La lettre juridique n°886 du 2 décembre 2021

La lettre juridique - Édition n°886

Éditorial

[A la une] À l’appel des 3 000, prendre soin de la Justice

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N9573BY9

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par Dorothée Fayein-Bourgois, Avocate à Amiens et ancien Bâtonnier

Le 01 Décembre 2021

Ils sont désormais plus de 5 000 à avoir signé « l’appel des 3 000 » paru dans Le Monde le 23 novembre 2021 sous le titre « Nous ne voulons plus d’une Justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout ».

Les jours s’égrènent, les noms aussi, au bas de cette tribune.

Si nombreux, qu’on a renoncé à les compter, à parcourir la liste de ces magistrats et de ces greffiers, dont le mouvement dépasse celui du cœur, pour Charlotte, une jeune juge placée, dont le suicide, le 23 août 2021, provoque l’amorce de cette expression publique.

C’est un mouvement du corps (des corps) qui crie son amour pour la Justice en même temps que sa souffrance.

Chacun des commentateurs en a souligné le caractère singulier, inédit, traversant la diversité des sensibilités et des appartenances, venu de professionnels peu enclins à rendre publiques les difficultés qui sont les leurs - dans les détails de ces vies, des sacrifices consentis -, l’autorité s’accommodant mal d’explications et de complaintes.

Les mots sont forts : « violence du fonctionnement de notre institution », « face visible d’une Justice qui maltraite les justiciables », « souffrance éthique », « sentiment de perte de sens ».

Ce mouvement n’est pas une crise de foi ou des repères, mais exprime une profonde désespérance face à la crainte d’avoir à lâcher un jour, d’avoir à renoncer au serment prêté devant une cour d’appel.

Et cette souffrance infligée aux magistrats et aux greffiers doit être regardée avec courage, comme l’ont fait les auteurs de l’appel, car elle est, comme toute souffrance, génératrice d’autres souffrances infligées à d’autres acteurs, jusqu’aux justiciables.

En dépit de tout, de la réalité du quotidien décrit tour à tour par les juges aux affaires familiales, les juges civils de proximité, les juges des enfants, les juges correctionnels, les substituts du procureur, il est encore bien là, cet amour de la Justice. Elle est encore bien là cette conscience de la faim et de la soif de Justice des hommes, des femmes, des enfants, des entreprises de notre temps, de la nécessité d’offrir à la Justice un visage humain, de la qualité, de l’écoute et du temps qu’implique une décision attendue.

Quelle chance de constater que l’institution, les injonctions contradictoires, les temps courts, les innombrables réformes n’ont pas - encore - eu raison de cela ! Et de cela, nous avons l’obligation collective de prendre soin. De cette déclaration d’amour, de cette flamme, même un peu essoufflée, parce que malmenée par des brises glaciales, des vents violents ou les simples courants d’air qui s’engouffrent dans les bureaux des palais de Justice.

Car, non. La Justice n’est pas une machine qui se serait cassée et qu’on aurait réparée. Elle prend corps et visage dans ces hommes et ces femmes qui y engagent leur vie et leur temps, leur serment et leurs rêves, leur compétence et leur savoir-faire et -être, leur énergie et leur espérance, dans des contextes parfois éminemment difficiles et périlleux.

Comment ne pas songer, à cet égard, à celui provoqué par la pandémie de la covid-19, dès le début de l’année 2020 ?

Cette crise qui a interrogé et interroge encore les fondements de nos vies, la devise de notre République et la Justice, dans son fonctionnement et sa continuité.

Cette crise qui a évidemment mis en exergue l’indiscutable utilité que constituent les outils informatiques innovants, comme la procédure pénale numérique et la communication électronique pénale, mais qui a, plus encore, démontré avec éclat comme la mesure de la Justice est le sur-mesure.

Le sur-mesure n’est pas un luxe inatteignable dont la Justice n’aurait pas les moyens : il est une attention portée à chacun de ses acteurs, au plus près de leurs compétences, de leurs aspirations, de leurs contraintes, de leurs besoins. Il est un prendre soin ensemble de ce bien commun qu’est la Justice, et se satisfait mal des statistiques, des grandes messes, des états généraux, précurseurs et légitimateurs annoncés de énièmes réformes.

À cet égard, les courriers adressés au garde des Sceaux les 25 novembre et 26 novembre 2021, par les conférences nationales des premiers présidents et procureurs généraux d’une part, et les conférences nationales des présidents des tribunaux judiciaires et des procureurs de la République d’autre part, constituent un signe éminemment heureux de l’engagement et de la disponibilité des chefs de cour et de juridiction pour contribuer à répondre efficacement à cet appel des magistrats et greffiers, pour autant qu’on leur en donne les moyens, et la confiance ; ils constituent - avec les directeurs des services de greffe judiciaires - le bon échelon.

La confiance dans l’institution judiciaire ne se décrète ni ne se satisfait d’injonctions : elle se mérite.

La Justice n’est pas réparée, elle est encore souffrante (d’aucuns diront, à raison, #justicemalade), et a besoin qu’on prenne soin d’elle, au plus près, qu’on prenne soin de ses acteurs - tous -, des juridictions, qu’on se fie aux chefs de cour et de juridiction qui savent les ressources, les besoins, les contraintes dans chacun des territoires.

Et que la Nation lui accorde, au plus large, une protection, des moyens et toute sa reconnaissance.

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Droit pénal spécial

[Brèves] Violences intrafamiliales : l’effectivité des droits des victimes renforcée

Réf. : Décret n° 2021-1516, du 23 novembre 2021, tendant à renforcer l’effectivité des droits des personnes victimes d’infractions commises au sein du couple ou de la famille (N° Lexbase : L3341L9M)

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N9631BYD

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par Adélaïde Léon

Le 21 Décembre 2021

Publié au Journal officiel du 25 novembre 2021, le décret n° 2021-1516 est venu renforcer l’effectivité des droits des victimes de violences intrafamiliales et notamment la protection des mineurs. Il entrera en vigueur le 1er février 2022.

Justice restaurative. Les mesures de justice restaurative permettent à la victime et l’auteur d’une infraction de « participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction » (C. pén., art. 10-1 N° Lexbase : L9868I3U). Elles peuvent être proposées à l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, dès lors que l’auteur de l’infraction a reconnu les faits. Le présent décret vient ajouter deux alinéas à l’article D. 1-1-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2303LZC) aux termes desquels il est précisé que :

  • les mesures de justice restaurative pourront être mises en œuvre y compris si la prescription de l’action publique est acquise ;
  • le procureur de la République vérifiera si une mesure de justice restaurative est possible lorsqu’un classement sans suite, un non-lieu, une relaxe ou un acquittement auront été prononcés en raison de la prescription de l’action publique dans des procédures concernant des infractions sexuelles commises par des majeurs sur des mineurs dont la commission aura été reconnue.

Violences conjugales en présence d’un mineur. Le décret n° 2021-1516 prévoit par ailleurs la création d’un nouvel article D. 1-11-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4130L9T) selon lequel, en cas de violences conjugales, il appartient aux autorités judiciaires de vérifier si ces violences ont été commises en présence d’un mineur. Cette précision doit permettre au mineur d’être également considéré comme victime et non comme témoin des faits et de se constituer partie civile, le cas échéant, en étant représenté par un administrateur ad hoc.

Il appartient dans ces circonstances au procureur de la République de veiller à ce que figurent au dossier de la procédure dont est saisie la juridiction de jugement tous les éléments permettant d’apprécier l’importance du préjudice subi par le mineur, de se prononcer sur l’autorité parentale, les droits de visites et d’hébergement, « le cas échéant en versant au dossier des pièces émanant de procédures suivies devant le tribunal judiciaire, le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants, ou en requérant un examen ou une expertise psychologique du mineur ».

Copie du certificat d’examen médical. L’article D. 1-12 du Code de procédure pénal (N° Lexbase : L9255L38) fixe les modalités selon lesquelles les victimes de violences ont le droit de se voir remettre une copie du certificat d’examen médical lorsque celui-ci a été requis par un officier ou agent de police judiciaire, un magistrat ou une juridiction.

Le présent décret ajoute un alinéa VII précisant que lorsque l’examen concerne une victime mineure, le médecin n’a pas l’obligation de remettre une copie du certificat aux représentants légaux de la victime qui en font la demande s’il estime que cette communication pourrait être contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant, « notamment en cas de suspicion de violences intrafamiliales, ou si le mineur disposant d’un degré de maturité suffisant le refuse ».

Agrément des associations d’aides aux victimes. Le décret n° 2021-1516 prévoit la possibilité, pour les associations d’aide aux victimes spécialisées dans la prise en charge et l’accompagnement des victimes de violences conjugales et les violences sexuelles et sexistes d’obtenir un agrément pour assister les victimes de ces infractions.

Délit de non-représentation d’enfant. Un nouvel article D. 47-11-3 est inséré dans le Code de procédure pénal (N° Lexbase : L4127L9Q). Il prévoit que lorsqu’une personne mise en cause pour non-représentation d’enfant soutient que les faits qui lui sont reprochés ont été justifiés par des violences ou toutes autres infractions relevant de l’article 706-47 du Code de procédure pénale (infractions de nature sexuelle et certains crimes commis à l’encontre de mineurs) (N° Lexbase : L2564L4Q) commises par la personne qui a le droit de le réclamer, le procureur de la République veillera à ce que ces allégations soient vérifiées avant de décider de mettre ou non en mouvement l’action publique.

Dans l’hypothèse d’une citation directe, il appartiendra au procureur de s’assurer que le tribunal correctionnel dispose des éléments lui permettant d’apprécier la réalité de ces violences et l’application éventuelle des dispositions relatives à l’état de nécessité.

newsid:479631

Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] Inopposabilité à l’employeur de la prise en charge de la maladie professionnelle en raison du défaut de mention de la date de transmission du dossier au CRRMP

Réf. : Cass. civ. 2, 25 novembre 2021, n° 20-15.574, F-B (N° Lexbase : A96617CS)

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N9564BYU

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par Laïla Bedja

Le 01 Décembre 2021

► Il résulte des articles L. 461-1 (N° Lexbase : L5957LCM), D. 461-29 (N° Lexbase : L0591LQX) et D. 461-30 (N° Lexbase : L0590LQW) du Code de la Sécurité sociale qu'en cas de saisine d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), dont l'avis s'impose à la caisse, l'information du salarié, de ses ayants droit et de l'employeur sur la procédure d'instruction et sur les points susceptibles de leur faire grief s'effectue avant la transmission du dossier audit comité régional ; cette information précise la date à laquelle s'effectuera cette transmission.

Les faits et procédure. Un salarié a déclaré, le 7 novembre 2013, une maladie prise en charge, le 3 juin 2014, par la caisse primaire d’assurance maladie, après avis d’un CRRMP.

Contestant l’opposabilité de cette décision, l’employeur a saisi d’un recours une juridiction de Sécurité sociale.

La cour d’appel. Pour débouter l’employeur de sa demande, les juges du fond relèvent que par courrier du 10 mars 2014, réceptionné le 12 mars par l’employeur, la caisse l’a informé de la faculté dont il disposait de consulter le dossier. Ils retiennent notamment que le délai de dix-huit jours entre l’information de l’employeur et la transmission du dossier au comité est suffisant. Ils ajoutent que « la circonstance que le courrier susvisé n'ait pas fixé de date-butoir à la consultation par l'employeur est inopérant, et qu'elle est par ailleurs demeurée sans incidence sur l'exercice par l'employeur de ses droits, qui a procédé à la consultation dudit dossier dans les locaux de la caisse le 20 mars 2014 ».

Un pourvoi en cassation a alors été formé par l’employeur.

Cassation. Énonçant la solution précitée, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond.

Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : La procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle, L’instruction du dossier de reconnaissance de la maladie professionnelle, in Droit de la protection sociale, Lexbase (N° Lexbase : E17513BH), spéc. 4 - Information de la victime et de l'employeur du délai de la procédure.

newsid:479564

Avocats/Responsabilité

[Brèves] Devoir de conseil de l’avocat rédacteur d’acte : la clause claire dispense-t-elle d’informer sur ses conséquences ?

Réf. : Cass. civ. 1, 10 novembre 2021, n° 20-12.235, FS-B (N° Lexbase : A45037BE)

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N9417BYG

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par Marie Le Guerroué

Le 01 Décembre 2021

► L’avocat rédacteur d’acte est tenu à l’égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, d’une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les effets et les risques des stipulations convenues ; l’existence d’une clause claire dans l’acte ne le dispense pas de les informer sur les conséquences qui s’y attachent.

Faits et procédure. Par acte sous seing privé du 30 septembre 1997, rédigé par un avocat membre d’une société d’avocat, des époux avaient acquis l’ensemble des parts d’une société, qui exploitait un fonds de commerce dans le port de Saint-Laurent-du-Var, en vertu de deux contrats de concession de droit privé, conclus en 1985 et 1987 et renouvelés en 1994 et 1996 avec des porteurs d’actions d’une société chargée par la commune de l’établissement, de l’entretien et de l’exploitation du port. Le 21 juin 2000, un des clients avait été, en qualité de représentant de la société, informé, par la préfecture des Alpes-Maritimes, qu’il était occupant sans droit ni titre, depuis le 17 mai 2000, du domaine public portuaire concédé à la commune et invité à enlever des installations. Une ordonnance de référé du 11 octobre 2000 a constaté l’acquisition de la clause résolutoire du contrat d’occupation, ordonné l’expulsion de la société et prononcé une condamnation au titre de redevances impayées. Un jugement du 5 septembre 2008, confirmé par un arrêt du 17 décembre 2010, a rejeté l’action en nullité de l’acte de cession des parts sociales engagée par les époux. Reprochant à l’avocat d’avoir manqué à ses obligations de conseil, d’information et de mise en garde, en ne les alertant pas sur le caractère précaire des concessions de cellules situées sur le domaine public, les époux l’ont assigné en responsabilité et indemnisation.

En cause d’appel. Pour écarter tout manquement de l’avocat à son devoir de conseil, l’arrêt retient qu’il résulte des actes de concession annexés à l’acte de vente des parts sociales, par lui dressé, que les lieux dans lesquels la société exploitait le fonds de commerce étaient situés sur le domaine public et que, même si certaines dispositions se référaient à la notion de bail, la dénomination de ces actes annexés était claire, de sorte que les clients avaient été informés des limites de leurs droits.

Réponse de la Cour. La Cour répond au visa de l’article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L0866KZ4), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK). Elle énonce qu’il résulte de ce texte que l’avocat rédacteur d’acte est tenu à l’égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, d’une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les effets et les risques des stipulations convenues et que l’existence d’une clause claire dans l’acte ne le dispense pas de les informer sur les conséquences qui s’y attachent. Dès lors, pour la Cour de cassation, en se déterminant ainsi, sans rechercher si l’avocat avait spécialement mis en garde les clients, qui acquéraient la totalité des parts de la société, sur les risques que comportait l’exploitation par celle-ci d’un fonds de commerce présentant de telles spécificités, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.

Cassation. La Cour casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d’Aix-en-Provence.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La responsabilité civile professionnelle de l'avocat, L'avocat tenu d'assurer la validité de l'acte, in La profession d’avocat, (dir. H. Bornstein), Lexbase (N° Lexbase : E40293RN).

 

newsid:479417

Contrats et obligations

[Jurisprudence] La place du mandant dans le dol commis par le mandataire

Réf. : Cass. mixte, 29 octobre 2021, n° 19-18.470, B+R (N° Lexbase : A52057AZ)

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N9611BYM

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par Quentin Prim, Docteur en droit, Université de Bordeaux

Le 01 Décembre 2021


Mots-clés : mandat • mandant • mandataire • dol • manœuvres dolosives • responsabilité • faute personnelle • responsabilité du fait d’autrui • représentation

Le mandant n'engage sa responsabilité envers le tiers du fait des agissements dolosifs de son mandataire qu'à la condition d'avoir personnellement participé aux manoeuvres.


 

La Cour de cassation vient de mettre un terme à un débat doctrinal et jurisprudentiel de manière particulièrement éclairante et pertinente. Le recours à la Chambre mixte permet d’enfin asseoir une solution stable à la question de la responsabilité du mandant pour le dol commis par son mandataire.

À l’origine des faits, plusieurs personnes se partagent le capital d’une société. Parmi elles se trouvent M. W., l’ancien dirigeant de la société, qui possède 45 % des parts, et des membres de sa famille, qui en détiennent 20 %. La société est en cours de cession, et pour faciliter les choses, les proches de M. W. lui donnent mandat pour s’occuper du transfert de leurs parts. Après la signature du contrat, le cessionnaire apprend que le directeur général actuel de la société prévoit de partir, ce qui aurait selon lui un impact négatif sur le prix des actions et le chiffre d’affaire de la société. Or, M. W. était au courant de ce projet de départ. Le cessionnaire y voit un dol de sa part, et l’assigne, ainsi que les autres associés, en annulation du contrat et en paiement de dommages et intérêts. Par la suite, le demandeur renonce à l’action en nullité et se limite à demander réparation.

La cour d’appel de Paris reconnaît l’existence du dol et condamne M. W. à payer 400 000 euros de dédommagement au cessionnaire. Elle rejette cependant la condamnation des membres de la famille de M. W. au motif qu’aucun élément ne démontrait que ces derniers avaient participé aux manœuvres dolosives. Le cessionnaire se pourvoit en cassation, considérant, parmi d’autres moyens inopérants, que la cour d’appel a violé l’article 1998 (N° Lexbase : L2221ABU) du Code civil en ne condamnant pas les mandants à réparer le préjudice issu du dol, dans la mesure où celui-ci a été réalisé dans les limites des pouvoirs conférés au mandataire.

La question posée à la Cour était la suivante : le mandant est-il automatiquement responsable du dol commis par le mandataire, ou doit-il pour cela avoir commis une faute personnelle ?

Saisie de ce pourvoi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation préfère renvoyer l’affaire devant la Chambre mixte, en raison des ambiguïtés constatées dans les décisions des différentes chambres sur cette question. La solution qui en ressort est on ne peut plus claire et étayée. Rappelant d’abord que la victime du dol dispose d’une option entre l’action en nullité et l’action en réparation et que le mandant est contractuellement responsable en cas d’inexécution des engagements contractés en son nom, la Cour poursuit en déclarant que « les manœuvres dolosives du mandataire, dans l'exercice de son mandat, n'engagent la responsabilité du mandant que s'il a personnellement commis une faute, qu'il incombe à la victime d'établir. » Elle en conclut qu’en l’espèce, aucune faute de la part des mandants n’étant démontrée, leur responsabilité ne pouvait être engagée.

Cette solution fait suite à des divergences jurisprudentielles et doctrinales. Si les décisions de la Chambre commerciale semblent plutôt stables et admettent l’engagement de la responsabilité du mandant indépendamment de la faute commise [1], celles des chambres civiles sont plus équivoques [2]. Deux décisions récentes de la troisième chambre civile ont concentré les commentaires et les critiques : une première en 2018, par laquelle elle se rangeait derrière la solution de la Chambre commerciale [3] ; et une seconde il y a quelques mois, qui refusait l’engagement de la responsabilité du mandant pour la faute commise par le mandataire [4]. Dans la doctrine, deux opinions se distinguent : les partisans d’une responsabilité sans faute du mandant, et ceux qui défendent l’application classique de la responsabilité du fait personnel. L’avis de l’avocat général préconisait le premier choix. À l’inverse, la Cour a ici pris parti de manière éclatante pour la seconde proposition (II), rejetant la première (I).

I. L’exclusion d’une responsabilité automatique du mandant en raison du dol du mandataire

L’avocat général voyait dans l’arrêt de 2018 une harmonisation bienvenue de la jurisprudence sur cette question, qu’il appartenait à la Chambre mixte de conforter. Son raisonnement reposait sur deux justifications, partagées par une partie de la doctrine : la possibilité pour le mandataire de représenter le mandant au travers de faits juridiques (A) et la reconnaissance d’une nouvelle responsabilité du fait d’autrui (B). La Cour a rejeté ces deux idées.

A. Le rejet de la représentation des faits juridiques

Le débat théorique sur la nature de la représentation et ses liens avec le mandat est un marronnier des juristes. Limitons-nous simplement à un aspect de ce débat : la représentation des faits juridiques. Pour rappel, la représentation consiste en l’imputation dérogatoire des effets d’un acte. Plus clairement, le représenté est engagé par les actes accomplis par le représentant auprès des tiers, contrairement au principe selon lequel on ne peut s’engager que par soi-même [5]. La majorité de la doctrine, confortée par les textes du Code civil [6], considère qu’elle ne peut s’accomplir que par des actes juridiques [7]. Pour certains auteurs, il ne fait pourtant aucun doute que la représentation peut avoir pour objet des actes matériels [8]. Plusieurs décisions portant sur le dol du mandataire semblaient d’ailleurs aller en ce sens, retenant pour statuer que le mandataire était resté dans les limites de ses pouvoirs [9]. C’est donc l’argument retenu par le demandeur au pourvoi, qui invoque l’article 1998 du Code civil (N° Lexbase : L2221ABU). Celui-ci dispose que « le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné. » Ainsi, le mandant serait engagé non seulement par les actes juridiques conclus par le mandataire, mais également par les faits qu’il réalise pour atteindre son objectif [10].

Cette argumentation n’est cependant pas convaincante, et n’a pas emporté l’adhésion de la Chambre mixte. Les exemples de faits juridiques objets d’une représentation cités par les adeptes de cette position ne sont en réalité pas des cas de représentation mais des situations dérogatoires dans lesquelles une personne est tenue responsable pour le fait d’une autre, en raison de l’application de l’article 1242 du Code civil (N° Lexbase : L0948KZ7) [11]. Dans la très grande majorité des cas, le représentant n’engage pas le représenté par ses actes matériels. Cette solution protège tous les représentés qui ne se trouvent pas dans un rapport de force favorable avec leur représentant. Pensons notamment aux enfants mineurs ou aux personnes sous tutelle. Serait-il vraiment pertinent d’admettre qu’elles sont responsables de toutes les malversations commises par leur représentant parce qu’elles l’ont été dans leur intérêt ? Il convient mieux de conclure que la représentation ne peut avoir pour objet que des actes juridiques [12]. Se pose cependant la question d’étendre la responsabilité du fait d’autrui au mandant en raison du dol commis par son mandataire.

B. Le rejet d’une nouvelle responsabilité du fait d’autrui

Plusieurs auteurs ont soutenu que la jurisprudence relative au dol commis par le mandataire démontrait l’existence d’une responsabilité du fait d’autrui. Ce mécanisme, prévu à l’article 1242 du Code civil, permet à la victime d’un dommage d’exiger réparation auprès d’une autre personne que celle qui a réalisé le fait générateur, cette dernière pouvant ou non être cumulativement responsable. Le but est double : accorder une faveur à la victime en lui permettant de s’adresser à la personne supposée être la plus solvable [13] ; et s’attaquer à celui qui est supposé être indirectement à l’origine du dommage, dans la mesure où il exerçait une autorité sur l’auteur [14] ou qu’il bénéficiait du résultat de son action [15]. Mais la responsabilité du fait d’autrui a un champ d’application limité. Faut-il l’étendre au dol commis par le mandataire ?

Une partie de la doctrine préconise d’appliquer ce mécanisme à toute faute commise par le mandataire dans l’exercice de ses fonctions [16]. Ces auteurs se fondent sur la théorie du risque-profit : puisque le mandant bénéficie in fine de l’action du mandataire, tout comportement illicite de ce dernier qui avait pour but de remplir sa mission peut lui être rattaché. C’est d’ailleurs ce qu’exprime l’arrêt de 1998 de la troisième chambre civile [17]. M. Cohet-Cordey fonde cette solution sur le principe général de responsabilité du fait d’autrui de l’article 1242, alinéa 1, du Code civil [18]. Mais outre le fait que cette solution n’est pas conforme au droit positif [19], elle est en réalité peu pertinente et dangereuse. Elle suppose, en effet, d’une part que le mandataire est moins solvable que le mandant, et d’autre part que le second exerce une forme d’autorité sur le premier. Or, le mandat est un contrat d’utilisation bien trop générale pour en déduire ces deux caractéristiques. Prenons l’exemple d’un conseiller en gestion de patrimoine qui se permettrait, à l’insu de ses clients, de violer des obligations légales, per exemple en réalisant une fraude fiscale ou en finançant des activités illicites. Il serait injuste de faire peser la faute sur ses clients. Parmi eux peuvent figurer des mineurs ou des personnes protégées, dont le patrimoine est limité au regard de celui du mandataire professionnel. Dans le cas d’espèce, les mandants sont des membres de la famille de l’auteur du dol qui n’ont vraisemblablement pas de lien avec la société ni avec le monde des affaires en général, tandis que le mandataire est l’ex-dirigeant de la société.

D’autres auteurs ne vont donc pas jusqu’à reconnaître l’existence d’une responsabilité générale du mandant du fait du mandataire, mais uniquement une responsabilité spéciale relative au dol commis par le mandataire [20]. Elle serait fondée sur l’article 1137 du Code civil (N° Lexbase : L1978LKH) et la faculté donnée à la victime d’exiger à la fois la nullité de l’acte et la réparation de son préjudice. Ces deux actions seraient soumises aux mêmes conditions, à savoir la réalisation du dol, indépendamment d’une faute commise ou non par le mandant. La décision de 2018 consacrait cette interprétation [21]. Or, le nouvel article 1178 du Code civil (N° Lexbase : L0900KZD) précise bien que ces deux actions sont indépendantes l’une de l’autre, et ne sauraient donc être soumises au même régime [22]. La Cour de cassation rappelle cette évidence dans la solution d’espèce, mentionnant expressément les articles 1137 et 1178 du Code civil, ainsi que les textes relatifs à la responsabilité du fait personnel. Elle écarte explicitement toute responsabilité du fait d’autrui, rappelant que la responsabilité des mandants « ne pouvait être engagée du seul fait d'avoir donné mandat à M. W. de céder leurs actions ». Le rejet de toute responsabilité du fait d’autrui en matière de mandat doit être salué. Il implique l’application classique de la responsabilité pour faute personnelle.

II. La confirmation d’une responsabilité pour faute personnelle du mandant

La Chambre mixte prend clairement position en faveur d’une responsabilité pour faute personnelle du mandant. Elle précise même en quoi consiste le comportement fautif d’un mandant à l’égard du dol commis par son mandataire (A). Le régime applicable est alors tout à fait classique (B).

A. La participation aux manœuvres dolosives comme fait générateur

Rappelons tout d’abord que le fait que le dol n’ait pas été commis directement par la partie contractante (le mandant) n’a aucune incidence sur sa reconnaissance, malgré le principe selon lequel le dol doit émaner du cocontractant [23] . La solution, jurisprudentielle à l’origine [24], a été consacrée dans la loi à l’article 1138 du Code civil. Il est par conséquent inutile de soulever ce point pour soustraire le mandant à sa responsabilité. En revanche, il est pertinent d’aborder son comportement vis à vis de l’action du mandataire.

L’expression exacte de la Cour est la suivante : « aucun élément ne permettait d'établir que l'épouse et les enfants du mandataire avaient personnellement participé aux arrangements dolosifs, ce dont il résultait qu'aucune faute de leur part n'était démontrée ». À suivre ce raisonnement, la faute du mandant consisterait en la participation aux manœuvres dolosives réalisées par le mandataire. Ce choix n’a en réalité rien d’étonnant. On le retrouve dans d’autres régimes d’intermédiation, comme en matière de groupes de sociétés [25]. La lecture des arrêts antérieurs des chambres civiles démontre bien l’attraction qu’opérait déjà cette solution. Beaucoup font référence au comportement du mandant pour justifier sa sanction [26]. Les fautes reprochées correspondent à ce que M. Le Tourneau appelle des culpa in eligendo (faute dans le choix du mandataire) et culpa in vigilendo (faute dans la surveillance de l’action du mandataire) [27]. Quoi qu’il en soit, elles nécessitent de la part du mandant une connaissance des manœuvres exercées par le mandataire, et une absence d’opposition. La « participation » du mandant n’a donc pas à être nécessairement active. C’est pourquoi la Cour cite à la fois les articles 1240 et 1241 du Code civil, le second étant relatif au quasi-délit.

La défense d’un mandant accusé d’être responsable du dol de son mandataire doit alors se concentrer sur sa faculté à connaître les agissements de ce dernier. La solution est cependant favorable au mandant, dans la mesure où la charge de la preuve pèse sur celui qui invoque sa responsabilité, ce que rappelle la Cour de cassation. La difficulté à prouver sa connaissance du dol est compensée par la possibilité de prouver sa négligence, en démontrant qu’il aurait dû avoir conscience de la situation. Cette solution permet une certaine souplesse et l’adaptation de la décision en fonction de la qualité des parties. Ainsi, un mandant professionnel ou ayant l’ascendant sur son mandataire sera plus facilement reconnu coupable de négligence que le client profane d’un mandataire aguerri.

B. L’application du régime classique de la responsabilité délictuelle

Mise à part la spécificité relative du fait générateur, le reste du régime applicable est tout ce qu’il y a de plus classique. La Cour se félicite, à travers son communiqué, d’appliquer les nouveaux textes en plus de citer les anciens et « entend ainsi faciliter, pour l’avenir, l’interprétation de sa jurisprudence par les praticiens du droit ».

On pourrait cependant s’étonner de l’application de la responsabilité délictuelle, alors que le contrat n’a pas été annulé. Ce choix est justifié par le fait que les manœuvres dolosives ont été réalisées durant la période précontractuelle [28]. Par ailleurs, appliquer la responsabilité contractuelle empêcherait d’exiger une faute de la part du mandant, la reconnaissance du dol étant suffisante.

Pour finir, il convient d’attirer l’attention des praticiens sur le fait que les actions en nullité et en responsabilité étant indépendantes, le principe de concentration des moyens impose de les soulever toutes deux dès la première instance, quitte à abandonner par la suite l’action en nullité comme l’a fait le demandeur en l’espèce [29]. Sinon, la demande de réparation risque d’être rejetée.

 

[1] Cass. com., 2 mars 1976, n° 74-12.489, publié au bulletin (N° Lexbase : A73297DS) ; Cass. com., 24 mai 1994, n° 92-14.344, publié au bulletin (N° Lexbase : A6940ABN) ; Cass. com., 13 décembre 2016, n° 15-15.092, F-D (N° Lexbase : A2363SXS) ; CCC 2017. comm. n° 48, obs. L. Leveneur.

[2] Cass. civ. 1, 23 mai 1977, n° 76-10.716, publié au bulletin (N° Lexbase : A3259AGS) ; Cass. civ. 3, 29 avril 1998, n° 96-17.540, publié au bulletin (N° Lexbase : A2789ACB), AJDI 491, étude F. Cohet-Cordey ; RDI 1998. 386, obs. J.-C. Groslière et C. Saint-Alary-Houin ; RTD civ. 1998. 930, obs. P.-Y. Gautier ; RTD civ. 1999. 89, obs. J. Mestre ; Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 15-14.192, F-D (N° Lexbase : A5574RTM) ; Cass. civ. 3, 23 février 2017, n° 15-29.503, F-D (N° Lexbase : A5574RTM), AJCA 2017, p. 225, obs. T. de Ravel d'Esclapon.

[3] Cass. civ. 3, 5 juillet 2018, n° 17-20.121, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0005XW4), D. 2018. 1489 ; AJDI 2019. 235, obs. F. Cohet ; AJ contrat 2018. 422, obs. N. Dissaux ; RTD civ. 2018. 883, obs. H. Barbier ; ibid. 911, obs. P. Jourdain ; RJDA 10/28 n° 715.

[4] Cass. civ. 3, 15 avril 2021, n° 19-20.424, FS-P (N° Lexbase : A80634PC) ; D. 2021. Actu. 799 ; JCP E 2021, n° 1249 ; BRDA 2021, n° 14, p. 15. Précisons que cet arrêt ne concernait pas un dol mais une faute délictuelle classique.

[5] P. Didier, De la représentation en droit privé, Paris, LGDJ, coll. BDP, 2000, n° 178.

[6] Les articles 1154 (N° Lexbase : L0859KZT) et 1161 (N° Lexbase : L1979LKI) du Code civil mentionnent le verbe « contracter », qui ne peut faire référence qu’à un acte juridique.

[7] M. Storck, Essai sur le mécanisme de la représentation dans les actes juridiques, Paris, LGDJ, coll. BDP, 1982, n° 259 et s. ; G. Wicker, Les fictions juridiques : Contribution à l’analyse de l’acte juridique, Paris, LGDJ, coll. BDP, 1997, n° 46 ; P. Le Tourneau, « Mandat », Rép. civ. Dalloz, 2021, n° 73 et s..

[8] J. Ghestin, C. Jamin, M. Billiau, Traité de droit civil : Les effets du contrat, Paris, LGDJ, 3ème éd., 2001, n° 929 et s. ; N. Dissaux, La qualification d’intermédiaire dans les relations contractuelles, Paris, LGDJ, coll. BDP, 2007, n° 406 ; N. Mathey, « Représentation », Rép. civ. Dalloz, 2018, n° 23 et s..

[9] Cass. civ. 3, 29 avril 1998, préc. ; Cass. civ. 3, 23 février 2017, n° 15-29.503, F-D (N° Lexbase : A2429TPN).

[10] P.-Y. Gauthier, Le mandant est engagé́ par le dol de son mandataire peu scrupuleux mais fidèle, RTD civ., 1998, p. 930.

[11] V. notamment N. Mathey, « Représentation », Rép. civ. Dalloz, 2018, n° 24. L’auteur cite également la possibilité de représenter le possesseur d’un bien dans la détention de celui-ci.

[12] Dans ce sens : H. Barbier, Du dol émanant des cocontractants des parties au contrat litigieux, RTD civ. 2018, p. 883, qui parle d’une « instrumentalisation de la représentation » concernant l’arrêt de 2018.

[13] D. Mazeaud, Autorité du commettant et responsabilité : approche de droit civil, RLDC, 2008, n° 51 ; J. Julien, « Responsabilité du fait d’autrui », Rép. civ. Dalloz, 2020, n° 8.

[14] A. Vignon-Barrault, L’autorité, critère d’identification du responsable, RLDC, 2008, n° 51 ; D. Mazeaud, art. préc. ; J. Julien, « Responsabilité du fait d’autrui », Rép. civ. Dalloz, 2020, n° 13.

[15] P. Malinvaud, M. Mekki, J.-B. Seube, Droit des obligations, Paris, LexisNexis, 15ème éd., 2019, n° 675 et s. ; J. Julien, « Responsabilité du fait d’autrui », Rép. civ. Dalloz, 2020, n° 105 et s..

[16] F. Cohet-Cordey, « Représentation et faute délictuelle du mandataire », AJDI, 1999, p. 491 ; A. Gilson, Mandat et responsabilité civile, Reims, thèse de doctorat, 2013.

[17] Cass. civ. 3, 29 avril 1998, préc..

[18] F. Cohet-Cordey, art. préc..

[19] La responsabilité du mandant peut toutefois être engagée sur le fondement de l’article 1242, alinéa 5, du Code civil, en tant que commettant, si les conditions sont réunies (Cass. civ., 4 décembre 1945 ; JCP 1946. II, 3110, note J. R. ; Cass. civ. 1, 5 octobre 1955 ; Gaz. Pal. 1955. 2. 345 ; Cass. civ. 1, 27 mai 1986, n° 84-16.420, (N° Lexbase : A4798AAX), ce qui arrive rarement dans la mesure où le mandataire est censé agir de manière indépendante. Ainsi, si aucun lien de subordination ne peut être reconnu, le mandant n’est pas responsable pour la faute commise par le mandataire (Cass. civ. 1, 5 octobre 1955, préc.).

[20] B. Petit, S. Rouxel, J.-Cl. Civil Code, Art. 1137 à 1139, n° 96 et s. C’est la solution que préconise l’avocat général dans son avis.

[21] Cass. civ. 3, 5 juillet 2018, préc. V. M. Mekki, Les contours flous de la représentation en matière de dol, JCP N, 14 juin 2019, p. 26. Pour une critique, v. P. Jourdain, Les manœuvres dolosives du représentant engagent la responsabilité́ du représenté, RTD civ. 2018, p. 911 ; L. Leveneur, Une curieuse responsabilité́ pour dol d'un représentant et une intéressante limite au devoir de vérification du notaire, JCP N, 2019, 1168.

[22] P. Jourdain, Le dol du mandataire n'engage la responsabilité du mandant qu'à la condition de prouver sa faute, JCP G, 2021, 1197. Dans ce sens déjà, v. C. Atias, La victime de manœuvres dolosives peut exercer une action en responsabilité́ délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du préjudice qu'elle a subi, D. 1995. 180 ; Y.-M. Laithier, Le bouleversement des conditions de l’action en responsabilité́ civile en cas de réticence dolosive, RDC 2011, p. 1148.

[23] Cass. com., 27 novembre 2001, n° 99-17.568, inédit au bulletin (N° Lexbase : A2874AXQ) ; CCC, 2002, comm. 45, note L. Leveneur.

[24] Cass. Req., 30 juillet 1895 ; DP 1896, 1, p. 132.

[25] La société-mère n’est tenue responsable des agissements de sa filiale que si elle s’est immiscée dans sa gestion. Sur ce sujet, v. B. Grimonprez, Pour une responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales, Rev. Soc., 2010, p. 715 ; J. Schmeidler, La responsabilité de la société mère pour les actes de sa filiale, D. 2013, p. 584. De même en matière de franchise : P. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2021, n° 3352.292.

[26] Cass. civ. 1, 23 mai 1977, préc. : manque de contrôle ; Cass. civ. 3, 29 avril 1998, préc. : connaissance des informations fallacieuses ; Cass. civ. 1, 15 juin 2016, préc. : connaissance des tenants et aboutissants de la situation ; Cass. civ. 3, 23 février 2017, préc. : aucune réserve sur le comportement du mandataire.

[27] P. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, op. cit., n° 3321.403 ; « Mandat », Rép. civ. Dalloz, 2021, n° 356.

[28] N. Dissaux, Variations sur la faute dolosive, AJ contrat, 2018, p. 422.

[29] Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-14.704, F-D (N° Lexbase : A5526NMM) ; RTD civ. 2015, p. 867, obs. H. Barbier. B. Petit, S. Rouxel, J.-Cl. Civil Code, Art. 1137 à 1139, n° 97.

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Droit rural

[Brèves] Litiges en matière de relations commerciales agricoles : la médiation obligatoire ne fait pas obstacle à une procédure d’urgence !

Réf. : Cass. civ. 1, 24 novembre 2021, n° 20-15.789, FS-B (N° Lexbase : A78297CX)

Lecture: 4 min

N9635BYI

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 01 Décembre 2021

En cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent, les dispositions de l'article L. 631-28 du Code rural et de la pêche maritime instituant une procédure de médiation obligatoire et préalable ne font pas obstacle à la saisine du juge des référés.

Faits et procédure. Le litige opposait une société coopérative agricole (SCA) spécialisée dans l'achat, l'abattage et la découpe de porc, et sa filiale, qui fabriquait de la charcuterie, à une société qui préparait et vendait des produits alimentaires ; les sociétés étaient en relations d'affaires depuis 2011. Le 8 juillet 2019, la société qui vendait les produits alimentaires avait assigné la coopérative et sa filiale devant le juge des référés aux fins de voir constater la rupture brutale des relations commerciales et ordonner leur poursuite pour une durée de douze mois avec obligation de renégocier de bonne foi les prix. Les sociétés assignées avaient opposé, en l'absence de médiation préalable, l'irrecevabilité des demandes de la société les ayant assignées.

Procédure de médiation obligatoire (C. rur., art. L. 631-28). L'alinéa premier de l’article L. 631-28 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L6237L8I) prévoit, en effet, que « Tout litige entre professionnels relatif à la conclusion ou à l'exécution d'un contrat ou d'un accord-cadre mentionné à l'article L. 631-24 ayant pour objet la vente de produits agricoles ou alimentaires doit, préalablement à toute saisine du juge, faire l'objet d'une procédure de médiation par le médiateur des relations commerciales agricoles et, en cas d'échec de la médiation, d'une saisine du comité de règlement des différends commerciaux agricoles mentionné à l'article L. 631-28-1, sauf si le contrat prévoit un autre dispositif de médiation ou en cas de recours à l'arbitrage et sauf pour certaines filières, dont la liste est définie par décret, pour lesquelles des modes alternatifs de règlement des différends ont été mis en place. »

Procédure d’urgence/trouble manifestement illicite. Ainsi que l’indique la Cour de cassation dans le présent arrêt, en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent, les dispositions de l'article L. 631-28 du Code rural et de la pêche maritime instituant une procédure de médiation obligatoire et préalable ne font pas obstacle à la saisine du juge des référés. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel de Paris (CA Paris, 1, 3, 12 février 2020, n° 19/14608 N° Lexbase : A60373EC) avait retenu que ces dispositions ne privaient pas la société en cause de la faculté de saisir le juge des référés sur le fondement de l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0850H4A).

Ainsi que l’avait relevé la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 12 février 2002, en l'absence d'un quelconque préavis de rupture, et alors même que les relations commerciales existaient entre les parties depuis 2011 et que la grille tarifaire adoptée par les parties avait été très récemment actualisée le 9 mai 2019 avec effet au 1er juin 2019, la rupture partielle brutale de la relation commerciale établie se trouve caractérisée. Dès lors qu'il n'était pas discuté que la société coopérative était le fournisseur exclusif de la société demanderesse, les conditions de la rupture ont été constitutives d'un trouble manifestement illicite et ont été de nature à causer à la société un dommage imminent. Le juge des référés n’avait ainsi fait qu'user du pouvoir que lui confère l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile, lorsqu'il a adopté, comme mesure conservatoire, la poursuite des effets du contrat aux conditions acceptées par la victime de la rupture brutale.

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Élections professionnelles

[Brèves] Contestation de la validité d’un protocole préélectoral contraire à l’ordre public

Réf. : Cass. soc, 24 novembre 2021, n° 20-20.962, F-B (N° Lexbase : A78257CS)

Lecture: 3 min

N9557BYM

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par Charlotte Moronval

Le 01 Décembre 2021

► Un syndicat, qui, soit a signé un protocole préélectoral, soit a présenté des candidats sans émettre de réserves, ne saurait, après proclamation des résultats des élections professionnelles, contester la validité du protocole d’accord préélectoral et demander l’annulation des élections, quand bien même invoquerait-il une méconnaissance par le protocole préélectoral de règles d’ordre public.

Faits et procédure. Une société et plusieurs syndicats signent un protocole d'accord préélectoral, dans le cadre de la mise en place d'un comité social et économique au sein de la société.

Le premier tour des élections s'est déroulé et les résultats ont été proclamés le même jour.

Un des syndicats saisit le tribunal judiciaire aux fins d'annuler le protocole d'accord préélectoral ainsi que le premier tour des élections des membres au CSE. L'employeur et les deux autres organisations syndicales représentées soulèvent l'irrecevabilité de ces demandes, présentées par un syndicat ayant signé le protocole et participé aux élections en présentant des candidats sans réserve.

Pour déclarer recevable l'action du syndicat alors qu'il n'était pas contesté que le protocole d'accord préélectoral répondait aux conditions de validité fixées par l'article L. 2314-6 du Code du travail (N° Lexbase : L8504LG3), le tribunal judiciaire, après avoir constaté que le syndicat a signé le protocole d'accord et présenté des candidats lors du premier tour des élections sans émettre de réserves, retient que les demandes du syndicat sont fondées sur le fait que le protocole ne respecte pas un principe général du droit électoral.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel.

Elle rappelle que, sauf dispositions législatives contraires, la validité du protocole d'accord préélectoral conclu entre l'employeur et les organisations syndicales intéressées est subordonnée à sa signature par la majorité des organisations syndicales ayant participé à sa négociation, dont les organisations syndicales représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles ou, lorsque ces résultats ne sont pas disponibles, la majorité des organisations représentatives dans l'entreprise.

Lorsque le protocole d'accord préélectoral répond à ces conditions, il ne peut être contesté devant le juge judiciaire qu'en ce qu'il contiendrait des stipulations contraires à l'ordre public, notamment en ce qu'elles méconnaîtraient les principes généraux du droit électoral.

Pour en savoir plus : 

  • Revirement de jurisprudence. V. not. Cass. soc., 6 octobre 2011, n° 11-60.035, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6121HYD) et Cass. soc., 22 octobre 2014, n° 14-60.123, F-D (N° Lexbase : A0445MZI)
    • V. ÉTUDE : L’organisation des élections des membres de la délégation du personnel au comité social et économique, Les conditions de validité du protocole d’accord préélectoral, in Droit du travail, Lexbase ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 44177348, "corpus": "encyclopedia"}, "_target": "_blank", "_class": "color-encyclopedia", "_title": "Les conditions de validit\u00e9 du protocole d'accord pr\u00e9\u00e9lectoral", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: E2085GAH"}}).

newsid:479557

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Nouvelle décision du Conseil d’État sur la requalification des gains dans le cadre d’un management package

Réf. : CE 8° ch., 17 novembre 2021, n° 439609, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A03797CZ)

Lecture: 5 min

N9592BYW

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par Marie-Claire Sgarra

Le 03 Décembre 2021

Le Conseil d’État a, dans un arrêt du 17 novembre 2021, requalifié des plus-values d’intéressement réalisées par des cadres en traitement et salaires.

Les faits :

  • le fonds d'investissement britannique LC a acquis en juin 2004, par l'intermédiaire de la société Materne Luxembourg Holdco, société de droit luxembourgeois créée à cet effet, la totalité des parts de la SAS Holding Materne contrôlant la société Materne BOIN Holding France, tête d'un groupe opérationnel ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de compotes de fruits, confitures et biscuits ;
  • en amont de la cession de Materne BOIN Holding France au fonds d'investissement Activa Capital survenue en novembre 2006, a été créée une société, la SAS Materne et Cie, en vue de faire bénéficier des cadres du groupe Materne d'un intéressement au capital du groupe ;
  • le directeur d'usine au sein de la SAS Materne a souscrit des actions de la SAS Materne et Cie ; cette société, ayant elle-même acquis 2 030 050 bons de souscription d'action (BSA) émis le 3 octobre 2006 par la SAS Holding Materne pour un prix de 0,10 euro par BSA, a été rachetée dans son intégralité le 19 janvier 2007 par Materne Luxembourg Holdco au prix de 9,667 euros par action ;
  • à la suite d'un contrôle portant sur les revenus de l'année 2007 de l'intéressé, après avoir estimé qu'aucun élément ne mentionnait la cession des titres litigieux, l'administration a regardé les gains résultant de cette opération comme une rémunération supplémentaire occulte imposable entre les mains du requérant au titre des revenus de capitaux mobiliers ;
  • le tribunal administratif de Lyon, après avoir fait droit à la demande de substitution de base légale formulée par l'administration fiscale visant à maintenir les impositions en litige au titre des traitements et salaires, a prononcé la décharge des pénalités pour manquement délibéré et rejeté le surplus de la demande ;
  • la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l’appel du requérant (CAA Lyon, 19 décembre 2019, n° 18LY04724 N° Lexbase : A72493AQ).

🔎 Principes :

  • les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu (CGI, art. 79 N° Lexbase : L1669IPI) ;
  • pour la détermination des bases d'imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits (CGI, art. 82 N° Lexbase : L1172ITL) ;
  • sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB (N° Lexbase : L3214LCZ) et 150 UC (N° Lexbase : L3832KWT), les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement ou par personne interposée, de valeurs mobilières sont soumis à l'impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 20 000 euros pour l'imposition des revenus de l'année 2007 (CGI, art. 150-0 A N° Lexbase : L0732L7A).

⚖️ Solution du CE. Il en résulte que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, au motif que les cadres du groupe Materne avaient bénéficié, dans des conditions avantageuses trouvant essentiellement leur source dans l'exercice de leurs fonctions de salarié, d'un mécanisme leur garantissant le prix de cession de ces titres, que le gain réalisé par le requérant à l'issue de cette cession constituait un avantage en argent devant être imposé dans la catégorie des traitements et salaires, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance qu'aucun lien de subordination direct n'existait entre celui-ci et la société Materne Luxembourg Holdco, cessionnaire.

💡 Précisions du CE :

  • les gains nets retirés par une personne physique de la cession à titre onéreux de valeurs mobilières sont en principe imposables suivant le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières des particuliers institué par l'article 150-0 A du CGI, y compris lorsque ces titres ont été acquis ou souscrits auprès d'une société dont le contribuable était alors dirigeant ou salarié, ou auprès d'une société du même groupe ;
  • il en va toutefois autrement lorsque, eu égard aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit essentiellement être regardé comme acquis, non à raison de la qualité d'investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant et constitue, ainsi, un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du CGI, réalisé et disponible l'année de la cession de ces titres.

💡 Cette décision du Conseil d’État confirme sa position adoptée dans trois arrêts en date du 13 juillet 2021 (CE Plénière, 13 juillet 2021 n° 428506, n° 435452 et n° 437498, publiés au recueil Lebon N° Lexbase : A79804Y9).

Lire sur cet arrêt, O. Sube, Précisions sur le traitement fiscal des gains issus des « Management Packages », Lexbase Fiscal, septembre 2021, n° 878 (N° Lexbase : N8830BYP).

 

 

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Fiscalité internationale

[Focus] Les paradis fiscaux

Lecture: 8 min

N9568BYZ

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par Virginie Pradel, Fiscaliste, Docteur en droit, Institut de recherche fiscale

Le 17 Janvier 2022


Mots-clés : paradis fiscal • fraude fiscale • multinationales

Les paradis fiscaux, décriés depuis plusieurs années, ont particulièrement été mis en évidence dans plusieurs affaires récentes parmi lesquelles : les « Offshore Leaks » en 2013, dans le contexte international de la crise financière de Chypre, place offshore prisée des investisseurs attirés par l’opacité, les China Leaks, relative aux « princes rouges » chinois (membres des familles des dirigeants chinois) en 2014, les Luxembourg Leaks (ou LuxLeaks) en 2014, les Panama Papers, les Bahamas Leaks et Football Leaks en 2016, les Money Island, Malta Files et Paradise Papers en 2017, les Dubaï Papers et CumEx Files en 2018, les FinCEN Files en 2020 et les OpenLux et Pandora Papers en 2021.


 

Cet article a vocation à répondre aux questions récurrentes suivantes : Qu’est-ce qu’un paradis fiscal ? Quels enjeux soulèvent les paradis fiscaux ? Comment l’OCDE, l’UE, la France et d’autres organisations appréhendent-ils les paradis fiscaux ?

I. La notion de paradis fiscal

Si tout le monde blâme aujourd’hui l’existence des paradis fiscaux, force est toutefois de constater que personne n’est encore en mesure de les définir précisément. Et pour cause : il n’existe aucune définition juridique précise du paradis fiscal, que ce soit dans la législation ou dans la jurisprudence tant nationale qu’internationale. Le paradis fiscal  est ainsi une notion médiatique et politique et non proprement juridique.

Le paradis fiscal se différencie à la fois des zones offshore et des paradis bancaires ou judiciaires. Dans le langage courant, toutefois, on désigne sous cette appellation tous les « territoires non coopératifs ».

Le paradis fiscal se distingue également des territoires permettant une optimisation fiscale. Il existe en effet, au sein même de l’Europe, des États pratiquant le « dumping » fiscal, c’est-à-dire prévoyant des taux d’imposition particulièrement faibles, parfois seulement au profit des étrangers, de manière à attirer des capitaux et des sièges sociaux dans leur territoire.

Trois types de « paradis fiscaux » peuvent être distingués :

  • ceux à faible imposition sur les personnes physiques ;
  • ceux à faible imposition sur les entreprises ;
  • ceux à faible imposition sur les personnes physiques et les entreprises.

II. L’OCDE et les paradis fiscaux

En 2000, l'OCDE a établi une première liste de paradis fiscaux dans le rapport « Towards Global Tax Co-operation: Progress in Identifying and Eliminating Harmful Tax Practices ». Au cours des deux années suivantes, 31 pays se sont engagés à mettre en place les principes de transparence et d'échange d'informations fiscales. En 2002, une liste des paradis fiscaux non coopératifs a été établie, sur laquelle figurent sept pays n'ayant pris aucun engagement de ce type.

En mars 2009, sous la pression notamment du G20, l’Andorre, le Liechtenstein et Monaco, les trois pays restant sur la liste, ont décidé de s'aligner sur les recommandations de l'OCDE en ce qui concerne la transmission des informations financières entre pays, mais sous certaines conditions.

En l’absence de définition, l’OCDE retient quatre critères permettant de les identifier :

  • des impôts inexistants ou insignifiants ;
  • une absence de transparence sur le régime fiscal ;
  • une législation empêchant l’échange d’informations avec les autres États ;
  • une tolérance envers les sociétés-écrans ayant une activité fictive.

L’OCDE classe depuis 2009 les paradis fiscaux dans trois catégories :

  • noire pour les États fiscalement non coopératifs ;
  • grise pour les États « qui ont promis de se conformer aux nouvelles règles sans les appliquer et ceux qui s’y conforment substantiellement » ;
  • blanche, pour les États ou territoires qui ont fait un effort réel et dont les règles « sont conformes aux standards internationaux de l’OCDE ».

En 2017, la liste noire de l'OCDE n'inclut qu'un seul pays : Trinité-et-Tobago. La liste grise ne comprend quant à elle que les Îles Marshall.

III. L’Union européenne et les paradis fiscaux

En novembre 2016, le Conseil a chargé le groupe « Code de conduite (fiscalité des entreprises) », un groupe de travail du Conseil, d'effectuer les travaux préparatoires nécessaires à l'établissement de la liste.

Le groupe "Code de conduite" a passé en revue 92 pays et territoires, sélectionnés sur la base des éléments suivants :

  • leurs liens économiques avec l'UE ;
  • leur stabilité institutionnelle ;
  • l'importance de leur secteur financier.

Le rapport d'évaluation a permis au Conseil d'adopter la première liste de l'UE le 5 décembre 2017. La liste (annexe I des conclusions du Conseil) comprenait 17 pays ou territoires non membres de l'UE. Ces pays ou territoires n'avaient pas pris d'engagements suffisants en réponse aux préoccupations de l'UE.

Le Conseil a adopté la première liste de l'UE le 5 décembre 2017. Depuis lors, elle a été mise à jour à plusieurs reprises.

Des révisions plus importantes ont eu lieu en mars 2019 et en février 2020. Elles coïncident avec l'expiration des délais de la fin 2018 et de la fin 2019 que les pays et territoires se sont vu fixer pour la mise en œuvre de leurs engagements initiaux.

Depuis 2020, la liste est mise à jour deux fois par an. La liste de l'UE est à présent régulièrement mise à jour et révisée dans le cadre d'un suivi dynamique des mesures mises en œuvre par les pays et territoires pour respecter leurs engagements.

Ce processus continu consiste notamment à :

  • établir des critères conformes aux normes fiscales internationales ;
  • évaluer les pays au regard de ces critères ;
  • engager un dialogue avec les pays qui ne s'y conforment pas ;
  • inscrire des pays sur la liste ou les en désinscrire, dans la mesure où ils entreprennent (ou non) des réformes ;
  • suivre l'évolution de la situation afin de veiller à ce que les pays et territoires ne reviennent pas sur de précédentes réformes ;
  • Le processus de suivi est mené sur la base d'un ensemble de lignes directrices en matière de procédure, arrêtées en février 2018.

La dernière révision en date a eu lieu en octobre 2021. La prochaine révision est prévue pour février 2022.

La nouvelle liste comprend les 9 juridictions suivantes :

  • le Panama,
  • Vanuatu,
  • Fidji,
  • Guam,
  • les Îles Vierges américaines,
  • Samoa américaines,
  • Samoa,
  • Trinité-et-Tobago,
  • Palaos,

IV. La France et les paradis fiscaux ?

La France a, par un arrêté du 26 février 2021, publié sa liste mise à jour des états et territoires non coopératifs (ETNC).

Pour rappel, la définition d’ETNC est codifiée à l’article 238-0 A du CGI. 

La liste des ETNC est fondée :

  • sur des critères exclusivement français d’échange d’informations (CGI, art. 238-0 A 2 N° Lexbase : L6050LMZ) ;
  • intègre (CGI, art. 238-0 A 2 bis) les États ou territoires qui figurent sur la liste européenne des États et territoires non coopératifs (dite « liste noire ») pour l’un des motifs suivants :

- ces États ou territoires sont considérés par le Conseil de l’UE comme facilitant la création de structures ou de dispositifs offshore destinés à attirer des bénéfices sans substance économique réelle

- ces États ou territoires ne respectent pas au moins un des autres critères définis par le conseil de l’UE  relatifs à la transparence fiscale, à l'équité fiscale et à la mise en œuvre des mesures anti-BEPS que les États membres de l'UE s'engagent à promouvoir, et figurant à l’annexe V de la liste de l’UE.

Les opérations réalisées avec ces États ou territoires subissent en conséquence une fiscalité alourdie, illustrée notamment par l’application de retenues à la source ou prélèvements de 75 % sur les dividendes, sur certains revenus non salariaux, ou encore sur les profits immobiliers lorsqu’ils sont réalisés en France par les résidents de ces États…

La dernière liste publiée par la France résultait d’un arrêté du  6 janvier 2020.

La nouvelle liste comprend les 13 juridictions suivantes :

  • Anguilla,
  • les Îles Vierges Britanniques,
  • le Panama,
  • les Seychelles,
  • Vanuatu,
  • Fidji,
  • Guam,
  • les Îles Vierges américaines,
  • Samoa américaines,
  • Samoa,
  • Trinité-et-Tobago,
  • Palaos,
  • Dominique.

Conformément aux dispositions du 2 ter de l’article 238-0 A du CGI, l’arrêté qui modifie la liste indique le motif qui justifie le retrait ou l’ajout d’un État ou territoire.

Ainsi, le nouvel arrêté exclut de la liste les Bahamas qui y avaient été inscrites lors de la dernière mise à jour en 2020.  À l’époque l’inscription sur la liste, effectuée en application des dispositions du b) du 2 de l’article 238-0 A du CGI, se justifiait par le fait que l’échange de renseignements avec ce pays n’était pas considéré comme satisfaisant, alors même qu’une convention d’assistance administrative existe entre la France et les Bahamas. Le retrait de la liste, réalisé en application des dispositions du a) du 2 de l’article 238-0 A du CGI signifie donc que les autorités françaises considèrent désormais que l’échange d’informations est effectif.

Est également exclu de la liste Oman. L’exclusion est effectuée en application des dispositions du 2° du 2 bis de l’article 238-0 A du CGI, ce qui signifie que les critères définis par l’UE sont désormais considérés comme remplis.

Par ailleurs, deux États font leur entrée sur la liste française :

  • la Dominique ;
  • les Palaos dont l’inscription est effectuée en application des dispositions du 2° du 2 bis de l’article 238-0 A du CGI.

Ces deux États sont considérés comme défaillants au regard des critères listés par l’UE.

La liste française des ETNC est aujourd’hui quasi-identique à la liste UE à la seule exception des Îles Vierges britanniques qui demeurent inscrites sur la liste française mais non sur la liste UE.

V. Le réseau Tax Justice Network (TJN) et les paradis fiscaux

Le réseau Tax Justice Network (TJN) se base sur un indice qui cumule le degré d’opacité et le poids des différentes places financières dans l’économie mondiale. Il estime que les 10 principaux paradis fiscaux pour les entreprises en 2021 sont :

  • 1) les Îles Vierges Britanniques
  • 2) les îles Caïmans
  • 3) les Bermudes
  • 4) les Pays-Bas
  • 5) la Suisse
  • 6) le Luxembourg
  • 7) Hong-kong
  • 8) Jersey
  • 9) Singapour
  • 10) Émirats arabes unis.

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Marchés publics

[Brèves] Situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure d'attribution du marché : annulation de la procédure même sans intention de favoriser un candidat

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 25 novembre 2021, n° 454466, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A13147DZ)

Lecture: 3 min

N9578BYE

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par Yann Le Foll

Le 01 Décembre 2021

► Une situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure d'attribution du marché est de nature à justifier l’annulation de la procédure, même sans intention de favoriser un candidat.

Principe. Au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité. Ce principe implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat. L'existence d'une situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure d'attribution du marché, telle que définie à l'article L. 2141-10 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L4493LRT), est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d'entacher la validité du contrat (CE 2° et 7° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 390968, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3734NTH).

Eu égard à sa nature, la méconnaissance du principe d'impartialité est, par elle-même, constitutive d'un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du contrat à l'exclusion de toute autre mesure, sans qu'il soit besoin de relever une intention de la part du pouvoir adjudicateur de favoriser un candidat (voir pour la même solution quand cette fois-ci la volonté de la personne publique de favoriser un candidat est avérée, CE 2° et 7° ch.-r., 15 mars 2019, n° 413584, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0761Y4X).

Application. En l’espèce, la personne désignée par le règlement de consultation du marché comme le « technicien en charge du dossier », chargée notamment de fournir des renseignements techniques aux candidats, a exercé des fonctions d'ingénieur-chef de projet en matière de nouvelles technologies de l'information et de la communication au sein de l'une des sociétés candidates, fonctions de haut niveau au sein de la représentation locale de la société et ayant trait à un objet en relation directe avec le contenu du marché.

Elle a occupé cet emploi immédiatement avant son recrutement par la collectivité adjudicatrice et trois mois avant l'attribution du marché et le procès-verbal d'ouverture des plis mentionnait que cette personne s'est vue remettre les plis « en vue de leur analyse au regard des critères de sélection des candidatures et des offres ».

Ainsi, eu égard au niveau et à la nature des responsabilités confiées à cette personne au sein de la société candidate puis des services de la collectivité adjudicatrice et au caractère très récent de son appartenance à cette société et alors même qu'il n'a pas signé le rapport d'analyse des offres, sa participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d'intérêts le liant à la société candidate et par voie de conséquence sur l'impartialité de la procédure suivie par la collectivité adjudicatrice.

En outre, la cour administrative d'appel (CAA Marseille, 14 juin 2021, n° 20MA02773 N° Lexbase : A68284WS) n'a ni inexactement qualifié les faits, ni commis d'erreur de droit en jugeant, sans relever une intention de sa part de favoriser un candidat, qu'eu égard à sa nature, la méconnaissance de ce principe d'impartialité était par elle-même constitutive d'un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du contrat à l'exclusion de toute autre mesure.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La passation du marché public, La phase de sélection des candidatures : les motifs d'exclusion de la procédure de passation, in Droit de la commande publique, (dir. N. Lafay, E. Grzelczyk), Lexbase (N° Lexbase : E2507ZLG).

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Négociation collective

[Questions/Réponses] Droit du travail - Le maintien de la rémunération perçue

Lecture: 12 min

N9622BYZ

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par Quentin Chatelier, doctorant et juriste au sein du cabinet Eunomie Avocats

Le 01 Décembre 2021

Lorsqu’un accord collectif disparaît, du fait d’une dénonciation ou d’une mise en cause, le Code du travail organise un mécanisme pour garantir aux salariés concernés une certaine continuité. Depuis la loi « Travail » du 8 août 2016 (N° Lexbase : L8436K9C), il est prévu un « maintien de la rémunération perçue » (C. trav. art. L.2261-13 ; C. trav. art. L.2261-14). Largement inspiré des préconisations issues du rapport rendu par le professeur Jean-François Cesaro, il suscite de nombreuses questions. Décryptage.

  • À quelle date est entré en vigueur le « maintien de la rémunération perçue » ?

L’inscription du principe du « maintien de la rémunération perçue » dans le Code du travail a été réalisée en deux temps :

1. la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, dite loi « Travail », acte ce principe ;

2. la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 (N° Lexbase : L9253LIK) apporte d’utiles précisions.

Les articles 21, II, de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 et 17, IV, de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, fixent avec précision la date d’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction des articles L. 2261-13 (N° Lexbase : L1465LKH) et L. 2261-14 (N° Lexbase : L1464LKG) du Code du travail. Le « maintien de la rémunération perçue » s’applique aux accords ayant cessé de produire leurs effets à compter du 9 août 2016 et ce, « y compris si la date de leur dénonciation ou de leur mise en cause est antérieure ».

Il remplace, à compter de cette date, le décrié mécanisme des avantages individuels acquis (AAI).

  • Dans quelles situations s’applique le « maintien de la rémunération perçue » ?

Le « maintien de la rémunération perçue » s’applique dans deux situations :

  • en cas de dénonciation de l’accord collectif (C. trav., art. L. 2261-13) ;
  • en cas de mise en cause de l’accord collectif, notamment du fait d'une fusion, d'une cession, d'une scission ou d'un changement d'activité (C. trav., art. L. 2261-13).

Dans chacune des deux situations, l’accord dénoncé ou mis en cause ne doit pas avoir été remplacé par un accord dit de substitution pendant le délai de survie de l’accord, à savoir 12 mois (sauf clause ou stipulation prévoyant une durée supérieure), à compter de l’expiration du délai de préavis de 3 mois (sauf stipulation expresse contraire).

Le saviez-vous ?

Il existe un doute sur les salariés pouvant bénéficier du « maintien de la rémunération perçue ». Trois possibilités :

  • seuls les salariés présents au jour de la dénonciation ou de la mise en cause ;
  • seuls les salariés présents au jour de l’expiration du délai de préavis ;
  • l’ensemble des salariés ayant bénéficié de l’accord dénoncé ou mis en cause, y compris pendant le délai de survie.

La doctrine est divisée. Dans le cadre des avantages individuels acquis, la Cour de cassation s’était prononcée en faveur de la première hypothèse (V. not. Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-41.669 N° Lexbase : A5191AGD). À suivre.

.

  • Comment fonctionne le « maintien de la rémunération perçue » ?

Le « maintien de la rémunération perçue » repose sur une logique de comparaison. Il s’agit de comparer :

  • la « rémunération d’origine » : la rémunération que percevait le salarié avant la dénonciation ou la mise en cause de l’accord ;

ET

  • la « nouvelle rémunération » : la rémunération que perçoit le salarié après la dénonciation ou la mise en cause de l’accord.

La comparaison doit être à la fois globale et individualisée.

  • Globale car il ne s’agit pas d’opérer une comparaison « élément de rémunération » par « élément de rémunération », mais de comparer deux rémunérations annuelles (cf. ci-dessous) prises dans leur ensemble.
  • Individualisée car la « rémunération d’origine » et la « nouvelle rémunération » doivent être calculées pour chaque salarié. La garantie de rémunération qui en résulte pourra être différente selon les situations individuelles.

L’enjeu est donc de déterminer le montant de la « rémunération d’origine », ainsi que celui de la « nouvelle rémunération », pour ensuite les comparer.

Le saviez-vous ?

Si la « rémunération d’origine » est plus importante que la « nouvelle rémunération », le mécanisme du « maintien de la rémunération perçue » s’applique. L’employeur doit garantir au salarié concerné la différence entre ces deux rémunérations.

Les articles L. 2261-13 et L. 2261-14 du Code du travail prévoient que la « garantie de rémunération peut être assurée par le versement d’une indemnité différentielle » entre le montant de la « rémunération d’origine » et le montant de la « nouvelle rémunération ».

Par exemple : la « rémunération d’origine » est de 30 000 € alors que la « nouvelle rémunération » est de 25 000 €. Sur l’année concernée, l’employeur doit verser une « indemnité différentielle » de 5 000 €.

Nb : rien ne s’oppose à ce que l’indemnité différentielle fasse l’objet d’un versement mensuel.

.

  • Quelle est la rémunération prise en compte ?

Pour déterminer le montant de la « rémunération d’origine » et de la « nouvelle rémunération », les dispositions légales renvoient à la « rémunération au sens de l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4986LR4), à l’exception de la première phrase du deuxième alinéa du même article L. 242-1 ».

Il en ressort une certitude et une interrogation majeure :

  • La certitude : le « rabais excédentaire soumis à cotisations lors de la levée d'une option sur actions » n’intègre pas l’assiette du « maintien de la rémunération perçue » (« première phrase du deuxième alinéa » de l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale). C’est le cas également de l’ensemble des éléments versés au salarié n’ayant incontestablement pas la nature de rémunération (frais professionnels notamment).
  • L’interrogation : un débat, non résolu à ce jour, agite la doctrine sur le sens à donner à l’expression « rémunération au sens de l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale ».

S’agit-il de la rémunération effectivement soumise à cotisations sociales (interprétation restrictive) ou de la rémunération susceptible d’être soumise à cotisations sociales, car « due en contrepartie ou à l'occasion d'un travail » (interprétation large) ?

Par exemple : la cotisation patronale à un régime de protection sociale complémentaire, qui est exclue (sous conditions) de l’assiette de cotisations en vertu du 4° du II de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale tout en étant un élément de rémunération versé « en contrepartie ou à l’occasion d’un travail ».

Selon l’interprétation restrictive, cette cotisation n’a pas à intégrer l’assiette du « maintien de la rémunération perçue ». Et selon l’interprétation large, cette cotisation doit intégrer l’assiette du « maintien de la rémunération perçue ».

Une réponse jurisprudentielle sur ce point est attendue.

Les articles L. 2261-13 et L. 2261-14 du Code du travail apportent une précision complémentaire. La rémunération qui doit être prise en compte est limitée :

  • à la rémunération issue de la convention ou de l’accord dénoncé et du contrat de travail pour la « rémunération d’origine » ;
  • à la rémunération issue de la nouvelle convention ou du nouvel accord, s’il existe, et du contrat de travail pour la « nouvelle rémunération ».

Le saviez-vous ?

Les éléments de rémunération issus d’un engagement unilatéral ou d’un usage ne sont pas pris en compte dans le calcul du « maintien de la rémunération perçue ».

Par exemple : un accord est dénoncé sans faire l’objet d’un accord de substitution. En vertu de cet accord et de son contrat de travail, un salarié percevait sur l’année 2021 30 000 €. En 2022, en vertu de son contrat de travail (et en l’absence d’un nouvel accord), il percevait 28 000 €. En parallèle, l’employeur décidait d’instaurer par voie d’engagement unilatéral une prime annuelle de 4 000 €. Cette prime ne sera pas prise en compte dans le calcul de la « nouvelle rémunération ». Le salarié va percevoir 34 000 € sur l’année 2022 : 28 000 € de rémunération + 2 000 € de « maintien de la rémunération perçue » + 4 000 € de prime annuelle.

.

  • Quelle est la période de référence ?

Pour calculer le montant de la « rémunération d’origine » et de la « nouvelle rémunération », il est nécessaire de définir une période de référence. Les articles L. 2261-13 et L. 2261-14 du Code du travail permettent d’y voir plus clair.

  • Concernant la « rémunération d’origine » : il s’agit, selon les dispositions légales, de la rémunération « versée lors des douze derniers mois ». Bien que les textes ne l’affirment pas clairement, il s’agit des douze mois précédant la fin du délai de survie de l’accord dénoncé ou mis en cause.

Par exemple : un accord est dénoncé le 1er octobre 2021. Sa période de survie s’achève le 1er janvier 2023 (3 mois + 12 mois). Le « rémunération d’origine » sera la rémunération versée lors de l’ensemble de l’année civile 2022 (du 1er janvier au 31 décembre).  

  • Concernant la « nouvelle rémunération » : les dispositions légales affirment que les salariés concernés bénéficient d’une « garantie de rémunération dont le montant annuel […] ». La référence à une périodicité annuelle sous-entend une comparaison renouvelée chaque année et, par voie de conséquence, une estimation renouvelée de la « nouvelle rémunération ».

Par exemple : un accord est dénoncé le 1er octobre 2021. Sa période de survie s’achève le 1er janvier 2023 (3 mois + 12 mois). Le « rémunération d’origine » sera la rémunération versée lors de l’ensemble de l’année civile 2022 (du 1er janvier au 31 décembre).

La première comparaison aura lieu le 1er janvier 2024 entre la « rémunération d’origine » et la « nouvelle rémunération », équivalente à la rémunération de l’ensemble de l’année civile 2023 (du 1er janvier au 31 décembre).

La deuxième comparaison aura lieu le 1er janvier 2025 entre la « rémunération d’origine » (montant inchangé) et la « nouvelle rémunération » équivalente à la rémunération de l’ensemble de l’année civile 2024 (du 1er janvier au 31 décembre).

Et ainsi de suite.

Le saviez-vous ?

Le mécanisme de « maintien de la rémunération perçue » impose un calcul annuel de la « nouvelle rémunération », à chaque date d’anniversaire de la fin du délai de survie.

Cette opération de calcul, très contraignante pour l’employeur, est rendue obligatoire par la comparaison annuelle avec la « rémunération d’origine ».

.

  • Quelle est la conséquence d’un changement de durée du travail ?

Les articles L. 2261-13 et L. 2261-14 du Code du travail permettent de neutraliser tout changement dans la durée du travail du salarié concerné par le dispositif de « maintien de la rémunération perçue ».

En effet, ils disposent que la « nouvelle rémunération » ne doit pas être inférieure à la « rémunération d’origine » et ce, « pour une durée de travail équivalente à celle prévue par [le] contrat de travail ». Autrement dit, en cas de modification de la durée du travail, le montant de la « rémunération d’origine » doit être proratisé avant d’être comparé à la « nouvelle rémunération ».

Exemple 1 : la « rémunération d’origine » d’un salarié est fixée à 30 000 €, alors qu’il travaille à temps plein. L’année suivant la fin de la période de survie de l’accord dénoncé, le salarié travaille à mi-temps. Sa « nouvelle rémunération » devra au moins être équivalente à 15 000 € (30 000 €/2).

Exemple 2 : la « rémunération d’origine » d’un salarié est fixée à 15 000 €, alors qu’il travaille à mi-temps. L’année suivant la fin de la période de survie de l’accord dénoncé, le salarié travaille à temps plein. Sa « nouvelle rémunération » devra au moins être équivalente à 30 000 € (15 000 €*2).

Le saviez-vous ?

Le mécanisme du « maintien de la rémunération perçue » peut également s’appliquer en cas de mise en cause d’une convention ou d’un accord à durée déterminée.

Lorsque le terme de l’accord/convention initialement fixé est postérieur à la date à laquelle il cesse de produire ses effets du fait de la mise en cause, le « maintien de la rémunération perçue » s’applique jusqu’à ce terme (C. trav., art. L. 2261-14, al. 5).

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Propriété intellectuelle

[Brèves] Droit d’auteur dans le marché unique numérique : parachèvement de la transposition

Réf. : Ordonnance n° 2021-1518, du 24 novembre 2021, complétant la transposition de la Directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les Directives 96/9/CE et 2001/29/CE (N° Lexbase : L4118L9E)

Lecture: 5 min

N9553BYH

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par Vincent Téchené

Le 01 Décembre 2021

► Une ordonnance, publiée au Journal officiel du 25 novembre 2021, a pour objet d'achever la transposition de la Directive n° 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (N° Lexbase : L3222LQE), dite Directive « Digital Single market ».

Pour rappel, l'article 15 de cette Directive a d'ores et déjà été transposé dans le cadre de la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019, tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse (N° Lexbase : L3023LRE ; V. Téchené, Création d’un droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse, Lexbase Affaires, septembre 2019, n° 604 N° Lexbase : N0322BYL).

Les articles 2-6 et 17 à 23 de la Directive ont été transposés dans le cadre de l'ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 (N° Lexbase : L4550L4B ; S. Carre, Ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 transposant la Directive « DAMUN » : droit d’auteur et fournisseurs de services de partage de contenus en ligne (chapitre I) N° Lexbase : N7964BYM et B. Ferrand, Ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 transposant la Directive « DAMUN » : dispositions relatives au droit des contrats (chapitre II) N° Lexbase : N7927BYA, Lexbase Affaires, juin 2021, n° 680).

La Directive (art. 3 à 6) introduit d'abord des exceptions obligatoires au droit d'auteur afin de favoriser la fouille de textes et de données, les utilisations numériques d'œuvres à des fins d'illustration dans le cadre de l'enseignement et la conservation du patrimoine culturel.

L'article 1er de l'ordonnance modifie les termes de l'exception jusque-là prévue au e de l'article L. 122-5 du CPI (N° Lexbase : L5286L9N). Cette exception, désormais définie au 12° du même article et à l'article L. 122-5-4 (N° Lexbase : L5288L9Q) concerne l'usage d'extraits d'œuvres à des fins d'illustration dans le cadre de l'enseignement et de la formation professionnelle. La mise en œuvre de cette exception peut toutefois être écartée, en totalité ou pour certaines catégories d'œuvres seulement, dès lors qu'existent des licences autorisant les actes visés par l'exception.

Les articles 2, 7 et 11 de l'ordonnance étendent cette exception respectivement aux auteurs de logiciels, aux titulaires de droits voisins et aux producteurs de bases de données.

L'article 1er de l'ordonnance transpose ensuite les exceptions consacrées aux articles 3 et 4 de la Directive n° 2019/790 relatives aux activités de fouille de textes et de données.

Les articles 2, 7 et 11 de l'ordonnance étendent identiquement ces exceptions respectivement aux auteurs de logiciels, aux titulaires de droits voisins et aux producteurs de bases de données.

L'ordonnance transpose, enfin, l'exception instaurée par l'article 6 de la Directive à des fins de conservation du patrimoine culturel pour les logiciels et bases de données. Les articles 2 et 11 étendent le champ de cette exception, conformément à la Directive, aux auteurs de logiciels et aux producteurs de bases de données.

L'article 10 de l'ordonnance vise à garantir que la mise en œuvre de mesures techniques de protection ne saurait avoir pour effet d'empêcher le bénéfice des exceptions précitées.

L'article 7 de la Directive prévoit ensuite que les institutions du patrimoine culturel doivent bénéficier d'un cadre clair pour la numérisation et la diffusion, y compris par-delà les frontières, d'œuvres considérées comme indisponibles dans le commerce.

L'article 5 de l'ordonnance définit la notion d'œuvre indisponible (CPI, art. L. 138-1 N° Lexbase : L5297L93). S'agissant des œuvres indisponibles qui se trouvent à titre permanent dans les collections des institutions du patrimoine culturel, l'ordonnance précise qu'elles peuvent être exploitées sur la base de licences délivrées par des organismes de gestion collective suffisamment représentatifs et étendues aux titulaires de droits qui ne sont pas membres de ces organismes (CPI, art. L. 138-2 N° Lexbase : L5298L94). Les articles 8 (CPI, art. L. 211-8 N° Lexbase : L5304L9C) et 12 (CPI, art. L. 342-6 N° Lexbase : L5315L9Q) de l'ordonnance étendent ce mécanisme de licence aux titulaires de droits voisins et aux producteurs de bases de données.

L'article 9 de l'ordonnance consacre en droit français le dispositif des licences collectives étendues et l'entoure de l'ensemble des garanties prévues par la Directive. Le recours aux licences collectives étendues n'est possible que dans les cas où l'exercice individuel et la gestion collective classique ne permettent pas d'apporter des réponses satisfaisantes au regard de l'ampleur de l'utilisation des œuvres.

La conclusion de licences collectives étendues est également prévue aux articles 4 et 6 en ce qui concerne l'exploitation des œuvres des arts visuels par les plateformes de partage de contenus, d'une part, et dans le cadre des travaux scientifiques publiés de manière ouverte sur internet, d'autre part.

Enfin, l'article 3 de l'ordonnance tire parti de la possibilité offerte par la Directive de mettre en œuvre des mécanismes d'octroi de licences collectives ayant un effet étendu pour modifier les dispositions issues de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXème siècle (N° Lexbase : L2845IS8) afin d'assurer sa conformité avec les exigences tirées du droit de l'Union.

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