La lettre juridique n°878 du 23 septembre 2021

La lettre juridique - Édition n°878

Avocats/Procédure

[Questions à...] « C'est rajouter du travail qui n'est pas utile ! » - Questions à Maître Florian Borg à propos des propositions de la DACS en matière de structuration des écritures

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N8820BYC

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par Marie Le Guerroué et Joséphine Pasieczny

Le 22 Septembre 2021


Le 27 août 2021, la Direction des affaires civiles et du sceau (DACS) a communiqué au CNB un projet de réforme en matière de structuration et de présentation des pièces en procédure civile. La note envisage tout particulièrement d’imposer une synthèse des moyens à la fin de la discussion tout en précisant que celle-ci ne pourra excéder les 10 % des écritures dans la limite des 1 000 mots. Le projet a emporté la colère de nombreux avocats et a conduit le CNB à adopter, vendredi 17 septembre, une résolution dénonçant une atteinte grave à l’indépendance des avocats et aux droits de la défense.

Florian Borg, avocat au barreau de Lille, élu au SAF et secrétaire du CNB a présenté le rapport sur le projet lors de l’assemblée générale du CNB. Il a accepté pour Lexbase Avocats et Lexradio de revenir sur les enjeux d’une telle proposition de réforme.

Cette interview est également à retrouver en podcast sur Lexradio.


 

*Crédit photo Thomas Appert

Lexbase Avocats : Quelles sont les mesures prévues par la DACS dans le cadre de ce projet de réforme ? 

Florian Borg : Pour le moment, nous sommes au stade des discussions entre les services du ministère et les instances représentatives de la profession. Ce projet consiste à réformer le Code de procédure civile pour rationaliser les écritures et les pièces en matière de procédure civile, tant en première instance qu’en appel. Concrètement, il y a deux mesures bien précises qui sont prévues. La première, et la plus problématique, consiste à demander aux avocats de faire une synthèse de leurs écritures et de leurs moyens dans leurs écritures. Une synthèse qui est prévue autour de 10 % dans la limite de 1 000 mots, donc c'est assez technique. Il faut également souligner que cette synthèse et, le fait que les moyens soient repris dans cette synthèse, est sanctionné par le rejet des moyens. Les moyens ne seront pas étudiés. Donc si vous mettez les moyens dans le texte mais pas dans la synthèse ou, dans la synthèse mais pas dans le texte, ils ne seront pas retenus. La deuxième mesure est l’instauration d’un bordereau unique de pièces avec des libellés suffisamment explicites et précis. Ce bordereau de pièces sera repris de la même manière en première instance et en appel. Voilà les deux mesures qui sont principalement prévues dans la proposition de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice.

Lexbase Avocats :  À votre avis, quelles sont les motivations d’une telle réforme ?

Florian Borg : On peut s'en souvenir, le ministère avait mis en place en janvier 2021 un groupe de travail sur les délais de fonctionnement de la justice afin de prendre en compte à la fois les délais qui avaient augmenté tant par la pandémie de la Covid et, soi-disant, par la grève des avocats concernant les retraites. Ce groupe de travail, qui était composé à la fois de magistrats et de Bâtonnières et Bâtonniers, avait proposé un certain nombre de points, dont un qui était la rationalisation des écritures. Il faut, toutefois, savoir que cela n’était pas proposé dans le cadre d'une réforme, mais dans le cadre de conventions entre les barreaux et les tribunaux. Sauf que, dans la proposition de la DACS, cela s'est transformé en proposition de modification du Code de procédure civile. Ce qui est particulier, c'est qu’on ne comprend pas en quoi ces éléments vont faire réduire les stocks et les délais des dossiers de justice. Car tout le monde le sait, en réalité, pour accélérer la justice il faut d'abord des moyens. Ici, il ne s’agit pas de moyens, mais de rationalisation des écritures. Cela ne va pas donner moins de travail aux greffes ni moins de travail aux juges. En revanche, cela va donner plus de travail aux avocats et surtout des risques supplémentaires de voir rejeter leurs écritures et donc des risques pour l’accès à la justice. Si l'idée est de réduire les délais en fermant l'accès à la justice, on ne voit pas bien comment on pourra obtenir une bonne justice.

La crainte qui est très vive dans la profession est de remettre sur le tapis des réformes de type « Magendie » en procédure d'appel. La procédure « Magendie » a complexifié la procédure d'appel et entraîné un certain nombre de rejets de dossiers et de caducité. Finalement, ces dossiers ne sont pas jugés et l’accès à la justice est fermé. Pour nous, réduire les délais en fermant l’accès à la justice n’est pas une bonne chose d'autant plus qu’elle crée un certain nombre de chausse-trappes dans le travail de l'avocat et cela a assez peu de sens dans l'amélioration du travail et du débat judiciaire.

Lexbase Avocats : Pourquoi les avocats y voient-ils une atteinte à l’indépendance de leur profession et aux droits de la défense ?

Florian Borg : Alors, sur l'indépendance, vouloir rationaliser les écritures c'est un peu dicter ce que les avocats vont porter devant un juge. Si les avocats portent un mauvais dossier devant un juge, ce dossier sera rejeté et c'est comme cela que les choses se passent aujourd'hui.

Si les avocats portent un bon dossier avec une bonne structuration, ils auront plus de chances d’être entendus par le juge. La solution est donc déjà là. La crainte aujourd’hui est de devoir rajouter des éléments dans la procédure qui n'apportent rien au débat judiciaire. Se dire que l’on va calculer 10 % de nos conclusions dans la limite de 1 000 mots pour faire une synthèse, c'est rajouter du travail qui n'est pas utile. Cela peut être utile dans des dossiers très complexes et très volumineux, mais les avocats font déjà un plan au début de leurs écritures. Vouloir généraliser cette structuration à l’ensemble des écritures dans des dossiers où il y a des questions de fait cela n’a aucune utilité, sauf à se dire que le magistrat ne va pas lire les écritures et s’arrêter à la synthèse.

On complexifie le dossier. La plaidoirie aussi est aujourd'hui réduite, nous sommes souvent en dépôt de dossier. Si c’est pour remplir un formulaire, on ne voit pas très bien où est la place de l’avocat mais surtout où est la place de la justice et du débat judiciaire. C’est pour ces raisons qu’il y a une crainte, surtout avec une rentrée qui est un peu compliquée pour tout le monde en période de Covid. Nous rencontrons déjà des difficultés comme, par exemple, sur la réforme de la prise de dates. Les choses ne sont pas encore abouties, les tribunaux ne sont pas prêts. On s’arrache déjà les cheveux sur prises de dates pour des assignations avec des risques de prescription et le délai et on souhaite nous rajouter des éléments qui n’ont pas de sens !

Lexbase Avocats : D’autres solutions alternatives ont-elles déjà été proposées pour réduire les délais de jugement ?

Florian Borg : La première des solutions, comme je l'ai rappelé, c'est déjà d’augmenter les moyens de la justice civile. Les moyens de la justice ont été très souvent augmentés ces dernières années, mais c'est en général en direction de la justice pénale et surtout de la détention. La profession le dit de manière quasi unanime, la question des délais se règle d'abord par la question des moyens. Avoir aujourd'hui dans certains prud'hommes des convocations en audience de plaidoirie en 2023, c'est un véritable déni judiciaire ! Commençons par cette question.

Nous savons qu'il y aura des annonces sur une augmentation du budget pour 2022. Nous attendons de voir le contenu dans le projet de loi de finances pour savoir à quoi cela correspond. Mais si, une fois encore les moyens ne sont pas mis sur la justice civile, on n'en sortira pas. On continuera à détourner les dossiers de la justice civile par des mesures alternatives, soit en fermant et en complexifiant la procédure, soit en renvoyant les gens vers des procédés alternatifs au contentieux judiciaire, qui en soi, peut être une bonne chose pour régler les conflits, mais quand on a besoin de saisir un tribunal, il faut toujours pouvoir le faire, quel que soit le contentieux.

Lexbase Avocats : Le CNB a donc adopté une résolution vendredi dernier. Quels messages l’institution souhaite-t-elle faire passer à la Chancellerie ?

Florian Borg : Le fait que l'assemblée générale du CNB ait rejeté ce projet n'empêche pas que nous continuions à avoir des échanges réguliers avec la Chancellerie. En réalité, le message qui est passé auprès de la Chancellerie est de dire, si nous devons discuter, discutons à partir d'éléments sérieux comme nous le faisons sur d'autres dossiers et engageons un travail plus global parce que nous avons des propositions à faire en matière de procédure civile. Cela concerne aussi, et c'est une demande très forte du conseil national des barreaux et des avocats, de réviser la procédure « Magendie » pour la remettre à plat et de rediscuter de la procédure d'appel. Nous n’arrivons pas à avoir un dialogue sur la procédure d’appel que déjà on nous ouvre un nouveau dialogue sur la procédure en première instance. Le message que l'on fait passer à la Chancellerie là-dessus est que, sur la procédure civile, il y a des moyens à donner, des réformes à faire, mais des réformes à faire non pas pour fermer la procédure, mais pour l'améliorer et qu'elle soit sérieuse avec des propositions sérieuses et pas des propositions qui visent à empêcher les parties d’accéder au juge.

Pour en savoir plus : lire aussi, Ch. Simon, Structuration des écritures : levée de bouclier contre la Chancellerie, Le Quotidien Lexbase, 22 septembre 2021 (N° Lexbase : N8805BYR).

newsid:478820

Droit financier

[Brèves] Diffusion de fausses informations : la cour d’appel de Paris confirme la condamnation de Bloomberg mais allège la sanction

Réf. : CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 16 septembre 2021, n° 20/03031 (N° Lexbase : A952644L)

Lecture: 7 min

N8841BY4

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par Vincent Téchené

Le 22 Septembre 2021

► Est confirmée par la cour d’appel de Paris, la condamnation d’une agence de presse pour avoir diffusé de fausses informations sur une société cotée, sans les avoir préalablement vérifiées, les communiqués de presse litigieux ayant eu pour conséquence une baisse substantielle et rapide de son cours de bourse ;

En revanche, la sanction pécuniaire doit être allégée, dès lors qu’il doit être tenu compte de l’importante réactivité de l’agence de presse pour interrompre puis supprimer la diffusion des dépêches en cause et publier ensuite une série de rectificatifs et démentis.

Faits et procédure. Le 22 novembre 2016, entre 16h06m04s et 16h07, deux journalistes du Speed Desk du bureau parisien de l’agence de presse de la société Bloomberg LP ont publié diverses dépêches sur les terminaux Bloomberg reprenant, en substance, le contenu d’un communiqué de presse frauduleux intitulé « Vinci lance une révision de ses comptes consolidés pour l'année 2015 et le 1er semestre 2016 », reçu à 16h05.

L’activité du Speed Desk consiste en la publication d’informations financières en temps réel, extraites de communiqués de presse ou d’autres sources et relayées sous forme de flash ou alertes.

Ce communiqué mentionnait notamment la découverte d’irrégularités comptables très graves nécessitant une révision des comptes consolidés de Vinci au titre de l’exercice 2015 et du premier semestre de l’exercice 2016, avec pour conséquence la constatation d’une perte nette en lieu et place de profits pour la période considérée, ainsi que le licenciement de son directeur financier.

Consécutivement à la diffusion de ces dépêches, dont le contenu a également été relayé par d’autres médias, le cours du titre Vinci a enregistré une baisse de 18,28 %.

Dans une décision du 11 décembre 2019, la Commission des sanctions de l’AMF a infligé à la société Bloomberg LP une sanction de 5 millions d’euros pour avoir diffusé des informations qu’elle aurait dû savoir fausses et susceptibles de fixer le cours du titre Vinci à un niveau anormal ou artificiel (AMF, décision du 11 décembre 2019, sanction N° Lexbase : L0925LUS ; V. Téchené, Lexbase Affaires, décembre 2019, n° 618 N° Lexbase : N1655BYX). Bloomberg a formé un recours contre cette décision.

Décision. La cour d’appel de Paris a donc confirmé sur le fond la décision de la Commission des sanctions ; elle l’infirme néanmoins en ce qui concerne la sanction.

Des 26 pages de l’arrêt, on relèvera plusieurs éléments importants.

  • Application des règles sur les abus de marchés aux journalistes

Ainsi les juges d’appel retiennent qu’il résulte du libellé clair et précis de l’article 21 du Règlement « MAR » (Règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 N° Lexbase : L4814I3P), lequel institue un régime spécifique destiné à concilier la lutte contre les abus de marché avec les exigences découlant de la liberté de la presse, combiné à celui des articles 12 et 15 du Règlement, que ce texte ne limite, ni ne subordonne le prononcé d’une sanction contre un journaliste ou un organe de presse, du chef de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, au cas où il serait démontré que celui-ci aurait tiré un avantage de cette diffusion ou aurait agi dans l’intention d’induire le marché en erreur.

  • Principe de légalité des délits et des peines

La cour d’appel retient sur ce point qu’il ressort du libellé de ce même article 21 que le caractère licite ou illicite de la diffusion d’une information est apprécié en tenant compte des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d’expression dans les autres médias et des règles ou codes régissant la profession de journaliste. Il en va particulièrement ainsi pour déterminer si un journaliste ou un organe de presse ayant diffusé des informations fausses ou trompeuses aurait dû savoir, au sens de l’article 12 du Règlement « MAR », que lesdites informations présentaient ces caractéristiques.

En outre, la circonstance selon laquelle il n’existerait pas en France, à la différence d’autres pays européens, de régulation contraignante de la profession de journaliste, n’est pas de nature à remettre en cause, au nom du principe de légalité des délits et des peines, l’application en l’espèce de l’article 21 du Règlement « MAR ».

Par ailleurs, les juges parisiens précisent qu’en tant que professionnel averti du monde de la presse, l’agence de presse avait nécessairement connaissance de l’abondante et constante jurisprudence de la CEDH sur les devoirs et responsabilités des journalistes, notamment en ce qui concerne l’étendue de l’obligation de vérification de déclarations factuelles à caractère diffamatoire, ainsi que des chartes (Charte de Munich sur les devoirs et les droits des journalistes de 1971 et Charte française d’éthique professionnelle des journalistes, dite Déclaration de Bordeaux de 2019).

Ainsi, Bloomberg était pleinement en mesure, à partir du libellé de l’article 21 du Règlement « MAR », renvoyant aux règles pertinentes en la matière, à la fois accessibles et prévisibles, d’évaluer à un degré raisonnable les risques encourus en cas de diffusion de fausses informations, quitte à s’entourer des conseils de juristes spécialisés.

  • Matérialité du manquement  

La cour d’appel relève, ensuite, que les dépêches litigieuses revêtent un caractère diffamatoire particulièrement grave. En effet, elles font état d’une série de faits précis et convergents mettant directement en cause la gestion et la solidité financière d’une société déterminée. Dès lors, en alléguant ainsi que Vinci connaît une importante dégradation de sa situation financière, les dépêches en cause affectent gravement sa réputation de société cotée. La diffusion de ces dépêches en cours de bourse, dont certaines à deux reprises, a amplifié la gravité de ces allégations. Il s’en est d’ailleurs suivi une chute brutale du cours du titre.

Ainsi, les juges parisiens retiennent-ils que les dépêches litigieuses présentent toutes les caractéristiques de la diffamation, et ce à un niveau de gravité élevé, ce qui exclut la possibilité de délier les journalistes ayant rédigé ces dépêches de leur obligation habituelle de vérification des faits allégués.

Or, ici, ne procédant à aucune de ces vérifications avant la diffusion des dépêches, alors que la simple lecture du communiqué, dans son intégralité, aurait dû les conduire, eu égard à la gravité des allégations, au moment de leur diffusion et à l’emploi de formules manifestement inhabituelles, à s’interroger sur l’authenticité de celui-ci et à procéder immédiatement à des vérifications qui leur auraient permis de détecter rapidement qu’il était faux, les journalistes concernés ont méconnu l’étendue de leurs devoirs et responsabilités.

La cour d’appel ajoute que la circonstance que les informations financières nécessitent une diffusion rapide, notamment, afin d’assurer la transparence des marchés et l’égale information des investisseurs en temps utile, ne remet pas en cause cette analyse.

Les journalistes auraient donc dû savoir que les informations diffusées dans les dépêches en cause étaient fausses.

Enfin, la diffusion des dépêches en cause ayant été réalisée sur les terminaux de Bloomberg, cette dernière a directement participé audit manquement en tant qu’auteur de la diffusion, de sorte que sa responsabilité est engagée.

  • Sanction

En revanche, pour les juges d’appel, c’est à tort que la Commission des sanctions n’a pas tenu compte de l’importante réactivité de Bloomberg pour interrompre puis supprimer la diffusion des dépêches en cause et publier ensuite une série de rectificatifs et démentis.

La cour estime qu’il y a lieu de réformer la décision attaquée sur le montant de la sanction et de fixer celui-ci à 3 millions d’euros (au lieu des 5 millions prononcés par la Commission des sanctions).

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Droit public éco.

[Questions à...] La renationalisation des autoroutes : une solution souhaitable et praticable ? - Questions à Thomas Perroud et Bruno Deffains

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N8831BYQ

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Le 16 Décembre 2021

 


Mots clés : autoroutes • nationalisation

À la faveur d’une proposition émise il y a peu par l’un des favoris à la prochaine élection présidentielle, la thématique d’une éventuelle renationalisation des autoroutes a resurgi dans le débat public. Mais une question se pose : cette proposition est-elle réaliste, voire même souhaitable ? Deux lignes s’affrontent : les tenants d’un État fort, légitimés par la politique actuelle du « quoi qu’il en coûte » et soucieux de redonner du pouvoir d’achat au citoyen susceptible de se transformer à tout instant en gilet jaune et les partisans d’une ligne plus « réaliste », effrayés à l’idée de l’ampleur de la somme à verser aux sociétés concessionnaires en guise d’indemnisation. Lexbase Public a interrogé sur cette question Thomas Perroud, Professeur de droit public, Université Paris II Panthéon-Assas et Bruno Deffains, Professeur en sciences économiques dans le même établissement*.


 

Lexbase : Plusieurs responsables politiques ont récemment évoqué la possibilité de renationaliser les autoroutes. Cette proposition vous semble-t-elle pertinente ?

Thomas Perroud et Bruno Deffains : La question de la nationalisation des autoroutes n’est pas récente. Aussitôt l’opération de privatisation annoncée et réalisée, des oppositions nombreuses ont été formulées. François Bayrou avait d’ailleurs le premier formé un recours qui a amené le Conseil d’État [1] à confirmer la constitutionnalité de l’opération. Depuis, l’opportunité de la privatisation n’a cessé d’être mise en cause.

Des rapports publics importants, de l’Autorité de la concurrence et de la Cour des comptes, une commission d’enquête parlementaire ont en effet mis en évidence les rentes importantes que ces entreprises réalisaient. Dès septembre 2014, un rapport de l’Autorité de la concurrence pointait du doigt la « rentabilité nette exceptionnelle » des sociétés concessionnaires qui « n’apparaît justifiée ni par leurs coûts ni par les risques auxquels elles sont exposées » [2]. Quelques années plus tard, en 2019, la Cour des comptes ne dit pas autre chose lorsqu’elle met en avant une situation pour le moins déséquilibrée des pouvoirs publics face aux sociétés concessionnaires d’autoroutes : « L’État a accepté à la demande des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA), qu’elles réalisent, moyennant compensation, des travaux qui n’étaient pas explicitement prévus dans la convention de concession. Que le financement soit assuré par l’usager actuel ou futur, ces plans d’investissement sont l’objet de négociations difficiles, dans lesquelles les pouvoirs publics sont souvent apparus en position de faiblesse » [3].

Dès lors, la question de la nationalisation des autoroutes n’est pas vraiment nouvelle. Elle arrive d’ailleurs après la mobilisation que la privatisation d’Aéroport de Paris avait suscitée et sur l’opportunité de laquelle nous avions formulé des avis négatifs dans la presse. Nous avions d’abord estimé qu’ADP constituait bien un monopole de fait [4] au sens de l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, nous pensons ensuite que la privatisation constituait un danger pour les politiques de transport [5]. Le même problème peut se retrouver avec les autoroutes, qui constituent certainement un monopole de fait, étant donné les rentes qu’elles dégagent et leur privatisation interdisant à l’État de mettre en place des politiques dont l’objet pourrait être de diminuer leur rentabilité étant donné les engagements souscrits dans les contrats.

La question qui nous semble importante désormais, les autoroutes ayant été privatisées, est moins de savoir s’il faut les nationaliser que de savoir quel projet politique on souhaite mettre en place. C’est en réalité ce projet qui seul pourra permettre de juger de l’opportunité du projet en termes économiques et financiers. Le bilan coût/bénéfice à long terme de l’opération ne peut être réalisé de façon pertinente que si la nationalisation relève, par exemple, d’une politique environnementale claire visant à dissuader l’utilisation de la voiture par des péages plus importants. La réalisation de surprofits durables mise en évidence ces dernières années par l’Autorité de la concurrence ou la Cour des comptes ne peut pas se justifier du point de vue du bien-être social. En revanche, le surplus de gains réalisé pourrait être utilisé par une personne publique pour subventionner, par exemple, les transports en commun et, en général, les mobilités propres. Étant donné le coût actuel et futur du réchauffement climatique en cours, le financement de cette politique pourrait compenser le coût pour les finances publiques. Ce simple exemple permet de montrer que l’intérêt financier ne peut être estimé qu’à l’aune du projet politique servi par une nationalisation éventuelle.

Lexbase : Quels seraient les éventuels obstacles juridiques et financiers ?

Thomas Perroud et Bruno Deffains : Les obstacles juridiques sont assez simples à identifier. Le droit constitutionnel des nationalisations a été mis en place par le Conseil constitutionnel en 1982 dans la fameuse décision « Nationalisation » [6]. Il en ressort une idée-force : le Conseil constitutionnel n’opère pas de contrôle de l’ampleur des nationalisations même s’il a affirmé à l’époque qu’il contrôlait l’opération référence à la liberté d’entreprendre — qu’il découvre à cette occasion — il est en revanche scrupuleux sur l’indemnisation, la nationalisation étant interprétée comme une expropriation au sens de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1364A9E).

L’évaluation d’éventuels obstacles financiers suppose quant à elle d’estimer au préalable le coût de l’opération et sa rentabilité future. Mais dans l’immédiat, on comprend que la difficulté à court terme est surtout liée aux indemnités que l’État devra régler aux sociétés d’autoroutes.

En effet, l’État-propriétaire a confié la gestion et l’exploitation des autoroutes à des sociétés privées via des concessions. En cas de résiliation avant terme de ces contrats, il y a forcément des indemnités à la clé pour le préjudice subi. Et rien ne permet d’anticiper une négociation à l’amiable, de sorte que le risque d’un contentieux long et coûteux n’est pas exclu et pourrait déboucher sur des pénalités en plus. Il est difficile de chiffrer précisément le montant des indemnités encourues mais selon les sources, le montant varie entre 20 et 47 milliards d’euros (la partie haute de la fourchette étant celle exprimée au Sénat en mai 2021 par le ministre des Transports).

Lexbase : L’État et les usagers s’y retrouveraient-ils financièrement à long terme ?

Thomas Perroud et Bruno Deffains : L’équation financière ne se résume pas aux compensations à verser en cas de rupture des contrats de concession avant terme. À l’évidence, le sujet est complexe, car il y a plusieurs inconnues à intégrer dans l’analyse.

D’un côté, les dépenses. On a déjà évoqué les engagements à court terme sous forme d’indemnités, mais il faut également tenir compte des contraintes financières à plus long terme concernant l’aménagement et l’entretien des infrastructures autoroutières qui seraient désormais à la charge du secteur public. Sans préjuger des capacités de gestion de l’État, il semble évident que ce poste de dépenses sera très élevé.

De l’autre côté, les recettes. Si l’on s’en tient aux données de l’Autorité de régulation des transports pour 2019, les recettes des péages représentaient 97,4 % des 10,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires des sociétés concessionnaires, permettant de dégager des dividendes de l’ordre de 3,1 milliards.

À travers une vaste opération de nationalisation, l’État pourrait donc disposer en théorie de ces sommes, mais encore faudrait-il maintenir pour cela le niveau des péages au niveau actuel. De nouveau, des questions éminemment politiques rendent compliquée la résolution de l’équation pour savoir à quel horizon précis les usagers s’y retrouveraient financièrement. Beaucoup de scénarios sont possibles, y compris celui d’un horizon indéterminé.

En définitive, comme nous le disions, ce qui compte, c’est d’établir un projet : s’il s’agit de nationaliser les autoroutes pour diminuer les péages, l’opération pour le contribuable pourrait être coûteuse. S’il s’agit de mettre en place une politique de transport forte, prenant en compte les impératifs de la transition écologique, l’analyse coût-bénéfice pourrait être nettement en faveur d’une solution publique.

Lexbase : D’autres secteurs jugés trop rentables pour le secteur privé pourraient-ils à l’avenir faire l’objet de cette même proposition ?

Thomas Perroud et Bruno Deffains : Comme nous le disions plus haut, la question doit porter moins sur le principe que sur le projet et les modalités.

La situation est aujourd’hui ambiguë concernant la place de l’État. Les projets de privatisation ne manquent pas, dans beaucoup de domaines, en France comme à l’étranger, poursuivant la tendance initiée dans les années 80. Pour l’instant, les projets de « nationalisation » ont surtout eu le vent en poupe au niveau local, dans le domaine de l’eau par exemple.

Mais le problème nous semble aujourd’hui mal posé. La question de principe de la nationalisation doit aller de pair avec une réflexion sur les objectifs de politique publique (de politique sociale et environnementale notamment) que l’on veut porter. En outre, il faut aussi capitaliser sur les erreurs de la gestion publique pour ne pas les reproduire. Le public et le privé ne s’opposent pas nécessairement et la place de l’État doit être réfléchie de façon à construire une institution au service de l’intérêt général. Les modèles étrangers montrent que la nationalisation pourrait tout à fait prendre une forme autre qu’une société anonyme à capital public ou un établissement public. L’Allemagne, le Royaume-Uni ont mis en place, par exemple, des coopératives de services publics permettant d’inclure dans la gestion le public et le personnel. Ce modèle nous semble intéressant pour ne pas reproduire les erreurs de la gestion bureaucratique, car l’État n’a pas le monopole de l’intérêt général.

Il faut donc capitaliser sur le passif de la gestion publique pour construire des projets d’intérêt général permettant d’inscrire les services publics dans un projet social plus large, au service notamment de la transition écologique et des intérêts les plus faibles de la société.

L’approche des élections ne facilitera pas la tenue d’un débat complexe. C’est pourtant à notre sens l’enjeu. Le débat sur le mérite de la nationalisation ne doit pas éclipser celui du projet social qu’il doit porter et c’est là que la réflexion commence. L’enjeu de la transition écologique, de la justice sociale nécessite une montée en compétences des citoyens et donc un débat public à la hauteur des enjeux. C’est certainement un défi plus grand que celui de la nationalisation.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public


[1] CE, Sect., 27 septembre 2006, n° 290716, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3223DRS).

[2] Avis Autorité de la concurrence n° 14-A-13, 17 septembre 2014, sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires (N° Lexbase : X9806ANI).

[3] Cour des comptes, Le plan de relance autoroutier, 18 avril 2019 [en ligne].

[4] B. Deffains et T. Perroud, La privatisation d'Aéroport de Paris et l'alinéa 9 du préambule de 1946 : Aéroport de Paris est un monopole de fait !, JP Blog, 28 janvier 2019 [en ligne].

[5] B. Deffains et T. Perroud, La privatisation d’ADP introduit un nouvel acteur qui sera opposé à toute évolution des politiques environnementales, Le Monde, 26 février 2019 [en ligne].

[6] Cons. const., décision n° 81-132 DC, du 16 janvier 1982 (N° Lexbase : A8037ACN).

newsid:478831

Entreprises en difficulté

[Textes] La nouvelle réforme d’automne du droit des entreprises en difficulté : l’ordonnance du 15 septembre 2021

Réf. : Ordonnance n° 2021-1193, du 15 septembre 2021, portant modification du livre VI du Code de commerce (N° Lexbase : L8998L7E)

Lecture: 18 min

N8833BYS

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par Georges Teboul, avocat à la Cour, AMCO

Le 22 Septembre 2021


Mots-clés : réforme • transposition de la Directive n° 2019/1023 • conciliation • sauvegarde • sauvegarde accélérée • redressement judicaire • classe de créanciers • sûretés et garanties

L’ordonnance de réforme du livre VI du Code de commerce relatif au droit des entreprises en difficulté a été publiée au Journal officiel du 16 septembre 2021. Ce texte pris en application de deux habilitations contenues dans la loi « PACTE » modifie, d’une part, les dispositions du livre VI du Code de commerce relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés et, d'autre part, adopte les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour transposer la Directive « restructuration et insolvabilité ».


 

Les praticiens attendaient depuis de nombreux mois l’ordonnance qui vient de paraître (ordonnance n° 2021-1193, du 15 septembre 2021, portant modification du livre VI du Code de commerce).

Ce texte est enfin paru au Journal officiel du 16 septembre 2021 après de nombreuses péripéties. En effet, deux projets de texte avaient été annoncés, l’un sur une réforme du droit des sûretés et l’autre sur la transposition de la Directive de juin 2019 (Directive n° 2019/1023 du 11 juin 2021 N° Lexbase : L6745LQU) et ces textes qui devaient en principe être promulgués dans le délai d’habilitation de deux ans établi par la loi « PACTE » de 2019 (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 N° Lexbase : L3415LQK) et par la Directive ont vu le jour avec un retard justifié par le surcroît de travail très important provoqué par la crise de la covid-19, ce que chacun peut comprendre.

La conséquence est que ce texte du 15 septembre sera applicable dès le 1er octobre (mais pas pour les procédures en cours, heureusement), ce qui va encore compliquer la vie des praticiens mais ils y sont malheureusement habitués … Nous ne souhaitons pas ici reproduire en le paraphrasant ce texte, mais attirer l’attention du praticien sur son articulation et sur les modifications essentielles.

Il s’agit en effet de créer une procédure spécifique dédiée à la transposition de la Directive n° 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 sur les cas de restructurations préventives, la remise des dettes et les mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures de restructuration (c’est une paraphrase), tout en modifiant certaines dispositions du livre VI du Code de commerce pour faciliter la transition avec les mesures transitoires de la crise covid, de réformer le droit des sûretés, ce qui est un objectif ambitieux.

Reprenons dans l’ordre ces principales modifications :

  • La prévention

Nous savons que, dans un cadre transitoire, la conciliation a été prorogeable pour une durée de 10 mois jusqu’à la fin 2021, ce qui est bien commode pour traiter des difficultés d’une période où la visibilité était absente avec des éléments prévisionnels difficiles à établir.

Les juges de la prévention ont en outre disposé sur requête (et non par assignation) d’un pouvoir de blocage des mesures d’exécution qui a été bienvenu à un moment où certains créanciers pouvaient être tentés de profiter de la situation, avec un pouvoir de modération bien entendu, pour tenir compte de la situation du créancier considéré.

Au-delà de ces modifications sur lesquelles, nous avons eu l’occasion d’écrire, ce texte revient à nouveau sur la prévention.

La prévention/détection : il s’agit ici de pérenniser l’accélération de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes et d’informer dès l’origine, le président du tribunal de commerce, ce qui avait été établi dès l’ordonnance du 20 mai 2020 (ordonnance n° 2020-596 N° Lexbase : L1695LX3) au début de la crise. Il s’agit ici essentiellement des articles 2 et 3 de l’ordonnance modifiant l'article L. 611-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L9105L7D) permettant, dès le refus du dirigeant, d’informer aussitôt après la première information, le président du tribunal compétent.

En outre, dès l’envoi de la convocation et non plus à l’issue de l’entretien avec le dirigeant, le président peut recueillir différents renseignements qui étaient auparavant prévus à l’article L. 611-2 : l’accélération sera ainsi bien visible.

Sur la conciliation, le texte de l’article L. 611-7, alinéa 5 (N° Lexbase : L9110L7K), est bien étoffé. Jusqu’ici, le débiteur mis en demeure ou poursuivi pouvait demander l’application des dispositions sur l’obtention d’un délai de grâce de 2 ans, comme prévu à l’article 1343-5 du Code civil (N° Lexbase : L0688KZI). À présent, le débiteur peut faire cette demande lorsque le créancier n’a pas accepté dans le délai imparti par le conciliateur, la demande de suspension d’exigibilité de la créance (cela reprend les dispositions covid ainsi pérennisées, à juste titre).

Dans ce cas, le juge peut reporter ou échelonner le règlement des créances non échues dans la limite de la durée de la mission du conciliateur.

Il est dommage, à cet égard, qu’il ne soit pas envisagé de pérenniser la mesure de possibilité de prolongement de la durée de la conciliation jusqu’à dix mois après la fin de l’année. Une certaine souplesse aurait cependant été nécessaire pour faciliter le retour à une activité normale qui n’est pas encore visible dans tous les secteurs concernés.

Les garants auront vocation à bénéficier de ces délais (article 7 de l’ordonnance et modifications du 1er alinéa de l’article L. 611-10-2 N° Lexbase : L9111L7L). En outre, est reprise à l’article 8 de l’ordonnance, une modification de l’article L. 611-10 (N° Lexbase : L3243IC4) par la création d’un quatrième paragraphe sur le fait que la caducité ou la résolution de l’accord amiable ne prive pas d’effets les clauses dont l’objet est d’en organiser les conséquences.

Cela peut paraître surprenant, les clauses qui sont la conséquence d’un accord annulé, ayant ainsi vocation à perdurer. Si un créancier a bénéficié de nouvelles sûretés dans le cadre d’un accord, est-il normal qu’il les conserve ? A priori, il semble que non, comme la Cour de cassation [1] l’avait jugé. Cette affaire était cependant très spécifique avec des éléments argués de faux …

  • La sauvegarde

Il faut retenir que la sauvegarde fait l’objet d’une double réforme.

D’une part, les sauvegardes de droit commun sont concernées par la réforme, dès lors qu’il n’existe plus de comité de créanciers mais des classes de créanciers soumises à de nouvelles règles.

D’autre part, la procédure dite européenne de transposition de la Directive donne lieu à une procédure de sauvegarde spécifique. Cette procédure de sauvegarde sera réservée aux plus grandes entreprises et ne concernera nécessairement qu’un nombre limité d’entre elles.

À cet égard, une procédure de sauvegarde accélérée va pouvoir être ouverte à la demande d’un débiteur déjà engagé en conciliation qui va justifier avoir élaboré un projet de plan permettant d’assurer, d’une manière crédible, la pérennité sociale.

Un délai de quatre mois maximum est prévu pour justifier du caractère « accéléré » indiqué ci-avant et il faut un soutien minimum des créanciers dans les conditions requises.

Le plan devra être arrêté dans un délai de deux mois à compter du jugement d’ouverture, ce délai étant prorogeable jusqu’à quatre mois maximum.

Autre nouveauté intéressante, cette sauvegarde sera possible même si un état de cessation des paiements existe mais il devra dater de moins de 45 jours précédant la demande. Cette procédure de sauvegarde accélérée ne prendra effet qu’à l’égard des parties affectées par le projet de plan. Le débiteur établit la liste des créances de chaque partie affectée ayant participé à la conciliation (C. com., art. L. 622-24, al 1er N° Lexbase : L8803LQ4). Si des accords de subordination existent, ils devront avoir été portés à la connaissance du débiteur, dès avant l’ouverture de la procédure. Le passif devra être certifié par le commissaire aux comptes ou à défaut par l’expert-comptable.

Le mandataire judiciaire transmettra à chaque partie affectée figurant sur la liste, l’extrait de la liste déposée concernant sa créance et le dépôt de la liste au greffe vaudra déclaration au nom des parties affectées, si elles n’adressent pas leur déclaration de créances dans les conditions prévues aux articles L. 622-24 à L. 622-26.

Dans l’ordonnance, ces dispositions figurent aux articles 11 à 38. Pendant cette procédure, le juge-commissaire pourra autoriser le débiteur à faire certains actes (consentir une sûreté réelle conventionnelle en garantie d’une créance postérieure, faire un acte de disposition étranger à la gestion courante, compromettre ou transiger et si ces modifications sont déterminantes, le procureur devra donner préalablement son avis) : il s’agit ici de l’article L. 622-7 (N° Lexbase : L7285IZT) modifié et de l’article 15 de l’ordonnance.

La difficulté consistera à manier le régime complexe des classes de créanciers dans un délai aussi bref mais la conciliation devra avoir permis d’effectuer le travail indispensable de préparation.

Pendant cette procédure spécifique, la paralysie des procédures d’exécution est prévue à l’article L. 622-21 (N° Lexbase : L3452ICT ; ord., art. 19) avec une interdiction de tout accroissement de l’assiette d’une sûreté réelle conventionnelle ou d’un droit de rétention conventionnel, ce qui constitue une innovation intéressante.

Cependant, l’accroissement de l’assiette pourra résulter d’une cession de créance prévue à l’article L. 313-23 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9528LGY), s’il s’agit d’exécuter un contrat cadre antérieur à l’ouverture de la procédure sera autorisé.

Les privilèges concernant les apports de trésorerie pour assurer la poursuite de l’activité pour la durée de la procédure seront garantis par de nouvelles dispositions insérées au 3 de l’article L. 622-17 (N° Lexbase : L9123L7Z ; ord., art. 18). Toutes mesures d’exécution sur les meubles et les immeubles seront paralysées ainsi que toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture (C. com., art. L. 622-21 ; ord., art. 19).

Les modalités des déclarations de créances par les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie sont également prévues par la réforme avec les modalités de leur déclaration de créances (ord., art. 22 et s.).

Les dispositions du plan sont précisées, notamment aux articles 28 et suivants, le projet de plan mentionnant les engagements d’effectuer des apports de trésorerie pris pour l’exécution du plan (C. com., art. L. 626-2, 1er N° Lexbase : L9134L7G). En outre, une disposition importante concerne également le passif qui doit être pris en compte lors de la présentation du plan, une attestation de l’expert-comptable ou du commissaire aux comptes permettant d’encadrer les engagements pris pour le règlement du passif et porte sur les créances déclarées admises ou non contestées ainsi que sur les créances identifiables, notamment celles dont le délai de déclaration n’est pas expiré (C. com., art. L. 626-10, al. 2 N° Lexbase : L9138L7L).

En ce qui concerne les privilèges résultant des apports de trésorerie, ils ne s’appliquent pas aux apports consentis par les actionnaires et associés du débiteur dans le cadre d’une augmentation de capital et ils ne peuvent bénéficier aux créanciers au titre de leur concours antérieur à l’ouverture de la procédure (C. com., art. L. 626-10, 3, al. 3 N° Lexbase : L2756LBP ; ord., art. 31).

En outre, au titre du plan, à compter de la sixième année, le dividende devra être de 10 % (C. com., art.  L. 626-18 N° Lexbase : L9139L7M ; ord., art. 32). Cette liste n’est pas exhaustive mais nous évoquons ce qui paraît particulièrement utile aux praticiens.

Le texte évoque longuement les modalités des prises de décisions par les classes de créanciers, leur composition à l’initiative de l’administrateur et les vérifications auxquelles le tribunal doit procéder.

Au titre des classes de parties affectées, ces dispositions concernent les entreprises atteignant des seuils qui seront fixés par décret et dont nous avons déjà une idée (C. com., art. L. 626-29 N° Lexbase : L9145L7T ; ord., art. 37). Il s’agira sans doute des seuils prévus pour les tribunaux de commerce spécialisés (TCS).

Les articles cruciaux concernant le fonctionnement de système de classes se trouvent au niveau de l’article 37 de l’ordonnance avec la modification des articles L. 626-29 sur les seuils d’application, en tenant compte des contrôles inter société, la définition des parties affectées, le droit de vote, la présentation du projet de plan par le débiteur avec le concours de l’administrateur, les vérifications du tribunal prévues à l’article L. 626-31 (N° Lexbase : L7302IZH), la fin de la mission du commissaire à l’exécution du plan à l’article L. 626-31-1 (N° Lexbase : L9150L7Z), et les conditions permettant au tribunal d’arrêter un plan même lorsque ce plan n’est pas approuvé (C. com., art. L. 626-32 N° Lexbase : L7303IZI sur ce que l’on appelle l’application forcée interclasses).

Nous reviendrons ultérieurement sur ce système de classes qui est complexe et qui méritera un examen plus approfondi [2].

  • La sauvegarde « classique »

Il faut retenir que malheureusement, la procédure de sauvegarde ne pourra plus excéder un délai de douze mois (C. com., art. L. 621-3 N° Lexbase : L2761LBU ; ord., art. 13), la prorogation exceptionnelle de six mois à la demande du parquet n’étant plus autorisée, celle-ci étant réservée au redressement (C. com., art. L. 631-7 N° Lexbase : L8623LQG ; ord., art. 41).

En outre, le système des classes sera désormais généralisé, là où un comité était préalablement nécessaire. Cela ne concernera pas les entreprises de taille petite et moyenne qui n’étaient pas obligées de constituer des comités et les seuils seront à cet égard certainement reconduits par le décret attendu.

  • D’autres innovations importantes sur les sûretés et garanties

Pour assurer une cohésion avec les modifications sur les sûretés, le texte prévoit de se référer désormais à une sûreté réelle conventionnelle au lieu d’évoquer une hypothèque, un gage ou un nantissement. Il s’agit de garantir une créance postérieure.

Précisons ici l’augmentation des prérogatives du ministère public qui devra fournir ses observations lorsque le juge-commissaire autorise le débiteur à exercer le droit prévu à l’article 1699 du Code civil (N° Lexbase : L1809ABM) notamment – cet article concerne la cession d’un droit litigieux permettant au débiteur de rembourser le cessionnaire du prix réel de la cession outre ses frais et intérêts.

Le créancier qui est titulaire d’une sûreté réelle constituée en garantie de la dette d’un tiers sera soumis à l’arrêt des poursuites et des voies d’exécution (C. com., art. L. 622-21 ; ord., art. 19).

Des précisions sont formulées sur l’inopposabilité au débiteur des créances non déclarées et non relevées de forclusion, ce qui aura une incidence sur les sûretés (C. com., art. L. 622-21, L. 622-25 N° Lexbase : L9126L77 et L. 622-26 N° Lexbase : L9127L78).

Nous avons vu que les garants personnes physiques seront mieux protégés car ils pourront déclarer leur créance avant paiement, devront se voir notifier l’état des créances si on doit le leur opposer et ces garants seront protégés pendant le plan de redressement et non plus seulement par le plan de sauvegarde : il s’agit donc là d’une importante innovation prévue aux articles 22 à 25 et 43 de l’ordonnance. Les articles concernés sont les articles L. 622-33 N° Lexbase : L9128L79), un nouvel article L. 622-34 (N° Lexbase : L9129L7A), L. 624-3-1 (N° Lexbase : L9132L7D) et L. 631-14 (N° Lexbase : L9175L7X le dernier alinéa de cet article est supprimé).

De nouveaux privilèges sont créés pour les apporteurs de capitaux, tant durant la période d’observation qu’après l’adoption du plan. L’article l. 622-17 leur fera désormais une place et le plan devra spécifier d’une manière distincte les apports de trésorerie effectués pour favoriser l’exécution du plan de sauvegarde, ce qui ne s’appliquera pas aux apports consentis par les actionnaires et associés dans le cadre d’une augmentation de capital (C. com., art. L. 622-17, L. 626-20 N° Lexbase : L9141L7P, L. 626-2 N° Lexbase : L9134L7G, L. 626-10 N° Lexbase : L9138L7L et L. 626-26 N° Lexbase : L9144L7S ; ord., art. 18, 28, 31, 33 et 36  articles 18, 28, 31, 33 et 36).

Au titre de la modification du plan sur les modalités d’apurement du passif, les créanciers seront consultés et leur défaut de réponse vaudra acceptation, sauf si une remise de dette ou une conversion de titres en capital est demandée : dans ce cas, l’acceptation ne pourra être implicite. Il faut se référer ici aux articles 31, 32 et 36 de l’ordonnance et aux articles L. 626-10 et L. 626-18 (N° Lexbase : L9139L7M) sur le minimum de 10 % à compter de la sixième année, et L. 626-26 sur la modification substantielle du plan.

Au titre du rétablissement professionnel, les conditions sont assouplies. Ainsi, les personnes physiques dont l’actif ne comportera pas de biens immobiliers seront concernées sans prendre garde au montant du chiffre d’affaires ou au nombre de salariés.

Le débiteur, propriétaire de sa résidence principale pourra bénéficier du rétablissement professionnel (C. com., art. L. 641-2 N° Lexbase : L9191L7K ; ord., art. 52 et C. com., art. L. 645-1 N° Lexbase : L9210L7A sur les biens insaisissables de droit non pris en compte pour déterminer la valeur de l’actif).

Une innovation importante concerne la clarification de l’ordre de classement des créances prévu aux articles 61 et 62 de l’ordonnance réécrivant l’article L. 643-8 (N° Lexbase : L9208L78) et prévoyant un ordre de règlement, outre une modification de l’article L. 644-4 (N° Lexbase : L9209L79) sur les propositions de répartition formulées par le liquidateur qui évalue par ailleurs le montant des frais de justice (C. com., art. L. 644-4 ; ord., art.  63).

  • Les classes de créanciers

Nous avons indiqué que cela fera l’objet ultérieurement d’une étude approfondie, mais il paraît utile, d’ores et déjà d’indiquer quelques principes.

Les classes seront applicables au-delà de certains seuils dont nous savons qu’il s’agira certainement des seuils des tribunaux de commerce spécialisés (TCS). La sauvegarde accélérée devrait concerner moins de 100 entreprises par an, mais avec un nombre important d’emplois.

En sauvegarde accélérée, deux classes pourront être constituées et cela sera même possible en-dessous des seuils à la demande du débiteur.

Une innovation importante concerne l’obligation de notifier dès le début de la procédure, les accords de subordination pour clarifier le débat car ces créanciers devront être traités distinctement.

Il appartiendra à l’administrateur judiciaire d’établir des listes de classes en fonction de critères objectifs et transparents, une communauté d’intérêts devant réellement exister entre les créanciers avec, en cas de désaccord, un recours au juge-commissaire.

En sauvegarde, aucun plan concurrent ne devrait pouvoir être présenté.

Les créances de « new money » ne devraient se voir imposer ni remise ni délai et le vote sera rapide à la majorité des deux tiers des créances ou des voix.

Il appartiendra au tribunal de vérifier les règles fixées sur l’égalité de traitement, la communauté d’intérêts et notamment, le fait que le créancier ne sera pas placé dans une situation inéquitable moins favorable qu’en cas de liquidation judiciaire ou de cession. Le tribunal devra donc vérifier la règle du meilleur intérêt dit en anglais « best interest creditor ».

Le tribunal pourra rejeter le plan si les conditions ne sont pas remplies ou si la pérennité n’apparaît pas assurée.

L’application forcée sera possible même si certaines classes n’ont pas voté le projet de plan. Il devra exister cependant une majorité de classes favorables au plan avec au minimum une classe disposant des sûretés ou un rang au-dessus des chirographaires. Les possibilités de contestations sont ouvertes aux parties affectées au débiteur, au ministère public, au mandataire judiciaire et l’administrateur judiciaire pourra donc saisir le juge-commissaire s’il le souhaite.

Un plan concurrent sera possible en redressement judiciaire mais pas en sauvegarde.

Tout cela méritera naturellement d’être frotté à la pratique, mais en l’état, ces dispositions apparaissent plutôt encourageantes, comme nous l’indiquions dès le mois de juillet après avoir pu échanger avec la Chancellerie sur le projet d’ordonnance de transposition [3].

Chacun pourra constater que la Chancellerie a tenu ce cap difficile et nous saisissons cette nouvelle occasion pour la féliciter du travail important qui a été accompli dans des conditions difficiles et tout en préservant, pour l’essentiel, un système de traitement des difficultés français qui est plutôt satisfaisant et efficace.


[1] Cass. com., 21 octobre 2020, n° 17-31.663, F-D (N° Lexbase : A87513YR).

[2] . V. pour le détail not. K. Lemercier et F. Mercier, Réforme de droit des entreprises en difficulté : instauration des classes de parties affectées, Dalloz Actualité du 21 septembre 2021.

[3] G. Teboul, Dalloz Actualité du 22 juillet 2021.

newsid:478833

Famille et personnes

[Textes] L’accès à la parenté pour tous, consacré par la loi bioéthique du 2 août 2021

Réf. : Loi n° 2021-1017, du 2 août 2021, relative à la bioéthique (N° Lexbase : L4001L7C)

Lecture: 52 min

N8823BYG

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par Caroline Siffrein-Blanc, Maître de conférences, AMU LDPSC UR 4690

Le 23 Septembre 2021


Le présent article est issu d’un dossier spécial consacré aux apports de la loi « bioéthique » du 2 août 2021 dans les domaines du droit des personnes et de la famille, et publié dans l’édition n° 878 du 23 septembre 2021 de la revue Lexbase Droit privé. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : (N° Lexbase : N8818BYA).


 

C’est au bout d’un processus de plus de deux ans, que le projet de loi relatif à la bioéthique a été adopté le 29 juin 2021 par l'Assemblée nationale, sans procédure accélérée. Au-delà de profonds désaccords, de divergences irréconciliables entre l’Assemblée nationale et le Sénat, cristallisant les deux chambres au point de parler d’une « guerre des chambres » [1], les rapporteurs ont tenu toutefois à souligner que la navette a été l’occasion pour les députés et les sénateurs de faire profondément évoluer ce projet de loi et de nourrir leur travail des convictions exprimées par l’autre assemblée (rapport fait au nom de la commission spéciale, chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, en nouvelle lecture, sur le projet de loi, modifié par le sénat en deuxième lecture, relatif à la bioéthique, 3 juillet 2021, avant-propos p. 3). Les révolutions scientifiques contemporaines, et, en particulier, la maîtrise que l'homme a acquis sur la vie, et, en un sens, sur sa propre humanité, offre à la volonté un champ possible inespéré, et illimité. Face aux délicates questions d’ordre éthique [2], les sociétés conservent leurs marges d’appréciation pour faire leurs choix, en vertu des principes et des valeurs qu’elles souhaitent promouvoir [3].

Si l’idée « d’un droit à l’enfant » est évoqué pour être dénié [4], en ce que cela reviendrait à faire de lui un objet de droit [5], la montée en puissance de l’individualisme, des droits fondamentaux et notamment du « droit de devenir parent » [6], questionnent une fois de plus les équilibres recherchés entre les intérêts privés et l’intérêt public porté par l’État de définir les règles permettant d’accéder à la parenté et d’en instituer ses liens par la filiation.

Si la loi relative à la bioéthique du 2 août 2021, adoptée le 29 juin 2021 par l'Assemblée nationale, validée par le Conseil constitutionnel le 29 juillet 2021 [7], n’a que toiletté le cadre des techniques médicales accessibles qui restent limitées et réglementées (I), elle a en revanche révolutionner l’accès à la parenté, en consacrant un réel « droit à devenir parent » (II).

I. Un progrès mesuré dans l’encadrement des techniques médicales

Reproduction artificielle, la diversité des techniques. Au cours des dernières décennies, les progrès scientifiques ont permis à l'homme d'acquérir des connaissances essentielles sur le processus de la procréation. Ce savoir lui a permis de découvrir, puis de maîtriser peu à peu les techniques de la reproduction artificielle. Furent réalisées, d’abord l'insémination artificielle de la femme avec le sperme de son conjoint puis avec celui d’un tiers donneur [8], ensuite des méthodes de fécondation en dehors du corps humain, comme la fécondation in vitro [9], enfin la conservation par congélation des embryons obtenus.

En quête perpétuelle de nouvelles prouesses techniques, la science n’a de cesse que de repousser les limites. Des nouvelles techniques d’accès à la procréation émergent telles que la technique dite de la ROPA « réception des ovocytes de la partenaire », la gestation ou procréation pour autrui ou encore la modification d’ADN pour éviter les maladies mitochondriales en concevant un « embryon à trois parents » [10].  Le recours aux divers modes de procréation artificielle ne cesse de susciter question sur question, quelles techniques faut-il rendre licites ou faut-il prohiber ? Soucieux des problématiques juridiques et éthiques, dès 1994, le législateur est venu encadrer et réglementer les pratiques autorisées et celles interdites. Le législateur de 2021 s’est une nouvelle fois positionné pour donner le cadre légal des techniques médicales accessibles.

Pas de révolution dans les pratiques. La loi bioéthique ne vient pas toucher aux principales techniques déjà autorisées et prohibées (A), mais elle apporte en revanche quelques assouplissements quant aux règles relatives aux dons et à la conservation des gamètes (B).

A. La continuité des techniques médicales

Continuité des techniques. Définie à l’article L. 2141-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4561L73) non modifié par la loi du 2 août 2021, l'assistance médicale à la procréation « s'entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle. La liste des procédés biologiques utilisés en assistance médicale à la procréation est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé après avis de l'Agence de la biomédecine. Un décret en Conseil d'État précise les modalités et les critères d'inscription des procédés sur cette liste. Les critères portent notamment sur le respect des principes fondamentaux de la bioéthique prévus en particulier aux articles 16 à 16-8 du Code civil, l'efficacité, la reproductibilité du procédé ainsi que la sécurité de son utilisation pour la femme et l'enfant à naître ». La loi bioéthique conserve ainsi les techniques médicales précédemment autorisées et refuse catégoriquement d’engager le débat sur l’accès à la gestation ou la procréation pour autrui.

Refus de la gestation ou de la procréation pour autrui. À la différence de la procréation pour autrui, la convention de gestation pour autrui porte uniquement sur la gestation de l'enfant et non sur le don de gamètes. Pour la procréation pour autrui, la mère porteuse accepte, outre de porter l’enfant, d’en être également la génitrice. Dans les deux cas, gestation ou procréation pour autrui, la femme s'engage à mener à bien sa grossesse et, à la naissance, à remettre l'enfant. Il existe donc des dissociations possibles entre la mère d’intention, la génitrice et la gestatrice, ce qui conduit à une réflexion sur la notion même de maternité. Certains auteurs avaient envisagé la légitimité de la gestation pour autrui, puisque l'enfant reviendrait à sa mère génétique [11]. Mais, dès 1994, le législateur, a condamné ces deux techniques, en maintenant le principe selon lequel la mère est celle qui accouche de l'enfant. Aucune des lois bioéthiques, y compris la toute récente loi n’est venue remettre en cause ces interdits. Lors de la présentation du projet de loi, Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice a affirmé que le Gouvernement restait « totalement arc-bouté sur les questions de non-marchandisation et d’indisponibilité́ du corps humain (..) que ces principes l’emportent, qu’il n’est pas question dans cette loi d’égalité́ » [12]. La crainte d’un glissement vers la légalisation de la GPA a été mainte fois évoquée pour être systématiquement écartée. Sans modification, l’article 16-7 du Code civil  (N° Lexbase : L1695ABE) affirme l'illicéité de toute convention, gratuite ou onéreuse, « portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui ». Aux termes de l’article 16-9 du Code civil (N° Lexbase : L1697ABH), l’interdit est d’ordre public et la nullité encourue absolue. Si la question de la licéité de la GPA n’a jamais été envisagée au cours des débats, la question de la filiation des enfants nés de GPA à l’étranger, absente du texte initial a été introduite à l’initiative du Sénat après la décision rendue par la Cour de cassation en décembre 2019 [13]. À l’issue de discussions et navettes, la loi du 2 août 2021 est venue modifier l’article 47 du Code civil (N° Lexbase : L4366L7T) pour préciser que la reconnaissance de la filiation à l’étranger est désormais « appréciée au regard de la loi française » (v. article A. Gouttenoire, « La filiation monosexuée, consacrée par la loi bioéthique du 2 août 2021 », Lexbase Droit privé n°878 N° Lexbase : N8824BYH).

Les techniques admises. La loi du 2 août 2021 conserve donc sans modification les précédentes techniques d’assistance médicale que sont l’insémination artificielle (insémination intra-utérine) et la fécondation in vitro (FIV) qui comprend plusieurs étapes cliniques et biologiques (stimulation ovarienne, ponction, préparation des gamètes (ovocytes et spermatozoïdes) en laboratoire, mise en fécondation, développement embryonnaire, transfert d’un embryon) [14]. La mise en œuvre de l'assistance médicale à la procréation privilégie les pratiques et procédés qui permettent de limiter le nombre des embryons conservés (C. santé. publ., art. L. 2141-1 N° Lexbase : L4561L73). Mais quand le nombre d’embryons obtenus est supérieur au nombre d’embryons transférés, les embryons surnuméraires dont le développement est satisfaisant sont congelés.

L’insémination artificielle comme la fécondation in vitro peuvent être réalisées soit de façon endogène, c’est-à-dire à partir des gamètes du couple, soit de façon exogène à partir d’un don. Lorsque la technique est endogène, l’enfant est donc issu génétiquement des deux membres du couple. La seule différence avec la procréation « naturelle », tient à ce que l’union des gamètes est le résultat d’un processus artificiel lié à une intervention médicale.

Quand la technique est dite exogène, au processus médical s’ajoute l’utilisation de gamètes extérieures au couple. Il est alors possible d'utiliser des spermatozoïdes d'un tiers donneur en cas de stérilité masculine pour inséminer une femme : insémination artificielle avec donneur. Il peut s'agir également d'une fécondation in vitro d'un embryon conçu grâce à l'ovule d'une femme extérieure au couple (stérilité féminine) ou grâce à un don d’embryon ou grâce désormais à un double don de gamètes (stérilité du couple ou de la femme seule, v. infra).

Si les techniques médicales n’ont pas été élargies, la loi bioéthique est venue en revanche assouplir quelques règles de mises en œuvre des dons et utilisation de gamètes.

B. L’assouplissement des dons et utilisations de gamètes

Assouplissement des règles entourant le don de gamètes. Selon l’article L. 1241-1 du Code de la santé publique (CSP) (N° Lexbase : L4561L73), « le don de gamètes consiste en l'apport par un tiers de spermatozoïdes ou d'ovocytes en vue d'une assistance médicale à la procréation ».

Ouvrant la procréation médicalement assistée (PMA) plus largement (v. infra II) et l’accès aux origines du donneur (v. article sur l’accès aux origines), le législateur a anticipé une demande plus importante de gamètes et un changement de profil des donneurs. Ainsi, a-t-il modifié certaines dispositions de la loi pour assouplir les conditions du don de gamètes. Dans la continuité et le respect des principes fondamentaux entourant le respect des produits du corps humain (gratuité, anonymat des dons, consentement éclairé), certaines dispositions encadrant le consentement au don ont été simplifiées notamment celles de l’article L. 1244-2 du CSP (N° Lexbase : L7138IQG) dont la nouvelle rédaction entrera en vigueur à compter du 1er septembre 2022.

Le premier alinéa de l’article L. 1244-2 du CSP (N° Lexbase : L4541L7C) dispose, désormais, que seule une personne majeure peut effectuer un don et qu’en tout état de cause, un mineur, même émancipé, ne peut être donneur. Alors que le législateur apporte une précision sur l’interdiction absolue du don de gamètes pour les mineurs même émancipés, rien n’est précisé pour les majeurs protégés. Est-ce à dire qu’ils sont totalement libres de donner ? Pas nécessairement. Certes, le texte spécifique aux dons de gamètes reste muet, mais l’article L. 1241-2 du CSP (N° Lexbase : L4532L7Y), inscrit dans le chapitre I du titre IV « Tissus, cellules, produits du corps humain et leurs dérivés » (articles L. 1241-1 à L. 1245-8), précise qu’« aucun prélèvement de tissus ou de cellules, aucune collecte de produits du corps humain en vue de don ne peut avoir lieu sur une personne vivante mineure ou sur une personne vivante majeure faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation à la personne ». À ce titre, il faut noter que la loi du 2 août 2021 a modifié légèrement la formule puisque l’ancienne rédaction prévoyait l’interdiction « sur une personne vivante majeure faisant l'objet d'une mesure de protection légale ». En d’autres termes, si l’interdiction était générale et concernait l’ensemble des majeurs protégés quelle que soit la mesure de protection, désormais seuls sont visés les majeurs dont la mesure de protection consiste en une représentation à la personne (tout dépendra de la mesure et de la personnalisation de l’ordonnance ou du mandat, il peut s’agir d’une tutelle, d’une habilitation familiale, ou d’un mandat de protection future).

Est supprimée, dans la nouvelle rédaction, toute référence à une condition de procréation antérieure qui n’était en fait déjà plus opposable aux donneurs majeurs depuis la loi de 2011. Surtout, la nouvelle rédaction supprime également la nécessité du recueil du consentement du conjoint si le donneur forme avec ce dernier un couple. Cette condition pouvait constituer un obstacle au don et ce d’autant plus que le conjoint disposait en outre d’un droit de révocation par décision unilatérale. Pour simplifier et assouplir le don, le consentement du conjoint a été supprimé sans être remplacé pour autant par une obligation d’information à l’égard du conjoint ou du partenaire [15]. En revanche, une obligation d’information préalable est insérée à destination du donneur, particulièrement sur l’accès aux origines. Ainsi, le donneur est dûment informé des dispositions législatives et réglementaires relatives au don de gamètes, notamment des dispositions de l'article L. 2143-2 du CSP (N° Lexbase : L4576L7M) relatives à l'accès des personnes conçues par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur (v. article A. Gouttenoire et C. Siffrein-Blanc, L’accès aux origines des personnes issues d’une PMA, consacré par la loi bioéthique du 2 août 2021, Lexbase Droit privé n°878, N° Lexbase : N8825BYI). L’exigence du recueil du consentement par écrit, révocable à tout moment jusqu’à utilisation des gamètes, est maintenue exception faite de la suppression de la mention du conjoint.

La nouvelle rédaction de l’article L. 1244-2 du CSP (N° Lexbase : L4541L7C) permet un assouplissement significatif dans la mise en œuvre du don : « il décharge les centres d’AMP d’une formalité substantielle ; il permet également de faciliter de nouveaux dons sans avoir à renoncer au principe de gratuité ni à se procurer des gamètes à l’étranger »  [16].

L’élargissement de l’autoconservation des gamètes. Dans la future version de l’article L. 1244-2, le dispositif d’autoconservation dans le cadre du don qui crée une contrepartie au don sera supprimé. Parallèlement, le régime de la conservation à des fins autologues est, lui, renouvelé.

La conservation à des fins autologues est encadrée, d’une part par l’article L. 2141-11 du CSP (N° Lexbase : L4570L7E) lorsqu’elle répond à des fins médicales, et d’autre part par le nouvel article L. 2141-12 du CSP (N° Lexbase : L4572L7H) lorsqu’elle vise la réalisation ultérieure d’une assistance médicale à la procréation en l’absence d’indications pathologiques.

Aux termes de l’article L. 2141-11, la conservation à des fins autologues peut d’abord être réalisée chaque fois que la prise en charge médicale est susceptible d'altérer la fertilité ou dont la fertilité risque d'être prématurément altérée. Cette indication médicale justifie le recueil et la conservation des gamètes soit en vue d’une AMP, soit « en vue de la réalisation et de la restauration de sa fertilité ». La loi du 2 août 2021 remet au cœur de la décision les personnes vulnérables, en ce qu’elle précise, d’une part que « le consentement de la personne mineure doit être systématiquement recherché si elle est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision », et d’autre part que l'article 458 du Code civil (N° Lexbase : L8442HWL) s'applique « s'agissant des personnes majeures faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne ». Autrement dit, la conservation à des fins autologues constitue un acte strictement personnel insusceptible d’assistance ou de représentation.  Enfin, il est précisé dans le texte que « la modification de la mention du sexe à l'état civil ne fait pas obstacle à l'application du présent article ». Cette précision donne ainsi aux personnes ayant changé de sexe à l’état civil, la garantie de pouvoir conserver leurs gamètes d’origines et d’avoir un accès à un projet parental.

L’évolution plus remarquée touche à l’autoconservation des gamètes en dehors de tout motif médical. Avec la nouvelle rédaction de l’article L. 2141-12 du CSP (N° Lexbase : L4572L7H) (l’ancien L. 2141-12 du CSP relatif aux conditions d’application du chapitre relatif aux dispositions générales de l’AMP est renuméroté à l’article L. 2141-13 CSP N° Lexbase : L4573L7I), l’autoconservation devient possible pour les femmes et pour les hommes, alors que, jusqu'ici, une femme ne pouvait avoir recours à la congélation de ses propres ovocytes qu’en cas de nécessité médicale ou de don préalable. L’étude d’impact souligne que cette autorisation a « pour double effet, d’une part de réduire la demande de dons d’ovocytes (puisque les propres ovocytes de la femme conservés antérieurement seraient utilisés) et, d’autre part, d’augmenter le nombre d’ovocytes disponibles pour le don, dans l’hypothèse où, n’en ayant pas eu besoin, la femme les donnerait finalement pour qu’ils bénéficient à d’autres femmes » (étude d’impact, p. 113). Pour prétendre à cette nouvelle possibilité, l’article précise que la personne doit être majeure et répondre à des conditions d’âge qui devront être définies par décret [17].  Quant à la finalité de la conservation, elle doit s’inscrire en vue de la réalisation ultérieure d’une AMP et ne pourra pas donner lieu à une exportation dans un but commercial (CSP, art. L. 2141-11-1 N° Lexbase : L4571L7G). Après une information sur les risques et les limites de la démarche ainsi que de ses suites, un consentement écrit est exigé et renouvelé chaque année pour poursuivre la conservation. Hors indications pathologiques, la conservation des gamètes ne fait pas l’objet d’une prise en charge par la Sécurité sociale (CSS, art. L. 160-8 7° N° Lexbase : L4616L74), l’intention du Gouvernement étant d’autoriser cette pratique sans la favoriser. Pour éviter toute pression conduisant à différer le projet parental des salariés, notamment des femmes, les parlementaires ont prévu l'interdiction pour les employeurs ou les autres personnes avec laquelle l'intéressé est dans une situation de dépendance économique de proposer la prise en charge des frais d'autoconservation de gamètes (CSP, art. L. 2141-12). L’assouplissement des règles entourant la possible autoconservation des gamètes s’inscrit dans cette évolution sociétale d’émancipation des femmes « en leur permettant notamment de se libérer des contraintes liées à « l’horloge biologique » (étude d’impact, p. 111). Il a été toutefois bien précisé qu’il ne s’agissait en aucun cas « ni d’inciter les femmes à recourir à une conservation de précaution de leurs ovocytes et encore moins de conforter une norme sociale selon laquelle une femme ne peut se réaliser sans devenir mère.  Il s’agit d’offrir cette possibilité aux femmes et aux hommes qui le souhaitent avec des conditions strictes d’accès et de mise en œuvre (notamment en termes de limites d’âge) » (étude d’impact, p. 111).

La levée de l'interdiction du double don de gamètes. Jusqu’à présent, l'article L. 2141-3 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7150IQU) interdisait en principe, la conception in vitro d'un embryon « avec des gamètes ne provenant pas d'un au moins des membres du couple ». Ainsi, l’embryon conçu ne pouvait provenir de deux dons séparés (spermatozoïdes et ovules) et devait ainsi résulter soit d’un don unique et de gamètes d’au moins un des membres du couple soit d’un don d’embryons (embryons surnuméraires de couples ayant eu recours à une PMA et ayant consenti au don). Dès le projet de loi, cette précision est supprimée de l’article L. 2141-3 du CSP (N° Lexbase : L4563L77), afin d’autoriser le double don de gamètes. L’interdiction sera réintroduite en première lecture par le Sénat, mais supprimée par la commission spéciale et définitivement adoptée par les parlementaires. Cette évolution vise en réalité à tirer les conséquences de l’ouverture de la PMA aux femmes seules, qui pourraient, si elles étaient dans l'incapacité de concevoir avec leurs propres ovocytes, uniquement avoir recours à un don d’embryon et les empêcherait de bénéficier de toutes les techniques disponibles. À cet argument s’en sont ajoutés d’autres : la faible activité d’accueil d’embryons ne permettant pas de répondre à la demande de l’ensemble de couple, la complexité procédurale [18], l’incompréhension de ne pas pouvoir recourir à l’ensemble des techniques lorsque le couple rencontre un double cas d’infertilité, et enfin les barrières psychologiques (le double don présenterait une charge symbolique moindre que l’accueil d’embryon résultant d’un autre projet parental [19]).

Le rejet de la technique de la « ROPA ». Une technique variante de la FIV a donné lieu à de nombreux débats, la technique dite de la « ROPA » (« réception des ovocytes de la partenaire »). Cette méthode repose sur une FIV : l’une des partenaires donne à celle qui va porter l’enfant ses ovocytes. Dès septembre 2019, Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé,  affirmait l’opposition du Gouvernement à cette technique au motif que le projet de loi avait pour « objectif de consacrer la mère sociale d'intention par le biais de la filiation sécurisée. La ROPA représenterait une forme de retour en arrière, avec une mère qui accueillerait les ovocytes et serait porteuse. » (rapport assemblée, 19 septembre 2019 p. 33). Réintroduite dans le débat par la commission spéciale en deuxième lecture accueillant favorablement l’amendement autorisant la technique [20], elle fut in fine écartée en séance publique [21]. Malgré un soutien du rapporteur du texte favorable à l’adoption de cette technique (Jean-Louis Touraine soutenait la technique [22]), un cadre spécial d’autorisation (déroger à l’anonymat du don et autoriser un don dirigé uniquement en cas d’infertilité), et les arguments invoqués en sa faveur (faciliter le projet parental du couple de femmes, répondre à la pénurie de don, permettre à chacun des membres du couple candidat à l’assistance médicale à la procréation de disposer librement de ses gamètes), la technique fut écartée au motif notamment qu’elle venait brouiller la différence entre donneur et parent et conforterait l'idée qu'il faut, pour être un parent, être biologiquement lié à son enfant. En refusant la technique de la « ROPA », en maintenant ainsi l’interdiction du don dirigé ou familial, le législateur marque ainsi une évolution progressive des techniques médicales à la procréation.

Tout autre est, en revanche, la révolution actée par le législateur dans l’accès à l’assistance à la procréation.

II. Révolution dans l’accès à l’assistance médicale à la procréation : un droit de devenir parent

Les évolutions sociétales engagées par le projet de loi en matière d'assistance médicale ont soulevé d'importants questionnements en ce qu'elles impliquent des choix collectifs et des attentes individuelles. L’équilibre recherché entre la volonté d'accueillir des avancées médicales, technologiques, scientifiques, et le respect des principes fondamentaux formant « l'éthique à la française », fut particulièrement délicat à trouver lors de l’adoption de cette loi bioéthique. Les débats furent animés, engagés, les compromis difficiles et les désaccords parfois irréductibles entre les deux chambres. En refusant de consacrer en article liminaire l’absence de droit à l’enfant (A) et en modifiant en profondeur l’accès à la PMA (B), la loi bioéthique du 2 août 2021 crée des droits nouveaux et dessine, comme avec chaque loi de bioéthique, un nouveau point d’équilibre entre l’accueil des promesses technologiques et les valeurs collectives, en plaçant au cœur des évolutions sociétales le projet parental.

A. Suppression de l’article consacrant l’absence de droit à l’enfant

Parmi les débats que suscita la loi bioéthique, l’article principiel 1er A introduit par le Sénat en première lecture, supprimé en deuxième lecture par l’Assemblée, réintroduit par le Sénat et définitivement supprimé par l’Assemblée fut l’un des points idéologiques de crispation entre les deux chambres.  Issu de l’adoption en première lecture par le Sénat d’un amendement déposé par plusieurs des membres du groupe, Les Républicains, contre l’avis de la commission spéciale [23]  et du Gouvernement, l’article 1er A affirmait que « nul n’a de droit à l’enfant ».

Selon les Sénateurs, l’adoption de cet amendement aurait permis de concrétiser le principe unanimement admis selon lequel l’enfant est un sujet de droit, et non un objet de droit et de mettre le texte en accord avec les déclarations politiques affirmant la non-ouverture de la GPA (v. notamment l’amendement n° 128 de M. de Legge).

Telle ne fut pas la solution retenue. À deux reprises, la proposition d’article a été supprimée. À l’appui, trois arguments furent systématiquement invoqués pour écarter l’article consacrant l’absence de droit à l’enfant.

Le premier argument reposait sur l’inexistence du concept [24]. Considéré comme insaisissable et ne répondant à aucune définition juridique, l’article aurait conduit à une affirmation sans portée juridique faisant craindre une insécurité juridique.

Le deuxième avançait la crainte qu’un tel interdit si général absolu et abstrait remette en cause l’assistance médicale à la procréation ou certaines de ses modalités. Mme Nicole Belloubet affirmait lors des débats au Sénat, « introduire dans le texte la rédaction proposée au travers de l’amendement limiterait par trop (…) les possibilités offertes en matière de liberté de procréation ».

Enfin, l’ultime argument reposait sur une potentielle contradiction avec la jurisprudence dégagée par la Cour européenne. Le droit à la parentalité trouve en effet un certain écho dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le respect à la vie privée et familiale (CESDH, art. 8 N° Lexbase : L4798AQR). Tout en affirmant de façon constante que les dispositions de l’article 8 ne garantissent ni le droit de fonder une famille ni le droit d’adopter (CEDH, 26 février 2002, Req. 36515/97, Fretté c/ France N° Lexbase : A0562AYH et CEDH, 22 janvier 2008, Req. 43546/02, E.B. c/ France N° Lexbase : A8864D3P), la Cour reconnaît également que le droit des couples à concevoir un enfant et à recourir pour ce faire à une assistance médicale à la procréation relève de la protection de l’article 8, « pareil choix constituant une forme d’expression de la vie privée et familiale » (CEDH, Grande chambre, 3 novembre 2011, Req. 57813/00, S.H. et autres c/ Autriche N° Lexbase : A5739HZL). Dans l'arrêt « Dickson c/ Royaume-Uni » (CEDH, 4 décembre 2007, Req. 44362/04 N° Lexbase : A3786MXI) [25], le refus d'autoriser le requérant détenu et son épouse à recourir à l'insémination artificielle, a été qualifié d'atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale [26]. Dans l'arrêt « S-H et autres c/ Autriche » du 1er avril 2010, les restrictions au don de spermes et d'ovules aux fins de fécondation in vitro sont analysées comme discriminatoires par rapport aux couples qui n'ont pas besoin de ces dons. Dans cette décision, la Cour affirme que « le droit des couples à procréer en faisant appel à la procréation médicalement assistée entre dans le champ d'application de l'article 8, pareil choix s'analysant manifestement en une forme d'exercice du droit à la vie privée et familiale ». La Cour européenne des droits de l’Homme reconnaît ainsi la légitimité du désir d’enfant et l’obligation de le protéger [27]. L’acception d’un « droit à l’enfant » se rapprochant d’un droit à la parentalité, son interdiction absolue risquerait de porter atteinte à la protection d’un droit à la parentalité.

Si entre le droit de devenir parent et le droit à l’enfant, il existe une différence fondamentale - celle de l’objet même du droit, l’un reposant sur le statut de parent l’autre sur l’enfant en devenir - la frontière entre les deux demeure toutefois ténue, dès lors que la loi accorde aux couples et aux femmes seules, le droit gratuit d’accès aux techniques d’assistance médicale à la procréation et la mise à disposition de gamètes de tiers.

B. Une modification en profondeur de l’accès à la PMA

L’article 1er de la loi du 2 août 2021 ne se contente pas d’élargir l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) ; il en modifie bel et bien en profondeur la nature. Destinée à répondre à un projet parental et non plus une infertilité médicale, la PMA repose donc essentiellement sur la volonté de devenir parent dont le consentement en est la manifestation cruciale.

L’élargissement du public éligible. L’ouverture de la PMA « pour les femmes seules et les couples de femmes » constituait une promesse prise par Emmanuel Macron durant la campagne en vue de l’élection présidentielle de 2017. C’est désormais chose faite ; l’article L. 2141-2 du Code civil (N° Lexbase : L4562L74) a été définitivement adopté permettant l’accès de la PMA à « Tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ». Si dans les deux cas, la place du père dans la structure de la parenté était questionnée, l’ouverture de la PMA pour la femme seule amenait en outre à s’interroger sur la structure monoparentale.

D’un côté, il s’agissait de s’interroger plus particulièrement sur la place du père dans la structure de la parenté, de l’autre il s’agissait d’admettre en outre la construction d’une famille monoparentale. Pour le Gouvernement comme pour le législateur, il n’était pas question de dénier la place du père et de remettre en cause l’objectif de soutenir et d’encourager l’implication des pères. Mais cette reconnaissance, ne devait pas empêcher d’admettre qu’à côté d’une vision traditionnelle des structures de la parenté, une autre conception devait être acceptée. Les études étrangères mises en avant pour écarter le principe de précaution ont eu pour but de rassurer sur le bien-être des enfants élevés par des couples de femmes ou des femmes seules ayant eu recours à une PMA avec tiers donneur. Les études montrent qu’il n’existerait aucune différence avec les familles traditionnelles en termes de qualité de la parentalité et d’adaptation psychologique des enfants. Ainsi a été mis en avant à plusieurs reprises l’argument selon lequel la structure familiale comptait beaucoup moins « que le soutien de l’environnement, la dynamique familiale, la qualité des relations entre parents et enfants ainsi qu’entre les parents eux-mêmes » [28]. L’essentiel pour l’intérêt de l’enfant étant l’affection, l’attention, la sécurité, l’absence de violence, l’amour. Or, l’amour n’a pas d’orientation sexuelle ni de statut matrimonial. En outre, les disjonctions propres à l’AMP conduisent à dissocier le géniteur, du père juridique, de la figure masculine dans la parentalité. Aux opposants à l’élargissement de l’accès à la PMA ont été avancés d’autres arguments tels l’accès aux origines permettant à l’enfant de connaître l’identité du donneur, les structures homoparentales et monoparentales déjà reconnues par la société à travers l’adoption, et les fonctions parentales beaucoup moins genrées, l’essentiel pour l’enfant étant l’apport d'un cadre structurant et sécurisant.

L’accès de la femme seule à la PMA posait la difficulté supplémentaire de ne pas apporter à l’enfant un double lignage. À la différence du couple de femmes, qui insère l’enfant dans une structure biparentale et lui apporte des disponibilités plurales et complémentaires, le modèle monoparental apporte à l’enfant un seul parent et un seul lignage. En outre, est mise en avant la plus grande vulnérabilité des femmes seules, les études sociologiques et statistiques faisant apparaître une plus grande précarité sociale des familles monoparentales. Là encore l’argument est écarté. La femme « devenue » seule ne peut être comparée à la femme seule « par choix ». Les situations choisies pourraient se révéler bien différentes des situations subies. Selon l’étude d’impact (p. 49), les difficultés rencontrées par les enfants élevés en famille monoparentale (problèmes émotionnels ou de comportement, moins bonne réussite scolaire) seraient « moins directement liées à la monoparentalité en tant que telle, qu’à des facteurs tels que le désavantage
socioéconomique, le manque de soutien social, les conflits entre les parents, la dépression
parentale suite au divorce, etc. ». Le projet des mères célibataires étant un choix murement réfléchi, il semble exclure les risques liés à la situation sociale, affective et psychologique évoqués pour les situations de monoparentalité subies.

Par conséquent, c’est, « au nom de l’égalité des projets parentaux », et de la sécurité médicale et juridique que la « liberté de procréer et de transmettre, en tant qu’expression de l’autonomie personnelle » [29], est désormais reconnue. La loi se voulant donc inclusive des nouveaux modèles de parenté à côté d’un pluralisme conjugal, il existe désormais un pluralisme parental, qui admet les différentes manières de devenir parent (parenté sociale et parenté biologique) et d’être parent (en couple hétérosexuel, homosexuel ou seul). L’introduction d’une clause de conscience spécifique, permettant à un médecin de refuser de prendre en charge lui-même en assistance médicale à la procréation d’un couple de femmes ou une femme seule (tout en orientant ces personnes vers un confrère à même de le faire), a été réfléchie (étude d’impact, p. 55) sur le modèle de celle qui existe pour l’avortement (CSP, art. L. 2212-8 N° Lexbase : L4739LCI). Envisagée comme inutile et surtout discriminatoire [30], la clause de conscience spécifique ne fut introduite ni dans le projet ni dans les débats.

Plus qu’un élargissement, une révolution. Le droit anciennement en vigueur prévoyait que seul un couple formé d'un homme et d'une femme vivants et en âge de procréer pouvait accéder à l'assistance médicale à la procréation en cas d'infertilité pathologique médicalement diagnostiquée ou pour éviter la transmission d'une maladie (CSP, anc. art. L. 2141-2 N° Lexbase : L7144IQN). Rompant avec cette logique, l'article premier prévoyait dès le projet de loi un accès universel à l'assistance médicale à la procréation pour permettre la réalisation d'un « projet parental » au profit de « tout couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée », sans condition d'infertilité [31].

La question cruciale de la suppression du critère de fertilité fut parmi les dispositions phares suscitant de vives discussions au point d’en devenir un point de crispation entre les deux chambres. Systématiquement réintroduit par le Sénat, le critère médical a été définitivement écarté pour être remplacé par l’exigence d’un projet parental. En supprimant, toute référence aux conditions médicales jusqu'alors fixées pour y recourir, le législateur, par cohérence, a supprimé l'article L. 2141-7 du CSP (N° Lexbase : L7149IQT) réservant l'accès à l'AMP avec tiers donneur à l’exigence de situations pathologiques. Le critère médical, qui constituait un rempart objectif pour certains à l’absolutisme des volontés individuelles, disparaît purement et simplement.

Pour contrer notamment le caractère soi-disant objectif du critère médical, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, rappelait, dès septembre 2019, qu’en l’absence de cause d’infertilité́ objective des couples hétérosexuels (et, d’ailleurs, ne pouvait être éliminé l’hypothèse d’un couple n’ayant pas de rapports sexuels), la loi permettait déjà l’accès à la technique médicale. Selon la ministre, l’argument de l’objectivation d’une pathologie ne tenait donc pas, car il n’y avait pas, dans les démarches d’AMP, de clause d’accessibilité́. Dans son étude préalable, le Conseil d’État expliquait que « ce critère [thérapeutique] apparaît peu adapté dans la mesure où l’on observe aujourd’hui des prises en charge en AMP de situations qui ne répondent pas à proprement parler à l’exigence d’une infertilité “médicalement constatée” » [32]. L’accessibilité des techniques médicales pour tous dans les mêmes conditions de prise en charge pour répondre à un projet parental apparaît dès lors comme le pivot de la loi.

Les très nombreux arguments contra, évoquant la dérive des volontés individuelles, le risque accru de marchandisation des gamètes et produits du corps humain, la rupture d’égalité d’accès à la parenté pour les hommes et couples d’hommes conduisant vers la pente glissante de l’accès à la GPA, le principe de précaution et de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, la consécration d’un droit à l’enfant, le déni de la place du père, n’ont pas suffi pour écarter la volonté politique et sociale de répondre positivement au droit de devenir parent.

Point par point, tous les arguments de l’opposition ont été écartés, repoussés et contrés par des arguments d’égalité, de droit à l’épanouissement personnel et de justice sociale. La GPA que tous s’accordent à refuser apparaît assurément comme un sujet différent n’ayant rien à voir avec la PMA. Le principe de précaution n’apparaissait pas opportun dès lors que de nombreux pays dans le monde avaient ouvert la voie sans que des effets délétères puissent être constatés pour les femmes et les enfants. La loi permettant un droit d’accès à une pratique médicale et non un succès garanti, il n’y aurait pas de droit à l’enfant. Enfin, la préoccupation de la place du père n’empêchait pas la reconnaissance d’autres modèles familiaux qui, existent d’ores et déjà̀ et ont été consacrés dans la loi notamment par le biais de l’adoption [33]. Ainsi, est mise en avant la diversification des modèles de parenté ; à côté du schéma d’une parenté nucléaire (un père, une mère et un ou plusieurs enfants) il en existe bien d’autres, tels que les configurations monoparentales, ou homoparentales. Ce mouvement de diversification de la parenté, justifié par un mouvement de mise à égalité des projets parentaux, qu’ils soient portés
par une ou plusieurs personnes, de même sexe ou de sexes différents [34], a emporté l’aval du législateur. Le nouvel alinéa 2 de l’article L. 2141-2 du CSP (N° Lexbase : L4562L74) en rappelle d’ailleurs l’importance en exigeant que cet accès à la PMA « ne peut faire l'objet d'aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l'orientation sexuelle des demandeurs ».

L’égalité jusque dans la prise en charge. Cette recherche d’égalité, et ce principe de non-discrimination qui était au cœur de la volonté d’élargir l’accès à la PMA à toutes les femmes, posaient également la question de la prise en charge pour toutes et tous de l’accessibilité aux techniques médicales. En effet, la question de la prise en charge par l’assurance maladie fut là aussi un point d’achoppement entre les deux chambres.

Alors que le Sénat portait le principe d’une prise en charge par l’assurance maladie, uniquement pour des raisons médicales ou pathologiques, la commission a rétabli cette prise en charge dans les mêmes conditions pour les couples composés d’un homme et d’une femme, les couples de femmes et les femmes non mariées [35]. La remise en cause de l’égale prise en charge par l’assurance maladie constituait, selon certains, un déficit de solidarité et une discrimination non justifiable (v. dans son étude préalable, le Conseil d’État soulignait qu’il paraissait « exclu, pour des raisons juridiques, d’établir un régime différent de prise en charge au regard de la seule orientation sexuelle ») [36]. Revenant une fois de plus sur les propositions du Sénat, les députés ont rejeté tous les amendements conditionnant la PMA à un motif médical et ont voté la prise en charge par l’assurance maladie de la PMA pour tous sans distinction de motif. Ainsi, il incombera à la « solidarité nationale » de financer la PMA quelle que soit la situation de la femme ou du couple souhaitant y recourir. Le législateur donne ainsi corps à un véritable droit de devenir parent.

L’exigence d’une communauté de vie pour le couple demandeur. Si l’accès à la procréation a été très largement modifié, le législateur a parallèlement cadré et renforcé certaines conditions déjà existantes, liées à l’âge, à la vie commune du couple, à l’absence de décès d’un membre du couple et à l’expression d’un consentement éclairé.

Concernant les couples, le législateur a fait disparaître la condition de différence de sexe en ouvrant l’accès à la PMA à « tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes » (CSP, art. L. 2141-2). L’exclusion des couples d’hommes s’explique par l’impossibilité concrète de participer physiquement au processus d’assistance à la procréation. Dès avant la réforme, le statut du couple n’était pas une condition de l’accès à la procréation médicalement assistée. Aussi, le couple peut être indifféremment marié, pacsé ou en concubinage, et désormais hétérosexuel ou homosexuel. L’exigence formelle d’une vie commune, prévue initialement pour les couples non mariés avait disparu avec la réforme de 2011. Le législateur avait en revanche précisé que faisait obstacle à la poursuite du processus de procréation médicalement assistée, le dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie. La loi du 2 août 2021 apporte sur ce point une modification de cohérence en ajoutant, à la liste des obstacles, la signature d’une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel selon les modalités prévues à l’article 229-1 du Code civil (N° Lexbase : L2609LBA).

L’encadrement de l’âge de procréer. Depuis les premières lois bioéthiques, le législateur réserve l’accès à la PMA aux couples « en âge de procréer » (CSP, art. L. 2141-1). Sans fixer de seuil préétabli, il s’agissait de tenir compte des risques pour la santé de la femme et des limites de la reproduction naturelle. Si des recommandations avaient été données par la Commission nationale de médecine et biologie de la reproduction, ancêtre de l’Agence de biomédecine (fixant à 42 ans révolu l’âge pour la femme et 59 ans pour l’homme) afin que l’assurance maladie prenne en charge l’assistance médicale à la procréation pour les femmes, jusqu’à leur 43ème anniversaire, faisant de cet âge souvent une limite de fait, des difficultés d'application pratiques, et des différences d'appréciation d'une équipe médicale à l'autre créant des inégalités d'accès à l'AMP, avaient été dénoncées notamment par l’Agence de la biomédecine, dans son rapport de janvier 2018 [37]. L’Agence avait donc appelé de ses vœux une clarification, se fondant sur un avis de son conseil d’orientation [38] qui suggérait à cet effet une limite d’âge de 43 ans pour la femme et de 60 ans pour l’homme.

Les divergences de pratiques avaient par ailleurs donné lieu à un certain contentieux [39] conduisant le Conseil d’État à se prononcer. Dans ses deux décisions du 17 avril 2019, le Conseil d'État avait considéré, « que le vieillissement n'entraîne pas systématiquement chez l'homme un arrêt du fonctionnement gonadique, [que] l'Agence de la biomédecine a pu légalement fixer, compte tenu du large consensus existant dans la communauté scientifique et médicale, à 59 ans révolus, en principe, l'âge de procréer au sens et pour l'application de l'article L. 2141-2 du Code de la santé publique. »  [40]. Il a par ailleurs affirmé que « la mise en œuvre de l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique ne pouvait être regardée comme instaurant une discrimination dans l’exercice des droits protégés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales entre des hommes du même âge prohibée par l’article 14 de cette convention, dès lors que ceux-ci sont placés dans une situation différente selon qu’ils procréent naturellement ou ont recours à une assistance médicale à la procréation ».

Dès le projet de loi, il fut prévu dans le nouvel article L. 2141-3 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4563L77), que les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation seraient fixées par décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Agence de la biomédecine, prenant en compte les risques médicaux de la procréation liés à l’âge ainsi que l’intérêt de l’enfant à naître.

Les Sénateurs avaient modifié le texte pour proposer d’encadrer les conditions d’âge par une recommandation de bonnes pratiques fixée par arrêté du ministre en charge de la Santé après avis de l’Agence de la biomédecine (com. n° 171 adopté le 2 janvier 2020), afin de ménager plus de souplesse dans l'appréciation des situations individuelles.

Mais cette proposition n’a pas été retenue par les parlementaires qui ont maintenu in fine la version initiale. L’article L. 2141-2 du CSP prévoit ainsi désormais que « Les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation sont fixées par décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Agence de la biomédecine. Elles prennent en compte les risques médicaux de la procréation liés à l’âge ainsi que l’intérêt de l’enfant à naître. ». L’encadrement par décret des seuils d’âge requis aura l’avantage d’assurer une plus grande sécurisation juridique de l'accès à une AMP en réduisant les inégalités d’accès selon les centres et les territoires.

Maintien de l’interdiction de l’AMP post mortem. Depuis 1994, l’exigence que le couple soit vivant lors de l’assistance médicale constituait l’un des principes structurants de l’accès à l’AMP. Le transfert des embryons ou l’insémination ne pouvait plus avoir lieu après le décès de l’un des membres du couple. Cette disposition interdisant toute demande d’insémination ou de transfert post mortem a fait l’objet de débats dans des termes renouvelés après la décision rendue par le Conseil d’État du 31 mars 2016. En effet, si le Conseil, dans sa décision du 31 mai 2016, avait jugé que la législation française, prise dans son ensemble, n’était pas contraire à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH) (N° Lexbase : L6799BHB), l’interdiction de procéder à une insémination post mortem et l’interdiction d’exporter à cette fin des gamètes conservés en France relevaient selon lui de la marge d’appréciation laissée aux États par la CESDH. Il a toutefois ajouté qu’il lui appartenait également de s’assurer que l’application de la loi à l’affaire n’aboutissait pas à porter une atteinte excessive aux droits fondamentaux. Adoptant le contrôle de proportionnalité in concreto, le Conseil d’État a estimé que, dans la situation très particulière de l’intéressée et de son mari défunt, l’application de la loi française entraînerait des conséquences manifestement disproportionnées et a ordonné qu’il soit procédé à l’exportation des gamètes vers l’Espagne. Faisant ainsi évoluer le raisonnement d’une possible PMA post-mortem circonstancielle, le débat fut rouvert lors de l’adoption de la loi bioéthique. Le CCNE avait préconisé l'ouverture d’une AMP post mortem sous conditions [41], et certains députés invoquaient des arguments de cohérence pour faire évoluer la législation sur ce point. En effet, il semblait, pour certains, illogique, contradictoire et injuste d’interdire une PMA post-mortem alors qu’en tant que femme seule elle pourrait accueillir l’embryon d'un autre couple ou bénéficier d’un don de sperme d’un donneur anonyme (v. Jean-Louis Touraine amendement proposé n° 2238). Plusieurs amendements ont été déposés mais rejetés in fine (v. notamment amendement n° 1905 et n° 2238). Considérant que le projet de la femme récemment endeuillée n’était pas du tout le même que celui de la femme seule (risque de pression sociale et de poids du deuil sur l’enfant à naître) le législateur a finalement décidé d'écarter l'ouverture de l'AMP post mortem (c'est-à-dire le transfert d'embryons ou de gamètes conservés dans le cadre d'une AMP après le décès du conjoint). Ainsi, l’article L. 2141-2 CSP (N° Lexbase : L4562L74) prévoit que, lorsqu’il s’agit d’un couple, le décès d’un des membres du couple fait obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons.

Le consentement, la clé de voûte de l’accès à la parenté. Le consentement de la femme seule ou des membres du couple constitue la clé de voûte de l’accès aux techniques médicales de procréation. Afin d’assurer un consentement libre et éclairé, les demandeurs à l’accès à la PMA ont toujours eu à passer plusieurs entretiens avec une équipe médicale notamment pour vérifier la motivation du couple et les informer sur les possibilités de réussite et d'échec des
techniques de PMA, leurs effets secondaires, leurs risques, leur pénibilité et leurs contraintes,
sur les conséquences d'une éventuelle séparation du couple ou du décès de l'un des
partenaires, sur les éventuelles décisions de transfert d'embryon, et sur la réglementation en
vigueur (CSP, art. L. 2141-10 N° Lexbase : L7148IQS). Le couple avait un délai de réflexion d’un mois, au terme duquel il devait affirmer son consentement. L'équipe médicale pouvait éventuellement suspendre ou refuser la PMA lorsqu’un délai de réflexion supplémentaire était envisagé comme nécessaire aux demandeurs dans l'intérêt de l'enfant à naître. La loi du 2 août 2021 s’inscrit dans la continuité de ce processus d’entretiens préalables, tout en apportant quelques modifications.

Le nouvel article L. 2141-10 du CSP (N° Lexbase : L4569L7D) précise désormais que « la mise en œuvre de l'assistance médicale à la procréation est précédée d'entretiens particuliers de la femme ou du couple demandeur avec un ou plusieurs médecins et d'autres professionnels de santé de l'équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire du centre, composée notamment d'un psychiatre, d'un psychologue ou d'un infirmier ayant une compétence en psychiatrie, le cas échéant extérieur au centre. » Ainsi que l’a rappelé le rapporteur, étant impossible d’envisager une composition de l’équipe pluridisciplinaire strictement identique dans chacun des centres, le législateur est venu garantir la présence d’au moins un médecin et la possibilité de rencontrer d’autres professionnels de santé. La composition de cette équipe sera par ailleurs fixée par décret.

Les médecins doivent dans un premier temps vérifier « la motivation des deux membres du couple ou de la femme non mariée » et non « la volonté à poursuivre leur projet parental » (formule proposée par le Sénat en deuxième lecture) [42] sans avoir à « rappeler les possibilités ouvertes par la loi en matière d'adoption » (passage supprimé dans le projet de loi, réintégré en deuxième lecture par le Sénat et in fine définitivement abandonné).

Les médecins ont par ailleurs l’obligation de procéder à une évaluation médicale des deux membres du couple ou de la femme non mariée. Alors que le projet de loi parlait de « procéder à une évaluation médicale et psychologique », que le Sénat avait modifié le texte en deuxième lecture pour inclure « une évaluation médicale, psychologique et, en tant que de besoin, sociale », de nombreux amendements ont été proposés pour supprimer ces évaluations psychologiques et éventuellement sociales [43]. Le rapporteur regrettait la stigmatisation évidente et le caractère arbitraire d’une telle évaluation psychologique et sociale à l’encontre des couples de femmes et des femmes non mariées. Cette rédaction plus « light » semble plus satisfaisante, tant sur le plan pratique que sur le plan des principes d’égalité de traitement dans l’accès aux techniques médicales.

Enfin, le dossier-guide transmis aux personnes engagées dans un parcours d’AMP, qui comporte notamment des rappels sur les dispositions législatives et réglementaires en matière de PMA et d’adoptions, et des différentes techniques, a été complété par des informations sur l’accès aux données identifiantes et non identifiantes. Surtout, le dossier incite le (ou les) futur(s) parent(s) à anticiper et à créer les conditions d’information de l’enfant issu d’un don. Cet ajout doit être salué car l’accès aux origines ne peut en effet être effectif que si les enfants savent qu’ils sont issus d’un don. Or, aujourd’hui, le secret de la conception est encore préservé ; la découverte, quand elle intervient, est souvent tardive, fortuite et douloureuse [44]. Une préparation de l’enfant dès le plus jeune âge paraît essentielle.

Maintenant la possibilité pour le médecin de refuser la PMA lorsqu’il estime qu'un délai de réflexion supplémentaire est nécessaire à la femme non mariée ou au couple demandeur, dans l'intérêt de l'enfant à naître, le législateur a parallèlement prévu la communication des motifs du report ou du refus d’accès à l’AMP, si les couples ou les femmes non mariées en font la demande (amendement n° 1120). Pour les auteurs de l’amendement, il s’agissait notamment de rendre plus transparentes les décisions des centres d’AMP, d’harmoniser le traitement de leurs demandes et éviter toute discrimination.

Enfin, les règles encadrant le consentement lui-même n’ont pas été modifiées. Le consentement du couple ou de la femme non mariée doit être confirmé par écrit à l'expiration d'un délai de réflexion d'un mois, et lorsqu’ils recourent à une assistance médicale nécessitant l'intervention d'un tiers donneur, ou d’un don d’embryon, ils doivent préalablement donner, dans les conditions prévues par le Code civil, leur consentement à un notaire (CSP, art. L. 2141-10 N° Lexbase : L4569L7D et art. L. 2141-6 N° Lexbase : L4567L7B).

Conclusion

Face à un sujet aussi passionnant et passionnel que le désir d’enfant et le mal d’enfant, la volonté se veut de plus en plus souveraine, sans obstacle. La science offrant les moyens de contourner celui de l’incapacité de procréer, chacun peut accéder, même seul, aux voies d’épanouissement que sont celles d’avoir un enfant. Les révolutions scientifiques contemporaines, et, en particulier, la maîtrise que l'homme a acquis sur la vie, et, en un sens, sur sa propre humanité, offre à la volonté un champ possible inespéré, et illimité. Il en ressort très clairement que l’enfant « à tout prix » [45] n’est plus un simple mythe, ni un pur fantasme dans l’esprit de ceux ou de celles qui s’en prévalent, mais tend à devenir une réalité et un droit de plus en plus revendiqué. La volonté de devenir parent s’affirme face aux obstacles institutionnels, s’appuyant sur le principe d’égalité [46], le droit de devenir parent et le droit de tous de donner la vie. La loi bioéthique consacre pleinement une révolution dans l’accès à la parenté et fait de l’intention, et non de la procréation, le critère pour devenir parent. Si l’éthique « à la française » a conduit à s’adapter aux progrès avec mesure et limite, le législateur a toutefois, sans conteste, franchi un pas nouveau dans l’accès à la parenté. Les progrès de la science, par nature infinis, laissent entrevoir des évolutions techniques aussi passionnantes que terrifiantes ! La question sera de savoir si le droit résistera aux législations les plus permissives et restera un rempart préservant une certaine éthique de l’humanité !

 

[1] J.-R. Binet, Bioéthique et filiation : la guerre des chambres. À propos de l'adoption du projet de loi relatif à la bioéthique en seconde lecture au Sénat, Dr. fam. n° 3, mars 2021, étude 7.

[2] L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a ainsi refusé le 11 octobre 2016, d’adopter un rapport visant à réglementer la GPA, Dr. fam. 2016, Al. 98 ; Mêmes résistances de l’Union européenne : le Rapport 2014 sur les droits de l’Homme et la démocratie dans le monde et sur la politique de l’UE en la matière, adopté par le Parlement européen le 17 décembre 2015, « condamne la pratique de la gestation pour autrui qui va à l’encontre de la dignité humaine de la femme, dont le corps et les fonctions reproductives sont utilisés comme des marchandises » (par. 114) ; selon le Parlement, cette pratique « doit être interdite » et « doit être examinée en priorité dans le cadre des instruments de défense des droits de l’Homme ».

[3] Cf. I. Théry et A.-M. Leroyer, Filiation, origines, parentalité, le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, éd. Odile Jacob, 2014.

[4] H. Fulchiron, Le droit à l’enfant : faux droit, vrai danger ?, in L’intérêt de l’enfant : mythe ou réalité ?, sous la direction C. Siffrein-Blanc et A.-C. Réglier, éd. Fondation Varenne, coll. Essais, octobre 2018, p. 217 ; Cons. const., 17 mai 2013, n° 2013-669 DC (N° Lexbase : Z14806ZI), Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ; CE, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018 ; C. Brunetti-Pons (dir.), Le « droit à l’enfant » et la filiation en France et dans le monde, LexisNexis, 2018, p.600 ; Raynaud, L'enfant peut-il être objet de droit ?, D. 1988. chron. 109 ; M.-T. Meulders-Klein, Le droit de l'enfant face au droit à l'enfant et les procréations médicalement assistées, RTD civ. 1988. 645 ; v. contra selon Robert Badinter, alors Garde des Sceaux (1985), « Le droit de tout être humain de donner la vie » implique « sa liberté de choisir les moyens par lesquels il pourra donner la vie » cité et critiqué, par P. Verspieren, Un droit à l’enfant ?, Etudes, 1985, 683.

[5] H. Fulchiron, Le droit à l’enfant : faux droit, vrai danger ?, op. cit., p. 217.

[6] Cf. not. F. Sudre (dir.), Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne de droits de l’homme, Nemesis-Bruylant, 2002. CEDH, Gr. ch., 4 décembre 2007,  Req. 44362/04, Dickson c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A3786MXI). Mais la Cour estime en effet qu’il faut laisser en cette matière une large marge d’appréciation aux Etats, étant donné que la fécondation in vitro avec donneur « continue à susciter de délicates interrogations d’ordre moral, éthique et sociétales dans lesquelles il faut faire entrer la dignité humaine, le bien-être des enfants ainsi que la prévention des abus possibles ». CEDH, grande chambre, 3 novembre 2011, Req. 57813/00, S.H. et autres c/ Autriche (N° Lexbase : A5739HZL).

[7] Cons. const., décision n° 2021-821 DC du 29 juillet 2021, Loi relative à la bioéthique (N° Lexbase : A45754ZH).

[8] Dite « IAD » : insémination artificielle avec « donneur ». Créés depuis 1973, les CECOS (Centre d'étude et de conservation du sperme) avaient pratiqué en 1984 plus de 10 000 inséminations, et plus de 25 000 dix ans plus tard.

[9] Le premier « bébé-éprouvette » français, Amandine, vint au monde en 1982.

[10] New scientist, Exclusive: World’s first baby born with new “3 parent” technique, 27 septembre 2016 [en ligne].

Modification de l'ADN pour éviter les maladies mitochondriales en concevant un « embryon à trois parents » grâce à un remplacement mitochondrial, qui peut avoir lieu avant la fécondation par un transfert de mitochondries sur l'ovocyte, ou après la fécondation par un transfert de mitochondries sur l'œuf fécondé (Angleterre, 2015). Le 24 février 2015, le Royaume-Uni est devenu le premier État au monde à autoriser le transfert mitochondrial qui permet de remplacer une partie défectueuse de l'ADN transmis par la mère par celui d'une autre femme afin d'éviter la transmission d'une maladie génétique. L'utilisation de cette technique conduit à la transmission à l'enfant du patrimoine génétique de trois personnes : un homme et deux femmes. AJF 2015, p. 125.

La prudence est aussi liée à un précédent : à la fin des années 1990, aux Etats-Unis, des injections de mitochondries de donneuses (on parle de « transfert cytoplasmique ») dans des ovocytes avaient déjà conduit à la naissance de plusieurs dizaines d’enfants. Les enfants ainsi conçus étaient « à quatre ADN ». Si certains sont aujourd’hui en parfaite santé, d’autres ont présenté des anomalies de développement, si bien que les autorités sanitaires américaines ont demandé aux cliniques d’arrêter en 2002. V. H. Morin, Première naissance d’un bébé « à trois parents », Le  Monde, 28 septembre 2016 [en ligne].

[11] M. Bandrac, Réflexions sur la maternité, in Mélanges P. Raynaud, 1988, p. 27.

[12] Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, par P. Berta, C. Dubost, J.-F. Eliaou, L. Romeiro Dias, H. Saulignac et  J.L. Touraine, rapporteurs, tome I audition des ministres commentaires d’articles, 14 septembre 2019, p. 62 [en ligne].

 [13] Cass. civ. 1, 18 décembre 2019, trois arrêts, n° 18-11.815 (N° Lexbase : A8959Z8C), n° 18-12.327 (N° Lexbase : A8960Z8D), n° 18-14.751 (N° Lexbase : A8961Z8E), P+B+R+I, JCP G., n° 52, 23 décembre 2019, 1362, Cass. civ. 1, 18 mars 2020, n° 18-15.368, FS-P+B (N° Lexbase : A48583K7), Cass. civ. 1, 13 janvier 2021, n° 19-17.929, FS-D (N° Lexbase : A72484CG), Dr fam., avril 2021, n° 52, obs. V. Egéa.

[14] Dans cette technique, la fécondation proprement dite se pratique selon deux techniques : la FIV classique (fécondation naturelle des gamètes mis en contact) et la fécondation par micro-injection des spermatozoïdes dans l’ovocyte (dite « ICSI » pour Intra Cytoplasmic Sperm Injection), proposée en cas d’anomalies spermatiques   (Rapport de l’agence de la Biomédecine 2018, [en ligne] ».

[15] Selon l’étude d’impact (étude d’impact, p. 92 [en ligne]), des obstacles pratiques ont justifié l’éviction d’une telle obligation d’information (comment vérifier l’existence d’un partenaire si le donneur ne souhaite pas le mentionner » ou « comment s’assurer que la nécessité d’informer ce partenaire a été bien comprise).

[16] Rapport préc.,  par P. Berta, C. Dubost, J.-F. Eliaou, L. Romeiro Dias, H. Saulignac et  J.L. Touraine.

[17] L’étude d’impact permet toutefois d’en apprécier les contours évoquant deux limites d’âges : un âge plancher fixé à 32 ans pour les deux sexes, un plafond fixé à 37 ans pour les femmes et 45 ans pour les hommes afin de « garantir la qualité des gamètes prélevés ou recueillis » (étude d’impact, p. 114).

[18]  Même si les conditions d'accueil d'embryon ont néanmoins été récemment simplifiées par la loi du 23 mars 2019 : le régime d'autorisation judiciaire - pouvant donner lieu à « toutes investigations permettant d'apprécier les conditions d'accueil que ce couple est susceptible d'offrir à l'enfant à naître sur les plans familial, éducatif et psychologique » - a été supprimé au profit d'un régime de consentement simple devant notaire.

[19] Dominique Mehl et Martine Gross ont publié, il y a quelques mois, un article indiquant que « du point de vue psychologique, les deux démarches ne semblent pas équivalentes. (…) Alors que l’embryon donné a déjà une histoire, l’embryon issu d’un double don commence son histoire avec le ou les parents qui le souhaitent ; v. D. Mehl et M. Gross, Infertilité : double don de gamètes ou don d’embryon ?, Dialogue, n° 222, éd. Eres, janvier 2019.

[20] Rapport préc., par P. Berta, C. Dubost, J.-F. Eliaou, L. Romeiro Dias, H. Saulignac et  J.L. Touraine ; La commission adopte l’amendement n° 927 de Mme Michèle de Vaucouleurs (CSP, art. L. 2141‑2). Après l’alinéa 12, insérer l’alinéa suivant : « Par dérogation au premier alinéa de l’article L.1244‑7, le don de gamètes peut être autorisé au sein d’un couple de deux femmes dans le cas d’une infertilité de l’une d’entre elles. ».

[21] Selon Annie Genevard, « L’autorisation de la ROPA avait été repoussée en première lecture parce que celle-ci constitue un don dirigé, lequel est proscrit dans le cas d’une assistance médicale à la procréation – le don est anonyme.
Les auteurs des amendements veulent faire admettre l’idée qu’un enfant peut être l’enfant de deux femmes : l’une donne ses ovocytes, l’autre porte l’enfant. « C’est notre enfant à toutes les deux » diront-elles, comme peut le faire un couple hétérosexuel. Les amendements traduisent une volonté d’évincer une réalité biologique au profit d’une autre réalité qui trahit précisément la première à laquelle chacun d’entre nous est pourtant confronté. C’est très dangereux et très grave.
Lors de son audition, la sociologue Irène Théry prônait l’abandon de la réalité biologique au profit d’une réalité sociale, sociétale, idéologique. C’est une telle dérive que nous refusons et condamnons en rejetant les amendements. » [en ligne]

[22] (La République en marche) « Il est absurde de demander à une femme d'attendre cinq ans pour obtenir les ovocytes d'une donneuse anonyme alors qu'elle a une volontaire à côté d'elle, la mère du même enfant ».

[23] V. Rapport préc. par P. Berta, C. Dubost, J.-F. Eliaou, L. Romeiro Dias, H. Saulignac et  J.L. Touraine, spéc. commentaires d’articles, 3 juillet 2020, p. 21 et 3 juin 2021, p.11.

[24] CE, op. cit., 28 juin 2018 : « l’invocation d’un “droit à l’enfant” est sans portée, une telle notion n’ayant pas de consistance juridique dès lors qu’un enfant est une personne, un sujet de droit, et qu’il ne saurait être envisagé comme l’objet du droit d’un tiers ».

[25] JCP 2008. I. 110, obs. F. Sudre.

[26] En revanche, la Cour ne consacre pas le droit d’être grand-mère par la récupération des gamètes de son fils décédé (CEDH, 5 décembre 2019, Req. 23038/19, Petithory Lanzmann c/ France [en ligne], Droit de la famille n° 2, Février 2020, comm. 37, J.R., Binet).

[27] CEDH, 1er avril 2010, Req. 57813/00, S-H et autres c/Autriche (N° Lexbase : A033947P).

[28] Comité consultatif national d'éthique (CCNE), avis n° 126 sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation, 15 juin 2017, p. 28, étude d’impact, p. 42 [en ligne].

[29] CE, op. cit., 28 juin 2018, p.  47.

[30] Etude d’impact, p. 55 [en ligne] ; CE, op. cit., 28 juin 2018, p. 66.

[31] J.-R. Binet, op. cit., étude 7.

[32] CE, op. cit., 28 juin 2018, p. 64 ;  Rapport préc.,  par P. Berta, C. Dubost, J.-F. Eliaou, L. Romeiro Dias, H. Saulignac et  J.L. Touraine, spéc. commentaires d’articles, 3 juin 2021, p. 16.

[33] V. J.-L. Touraine, rapporteur, Rapport préc.  par P. Berta, C. Dubost, J.-F. Eliaou, L. Romeiro Dias, H. Saulignac et  J.L. Touraine, rapporteurs, spéc. commentaires d’articles, 14 septembre 2019, p. 20 [en ligne].

[34] Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, Contribution au débat sur l’accès à la PMA, Avis n°2015-07-01-SAN-17, adopté le 26 mai 2015 [en ligne].

[35] V. amendements n° 1456 et n° 1451 du rapporteur, n° 946 de M. Maxime Minot, ainsi que n° 793 de M. Jacques Marilossian et n° 1313 de Mme Aurore Bergé et plusieurs de leurs collègues du groupe La République en Marche

[36] CE, op. cit., 28 juin 2018, p.64.

[37] Agence de la biomédicine, Rapport sur l’application de la loi de bioéthique, janvier 2018 [en ligne]. 

[38] Dans un avis du 8 juin 2017, le conseil d'orientation de l’Agence de la biomédecine s’est dit favorable à une limite de « l’âge pour procréer » dans les différentes situations d’AMP :
-  femme : 43 ans avec, dans le cas de l’utilisation d’ovocytes préalablement conservés ou de donneuse, une discussion au cas par cas entre 43 et 45 ans ;
-  homme : 60 ans, pour la procréation intraconjugale ou avec don de spermatozoïdes.

[39] CAA Versailles, 5 mars 2018, deux arrêts, n° 17VE00824 (N° Lexbase : A1480XGW) et n° 17VE00826 (N° Lexbase : A1481XGX) : dans ces deux arrêts en date du 5 mars 2018, la cour administrative d’appel de Versailles a considéré « (…) qu’en fonction des connaissances scientifiques ainsi disponibles, un homme peut être regardé comme étant « en âge de procréer », au sens de l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique, jusqu’à un âge d’environ 59 ans, au-delà duquel les capacités procréatives de l’homme sont généralement altérées. (…) » ; CAA Nancy 15 juin 2017, nº 15NC01779 (N° Lexbase : A2424WIM) : la CAA de Nancy s'est prononcée sur la demande d'accès à une AMP avec don de sperme de la part d'une femme de 36 ans et d'un homme de 70 ans. Elle a estimé que le refus du CHU fondé sur l'âge des deux personnes et sur des risques encourus par l'enfant du seul fait de l'âge de la femme constituait une erreur de droit puisqu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que les deux personnes n'étaient pas « en âge de procréer » (CSP, art. L. 2141-2). En revanche, elle a considéré que les conditions d'accès à l'AMP n'étaient pas remplies puisque l'infertilité de l'homme était liée à une vasectomie pratiquée plusieurs années auparavant et « qu'une telle infertilité n'est pas d'origine pathologique ».

[40] CE, 17 avril 2019, deux arrêts, n° 420468 (N° Lexbase : A3805Y9S), et n° 420469 (N° Lexbase : A3806Y9T), AJDA 2019. 901; D. 2019. 944; AJ fam. 2019. 309, obs. A. Dionisi-Peyrusse; Dr. Fam. 2019. 39, obs. M. Lamarche, RTD Civ. 2019, p. 55, Anne-Marie Leroyer.

[41] Dans son avis n° 129 ainsi que dans l'avis n° 113 sur « La demande d'assistance médicale à la procréation après le décès de l'homme faisant partie du couple » du 10 février 2011.

[42] V. la formule « S’assurer de la volonté des deux membres du couple ou de la femme non mariée à poursuivre leur projet parental par la voie de l’assistance médicale à la procréation, après leur avoir dispensé l’information prévue au 3° et leur avoir rappelé les possibilités ouvertes par la loi en matière d’adoption ».

[43] Amendement n° 1455 du rapporteur et amendements n° 107 du groupe Écologie Démocratie Solidarité, n° 792 de M. Jacques Marilossian et plusieurs de ses collègues du groupe La République en Marche, n° 857 du groupe Socialistes et apparentés, n° 1041 de Mme Anne-France Brunet, n° 1118 du groupe Libertés et Territoires et n° 1372 de M. Jean François Mbaye.

[44] Rapport préc.  par P. Berta, C. Dubost, J.-F. Eliaou, L. Romeiro Dias, H. Saulignac et  J.L. Touraine, spéc. commentaires d’articles, 3 juillet 2021, p. 18.

[45] A. Lamboley, L’enfant à tout prix. Le permis et l’interdit, in Mélanges Christian Mouly, Litec, 1998, p. 313 ; J. Robert, La biologie et la génétique. Face aux incertitudes du droit, in Génétique, procréation et droit, Actes du Colloque du 18 et 19 janvier 1985, éd. Hubet-Nyssen, coll. Actes Sud, 1985, p. 363.

[46] V. L’éviction du raisonnement sur le principe d’égalité : CE, 1re et 4e ch. réunies, 28 septembre 2018, n° 421899 (N° Lexbase : A2236X8C).

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Précisions sur le traitement fiscal des gains issus des « Management Packages »

Réf. : CE Plénière, 13 juillet 2021 n° 428506, n° 435452 et n° 437498, publiés au recueil Lebon (N° Lexbase : A79804Y9)

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par Océane Sube, Doctorante en droit fiscal à Aix-Marseille Université – Centre d’Études Fiscales et Financières, sous convention CIFRE au Crédit Agricole Alpes Provence – Desk Patrimoine

Le 22 Septembre 2021


Mots-clés : management package • dirigeants • entreprises • imposition des gains

Les différents gains issus de dispositifs de « management packages » des dirigeants de sociétés peuvent être imposés dans la catégorie des traitements et salaires s'ils sont liés à l'exercice des fonctions. 


 

Dans le cadre d’une stratégie de développement économique, certaines sociétés proposent des dispositifs de « management packages » à leurs dirigeants ou salariés afin qu’ils acquièrent des actions de la société dans laquelle ils exercent leur activité professionnelle.

Pour mettre en œuvre cette stratégie, la société recourt à divers instruments juridiques, que l’on peut distinguer en deux catégories :

  • D’une part, il existe des dispositifs d’acquisitions d’actions dont le régime juridique et fiscal est encadré légalement. Cette situation correspond aux stock-options [1], les attributions d’actions gratuites [2] et les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise [3].
  • D’autre part, il y existe des dispositifs d’acquisitions d’actions non encadrés par le législateur comme les bons autonomes de souscription d’actions - appelé BSA - et les contrats d’options d’achat d’actions. Ces régimes présentent un double avantage. Le premier est qu’ils bénéficient d’une grande liberté contractuelle concernant les modalités d’acquisition et d’exercice puisqu’il est possible par exemple de déterminer le prix d’exercice ou levée, les conditions d’exercice et définir divers objectifs. De plus, ce régime est fiscalement avantageux puisqu’il n’est pas soumis à un régime fiscal spécifique. Ainsi, ces dispositifs sont soumis au régime fiscal de droit commun. Dès lors, seulement la cession d’un de ces dispositifs ou de l’action acquise par leur utilisation est soumise au régime des plus-values mobilières des particuliers, qui est bien plus avantageux que le régime des traitements et salaires. D’autant plus que cela a été accentué avec l’instauration du prélèvement forfaitaire unique.

C’est cette dernière catégorie de titres financiers qui pose des difficultés concernant le régime fiscal applicable comme en témoignent les trois arrêts rendus par la formation la plus élevée du Conseil d’État, le 13 juillet 2021. En l’occurrence, le juge administratif a élaboré « une grille de lecture » [4] à suivre concernant le régime fiscal applicable pour les différents gains procurés par ces dispositifs de « management packages », notamment en présence de BSA et d’options d’achat d’actions.

Dans les trois affaires rendues par le Conseil d’État, chaque contribuable était un dirigeant d’une société qui a eu l’opportunité de bénéficier soit de BSA [5], soit de contrat d’options d’achat d’actions [6]. Lors de la cession de ces valeurs mobilières, chacun des contribuables a déclaré leur gain dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, afin de bénéficier du régime des plus-values mobilières des particuliers. Toutefois, l’administration fiscale a remis en cause l’application de ce régime fiscal afin d’imposer le gain dans la catégorie des traitements et salaires.

En formation plénière, le Conseil d’État s’est saisi de l’opportunité de ces trois affaires afin de déterminer les modalités d’impositions de ces titres financiers lorsqu’ils sont attribués à un dirigeant ou salarié dans le cadre d’un « management packages ». Pour cela, le Conseil d’État réalise une véritable grille d’analyse dans laquelle il identifie trois gains différents issus de ces dispositifs de « management packages » :

  • Gain concernant l’attribution d’un avantage lors de l’acquisition du management package
  • Gain tenant à l’exercice du management package
  • Gain relatif à la cession du management package

En se prononçant sur les modalités d’impositions de ces trois gains, le Conseil d’État détermine la fiscalité applicable à toutes les situations qu’un contribuable peut rencontrer avec le dispositif de management package.

Dans une approche didactique, ce commentaire examinera chacun des gains mentionnés par le Conseil d’État.

I. Le gain d’attribution d’un avantage lors de l’acquisition

Dans les trois affaires, le juge administratif a précisé comment est identifié un avantage (A), la marche à suivre pour déterminer si sa nature est salariale (B) et enfin il donne les modalités d’imposition de l’avantage octroyé lors de l’acquisition ou la souscription d’un management package par un dirigeant ou salarié (C).

A. Sur l’existence de l’octroi d’un avantage

Cet avantage correspond au gain dont a bénéficié un dirigeant ou un salarié lorsqu’il a acquis un titre financier à un prix préférentiel, c’est-à-dire à un prix minoré par rapport à la valeur vénale de ce titre financier. Toutefois, deux difficultés s’imposent :

  • d’une part la détermination de la valeur vénale,
  • et d’autre part l’appréciation de la minoration du prix d’acquisition.

La première difficulté tient à l’évaluation du dispositif de management package puisque l’évaluation n’est pas une science exacte pour les valeurs mobilières lorsqu’elles ne sont pas cotées sur un marché réglementé comme cela peut être le cas pour les BSA et contrat d’option d’achat d’actions. Dans ces conditions, leur évaluation nécessite de recourir à des méthodes financières comme les approches Black and Scholes, Monte Carlo et arbres binomiaux. Ces méthodes prennent en considération différents éléments comme la valeur vénale de l’actif sous-jacent du dispositif de management package et ses conditions d’exercice (comme le temps entre l’acquisition et la levée, la probabilité d’exercer le titre, le nombre de titres disponibles ou la détermination du prix…) [7]. Ainsi, la détermination de la valeur vénale du titre financier peut être un exercice encore plus difficile que l’évaluation du sous-jacent que le management package permet d’acquérir.

La deuxième difficulté tient à l’appréciation de la minoration du prix d’acquisition du management package. Encore faut-il savoir jusqu’à quel pourcentage de rabais peut-on apprécier la présence d’une minoration. Doit-on appréhender la minoration de façon restrictive, c’est-à-dire que dès le premier pourcentage de rabais par rapport à la valeur vénale serait le signe caractérisant la présence d’un avantage, ou peut-on avoir une approche plus tolérante sur la minoration du fait que l’évaluation n’est pas une science exacte ? Faudra-t-il apprécier la présence d’une minoration dès qu’il existe une diminution de 20 % de la valeur vénale comme c’est le cas pour les droits sociaux non cotés en bourse ?

Nous retenons que les étapes de la valorisation et celle de l’appréciation de la minoration sont délicates à apprécier.

B. Sur la nature salariale de l’avantage

Une fois que l’avantage a été caractérisé, le Conseil d’État précise que cet avantage est de nature salariale lorsqu’il « trouve essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié » [8]. L’utilisation de cette formule et notamment le terme « essentiellement » indique que le juge de l’impôt n’apporte aucune certitude sur les éléments à prendre en compte afin d’apporter la preuve de la nature salariale de l’avantage. Ainsi, cette appréciation se réalisera à travers la méthode du faisceau d’indices. Il sera donc, nécessaire d’observer la mise en œuvre des management packages en étudiant toutes les conventions d’attributions, ainsi que les pactes d’associés. Dans le cas où des éléments de ces actes juridiques démontreraient que l’avantage a été octroyé en raison de la fonction de dirigeant ou de salarié du contribuable, alors le gain procuré devra faire l’objet d’une imposition dans la catégorie des revenus des traitements et salaires. À titre indicatif, dans le cas où il est impossible d’apprécier la nature salariale de l’avantage, celui-ci sera imposé comme un revenu distribué.

C. Sur les modalités d’impositions

Pour terminer sur l’encadrement du traitement fiscal du gain issu de l’avantage accordé lors de l’attribution du management package.

D’abord, le juge administratif précise que l’assiette taxable de l’avantage correspond à la différence entre la valeur vénale du titre financier au jour de l’acquisition et le prix préférentiel acquitté par le contribuable dirigeant ou salarié.

Ensuite, il exige que l’avantage accordé soit l’objet d’une imposition « au titre de l’année d’acquisition » [9]. Ce principe est inspiré du régime des stock-options dans lequel le rabais est également imposé dans la catégorie des traitements et salaires au titre de l’année de l’attribution de stock-options.

Or, ce principe est discutable puisque même si le contribuable s’est vu accorder un avantage numéraire lors de l’acquisition d’un BSA ou d’un contrat d’option d’achat d’actions, la réalisation de l’effet procuré par l’avantage correspondant au gain généré par l’exercice ou de la cession du titre financier est seulement potentielle. Dans le cadre d’une hypothèse pessimiste, l’avantage accordé lors d’une acquisition à un dirigeant sera imposé, alors que l’effet de cet avantage n’aura procuré aucun véritable gain car le contribuable n’aurait pas exercé ou vendu son titre financier.

Par ailleurs, s’agissant des flux financiers, ce raisonnement est critiquable car le contribuable sera dans l’obligation d’acquitter son imposition tandis qu’il n’aura reçu aucune liquidité supplémentaire dans son patrimoine. Par conséquent, il serait opportun que le législateur s’interroge sur le fait de décaler l’année d’imposition de l’avantage accordé à la date où le contribuable reçoit des liquidités suite à la cession de l’action sous-jacente acquise après la levée du titre financier ou lors de la cession du titre financier.

II. Le gain d’acquisition issu de la levée

Dans l’une des trois affaires [10], le juge administratif a spécifié les modalités d’imposition de gains issus lors de l’exercice du titre financier dans le cadre d’un management package par un dirigeant ou salarié.  

Pour cela, il mentionne que l’assiette imposable de ce gain correspond à la différence entre la valeur vénale de l’action et la valeur d’acquisition lors de l’exercice du titre, auquel il faut ajouter les frais d’acquisition. Dans cette approche, il est possible d’apercevoir que le juge s’est inspiré du régime des stock-options qui prévoit un gain d’acquisition égal à la différence entre la valeur vénale de l’action lors de levée de l’option et du prix payé par le bénéficiaire.

De plus, le juge mentionne que si ce gain d’acquisition « trouve essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de fonctions de dirigeant ou de salarié ». Cette formulation est identique à celle utilisée pour caractériser la nature salariale de l’avantage accordé au dirigeant ou salarié lors de son acquisition du titre financier dans le cadre d’un management package. Encore une fois, on retrouve l’inspiration du régime des stock-options puisque depuis le 28 septembre 2012 le gain d’acquisition issu de stock-options fait l’objet d’une imposition au barème progressif dans la catégorie des traitements et salaires. À titre indicatif, il existe une différence entre les modalités d’imposition d’un dispositif de management package et celles des stock-options, puisque ces dernières font l’objet également d’une contribution salariale de 10 % [11] en plus de l’imposition à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux.

III. Le gain de cessions

Pour le gain de cession, le juge a apporté deux précisions. La première est qu’il faut distinguer entre la qualité d’investisseur et la qualité de dirigeant salarié du contribuable afin de savoir déterminer la catégorie d’imposition du gain (A). Ensuite, il est intervenu pour encadrer le régime fiscal d’un cas particulier où la plus-value de cession est inexistante, car l’exercice du titre précède la cession de l’action dans un bref délai (B).

A. La distinction entre la qualité d’investisseur et la qualité de dirigeant salarié  

Dans un premier temps, le Conseil d’État rappelle que le principe d’imposition d’un gain de cession d’action pour le contribuable personne physique est l’application du régime des plus-values mobilières des particuliers. Néanmoins, il décide d’apporter une exception à ce principe concernant les gains de cessions d’actions préalablement acquises par l’exercice de dispositifs de management packages. En effet, lorsque ce gain est « acquis, non à raison de la qualité d’investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant » [12], alors il devra être imposé dans la catégorie des traitements et salaires.

Il est observable que le Conseil d’État souhaite faire une distinction entre un gain patrimonial réalisé par un investisseur et un gain professionnel réalisé par un dirigeant ou salarié. Or, lorsque le contribuable possède ces deux qualités, il faut rechercher la véritable nature du gain afin de l’imposer dans la catégorie idoine. Pour cela, il faudra se référer à la méthode du faisceau d’indices puisque le juge n’apporte aucune précision pour distinguer entre les qualités d’investisseur ou de dirigeant salarié.

Pourtant, à l’étude des décisions rendues, il est possible de dire que les circonstances de la réalisation du gain de cession seront examinées avec précaution. En l’occurrence, le juge a étudié divers actes juridiques afin de rechercher la présence d’une potentielle garantie du prix de cession (affaire n° 437408). Le juge mentionne aussi que le fait de posséder des actions ordinaires en plus des actions acquises par des dispositifs de management package ne fait pas obstacle à la requalification du gain en complément de salaire (affaire n° 435452). Enfin, il rajoute la présence « d’un versement à caractère incitatif » [13] n’est pas un élément permettant d’éviter que le gain ne soit pas imposé dans la catégorie des traitements et salaires (affaire n° 435253).

Par conséquent, ce sera l’ensemble des circonstances qui seront prises en compte afin de déterminer si le gain de cession sera imposé comme un supplément de salaire ou comme un investissement financier.

B. Cas particulier : absence d’évolution de la valeur vénale entre la cession et la levée de l’option 

À la suite de ces précisions, le juge a précisé le traitement fiscal pour un cas particulier dans l’affaire n° 428506, en décidant que dans le cas où l’action acquise par la levée du titre financier a été cédée dans un bref délai n’entraînant aucune évolution de sa valeur vénale.

Afin d’éviter que le contribuable ne réalise aucune plus-value en raison de l’absence d’évolution de la valeur vénale, le juge a décidé de mettre en place un mécanisme anti-abus. L’administration fiscale est en droit « d’imposer l’intégralité de l’écart entre le prix de cession et le prix d’achat majoré » [14] des frais d’acquisition.

Conclusion :

En étudiant les trois gains, le Conseil d’État a une véritable volonté de déterminer le régime fiscal des titres financiers dans le cadre de management packages. Il rappelle que chaque gain est imposé dans la catégorie des traitements et salaires lorsqu’il est la contrepartie de la fonction de direction ou de salarié.

Toutefois, il ne mentionne aucune précision sur les éléments à prendre en compte. Dès lors, les conseils et le contribuable devront avoir une attention particulière à la mise en œuvre de management packages, car le juge examinera toutes les circonstances afin de déterminer la nature du gain.

 

[1] CGI, art. 80 bis (N° Lexbase : L9932IWR), CGI, art. 163 bis C (N° Lexbase : L9241HZB).

[2] CGI, art. 80 quaterdecies (N° Lexbase : L2205LYC).

[3] CGI, art. 163 bis G (N° Lexbase : L6176LUB).

[4] É. Bokdam-Tognetti, Traitement fiscal des « management packages » : le Conseil d'État précise le mode d'emploi, FR 34/21.

[5]CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 435452, n° 437498, précités.

[6] CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 428506, précité.

[7] Conlc. du Rapporteur public (É.) Bokdam-Tognetti, sur les décisions du Conseil d’État, 13 juill. 2021, n° 428506, n° 435452 et n° 437498 : Dr. fisc., n° 36, 9 sept. 2021, comm. 354.

[8] CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 428506, n° 435452 et n° 437498, précités.

[9] CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 428506, n° 435452 et n° 437498, précités.

[10] CE, 13 juillet 2021, n° 428506, précité.

[11] BOI-RSA-ES-20-30 (N° Lexbase : X4141ALX).

[12] CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 435252, précité.

[13] CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 435252, précité.

[14] CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 435252, précité.

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Patrimoine

[Focus] Droit des saisies pénales et confiscations : repères jurisprudentiels

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par Matthieu Hy, avocat au Barreau de Paris, ancien Secrétaire de la Conférence

Le 22 Septembre 2021

Mots-clés : saisie pénale • confiscation • droits de la défense • tiers de bonne foi

La loi n° 2010-768, du 9 juillet 2010, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, a conduit les praticiens à redécouvrir une peine aux potentialités répressives indéniables. Pendant dix ans, la jurisprudence a explicité, affiné ou même complété les dispositions législatives limitées du Code pénal et du Code de procédure pénale. Ce droit principalement prétorien a récemment montré ses limites. L’intervention du législateur est désormais requise pour permettre de poursuivre l’édification de la matière.


 

I. Règles procédurales

A. Accès aux pièces de la procédure

1. Cass. crim., 13 juin 2018, n° 17-83.238, FS-D

2. Cass. crim., 13 juin 2018, n° 17-83.893, FS-P+B

3. Cass. crim., 21 octobre 2020, n° 19-87.071, FS-P+B+I

B. Statut procédural du tiers à la procédure

4. Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-81.741, F-P+B

5. Cons. const., décision n° 2021-899 QPC, du 23 avril 2021

II. Droit substantiel

A. Contrôle de proportionnalité et motivation

6. Cass. crim. 4 mai 2017, n° 16-87.330, F-D

7. Cass. crim., 24 octobre 2018, n° 18-80.834, FS-P+B+R+I

8. Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 19-86.979, FS-P+B+I

9. Cass. crim., 18 mars 2020, n° 19-82.978, F-P+B+I

10. Cass. crim., 29 janvier 2020, n° 17-83.577, F-P+B+I

B. Réserve des droits du tiers de bonne foi

11. Cass. crim., 7 novembre 2018, n° 17-87.424, FS-P+B+R+I

12. Cass. crim., 9 septembre 2020, n° 18-84.619, FS-P+B+I


I. Règles procédurales

A. Accès aux pièces de la procédure

Le mis en cause, au stade de l’enquête préliminaire, et le tiers, tout au long de procédure, ne peuvent avoir accès, pour faire valoir leurs droits, à l’intégralité du dossier. Ils ne peuvent disposer que des « seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie » [1], au stade de la contestation d’une saisie pénale spéciale, ou aux seuls « procès-verbaux relatifs à la saisie des objets » [2] au stade du jugement. Ces formulations imprécises ont nécessité une clarification de la part de la Cour de cassation qui a néanmoins toujours estimé que cette limitation de l’accès au dossier était conforme aux normes conventionnelles [3] et ne méritait pas d’être soumise au Conseil constitutionnel [4].

1. Cass. crim., 13 juin 2018, n° 17-83.238, FS-D (N° Lexbase : A3232XR7) [5] mise à disposition indispensable de la requête et de l’ordonnance de saisie pénale. En l’espèce, dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte des chefs de travail dissimulé et abus de biens sociaux, les investigations ont révélé que la mise en cause avait financé un bien immobilier par des sommes susceptibles de provenir des infractions poursuivies. À la requête du ministère public, le juge des libertés et de la détention (JLD) a autorisé la saisie pénale dudit bien. Il a été relevé appel de la décision. La chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance en rappelant qu’en limitant l’accès de l’appelant aux seules pièces se rapportant à la saisie, l’article 706-150, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7454LPR) garantissait un juste équilibre entre le droit de l’appelant à un recours effectif et la nécessité de protéger le secret de l’enquête. L’appelante s’est pourvue en cassation.

D’une part, la Chambre criminelle affirme que constituent les seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie, au sens de la disposition précitée, « la requête du ministère public, l’ordonnance attaquée et la décision de saisie [6] précisant les éléments sur lesquels se fonde la mesure de saisie immobilière ». D’autre part, elle souligne que l’appelant ne démontre pas que la chambre de l’instruction s’est fondée sur des pièces qui ne lui ont pas été communiquées.

La Chambre criminelle avait déjà eu l’occasion d’affirmer, dans un arrêt du 31 mai 2017 [7], que la requête du procureur de la République devait nécessairement être mise à disposition de l’appelant. La jurisprudence postérieure à l’arrêt commenté a maintenu cette exigence minimale de mise à disposition de la requête du ministère public et de l’ordonnance du JLD tout en précisant qu’il appartenait à la chambre de l’instruction d’assurer le respect de cette formalité, au besoin en renvoyant l’affaire à une audience ultérieure [8]. S’agissant des saisies réalisées sur le fondement des articles 706-153 et 706-154 du Code de procédure pénale, s’ajoute l’exigence de mise à disposition du procès-verbal constatant les opérations de saisie initiale [9].

L’interdiction, pour une chambre de l’instruction, de se fonder sur des pièces non communiquées à l’appelant, avait déjà été affirmée dans un arrêt du 12 mai 2015 [10].

Cette double solution permet peut-être de sauver les apparences. Elle est en réalité impraticable. En premier lieu, la seule communication à l’appelant d’une ordonnance dont il dispose déjà, dès lors qu’il en a interjeté appel, et d’une requête dont l’ordonnance peut n’être que le copier-coller [11], rend toute défense illusoire. Elle contraint même l’appelant à faire preuve d’une prudence qui peut paralyser son argumentation lorsqu’il risque de s’auto-incriminer. Pire, la pauvreté du débat qu’elle engendre profite au seul ministère public. Il n’est point besoin d’exposer en quoi toute perspective de débat est anéantie quand une partie n’a accès qu’à la requête introduite par son adversaire lors d’une première instance non-contradictoire.

En second lieu, la contrepartie, consistant à interdire à la chambre de l’instruction de se fonder sur des pièces non communiquées, est doublement critiquable. D’une part, elle suppose que la juridiction a, tout comme le ministère public, pu prendre connaissance de pièces dissimulées à l’appelant. En effet, la solution dégagée consiste uniquement à ne pas en faire état dans sa décision. D’autre part, cette prohibition empêche la juridiction d’appel de remplir son office et notamment de se conformer aux exigences même de la Cour de cassation. À titre d’illustration, lorsqu’elle statue sur l’appel d’une ordonnance de saisie pénale d’un bien appartenant à une personne mise en cause au stade de l’enquête préliminaire, la chambre de l’instruction doit « s’assurer, par des motifs propres, de l’existence d’indices laissant présumer la commission des infractions sur la base desquelles » la saisie a été réalisée [12]. La Chambre criminelle ajoute qu’elle doit, pour ce faire, se placer « à la date où elle se prononce » sur la saisie pénale [13]. De manière générale, la juridiction d’appel doit vérifier le caractère confiscable du bien. Ces exigences ne peuvent être remplies sur la seule base de la requête du ministère et de l’ordonnance du JLD qui est fréquemment sa sœur jumelle.

2. Cass. crim., 13 juin 2018, n° 17-83.893, FS-P+B (N° Lexbase : A3194XRQ) [14] nécessité de communiquer les pièces sur lesquelles la chambre de l’instruction se fonde dans ses motifs décisoires. En l’espèce, à la suite de l’ouverture d’une information judiciaire du chef de fraude fiscale et blanchiment aggravé de ce délit, la magistrat instructeur a ordonné la saisie pénale en valeur des sommes figurant au solde d’un compte bancaire dont un mis en cause était titulaire. Ce dernier a interjeté appel de la décision. Pour rejeter l’exception de nullité tirée de l’absence de mise à disposition de pièces autres que l’ordonnance de saisie et les réquisitions du procureur général, la chambre de l’instruction a notamment rappelé que l’appelant avait eu connaissance des faits à travers l’ordonnance déférée et les réquisitions du ministère public. L’appelant s’est pourvu en cassation.

Au visa de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH), la Chambre criminelle estime qu’en matière de saisie pénale spéciale, la chambre de l’instruction « qui, pour justifier d’une telle mesure, s’appuie sur une ou des pièces précisément identifiées de la procédure est tenue de s’assurer que celles-ci ont été communiquées à la partie appelante ». À ce titre, elle considère que la juridiction d’appel aurait dû s’assurer que l’appelant avait eu accès à la plainte de l’administration fiscale sur laquelle elle se fondait pour confirmer la saisie.

Si la solution semble plus respectueuse des droits de la défense que l’arrêt déjà évoqué du même jour [15], il n’est encore une fois question que d’apparence.

En premier lieu, le principe posé, qui conduit à ce que la chambre de l’instruction doive réaliser une communication à dose homéopathique, tantôt d’une plainte comme en l’espèce, tantôt de déclarations [16] ou d’interceptions téléphoniques [17], s’avère particulièrement artificiel. Un arrêt de chambre de l’instruction se fonde nécessairement, tout comme la requête du ministère public et l’ordonnance du JLD ou du juge d’instruction, sur une multitude d’éléments contenus dans l’ensemble du dossier et pouvant être considérés comme le support des motifs décisoires.

En deuxième lieu, la solution conduit à favoriser les motivations les moins précises qui ne nécessiteront aucune mise à disposition de pièces supplémentaires, ce qui constitue une sorte de prime à l’imprécision.

En troisième lieu, elle fait du respect du contradictoire une formalité postérieure à la décision de confirmation de la saisie. En effet, une fois que la chambre de l’instruction a pris sa décision, elle doit s’assurer que les pièces précisément identifiées dans ses motifs décisoires avaient bien été communiquées à l’appelant. À défaut, elle devra rendre une décision avant-dire droit qui présagera, derrière la soudaine volonté de respecter le contradictoire, une décision défavorable à l’appelant.

3. Cass. crim., 21 octobre 2020, n° 19-87.071, FS-P+B+I (N° Lexbase : A31933YW) – limitation de l’accès aux pièces pour le tiers durant la phase de jugement. En l’espèce, à l’occasion de poursuites diligentées des chefs de blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs, un prévenu a été condamné notamment à la confiscation d’un immeuble, peine confirmée en appel. Une société de droit panaméen a sollicité en vain la restitution de l’immeuble, dont elle prétendait être propriétaire, tant devant le tribunal correctionnel que devant la cour d’appel. Elle s’est pourvue en cassation, reprochant notamment aux juges du fond d’avoir retenu, pour rejeter la demande de restitution, que la procédure avait établi les infractions commises par le prévenu sans s’assurer que la société avait eu communication de l’entier dossier de la procédure.

La Chambre criminelle rappelle que si l’article 1er du protocole n°1 à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) prévoit que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que ces dispositions n’interdisent nullement aux Etats de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général, « les intéressés doivent bénéficier d’une procédure équitable, qui comprend le droit au caractère contradictoire de l’instance ». Elle synthétise ensuite les principes qui régissent la communication de pièces au tiers requérant la restitution d’un bien devant la juridiction correctionnelle et dont celle-ci doit assurer le respect. À titre préalable, la Haute juridiction expose que ces principes ne trouvent à s’appliquer au tiers que « si la saisie a été opérée entre ses mains ou s’il justifie être titulaire de droits sur le bien dont la restitution est sollicitée ». En l’espèce, elle estime que la société panaméenne n’était dans aucune de ces deux situations. Lorsque tel est le cas, doivent être « communiqués en temps utile, outre les procès-verbaux de saisie ou, en cas de saisie spéciale, les réquisitions aux fins de saisie, l’ordonnance et, le cas échéant, la décision de saisie » ainsi que « les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires ». Ce faisant, la Chambre criminelle calque le régime de la communication de pièces devant la juridiction de jugement sur celui applicable devant la chambre de l’instruction [18]. Il est vrai que l’article 479, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9923IQL), qui prévoit, devant le tribunal correctionnel, la communication des seuls « procès-verbaux relatifs à la saisie des objets » n’invitait guère la Chambre criminelle à l’audace. Pourtant, non seulement les critiques émises quant au caractère impraticable de cette solution (v. supra) restent valables lors de phase de jugement, mais la limitation même de l’accès au dossier ne se justifie plus. En effet, la Chambre criminelle n’a eu de cesse de rappeler que l’accès limité aux pièces de l’appelant d’une ordonnance de saisie pénale résultait d’une mise en balance de ses droits d’une part et de la nécessité de protéger le secret de l’enquête et de l’instruction d’autre part [19]. Or, la phase de jugement est publique, orale et contradictoire si bien que reléguer le tiers requérant à la situation de spectateur du procès principal ne se justifie pas. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) paraît exiger que la personne dont le bien est menacé de confiscation bénéficie du statut de partie au procès [20]. En outre, la nécessité préalable de vérifier que le tiers remplit les conditions lui permettant de prétendre aux quelques pièces énumérées et celle de déterminer les pièces à communiquer risquent fort de conduire à dissocier le jugement au fond de celui portant sur la requête. Or, si ces deux jugements n’ont pas lieu simultanément, le tribunal ou la cour pourrait rendre deux décisions contradictoires.

B. Statut procédural du tiers à la procédure

4. Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-81.741, F-P+B (N° Lexbase : A5397NIQ) – possibilité de solliciter la restitution d’un bien définitivement confisqué. À la suite de la condamnation définitive d’un individu pour infraction à la législation sur les stupéfiants à la peine de confiscation d’un immeuble lui appartenant ainsi qu’à son épouse, cette dernière et le condamné ont saisi la cour d’appel d’une requête en difficulté d’exécution fondée sur l’article 710 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7690LPI) tendant à ce que soit restitué à l’épouse les droits qu’elle détenait. La cour d’appel a rejeté la requête au motif que l’arrêt de condamnation était opposable erga omnes et qu’il n’était affecté d’aucune erreur matérielle. Les époux se sont pourvus en cassation.

Au visa des articles 710 du Code de procédure pénale et 131-21 (N° Lexbase : L9506IYQ) et 222-49 (N° Lexbase : L6422ISN) du Code pénal, la Chambre criminelle rappelle que doit être examinée, au regard de la réserve des droits du tiers propriétaire de bonne foi, « la requête de toute personne non condamnée pénalement qui est copropriétaire d’un bien indivis et qui soulève des incidents contentieux relatifs à l’exécution d’une décision pénale ordonnant la confiscation de ce bien ». Elle estime que si le condamné était irrecevable, la situation de son épouse devait en revanche être examinée afin de déterminer si celle-ci pouvait être considérée comme « propriétaire de bonne foi de sa part indivise ».

Par application du principe selon lequel nul ne plaide par procureur, le prévenu n’a pas qualité pour solliciter la restitution au profit d’un tiers d’un bien saisi [21]. Dès lors, si le tiers peut intervenir à l’audience de jugement afin de solliciter la restitution de son bien [22] ou si la juridiction peut le lui restituer d’office [23], il ne saurait être reproché au tiers son absence dès lors qu’il n’a pas été cité. Ainsi, compte-tenu de l’absence d’opposabilité erga omnes d’un jugement de confiscation [24], la Chambre criminelle a ouvert la voie de l’article 710 du Code de procédure pénale au tiers dont le bien a été définitivement confisqué afin qu’il puisse en solliciter la restitution [25]. Cette disposition fourre-tout, qui ne contient aucune disposition spécifique à la requête en restitution – au point qu’en l’espèce la cour d’appel semble avoir supposé que les époux avaient déposé une « requête en rectification d’erreur matérielle » – prévoit que « tous incidents contentieux relatifs à l’exécution sont portés devant le tribunal ou la cour qui a prononcé la sentence ». Elle permet donc d’obtenir, à condition que le tiers soit considéré de bonne foi, la restitution d’un bien pourtant définitivement confisqué.

Cette procédure pose une double difficulté.

En premier lieu, elle conduit à demander à la juridiction même qui a prononcé la confiscation de se déjuger, ce qui implique à l’évidence une difficulté relative à l’impartialité.

En second lieu, selon que le condamné aura décidé ou non d’interjeter appel, le tiers devra saisir tantôt un tribunal correctionnel, tantôt une cour d’appel. Il peut donc être privé sans raison pertinente d’un double degré de juridiction. Cette même critique a été retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision du 21 juillet 2021 [26] comme justifiant l’abrogation de la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 710 du Code de procédure pénale : « elle statue sur les demandes de confusion de peines présentées en application de l’article 132-4 du Code pénal ». Si les Sages ont pu considérer, s’agissant de telles demandes, que le mécanisme de l’article 710 du Code de procédure pénale conduit « à une distinction injustifiée entre les personnes condamnées qui demandent la confusion de peines après qu’elles sont devenues définitives », le caractère constitutionnel du même mécanisme appliqué aux tiers sollicitant la restitution de leurs biens est désormais plus que douteux car il engendre également une distinction injustifiée.

Par un arrêt du 10 avril 2019 [27], la Haute juridiction a considéré que la voie procédurale de l’article 710 du Code de procédure pénale, ouverte à toute personne non condamnée pénalement et prétendant être titulaire de droits sur le bien confisqué, l’était à la personne définitivement acquittée par une cour d’assises ayant confisqué un bien lui appartenant. Ainsi, bien qu’elle soit partie à la procédure ayant abouti à la confiscation, cette personne peut déposer une requête en restitution qui pourra aboutir à remettre en cause l’autorité de la chose d’un arrêt qui lui était pourtant opposable.

5. Cons. const., décision n° 2021-899 QPC, du 23 avril 2021 (N° Lexbase : A10534Q3) – inconstitutionnalité du statut du tiers propriétaire lors de la phase jugement. En l’espèce, trois membres d’une même famille, poursuivis des chefs de proxénétisme aggravé, traite des êtres humains aggravée, association de malfaiteurs et blanchiment aggravé, ont été condamnés, notamment à la peine de confiscation de patrimoine, par le tribunal correctionnel. Saisie de l’appel de deux d’entre eux, limité à la peine de confiscation, la cour d’appel a confirmé le jugement. Parmi les biens confisqués se trouvaient des immeubles appartenant aux enfants du prévenu non appelant et des parts de société dont la grand-mère d’un des appelants était propriétaire. Les trois prévenus initiaux se sont pourvus en cassation. À cette occasion, ils ont soulevé deux questions prioritaires de constitutionnalité estimant, en substance, que les dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale portaient atteinte au droit au recours effectif en ce qu’elles ne prévoyaient pas l’obligation d’attraire à la procédure le tiers dont le bien est susceptible d’être confisqué. Par un arrêt en date du 3 février 2021 [28], la Chambre criminelle a renvoyé les questions au Conseil constitutionnel, les jugeant sérieuses dès lors que la loi ne prévoit pas que le tiers propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure soit cité à comparaître devant la juridiction de jugement pour y faire valoir ses droits.

Sans surprise, le Conseil constitutionnel reconnaît que le statut procédural du tiers propriétaire au stade du jugement méconnait le droit à exercer un recours juridictionnel effectif et le respect des droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D). Les Sages abrogent en conséquence les mots « ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont elles ont la libre disposition » figurant à l’article 225-25 du Code pénal (N° Lexbase : L7002K7H). Ils reportent l’abrogation au 31 décembre 2021.

La portée de cette décision est particulièrement importante. En effet, l’article 225-25 du Code pénal ne concerne que la peine de confiscation du patrimoine en matière de traite des êtres humains ou de proxénétisme. Toutefois, d’une part, cette disposition ne constitue, comme le relevait la Chambre criminelle dans son arrêt de transmission [29], qu’une « application spéciale de la peine définie en des termes identiques par le sixième alinéa de l’article 131-21 du Code pénal ». Il en résulte que cette déclaration d’inconstitutionnalité concerne nécessairement la peine de confiscation de patrimoine dans son ensemble ainsi que toutes ses applications spéciales. D’autre part, le mécanisme permettant de confisquer un bien qui est à la libre disposition du condamné et dont le propriétaire, tiers à la procédure, est de mauvaise foi, est prévu dans des termes similaires à ceux abrogés par le Conseil constitutionnel pour la confiscation de l’instrument de l’infraction [30], celle reposant sur la présomption d’illicéité [31] et la confiscation en valeur [32]. Enfin, la réserve des droits du tiers de bonne foi a été étendue par la jurisprudence au produit de l’infraction [33]. Dans ces conditions, il n’est pas exagéré de considérer que l’inconstitutionnalité concerne le statut du tiers lors de la phase de jugement, quel que soit le type de confiscation encouru.

Procéduralement, le fait d’être mis en mesure de faire valoir ses droits de tiers de bonne foi devant la juridiction de jugement paraît être subordonné au fait que la qualité de propriétaire soit connue des autorités judiciaires, ce qui est le cas notamment en cas de saisie pénale immobilière, ou qu’elle ait été réclamée au cours de la procédure, ce qui sera naturellement le cas dans l’hypothèse d’une requête en restitution formée lors de la phase d’enquête ou d’instruction. Dès lors que la citation à l’audience subordonne l’opposabilité de la décision rendue par les juridictions du fond [34], le législateur ne pourra se borner à un dispositif qui prévoirait par exemple l’audition du tiers par les services de police au cours de la procédure. Une telle mise en conformité ne suffirait pas à faire obstacle à une requête ultérieure en difficulté d’exécution du tiers qui aurait été mis en mesure de présenter ses observations dès lors que le jugement ne lui serait pas opposable.

II. Droit substantiel

Le principal apport de la jurisprudence de la décennie écoulée en matière de saisies pénales et confiscations est probablement la mise en place et la définition des contours du contrôle de proportionnalité de ces mesures qui ne figure ni à l’article 131-21 du Code pénal, ni aux articles 706-141 (N° Lexbase : L7245IMB) et suivants du Code de procédure pénale.

A. Contrôle de proportionnalité et motivation

6. Cass. crim. 4 mai 2017, n° 16-87.330, F-D (N° Lexbase : A9516WB3) – contrôle de proportionnalité de la saisie de patrimoine. En l’espèce, un individu mis en examen des chefs d’infraction à la législation sur les jeux en bande organisée et blanchiment aggravé s’est vu saisir pénalement cinq biens immobiliers lui appartenant. Il a interjeté appel des ordonnances du juges d’instruction. La chambre de l’instruction a confirmé les saisies en cause, estimant qu’elles n’étaient pas de nature à constituer une atteinte à la propriété privée dès lors qu’elles ne constituaient que des mesures conservatoires. Un pourvoi en cassation a été formé par le propriétaire des biens.

Au visa notamment de l’article 1 du protocole n° 1 à la CESDH, la Chambre criminelle pose pour principe que « le juge qui prononce une mesure de saisie de tout ou partie du patrimoine doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée aux droits de l’intéressé ». Elle conclut à la cassation faute pour la chambre de l’instruction d’avoir recherché « si les mesures critiquées, en ce qu’elles concernent des éléments de patrimoine insusceptibles de constituer le produit de l’infraction, ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété du demandeur ». Quelques mois plus tôt, la Haute juridiction avait affirmé qu’était « inopérant le moyen pris de la violation du principe de proportionnalité par une mesure de saisie pénale en valeur au regard du droit de propriété dès lors que cette saisie a porté sur la valeur de l’objet ou du produit direct ou indirect supposé de l’infraction » [35].

Ainsi étaient posées les bases du contrôle de proportionnalité en matière de saisies pénales spéciales. Si ce contrôle s’applique à la saisie de patrimoine – ce qui renvoie à la confiscation de l’alinéa 6 de l’article 131-21 du Code pénal – il est exclu s’agissant de la saisie portant sur la valeur de l’objet ou du produit de l’infraction – ce qui renvoie à la confiscation des alinéas 3 et 9 de l’article 131-21 du Code pénal.

Deux arrêts en date du 25 septembre 2019 [36] synthétisent les principes applicables au contrôle de proportionnalité de la façon suivante : « hormis le cas où la saisie, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue l'objet ou le produit de l'infraction, le juge, en autorisant ou ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé, au regard de la situation personne de ce dernier et de la gravité concrète des faits, lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit d’une saisie de patrimoine ».

Il résulte de l’ensemble de ces arrêts que le contrôle de proportionnalité est exclu lorsque le bien est, dans sa totalité, en nature ou valeur, l’objet ou le produit de l’infraction. Lorsqu’il est applicable, ce contrôle a lieu sur invocation de l’intéressé ou d’office en cas de saisie de patrimoine. Enfin, les critères cumulatifs [37] du contrôle sont la situation de l’intéressé et la gravité concrètes des faits. Ainsi a-t-il été logiquement jugé que le contrôle de proportionnalité s’appliquait, sur invocation, à la saisie, en valeur [38] ou en nature [39], de l’instrument de l’infraction.

Le principe de proportionnalité ne doit pas être confondu avec celui selon lequel le montant d’une saisie en valeur, sur le fondement de l’article 131-21, alinéa 9, ne saurait être supérieur au montant saisissable en nature, en général sur le fondement des alinéas 2 ou 3 de la même disposition [40]. Ce dernier principe exige le respect d’un plafond dont le dépassement conduit impérativement à lever la mesure de saisie [41].

L’exclusion de tout contrôle de proportionnalité en matière de saisie, en valeur ou en nature, de l’objet ou du produit de l’infraction se révèle en apparence compréhensible. En effet, saisir puis confisquer l’objet ou le produit de l’infraction aboutirait à un logique statu quo ante, garantissant que « le crime ne paie pas ». Il est aisé de concevoir en quoi il serait illégitime pour un suspect, présomption d’innocence mise à part [42], de prétendre que la saisie du bien qu’il a, par exemple, volé ou de son équivalent pourrait porter une atteinte disproportionnée à son droit de propriété.

Toutefois, au-delà des apparences, l’absence de contrôle de proportionnalité se révèle contestable.

En premier lieu, la notion d’objet de l’infraction peut conduire à saisir un bien qui n’a pas été acquis de manière illicite et qui ne représente pas non plus, en valeur, l’avantage économique tiré de l’infraction. Cette observation s’ajoute au caractère imprécis de cette notion qui, bien qu’à mi-chemin entre l’instrument et le produit de l’infraction [43], suit le régime juridique du produit dans la mesure où il relève du même alinéa 3 de l’article 131-21 du Code pénal. Or, jusqu’à la loi du 5 mars 2007 [44], cette disposition précisait que « la chose qui est l’objet de l’infraction est assimilée à la chose qui a servi à commettre l’infraction ou qui en est le produit ». Ainsi, le principe de légalité paraît mis à mal par cette notion qui pourrait conduire à faire échapper au contrôle de proportionnalité un bien qui serait plus proche de l’instrument que du produit de l’infraction. En tout état de cause, en pratique, la saisie de l’objet de l’infraction peut se révéler parfaitement disproportionnée. Tel est par exemple le cas de sociétés qui se voient saisir l’objet d’un délit de blanchiment, sommes qui peuvent être particulièrement importantes alors même que le profit retiré par ces sociétés sur les comptes desquels ont transité ces sommes se révèle minime. 

En deuxième lieu, la notion de produit de l’infraction manque également de précision alors même que la jurisprudence est plus abondante qu’en matière d’objet de l’infraction. Un arrêt du 5 mai 2021 [45] définit ce produit comme « l’avantage économique tiré de l’infraction pénale et qui constitue la conséquence patrimoniale de sa commission ». Par une autre décision du 10 mars 2021 [46], la Chambre criminelle paraît admettre que le produit de l’infraction puisse correspondre à la marge nette hots taxe réalisée par une société. Il est d’autant plus souhaitable que la jurisprudence affine cette notion que les juges sont tenus d’évaluer le produit en matière de saisie en valeur [47]. Lorsque le produit peut aisément être évalué au montant du préjudice subi par la partie civile, il n’en reste pas moins que le caractère disproportionné peut résulter du fait que ce préjudice ne correspond pas au profit corrélatif de l’auteur des faits, voire que l’auteur n’a tiré aucun profit du fait de la perte ou de la destruction du bien.  

En troisième lieu, l’exclusion du contrôle concerne également la saisie en valeur. Dans cette hypothèse, le bien saisi n’a pas de lien avec l’infraction, ce qui ne devrait pas être indifférent, ne serait-ce que parce que la saisie pénale est susceptible de porter atteinte à d’autres droits et libertés, tel que le droit à la vie privée et familiale. Une illustration est la saisie ou le refus de restitution d’un bien à la valeur sentimentale importante mais à la valeur vénale faible au motif que cette dernière valeur est inférieure au produit de l’infraction et que le bien encourt donc la confiscation en valeur. Toutefois, la jurisprudence ne semble pas interdire un contrôle de proportionnalité qui serait fondé sur un autre droit que le droit de propriété.

En quatrième lieu, l’exclusion du contrôle de proportionnalité en matière de saisie de l’objet ou du produit de l’infraction fait fi de la partie civile. En effet, la saisie pénale est moins logique qu’il n’y paraît lorsqu’est souligné le fait que celle-ci n’a pas vocation à indemniser la partie civile. Or, le statu quo ante, objectif affiché pour que le crime ne paie pas, est obtenu par l’indemnisation de la partie civile. Hors le cas de l’absence de partie civile, la somme saisie au titre du produit s’ajoutera, si elle est confisquée, à celle correspondant au montant des dommages et intérêts ou des sanctions, notamment fiscales, résultant de procédures parallèles. Ainsi, ce que la jurisprudence estime par nature proportionné n’est souvent rien de moins que des sanctions pécuniaires équivalant au double du produit de l’infraction. Ce constat n’est pas remis en cause par le mécanisme de l’article 706-164 du Code de procédure pénale dès lors que si la victime peut être indemnisée sur les biens confisqués, l’Etat sera subrogé dans les droits de la victime à hauteur des sommes versées. Les dommages et intérêts et les sommes confisquées ne se confondront donc jamais.

L’absence de caractère obligatoire de la peine de confiscation de l’objet ou du produit de l’infraction ne saurait constituer une réponse à de telles critiques.

La Chambre criminelle a toutefois posé une limite à cette exclusion du contrôle de proportionnalité dans un arrêt du 24 octobre 2018 [48].

7. Cass. crim., 24 octobre 2018, n° 18-80.834, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5490YI8) – limitation de l’exclusion du contrôle de proportionnalité du produit de l’infraction. En l’espèce, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte du chef d’escroquerie en bande organisée portant sur de la TVA et ayant causé à l’Etat un préjudice évalué à environ 10 millions d’euros, un mis en examen s’est vu saisir en valeur un bien immobilier d’une valeur de 245 000 euros lui appartenant ainsi qu’à sa compagne. Il a interjeté appel de l’ordonnance de saisie pénale immobilière, faisant notamment valoir le caractère disproportionné de cette mesure qui faisait suite à des saisies opérées sur ses comptes bancaires ainsi qu’à la saisie de deux véhicules. La chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance de saisie au motif que la valeur du bien saisi était inférieur à celle du produit de l’infraction. Le propriétaire du bien immobilier s’est pourvu en cassation.

À titre liminaire, la Haute juridiction expose que la chambre de l’instruction n’avait pas à caractériser un risque de dissipation du bien pour justifier la saisie. Bien que constante [49], cette solution ne manque pas d’étonner. D’une part, il est surprenant que le traditionnel duo nécessité et proportionnalité soit amputé en matière de saisies pénales. D’autre part, toutes les ordonnances de saisie rendues par les JLD et les juges d’instruction contiennent donc un argument, celui du risque de dissipation, auquel l’appelant n’a pas le droit de répondre.

Dans un premier temps, la Chambre criminelle rappelle que « le montant d’une saisie pénale en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation ».

Dans un deuxième temps, elle énonce qu’en cas de pluralité d’auteurs ou de complices, ce qui était le cas dans les tentaculaires faits d’espèce, « chacun d’eux encourt la confiscation du produit de la seule ou des seules infractions qui lui sont reprochées, avec ou non la circonstance de bande organisée, à la condition que la valeur totale des biens confisqués n’excède pas celle du produit total de cette ou de ces infractions ». Ainsi, d’une part, le produit ne doit pas être évalué au regard de l’ensemble de l’affaire mais de la ou des infractions reprochées au mis en examen dont le bien est saisi. D’autre part, le cumul des montants des biens confisqués ne pourra dépasser le produit total de la ou des infractions en question.

Dans un troisième temps, la Chambre criminelle réintroduit partiellement le contrôle de proportionnalité lorsqu’il est établi que le mis en cause n’a pas bénéficié de la totalité du produit de l’infraction. Dans cette hypothèse, l’intéressé peut invoquer le caractère disproportionné de la saisie pour la partie du produit dont il n’a pas tiré profit.

Ces solutions permettent de tempérer la sévérité de l’exclusion du contrôle de proportionnalité en matière de saisie de l’objet ou du produit de l’infraction. Tel est en effet particulièrement le cas lorsque la personne n’est mise en cause que pour avoir été l’un des auteurs de l’une des infractions poursuivies. Les faits de l’espèce illustrent parfaitement cette hypothèse dans laquelle la personne dont le bien a été saisi pénalement a une implication limitée dans une affaire de grande ampleur.

8. Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 19-86.979, FS-P+B+I (N° Lexbase : A552137M) – application du principe de proportionnalité au tiers de mauvaise foi. Dans le cadre d’une affaire d’infractions à la législation sur les stupéfiants, une cour d’appel a condamné un prévenu notamment à la peine de confiscation d’un bien immobilier appartenant en indivision à ce dernier et à son épouse, partie intervenante non condamnée, qui a corrélativement vu sa requête en mainlevée rejetée. L’épouse s’est pourvue en cassation.

Dans un premier temps, la Chambre criminelle approuve la cour d’appel d’avoir retenu que seul le condamné avait la libre disposition de l’immeuble et des loyers afférents. En effet, outre qu’il assurait seul la gestion locative de l’immeuble, la Haute juridiction relève que le prêt ayant permis son acquisition n’avait pu être remboursé qu’au moyen des revenus occultes du condamné, ce qui la conduit à conclure qu’il était le propriétaire économique réel de la totalité de l’immeuble confisqué. Est ainsi rappelée la définition de la libre disposition, notion consistant à déterminer l’ayant droit économique réel d’un bien.

Dans un deuxième temps, la Chambre criminelle estime que l’épouse avait connaissance des activités délictueuses de son conjoint, ce qui caractérise sa mauvaise foi. Elle confirme ainsi que l’élément moral qui autorise la confiscation d’un bien appartenant à un tiers, à savoir la mauvaise foi de celui-ci, ne se définit pas comme la volonté d’apparaître comme le propriétaire d’un bien que l’on sait appartenir en réalité à autrui mais aussi comme la connaissance des activités délictueuses du condamné [50].

Dans un troisième temps, la Haute juridiction affirme que le contrôle de proportionnalité, au besoin d’office s’agissant en l’espèce d’une confiscation prononcée sur le fondement de l’article 131-21, alinéa 6, du Code pénal, s’applique au tiers de mauvaise foi. Le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété doit être examinée au regard de la gravité concrète des faits et de la situation personnelle des indivisaires. En l’espèce, l’absence d’atteinte disproportionnée résulte, selon les juges du fond approuvés par la Chambre criminelle, de l’absence de confiscation d’un autre immeuble appartenant en propre à l’épouse et dont les travaux ont en partie été financés par des fonds d’origine douteuse.

La solution de la Cour de cassation est logique et discutable. Dès lors que le contrôle de proportionnalité s’applique, d’office en matière de confiscation de patrimoine, au prévenu reconnu coupable dont un bien est confisqué, il mérite de s’appliquer au tiers de mauvaise foi. À défaut, ce dernier, pourtant non poursuivi pénalement, se trouverait dans une situation moins favorable qu’un condamné. Toutefois, la nécessaire extension du contrôle de proportionnalité au tiers de mauvaise foi n’est que le résultat d’une définition contestable de la mauvaise foi inspirée de certaines dispositions du Code pénal tel que l’article 222-49 (N° Lexbase : L6422ISN) qui prévoit la confiscation de l’instrument et du produit du trafic de stupéfiants « à quelque personne qu’ils appartiennent et en quelque lieu qu’ils se trouvent, dès lors que leur propriétaire ne pouvait en ignorer l’origine ou l’utilisation frauduleuse ». Si la jurisprudence se bornait à considérer que la mauvaise foi n’est caractérisée que lorsque le tiers sait qu’il n’est pas le véritable ayant-droit économique du bien concerné, le principe de proportionnalité n’aurait pas à lui être appliqué dès lors que la confiscation ne serait pas susceptible d’affecter son patrimoine personnel réel. Il s’agirait alors, non de sanctionner le tiers pour sa mauvaise foi, mais de s’assurer que la confiscation n’est pas susceptible de l’affecter. En définissant la mauvaise foi comme la simple connaissance par le tiers des activités délictueuses du condamné, la jurisprudence en fait un tiers qui mérite de subir une sanction et qui doit, dès lors, également bénéficier du contrôle de proportionnalité. Dans ces conditions, la Chambre criminelle estime devoir exiger d’avoir recours, pour l’examen de la situation d’un tiers, au critère de la gravité des faits.

9. Cass. crim., 18 mars 2020, n° 19-82.978, F-P+B+I (N° Lexbase : A49563KR) – application du principe de proportionnalité au refus de restitution après jugement. En l’espèce, une cour d’appel avait condamné un prévenu pour pratiques commerciales trompeuses tout en omettant de statuer sur le sort de biens placés sous main de justice lui appartenant. Le condamné a alors sollicité la restitution des biens saisis, dont une somme d’argent figurant au crédit d’un compte bancaire et un ordinateur, au procureur général, conformément aux dispositions de l’article 41-4 du Code de procédure pénale. Ce dernier a refusé la restitution de ces biens au motif qu’ils constituaient l’instrument ou le produit direct ou indirect de l’infraction. Le requérant a interjeté appel. La chambre de l’instruction a confirmé la décision de non-restitution dès lors que l’ordinateur et les sommes saisies constituaient le produit et l’instrument de l’infraction. L’appelant s’est pourvu en cassation.

La Chambre criminelle estime que le régime du contrôle de proportionnalité applicable au stade pré-sentenciel et durant la phase de jugement l’est, dans les mêmes conditions, au stade post-sentenciel. Ainsi expose-t-elle qu’ « hormis le cas où le bien saisi constitue, dans sa totalité, l’objet ou le produit de l’infraction ou la valeur de ceux-ci, le juge qui en refuse la restitution, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée au droit de propriété de l’intéressé, au regard de la situation personnelle de ce dernier et de la gravité concrète des faits, lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit d’une saisie de patrimoine ». En l’espèce, d’une part, les biens saisis constituaient le produit de l’infraction, les faisant échapper à tout contrôle de proportionnalité. D’autre part, l’ordinateur était l’instrument de l’infraction, ce qui aurait permis un contrôle de proportionnalité sur invocation, ce dont ne justifiait pas le requérant.

Avec cette solution, la Haute juridiction aligne le régime du refus de restitution qui, au stade post-sentenciel, revêt un caractère définitif, sur celui de la peine. Elle retire tout caractère automatique au refus de restitution de l’instrument de l’infraction, comme pourrait le suggérer l’article 41-4, alinéa 2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7474LPI). Dès lors que l’intéressé aurait pu obtenir la restitution d’un tel bien par la juridiction qui l’a condamné si celle-ci n’avait pas omis de statuer, il apparaît opportun de laisser cette faculté à la chambre de l’instruction. Un doute subsiste sur la possibilité pour le ministère public d’opérer, s’il le souhaitait, ce contrôle de proportionnalité en sa qualité d’autorité de première instance. Il doit par ailleurs être relevé que la Chambre criminelle ajoute doublement au texte en permettant un refus de restitution de l’objet de l’infraction d’une part et de biens constituant, en valeur seulement, l’objet ou le produit de ladite infraction d’autre part.

Cet arrêt est l’occasion de s’interroger sur le mécanisme de l’article 41-4 du Code de procédure pénale qui autorise l’une des parties au procès, le ministère public, puis la chambre de l’instruction en cause d’appel, à modifier l’économie d’un jugement définitif en y ajoutant une mesure qui suit un régime strictement à celui de la peine de confiscation. Un auteur a affirmé qu’il n’était pas certain que le refus de restitution fondé sur l’instrument ou le produit de l’infraction, ajouté par la loi du 3 juin 2016 [51], « résiste à la première QPC venue » [52], d’autant que ce motif de non-restitution avait été ajouté pour éviter la restitution d’un bien lorsqu’une procédure pénale n’avait pu aboutir, par exemple en raison du décès de la personne mise en cause.

Dans un arrêt du 20 janvier 2021 [53], la Chambre criminelle précise que la possibilité de restituer l’instrument de l’infraction sur une requête post-sentencielle se justifie par le fait qu’au stade du jugement, la peine de confiscation de l’instrument de l’infraction, prévue à l’article 131-21, alinéa 2, du Code pénal, et le refus de restitution de l’instrument ou du produit de l’infraction, prévu à l’article 481, alinéa 3, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5014K89) ne constituaient qu’une simple faculté pour la juridiction. Elle ajoute qu’il appartient à la chambre de l’instruction d’apprécier s’il y a lieu ou non de restituer le bien au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle. En l’espèce, les juges avaient été convaincus de restituer les biens saisis au motif qu’ils pouvaient contenir des données personnelles et familiales du requérant et de ses proches, que l’infraction avait duré quelques mois seulement, que le bénéfice en avait été limité et que le requérant déclarait avoir indemnisé les parties civiles.

10. Cass. crim., 29 janvier 2020, n° 17-83.577, F-P+B+I (N° Lexbase : A83173CZ) – motivation de la peine de confiscation. En l’espèce, deux sociétés civiles immobilières ont été poursuivies des chefs de complicité de fraude fiscale et blanchiment, leur représentante légale étant la principale prévenue. Les deux sociétés ont été condamnées, à titre de peine principale, à la confiscation de biens immobiliers leur appartenant. La cour d’appel a retenu que la principale prévenue, également condamnée, était la représentante légale de ces sociétés et leur associée très largement majoritaire. Les deux SCI se sont pourvues en cassation.

Cet arrêt constitue, pour la Chambre criminelle, l’occasion de rappeler aux juges du fond la méthodologie à appliquer en cas de prononcé d’une peine de confiscation à l’encontre d’une personne physique ou morale [54].

En premier lieu, au visa notamment des articles 132-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9834I3M) et 485 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9916IQC), la Haute juridiction rappelle « qu’en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ». Il s’agit de l’exigence générale de motivation des peines à laquelle s’ajoute, dans certaines hypothèses comme le prononcé d’une peine d’amende [55] ou d’emprisonnement ferme [56], des critères de motivation spécifique [57].

En deuxième lieu, elle expose qu’« hormis le cas où la confiscation, qu’elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue l’objet ou le produit de l’infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte au droit de propriété de l’intéressé lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit d’une confiscation de tout ou partie du patrimoine » [58].

Il peut être noté qu’en matière de confiscation, le contrôle de proportionnalité s’applique dans les mêmes conditions qu’en matière de saisie. Il est exclu lorsque le bien constitue en totalité, en valeur ou en nature, le produit de l’infraction [59]. Il n’est réalisé que sur invocation lorsqu’il ne s’agit pas d’une confiscation de patrimoine.

L’exclusion du contrôle de proportionnalité en matière de confiscation de l’objet ou du produit de l’infraction s’est malheureusement doublé d’une dispense de motivation du choix de cette peine. En effet, les articles 365-1 (N° Lexbase : L0982LKL) et 485-1 (N° Lexbase : L7241LPU) du Code de procédure pénale précisent que la motivation doit porter sur le choix de la peine au regard des dispositions de l’article 132-1 du Code pénal, sauf s’il s’agit notamment de la confiscation prévue à l’article 131-21, alinéa 3, du Code pénal.

En troisième lieu, lorsque le juge décide de confisquer un bien, étant rappelé que cette peine n’est pas obligatoire, y compris lorsque le bien est l’objet ou le produit de l’infraction, il lui incombe, « après s’être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l’origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s’expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété du prévenu ».

Est donc révolu le temps où « la confiscation des scellés » constituait presque plus une mesure d’administration judiciaire qu’une peine [60].

B. Réserve des droits du tiers de bonne foi

11. Cass. crim., 7 novembre 2018, n° 17-87.424, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1753YK7) – extension de la réserve des droits du tiers de bonne foi au produit de l’infraction. En l’espèce, un gestionnaire en assurance et une autre prévenue ont été condamnés par le tribunal correctionnel pour escroquerie et recel, le premier ayant détourné des fonds dont il a fait bénéficier la seconde. Cette dernière en avait, à son tour, fait profiter une troisième personne placée sous le statut témoin assisté avant de bénéficier d’un non-lieu à l’issue de l’information judiciaire. Des biens mobiliers et immobiliers appartenant à cette dernière avaient par ailleurs fait l’objet d’une saisie pénale. Devant le tribunal correctionnel, celle-ci, devenue tiers à la procédure, a sollicité en vain la restitution de ses biens. En effet, la juridiction répressive a condamné les prévenus à la peine de confiscation des biens saisis en ce qu’ils constituaient le produit direct de l’infraction. La requérante à la restitution a interjeté appel de la décision rejetant sa demande. La cour d’appel a confirmé le rejet de restitution. D’une part, elle a opposé à l’appelante l’autorité de la chose jugée dès lors que les prévenus condamnés à la peine de confiscation de ses biens n’avaient pas interjeté appel. D’autre part, tout en reconnaissant la qualité de tiers de bonne foi de l’appelante, elle a rappelé que les biens saisis constituaient le produit direct des infractions. La propriétaire des biens s’est pourvue en cassation.

Au visa de l’article 482 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9919IQG), qui dispose que « le jugement qui rejette une demande de restitution est susceptible d’appel de la part de la personne qui a formé cette demande », la Chambre criminelle souligne que cette voie de recours est ouverte au tiers « sans que puisse lui être opposé l’autorité de la chose jugée de la décision ordonnant la confiscation ». Elle précise en outre que lorsque les biens ont été confisqués, la demande de restitution doit être examinée à l’aune de l’article 131-21 du Code pénal, tandis que l’article 481 du Code de procédure pénale est réservé au cas où les biens n’auraient pas été confisqués. Au visa de l’article 6, § 2 de la directive 2014/42/UE, du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014 (N° Lexbase : L1123I3Y), elle estime que « les droits du propriétaire de bonne foi doivent être réservés, même lorsque le bien constitue le produit direct ou indirect de l’infraction ».

L’article 131-21 du Code pénal mentionne, à quatre reprises et selon la même formule, la réserve des droits du propriétaire de bonne foi. Ainsi en va-t-il de la confiscation de l’instrument de l’infraction [61], de celle reposant sur la présomption d’illicéité [62], de la confiscation de patrimoine [63] et de la confiscation en valeur [64]. Comme le rappelaient les juges du fond en l’espèce, l’article 131-21, alinéa 3 du Code pénal, qui prévoit la peine de confiscation de l’objet ou du produit direct ou indirect de l’infraction, mentionne une seule exception : les biens susceptibles de restitution à la victime. S’appuyant sur le droit de l’Union européenne, la Haute juridiction estime donc la réserve des droits du tiers de bonne foi applicable à une hypothèse non prévue par le texte. Cette solution est conforme tant à sa propre jurisprudence qu’à celle du Conseil constitutionnel. Dans un arrêt du 3 novembre 2011 [65], la Chambre criminelle considérait déjà, au visa de l’article 131-21 du Code pénal, que « la confiscation porte sur les biens qui sont l’objet ou le produit de l’infraction, à l’exception de ceux susceptibles d’être restitués soit à la victime, soit à une personne de bonne foi dont le titre de propriété ou de détention est régulier ». Dans une décision du 26 novembre 2010 [66], le Conseil constitutionnel concluait, sans distinction, que l’article 131-21 du Code pénal était conforme à la Constitution en ce qu’il préservait le droit des tiers de bonne foi.

12. Cass. crim., 9 septembre 2020, n° 18-84.619, FS-P+B+I (N° Lexbase : A16713T3) – confiscation pour le tout d’un bien commun malgré la bonne foi de l’épouse. En l’espèce, après avoir déclaré un prévenu coupable d’abus de confiance, une cour d’appel a notamment prononcé la confiscation, à titre de produit indirect de l’infraction, de deux biens immobiliers lui appartenant ainsi qu’à son épouse, tous deux mariés sous le régime de la communauté légale. Ultérieurement, l’épouse a saisi la cour d’une requête tendant à se voir restituer ses droits sur les biens immeubles confisqués en sa qualité de tiers de bonne foi. Les juges ayant fait droit à sa demande, le procureur général près la cour d’appel s’est pourvu en cassation, reprochant à la juridiction d’avoir procédé à une liquidation anticipée partielle de la communauté alors même qu’elle n’est pas dissoute.

La Chambre criminelle rappelle en premier lieu sa jurisprudence assurant la protection des propriétaires de bonne foi, y compris lorsque le bien constitue, comme il l’avait été jugé en l’espèce, le produit direct ou indirect de l’infraction [67] et y compris en cas de situation d’indivision [68].

En deuxième lieu, la Haute juridiction expose les dispositions civiles applicables aux dettes dont chaque époux est tenu pendant la communauté, sauf récompense due à celle-ci s’il y a lieu, et rappelle l’inexistence de cause de dissolution partielle. Elle en conclut que « la confiscation d’un bien commun prononcée en répression d’une infraction commise par l’un des époux ne peut qu’emporter sa dévolution pour le tout à l’Etat, sans qu’il demeure grevé des droits de l’époux non condamné pénalement, y compris lorsque ce dernier est de bonne foi ».

En troisième lieu, la Chambre criminelle tente de justifier cette solution. D’une part, elle affirme que la confiscation peut faire naître un droit à récompense pour la communauté, qu’il n’est pas excessif de qualifier d’illusoire après deux confiscations immobilières. D’autre part, elle compare la confiscation à l’amende, feignant de ne pas saisir la différence entre la condamnation à une peine, le montant de l’amende étant déterminé « en tenant compte des ressources et des charges de l’auteur de l’infraction » [69], et l’exécution de cette peine. En outre, le fait que la réserve des droits du propriétaire de bonne foi n’existe pas en matière d’amende, tandis qu’elle est consacrée en matière de confiscation, ne résulte sans doute pas du hasard. 

En quatrième lieu, la Haute juridiction refuse de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne dès lors que lors que l’époux n’est pas un tiers au sens de l’article 6 de la directive 2014/42/UE, du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014 qui vise la personne qui a acquis ou s’est vue transférée ce produit. Cette dernière précision mérite d’être saluée tant la jurisprudence française se montre moins attachée aux règles posées par l’Union européenne quant à la définition notamment de la bonne foi.

La solution de la Cour de cassation conduit à priver un tiers propriétaire de bonne foi de toute voie de recours alors même qu’il n’était pas partie à la procédure ayant abouti à la confiscation de ses biens. Elle augure une solution tout aussi injuste lorsqu’une juridiction confisque un bien immobilier appartenant à une société civile immobilière dont le condamné n’est pas propriétaire de l’intégralité des parts. En effet, dans cette dernière situation, le fait, pour une juridiction, de ne confisquer un bien immobilier qu’à hauteur du pourcentage de parts détenus par le condamné et de restituer le surplus à la société n’a pas, à proprement parler, pour effet d’évincer le condamné le condamné de la société civile immobilière et de répartir la partie non confisquée du bien entre les associés de bonne foi. En définitive, cet arrêt démontre que le droit des saisies pénales et confiscations ne peut se borner à une construction prétorienne et nécessite l’intervention du législateur.

À l’occasion de la transmission au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à cette interprétation jurisprudentielle, la Chambre criminelle de la Cour de cassation amorce un évident revirement de jurisprudence [70]. Tout en réaffirmant la solution de l’arrêt du 9 septembre 2020, elle reconnaît, outre le droit à récompense, la possibilité pour l’époux de bonne foi d’obtenir, à l’occasion de l’audience de jugement du prévenu ou par une requête postérieure sur le fondement de l’article 710 du Code de procédure pénale, la restitution totale ou partielle du bien saisi ou confisqué à la communauté. Ainsi, un an après avoir dénié à une requérante de bonne foi toute possibilité d’obtenir une restitution au point que la Haute juridiction avait rejeté elle-même sa requête, la Chambre criminelle affirme désormais que l’époux peut se prévaloir de sa bonne foi et obtenir la restitution d’un bien commun confisqué. La conciliation entre la décision du 9 septembre 2020 et les arrêts du 15 septembre 2021 résiderait dans le fait que la restitution doit être réalisée au profit de la communauté et non du seul époux de bonne foi. En tout état de cause, les règles de la communauté ne seraient donc plus un obstacle insurmontable à la protection des droits de l’époux de bonne foi et le droit à récompense le seul hochet proposé à ce dernier.

 

[1] C. proc. pén., art. 706-148, al. 2 (N° Lexbase : L5021K8H), 706-150, al. 2 (N° Lexbase : L7454LPR), 706-153, al. 2 (N° Lexbase : L7453LPQ), 706-154, al. 2 (N° Lexbase : L9507IYR) et 706-158, al. 2 (N° Lexbase : L7452LPP).

[2] C. proc. pén., art. 373, al. 3 (N° Lexbase : L5013K88) et 479, al. 2 (N° Lexbase : L9923IQL).

[3] Not. Cass. crim., 25 février 2015, n° 14-86.450, F-D (N° Lexbase : A5092NCL) et n° 14-86.447, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5129NCX) ; Cass. crim., 17 juin 2015, n° 14-83.236, F-D (N° Lexbase : A5220NLW).

[4] Not. Cass. crim., 3 mai 2018, n° 18-90.004, F-D (N° Lexbase : A4412XMD) ; Cass. crim., 9 octobre 2019, n° 19-82.172, F-D (N° Lexbase : A0052ZRD) ; Cass. crim., 3 février 2021, n° 20-84.966, F-D (N° Lexbase : A01784L8) ; Cass. crim., 29 juin 2021, n° 21-80.887, F-D (N° Lexbase : A21344YP).

[5] V. également Cass. crim., 13 juin 2018, n° 17-83.242, FS-D (N° Lexbase : A3310XRZ).

[6] Avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice (N° Lexbase : L6740LPC).

[7] Cass. crim., 31 mai 2017, n° 16-83.238, F-D (N° Lexbase : A2747WGT).

[8] Cass. crim., 17 février 2021, n° 20-81.397, F-P+B+I (N° Lexbase : A18454HS).

[9] Cass. crim., 24 juin 2020, n° 19-84.631, F-P+B+I (N° Lexbase : A21093PS).

[10] Cass. crim., 12 mai 2015, n° 14-81.590, F-D (N° Lexbase : A8690NHC).

[11] Sur la faculté pour le juge des libertés et de la détention de ne motiver que par référence à la requête du ministère public : Cass. crim., 11 décembre 2012, n° 11-89.111, F-D (N° Lexbase : A8860I3K). Sur la faculté de reproduire les motifs énoncés dans la requête : Cass. crim., 6 novembre 2019, n° 18-86.918, F-D (N° Lexbase : A3989ZUB).

[12] Cass. crim., 24 juin 2020, n° 19-84.631, F-P+B+I (N° Lexbase : A21093PS).

[13] Idem.

[14] V. également : Cass. crim., 13 juin 2018, n° 17-83.894, FS-D (N° Lexbase : A3229XRZ).

[15] Cass. crim., 13 juin 2018, n° 17-83.238, FS-D (N° Lexbase : A3232XR7).

[16] Cass. crim., 23 octobre 2019, n° 18-87.097, F-P+B+I (N° Lexbase : A0886ZSM) ; Cass. crim., 20 novembre 2019, n° 19-80.422 (N° Lexbase : A4672Z3G).

[17] Cass. crim., 30 janvier 2019, n° 18-82.644 , F-D (N° Lexbase : A4672Z3G).

[18] Voir notamment, Cass. crim., 13 juin 2018, n° 17-83.893, FS-P+B (N° Lexbase : A3194XRQ) ; Cass. crim., 13 juin 2018, n° 17-83.238, FS-D (N° Lexbase : A3232XR7).

[19] Cass. crim., 25 février 2015, n° 14-86.450, F-D (N° Lexbase : A5092NCL).

[20] Notamment, CEDH, 16 avril 2019, Req. 27879/13, Bokova c/ Russie (N° Lexbase : A2821Y9D).

[21] Cass. crim., 27 juin 2018, n° 17-82.467, F-D (N° Lexbase : A5622XUR).

[22] C. proc. pén., art. 373, al. 1 (N° Lexbase : L5013K88), art. 479, al. 1 (N° Lexbase : L9923IQL) et 543 (N° Lexbase : L5345LCX).

[23] C. proc. pén., art. 373, al. 1 (N° Lexbase : L5013K88) et 478, al. 2 (N° Lexbase : L9924IQM).

[24] Cass. crim., 7 novembre 2018, n° 17-87.424, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1753YK7).

[25] Cass. crim., 13 avril 1999, n° 97-85.443 (N° Lexbase : A2920CHM).

[26] Cons. const., décision n° 2021-925 QPC, du 21 juillet 2021 (N° Lexbase : A17194ZP).

[27] Cass. crim., 10 avril 2019, n° 18-85.370, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7856Y8H).

[28] Cass. crim., 3 février 2021, n° 20-84.441, F-D (N° Lexbase : A02324GP).

[29] Cass. crim., 3 février 2021, n° 20-84.441.

[30] C. pén., art. 131-21, al. 3 (N° Lexbase : L9506IYQ).

[31] C. pén., art. 131-21, al. 5.

[32] C. pén., art. 131-21, al. 9.

[33] Not. Cass. crim., 7 novembre 2018, n° 17-87.424, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1753YK7).

[34] Cass. crim., 7 novembre 2018, n° 17-87.424, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1753YK7).

[35] Cass. crim., 5 janvier 2017, n° 16-80.275, FS-D (N° Lexbase : A4793S3W) ; v. également Cass. crim., 13 juin 2018, n° 17-83.893, FS-P+B (N° Lexbase : A3194XRQ) ; Cass. crim., 13 juin 2018, n° 17-83.894, FS-D (N° Lexbase : A3229XRZ).

[36] Cass. crim., 25 septembre 2019, n° 18-85.211, F-D (N° Lexbase : A0388ZQG) ; Cass. crim., 25 septembre 2019, n° 18-85.216, F-D (N° Lexbase : A0388ZQG).

[37] En ce sens, Cass. crim., 9 décembre 2020, n° 20-81.907, F-D (N° Lexbase : A582639N).

[38] Cass. crim., 6 novembre 2019, n° 19-82.683, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8757ZTI).

[39] Cass. crim., 4 mars 2020, n° 19-81.818, F-P+B+I (N° Lexbase : A95143GH).

[40] Par ex. Cass. crim., 10 mars 2021, n° 20-84.966, F-D (N° Lexbase : A01784L8) ; Cass. crim., 24 octobre 2018, n° 18-80.834, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5490YI8).

[41] Cass. crim., 10 mars 2021, n° 20-84.966, F-D (N° Lexbase : A01784L8).

[42] Sur le caractère inopérant de la présomption d’innocence : Cass. crim., 12 mai 2015, n° 14-81.590, F-D (N° Lexbase : A8690NHC).

[43] L. Ascensi, À la recherche de l’objet de l’infraction, Lexbase Pénal, juillet 2020.

[44] Loi n° 2007-297, du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance, article 66 (N° Lexbase : L6035HU3).

[45] Cass. crim., 5 mai 2021, n° 20-86.529, F-D (N° Lexbase : A33454RC).

[46] Cass. crim., 10 mars 2021, n° 20-84.117, F-P+I (N° Lexbase : A47374KN).

[47] Cass. crim., 6 janvier 2021, n° 19-86.199, F-D (N° Lexbase : A89714BU).

[48] Cass. crim., 24 octobre 2018, n° 18-80.834, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5490YI8).

[49] Par exemple, Cass. crim., 11 juillet 2017, n° 16-83.773, F-D (N° Lexbase : A9700WM9).

[50] Déjà en ce sens, Cass. crim., 9 décembre 2014, n° 13-85.150, F-D (N° Lexbase : A5847M7P) ; Cass. crim., 3 février 2016, n° 14-87.754, F-D (N° Lexbase : A3191PKE).

[51] Loi n° 2016-731, du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, art. 84 (V) (N° Lexbase : L4202K87).

[52] E. Camous, La peine patrimoniale : une alternative prospective à la peine d’emprisonnement, AJ pénal, 2018, 25.

[53] Cass. crim., 20 janvier 201, n° 20-81.118, FS-P+B+I (N° Lexbase : A00044DI).

[54] Déjà en ce sens, Cass. crim., 27 juin 2018, n° 16-87.009, FP-P+B (N° Lexbase : A5508XXB) ; Cass. crim., 16 janvier 2019, n° 17-86.581, F-P+B (N° Lexbase : A6555YTX) ; postérieurement : Cass. crim., 24 juin 2020, n° 19-85.074, F-P+B+I (N° Lexbase : A21143PY) ; Cass. crim., 3 mars 2021, n° 19-87.093, F-D (N° Lexbase : A00774K3) ; Cass. crim, 23 mars 2021, n° 20-81.479, F-D (N° Lexbase : A67234MX).

[55] C. pén., art. 132-20 (N° Lexbase : L5004K8T).

[56] C. pén., art. 132-19 (N° Lexbase : L7614LPP).

[57] Sur le caractère cumulatif des critères généraux et spécifiques : Cass. crim., 13 juin 2019, n° 18-85.442, F-D (N° Lexbase : A5691ZEI).

[58] Voir également, au visa de l’article 1er du Protocole additionnel à la CESDH : Cass. crim., 18 mars 2020, n° 18-83.986, F-D (N° Lexbase : A49543KP) ; Cass. crim., 2 septembre 2020, n° 19-81.557.

[59] Déjà en ce sens, Cass. crim., 7 décembre 2016, n° 16-80.879, F-P+B (N° Lexbase : A3814SPX).

[60] Pour un exemple d’absence totale de motivation : Cass. crim., 22 avril 2020, n° 19-84.431, F-D (N° Lexbase : A17683L3).

[61] C. pén., art. 131-21, al. 2.

[62] C. pén., art.131-21, al. 5.

[63] C. pén., art.131-21, al. 6.

[64] C. pén., art.131-21, al. 9.

[65] Cass. crim., 3 novembre 2011, n° 10-87.630, F-D (N° Lexbase : A1920H4U). Egalement en ce sens : Cass. crim., 13 avril 1999, n° 97-85.443 (N° Lexbase : A2920CHM) ; Cass. crim., 29 octobre 2003, n° 10-87.630 (N° Lexbase : A1920H4U).

[66] Cass. crim., 26 novembre 2010, n° 2010-66 QPC (N° Lexbase : A3868GLT).

[67] Cass. crim., 7 novembre 2018, n° 17-87.424, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1753YK7).

[68] Cass. crim., 3 novembre 2016, n° 15-85.751, FS-P+B (N° Lexbase : A9164SE7).

[69] C. pén., art. 132-20 (N° Lexbase : L5004K8T).

[70] Cass. crim., 15 septembre 2021, n° 21-90.029, F-D (N° Lexbase : A912944U) ; Cass. crim., 15 septembre 2021, n° 21-82.389 (N° Lexbase : A9161443).

newsid:478785

Procédure civile

[Brèves] Procédure à bref délai : encourt la caducité la déclaration d’appel non signifiée à l’intimé dans les 10 jours

Réf. : Cass. civ. 2, 9 septembre 2021, n° 19-25.187, F-B (N° Lexbase : A2602447)

Lecture: 2 min

N8829BYN

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 23 Septembre 2021

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 9 septembre 2021, énonce que le délai de dix jours pour signifier la déclaration d’appel à l’intimé afin qu’il constitue avocat, prévu par l’article 905-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7035LEB), n’est « ni imprévisible ni insuffisant », tout en précisant que les dispositions de l’article précité « ne restreignent pas l’accès au juge d’appel d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même » ; les Hauts magistrats relèvent que ce délai ne porte pas atteinte au droit d’accès à un tribunal, garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

Faits et procédure. Dans cette affaire, un président d’un tribunal d’instance statuant en référé a rendu une ordonnance dans un litige opposant plusieurs protagonistes. Le demandeur a interjeté appel de la décision. Par ordonnance du 1er avril 2019, le président de la chambre devant laquelle l’affaire a été distribuée a fixé l’examen de l’affaire à bref délai pour l’audience du 27 novembre 2019. L’appelant a été avisé de cette fixation le même jour par le greffe. Le 30 avril 2019, l’appelant a signifié sa déclaration d’appel aux intimés.

Le pourvoi. Le demandeur fait grief à l'arrêt (CA Lyon, 7 novembre 2019, n° 19/0214 N° Lexbase : A2915ZUI) de juger caduque sa déclaration d’appel. L’intéressé énonce la violation par la cour d’appel de l’article 6, § 1, de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR).

Solution. Énonçant la solution susvisée, la Cour de cassation précise que le délai précité garantit, de s’assurer que l’intimé n’ayant pas constitué avocat, soit appelé, et mis en mesure de préparer sa défense. Le but légitime poursuivi par ces dispositions est une bonne administration de la justice dans le cas des procédures présentant un caractère d’urgence, et également  de s'assurer qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En conséquence, les Hauts magistrats valident le raisonnement de la cour d’appel et rejettent le pourvoi.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : L'appel, La procédure à bref délai, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase (N° Lexbase : E0899GAK).

 

newsid:478829

Procédure pénale

[Brèves] Lutte contre les conditions indignes de détention : modalités d’application du nouveau recours judiciaire

Réf. : Décret n° 2021-1194, du 15 septembre 2021, relatif au recours prévu à l'article 803-8 du Code de procédure pénale et visant à garantir le droit au respect de la dignité en détention (N° Lexbase : L8943L7D)

Lecture: 9 min

N8783BYX

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par Adélaïde Léon

Le 22 Septembre 2021

► La loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention avait créé un article 803-8 du Code de procédure pénale instituant une procédure visant à faire reconnaître et cesser l’existence de conditions indignes de détention affectant tant les détenus provisoires que les personnes condamnées. Les modalités d’application de ce nouvel article devaient être précisées par décret en Conseil d’État. C’est désormais chose faite avec le décret n° 2021-1194, du 15 septembre 2021, relatif au recours prévu à l'article 803-8 du Code de procédure pénale et visant à garantir le droit au respect de la dignité en détention.

On notera notamment les précisions suivantes :

Magistrats compétents pour connaître du recours formé sur le fondement de l’article 803-8.

  • s’agissant d’une personne placée en détention provisoire ou sous écrou extraditionnel : le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire compétent pour connaître de la procédure concernant cette personne ou du tribunal judiciaire situé au siège de la cour d'appel compétente pour connaître de cette procédure ;
  • s’agissant d’une personne condamnée : le juge de l’application des peines (JAP) du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est situé l'établissement pénitentiaire où cette personne est incarcérée ou, en matière de terrorisme, du tribunal judiciaire de Paris.

Modalités de saisine.

La requête devra faire l’objet d’une déclaration par le requérant ou par son avocat. Le texte précise les mentions et signatures devant y figurer.

Selon la situation du requérant la déclaration, devra être faite :

  • s’il est placé en détention provisoire :

- auprès du greffe du juge d’instruction si une information est en cours ;

- auprès du secrétariat du procureur de la République si le tribunal correctionnel est saisi ;

- auprès du secrétariat du procureur général si la chambre des appels correctionnels ou la cour d’assises est saisie ou si un pourvoi est en cours ;

  • s’il est placé sous écrou extraditionnel : auprès du secrétariat du procureur général ;

Dans ces deux configurations, le destinataire de la requête la transmet par tout moyen, le jour même ou le premier jour ouvrable suivant, avec ses éventuelles observations portant notamment sur la recevabilité de la requête, au juge des libertés et de la détention ;

  • si le requérant est condamné : la déclaration devra être réalisée auprès du greffe du juge de l’application des peines.

La déclaration peut également être faite au moyen d’une LRAR ou auprès du chef de l’établissement pénitentiaire par le biais d’un formulaire.

Recevabilité de la requête.

Le juge devra statuer dans un délai de dix jours à compter de la réception de la requête par ordonnance motivée conformément à l’article 803-8, alinéas 2 et 3 du I du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0665L4E).

  • requête jugée irrecevable : l’ordonnance est notifiée sans délai au requérant ;
  • requête jugée recevable : l’ordonnance de recevabilité est communiquée sans délai au chef d’établissement pénitentiaire qui devra, dans un délai d’au moins trois jours ouvrables et d’au plus dix jours, transmettre au juge ses observations écrites et toute pièce permettant d’apprécier les conditions de détention du requérant. L’ordonnance et une copie de ces observations sont également adressées au requérant ou à son avocat qui est invité à produire sans délai ses éventuelles observations.

Vérifications des conditions de détention.

Pour vérifier si les conditions de détention portent ou non atteinte à la dignité du requérant, le juge peut :

  • se déplacer sur les lieux de détention ;
  • ordonner une expertise ;
  • requérir un huissier de justice de procéder à toute constatation utile, à des photographies, des prises de vue et de son au sein de l’établissement pénitentiaire ;
  • procéder à l’audition de codétenus du requérant, de personnels pénitentiaires ou du chef de l'établissement pénitentiaire ;
  • procéder à l’audition du requérant ;
  • consulter tout rapport décrivant les conditions de détention mises en cause et issu de la visite d'un organisme national ou international indépendant.

Décision sur le bien-fondé de la requête.

L’ordonnance motivée sur le bien-fondé de la requête doit être rendue dans un délai de dix jours à compter de la date à laquelle l’ordonnance de recevabilité de la requête a été rendue.

Le juge se prononce au vu de la requête, des observations de l’intéressé ou de son avocat, de l’administration pénitentiaire et de l’avis écrit du juge d’instruction, du procureur de la République ou du procureur général.

Si la requête est jugée fondée, le juge :

  • précise les conditions de détentions contraires à la dignité ;
  • fixe un délai compris entre dix jours et un mois pour permettre à l’administration pénitentiaire d’y mettre fin par tout moyen.

Mise en œuvre par l’administration pénitentiaire.

L’administration pénitentiaire prend toute mesure qui lui paraît appropriée pour mettre fin aux conditions de détention en cause.

Elle peut notamment proposer à l’intéresser un transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire. Le décret apporte deux précisions importantes à cet égard :

  • lorsque la personne est incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté, le transfert proposé ne doit pas porter une atteinte excessive au droit au respect de sa vie familiale, eu égard au lieu de résidence de la famille ;
  • lorsque la personne est placée en détention provisoire, le transfèrement ne peut être décidé qu’avec l’accord du magistrat saisi du dossier de la procédure.

Issue du délai imparti à l’administration.

Avant l’expiration du délai d’un mois donné à l’administration pénitentiaire, celle-ci adresse un rapport d’information au juge sur les mesures prises ou proposées au détenu. Copie de ce rapport est adressée par tout moyen à l’avocat du requérant ou à ce dernier s’il n’est pas assisté.

À la réception du rapport, le juge peut procéder à des vérifications afin de constater qu’il a été mis fin aux conditions de détention en cause. Par ailleurs, dix jours au plus tard après l’expiration du délai imparti à l’administration pour agir, le juge, après avoir recueilli les observations et avis de l’article R. 249-25, prend l’une des décisions suivantes :

  • il n’y a plus lieu à statuer sur le fond de la requête car il a été mis fin aux conditions de détention ;
  • ordonne l’une des décisions des 1° à 3° du II de l'article 803-8 :

- 1° transfèrement ;

- 2° mise en liberté immédiate, le cas échéant sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique ;

- 3° mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d'une libération sous contrainte). L’article R. 249-34 définit les conditions dans lesquelles le JAP peut faire application de ce point y compris si l’octroi des mesures concernées relève normalement de la compétence du tribunal de l’application de peines.

Toutefois, le juge peut refuser de rendre l'une de ces décisions au motif que la personne s'est opposée à un transfèrement qui lui a été proposé sauf s'il s'agit d'un condamné et si ce transfèrement aurait causé, eu égard au lieu de résidence de sa famille, une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et de sa vie familiale.

S’il envisage d’ordonner le transfèrement, le juge ne peut le faire que dans l’un des établissements proposés par l’administration pénitentiaire.

Audition du requérant.

Lorsque le requérant a demandé à être entendu et que sa requête a été déclarée recevable, le juge informe l’intéressé et son avocat, par tout moyen, de la date et du lieu de l’audition. Cette audition doit intervenir avant le prononcé sur le bien-fondé ou, si la requête a été jugée fondée mais que l’administration n’a pas mis fin aux conditions en cause à l’issue du délai qui lui était imparti, avant que le juge ne prenne une des décisions du II de l’article 803-8 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0665L4E).

Voies de recours.

Le présent décret prévoit qu’il peut être fait appel des décisions précitées dans un délai de dix jours à compter de leur notification. L’appel peut être formé par le détenu, son avocat ou le procureur de la République soit par déclaration au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée soit par déclaration auprès du chef d'établissement.

  • si le juge n’a pas statué dans les délais impartis, les juridictions d’appel compétentes peuvent également être directement saisies par le détenu ou son avocat ;
  • si une personne condamnée estime que la mesure de transfert dont elle fait l’objet porte une atteinte excessive au droit au respect de sa vie familiale, l’intéressée peut faire un appel lequel présente un caractère suspensif.

Les décisions des juridictions d’appels devront être motivées.

Autres dispositions.

Le décret précise par ailleurs les règles applicables :

  • aux personnes faisant l’objet de plusieurs titres de détention et notamment :

- la répartition des compétences entre le JLD et le JAP dans le cas d’un individu incarcéré à la fois placé en détention provisoire et en exécution d’une peine ;

- le JLD compétent lorsque la personne placée en détention provisoire fait l’objet de plusieurs mandats de dépôt délivrés par des JLD de tribunaux judiciaires différents ;

  • aux mineurs ;
  • dans le cas de l’existence d’une procédure administrative parallèle.

Pour aller plus loin :

  • v. N. Catelan, ÉTUDE : Les mesures de contrainte au cours de l’instruction : contrôle judiciaire, assignation à résidence et détention provisoire, in Procédure pénale, (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E5051Z3H) ;
  • v. A. Léon, Conditions indignes de détention : la loi du 8 avril 2021 crée un recours devant le juge judiciaire, Lexbase Pénal, avril 2021 (N° Lexbase : N7158BYR).

newsid:478783

Responsabilité

[Brèves] Point de départ de la prescription : droit antérieur, droit positif, et application de la loi dans le temps

Réf. : Cass. civ. 1, 16 septembre 2021, n° 20-17.623 (N° Lexbase : A564844X) et 20-17.625 (N° Lexbase : A564944Y), FS-B+C

Lecture: 4 min

N8846BYB

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 22 Septembre 2021

► La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu deux arrêts le 16 septembre 2021, dont la large publication témoigne de l’importance des questions concernant la prescription en présence d’une situation de faiblesse dont étaient victimes des vendeurs ayant cédé différents immeubles ; le premier précise l’application de l’actuel article 2224 du Code civil, le second, l’articulation entre le droit antérieur à la loi du 17 juin 2008, dont est issu l’article 2224, et le droit résultant de cette réforme.

Point de départ de la prescription et article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC). Dans le premier arrêt (n° 20-17.623), la vente avait eu lieu après l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 (loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I). Seul l’article 2224 du Code civil était en cause. Il s’agissait d’identifier le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité extra-contractuelle en présence d’une situation de faiblesse. En effet, les vendeurs avaient intenté leur action plus de cinq ans après la réitération de l’acte, ce qui justifia la décision de la cour d’appel d’Agen de déclarer l’action prescrite. Les juges du fond avaient en effet considéré que c’était à compter de la réitération de l’acte authentique que les vendeurs avaient eu connaissance de la réalisation du dommage, en conséquence de quoi, c’était à compter de cette date que la prescription commençait à courir.

La cassation intervient au visa de l’article 2224 du Code civil, lequel dispose que « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». Constatant qu’ « il n’était pas discuté par les parties que (les vendeurs) étaient, au moment de la réitération de l’acte de vente […], dans un état de sujétion psychologique », elle en déduit que « la prescription n’avait pas pu commencer à courir à cette date ». Par conséquent, la situation de faiblesse permet de décaler le point de départ de la prescription.

Point de départ de la prescription et ancien article 2270-1 du Code civil (N° Lexbase : L2557ABC). Dans le second arrêt (n° 20-17.625), l’application dans le temps de la loi du 17 juin 2008 était en cause. En effet, la vente avait été conclue moins d’un an avant l’avènement de loi du 17 juin 2008. Application de l’ancien article 2270-1 ou application de l’article 2224 du Code civil issu de cette réforme ? La Cour de cassation, dans un arrêt à motivation enrichie, pose les principes directeurs (v. loi du 17 juin 2008, art. 26, II). D’une part, « les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de son entrée en vigueur, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ». D’autre part, et s’agissant du point de départ de la prescription, alors que la loi nouvelle, l’article 2224 du Code civil, a introduit un élément subjectif dans le point de départ de la prescription (le délai ne court que « du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer »), introduisant ainsi un point de départ « glissant », elle rappelle des solutions d’ores et déjà consacrées. Ainsi, s’agissant du point de départ du délai de prescription d’une action en responsabilité extra-contractuelle, l’ancien article 2270-1 demeure applicable dès lors que « le délai a commencé à courir avant l’entrée en vigueur de ce texte ». La solution n’est pas nouvelle (Cass. civ. 3, 24 janvier 2019, n° 17-25.793, FS-P+B+I N° Lexbase : A0097YU7). Quant au délai de prescription, l’article 2224 s’applique aux prescriptions en cours à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2008. Néanmoins, la durée totale ne saurait excéder la durée de dix ans, durée prévue par l’ancien article 2270-1, alinéa 1er, du Code civil. Rappelée, la solution avait d’ores et déjà été affirmée (Cass. civ. 3, 13 février 2020, n° 18-23.723, FS-D N° Lexbase : A74993EH). Dès lors, l’arrêt d’appel, qui avait appliqué le nouvel article 2224 relativement au point de départ de la prescription, est cassé.

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[Brèves] Publication de l’ordonnance de réforme du droit des sûretés

Réf. : Ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021, portant réforme du droit des sûretés (N° Lexbase : L8997L7D)

Lecture: 7 min

N8782BYW

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par Vincent Téchené

Le 22 Septembre 2021

► La très attendue ordonnance de réforme du droit des sûretés a enfin été publiée au Journal officiel du 16 septembre 2021.

Pour rappel, cette ordonnance est prise en application de l'article 60 de la loi « PACTE » (loi n° 2019-486, du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises N° Lexbase : L3415LQK) et devait paraître au plus tard le 23 mai 2021. En raison de la crise sanitaire, le délai a été repoussé de quatre mois (au 23 septembre) ; c’est donc une semaine avant la date butoir que le texte est publié.

Les 25 pages de l’ordonnance réforment en profondeur la matière.

En matière de cautionnement, les dispositions relatives à l'obligation d'information, à la mention manuscrite et à la proportionnalité mais également au devoir de mise en garde, aujourd'hui éparpillées dans le Code de la consommation, le Code monétaire et financier ou des lois non codifiées, sont abrogées pour intégrer le Code civil et permettre ainsi une unification des règles.

La réforme contredit en outre certaines solutions jurisprudentielles vues comme sources d'insécurité juridique : l'ordonnance consacre ainsi la possibilité pour la caution d'opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu'elles soient inhérentes à la dette ou personnelles au débiteur. De même, la caution ne pourra plus reprocher au créancier le choix du mode de réalisation d'une sûreté.

La sanction du cautionnement disproportionné est modifiée : la réduction du cautionnement remplace la déchéance totale. Quant aux règles relatives à la mention manuscrite, elles sont grandement assouplies, mais cette dernière reste exigée pour la validité du cautionnement. En outre, elle bénéficiera désormais à toutes les cautions personnes physiques, quelle que soit la qualité du créancier. La sous-caution bénéficiera également de l'information annuelle et de l'information sur la défaillance du débiteur principal. Le constituant d'une sûreté réelle pour autrui bénéficiera, pour sa part, des protections essentielles offertes à la caution, en rupture avec la jurisprudence actuelle.

Les règles du Code civil relatives aux privilèges mobiliers sont également « toilettées » et modernisées afin de clarifier et préciser leur régime, en particulier par l'inscription dans le Code civil de l'affirmation de l'existence d'un droit de préférence et de l'absence de droit de suite.

Le classement du droit de préférence du créancier gagiste ou l'absence de droit de rétention en matière de nantissement de bien incorporel sont également intégrés dans le Code civil. Dans le nantissement de créance, le régime de l'opposabilité des exceptions est, dans un souci de cohérence, fixé en s'inspirant des règles retenues pour la cession de créance par la réforme du droit des contrats du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK).

On relèvera également la transformation des privilèges spéciaux immobiliers en hypothèques légales, qui a pour effet de supprimer la rétroactivité de leur inscription. Il en va de même de la consécration dans le Code civil de la cession de somme d'argent à titre de garantie : cette sûreté est aujourd'hui massivement utilisée en pratique mais, faute de régime légal, une incertitude préjudiciable aux opérateurs économiques existait toujours quant à sa validité et son efficacité.

Des précisions sont apportées dans l'articulation des règles entre le Code civil et les procédures civiles d'exécution.

Le gage portant sur des immeubles par destination est désormais admis : ces biens, qui ne pouvaient jusque-là être engagés pour garantir un financement, peuvent désormais être grevés de sûretés.

L'efficacité de l'hypothèque est également renforcée :

  • sa constitution par les personnes morales autres que les sociétés est simplifiée ;
  • la prohibition des hypothèques portant sur biens futurs est levée ;
  • le champ des accessoires couverts par l'hypothèque en cas de subrogation personnelle est étendu ;
  • un mécanisme de purge des gages portant sur les immeubles par destination est mis en place.

Les règles relatives à la fiducie-sûreté sont modernisées. Son formalisme est assoupli, l'exigence d'une estimation de la valeur des biens transmis n'apparaissant pas nécessaire. Il en va de même de ses modalités de réalisation : le fiduciaire pourra désormais vendre les biens donnés en fiducie à un prix différent de celui fixé par l'expert si une vente à ce prix n'est pas possible. L'exigence d'expertise est toutefois maintenue afin d'assurer la protection du constituant.

Certaines règles relatives à la publicité du nantissement du fonds de commerce, sûreté très utilisée en pratique, complexifiaient inutilement les formalités d'inscription et fragilisaient sa sécurité. En particulier, le défaut d'inscription du nantissement dans le délai préfix n'est plus sanctionné par la nullité, mais par l'inopposabilité de l'acte.

En complément, l'ordonnance autorise la dématérialisation de l'ensemble des sûretés, alors qu'elle n'est aujourd'hui possible que pour les sûretés constituées par une personne pour les besoins de sa profession.

Certaines sûretés mobilières spéciales tombées en désuétude ou inutiles par rapport aux règles de droit commun sont abrogées : certains privilèges mobiliers ou immobiliers, le gage commercial, le nantissement de l'outillage et du matériel d'équipement, les warrants pétroliers, hôteliers, des stocks de guerre et industriel, le gage de stocks.

L’ordonnance consacre, par ailleurs, la cession de créance de droit commun à titre de garantie.

Les dispositions relatives à la publicité des sûretés mobilières, aujourd'hui inscrites dans différents codes (Code de commerce, Code des douanes, Code des transports, Code général des impôts, Code de la Sécurité sociale et Code de la construction et de l'habitation) et à différents niveaux de normes, sont enfin harmonisées.

Entrée en vigueur. L’ordonnance prévoit une entrée en vigueur le 1er janvier 2022. Toutefois, la date d'entrée en vigueur des dispositions relatives au registre des sûretés mobilières et au gage automobile, lesquelles requièrent à la fois des mesures réglementaires d'application et des développements informatiques, sera fixée par décret, sans pouvoir être postérieure au 1er janvier 2023. Les cautionnements conclus antérieurement à cette date demeureront intégralement soumis à la loi en vigueur au jour de leur conclusion. Il est également prévu une exception pour les obligations d'information (information annuelle, information sur la défaillance du débiteur principal, information de la sous-caution) qui s'appliqueront immédiatement le 1er janvier 2022 aux cautionnements et sûretés réelles pour autrui constituées avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance.

Ordonnance de réforme du droit des entreprises en difficulté. Cette réforme est complétée par l'ordonnance de réforme du livre VI du Code de commerce (ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8998L7E) portant notamment réforme de l'articulation entre le droit des entreprises en difficulté et le droit des sûretés (lire V. Téchené, Lexbase Affaires, septembre 2021, n° 689 N° Lexbase : N8784BYY)

Pour aller plus loin :

La réforme de droit des sûretés fera l’objet :

  • D'un numéro spécial de la revue Lexbase Affaires, élaboré sous la direction de Gaël Piette, Professeur à l'Université de Bordeaux ;
  • D'un webinaire, le 7 octobre 2021, avec les interventions de :
    - Gaël Piette, Professeur à l'Université de Bordeaux ;
    - Jean-Denis Pellier, Professeur à l’Université de Rouen ;
    - Dimitri Nemtechenko, Maître de conférences à l’Université de Rouen.

Pour vous inscrire au webinaire, cliquez ici.

    newsid:478782

    Temps de travail

    [Brèves] Possibilité de requalifier un contrat de travail à temps partiel en contrat à temps plein même si l’horaire mensuel reste inchangé

    Réf. : Cass. soc., 15 septembre 2021, n° 19-19.563, FS-B (N° Lexbase : A923444R)

    Lecture: 2 min

    N8801BYM

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    par Charlotte Moronval

    Le 22 Septembre 2021

    ► Un salarié, dont le contrat de travail à temps partiel prévoit une durée de travail mensuelle, peut demander la requalification de son contrat de travail en temps plein si le nombre d’heures complémentaires accomplies au cours d’une même semaine dépasse la durée légale du travail, même si l’horaire mensuel reste inchangé.

    En l’espèce. Un salarié saisit la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de son contrat de travail à temps partiel (d’une durée mensuelle de 140 heures, ramenée à 50 heures par avenant) en contrat de travail à temps complet.

    La procédure. La cour d’appel déboute le salarié de sa demande. Elle retient que, dès lors que la durée de travail était fixée mensuellement, la réalisation, durant une semaine, d’un horaire supérieur à la durée légale hebdomadaire, alors que l’horaire mensuel demeurait inchangé, ne saurait entraîner la requalification de ce contrat à temps partiel en contrat de travail à temps plein.

    La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l'arrêt rendu par la cour d’appel.

    Elle rappelle que les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale du travail. 

    En l’espèce, le salarié avait accompli 1,75 heure complémentaire au mois de février 2015 et au cours de la première semaine de ce mois, le salarié avait effectué 36,75 heures de travail.

    Elle estime que l'accomplissement d'heures complémentaires avait eu pour effet de porter la durée du travail accomplie par le salarié à un niveau supérieur à la durée légale du travail. Le contrat de travail à temps partiel devait dès lors, à compter de ce dépassement, être requalifié en contrat de travail à temps complet.

    Pour en savoir plus :

    • v. également Cass. soc., 12 mars 2014, n° 12-15.014, FS-P+B (N° Lexbase : A9496MGS) ;
    • v. aussi ÉTUDE : Le contrat de travail à temps partiel, La durée minimale de travail à temps partiel et les heures complémentaires, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E3906EYC).

    newsid:478801

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