatique qui valide les inscriptions.

En effet, « il ne suffit pas que l’huissier de justice décline ses nom, prénom et qualité par le biais d’un formulaire en ligne pour que cette condition soit remplie : encore faut-il qu’il fasse état de l’objet de sa mission pour que les constatations soient effectuées loyalement. L’identification doit donc porter tant sur la personne de l’huissier que sur le but de sa mission. Cette exigence exclut donc que l’huissier puisse accéder à des pages internet privées à la faveur d’un traitement automatique des données incapable de distinguer l’internaute lambda de l’officier public et ministériel » [2].

Par ailleurs, que l’achat soit réalisé physiquement ou par internet, le commissaire de justice outrepasserait comme précédemment évoqué le cadre de sa mission. La création d’un compte par l’officier ministériel a déjà été sanctionnée [3].

Cette nécessité d’utiliser un tiers pour le constat d’achat sur internet nous amène à nous questionner sur la pertinence de recourir à un tiers pour accéder à tout site internet privé ouvert au public, en raison de l’obligation faite de s’identifier avec un compte utilisateur pour accéder au contenu. Ceci est le cas notamment de nombreux réseaux sociaux dont le contenu public tend à s’amoindrir avec notamment une limite de temps de lecture avant le blocage de l’accès au contenu et une invitation à s’authentifier pour continuer à lire le contenu. Il en va de même des articles de journaux accessibles sur les sites de grands quotidiens dont le contenu public n’est que partiel.

Dans ces deux cas, il apparaît clairement que le site internet concerné invite l’utilisateur à s’authentifier, et à s’identifier, pour permettre le visionnage du contenu, devenant ainsi, à l’instar d’un magasin ou d’un club privé, des lieux virtuels à accès contrôlé.

Concernant le métavers, dont l’expérience utilisateur est à placer à la croisée des chemins entre le jeu vidéo et le réseau social, il ne déroge pas à cette règle. Il est à préciser que cette tendance accrue à l’identification répond avant tout à la volonté de monétiser les données personnelles des utilisateurs, reléguant ainsi la sécurisation de l’accès au site internet au second plan. Cependant, les raisons d’un tel contrôle ne semblent pas devoir influer sur la qualification juridique des lieux des constatations par le commissaire de justice. Ainsi, dans le cadre d’un salon physique public, le contrôle d’accès se fait principalement pour monétiser l’accès au salon, cependant dans le cadre de la réalisation d’un constat sur place, nonobstant l’achat de la place, il convient malgré tout d’obtenir l’autorisation du commissariat du salon pour procéder à toutes constations à l’intérieur.

B. La qualité de tiers

La qualité de tiers, telle que définie dans le constat d’achat (1), semble devoir évoluer lorsqu’il s’agit d’aborder le tiers navigateur (2).

1) La définition du tiers acheteur

Le tiers étant un concept acquis depuis de nombreuses années, la détermination de sa qualité n’a pas pour autant été chose aisée à établir. Dans un premier temps, la qualification de « tiers » s’est effectuée en fonction du rôle de la personne concernée. Cependant, une définition plus générale a émergé par la suite, sans pour autant mettre fin au débat.

Différents acteurs se sont alors retrouvés sous le feu des projecteurs. Plusieurs acteurs ont été considérés comme possibles tiers, dont le clerc de l’huissier de justice instrumentaire, le conseil en propriété industrielle du demandeur, le stagiaire du cabinet d’avocat du requérant, ou encore le directeur commercial du demandeur.

Avant 2017, l’évaluation de la qualité de « tiers » se fondait surtout sur la relation entre l’huissier de justice et la personne concernée. Ainsi, un employé de la société demanderesse ou un stagiaire d’un cabinet d’avocat pouvait être autorisé à servir de tiers acheteur. L’intérêt était double, d’une part en raison de la praticité de ce choix qui permettait tout à la fois d’être réactif respectueux du secret professionnel de l’huissier de justice. Il permettait, enfin, de garder sous « cloche » la procédure de collecte de preuve, dont la réussite dépend bien souvent du degré de discrétion dont elle bénéficie.

Depuis 2017, l’appréciation de la qualité de tiers a évolué, dépassant la simple appréciation du lien huissier de justice et tiers, et s’attachant également aux liens avec le requérant et son conseil. Une inflexion a été faite récemment par la cour d’appel de Paris, cependant il ne s’agit que d’un début, et la prudence nous dicte de suivre la position de la Cour de cassation.

Il a d’ailleurs été récemment rappelé que la mention « le tiers acheteur signifie un acheteur non-salarié de mon étude, n’ayant aucun lien ni juridique ni personnel avec la société requérante et son conseil » était suffisante pour considérer comme indépendant le tiers acheteur. Une particularité intéressante est que le commissaire de justice avait parfois simplement désigné l’acheteur comme « tiers acheteur » sans donner plus de détails, et parfois précisé le rôle du tiers acheteur, sans incidence sur la validité du constat puisque la désignation « tiers acheteur » « impliquant nécessairement l’absence de liens avec les parties ».

La mention explicite, ou non, de l’indépendance du tiers est au stade du constat purement déclaratif et n’est assortie d’aucune attestation ou pièce justificative. Ainsi, il naît de ces mentions une présomption simple d’indépendance que la partie adverse devra contester en apportant la preuve contraire.

De prime abord, il peut sembler difficile d’apporter la preuve de la dépendance d’un tiers, sauf à ce que ce dernier se déclare, in fine, dépendant de l’une des parties. Il est possible d’imaginer la production d’un témoignage d’une tierce personne venant mettre à mal l’indépendance déclarée du tiers, cela reste théorique. En pratique, il sera difficile d’apporter une telle preuve, à moins qu’il n’y ait un cas flagrant de mensonge.

2) Le tiers navigateur, une notion nouvelle

Pour dépasser cette notion de tiers acheteur, il est opportun, eu égard au développement précédent, de s’intéresser à l’émergence d’un tiers navigateur, qui, en dehors de tout acte d’achat, assistera le commissaire de justice dans ses constatations lorsque le lieu est juridiquement inaccessible à ce dernier, sauf à se déclarer préalablement.

Dans le monde réel, le recours à un « tiers navigateur » ne semble pas envisageable, pour reprendre l’exemple du tiers acheteur, sa mission sera d’entrer dans le magasin pour procéder à l’achat d’un produit déterminé et en ressortir dans la foulée pour remettre ledit produit à l’huissier de justice. A contrario, un tiers zélé qui prendrait des photographies des rayons à l’intérieur du magasin, non visibles depuis l’extérieur, ou qui procèderait à des enregistrements audio ou vidéo du discours commercial de l’un des vendeurs mettrait en danger le constat du commissaire de justice.

En revanche, lorsque les constatations ont lieu sur internet, l’accès aux informations se fait de manière différente, de sorte que le commissaire de justice va pouvoir constater personnellement les informations qui s’affichent à l’écran lors de la navigation de son tiers. Cette principale différence technique rend ainsi possible les constatations sur du contenu qui n’est accessible qu’aux personnes authentifiées en constatant par-dessus son épaule. Le tiers qui ne sera pas chargé d’acheter le produit sera en revanche invité à naviguer sur un site ou un réseau social afin que le commissaire de justice puisse constater le contenu qui apparaît à l’écran.

Dans ce type de constat, il est opportun de s’interroger sur la qualité du tiers qui pourrait être envisagé comme toute personne n’étant pas liée à l’huissier de justice, soit le même postulat qu’avant 2017. Ainsi, nous pourrions imaginer que le demandeur puisse se connecter avec son compte personnel pour faire constater une publication sur un réseau social, ou encore pour constater l’offre à la vente d’un produit sur un site de ventes réservées à des adhérents.

Il semble possible que le recours au tiers, bien que similaire dans son contour, vise en réalité ici à limiter le rôle actif de l’huissier de justice au moment des constatations. Pour mémoire ce rôle actif pourrait être caractérisé par la création d’un compte pour accéder au contenu dont l’accès est limité.

En l’état actuel de la jurisprudence, il n’est pas prévu une telle obligation lorsqu’il s’agit de constater des postes sur des réseaux sociaux par exemple. Cette question pourrait néanmoins se poser sous un nouvel angle avec l’apparition de constats dans le métavers où la création d’un avatar serait une condition préalable obligatoire pour constater des éléments dans ce nouvel espace technologique, renforçant ainsi la phase d’identification de la personne ayant accès au contenu.

Ces nouvelles perspectives semblent placer encore un peu plus le tiers au centre de constats qui font partie du quotidien des commissaires de justice, raison pour laquelle la question de sa protection doit être évoquée.

II. La protection du tiers, une nécessité

Le tiers n’est pas un parfait inconnu pour le commissaire de justice et pour les parties, à qui est communiqué un ensemble de données personnelles, portant notamment sur son identité (A) et ses moyens de paiement (B). Cette circulation de ses informations, entraîne par voie de conséquence des risques liés à leur divulgation, et doivent donc conduire à protéger le tiers et ses données.

A. Les données personnelles du tiers, son identité

La norme place en premier plan le tiers et son identité (1), cependant des moyens de substitution semblent aujourd’hui exister afin de garantir une certaine protection de ses données (2).

1) Le principe de l’identification du tiers

Le recours au tiers acheteur ou navigateur implique une identification claire et précise de celui qui assiste, dans ses constatations, le commissaire de justice. Cette obligation d’identification découle du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, qui impose que la partie adverse soit en mesure de vérifier l’authenticité du statut de tiers.

C’est ainsi que les données personnelles du tiers afférentes à son identité dans le monde physique sont mentionnées dans le procès-verbal de constat découlant des opérations. Le détail de ses informations doit être suffisant pour écarter tout risque d’homonymie. Le tiers n’est donc plus un inconnu, mais une personne parfaitement identifiable et dont les données vont être communiquées, stockées et vérifiées. La première difficulté concerne l’utilisation et la conservation de ces données dans le temps.

Outre cette problématique juridique d’actualité, le cas des représailles doit également être évoqué. En effet, le tiers pourrait être victime, par suite de la communication de ses informations personnelles à la partie adverse, de violences, dans les cas les plus extrêmes. Il faut également envisager des atteintes plus ciblées comme la communication de ces informations sur le darknet ou à des tiers. Le tiers risque de se retrouver en situation délicate sans qu’on puisse le protéger, et pouvant même, dans certains cas, fonder une action en responsabilité de la personne ayant communiqué ses informations.

Par ailleurs, outre ses données personnelles dites réelles, se pose la question de celles afférentes à son identité numérique. En effet, seront également communiqués ses identifiants de compte sur les sites web visités, à l’exception de ses mots de passe naturellement. La connaissance de ces identifiants pourrait également donner lieu à des représailles visant à porter atteinte sa e-réputation, à l’annulation de son compte utilisateur, à la divulgation « malencontreuse » de ses informations personnelles, à des actes de malveillances sur ses futures commandes, et même des messages désobligeants sur les réseaux sociaux. Ces actes sont théoriquement répréhensibles, mais en pratique il sera difficile d’identifier clairement la source de la fuite.

2) L’opportunité d’une « pseudonymisation » sous contrôle d’huissier de justice

Pour lutter contre ces représailles, il pourrait tout simplement être fait usage de compte créé pour les besoins du constat, en préservant ainsi le « vrai compte » utilisateur du tiers, cependant la création de ce compte éphémère nécessitera malgré tout la communication de ses informations personnelles in fine.

Pour protéger notre tiers des écueils liés à sa participation aux constations, il doit donc être évoqué la possibilité de la pseudonymisation qui est définie par la CNIL comme « un traitement de données personnelles réalisé de manière qu’on ne puisse plus attribuer les données à une personne physique identifiée sans information supplémentaire ». En pratique, cela consisterait à désigner le tiers sous un pseudonyme pour lequel l’huissier de justice serait le seul, avec la partie demanderesse et son conseil, à pouvoir le rattacher à l’identité réelle du tiers. Bien entendu, cela n’exonère pas le tiers à répondre aux critères d’indépendance évoqués précédemment. Concernant l’adresse de livraison dans le cadre du constat d’achat, la jurisprudence est venue rappeler que la livraison en l’étude de l’huissier de justice est parfaitement autorisée, et valable « puisque le lieu de la livraison de la commande ne fait pas l’objet de constatations que ce soit au cours du constat d’achat ou lors du constat d’ouverture de pli qui le suit nécessairement » [4]. En ce sens, il a été jugé que la livraison au sein de l’étude d’huissier répond à un « souci légitime d’établir de façon incontestable la date de livraison et la provenance du colis » et ne permet pas de qualifier le constat de saisie-contrefaçon déguisée [5].

Bien entendu, afin de satisfaire au principe de loyauté de la preuve, et au droit à un procès équitable, il faut également prévoir un mode de communication de l’identité réelle à la partie adverse et au magistrat, dans le cadre d’une réquisition judiciaire et assortie d’une obligation de confidentialité sous peine de sanctions dissuasives.

La nécessité de protéger le tiers, et le mécanisme envisagé tendraient finalement à confier au commissaire de justice la garantie de la loyauté du procédé d’obtention de la preuve, du seul fait de sa présence. Cette garantie pourrait même permettre d’envisager le recours à des tiers moins « tiers » afin de protéger son secret professionnel, et garantir une plus grande discrétion de la procédure.

B. Les données personnelles du tiers, ses informations de paiement

À l’instar des données personnelles, la question des moyens et données de paiement est également centrale. Si le tiers a théoriquement l’obligation d’utiliser ses moyens de paiement personnels (1), doivent être envisagés des moyens de protéger ses données, tant les atteintes contre ces dernières sont importantes (2).

1) L’obligation d’utiliser ses moyens de paiement personnels

Dans le cadre du constat d’achat, une autre obligation pèse sur le tiers, celle de procéder à l’achat à l’aide de ses moyens de paiement personnels. Ainsi, il a été jugé que le commissaire de justice ne pouvait acheter lui-même le bien [6], ni même prêter sa carte bleue [7]. Pour la réalisation d’un achat physique, le paiement en espèces, dans les limites légales de montant autorisées, est envisageable et prémunit le tiers de tout appauvrissement même temporaire.

En revanche, le recours à la carte bleue devient obligatoire lorsque l’achat doit être réalisé sur internet. Dans ce cas, divers incidents et contraintes, propres au tiers, peuvent survenir : solde ou plafond insuffisant du compte/carte bancaire, période de l’année où l’usage de la carte est intensif… de sorte que l’atteinte du plafond dans le cadre du constat d’achat l’empêcherait de subvenir à ses propres besoins. Par ailleurs, il peut arriver que le montant de l’achat du produit dépasse les habitudes du tiers entraînant un blocage de la carte pour suspicion de fraude, ou nécessite simplement un virement préalable à ce dernier.

Il existe également un risque lié à l’acte de paiement à savoir le piratage de ses données bancaires. Le nombre de fraudes à la carte bancaire liées à des achats sur internet a explosé ces dernières années, et il n’est malheureusement pas rare que nous soyons amenés à procéder à des achats sur des sites internet à la réputation douteuse, et servant tout simplement à collecter des données bancaires. Là encore, le tiers est exposé à un risque dont nous ne pouvons le protéger. Bien entendu, si le site internet est identifié comme étant à risque, la pratique, la prudence et le bon sens, imposent au commissaire de justice de ne pas inviter le tiers à entrer la moindre donnée personnelle et à prévenir son client du risque et de l’impossibilité de procéder à l’achat.

2) L’opportunité d’une anonymisation sous contrôle du commissaire de justice

Pour les raisons évoquées ci-avant, il semble nécessaire de permettre à l’huissier de justice, dans le cadre de son constat, d’anonymiser totalement le moyen de paiement du tiers, voire d’utiliser un moyen de paiement dédié, par exemple une carte prépayée qu’il mettrait à disposition du tiers pour les besoins des constatations. À tout le moins, et dans la mesure du possible, le tiers devra utiliser une carte prépayée pour limiter les risques sur son moyen de paiement personnel principal.

L’impossibilité, pour le commissaire de justice, de mettre à disposition un moyen de paiement au tiers ne semble plus trouver de justification, puisqu’il n’utilise pas lui-même ledit moyen de paiement, et qu’il serait difficile d’invoquer un stratagème de ce seul fait, d’autant plus si l’utilisation est transparente et inscrite dans le procès-verbal. Par ailleurs, il est intéressant de rappeler que la Cour européenne impose aux États membres la mise en place et l’acceptation de moyen de preuve selon des procédures qui ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses, de sorte que cette prohibition n’ajoute qu’une forme de complexité.

Il semble également opportun, sous réserve de faisabilité, de favoriser le recours à des modes de paiement plus sécurisés comme PayPal. Bien entendu, cela induit qu’une préparation préalable ait pu être réalisée, et que le site internet concerné le permette.


[1] S. Dorol, JCl. Encyclopédie des Huissiers de Justice, Bloc Preuve, fasc. 30, v° « Les constats », n° 106.

[2] S. Dorol, La loyauté dans les constats Internet : rappel de mise en œuvre, Gaz. Pal., 2015, n° 318, p. 16, note ss. CA Paris, 5-4, 7 octobre 2015, n° 11/03744, inédit N° Lexbase : A9044SA9.

[3] Cass. civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-18.518, FS-P+B N° Lexbase : A7370MHG ; R. Perrot, obs., Procédures, 2014, comm. 133, p. 12.

[4] S. Dorol, note ss. CA Paris, 5-2, 25 septembre 2015, n° 14/15558 N° Lexbase : A8262SAA.

[5] CA Paris, 5-1, 25 octobre 2016, n° 15/05739, inédit N° Lexbase : A9572R9E.

[6] Cass. civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-18.518, FS-P+B N° Lexbase : A7370MHG.

[7] TGI Paris, 3e, 8 novembre 2011, n° 10/00437, inédit N° Lexbase : A2634H4C.

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