La lettre juridique n°870 du 24 juin 2021

La lettre juridique - Édition n°870

Actualité judiciaire

[Le point sur...] Le procès Bygmalion, semaine après semaine

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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à 20 Minutes

Le 23 Juin 2021


Sommaire

Introduction. Nicolas Sarkozy de retour au tribunal avec treize autres prévenus pour le dossier « Bygmalion »

Semaine 1. Affaire Bygmalion : Le jour où Jérôme Lavrilleux a dit : « On a un problème... »

Semaine 2. Au procès Bygmalion, l’engrenage illégal s’affiche sur grand écran mais personne n’assume

Semaine 3. Au procès Bygmalion, Nicolas Sarkozy absent du prétoire mais présent dans tous les esprits

Semaine 4. Le procès Bygmalion ou l’occasion de faire ressurgir les vieilles haines politiques


Introduction. Nicolas Sarkozy de retour au tribunal avec treize autres prévenus pour le dossier « Bygmalion »

Il connaît déjà le chemin. Le moelleux des sièges réservés aux prévenus. Et même la dureté de la barre sur laquelle il va forcément s’appuyer au moment de son interrogatoire. Un peu plus de deux mois après avoir été lourdement condamné à trois ans de prison dont deux avec sursis pour « corruption » et « trafic d’influence » dans l’affaire dite « des écoutes de Paul Bismuth », Nicolas Sarkozy a de nouveau rendez-vous au tribunal judiciaire de Paris, jeudi 20 mai. Au deuxième étage. Dans la salle d’audience 2.01. À l’endroit même où il a déjà passé trois semaines en décembre dernier.

Cette fois, avec treize autres prévenus, il doit être jugé pour le financement illégal de sa campagne présidentielle de 2012. C’est le dossier « Bygmalion » du nom de l’agence de communication impliquée dans cette affaire. L’audience devrait avoir lieu alors qu’un premier renvoi était intervenu en mars, en raison de l’état de santé de l’un des avocats de la procédure touché par le coronavirus.

 Une symphonie pour l’entrée en scène du président candidat

Le tribunal va donc se replonger dans la guerre fratricide entre copéistes, fillonistes et sarkozystes qui a éparpillé la droite « façon puzzle » après son échec à l’élection présidentielle de 2012. À l’époque, après un premier quinquennat, Nicolas Sarkozy avait décidé de rempiler pour un mandat supplémentaire à l’Élysée. Et pour convaincre l’opinion publique, il avait opté pour une campagne éclair. De quelques mois à peine. Un peu sur le modèle de François Mitterrand en 1988. Avec comme slogan « La France forte » plutôt que « La France unie ».

« La France forte » donc. À toute vitesse surtout. En effet, la campagne de l’ancien chef de l’État a rapidement pris l’allure d’un train que rien ne semblait pouvoir arrêter et qui a fini par dérailler. Alors que son équipe avait tablé sur l’organisation d’une quinzaine de meetings coûteux – une vingtaine grand maximum – Nicolas Sarkozy en fera finalement quarante-quatre entre janvier et le 6 mai 2012. Soit plus de huit par mois tandis que son challenger victorieux, François Hollande, s’en contentera d’une dizaine sur toute la période.

Pour emporter la bataille, Nicolas Sarkozy avait choisi d’en mettre plein la vue. Après une première réunion un peu terne à Marseille (Bouches-du-Rhône), ses équipes décident de changer de braquet. Les chaînes d’information en continu attirent de plus en plus de téléspectateurs ? On leur fournit des images grandioses. Quitte à tirer des filins sur lesquels les caméras se déplacent. Il faut voir des centaines de militants agiter des drapeaux bleu blanc rouge ? On affrète des trains et des bus pour les faire venir. Il faut une musique qui claque quand le président candidat entre sur scène ? On compose une symphonie et on la fait jouer par un orchestre.

Évidemment, tout cela a un coût. Chargées de monter les « spectacles », la société Bygmalion et sa filiale événementielle, Event & Cie, alignent les factures. Jusqu’à ce que l’équipe de campagne réalise que le plafond de dépenses autorisé par la loi (22,5 millions d’euros pour le second tour) va être dépassé, invalidant de fait la candidature de Nicolas Sarkozy… Les experts-comptables émettent alors des doutes sur la tenue finale des comptes. Mais la magie de la campagne opère. Nicolas Sarkozy remonte dans les sondages. Et rien ne peut arrêter la machine lancée. Le 11 mars 2012, quatre jours seulement après un premier avertissement des comptables, le candidat tient une réunion publique à Villepinte dont le coût (près de 6 millions d’euros) représente à lui seul le quart du budget autorisé…

Nicolas Sarkozy encourt un an de prison et 3 750 euros d’amende

Pour réduire la facture tout en maintenant le train de la campagne, les cadres de l’UMP et de la société Bygmalion sont aujourd’hui accusés d’avoir monté un système de fausses factures. Le principe était de faire supporter les coûts par le parti politique plutôt que par le candidat en faisant croire qu’ils correspondaient à des conventions politiques bidon sur la pêche, l’Europe ou encore l’immigration plutôt qu’à des meetings de campagne…

« Au total, 18,5 millions de fausses factures ont été réglées par l’UMP, allégeant d’autant les comptes de l’Association pour le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy », assure ainsi le juge d’instruction Serge Tournaire qui parle, dans son ordonnance de renvoi, de « maquillages », de « manipulations » et surtout de « dérapages ». Lors de l’instruction, Nicolas Sarkozy a assumé son statut de candidat, mais a martelé ne pas avoir été mis au courant de la manœuvre illégale. Le juge n’en a d’ailleurs pas trouvé la trace. « L’enquête n’a pas établi qu’il avait ordonné [les fraudes] ni qu’il y avait participé ni même qu’il en avait été informé […] Mais il en a incontestablement bénéficié », écrit encore Serge Tournaire pour justifier du renvoi de l’ancien chef de l’État devant le tribunal.

Une analyse que n’a pas partagée Renaud Van Ruymbeke. Cosaisi du dossier lors de l’instruction, il n’a pas souhaité apposer sa signature en bas de l’ordonnance. Ce qui est rare. Et ce que ne manquera pas de souligner, lors de l’audience, la défense de l’ancien président de la République. Uniquement renvoyé pour le délit de « financement illégal de campagne électorale », Nicolas Sarkozy encourt une peine d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende. Ses coprévenus – anciens cadres de l’UMP, de Bygmalion et organisateurs de la campagne électorale – devront, eux, répondre de faits plus graves « d’escroquerie », « d’abus de confiance » et de « faux » et « usage de faux », punis de cinq ans d’emprisonnement au maximum.

Le procès devrait durer jusqu’au 22 juin. Nicolas Sarkozy a déjà fait savoir qu’il n’assisterait qu’aux audiences le concernant personnellement. Selon nos informations, il devrait être interrogé sur le fond la semaine du 14 juin.

Semaine 1. Affaire Bygmalion : Le jour où Jérôme Lavrilleux a dit : « On a un problème... »

L’audition avait démarré la veille. Et durait depuis un bon moment quand Franck Attal a fini par laisser poindre sa colère. « Mais tout le monde savait à l’UMP ! De Sarkozy en passant par la fille de l’accueil ! » Prévu pour durer quasiment cinq semaines, le procès de l’affaire dite « Bygmalion » n’a finalement pas dû patienter longtemps pour entendre une première bombe à fragmentation éclater à la barre de la 11e chambre du tribunal judiciaire de Paris.

Après deux jours consacrés aux traditionnels problèmes de procédures et autres exceptions de nullité et un rappel de l’affaire de près de quatre heures, c’est donc Franck Attal qui, mercredi 26 mai, a allumé la première mèche. Pas vraiment une surprise… Directeur adjoint de Event & Cie, la filiale événementielle de Bygmalion, cet homme aujourd’hui âgé de 50 ans est celui qui a organisé tous les meetings du candidat Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2012. Celui qui a donc assisté au dérapage des dépenses. Et celui qui a eu vent de la mise en place du système de fausses factures destiné à dissimuler la fraude électorale, donc.

« Autour de la mi-mars », répond-il d’ailleurs quand la présidente, Caroline Viguier, lui demande à quel moment tout a basculé. Costume cintré sur chemise blanche, Franck Attal raconte alors ce jour où Jérôme Lavrilleux, alors directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy, lui a dit : « On a un problème... »

« Il fallait mettre le paquet  » sur les meetings

L’histoire est désormais connue. Prévue à l’origine avec quatre ou cinq grands meetings, la campagne présidentielle du candidat Sarkozy avait finalement été déclinée autour de 44 réunions publiques à travers la France. Écrans géants, caméras sur des filins, militants amenés par centaines en car et en train : « il fallait que ça pète ! Il fallait mettre le paquet ! », raconte celui qui avait monté le programme. Sauf que tout cela a un coût. Et que très rapidement, le plafond des dépenses autorisé par la loi a été dépassé.

« Faux et usage de faux », « escroquerie », « abus de confiance »… C’est pour cela qu’ils sont donc treize à comparaître et qu’ils encourent une peine de cinq ans de prison. Auxquels il faut ajouter Nicolas Sarkozy qui, absent pour le moment dans le prétoire, est renvoyé pour le seul délit de « financement illégal de campagne électorale » et encourt une peine d’un an de prison et 3 750 euros d’amende. Car, selon l’accusation, sa campagne a donc atteint le budget de 42,8 millions d’euros au lieu de rester sous la barre légale du plafond de 22,5 millions. Pour le dissimuler, un système de fausses factures – « de ventilation », selon l’expression du juge Serge Tournaire – a donc été mis en place.

C’est Jérôme Lavrilleux, le directeur adjoint de la campagne, qui a confessé la manœuvre, en pleurs, sur le plateau de BFM TV, en 2014. Mais depuis, à part lui, rares sont les prévenus à reconnaître avoir été mis au courant, à reconnaître leurs responsabilités. Franck Attal assure en faire partie. « Moi j’assume, dit-il. Je vais dire les choses... » Et le voilà qui indique à la barre avoir organisé une réunion « dans le bureau de Bastien Millot », le fondateur de Bygmalion. De lui avoir expliqué qu’il avait bien détruit toutes les preuves de la double comptabilité mais qu’il en avait conservé une trace sur une clef USB, qui constitue la pièce maîtresse de l’accusation aujourd’hui.

« La fraude d’un pouvoir politique ! La fraude d’un pouvoir en place ! »

Franck Attal a-t-il donné le ton ? Impossible de le savoir. Mais le lendemain, à la barre, Sébastien Borivent enchaîne et précise les révélations. À l’époque des faits, lui était directeur général adjoint de Bygmalion. Chargé essentiellement des finances. Très serein à la barre, il sait évidemment qu’il est trop tard pour mentir sur le dispositif. Comme s’il était possible de planquer un éléphant dans un vestibule… Le voilà donc à fixer, quant à lui, à « fin mars, début avril » 2012, le moment où le dispositif a été « proposé » à Bygmalion par l’UMP. Il ne se souvient plus de la date exacte. Mais il revoit très bien la scène. « On était dans mon bureau. C’était l’après-midi. » Et il se souvient évidemment de sa réaction. « J’étais très surpris. L’idée, c’était de contourner le truc... » Le « truc » ? Le terme de « loi » serait plus juste. « On n’est pas sur la fraude à la TVA d’un comptable… On est sur la fraude d’un pouvoir politique ! La fraude d’un pouvoir politique en place ! »

Comme son « ami » Franck Attal la veille, Sébastien Borivent semble au clair avec sa conscience désormais. Il assume les choses. Et ne se fait pas prier pour détailler le dispositif. En bon directeur financier qu’il était, il explique assez vite comment les choses se sont déroulées et son obsession, à l’époque, pour conserver une trace de tout cela dans un coin. Sur une clef USB très exactement. Sur laquelle figurent des tableaux qui servent encore aujourd’hui de socle à l’accusation. « Ma crainte, c’était que ce schéma sorte deux ans, trois ans, cinq après…, justifie-t-il. À l’époque, je me dis qu’il faut ménager des preuves. Mon inquiétude première, c’est de ménager des preuves... »

Sans ce client important, Bygmalion aurait mis la clef sous la porte

À écouter les deux premiers prévenus, une étrange sensation envahit le prétoire. Comme si, à l’époque des faits, personne n’avait pensé à s’opposer à l’idée illégale. Comme s’il n’en avait même pas été question. Dans un plan impeccablement huilé, Caroline Viguier demande alors à Guy Alvès, le directeur de Bygmalion, de se lever et de s’approcher de la barre.

Et l’on comprend immédiatement pourquoi personne n’a rechigné à mettre en place le fameux système de fausses factures. Lui aussi apaisé, Guy Alvès explique avoir « accepté » le dispositif qu’on lui a proposé. Pour une raison simple : « Si je dis "non", il y a deux ou trois effets, raconte-t-il alors. Le premier, c’est que ma boîte est morte. J’ai des créances que je ne pourrais pas honorer. Je mets alors au tapis 40 collaborateurs. Et je ne suis pas à l’abri d’embarquer avec moi quelques sous-traitants... »

À ce moment-là, reviennent en tête les chiffres égrainés par la présidente Viguier quelques heures plus tôt… 13,8 millions de chiffre d’affaires en 2011, 26,9 en 2012, 5,5 en 2013… Il ne faut pas avoir fait des études poussées en économie pour comprendre que Bygmalion, exsangue, ne pouvait se passer d’un client aussi rémunérateur que l’UMP. De fait, elle mettra d’ailleurs la clef sous la porte en 2014, quand le scandale éclatera.

Au tour des responsables de l’UMP de passer à la barre

À la contrainte financière, Guy Alvès ajoute aussi une contrainte presque morale ou philosophique. Simplement de bonne foi, il précise ainsi qu’il ne trouve pas « complètement fou » que l’UMP paye pour les meetings de campagne de son candidat, s’interroge sur l’existence d’un plafond de dépenses autorisé, là où dans d’autres pays comme les États-Unis, il n’y en a pas. Et sur les conséquences qu’aurait eues sur la vie politique française un refus de sa part. « On parle de la campagne du président-candidat [Nicolas Sarkozy] à l’époque, explique-t-il. Si je dis "non", sa campagne s’arrête immédiatement. Il ne peut plus faire de meetings... ».

Assis cinq mètres derrière lui sur des petites chaises rembourrées en tissu rouge, les anciens responsables de la campagne le savent pertinemment. Tout comme ils ont compris que l’étau commençait déjà à se resserrer autour d’eux. À l’exception de Bastien Millot qui a nié l’évidence jusqu’à l’inconscience, tous les dirigeants de Bygmalion ont en effet déjà reconnu les faits après une petite semaine de procès.

Et surtout, ils ont indiqué qu’ils n’avaient fait que répondre à une demande émanant de l’UMP. De Jérôme Lavrilleux même, pour être précis. Dans son ballet parfaitement huilé, Caroline Viguier a d’ailleurs prévu de basculer la focale sur l’UMP à partir de lundi 31 mai. Avec en point d’orgue de cette nouvelle semaine de procès, l’audition de Jérôme Lavrilleux. Elle doit avoir lieu jeudi 3 juin.

Semaine 2. Au procès Bygmalion, l’engrenage illégal s’affiche sur grand écran mais personne n’assume

Elle n’en montre rien… Mais par moments, Caroline Viguier doit tout de même avoir le sentiment de tourner en rond. Sans doute parce que la présidente de la 11e chambre du tribunal judiciaire de Paris a choisi d’aborder l’épais dossier de l’affaire « Bygmalion » par cercles concentriques. Après une première semaine d’audiences passée à interroger les dirigeants de la société d’événementiel chargée d’organiser les meetings de Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2012, elle a donc commencé à resserrer son étau autour des anciens responsables de l’UMP impliqués dans la manœuvre frauduleuse.

Car il ne fait plus guère de doute que le « président-candidat », comme l’appellent encore aujourd’hui les prévenus, a bien bénéficié d’un système de fausses factures lui permettant d’exploser le plafond des dépenses de campagne autorisé par la loi. En transformant les factures des meetings du champion de la droite en faux portant sur des conventions bidon du parti, le système lui a permis, selon l’accusation, de dépenser plus de 42,8 millions d’euros alors qu’il n’avait pas le droit de dépasser 22,509 millions… Soit quasiment le double…

Appelés tour à tour à la barre, dès le lundi 31 mai, les anciens dirigeants de l’UMP ont dû reconnaître la stratégie frauduleuse. Difficile de faire autrement : les enquêteurs ont trouvé en perquisitions toutes les pièces permettant de caractériser les faits. Autant de documents que la présidente Caroline Viguier projette sur l’écran géant du prétoire à l’heure d’interroger ces prévenus qui préfèrent, évidemment, regarder leurs chaussures.

Car les documents sont éloquents… Il y a par exemple cet « engagement de dépenses » daté du 26 avril 2012. D’un montant de 5 389 784,76 euros très précisément. Ou celui rédigé un peu plus tôt, en janvier. D’un total de 2 999 199,66 euros, celui-là. Des sommes importantes relatives au coût des meetings du candidat. Sauf que les documents assurent qu’elles correspondent à des conventions de l’UMP qui n’ont, en réalité, jamais eu lieu…

Eric Césari est passé à une réunion « par hasard »

En dessous des sommes, sur chaque document, figurent quatre petites cases réservées aux signatures des directeurs, selon un processus bien établi. Et souvent, l’on trouve dans la première case la griffe de Pierre Chassat, à l’époque directeur de la Communication du parti. Aujourd’hui, il n’en mène pas large à la barre. « Oui, j’ai signé… Mais c’était en toute bonne foi..., lâche-t-il. On se disait que c’était plus simple pour la comptabilité... » Sa réponse est si faible qu’elle se perd dans le prétoire.

Car, lui aussi, en dépit de sa signature, assure n’avoir rien su, rien vu du fric-frac électoral. Et il se garde bien de désigner quelqu’un. Ce qui évidemment finit par agacer Caroline Viguier. « C’est tout de même curieux », attaque-t-elle ainsi… Avant de carrément s’emporter. « Mais qui ? Qui ? C’était le rôle de qui de vérifier les comptes ? C’était le rôle de qui de vérifier les factures ? » Pas de réponse…

Le lendemain, c’est Eric Césari qui est interrogé. Petite pochette bleue sous le bras, il arrive prestement à la barre. Comme s’il voulait s’expliquer et tout lâcher. Mais là aussi, l’après-midi se résumera à un dialogue de sourds. Caroline Viguier allume son ordinateur et pioche une première munition pour le mettre en difficulté. La déclaration d’un employé de l’UMP. « Eric Césari était au courant de tout au parti », assure celui-ci. À la barre, celui qui était surnommé « L’œil de Sarkozy » s’agite. « Mais non, il aurait fallu que je sois au milieu de tout, ce n’est pas vrai ! » La présidente de la 11e chambre ne se démonte pas. Et sort une nouvelle carte. La réunion du 13 mars 2012 où le sujet des fausses factures a été abordé. « Ce jour-là, je suis passé par hasard à cette réunion mais je n’étais au courant de rien... »

La magistrate a du mal à cacher son exaspération. Elle demande au prévenu de se décaler et appelle Guillaume Lambert à la barre. Celui qui était alors directeur de campagne du candidat Sarkozy ne doit répondre qu’à une question. Il fait vite. « Je confirme qu’Eric Césari était à cette réunion. Et non, il n’est pas passé par hasard... » Mais le prévenu qui avait le salaire le plus élevé de l’UMP à l’époque -12 375 euros mensuels- continue à nier. Il semble avoir réponse à tout. Un salarié qui l’accuse ? « Oh lui, il a la mémoire qui flanche ! » Des fausses factures qui portent sa signature ? « J’ai signé un stock de parapheurs. Je ne savais pas à quoi cela correspondait... »

Dans le prétoire, magistrats et avocats comprennent rapidement qu’il ne participera pas vraiment à la manifestation de la vérité. Est-ce pour cela que son audition s’achève bien tôt, vers 17h ? Ou peut-être parce que tout le prétoire sait déjà que la journée du lendemain, le jeudi, sera plus intéressante ? Plus marquante ?

La campagne de 2012 ? Une « dinguerie » selon Lavrilleux

Comme tous les jours depuis le début du procès, Jérôme Lavrilleux arrive en effet le premier dans la salle d’audience, le jeudi. C’est son jour. Et il le sait. Sept ans qu’il attend ce moment depuis qu’il a révélé, en pleurs sur le plateau de BFM TV, que la campagne électorale de Nicolas Sarkozy avait bien été entachée d’un « dérapage ». Chemise bleue sur pantalon beige, il semble serein. Tout le monde se dit alors qu’il va pouvoir (enfin) en dire davantage.

Et d’ailleurs, la présidente Viguier ne se fait pas prier pour lui demander s’il reconnaît les faits. « Oui, répond-il. Mais pas dans la même temporalité... » Et le voilà qui annonce qu’il a découvert le pot aux roses, en mai 2012, juste après le second tour de l’élection présidentielle. Alors que tout indique qu’il a été mis au courant dès le mois de mars… Et que tout le dossier le laisse à penser.

Mais non, Jérôme Lavrilleux précise qu’il ne l’a pas vraiment su avant. Et qu’il est bien incapable de désigner l’instigateur de la manœuvre. Certes, en sa qualité de copéiste pur et dur, il point vers l’Élysée où « les décisions se prenaient ». Mais il laisse entendre que si la droite en est arrivée là, c’est surtout en raison de « l’inorganisation totale de la campagne » de Nicolas Sarkozy. Une « dinguerie » qui est complètement « partie en sucette », selon ses mots imagés.

« Je ne veux pas briser un fantasme, lâche-t-il. Mais tout cela s’est passé au fil de l’eau. De façon empirique... » Et il bat en brèche la théorie selon laquelle tout était pensé, calculé, millimétré. Non, la campagne a dérapé à un moment donné. Et les comptes avec… Et personne n’a semblé être en mesure d’arrêter le train lancé alors à toute vitesse vers le mur.

Alors que les coûts étaient clairement déjà dans le rouge au mois de mars 2012, Jérôme Lavrilleux explique ainsi qu’on lui a demandé de passer à la vitesse supérieure sur l’organisation des meetings. D’en organiser carrément un par jour. « À chaque fois, on grimpait de 0,5 point dans les sondages de Paris-Match. Et on est parti en sucette... » À tous les niveaux a priori. Très critique envers l’équipe de campagne, il raconte alors comment a été conçue une lettre programme du candidat de 24 pages, tellement épaisse qu’elle était impossible à plier et à glisser dans les boîtes aux lettres. « Elle a pourri dans les cartons... »

Tout en protégeant son ancien patron, Jean-François Copé, Jérôme Lavrilleux se montre donc incapable de désigner avec précision qui a pensé à mettre en place ce système de fausses factures. Caroline Viguier a compris qu’il lui fallait encore avancer et resserrer son étreinte sur les vrais décideurs. Jean-François Copé qui sera entendu comme témoin, le 9 juin. Et Nicolas Sarkozy, la semaine du 14. La magistrate sait bien que c’est au milieu de tous ses cercles concentriques que se trouve sa cible ultime. La vérité.

Semaine 3. Au procès Bygmalion, Nicolas Sarkozy absent du prétoire mais présent dans tous les esprits

Ce n’est pas un tabou. Pas même une ombre. C’est juste un absent. Un blanc dans les discussions. Depuis le 20 mai, rares sont ceux qui osent citer le nom de Nicolas Sarkozy dans l’enceinte de la 11eme chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris chargée d’examiner l’affaire Bygmalion. Comme si, à l’instar des romans de Stephen King, cela pouvait d’un seul coup faire apparaître un démon ou un mauvais génie. Pourtant, tous les débats amènent inévitablement à penser à lui. Jean-François Copé, aussi, l’a remarqué. « Qu’est-ce que mon nom a été cité depuis le début du procès ! Alors que d’autres noms ne sont jamais prononcés... », a-t-il lâché à la barre.

Mercredi 9 juin, en fin d’après-midi, l’ancien patron de l’UMP et toujours maire (LR) de Meaux (Seine-et-Marne) s’est, lui, avancé d’un pas décidé vers la barre. Il était un peu plus de 16h. Costume gris sur le dos, petite pochette remplie de documents sous le bras, il est venu témoigner de toute cette affaire. Et, soumis au feu roulant des questions de toutes les parties, il a donc dû jouer le rôle de son propre avocat. Ce qui l’a amené, au bout de quasiment trois heures, à proposer sa petite réflexion personnelle au tribunal. « La seule chose que vous devez vous demander, c’est à qui tout cela a profité... » Visant implicitement celui dont on tait le nom depuis le début.

C’en était presque trop facile et certains n’ont pu s’empêcher d’esquisser un léger sourire en entendant cela… Jean-François Copé sait bien d’où il revient. Quand l’affaire a éclaté en 2014, il était secrétaire général de l’UMP. Et a donc fait d’abord figure de suspect idéal. Un article du Point l’a présenté comme l’instigateur de tout le système de fausses factures afin de se constituer un trésor de guerre pour une prochaine élection présidentielle. Il a porté plainte en diffamation. Et il a gagné. Les enquêteurs ont cherché le trésor et ils n’ont rien trouvé. Logiquement, il a bénéficié d’un non-lieu.

Si certains auraient voulu le voir sur le banc des prévenus, c’est donc en simple témoin qu’il s’est présenté à la barre. Un simple témoin ne risquant absolument plus rien dans cette affaire. Mais un témoin qui connaît bien sûr le dossier par cœur. Voue une rancune tenace à l’ancien Président de droite. Et se souvient sans doute de la formule exacte de Serge Tournaire à l’endroit de son meilleur ennemi. Dans son ordonnance, le juge d’instruction estimait ainsi que Nicolas Sarkozy n’avait pas « ordonné » la fraude, ni même qu’il y avait « participé » ou en avait été « informé » mais qu’il en avait « incontestablement bénéficié »…

Quand Sarkozy essaye de mettre le plus de distance entre le tribunal et lui

Nicolas Sarkozy est donc renvoyé pour « financement illégal de campagne électorale » dans cette affaire. Et c’est ce qui fait toute la différence avec Jean-François Copé. Certes, l’ancien chef de l’État est celui des 14 prévenus qui encourt la peine la plus faible : un an de prison et 3 750 euros d’amende. Mais il est celui dont la condamnation, après celle infligée dans le dossier des écoutes de Paul Bismuth, ferait évidemment le plus parler.

Pour éviter cela, l’ancien chef de l’État a veillé pendant trois semaines à mettre le plus de distance entre lui et le tribunal, entre lui et les autres protagonistes du dossier. Comme s’il cherchait à démontrer qu’il était au-dessus de tout soupçon, que lui n’avait pas mis les mains dans le cambouis du système de fausses factures lui ayant permis de dépenser 42,8 millions d’euros lors de la campagne présidentielle de 2012 alors que la loi le limitait à 22,5 millions d’euros.

Car désormais la magouille ne fait plus l’ombre d’un doute. Sans doute déjà convaincue par les auditions des dirigeants de Bygmalion puis ceux de l’UMP, Caroline Viguier, la présidente de la 11e chambre du tribunal, a fini de se faire une religion à ce propos la semaine dernière. Notamment lorsque Philippe Briand s’est approché de la barre. Chiraquien de la première heure, celui qui est toujours maire de Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire) avait accepté, en 2012, de présider l’Association de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy dans le seul but de montrer que la famille était réunie autour de son candidat.

Mardi 8 juin, il est venu apporter un éclairage intéressant. Expliquant qu’il n’était là que pour signer les factures et les ordres de dépenses préalablement validées par les équipes, il a confirmé que les experts-comptables avaient, très tôt, émis des doutes sur le respect du plafond des dépenses. Ils voyaient bien que le candidat multipliait les meetings et les coûts sans véritablement se rendre compte qu’il allait forcément exploser les comptes. Et dans le prétoire, tout le monde a bien sûr imaginé un train lancé à toute allure qui vient d’un coup à dérailler…

La campagne ? Une « dinguerie » qui est « partie en sucette »

Et tout le monde s’est également souvenu du témoignage de Jérôme Lavrilleux, une semaine plus tôt. Lieutenant de Jean-François Copé tout autant que directeur de campagne adjoint, il avait raconté comment cette campagne présidentielle s’était transformée en une « dinguerie » qui très vite était « partie en sucette ». Pour bien faire comprendre l’idée, il avait expliqué qu’au moment même où les comptes basculaient déjà dans le rouge, on lui avait demandé de multiplier les meetings de campagne. Tout simplement parce qu’à chaque réunion publique, le candidat « gagnait 0,5 point dans le sondage de Paris-Match » grignotant peu à peu son retard sur François Hollande.

Mais tout le monde connaît l’issue. Le président sortant n’est pas parvenu à rattraper son adversaire. Il a toujours dit qu’il lui avait manqué deux, peut-être trois, semaines pour y parvenir. Caroline Viguier aussi connaît l’histoire. Mais elle s’intéresse, de son côté, à ce qu’il s’est passé avant l’élection du candidat socialiste. Aux mois précédents. En resserrant peu à peu la focale sur les véritables responsables de la campagne, elle tente toujours d’y voir clair.

Mais, pour l’instant, rien ne permet d’indiquer clairement que le système illégal a été délibérément mis en place dans le but de permettre à Nicolas Sarkozy de dépenser sans se soucier de la loi. Ou qu’il n’est que la conséquence d’un « dérapage » inévitable des coûts durant la campagne qu’on aurait voulu dissimuler, a posteriori.

Les treize autres prévenus n’ayant pas pu répondre à cette question, tous les espoirs de Caroline Viguier reposent désormais sur les épaules remuantes de Nicolas Sarkozy. Durant l’instruction, il a toujours prétendu qu’il n’avait été informé de rien et surtout qu’il n’avait pas de temps à consacrer à cela. Reste à savoir s’il maintiendra sa version à la barre. Il y est attendu mardi 15 juin, à 13h30. Deux jours plus tard, ce sera au tour du ministère public de prendre ses réquisitions dans cette affaire.

Semaine 4. Le procès Bygmalion ou l’occasion de faire ressurgir les vieilles haines politiques

Ils ne partiront sans doute pas en vacances ensemble... Après plus d’un mois d’audience devant la 11e chambre du tribunal judiciaire de Paris, les prévenus de l’affaire Bygmalion se sont quittés, mardi 22 juin, en sachant déjà qu’ils se retrouveront à la rentrée pour un moment difficile. Le tribunal a en effet mis en délibéré au 30 septembre à 10h sa décision concernant cette vaste escroquerie qui a permis, selon l’accusation, à Nicolas Sarkozy de dépenser 42,8 millions d’euros pour sa campagne présidentielle de 2012 alors que la loi lui interdisait pourtant de dépasser un plafond fixé à 22,5 millions.

Et c’est à peu près la seule certitude de ce dossier. Malgré les quatre semaines d’audience et malgré l’implacable abnégation de la présidente Caroline Viguier à mener les interrogatoires, le procès n’a pas permis d’en savoir davantage sur l’origine de la fraude. Pas plus que sur l’identité de son instigateur. Et au final, il ne reste donc que l’inimitié entre les prévenus qui se sont succédés, jour après jour, sur les chaises rouges d’une salle d’audience congelée par la climatisation.

Une inimité qui s’est particulièrement fait sentir durant les derniers jours d’audience consacrés aux plaidoiries de la défense. On le rappelle, dans ce dossier, quatorze personnes étaient renvoyées : les anciens dirigeants de la société Bygmalion et de sa filiale événementielle, Event & Cie ; les anciens responsables de l’UMP, les ex-membres de l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy et l’ancien chef de l’État, lui-même.

Lors des réquisitions, Vanessa Perrée, la procureure adjointe, s’est ainsi étonnée que, dans cette affaire, « les plus honnêtes soient finalement les hommes d’affaires... » Ce n’est donc pas surprenant que la tension ait surtout été palpable entre les anciens responsables politiques. Neuf ans après les faits. Sept ans après leur révélation... Haine tenace et rancœur moisie entre les associés d’hier à la conquête du pouvoir qui sont aujourd’hui des ennemis et tentent de sauver leur peau dans le prétoire.

Jérôme Lavrilleux « assis dans du fromage »

Illustration à la barre lors de la plaidoirie de Solange Doumic. Intervenant en défense de Fabienne Liadzé, l’ancienne directrice des Finances de l’UMP, l’avocate a longuement expliqué, mardi matin, que sa cliente avait connu une vraie dépression après sa garde à vue. Qu’elle avait été licenciée du parti de droite. Et que tout le monde l’avait laissé tomber. Alors que d’autres, dans le même temps, étaient devenus députés européens et s’étaient donc « assis dans du fromage ». Une drôle d’expression utilisée pour dire qu’ils en avaient bien profité. Pas besoin de nommer Jérôme Lavrilleux, assis juste à sa droite, pour comprendre que c’est lui qui était visé.

La réplique est arrivée dans l’après-midi. Par la voix de Christian Saint-Palais, l’avocat de Jérôme Lavrilleux. Expliquant que d’autres avaient également eu « leur part de fromage », il a raconté que la plupart des prévenus n’avaient pas coupé les ponts avec l’UMP et bénéficiaient aujourd’hui de statuts avantageux d’élus ou de directeurs de services dans les mairies de droite des Hauts-de-Seine. Fabienne Liadzé est ainsi adjointe à la Culture à la mairie d’Issy-Les-Moulineaux.

« Tranquillisez-vous mes maires adjoints du 92, a-t-il ainsi lancé derrière son pupitre dans un grand sourire. Je pense que si nous avons une condamnation solidaire, les huissiers seront mandatés plus vite pour savoir s’il n’y a pas un peu de vaisselle à saisir dans les gîtes de Dordogne plutôt que dans les mairies d’Île-de-France », faisant ainsi référence à l’actuelle activité de gérant de gîtes de son illustre client…

Très inspiré et poursuivant sur sa lancée, Christian Saint-Palais a ensuite rectifié tous les autres prévenus en listant, de façon exhaustive, leurs diplômes pour mieux dénoncer le fait qu’ils n’avaient pas pu être mis sous la coupe de son client, titulaire, lui, d’un simple BTS. « Fabienne Liadzé, Sciences Po Paris. Eric Cesari, MBA Management. Chez Event, beaucoup de Sciences Po aussi... » Avant de critiquer Philippe Briand, président de l’Association de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, « un des plus grands hommes d’affaires de France », et Guillaume Lambert, « un préfet qui ne sait pas lire autre chose que la première page des dossiers qu’on lui tend... »

Sarkozy n’était pas un « candidat hystérique », selon son avocate

Sept ans après, rien n’a donc changé. Tous en veulent encore beaucoup à Jérôme Lavrilleux d’avoir avoué, en pleurs, sur le plateau de BFM TV. Et tous prétendent toujours ne rien avoir à se reprocher. Dont le plus célèbre des prévenus, Nicolas Sarkozy. Absent lors de tous les débats à l’exception évidente du jour consacré à son interrogatoire, l’ancien chef de l’État n’a même pas assisté à la plaidoirie de son avocate, Gesche Le Fur, ni gratifié le tribunal d’un « dernier mot » comme le veut l’usage.

Son confrère Thierry Herzog étant souffrant, c’est donc seule que l’avocate a réclamé « avec confiance » sa relaxe. « Il n’a signé aucun devis. Il n’a signé aucune facture. Il a accepté toutes les restrictions qu’on lui a demandées. Il est loin d’être un candidat hystérique et insatiable comme on l’a décrit. Il est surtout respectueux des valeurs de la justice ! » La dernière phrase n’est pas là par hasard. Lors des réquisitions, le parquet a eu des mots très durs pour dénoncer le fait que l’ancien chef de l’État n’avait pas daigné se déplacer pour assister à son propre procès, « comme un citoyen parmi les citoyens ».

Une critique que Gesche Le Fur a trouvé « déloyale ». Sans véritablement convaincre, elle a indiqué qu’il suffisait de lui demander pour que Nicolas Sarkozy se présente, chaque jour, dans le prétoire… S’il l’avait fait, l’ancien Président aurait donc assisté aux réquisitions. Et il aurait entendu les deux voix du parquet requérir une lourde peine d’un an de prison dont six mois avec sursis et 3 750 euros d’amende à son encontre.

Il s’agit ici de la seule peine de prison ferme que le parquet a requise avec celle à l’encontre de Bastien Millot, le fondateur de Bygmalion. Hasard ou coïncidence : elles visent les deux prévenus les moins présents aux débats. À l’encontre de tous les autres, le parquet a réclamé des peines de prison avec sursis et des amendes variables. Ils seront donc fixés sur leur sort le 30 septembre. En attendant, personne ne sait s’ils comptent s’envoyer des cartes postales.

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Assurances

[Brèves] Clause d’exclusion de garantie : une clause imprécise pour partie seulement doit-elle être considérée comme inapplicable pour le tout ?

Réf. : Cass. civ. 2, 17 juin 2021, n° 19-24.467, FS-B+R (N° Lexbase : A67174WP)

Lecture: 2 min

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 24 Juin 2021

► Une clause d'exclusion de garantie, dès lors qu’elle est imprécise pour partie - en ce qu’elle mentionne en l’espèce « et autre ‘mal de dos’ » -, n'est pas formelle et limitée et ne peut donc recevoir application.

Voici une précision d’importance apportée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans le contentieux, particulièrement abondant, relatif aux clauses d’exclusion de garantie.

Il  résulte en effet de l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH) que les exclusions de garantie doivent être formelles et limitées.

La question ici soulevée concernait une clause d’exclusion de garantie figurant dans un contrat de prêt, stipulant que ne donnent pas lieu à prise en charge « les incapacités et invalidités (qu'elles soient temporaires, permanentes, définitives et/ou absolues) qui résultent : - de lombalgie, de sciatalgie, dorsalgie, cervicalgie et autre "mal au dos". » (nous soulignons).

La cour d’appel de Montpellier avait retenu que, dans cette clause d'exclusion, seule l'expression « et autre mal au dos » n'était pas formelle et limitée, et qu'une fois expurgée de cette expression maladroite et imprécise, inopposable à l'assuré, la clause redevenait parfaitement claire, formelle et limitée, pour le restant.

Elle avait retenu, ensuite, que, dès lors que l’assuré déclarait un sinistre avec lombo-sciatalgie droite, cette pathologie entrait nécessairement dans le champ contractuel de la clause excluant à la fois les lombalgies et les sciatalgies et que l'assureur était bien fondé à dénier sa garantie au titre de ce prêt.

L’assuré a formé un pourvoi, arguant : 1° qu'une clause d'exclusion de garantie qui est sujette à interprétation n'est pas formelle et limitée ; 2° qu’une clause d'exclusion de garantie imprécise, fût-ce pour partie, est inapplicable pour le tout.

Les arguments font mouche, puisque la Haute juridiction censure la décision au visa de l’article L. 113-1 précité, après avoir retenu que cette clause d'exclusion de garantie, dès lors qu'elle mentionnait : « et autre "mal de dos" » n'était pas formelle et limitée et ne pouvait recevoir application, peu important que l'affection dont était atteint l’assuré soit l'une de celles précisément énumérées à la clause.

La décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Haute juridiction, qui retient une appréciation très stricte des critères posés à l’article L. 113-1 (cf. Cass. civ. 2, 26 novembre 2020, n° 19-16.435, F-P+B+I N° Lexbase : A173538R, retenant qu’il résulte de l'article L. 113-1 du Code des assurances que les clauses d'exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu'elles doivent être interprétées).

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Autorité parentale

[Panorama] L'exercice de l'autorité parentale : panorama d’actualité législative, réglementaire et jurisprudentielle (juin 2020 à juin 2021)

Lecture: 26 min

N7994BYQ

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Ouvrages de droit de la famille

Le 22 Juillet 2021

 


Mots clés : audition de l’enfant • exercice en commun ou unilatéral de l’autorité parentale • motifs graves • résidence de l’enfant • droit de visite et d’hébergement (DVH) • exercice exclusif de l’autorité parentale • fratrie • droit de visite médiatisé • assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) • remise de l’enfant • tiers de confiance


Sommaire

Audition de l’enfant

Cass. civ. 1, 14 avril 2021, n° 18-26.707, F-D

I. Exercice en commun ou unilatéral de l’autorité parentale

Indifférence du mariage

Cass. civ. 1, avis, 23 septembre 2020, n° 20-70.002 (avis n° 15005)

Motifs graves

Cass. civ. 1, 2 décembre 2020, n° 19-19.450, F-D

Cass. civ. 1, 26 juin 2020, n° 19-21.660, F-D

II. Résidence de l’enfant

Non-respect des droits de l’autre parent

Cass. civ. 1, 28 mai 2021, n° 21-12.807, F-D

Cass. civ. 1, 14 janvier 2021, n° 20-13.628, F-D

III. Droit de visite et d’hébergement

Exercice exclusif de l’autorité parentale

Cass. civ. 1, 26 juin 2020, n° 19-21.660, F-D

Fratrie

Cass. civ. 1, 14 octobre 2020, n° 19-18.100, F-D

Droit de visite médiatisé et AEMO

Cass. civ. 1, 14 avril 2021, n° 19-21.024, F-P

Remise de l’enfant

Décret n° 2020-930 du 28 juillet 2020 relatif à la mesure d'accompagnement de l'enfant par un tiers de confiance et modifiant le Code de procédure civile

Suppression pour motifs graves

Décret n° 2020-930, du 28 juillet 2020, relatif à la mesure d'accompagnement de l'enfant par un tiers de confiance et modifiant le Code de procédure civile

Cass. civ. 1, 24 juin 2020, n° 19-16.368, F-D

Cass. civ. 1, 10 février 2021, n° 19-21.902, F-D


Alors que le législateur est une nouvelle fois intervenu en juillet 2020 [1] pour limiter les droits parentaux dans le cadre des violences conjugales, plusieurs décisions sont intervenues au cours de l’année écoulée à propos de l’exercice de l’autorité par les parents séparés qui témoignent de la volonté de la Cour de cassation d’articuler les principes de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant et du maintien des liens de l’enfant avec ses deux parents. Ces principes s’appliquent à la détermination du mode d’exercice – commun ou unilatéral – de l’autorité parentale (I), comme à la fixation de la résidence de l’enfant (II), et à l’organisation de ses relations avec le parent non hébergeant (III).

Audition de l’enfant. Les sentiments de l’enfant constituent, selon l’article 373-2-11 du Code civil (N° Lexbase : L7191IMB), un critère de la décision du juge en matière d’autorité parentale. Depuis la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance (N° Lexbase : L5932HUA), selon l’article 388-1 du Code civil (N° Lexbase : L8350HW8), l’audition est même un droit de l’enfant lorsqu’il demande à être entendu ; le juge ne peut refuser de l’entendre comme le rappelle fermement la Cour de cassation dans l’arrêt du 14 avril 2001 (Cass. civ. 1, 14 avril 2021, n° 18-26.707, F-D N° Lexbase : A81094PZ, Dr. Fam. 2021, comm. n°, obs. C. Siffrein-Blanc). Dans cette décision, relative à un conflit parental à propos d’un traitement d’orthodontie, la Cour de cassation relève d’office l’irrecevabilité du pourvoi qui faisait grief à la cour d’appel d’avoir refusé d’entendre l’enfant, en se fondant sur l’article 338-5, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2702IES) selon lequel « la décision statuant sur la demande d’audition par le mineur n’est susceptible d’aucun recours ». Mais par ailleurs, elle considère qu’en rejetant la demande d’audition de l’enfant, en raison de son manque de discernement et afin de le préserver de tout conflit parental, sans expliquer en quoi l’enfant n’était pas capable de discernement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. Ce faisant, la Haute cour contourne l’impossibilité de contester le refus d’audition de l’article 338-5 du Code de procédure civile, en contrôlant la motivation de la décision portant sur l’exercice de l’autorité parentale prise sans audition de l’enfant. Plus précisément, elle condamne le refus d’audition fondé sur l’intérêt supposé de l’enfant d’être préservé du conflit parental. Ce motif est inopérant puisque le juge ne peut refuser la demande d’audition de l’enfant seulement si celui-ci n’en remplit pas les conditions que sont le discernement et le fait d’être concerné par la procédure. Ainsi, seule l’absence de discernement pouvait justifier le refus d’audition, mais encore fallait-il démontrer celui-ci.

I. Exercice en commun ou unilatéral de l’autorité parentale

Indifférence du mariage. Si le principe, depuis la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale (N° Lexbase : L4320A4R), est l’exercice en commun de l’autorité parentale, que les parents soient ou non mariés, celui-ci connaît une exception lorsque la filiation de l’enfant a été établie à l’égard de l’un de ses parents, plus d’un an après sa naissance. Dans cette hypothèse, le parent qui a reconnu l’enfant en premier conserve l’exercice unilatéral de l’autorité parentale. Dans un avis rendu le 23 septembre 2020 (Cass. civ. 1, avis, 23 septembre 2020, n° 20-70.002 (avis n° 15005) N° Lexbase : A25753WB, Dr fam. décembre 2020, n° 161 obs. V. Egéa), la Cour de cassation précise logiquement que le mariage des parents après la naissance de l’enfant n’emporte pas de plein droit l’exercice en commun de l'autorité parentale. En effet, depuis 2002, le régime de l’exercice de l’autorité parentale est commun à tous les couples, quel que soit leur statut matrimonial. Ainsi, l’exercice en commun de l’autorité parentale ne peut résulter que d’une déclaration conjointe adressée au directeur des services de greffe judiciaires ou d'une décision du juge aux affaires familiales (JAF) selon l’article 373, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2903AB7). L’avis du 23 septembre 2020 vient préciser que l’alternative offerte aux parents entre la voie administrative ou judiciaire ne dépend pas du fait qu’ils sont ou non d’accord pour que l’autorité parentale soit exercée en commun. Elle admet en effet que les parents puissent saisir le JAF d’une demande conjointe en ce sens. La compétence du directeur des services de greffe judiciaires pour recevoir une déclaration conjointe en ce sens ne fait pas obstacle à celle du JAF, qui, s'il est saisi sur le fondement de l'article 372, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L5357LTL), doit se prononcer sur la demande d’exercice en commun de l'autorité parentale, même si celle-ci est formée conjointement par les parents. Dans cette hypothèse, contrairement au greffier, le JAF apprécie si la demande, quoique conjointe, des parents est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Motifs graves. Selon l’article 373-2-1 du Code civil (N° Lexbase : L7190IMA), « Si l'intérêt de l'enfant le commande, le juge peut confier l'exercice de l'autorité parentale à l'un de ses deux parents ». Cette formulation, issue de la loi du 4 mars 2002, sous-entend que si l’attribution de l’exercice unilatéral de l’autorité parentale à un seul parent est envisageable lorsque l’intérêt de l’enfant le commande, il doit rester exceptionnel dans la mesure où il constitue en réalité une limitation des droits du parent concerné au nom de l’intérêt de l’enfant. La Cour de cassation, tout en leur reconnaissant un pouvoir souverain d’appréciation pour estimer, en prenant en considération l’intérêt de l’enfant, s’il existe ou pas des motifs graves de nature à écarter le principe de l’exercice en commun de l’autorité parentale vérifie que les juges du fond motivent spécialement leur décision fixant un exercice unilatéral de l’autorité parentale. L'étude de la jurisprudence montre que le caractère exceptionnel de l'exercice exclusif de l'autorité parentale, contenu dans la loi, est, dans l’ensemble, une réalité. Ainsi, la Cour de cassation considère dans un arrêt du 2 décembre 2020 (Cass. civ. 1, 2 décembre 2020, n° 19-19.450, F-D N° Lexbase : A9576388) que le désintérêt du père depuis la naissance de l’enfant ne suffit pas à exclure celui-ci de l’exercice de l’autorité parentale ; la cour d’appel aurait dû rechercher si le père n’avait pas, une fois le lien de filiation confirmé, entendu s’investir auprès de l’enfant et si l’absence de relations ne tenait pas à l’attitude de la mère, qui n’avait pas conduit l’enfant au point de rencontre. L’arrêt du 26 juin 2020 (Cass. civ. 1, 26 juin 2020, n° 19-21.660, F-D N° Lexbase : A71333PU) fournit une des rares illustrations d’une décision admettant un exercice unilatéral de l’autorité parentale, qui plus est au profit du père. Il semblerait que dans cette affaire, l’attitude de la mère, d’origine japonaise, laissant penser qu’elle pourrait emmener les enfants dans son pays d’origine a convaincu les juges du fond, puis de la Cour de cassation qu’il était préférable de confier l’exercice de l’autorité parentale au seul père. Selon la cour d’appel, la mère avait déposé plainte pour violences conjugales et sollicité un accompagnement auprès d'une association assurant la protection des femmes victimes de violences, alors qu'elle n'avait jamais dénoncé de tels faits de la part de son mari pendant la procédure de divorce. En outre, le juge relève que la mère a décidé à l'insu du père des enfants, seul titulaire de l'exercice de l'autorité parentale, de faire venir à son domicile à deux reprises, lors de l'exercice de son droit de visite, une psychanalyste qui a rencontré les enfants. Selon la cour d’appel, les différentes démarches engagées par la mère constituent « une instrumentalisation possible de ces procédures en vue d'un retour au Japon avec les enfants, en fraude des droits du père, étant précisé que celle-ci a confié l'existence d'un tel projet à un ami ». C’est donc à la fois l’absence de respect actuel des droits du père et l’éventualité d’une violation encore plus grave de ceux-ci qui justifient l’exercice exclusif de l’autorité parentale, la Cour de cassation considérant que « la cour d'appel a fait ressortir l'existence de motifs graves tenant à l'intérêt des enfants justifiant que l'exercice de l'autorité parentale soit confié au père. »

  1. II. Résidence de l’enfant

Non-respect des droits de l’autre parent. La Cour de cassation n’hésite pas à rappeler aux juges du fond que c’est le principe de primauté de l’intérêt de l’enfant qui fonde leur décision, y compris dans des hypothèses où l’un des parents a adopté un comportement peu respectueux des droits de l’autre. Il en va ainsi dans l’affaire soumise à la Cour de cassation dans l’arrêt du 28 mai 2021 (Cass. civ. 1, 28 mai 2021, n° 21-12.807, F-D N° Lexbase : A48154TI). En l’espèce, la mère était partie dès la séparation avec les trois enfants en Russie dont elle était originaire et avait finalement exprimé son souhait de s’y installer définitivement notamment en scolarisant l’aîné dans ce pays. Alors qu’elle justifie son attitude en alléguant des violences du père à l’égard des enfants, la cour d’appel considère « qu'aucun élément objectif ne vient démontrer que M. [R] ne serait pas en capacité de s'occuper personnellement de ses enfants, de les prendre en charge, d'en assurer convenablement l'éducation, les soins ainsi que le développement harmonieux dans le respect des deux cultures et que les conditions d'accueil matérielles et éducatives des enfants au domicile du père sont réunies. » La cour d’appel se concentre ainsi sur les capacités éducatives du père, considérant que la mère, en imposant ainsi sa décision au père, n’a pas respecté les droits de ce dernier. Mais ce faisant, elle n’examine pas les conditions de vie des enfants auprès de leur mère et ne s’interroge pas sur la question de savoir si le transfert de résidence serait conforme à leur intérêt. Or, selon la Cour de cassation, qui l’a affirmé dans plusieurs arrêts antérieurs, le non-respect par un parent des droits de l’autre n’est pas suffisant pour entraîner un transfert de la résidence de l’enfant, si ce transfert n’est pas conforme à son intérêt supérieur [2]. Il est donc logique que l’arrêt de la cour d’appel soit cassé au motif « qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si les conditions de vie des enfants en Russie auprès de leur mère, dans leur environnement familial, scolaire ou médical, n'étaient pas de nature à assurer leur stabilité et leur équilibre et si elles n'étaient pas plus conformes à leur intérêt que celles offertes par le père, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 373-2-6, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1447LWI). » Les juges doivent ainsi procéder à un examen complet de la situation de l’enfant pour déterminer son intérêt de manière concrète et objective sans conférer trop d’importance au comportement d’un des parents, même s’il est discutable. Toutefois, ce comportement peut tout de même justifier un transfert de résidence lorsqu’il risque d’aboutir à priver les enfants de relations avec leur autre parent, comme l’admet la Cour de cassation dans un arrêt du 14 janvier 2021 (Cass. civ. 1, 14 janvier 2021, n° 20-13.628, F-D N° Lexbase : A73174CY). Elle approuve cette fois la cour d’appel qui a ordonné le transfert chez leur père de la résidence de l’enfant qui vivait depuis plus de deux ans en Roumanie avec leur mère, en estimant qu’ « en dépit des repères acquis par les enfants dans leur nouvel environnement », la mère ne respectait pas les droits des enfants d’entretenir des relations avec leur père et que le maintien de leur résidence auprès d’elle risque de les rompre définitivement. Contrairement à la décision précédente, l’arrêt de la cour d’appel est centré sur la détermination de l’intérêt des enfants dont elle considère qu’il ne serait pas respecté en cas de rupture des relations avec leur père. La Cour de cassation procède à une combinaison l'article 373-2-6 du Code civil qui impose au JAF de régler les questions qui lui sont soumises en matière d'autorité parentale en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs et de l’article 373-2-11, 3°, du même code (N° Lexbase : L7190IMA) selon lequel le juge prend en considération l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l'autre. Autrement dit, l’absence de respect par un parent des droits de l’autre n’est pas en soi suffisante pour motiver le changement de résidence, mais il devient opérant lorsque cette absence de respect peut conduire à rompre les liens de l’enfant et de son parent, ce qui n’est évidemment pas conforme à son intérêt.

III. Droit de visite et d’hébergement

Exercice exclusif de l’autorité parentale. Le cadre de l’exercice exclusif de l’autorité parentale par un parent n’exclut pas que soient étendues les relations de l’enfant avec l’autre. Dans l’arrêt du 26 juin 2020 précité (Cass. civ. 1, 26 juin 2020, n° 19-21.660, F-D N° Lexbase : A71333PU) le fait de confier l’exercice de l’autorité parentale au seul père en raison du risque que la mère parte à l’étranger avec l’enfant n’empêche pas, selon la Cour de cassation, d’élargir le droit de visite et d’hébergement de la mère, d’autant qu’une interdiction de sortie de territoire sans l’autorisation des deux parents permet de limiter les risques de déplacement illicite des enfants. L'arrêt relève que chacun des parents est très investi auprès des enfants, et que l’un des enfants âgés de 12 ans a manifesté le souhait de résider plus souvent au domicile de sa mère. La cour d’appel fait logiquement remarquer que le risque invoqué par le père de voir la mère profiter d'un séjour des enfants à son domicile pour obtenir frauduleusement un passeport auprès d'un consulat japonais est identique, quelle que soit la durée du droit de visite et d'hébergement, cette éventualité pouvant être écartée par un rappel aux autorités compétentes que la mère, privée de l'exercice de l'autorité parentale, n'est pas habilitée à solliciter des documents d'identité pour les enfants.

Fratrie. Si, selon l’article 371-5 du Code civil (N° Lexbase : L2898ABX), « l’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution », ce même texte prévoit également que « s’il y a lieu le juge statue sur les relations entre les frères et sœurs ». L’arrêt du 14 octobre 2020 (Cass. civ. 1, 14 octobre 2020, n° 19-18.100, F-D N° Lexbase : A95703XQ) précise, à notre connaissance pour la première fois, que cette disposition implique que la vie des enfants soit organisée pour permettre le maintien de leurs liens malgré leur séparation. La Cour de cassation casse ainsi la décision de la cour d’appel qui dans le cadre d’une résidence alternée, avait prévu pour les vacances scolaires des deux enfants – scolarisés dans des établissements attachés à des zones différentes – des modalités qui conduisent à les priver de toute possibilité́ d’être réunis, chez l’un ou chez l’autre de leurs parents, au cours des vacances d’hiver et de printemps. En visant à la fois l'alinéa 1er de l'article 373-2-6 du Code civil (N° Lexbase : L1447LWI) en vertu duquel le JAF veille spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs et l'article 371-5 du même code, la Cour de cassation affirme le principe selon lequel l’intérêt de l’enfant réside dans le maintien des liens avec ses frères et sœurs et qu’on ne saurait admettre une décision qui ne le respecte pas.

Droit de visite médiatisé et AEMO. Lorsque se cumulent une situation de séparation parentale et une mesure d’assistance éducative, les modalités d’exercice de l’autorité parentale et notamment les modalités du droit de visite relèvent d’une complexité particulière comme en témoigne l’arrêt du 14 avril 2021 (Cass. civ. 1, 14 avril 2021, n° 19-21.024, F-P [LXB=A79844PE]). En l’espèce, alors qu’une mesure d’assistance éducative avait été prononcée quelques mois auparavant, la cour d’appel avait fixé la résidence de l’enfant chez son père et affirmé que le droit de visite de la mère « s’exercera deux fois par mois, dans un espace de rencontre en présence du représentant désigné par l’aide sociale à l’enfance selon les modalités fixées par le juge des enfants pendant la durée de la mesure d’assistance éducative et de dire qu’au-delà de ce délai, il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir le JAF pour fixer les nouvelles modalités d’exercice de l’autorité parentale. » Le JAF s’était ainsi, semble-t-il, contenté de reprendre l’organisation des relations entre la mère et l’enfant fixée par le juge des enfants et avait reporté sa propre décision à l’issue de la mesure d’assistance éducative. Cette démarche est pour le moins curieuse puisque lorsque l’enfant fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative, la décision du JAF est suspendue pendant toute la durée de cette dernière et a justement vocation à s’appliquer lorsqu’elle prend fin. Surtout, comme le rappelle la Cour de cassation, l’article 1180-5 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5322IUN) impose au JAF qui ordonne un droit de visite médiatisé en vertu de l’article 373-2-9 du Code civil (N° Lexbase : L0239K7Y), de fixer la durée de la mesure et de déterminer la périodicité et la durée des rencontres. La Cour de cassation a antérieurement sanctionné le fait pour un JAF qui ordonne un droit de visite en lieu neutre de ne pas fixer la durée de cette mesure [3], ou de ne pas préciser la durée des rencontres [4]. Il est donc logique que la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel qui fait dépendre la durée du droit de visite médiatisé de la durée de la mesure d’assistance éducative, et renvoie les parties à le ressaisir ensuite. En effet, le juge des enfants n’a pas la même obligation d’inscrire le droit de visite dans le temps, celui-ci pouvant durer pendant toute la mesure d’assistance éducative qui est de deux ans au plus et renouvelable. En outre, un tel dispositif comporte le risque d’aboutir à ce que la mesure d’assistance éducative soit levée, et qu’aucune disposition relative au droit de la visite de la mère ne s’applique plus en attendant que celle-ci obtienne une décision du JAF. Il paraît donc impératif qu’en cas de compétence concurrente du JAF et du juge des enfants chacun prenne les décisions relatives à la résidence de l’enfant (pour le juge des enfants, le lieu de placement) et à ses relations avec ses parents, les décisions de chacun d’eux n’ayant pas vocation à se cumuler, mais à s’appliquer successivement. On peut cependant comprendre que le JAF souhaitait attendre le résultat de la médiatisation du droit de visite pour se déterminer sur les modalités des relations de l’enfant avec sa mère. Le dispositif légal ne le lui permet pas. Il fallait soit qu’il prenne le risque d’ordonner un droit de visite libre qui aurait eu vocation à s’appliquer après la mesure d’assistance éducative, soit qu’il fixe une autre visite médiatisée – mais par hypothèse dans un cadre différent de celui de l’assistance éducative – destinée à prendre le relais de la mesure prise par le juge des enfants. Dans ce dernier cas, la question de la durée de la mesure risquait d’être problématique. On peut se demander si le JAF aurait pu en fixer le point de départ à la levée de la mesure d’assistance éducative…

Remise de l’enfant. L’article 373-2-1 du Code civil (N° Lexbase : L7190IMA), dans le cadre de l’exercice unilatéral de l’autorité parentale, et l’article 373-2-9 du même code (N° Lexbase : L0239K7Y), dans le cadre de l’exercice en commun, prévoient que « lorsque l’intérêt de l’enfant le commande ou lorsque la remise directe de l’enfant à l’autre parent présente un danger pour l’un d’eux, le juge en organise les modalités pour qu’elle présente toutes les garanties nécessaires. Il peut prévoir qu’elle s’effectue dans un espace de rencontre qu’il désigne, ou avec l’assistance d’un tiers de confiance ou du représentant d’une personne morale qualifiée ». La loi distingue ainsi le déroulement du droit de visite, qui peut avoir lieu en « lieu neutre » selon ces mêmes dispositions, et la remise de l’enfant, au début du droit de visite. La remise de l’enfant peut ainsi avoir lieu en lieu neutre sans pour autant que le droit de visite lui-même soit médiatisé, notamment lorsqu’un parent a exercé des violences sur l’autre ou s’est montré particulièrement agressif. Le décret n° 2020-930 du 28 juillet 2020 relatif à la mesure d'accompagnement de l'enfant par un tiers de confiance et modifiant le Code de procédure civile (N° Lexbase : L7756LXK) précise les modalités de cette remise médiatisée en insérant dans le Code de procédure civile un nouvel article 1180-5-1 (N° Lexbase : L8062LXU) selon lequel « Lorsque le juge décide que la remise de l'enfant s'exercera avec l'assistance d'un tiers de confiance en application des articles 373-2-1 ou 373-2-9 du Code civil, il désigne la personne chargée de cette mission, sur proposition commune des parents ou de l'un d'eux, et sous condition de l'accord écrit de cette personne. Il fixe les modalités de la mesure et sa durée. Le juge désigne également, à titre subsidiaire, un espace de rencontres dans lequel est assurée la remise de l'enfant, à charge pour les parents ou l'un d'eux de saisir le responsable de cet espace en cas de carence du tiers de confiance. Le juge peut à tout moment modifier ou rapporter sa décision d'office, à la demande conjointe des parties ou de l'une d'entre elles, ou à la demande du ministère public ». Comme pour le droit de visite médiatisé (cf. supra), la mesure d'accompagnement  de l'enfant par un tiers de confiance doit être limitée dans le temps, et précisément déterminée par le juge pour ce qui est de ses modalités. S’il semble que la désignation d’un particulier pour assurer l’accompagnement est privilégiée par le texte qui l’envisage en premier lieu, il convient d’entourer ce dispositif de garantie, dont évidemment l’accord de cette personne, et de prévoir une solution de repli si la personne ne peut assurer sa mission – notamment du fait de la violence d’un parent –, dans le cadre d’un espace de rencontre. Le juge doit désigner un tel espace dans la même décision qui désigne le tiers de confiance. Lorsqu’on sait à quel point les espaces de rencontre ont du mal à faire face à la mise en œuvre des droits de visite médiatisés, on peut s’inquiéter de leur capacité à répondre, qui plus est au pied levé, à une demande de remise de l’enfant avant et après un droit de visite. Ce texte a cependant le mérite d'imposer au juge et donc aux parties de faire des propositions pour organiser cette remise de l’enfant, et à éviter qu’elle ait lieu dans des endroits peu adaptés tels que les commissariats ou les cours d’école comme on a pu le voir en pratique.

Suppression pour motifs graves. La Cour de cassation contrôle strictement l’existence de motifs graves qui permettent de supprimer le droit de visite d’un parent non hébergeant comme l’illustre une nouvelle fois l’arrêt du 24 juin 2020 (Décret n° 2020-930, du 28 juillet 2020, relatif à la mesure d'accompagnement de l'enfant par un tiers de confiance et modifiant le Code de procédure civile N° Lexbase : L7756LXKCass. civ. 1, 24 juin 2020, n° 19-16.368, F-D (N° Lexbase : A71143P8) qui casse l’arrêt d’appel ayant refusé d’accorder un droit de visite au père au motif d’une interruption des liens entre lui et ses enfants et de son éloignement géographique. En effet, la cour d’appel avait retenu que « les enfants avaient toujours vécu de manière habituelle avec leur mère et que si les relations avec leur père avaient été maintenues par le biais d'un droit de visite et d'hébergement de 2001 à 2011, elles étaient restées, jusqu'au jugement du 21 septembre 2017, limitées à un simple droit de visite le mercredi, exercé irrégulièrement à la fin de l'année 2016, avant d'être interrompues à la suite du déménagement du père à Dunkerque. » Selon les juges du fond, « imposer aux enfants un séjour au domicile paternel, à plus de mille kilomètres de leur lieu de vie, dans une région et un environnement social et humain qu'ils ne connaissent pas, est une réponse trop brutale. » Ainsi, les liens limités entre l’enfant et son parent ne constituent pas un motif grave pour fixer un droit de visite et d’hébergement lorsque le parent le demande. L’idée étant sans doute au contraire de favoriser la reprise et l’intensification des liens. Quant à l’éloignement géographique, il ne constitue pas, de jurisprudence constante, un motif de suppression de droit de visite. On peut cependant s’interroger sur la difficulté que peut représenter pour les enfants concernés la mise en œuvre d’un tel droit de visite, au moins dans les premiers temps. Cette décision conforte l’analyse selon laquelle seuls des motifs susceptibles de placer l’enfant dans une situation de danger semblent être admis par la Cour de cassation pour supprimer le droit de visite du parent non hébergeant. Tel était le cas l’arrêt du 10 février 2021 (Cass. civ. 1, 10 février 2021, n° 19-21.902, F-D N° Lexbase : A80014GG) qui faisait état de signes de radicalisation du père lequel pouvait adopter un comportement menaçant. En outre, le père tenait à son fils des propos particulièrement dénigrants envers sa mère, allant jusqu'à lui refuser sa qualité de mère, ce qui suscitait chez l'enfant un comportement agressif à l'égard de celle-ci. Ces deux éléments caractérisaient à l’évidence une situation de danger pour l’enfant qui a logiquement conduit la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, non seulement à suspendre le droit de visite du père mais également, a rejeté sa demande de communication régulière de celui-ci avec l'enfant, par téléphone ou par « skype ».

 

[1] A. Gouttenoire, La loi du 30 juillet 2020 : un nouveau pas dans la protection civile de toutes les victimes de violences conjugales, Lexbase Droit privé, septembre 2020, n° 836 (N° Lexbase : N4539BYR).

[2] Cass. civ. 1, 25 juin 2008, n° 07-14.789, FS-D (N° Lexbase : A3678D94) ; Cass. civ. 1, 12 septembre 2019, n° 18-18.924, FS-D (N° Lexbase : A4694ZN8), Ph. Bonfils et A. Gouttenoire, Panorama droit des mineurs, D. 2020. 1696.

[3] Cass. civ. 1, 28 janvier 2015, n° 13-27.983, F-P+B (N° Lexbase : A7167NAP), Dr. fam. 2015. Comm. 71, obs. C. Neirinck ; Cass. civ. 1, 15 mai 2018, n° 17-15.831, F-D (N° Lexbase : A4526XNX) ; Cass. civ. 1, 7 novembre 2018, n° 17-26.012, F-D (N° Lexbase : A6787YKL) ; Cass. civ. 1, 5 décembre 2018, n° 17-28.563, F-D (N° Lexbase : A7769YPG).

[4] Cass. civ. 1, 15 mai 2018, n° 17-15.831, F-D ; Cass. civ. 1, 7 novembre 2018, n° 17-26.012, F-D ; Cass. civ. 1, 11 juillet 2019, n° 18-11.022, F-D (N° Lexbase : A3303ZKK).

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Baux commerciaux

[Panorama] Panorama semestriel d’actualité des arrêts de cours d’appel en baux commerciaux (janvier à juin 2021)

Lecture: 56 min

N8033BY8

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par Bastien Brignon, Maître de conférences à Aix-Marseille Université, Avocat au Barreau d’Aix-en-Provence

Le 23 Juin 2021

Lexbase Affaires vous propose un nouveau panorama semestriel en baux commerciaux, mettant en exergue exclusivement des arrêts d’appel, rédigé par Bastien Brignon. La première livraison de ce panorama couvre la période de janvier à juin 2021.

Il fait la part belle, compte tenu de la crise sanitaire, aux loyers commerciaux dits « covid-19 » dont le contentieux explose. Les principaux arrêts pris en la matière sur la période sont ainsi évoqués. Le panorama traite au demeurant tous les autres champs du statut des baux commerciaux, à savoir l’application légale ou conventionnelle du statut, la durée, les loyers hors covid-19 (révision, indexation et renouvellement), les obligations des parties, la fin du bail (congé, clause résolutoire, etc.), sa cession/transmission et le droit des entreprises en difficulté.


Sommaire

I. Champ d’application - Statut

II. Durées

III. Loyers et charges

A. Loyers et covid-19

B. Loyers hors covid-19

IV. Obligations des parties

V. Congé – Renouvellement – Résolution - Indemnité

VI. Cession – Restructuration

VII. Procédure

VIII. Entreprises en difficulté


I. Champ d’application - Statut

Par acte du 28 novembre 2002, les consorts A ont donné à bail à une SCP d’huissier de justice divers locaux à usage de bureaux au sein d'un immeuble situé dans le neuvième arrondissement de Paris. Par acte d'huissier de justice du 30 juin 2011, les consorts A ont délivré à la SCP un congé comportant refus de renouvellement pour le 31 décembre 2011, sans offre d'indemnité d'éviction, motif pris du défaut d'immatriculation du locataire au registre du commerce et des sociétés. La SELAS, qui a acquis l'office d'huissier de la SCP selon protocole d'accord sous conditions suspensives du 19 mai 2009 signifié aux bailleurs le 29 novembre 2011, a notifié aux consorts A le 18 avril 2012 son intention d'obtenir le paiement d'une indemnité d'éviction. Les lieux ont été libérés le 30 avril 2012.

Par acte du 24 décembre 2013, la SELAS a assigné les consorts A devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir, sous exécution provisoire, le paiement d'une indemnité d'éviction à hauteur de 174 556 euros, la restitution du dépôt de garantie d'un montant de 13 796,75 euros et le paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG).

Les faits sont classiques : un bailleur refuse de renouveler le bail, sans offre d’indemnité d’éviction, compte tenu de l’absence d’immatriculation du preneur. Mais la particularité de cette affaire est que le locataire est une étude d’huissier de justice dont on sait qu’ils ne sont pas par définition commerçants. Peuvent-ils pour autant bénéficier du statut des baux commerciaux ? La réponse est assurément positive et ce, sur le fondement de l’extension conventionnelle du statut de l’article L. 145-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5029I3N). Mais cette extension conventionnelle va-t-elle jusqu’à conférer au preneur une propriété commerciale ? Les juges parisiens estiment que oui, de sorte que le preneur a droit à une indemnité d’éviction en cas de non-renouvellement du bail, ou bien encore le cessionnaire du preneur devient créancier de l’indemnité d’éviction.

Les bailleurs soutenaient que la SELAS d’huissier n'avait pas qualité à agir pour demander la fixation et le paiement d'une indemnité d'éviction aux motifs que la cession d'un office d'huissier, qui est une convention de présentation d'office ministériel, ne s'apparente pas à une cession de fonds de commerce et que le droit au bail n'a pas été inclus dans le périmètre de la cession de l'office, de sorte que la seule la SCP était demeurée titulaire du bail avant d'être radiée.

La locataire exposait, pour sa part, qu'un office d'huissier n'est pas un fonds de commerce mais une charge d'huissier soumise à une procédure particulière, ce pourquoi le bail autorise la cession à son successeur dans sa profession, ce qui a été fait en l'espèce, l'étude d'huissier SELAS ayant succédé à la SCP dans la profession d'huissier avec les mêmes associés fondateurs. Elle faisait également valoir que le contrat de cession mentionne que tous les contrats de location sont repris et les dépôts de garantie remboursés. Ainsi, le droit au bail aurait donc bien été repris par la SELAS.

La cour rappelle que les conditions d'une cession du droit au bail commercial du preneur peuvent, sous réserve des dispositions de l'article L 145-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L5033I3S), être librement aménagées par les parties, pour autoriser la cession du seul droit au bail, ou n'autoriser que la cession au successeur dans le fonds de commerce. Sous réserve du respect du contrat de bail quant aux conditions de la cession, le preneur à bail commercial peut céder sa créance d'indemnité d'éviction et son droit corrélatif au maintien dans les lieux après la délivrance d'un refus de renouvellement, le principe du droit à indemnité s'appréciant alors au jour de la délivrance du congé au regard du cédant.

Les offices sont les charges des officiers publics ou ministériels dont les titulaires disposent, en application de l'article 91 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances, du droit de présenter leurs successeurs à l'agrément du Gouvernement.

Il s'ensuit qu'un office d'huissier de justice n'est pas un fonds de commerce mais une charge d'huissier, le droit de présentation étant indispensable à la transmission de l'office à son successeur, l'autorité publique exerçant un contrôle sur la cession de l'office.

En l'espèce, le bail conclu entre les consorts A et la SCP le 28 novembre 2002 précise dans son intitulé qu'il est « expressément soumis au statut des Baux Commerciaux - article L 145-1 du Code de commerce, par convention entre les parties malgré l'activité du preneur ». En outre, son article 16 dispose que « le preneur s'engage à ne pouvoir céder ou apporter en Société son droit au présent bail sans l'autorisation expresse et écrite du bailleur sous peine de résiliation des présentes. Il ne pourra céder qu'à son successeur dans sa profession en restant garant et caution solidaire tant lui-même que tous autres successifs du paiement du loyer et de l'exécution des clauses du bail. Toute cession devra être faire par acte notarié dont une grosse sera remise au bailleur sans aucun frais dans le délai d'un mois à compter de sa signature […] Si l'apport est fait à une société à responsabilité limitée, le ou les gérants seront conjointement et solidairement responsables avec la société envers le bailleur ».

Par acte sous seing privé du 19 mai 2009, la SCP a conclu avec la SELAS un protocole d'accord sous clauses suspensives liées à l'obtention d'un prêt et à l'agrément du Garde des Sceaux, selon lequel les associés de la SCP s'engageaient à présenter la SELAS comme leur successeur, la SELAS s'engageant à faire l'acquisition de l'office et à demander son agrément au Garde des Sceaux comme successeur.

Le protocole d'accord du 19 mai 2009 prévoit donc la cession de l'office d'huissier de la SCP à la SELAS avec usage du droit de présentation par les cédants ; en conséquence, il s'agit bien d'une cession de l'office au successeur dans sa profession, comme l'autorise le bail. Le fait que l'annonce ait été publiée au BODACC le 5 mai 2010 avec mention pour la SELAS « création d'un fonds de commerce » est sans incidence, ce terme étant impropre à qualifier l'opération juridique intervenue, le protocole portant bien sur une cession de l'office d'huissier avec usage du droit de présentation, ce qui est conforme à la réglementation.

Si le protocole prévoyait que la SCP s'engageait à présenter la SELAS aux propriétaires des locaux où se trouvait le siège de la société afin de transférer à la SELAS le bail des locaux, le transfert de bail ainsi évoqué ne signifie pas que le bail n'était pas inclus dans la cession, et d'ailleurs, celle-ci a été notifiée par la suite au mandataire des bailleurs le 29 novembre 2011.

Le fait que des courriers ont été échangés en 2009 et 2010 entre la SCP et le gestionnaire des biens des consorts A pour négocier un nouveau bail avec le successeur de la SCP, les négociations achoppant sur la forme de la société et l'absence d'engagement de caution personnelle des associés, est insuffisant pour établir que le bail n'aurait pas été inclus dans le périmètre de la cession de l'office d'huissier.

En effet, le protocole de cession de l'office prévoit que la SELAS reprendra tous les contrats de location relatifs à l'activité de la SCP et remboursera les dépôts de garantie. Au demeurant il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 21 mai 2010 qu'ont été transférés les contrats de la SCP inhérents à l'activité professionnelle au profit de la SELAS, incluant les contrats de location, d'assurance (etc.) ainsi que les créances des dépôts de garantie afférents aux contrats liés à l'activité professionnelle dont celui correspondant aux locaux de l'étude, ce qui corrobore les dispositions du protocole sans que les appelants n'établissent que ce procès-verbal aurait été établi pour les besoins de la cause.

Il s'ensuit que la SCP a cédé à la SELAS le contrat de bail la liant aux consorts A lors de la cession de l'office d'huissier par la SCP à son successeur dans la profession, ladite cession étant autorisée par le bail.

Par conséquent, la SELAS, à qui la créance d'indemnité d'éviction a été transmise, a qualité à agir pour demander la fixation et le paiement d'une indemnité d'éviction à la suite du congé refusant le renouvellement du bail. Tels sont le raisonnement et la conclusion des juges de Paris.

Si une étude d’huissier, comme tout autre officier public ministériel (« OPM ») voire tout autre profession libérale, peut sans difficulté bénéficier d’un bail commercial pour son activité, qu’il nous soit permis d’être un peu plus réservé sur le bénéfice de l’indemnité d’éviction à la fois au regard de l’absence d’immatriculation du preneur au RCS ainsi qu’au regard de sa qualité d’OPM qui, en principe, fait échec à l’application du statut des baux commerciaux, en particulier la propriété commerciale, excepté le cas, comme ici, où les stipulations contractuelles du contrat prévoient expressément qu’une telle indemnité sera due, nonobstant l’absence d’immatriculation du preneur au RCS et sa qualité d’OPM. On peut s’interroger sur la validité de pareilles stipulations.

En principe, l’application conventionnelle du statut des baux commerciaux emporte une adhésion complète audit statut [1], en conséquence de quoi les professions libérales qui bénéficient dudit statut doivent pouvoir bénéficier aussi de la propriété commerciale et donc de l’indemnité d’éviction le cas échéant. Tel est le sens de l’arrêt d’appel sous commentaire. Cependant, il nous paraît compliqué, pour des OPM, de revendiquer la propriété commerciale, leur clientèle ne pouvant qu’être civile, sauf peut-être si telle est la volonté du bailleur.

II. Durées

Les décisions relatives aux résidences de tourisme, mettant en œuvre l’article L. 145-7-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5439IE8), sont suffisamment rares pour être soulignées. En la matière, on sait que lesdites résidences sont soumises au statut des baux commerciaux mais avec une particularité assez forte liée aux conséquences fiscales de l’opération : le bail commercial doit durer au moins neuf ans, sans qu’il ne soit possible de résilier le contrat par anticipation. Cette solution contraste avec le droit commun des baux commerciaux qui admet, sous certaines conditions, une résiliation triennale, étant rappelé que depuis la loi « Pinel » du 18 juin 2014 (loi n° 2014-626 N° Lexbase : L4967I3D), si les clauses de durée ferme sont dorénavant prohibées, elles restent possibles, par exception, dans l’un des cas visés à l’article L. 145-4, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L9957LMQ).

Dans ces conditions, ce sont des arrêts importants que vient de rendre la cour d’appel de Paris dans des litiges opposant Pierre et Vacances à certains de ses nombreux bailleurs. La question posée était de savoir si l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, qui impose une première durée ferme de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l’expiration d’une période triennale, s’applique ou non aux baux ultérieurement renouvelés ou consentis. La cour d’appel de Paris répond par la négative : « l’avantage fiscal consenti prenant fin avec le bail initial, l’article L. 145-7-1 [...], qui institue un régime dérogatoire au régime légal de droit commun qui permet au preneur de mettre fin au bail à l’issue de chaque période triennale [...] et protège ainsi le bailleur pendant la durée initiale de neuf ans de toute perte de l’avantage fiscal, n’a plus de justification en ce qui concerne les baux ultérieurement renouvelés ou consentis ».

Les faits sont assez simples et se déroulent dans l’une des résidences de tourisme Pierre et Vacances, en l’occurrence juste à côté des Sables-d’Olonne, à Port-Bourgenay, à proximité de Talmont-Saint Hilaire. Pierre et Vacances, preneur à bail commercial d’un appartement, décide de délivrer congé à ses bailleurs, non pas au cours du premier bail de neuf ans, mais au cours du bail renouvelé d’une durée également de neuf ans. Les bailleurs contestent et estiment que l’article L. 145-7-1 du Code de commerce s’oppose à ce que le preneur donne ainsi congé par anticipation. Le preneur pense, au contraire, que c’est possible dans la mesure où l’on ne se trouve pas dans le premier bail de neuf ans, mais dans une hypothèse de renouvellement ou du moins dans un nouveau bail postérieur au premier.

Selon l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 22 juillet 2009, « les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme mentionnées à l’article L. 321-1 du Code du tourisme sont d’une durée de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l’expiration d’une période triennale ». En faisant référence aux « baux commerciaux signés », ce texte crée une difficulté d’interprétation car l’on ne sait pas s’il est fait référence aux baux conclus ou renouvelés ou encore consentis ultérieurement à un premier bail de neuf ans ou si seul est visé un bail initial de neuf ans.

Les bailleurs plaidaient en faveur d’une application extensive de l’article L. 145-7-1. Ainsi, selon eux, cet article serait systématiquement applicable aux baux de résidence de tourisme. Dès lors, chaque fois qu’un bail commercial de neuf ans serait renouvelé ou qu’un nouveau de bail de neuf ans serait consenti après un premier bail, la résiliation anticipée ne serait jamais possible. Autrement dit, les baux commerciaux de résidences de tourisme ne pourraient être au minimum que de neuf ans, sans possibilité de délivrer congé par échéance triennale, qu’il s’agisse du premier bail et de tous les suivants. Les juges parisiens sont cependant plus sensibles au raisonnement de Pierre et Vacances. Selon ce preneur : « […] il ne convient pas de retenir une application littérale de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, car tous les baux renouvelés ne sont pas signés et qu’une application littérale du texte conduirait à créer des différences entre bailleurs, parfois au sein de la même résidence, qu’ils aient ou non signé un bail commercial ; […] compte tenu de la rédaction du texte sujet à interprétation, il y a lieu pour en déterminer la portée de se référer aux travaux parlementaires et au but poursuivi par le législateur ; […] ce texte n’est applicable qu’aux baux commerciaux initialement conclus entre un bailleur et un preneur, et non aux baux renouvelés, même dans l’hypothèse où ces derniers feraient l’objet d’un avenant signé par les parties ».

La loi n° 2009-888, du 22 juillet 2009, de développement et de modernisation des services touristiques (N° Lexbase : L5745IEI), a créé, au sein du statut des baux commerciaux, cet article L. 145-7-1, applicable dans les résidences de tourisme, interdisant toute résiliation unilatérale en fin de période triennale. La règle est générale et ne comporte pas d’exception. Il s’agit d’interdire au preneur exploitant la résidence avec les différents baux commerciaux passés avec les investisseurs convaincus d’investir et de lui louer, par le promoteur, de se désengager de l’opération. En effet, la résiliation du bail pourrait mettre ceux-ci en grande difficulté pour respecter leur obligation fiscale de maintenir le local acquis en exemption d’impôt, loué à bail commercial pendant neuf années consécutives.

On mesure ainsi toute l’importance de ce texte qui, sans surprise, a été reconnu par la Cour de cassation comme étant d’ordre public [2]. La Cour de cassation a même estimé, sans vraiment d’explication autre que son caractère impératif, qu’il était applicable aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur [3]. La Cour de cassation a également considéré que l’article L. 145-7-1 du Code de commerce était conforme à la Constitution [4].

La prise de position de la cour d’appel nous paraît, ici, conforme à l’esprit de la loi.

Rappelant le contenu même de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, la cour de Paris relève, dans l’arrêt sous commentaire, que « la notion de “baux commerciaux signés” retenue par la rédaction de l’article L. 145-7-1 introduit dans le Code de commerce par la loi n° 2009-888, 22 juillet 2009, n’est pas courante en la matière des baux commerciaux […]. Dans ces conditions, ce texte, qui n’a que l’apparence de la clarté, doit en conséquence être interprété ». Or, elle considère qu’il « résulte des débats parlementaires que ce texte a été introduit dans la loi par l’amendement d’un sénateur, afin de lutter contre le désengagement du preneur lors du bail initial et parfois même lors de la première période triennale du bail initial, ce qui avait notamment pour effet de priver les bailleurs du bénéfice fiscal qu’ils pensaient obtenir en concluant ce type de baux commerciaux. Cet article avait pour but de remédier à l’inégalité existant entre propriétaires et exploitants de résidences de tourisme […] alors que cette résiliation anticipée entraînait pour les bailleurs la suppression et le remboursement d’un avantage fiscal […] ». Elle en conclut que « l’avantage fiscal consenti prenant fin avec le bail initial, l’article L. 145-7-1 du Code de commerce […] n’a plus de justification en ce qui concerne les baux ultérieurement renouvelés ou consentis ; or, il est de principe que la loi cesse, là où cesse ses motifs […] De même, aucun avantage fiscal n’étant lié à la conclusion des baux successifs pour un même bien […] l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, en ce qu’il établit une exception au principe de droit commun ouvrant droit au preneur d’exercer un droit de résiliation triennale, ne peut trouver à s’appliquer à ces baux ».

La réponse de la cour d’appel de Paris est très claire : « […] il convient d’interpréter l’article L.145-7-1 du Code de commerce, en ce que le terme “baux signés” renvoie à la notion de “baux initiaux conclus lors de l’édification de la résidence ou lors de sa réhabilitation” ». Par conséquent, le bail commercial qui intervient après un premier bail de neuf ans, qu’il s’agisse d’un nouveau bail ou du renouvellement du premier bail, peut être résilié de manière anticipée. L’interdiction des congés triennaux délivrés par les résidences de tourisme ne s’applique donc pas aux baux ultérieurement renouvelés ou consentis.

La tentation d’appliquer l’article L. 145-7-1 au nouveau bail issu d’un renouvellement, avait conduit un sénateur, on s’en souvient, à interroger le ministre en charge (JO Sénat, 6 mars 2014, p. 583) qui lui avait alors répondu que, « passé ce délai [de neuf ans], les parties sont soumises au statut de droit commun des baux commerciaux […] ». La réponse inscrite dans l’ADN de l’amendement qui avait conduit le Sénat à adopter la règle dérogatoire à l’article L. 145-4 sur la résiliation triennale, ainsi que dans sa lettre (le bail « signé ») apparaît logique et pertinente. La solution de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 janvier 2021 est ce sens. Elle contraste avec un arrêt de la cour d’appel de Poitiers – qui avait donné tort à Pierre et Vacances – ayant jugé que l’interdiction des congés triennaux délivrés par les résidences de tourisme s’applique aux baux renouvelés [5]. Parce qu’elle est conforme à l’esprit de la loi de 2009 sur les résidences de tourisme, elle nous paraît légitime. D’autant que, comme le souligne la cour de Paris, ne pas interpréter ce texte ainsi « aurait pour effet d’établir une différence entre les bailleurs qui auraient signé un contrat de bail renouvelé et ceux auxquels un tel document n’aurait pas été proposé à la signature, mais qui seraient néanmoins tenus envers le preneur par un bail renouvelé non signé, ce qui serait dépourvu de sens ».

III. Loyers et charges

A. Loyers et covid-19

D’une part, l'inexécution qui découle de l'interdiction administrative d'ouvrir le commerce en raison de l’épidémie de covid-19 ne saurait engager la responsabilité contractuelle du bailleur et le preneur ne peut en tirer argument pour s'exonérer de sa propre obligation.

D’autre part, le propriétaire ayant fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 9 juin 2020, le délai expirait le 9 juillet 2020, soit postérieurement à l'expiration de la période d'état d'urgence sanitaire fixée au 23 juin 2020, de sorte que le locataire refusant de payer les loyers des mois d'avril et de mai 2020, le bail s'est trouvé résilié le 9 juillet 2020, soit antérieurement à la loi n° 2020-856, du 9 juillet 2020, organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire (N° Lexbase : L6437LXP), et applicable à compter du 11 juillet 2020 [6].

Même s’il n’y a pas destruction physique du bien objet du bail, il y a juridiquement perte lorsque le locataire ne peut plus jouir de la chose louée ou ne peut plus en user conformément à sa destination. Dès lors, l'allégation par le locataire de la perte partielle des locaux loués en application des dispositions de l'article 1722 du Code civil (N° Lexbase : L1844ABW) en raison de la fermeture de son commerce durant la période de confinement revêt le caractère d'une contestation sérieuse opposable à son obligation de payer le loyer et les charges pendant la période de fermeture contrainte du commerce.

En l'espèce, selon les stipulations du bail commercial, les biens loués étaient destinés à une activité de bowling, billard, jeux d'adresse, jeux vidéo, organisation d'événementiel au tour du bowling, restauration traditionnelle en ce inclus une carte sur le thème wok bar, l'ensemble de ces articles devant être diffusés sous l'enseigne « Bowlingstar » et toute pratique de solderie et discount étant exclue.

Le preneur invoque la force majeure et l'exception d'inexécution qui le rendraient créancier des indemnités d'occupation de la période concernée (premier confinement). Les juges relèvent que l'article 1219 du Code civil (N° Lexbase : L0944KZY) dispose notamment qu'une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. Il en résulte que les locaux loués ont été soumis à l'interdiction d'ouverture puis à l'interdiction pour la population de se déplacer. Dès lors, durant la période concernée, le preneur n'a pu ni jouir de la chose louée, ni en user conformément à sa destination.

Toutefois, pour les juges, concernant le moyen pris de la force majeure liée à l'épidémie de covid-19, le preneur ne justifie pas de difficultés de trésorerie rendant impossible l'exécution de son obligation de payer les loyers. De plus, l'article 1219 ne peut être invoqué utilement que dans les rapports entre parties au contrat, aucun manquement lié à la période de confinement n'étant établi à l'encontre du bailleur. Dans ces conditions, l'invocation par le preneur d'une force majeure ou d'une exception d'inexécution ne revêt pas le caractère d'une contestation sérieuse opposable à son obligation de payer l'indemnité d'occupation et les charges pendant la période de fermeture contrainte du commerce, ce d'autant que si les loyers ont été suspendus, ils sont demeurés exigibles. En l’absence de faute du bailleur, les loyers sont dus [7].

Selon acte notarié du 29 mars 2019, une SCI a donné à bail à une SARL (portant la même dénomination sociale) un immeuble à usage commercial pour l'exploitation d'un fonds de commerce d'hôtel bar restaurant PMU jeux, moyennant un loyer annuel de 66 424,80 euros hors taxe payable en 12 mensualités de 5 535,40 euros hors taxe. Le 22 juillet 2020, la SCI a fait délivrer une sommation de payer à sa locataire la somme de 26 568 euros correspondant aux loyers d'avril à juillet 2020. Le 24 juillet 2020, la bailleresse a fait procéder à une saisie attribution sur les comptes bancaires détenus par le preneur et cette saisie attribution a été dénoncée audit locataire le 27 juillet 2020.

Par acte du 26 août 2020, le preneur a fait assigner la SCI devant le JEX aux fins de voir prononcer la nullité de la saisie attribution. Par jugement du 10 novembre 2020, le JEX a rejeté l'exception de nullité de l'assignation et, surtout, prononcé la nullité de la saisie attribution et en a ordonné mainlevée aux frais de la bailleresse qui, devant la cour d’appel de Pau, va obtenir gain de cause.

Pour ne pas avoir à régler les loyers en raison de la crise sanitaire, le preneur invoquait la force majeure et l’absence de délivrance du local par la bailleresse. Sur ces points, les juges de Pau sont elliptiques. C’est surtout sur la saisie attribution que l’arrêt est intéressant. En effet, les juges du second degré rappellent que selon l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5731LW8), le bailleur ne peut poursuivre son locataire en exécution de la clause résolutoire à raison d'un défaut de paiement des loyers ou des charges locatives dus en vertu du contrat de bail ou en sanction par une clause pénale ou une clause de déchéance ou en recherche de dommages-intérêts pour non-paiement des loyers. En revanche, ce texte ne dispense pas le preneur de son obligation de verser les loyers et charges dus. Dans la mesure où la bailleresse a pratiqué une saisie attribution sur les comptes bancaires du preneur uniquement pour non-versement des loyers d'avril à juillet 2020 dus, et la créance fondée sur un acte notarié étant exigible dès son échéance, le texte de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 n'interdisait pas la saisie attribution pratiquée, en dehors de toute autre sanction financière, en application de l'article L. 211-1 du Code des procédures civile d’exécution (N° Lexbase : L5837IRM), le créancier étant muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible. Pour les juges d’appel, la saisie attribution était donc parfaitement fondée. La bailleresse en effet critiquait le jugement du JEX pour avoir confondu loyers dus et pénalités financières, intérêts de retard et autres dommages et intérêts en application de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-316 précitée, et rappelait que la saisie attribution a été pratiquée le 24 juillet 2020, soit deux mois après la fin du confinement au 11 mai 2020 et alors que deux mois de loyers échus restaient dus.

Enfin, le juge de Pau retient que la bailleresse n’a commis aucune faute, qu’elle n’a aucunement manqué à son obligation de délivrance allégué par le preneur. Cette dernière précision rejoint une position de plus en plus commune à certaines juridictions [8].

Un restaurateur exerçant son activité dans un local loué doit fermer ses portes pendant le confinement. Poursuivi en paiement des loyers des trois premiers trimestres 2020 devant le juge des référés, il soutient que la pandémie de covid-19 constitue un événement de force majeure ayant suspendu, temporairement, les obligations nées du bail commercial, de sorte qu'il n'est pas tenu de payer les loyers.

La cour d'appel de Paris écarte l'argument, jugeant que la fermeture de l'établissement en raison de la pandémie de covid-19 ne constitue pas un cas de force majeure.

La force majeure se caractérise par un événement extérieur au débiteur, imprévisible et irrésistible, de sorte qu'il rende impossible l'exécution de l'obligation. Or, l'obligation de payer une somme d'argent est toujours susceptible d'exécution, le cas échéant forcée, sur le patrimoine du débiteur. Elle n'est pas, par nature, impossible, elle est seulement plus difficile ou plus coûteuse. Le débiteur d'une obligation payer une somme d'argent inexécutée ne peut donc pas s'exonérer en invoquant un cas de force majeure.

En outre, ajoutent les juges d'appel, le locataire ne produit aucune pièce justifiant de difficultés de trésorerie rendant impossible le paiement de ses loyers et charges. Il ne justifie pas davantage des aides de l'État qu'il a dû percevoir dès lors qu'il faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative ou ne s'explique pas sur les raisons pour lesquelles il ne les aurait pas perçues.

Par suite, la suspension du paiement des loyers fondée sur la cause majeure ne constituait pas une contestation sérieuse.

La solution s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui juge que la force majeure ne s’applique pas à l’obligation de payer une somme d’argent [9].

  • Covid-19, loyers commerciaux et perte de la chose louée  

- CA Versailles, 6 mai 2021, n° 20/04284 (N° Lexbase : A95754WK

La cour d’appel de Versailles écarte le jeu de l’article 1722 du Code civil, l’impossibilité d’exploiter du fait de l’état d’urgence sanitaire (limitée dans le temps) s’expliquant par l’activité économique qui y est développée et non par les locaux. Il s’agit du premier arrêt au fond en appel qui écarte ledit article 1722 [10].

La même cour, le même jour, mais dans sa formation des référés, jugeait au contraire que « l’interdiction de recevoir du public dans son établissement en raison de cette situation de force majeure est aussi susceptible d’être assimilée à une perte partielle de la chose louée pendant les périodes susvisées au sens de l’article 1722 du Code civil dès lors qu’il n’est pas contesté par [le bailleur] que son preneur était alors dans l’impossibilité d’y exercer son activité conformément à la destination prévue au contrat » [11].

La cour d’appel de Paris vient aussi de rendre deux arrêts au même motif que « la destruction de la chose louée peut s’entendre d’une perte matérielle de la chose louée mais également d’une perte juridique, notamment en raison d’une décision administrative et que la perte peut être totale ou partielle, la perte partielle pouvant s’entendre de toute circonstance diminuant sensiblement l’usage de la chose. En l’espèce, il est constant qu’en raison de l’interdiction de recevoir du public la [preneuse] a subi une perte partielle de la chose louée puisqu’elle n’a pu ni jouir de la chose louée ni en user conformément à sa destination pendant les périodes de fermeture administrative, l’absence de toute faute du bailleur étant indifférente » [12].

- CA Versailles, 27 mai 2021, n° 20/05330 (N° Lexbase : A06774TA)

Le locataire considérait qu’il n’était tenu à aucun loyer du 15 mars 2020, jusqu'à la réouverture de son restaurant, justifiée par la levée de l’interdiction administrative d’exploiter. En dépit de l’octroi spontané par le bailleur de la gratuité de la totalité des loyers du deuxième trimestre 2020, le locataire souhaitait obtenir la restitution des sommes versées entre le 15 et le 31 mars 2020, sur le fondement de l’article 1722 du Code civil.

La cour de Versailles juge : « dans ces conditions, cette concession spontanée de la bailleresse pouvant être assimilée à une diminution suffisante du prix pour la période allant du 15 mars à la fin du deuxième trimestre, il n’y pas lieu de retenir de contestation sérieuse à ce titre ». La juridiction considère que l’article 1722 du Code civil s'applique bien en cas de perte juridique « lorsque le locataire ne peut plus jouir de la chose ou ne peut plus en user conformément à sa destination ».

CA Paris, Pôle 1, 10ème ch., 3 juin 2021, n° 21/01679 (N° Lexbase : A92514TS)

Cet arrêt est important car il est celui intervenant sur appel contre la décision du JEX du tribunal judiciaire de Paris du 20 janvier 2021[13] dont on se souvient qu’il avait jugé que l’impossibilité juridique survenue en cours de bail d’exploiter les lieux loués était assimilable à la situation envisagée par l’article 1722 du Code civil (perte fortuite du local), laquelle a pour effet de libérer le preneur de l’obligation de payer le loyer tant qu’il ne peut jouir de la chose louée.

L’arrêt de la cour d’appel de Paris infirme ainsi la décision de mainlevée rendue par le tribunal judiciaire par une motivation assez surprenante.

En l’occurrence, après avoir repris l’argumentation de la société locataire sur l’assimilation de la fermeture administrative à la perte de la chose louée, la cour estime que, même pour une société non éligible à ces dispositions, les ordonnances n° 2020-306 et n° 2020-316 auraient « pris en compte les conséquences pour les bailleurs et preneurs de la fermeture des commerces pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, excluant de ce fait l’application à cette situation de l’article 1722 du Code civil ».

Les mesures réglementaires prévaudraient donc, selon la cour d’appel de Paris, sur les dispositions du droit commun du louage.

Selon les juges d’appel, « […] il résulte de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, modifiée, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période et des dispositions et de l'article 4 de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, modifiée, relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de covid-19, de première part, que le législateur [sic] a pris en compte les conséquences pour bailleurs et preneurs de la fermeture des commerces pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, excluant de ce fait l'application à cette situation de l'article 1722 du Code civil, de seconde part, que si ces dispositions avaient pour objet, notamment, d'éviter l'acquisition, au profit des bailleurs, de clauses résolutoires, elles n'ont pas eu pour effet de suspendre l’exigibilité du loyer dû par un preneur à bail commercial dans les conditions prévues au contrat.

Il importe peu à cet égard que [le locataire] ne réponde pas aux critères d'éligibilité prévus à l'article 1er de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 précitée, permettant à certains preneurs de bénéficier de son article 4 ».

Par conséquent, sur la perte de la chose louée, selon cet arrêt, le régime spécial issu des ordonnances du 25 mars 2020 démontre que le législateur a pris en compte les conséquences pour les locataires et bailleurs de la fermeture des commerces pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, excluant de ce fait l'application à cette situation de l'article 1722 du Code civil.

En outre, cet arrêt juge, à propos de l’exception d'inexécution, qu’en l'absence de clause en ce sens, le bailleur n’a pas l’obligation de garantir la commercialité des locaux.

Enfin, quant à la force majeure, le locataire ne prouve pas qu'il était dans l'impossibilité de payer son loyer. Quant à la bonne foi, le bailleur établit avoir fait des propositions d'échelonnement ou de report du loyer et le preneur ne justifie pas avoir mis en œuvre des activités de livraison ou de retrait de commande pendant la période litigieuse.

B. Loyers hors covid-19

Cette décision concerne une clause d’échelle mobile dont on sait que, pour être valable, elle doit respecter l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5471ICM). Selon ce texte, la périodicité de la clause doit être strictement calquée sur la durée s’écoulant entre deux indexations. Autrement dit, si la clause fait varier le loyer tous les ans, les deux indices de comparaison doivent au plus être séparés d’une année ; dans le cas contraire, la clause peut créer une distorsion prohibée.

En l’occurrence, les parties avaient fixé l’indice de base par référence au dernier indice publié à la date de prise d’effet du bail et elles avaient choisi de faire application du dernier indice connu à la date anniversaire de prise d’effet du bail soit celui du quatrième trimestre 2004.

Le preneur alléguait une distorsion interdite mais, en pratique, la distorsion alléguée ne résultait en réalité que du changement de la date de publication de l’indice du premier trimestre, indépendante de la volonté des parties, et ce à compter de 2014, ledit indice étant connu dès avant la date anniversaire du bail au 1er juillet 2014. Ainsi, l’intention des parties était de faire coïncider la période de variation indiciaire avec la durée écoulée entre deux révisions. Par conséquent, en visant le dernier trimestre publié, les parties avaient entendu en réalité retenir le quatrième trimestre, lequel avait d’ailleurs été pris pour indice de référence par le bailleur nonobstant le changement de date de publication de l’indice.

Aucune distorsion n’étant ainsi établie, le jugement de première instance déclarant non-écrite ladite clause et ordonnant la restitution d’un trop-perçu par le bailleur, est infirmé, à juste titre.

IV. Obligations des parties

Selon cet arrêt, les activités de vente à emporter de plats confectionnés et cuisinés sur place et de vente de ces plats par internet avec livraison constituent une modalité particulière d’exploitation de l’activité de restauration combinée à celle d’alimentation générale que le bail autorise, ce qui est conforme à l’évolution des usages commerciaux, qu’il s’agit donc d’activités incluses dans la destination contractuelle « alimentation générale et restaurant typiquement exotique, c’est-à-dire typiquement asiatique ».

Le fonds était un restaurant typiquement japonais. Le bail comportait une destination relativement large qui était celle de « importation et exportation de tous produits asiatiques, sous toutes les formes, gastronomiques, artistiques, culturelles, d’ameublement et d’agrément avec dégustation sur place. Alimentation générale et restaurant, typiquement exotique, c’est-à-dire typiquement asiatique. En aucun cas cette désignation extensive ne saurait conférer un bail tous commerces ».

Pour solliciter le déplafonnement, les bailleurs invoquaient l’adjonction d’activités non-incluses au bail, ni connexes, ni complémentaires, constitutives d’une modification notable de la destination contractuelle en ce que la locataire exerce la restauration à emporter et la vente par internet avec livraison gratuite sans leur autorisation, ce qui élargit la clientèle potentielle du restaurant en dehors de sa zone usuelle de chalandise.

Les bailleurs soutenaient que la clause de destination était limitée à la dégustation sur place, mode de consommation autorisé des produits fabriqués dans les locaux, s’agissant de l’activité de restaurant. Quant à l’activité d’alimentation générale, elle consistait à revendre des marchandises principalement alimentaires sans les transformer, ce qui excluait, selon les bailleurs, la vente de plats préparés sur place. En outre, les plats élaborés dans un restaurant ne pouvaient être assimilés à des produits d’alimentation générale pour justifier leur vente à emporter ou leur livraison à domicile. Enfin, ils soutenaient que l’élargissement de l’activité avait permis à la locataire de maintenir une activité pendant la crise sanitaire afin d’offrir à sa clientèle les services complémentaires à l’activité autorisée par le bail.

Cette extension d’activité aurait dû faire, selon les bailleurs, l’objet d’une demande de déspécialisation partielle en application de l’article L. 145-47 du Code de commerce (N° Lexbase : L0347LTZ).

De son côté, la société locataire exposait que l’évolution des usages commerciaux conduisait les magasins d’alimentation générale à prévoir un service de livraison à domicile et incluait la vente à emporter, que s’agissant de la restauration, celle-ci ne se limitait plus à une activité de consommation sur place mais comprenait aussi une activité de vente à emporter et de livraison, qu’il s’agissait d’une modalité particulière de l’exploitation telle que prévue au bail.

La cour avait donc à se prononcer sur la question de savoir si pour un restaurant (ainsi que pour un magasin d’alimentation générale) la vente à emporter (ce qui va de soi pour un magasin d’alimentation générale) et à livrer (ce qui est depuis toujours pratiqué à plus ou moins grande échelle par les magasins d’alimentation générale), constituait une modification de la destination ou devait être considérée comme une activité incluse.

La cour donne tout d’abord la définition de l’activité incluse de la manière suivante : « L’adjonction d’une activité ne peut […] donner lieu à déplafonnement du loyer s’il s’agit d’une activité dite incluse, c’est-à-dire se rattachant naturellement à la destination contractuelle initiale et à son évolution en fonction des usages ou pratiques commerciales ».

La cour énonce ensuite que la clause de destination doit s’interpréter au regard des deux activités combinées d’alimentation générale et de restaurant pour apprécier si la vente à emporter et la livraison par commande internet peuvent être considérées comme des activités incluses dans la destination contractuelle.

S’agissant de l’activité d’alimentation générale, la cour se réfère à la définition donnée par la Banque publique d’investissement selon laquelle il s’agit d’une « activité qui consiste à acheter des marchandises, principalement alimentaires, essentiellement destinées à la consommation des particuliers ou des ménages, pour les revendre sans les transformer. Cette activité peut être exercée en magasins, grands magasins, par internet, sur les marchés, etc. ».

Si l’activité peut être exercée par internet, ceci implique nécessairement que les produits puissent être livrés à la clientèle. La cour conclut que l’activité d’alimentation générale autorise donc la locataire à vendre des plats cuisinés à emporter par internet et livrés aux particuliers et aux ménages. L’activité de restauration permet quant à elle de confectionner et de vendre des plats qu’elle cuisine sur place.

S’agissant de l’activité de restaurant, la cour énonce qu’il convient de tenir compte de l’évolution des usages en matière de restauration traditionnelle. Si les plats confectionnés sont essentiellement destinés à être consommés sur place, la tendance croissante est de permettre à la clientèle de pouvoir emporter les plats cuisinés par les restaurants ou de se les faire livrer à domicile, notamment par l’intermédiaire de plateformes de livraison.

La cour conclut, en se fondant par conséquent sur la combinaison des deux activités autorisées, dans les termes suivants : « les activités de vente à emporter de plats confectionnés et cuisinés sur place et de vente de ces plats par internet avec livraison constituent une modalité particulière d’exploitation de l’activité de restauration combinée à celle d’alimentation générale que le bail autorise, ce qui est conforme à l’évolution des usages commerciaux ; qu’il s’agit donc d’activités incluses dans la destination contractuelle, alimentation générale et restaurant typiquement exotique, c’est-à-dire typiquement asiatique ».

La locataire de locaux commerciaux, reprochant à la nouvelle propriétaire d'avoir pris la décision de modifier les serrures de certains de ses locaux et mis en place un vigile afin d'éviter toute nouvelle occupation des locaux, l’a faite assigner en référé en vue d’obtenir la libération des lieux et la remise des clés. La locataire ayant été déboutée de ses demandes, elle a interjeté appel.

La cour d’appel estime, en application de l'article 1719 du Code civil (N° Lexbase : L8079IDL), que le contrat de bail constitue un titre d'occupation obligeant le bailleur à délivrer la chose louée au preneur et à lui garantir une jouissance paisible pendant toute la durée du contrat. Dès lors, en procédant au changement de serrure et en interdisant ainsi à la locataire d'accéder aux locaux donnés à bail, le juge du fond en conclut que la bailleresse a violé de façon manifeste ses obligations et gravement préjudicié aux intérêts du preneur qui s'est vu entravé dans son développement économique et dans son organisation pour faire respecter notamment les règles de distanciation physique dans le cadre de l'épidémie de covid-19.

Par conséquent, les agissements de la propriétaire sont constitutifs d'un trouble manifestement illicite auquel il convient de mettre fin en faisant droit aux demandes de libération des locaux concernés et de remise des clés.

Il a déjà été jugé que le bailleur ne satisfait pas à son obligation de délivrance lorsque les locataires n'ont pu prendre possession des lieux en raison de la présence d'un autre locataire dont le titre ne leur était pas opposable [14]. Il en est de même du bailleur qui installe un système de fermeture de la porte de la cour privant le preneur d'un droit d'accès à cette cour prévu au bail [15].

V. Congé – Renouvellement – Résolution - Indemnité

Le bailleur avait fait délivrer à sa locataire un commandement de payer, visant la clause résolutoire, d’avoir à payer des charges locatives, comprenant la refacturation des travaux de rénovation du centre commercial. La locataire soutenait que la provision sollicitée correspondait à des « travaux futurs », que son montant était excessif car « représentant plus de 60 % de son chiffre d’affaires annuel », ou encore que « ces travaux n’avaient aucune utilité pour un locataire évincé ». Le bailleur indiquait en réponse qu’elle avait bien réglé les travaux de rénovation du centre commercial, que ces travaux constituaient une charge contractuellement imputable au locataire évincé, tout en précisant à toutes fins que l’origine de la créance était antérieure à la date d’effet du congé.

La cour d’appel de Versailles fait droit à l’argumentation du bailleur en décidant souverainement que les travaux de rénovation litigieux sont bien imputables au preneur, « l’expiration du bail au 31 décembre 2014 étant sans effet sur cette imputabilité, dès lors que l’article L. 145-28 […] énonce que le maintien dans les lieux [postérieur au 31 décembre 2014] se fait aux conditions et clauses du contrat de bail expiré ». La cour en conclut qu’« au regard des dispositions contractuelles particulièrement claires, notamment en ce qu’elles attirent l’attention du preneur sur la possibilité de travaux de rénovation lui incombant, [la locataire] n’est pas fondée à invoquer l’inutilité des travaux du fait de son éviction, ni le caractère excessif de leur coût ». Dès lors, la cour constate l’acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail, ce qui entraîne la déchéance du preneur de tout droit au paiement d’une indemnité d’éviction.

On rappellera qu’en vertu de l’article L. 145-28 du Code de commerce (N° Lexbase : L0346LTY), le locataire évincé a droit au maintien dans les lieux aux clauses et conditions du bail expiré jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction. Il doit alors se conformer aux clauses et conditions du bail expiré, comme, à titre supplétif, aux dispositions du Code civil relatives au contrat de louage. À défaut, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail « résiduel » à raison du manquement du preneur à ses obligations contractuelles, refuser le paiement de l’indemnité d’éviction ou en rétracter l’offre de paiement en présence de motifs nouveaux découverts postérieurement au congé ou encore invoquer la clause résolutoire. Ainsi, un locataire évincé doit payer à bonne date les loyers, taxes, charges et travaux contractuellement dus, notamment lorsque le bailleur lui refacture des travaux de rénovation d’un centre commercial. Telle était la situation en l’occurrence.

Le 22 mars 1991, une SCI donne à bail commercial à une SAS, pour 9 ans à compter du 1er mars 1991, un bâtiment situé à Arles, comprenant des bâtiments à usage industriel. La SCI fait délivrer, le 13 mai 2014, deux congés avec offre de renouvellement signifiés à la locataire pour le 31 décembre 2014, l'un afférent audit bail, et l'autre relatif à un bail du 30 janvier 2006. Par acte authentique du 15 octobre 2015, à effet au 1er janvier 2015, ces baux commerciaux ont été renouvelés pour une durée de 9 ans : le premier moyennant un loyer annuel hors taxes de 46 270 euros, et le second moyennant un loyer annuel hors taxes de 27 300 euros, pour l'exercice d'une activité d'achat, d'entretien, de vente et d'exploitation de machines agricoles.

Le 20 décembre 2019, la SCI fait signifier à la SAS deux commandements visant la clause résolutoire du bail, aux fins d'avoir à justifier d'une assurance des lieux et pour inexécution des obligations locatives du preneur en lui enjoignant d'user des lieux conformément à leur destination (exploitation), de les entretenir et de les garnir de mobiliers et matériels. Le 10 janvier 2020, la SCI fait délivrer un troisième commandement au titre de l'inexécution des obligations locatives, en enjoignant au preneur de remettre en état d'origine les lieux loués. Le 17 janvier 2020, la SAS conteste les commandements par voie de signification. Par requête adressée au président du tribunal judiciaire de Tarascon, la SCI sollicite la désignation d'un huissier afin de pouvoir pénétrer dans les lieux et les décrire, demande à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 23 janvier 2020.

Faisant valoir que les locaux sont vides de tout mobilier, qu'aucune activité n'y est exercée depuis plus d'un an et que le preneur ne justifie pas d'une assurance locative, la SCI fait assigner en référé, par exploit du 10 février 2020, la SAS aux fins de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire et ordonner l'expulsion de la locataire. L’intérêt de cette affaire est relatif à la clause résolutoire.

Ainsi, le bail notarié établi le 15 octobre 2015, faisant suite au bail commercial dressé par acte sous seing privé le 22 mars 1991, comporte une clause résolutoire libellée comme suit : « En cas de non-exécution par le preneur de l'un quelconque de ses engagements ou en cas de non-paiement à son échéance de l'un quelconque des termes du loyer convenu, ou des charges et impôts récupérables par le bailleur, le présent bail sera résilié de plein droit un mois après une sommation d'exécuter ou un commandement de payer délivrés par acte extrajudiciaire au preneur de régulariser sa situation et contenant déclaration par le bailleur d'user du bénéfice de la présente clause ». Le commandement délivré le 20 décembre 2019 à la SAS pour inexécution des obligations locatives, en référence tant au bail commercial du 22 mars 1991 qu'au bail signé le 15 octobre 2015, vise les infractions aux clauses suivantes :

- la clause « Destination des lieux loués » qui prévoit que « les biens présentement loués devront servir exclusivement à l'usage suivant : achat, entretien, réparation, vente et exploitation de machines agricoles » ;

- la clause « Condition » libellée comme suit : « il ne pourra rien faire ni laisser faire qui puisse détériorer les lieux loués et devra, sous peine d'être personnellement responsable, prévenir le bailleur sans retard et par écrit, de toute atteinte qui serait portée à sa propriété et de toute dégradation ou détérioration qui viendrait à être causée aux biens loués et qui rendrait nécessaire des travaux incombant au bailleur » ;

- la clause qui prévoit que le preneur « garnira les lieux loués et les tiendra constamment garnis de meubles et matériels en valeur et quantité suffisante pour répondre du paiement exact des loyers et de l'accomplissement des charges et conditions du présent bail ».

Il est précisé que le bail renouvelé prévoit que, pour le surplus, des obligations convenues entre les parties en vue de mettre le bail commercial en conformité avec la loi « Pinel », le renouvellement du bail a lieu sous les autres charges, garanties et conditions convenues entre elles dans le bail originaire dont une copie est jointe et annexée au bail.

Sur la base de ce commandement et au visa de l'article L. 145-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L2327IBS), la SCI reproche en premier lieu à la SAS un défaut d'exploitation des lieux loués.

Les juges aixois rappellent que la clause résolutoire ne peut être invoquée que pour des obligations expressément visées dans le bail et qu'elle ne peut être mise en œuvre pour un défaut d'exploitation si le bail ne comporte pas de clause imposant au locataire d'exploiter son fonds dans les lieux loués. Or, en l’espèce, ni le bail renouvelé, ni celui signé le 22 mars 1991 ne comportent de clause relative à l'exploitation des lieux par le locataire, la clause visée par le bailleur dans le commandement étant relative à la détermination des activités exercées dans les lieux loués ». Les deux autres clauses visées dans le commandement concernent la clause « Occupation-Jouissance » contenue dans le bail du 22 mars 1991, relativement à l'entretien et au garnissage des lieux. La SCI reproche en effet à la SAS un défaut d'entretien des chéneaux qui correspondent aux rigoles qui relient chacun des six toits et servent à évacuer l'eau ruisselante des toits et qui, selon elle, n'ont jamais été entretenus par le locataire, entraînant à la longue des fuites par surverse à l'intérieur des bâtiments, considérant ainsi que ce n'est pas la toiture en tant que couverture qui est en cause.

Pour considérer que le bailleur a mis en œuvre de mauvaise foi la clause résolutoire du bail, la SAS fait valoir que la SCI a entrepris des travaux de désamiantage de la toiture dès 2015 qui ne sont toujours pas terminés à ce jour et que ces travaux ont entraîné de nombreux désordres dans les locaux, notamment par la présence de diverses fuites, infiltrations et humidité qui ont perturbé l'exploitation des lieux, faisant grief au bailleur d'avoir manqué à son obligation de délivrance conformément à l'article 1719 du Code civil. Dès lors, pour des raisons de sécurité, le preneur n'a pu maintenir que l'activité d'atelier d'entretien et de réparation et a transféré une partie de son activité sur l'autre site exploité.

Au regard de tous ces éléments, tenant, d'une part, à l'absence dans les baux, de clause d'exploitation des lieux et, d'autre part, aux désordres affectant les locaux, alors qu'il n'est pas établi avec l'évidence requise en référé un manquement du locataire à ses obligations, les juges aixois estiment que la clause résolutoire n'a pas été mise en œuvre dans des conditions non sérieusement contestables. L'ordonnance déférée à la cour est, en conséquence, confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de constatation de la résiliation du bail par l'effet de la clause résolutoire. Et la SCI est condamnée à payer 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

VI. Cession – Restructuration

[...]

VII. Procédure

[…]

VIII. Entreprises en difficulté

Une SCI est placée en liquidation judiciaire. Son actif est composé d’un bien immobilier. Le mandataire à la liquidation saisit le juge-commissaire pour être autorisé à signer un compromis de vente dudit bien au prix de 121 000 euros. Le juge-commissaire fait droit à la requête et la promesse est signée. Le notaire rédacteur purge le droit de préemption de la locataire, une SARL dont la gérante de la SCI débitrice était également gérante. Cette dernière notifie son intention de préempter. Toutefois, le juge-commissaire estime que la SARL, personne interposée au sens de l'article L. 642-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L8857IND), ne pouvait pas exercer son droit de préemption sur l'immeuble appartenant à la SCI et rejette donc la demande tendant à faire jouer ce droit de préemption.

Comme le rappelle la cour d’appel de Rouen, en vertu de l'article L. 642-3 du Code de commerce, les offres de reprises, dans le cas de cession d'un actif, ne peuvent être présentées ni par le débiteur, ni par les dirigeants de droit ou de fait de la personne morale en liquidation judiciaire, directement ou par personne interposée. Cependant, le tribunal peut déroger à cette interdiction par jugement spécialement motivé, mais seulement sur la requête du ministère public. Or, selon la cour d’appel, le droit de préemption du locataire, prévu par l'article L. 145-46-1 du Code de commerce, constitue un droit général auquel déroge l'article L. 642-3 du Code de commerce, texte spécial qui doit recevoir application.

En l'espèce, l'intervention de la SARL, preneuse à bail, ne pouvait avoir pour effet de lever la prohibition de l'article L. 642-3, puisqu'elle s'analyse en une simple interposition de personne. En outre, le ministère public n'a pas demandé de dérogation par voie de requête pour la SARL et s'est même opposé à cette demande. Dès lors, la demande tendant à faire jouer ce droit de préemption est rejetée.

Cet arrêt est intéressant car il démontre comment le droit de préférence dont dispose le preneur à bail commercial depuis la loi « Pinel » du 18 juin 2014, lequel droit est d’ordre public, peut se trouver court-circuiter par le droit des procédures collectives qui dresse une liste de personnes ne pouvant pas acheter les actifs dépendant d’une liquidation judiciaire et ce, sur le fondement de l’adage specialia generalibus derogant.

En l’occurrence, le preneur et le bailleur étaient vraisemblablement dirigés et détenus par les mêmes associés, de sorte que le preneur ne pouvait pas racheter l’immeuble qu’il se louait à lui-même via une SCI.

La mise de l’immeuble en SCI protège le bien en cas de procédure collective de la société d’exploitation mais les dirigeants associés doivent savoir qu’ils ne pourront pas acquérir ledit immeuble, étant observé que l’on peut se demander au demeurant quel intérêt peuvent avoir les associés de la société opérationnelle à acheter l’immeuble logé dans leur SCI.

Le droit de préférence posé à l’article L. 145-46-1 du Code de commerce n’est donc pas sans limite.

On peut également s’interroger sur la portée de la solution. Visiblement il s’agissait d’une cession d’actif isolé. La solution aurait-elle été la même en cas de cession par voie de plan ? On peut le penser dans la mesure où la liste des incompatibilités de l’article L. 642-3 du Code de commerce s’applique indistinctement tant aux plans qu’aux cessions d’actifs isolés. Pour autant, au-delà de la question des personnes interposées, il nous semble que le droit de préférence du preneur issu de la loi « Pinel » de 2014 ne s’applique pas de la même façon selon qu’il s’agit d’une cession dans le cadre d’un plan ou d’une cession d’actif isolé.


[1] Ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664, publié (N° Lexbase : A6534AYN).

[2] Cass. civ. 3, 9 février 2017, n° 16-10.350, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7677TBX), Loyers et copr., 2017, comm. 79, obs. E. Chavance ; Dalloz actualité, 13 février 2017, obs. Y. Rouquet ; RTD com., 2017, p. 46, obs. J. Monéger ; JCP E, 2017, act. 129 et JCP G, 2017, 437, note Y. Dagorne-Labbé ; Administrer, mars 2017, p 31, note D. Lipman W-Boccara ; J. Prigent, in Chron., Lexbase Affaires, mars 2017, n° 501 (N° Lexbase : N7067BWN) ; JCP E, 2017, 1320, § n° 14, obs. B. Brignon. Adde : J.-P. Blatter, La loi sur le développement et de modernisation des services touristiques et les baux commerciaux, AJDI, 2009, p. 591 ; J. Monéger, Premières réflexions sur les lois estivales en matière de baux, Loyers et copr., 2009, étude 10, n° 9 s. ; J. Monéger, De la prédiction du droit, Loyers et copr., 2017, repère 3.

[3] Cass. civ. 3, 9 février 2017, préc..

[4] Cass. civ. 3, 16 mars 2017, n° 16-40.253, QPC, FS-P+B (N° Lexbase : A2656UCD), JCP E, 2017, 1207 ; Dalloz actualité, 24 mars 2017 et AJDI, 2017, p. 513, obs. Y. Rouquet.

[5] CA Poitiers, 28 mai 2019, n° 17/03289 (N° Lexbase : A8819ZCM), AJDI 2019, p. 908.

[6] Dalloz actualité, 26 mars 2021, note P. de Plater.

[7] Dalloz actualité, 14 avril 2021, note J.-D. Barbier.

[8] TJ Paris, 25 février 2021, n° 18/02353 (N° Lexbase : A40574I4), Dalloz actualité, 9 mars 2021, obs. J. Monéger ; D., 2021, p. 728, note F. Kendérian ; AJDI 2021, p. 210, obs. J.-P. Blatter ; BRDA, 7/21, inf. n° 17 ; Ann. Loyers, n° 2021-04, p. 65, note B. Brignon – CA Grenoble, 5 novembre 2020, n° 16/04533 (N° Lexbase : A643333N), BRDA, 23/20, inf. n° 19 ; J.-P. Dumur, Lexbase Affaires, novembre 2020, n° 656 (N° Lexbase : N5458BYS) ; Dalloz actualité, 4 décembre 2020, obs. M. Pagès et S. Torrent ; Rev. prat. rec., 2021, p. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin ; JT, 2021, n° 237, p. 12, obs. X. Delpech – CA Lyon, référé, 31 mars 2021, n° 20/05237 (N° Lexbase : A98784MS).

[9] Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-20.306, F-P+B (N° Lexbase : A8468MWK).

[10] Dalloz actualité, 25 mai 2021, note P. Jacquot.

[11] CA Versailles, 6 mai 2021, n° 20/04284 (N° Lexbase : A01034RA).

[12] CA Paris, référé, 12 mai 2021, deux ordonnances, n° 20/16820 (N° Lexbase : A78354RM) et n° 20/17489 (N° Lexbase : A83144RD), étant précisé qu’un troisième arrêt (CA Paris, référé, 12 mai 2021, n° 20/14094 N° Lexbase : A81874RN) est intervenu le même jour, cette fois en faveur des bailleurs, faute pour le preneur d’avoir invoqué ce moyen.

[13] TJ Paris, JEX, 20 janvier 2021, n° 20/80923 (N° Lexbase : A30924DU).

[14] Cass. civ. 3, 16 janvier 1980, n° 78-12.389 (N° Lexbase : A9825AGY).

[15] Cass. civ. 3, 9 avril 2014, n° 12-22.700, FS-D (N° Lexbase : A0996MK4).

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Baux commerciaux

[Brèves] Entrée en vigueur des règles impératives relatives à la répartition des charges et du coût des travaux issus du dispositif « Pinel »

Réf. : Cass. civ. 3, 17 juin 2021, n° 20-12.844, FS-B (N° Lexbase : A66074WM)

Lecture: 3 min

N8039BYE

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par Vincent Téchené

Le 23 Juin 2021

► Les dispositions des articles R. 145-35 (N° Lexbase : L7051I4W) à R. 145-37 (N° Lexbase : L7050I4U) du Code de commerce, dans leur rédaction résultant de l'article 6 du décret d’application de la loi « Pinel » (décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 N° Lexbase : L7060I4A), sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication du décret, soit le 5 novembre 2014 ;

Dans le cas d’un contrat renouvelé, la date à prendre en compte est la date d'effet du bail renouvelé.

Faits et procédure. Le 12 juillet 2000, la propriétaire d’un local situé dans un centre commercial donné à bail à une société a signifié à cette dernière un congé avec offre de renouvellement à effet du 1er avril 2014. La locataire a accepté le principe du renouvellement du bail, mais a contesté le montant du loyer proposé. La bailleresse a assigné la locataire en fixation judiciaire du loyer minimum garanti.

C’est dans ces conditions que la locataire a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 27 novembre 2019, n° 18/01480 N° Lexbase : A9017Z4Q), reprochant notamment aux juges du fond d’avoir rejeté sa demande tendant à voir déclarer non-écrites les clauses du bail contraires à la loi « Pinel » (loi n° 2014-626 du 18 juin N° Lexbase : L4967I3D).

Décision. La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Elle énonce en effet que, selon l’article 8, alinéa 2, du décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 (N° Lexbase : L7060I4A), les dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du Code de commerce, dans leur rédaction résultant de l'article 6 du décret précité, sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication du décret, soit le 5 novembre 2014.  En outre, un contrat est renouvelé à la date d'effet du bail renouvelé.

Ainsi, selon la Haute juridiction, ayant constaté que le contrat de bail avait été renouvelé à compter du 1er avril 2014, la cour d’appel en a exactement déduit que la demande tendant à voir déclarer non-écrites les clauses du bail contraires à l’article L. 145-40-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L4976I3P) devait être rejetée.

On relèvera, par ailleurs, pour être complet sur cet arrêt, que la locataire reprochait à l'arrêt d'appel d'avoir rejeté la fin de non-recevoir qu'elle a soulevée tenant au non-respect de l'obligation faite par l'article 35 du contrat de bail de rechercher une solution amiable préalable. Elle approuve également l'arrêt d'appel sur ce point.

Elle constate, pour ce faire, que la cour d’appel a retenu que l’article 35 du bail commercial, selon lequel « les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé, sera fixé d’un commun accord entre elles » et « à défaut accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative », se borne à préciser que le montant du loyer de renouvellement sera fixé judiciairement en l'absence d'accord amiable entre les parties, sans instaurer une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La libre détermination du loyer initial et des charges du bail commercial, La date d'entrée en vigueur des règles impératives relatives à la répartition des charges et du coût des travaux, in Baux commerciaux, (dir. J. Prigent), Lexbase (N° Lexbase : E0393E7P).

 

newsid:478039

Chômage

[Brèves] Réforme de l’assurance chômage : suspension des nouvelles règles de calcul

Réf. : CE référé, 22 juin 2021, n° 452210 (N° Lexbase : A76554WG)

Lecture: 2 min

N8045BYM

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par Laïla Bedja

Le 24 Juin 2021

► Dans le contexte de la crise sanitaire et dès lors que la modification du mode de calcul du salaire journalier de référence ainsi que ses conséquences, tant directes sur le montant de l’allocation journalière versée aux allocataires au parcours d’emploi fractionné, qu’indirectes sur le montant de l’allocation versée en cas de reprise d’une activité réduite notamment, sont justifiées par l’objectif consistant à inciter les salariés et les demandeurs d’emploi à privilégier les emplois durables en rendant moins favorable l’indemnisation d’assurance chômage, il ne résulte pas de l’instruction d’éléments suffisants permettant de considérer que les conditions du marché du travail sont à ce jour réunies pour atteindre l’objectif d’intérêt général poursuivi ; pour cette raison, l’application des nouvelles règles de calcul des allocations pour les salariés qui perdront leur emploi à compter du 1er juillet 2021 est suspendue.

Les faits et procédure. Plusieurs syndicats, dont la CFDT, la CGT, FO, l’UNSA, la FSU, la CFE-CGC et l’Union syndicale solidaire, ont demandé au juge des référés du Conseil d'État de suspendre l’exécution du décret n° 2021-346 du 30 mars 2021, portant diverses mesures relatives au régime d’assurance chômage (N° Lexbase : L8885L3H). Ce décret reprend, en les amendant, les dispositions du décret du 26 juillet 2019 qui a fait l’objet d’une annulation partielle par le Conseil d’État en novembre 2020 (CE 1° et 4° ch.-r., 25 novembre 2020, n° 434920, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A940537H, lire notre brève, in Lexbase Social, décembre 2020, n° 847 N° Lexbase : N5667BYK).

Suspension. Au regard de la solution précitée, le juge des référés suspend l’application des nouvelles règles de calcul de l’allocation de retour à l’emploi. En effet, il observe qu’alors même que le contexte économique s’améliore ces dernières semaines, de nombreuses incertitudes subsistent quant à l’évolution de la crise sanitaire et ses conséquences économiques sur la situation de celles des entreprises qui recourent largement aux contrats courts pour répondre à des besoins temporaires. Or ces nouvelles règles de calcul des allocations chômage pénaliseront de manière significative les salariés de ces secteurs, qui subissent plus qu’ils ne choisissent l’alternance entre périodes de travail et périodes d’inactivité.

Après cette ordonnance rendue en urgence, les recours « au fond » des syndicats contre le décret réformant l’assurance-chômage seront jugés par le Conseil d’État d’ici quelques mois.

newsid:478045

Données personnelles

[Brèves] Publication du décret relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail Autotest Covid-19 »

Réf. : Décret n° 2021-780, du 18 juin 2021, relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail Autotest Covid-19 » (N° Lexbase : L8978L4B)

Lecture: 4 min

N7985BYE

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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac

Le 07 Juillet 2021

► Le décret autorise la mise en œuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif aux résultats des autotests de dépistage de la Covid-19, afin de recueillir les données relatives à la réalisation de ces autotests pour les analyser dans le cadre de la gestion de l'épidémie de Covid-19.

Contexte. Dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19, il est désormais possible d'acheter des autotests pour obtenir un diagnostic rapidement. Ces derniers sont tests antigéniques dont le prélèvement et la lecture du résultat peuvent être réalisés seuls. Ces autotests donnent ainsi lieu à une collecte de données personnelles, lesquelles vont être agrégées dans un portail numérique spécifique. En effet, après avoir réalisé son autotest, la personne concernée doit indiquer son résultat sur le site « monautotest.gouv.fr » (pour plus de précisions sur les autotests, v. ministère des Solidarités et de la Santé, Les autotests, 30 mars 2021). Il s'agit donc d'un traitement automatisé de données à caractère personnel, que le décret vient encadrer.

Finalités du traitement (art. 1). Le décret crée un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé « Portail Autotest Covid-19 », relatif aux résultats des autotests de dépistage de la Covid-19. La Direction générale de la Santé est responsable de ce traitement.

Il est mis en œuvre avec le consentement des personnes concernées, conformément au a) du paragraphe 1 de l'article 6 et au a) du paragraphe 2 de l'article 9 du « RGPD » (Règlement n° 2016/679 du 27 avril 2016 N° Lexbase : L0189K8I).

Ce traitement de données a pour finalité le recueil des résultats des autotests de dépistage de la Covid-19 dans un système autonome, afin de produire des résultats agrégés destinés au suivi épidémiologique et à l'analyse statistique des administrations et organismes intervenant dans la gestion de l'épidémie de Covid-19.

Catégories de données enregistrées (art. 2). Les données à caractère personnel et les informations suivantes peuvent être enregistrées dans le traitement mentionné à l'article 1er du décret :

1° les données d'identification des personnes ayant fait l'objet d'un autotest : nom, prénom, année de naissance, sexe et adresse électronique ;

2° les informations relatives aux conditions de réalisation du test : cadre (cercle privé, établissement scolaire, établissement universitaire, milieu professionnel, hébergement collectif, autre), lieu de réalisation (code INSEE de la commune de prélèvement) et date de réalisation du test ;

3° le résultat du test, positif ou négatif ;

4° le consentement de la personne concernée, ou d'un représentant légal s'il s'agit de mineurs ou de majeurs sous tutelle, à l'enregistrement et au traitement des données mentionnées aux 1°, 2° et 3° la concernant dans le « Portail Autotest Covid-19 ».

Personnes ayant accès à ces données (art. 3). L'utilisateur du « Portail Autotest Covid-19 », qui a ouvert un compte et y a enregistré des données, a accès à ses propres données à caractère personnel et aux informations mentionnées à l'article 2 du décret le concernant. Il peut accéder le cas échéant au récépissé de sa déclaration de résultat.

La Direction du numérique des ministères chargés des Affaires sociales est destinataire des seules données ayant fait l'objet de mesures adéquates de pseudonymisation permettant d'assurer la confidentialité de l'identité des personnes.

Durée de conservation (art. 4). Les données mentionnées aux 1° et 4° de l'article 2 du décret sont conservées jusqu'à ce que l'utilisateur supprime son compte, et au plus tard, pour la durée de mise en œuvre du traitement « Portail Autotest Covid-19 ».

Les données mentionnées aux 2° et 3° de l'article 2 du décret sont conservées pour une durée de trois mois à compter de leur enregistrement.

Le retrait du consentement, comme la suppression du compte, entraînent l'effacement des données à caractère personnel traitées dans le portail.

Droits reconnus aux personnes concernées et modalités d'exercice (art. 5). Les personnes concernées par le traitement reçoivent l'information prévue à l'article 13 du « RGPD » lors de chaque enregistrement de données sur le « Portail Autotest Covid-19 ». Cette information figure également sur le site internet du ministère chargé de la Santé.

Le retrait du consentement, les droits d'accès, de rectification et d'effacement des données, le droit à la limitation du traitement et le droit à la portabilité des données prévus respectivement aux articles 7, 15, 16, 17, 18 et 20 du « RGPD » s'exercent auprès de la Direction générale de la Santé.

Entrée en vigueur. Le décret entre en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 20 juin 2021.

newsid:477985

Droit des biens

[Brèves] Découverte d’un trésor par plusieurs ouvriers : la Cour de cassation admet la possibilité d’une pluralité d’ « inventeurs » d’un trésor

Réf. : Cass. civ. 1, 16 juin 2021, n° 19-21.567, FS-B (N° Lexbase : A14154WC)

Lecture: 4 min

N8037BYC

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 23 Juin 2021

► Il résulte de l’article 716 du Code civil (N° Lexbase : L3325ABR) que l'inventeur d'un trésor s'entend de celui ou de ceux qui, par le pur effet du hasard, mettent le trésor à découvert en le rendant visible et que, lorsque la découverte du trésor procède directement d'une action de plusieurs personnes, chacune d'elles doit être qualifiée d'inventeur.

Les arrêts rendus sous le visa de l’article 716 du Code civil (N° Lexbase : L3325ABR), relatif à la propriété du trésor, sont rares compte tenu du caractère exceptionnel et même extraordinaire de son domaine d’application, et suscitent ainsi toujours un intérêt particulier.

Dans cette affaire, au cours de travaux de rénovation immobilière réalisés en 2015 par une société sur un site appartenant à un GFR (le propriétaire du site), trente-quatre lingots d'or ont été découverts fortuitement.

Un « accord transactionnel », organisant leur partage a été conclu une semaine après la découverte, entre le propriétaire du site obtenant dix-neuf lingots, trois salariés de la société qui effectuaient les travaux, en qualité de co-inventeurs, 30,86 % chacun du prix de vente des quinze autres lingots et trois dirigeants de la société, respectivement en leur qualité d'employeur, directeur technique et chef d'équipe, chacun un tiers des 7,41 % restants. Cet accord a fait l'objet d'un enregistrement auprès de l'administration fiscale le 5 août 2015.

À l'issue de la vente des lingots intervenue quelques mois après pour un montant total, hors commission et droits fixes et de partage, de 1 002 376 euros et du partage opéré dans les proportions de l'accord, l’un des ouvriers M. X, invoquant qu'il était le seul coinventeur du trésor avec l’un des deux autres (M. Y), que l'accord ne remplissait pas les conditions de l'article 2044 du Code civil (N° Lexbase : L2431LBN) en l'absence de concessions réciproques et qu'étaient applicables les règles de l'article 716 du Code civil, avait assigné en paiement les co-signataires de l'accord. M. Y avait sollicité reconventionnellement la nullité de l'accord et le paiement de différentes sommes en soutenant être le seul inventeur du trésor.

La cour d’appel d’Orléans avait déclaré nul l'accord transactionnel, mais avait décidé que la valeur du trésor serait attribuée au propriétaire du site et M. Y seulement, condamnant ainsi les autres parties à l’accord, dont M. X à payer différentes sommes à M. Y.

M. X a formé un pourvoi pour contester l’application qui avait été faite par les conseillers d’appel de l’article 716, en ce qu’ils avaient écarté la possibilité d'une pluralité d’inventeurs, et donc refusé de lui reconnaître la qualité de « coinventeur ».

Un pourvoi incident a été formé par le troisième ouvrier ainsi que par les autres parties à l’accord transactionnel pour contester l’annulation de l’accord.

  • Sur l’annulation de l’accord transactionnel

Sur ce point, il est intéressant de relever que la Cour de cassation approuve la cour d’appel ayant énoncé à bon droit qu'il peut être dérogé par convention aux dispositions de l'article 716 du Code civil relatives à la propriété du trésor, mais que la validité d'une transaction est conditionnée par l'existence de concessions réciproques.

En l’espèce, précisément cette condition faisait défaut, et justifiait donc l’annulation de la transaction.

Ainsi que l’avait relevé la cour d’appel, si l'accord conclu le 28 juillet 2015, intitulé par les parties elles-mêmes comme un accord transactionnel, constituait une transaction, aucune concession réciproque ne pouvait être retrouvée, dès lors que :

- le propriétaire du site ne pouvait obtenir une gratification supplémentaire en application de l'article 716 précité ;
- les responsables de l'entreprise ne pouvaient prétendre à rien ;
- et l'ouvrier ayant découvert le trésor n'obtenait que 30,86 % des 15/34 de sa valeur marchande, sans contrepartie.

Selon la cour d’appel, il ne pouvait donc être reconnu à cet acte de force obligatoire, conformément à l'article 2052 du Code civil (N° Lexbase : L2430LBM). De ces seuls motifs, la cour d'appel a pu déduire que cet accord transactionnel devait être annulé et qu'il devait être fait application de l'article 716 du Code civil.

  • Sur la possibilité d’une pluralité d’inventeurs

C’est sur ce point que se situe le principal apport de l’arrêt qui énonce la règle citée en introduction. La Cour de cassation accueille l’argument du demandeur au pourvoi qui soutenait qu’il peut y avoir pluralité d'inventeurs d'un trésor et qu'ainsi, lorsque la découverte du trésor procède directement d'une action collective de plusieurs ouvriers, chacun d'eux doit être qualifié d'inventeur.

Aussi, en écartant la possibilité d'une pluralité d'inventeurs, la cour d’appel a violé l’article 716 du Code civil. L’arrêt est censuré sur ce point.

newsid:478037

Droit des étrangers

[Brèves] Décision d’éloignement et nouveau droit de séjour sur le territoire de l’État membre d’accueil : à quelle condition ?

Réf. : CJUE, 22 juin 2021, aff. C-719/19, FS (N° Lexbase : A76634WQ)

Lecture: 2 min

N8036BYB

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par Marie Le Guerroué

Le 23 Juin 2021

► Un citoyen de l’Union qui a fait l’objet d’une décision d’éloignement ne peut bénéficier d’un nouveau droit de séjour sur le territoire de l’État membre d’accueil qu’après avoir mis fin à son séjour sur ce territoire de manière réelle et effective ; en effet, une telle décision d’éloignement n’est pas pleinement exécutée du seul fait que ce citoyen de l’Union a quitté physiquement ledit territoire dans le délai que ladite décision fixe pour son départ volontaire.

Demande de décision préjudicielle. Dans cette affaire, la Cour était, à la demande du Conseil d’État néerlandais, invitée à se prononcer sur les circonstances dans lesquelles un citoyen de l’Union ayant fait l’objet d’une décision d’éloignement prise pour des raisons autres que d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique peut se prévaloir d’un nouveau droit de séjour dans l’État membre d’accueil.

Réponse de la CJUE. Par son arrêt, rendu en grande chambre, la Cour rend la solution susvisée. Elle énonce, en outre que, afin de bénéficier d’un nouveau droit de séjour au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la Directive « Séjour » (Directive 2004/38/UE du Conseil du 29 avril 2004 N° Lexbase : L2090DY3) sur le même territoire, le citoyen de l’Union qui a fait l’objet d’une telle décision d’éloignement doit non seulement avoir quitté physiquement le territoire de l’État membre d’accueil, mais également avoir mis fin à son séjour sur ce territoire de manière réelle et effective, de telle sorte que, à l’occasion de son retour sur ledit territoire, il ne saurait être considéré que son séjour s’inscrit, en réalité, dans la continuité de son séjour précédent sur le même territoire.

newsid:478036

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Transfert indirect de bénéfices : quid d’une prise en charge par une entreprise de dépenses incombant à sa société mère établie hors de France ?

Réf. : CE 9° ch., 17 juin 2021, n° 433985, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A68514WN)

Lecture: 5 min

N7979BY8

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par Marie-Claire Sgarra

Le 23 Juin 2021

► Les dispositions de l’article 57 du CGI instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans les prévisions de l'article précité, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties ;

Constitue une telle pratique la prise en charge par une entreprise établie en France de dépenses incombant à sa société mère établie hors de France, notamment en ce qu'elles contribuent au développement de la valeur d'une marque appartenant à celle-ci.

Les faits :

  • une société, filiale française à 99,99 % d’une société libanaise et qui exerce une activité de commerce de détail de vêtements de prêt-à-porter de luxe et d'accessoires, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a estimé qu'elle avait indirectement transféré des bénéfices à sa société mère libanaise ;
  • le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2009 et en 2010, de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre de l'année 2010 et de retenue à la source au titre des années 2009 et 2010 résultant de cette rectification ;
  • la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris et remis à sa charge les impositions en litige (CAA Paris, 27 juin 2021, n° 17PA02523 N° Lexbase : A3601ZHT).

🔎 Principe. Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (CGI, art. 57 N° Lexbase : L9738I33).

Au cas d’espèce :

  • la société française est chargée de la gestion, de la fabrication et de la distribution pour le groupe Elie Saab, de la ligne de prêt-à-porter haut de gamme de jour, assure la distribution des accessoires de la marque Elie Saab pour l'ensemble des entités du groupe ainsi que la distribution en France et pour la clientèle européenne de la ligne de haute couture et vend, dans sa boutique parisienne et auprès des boutiques distribuant la marque dans le monde, une ligne de vêtements et d'accessoires de soirée développée par la filiale libanaise du groupe ;
  • la société française dispose au sein de la boutique parisienne d'un salon dont elle prend en charge les loyers et les agencements immobiliers ainsi que les frais de personnel ;
  • elle assume enfin l'organisation des défilés de la marque et prend en charge la communication de la marque ainsi que ses campagnes de promotion.

Estimant que la société française, déficitaire depuis son premier exercice clos supportait des charges au bénéfice de l'ensemble du groupe et non pour son activité propre, l'administration fiscale a réintégré, le montant des dépenses liées à la promotion de la marque et à l'organisation des défilés qui n'avaient pas été refacturées à la société mère libanaise, une marge de 5 % pour celles de ces dépenses qui avaient donné lieu à une refacturation à prix coûtant ainsi que les dépenses de personnel du service de presse.

📌 Solution du Conseil d’État.

  • en écartant l'argumentation de la société française selon laquelle la prise en charge par ses soins des dépenses de promotion et de communication litigieuses qui n'avaient pas été engagées uniquement pour valoriser la marque, propriété de sa société mère libanaise, mais également pour l'exercice de son activité propre, notamment en sa qualité de centre de profit du groupe pour l'activité « accessoires » et de responsable de la ligne de prêt-à-porter haut de gamme de jour, la cour a jugé, sans commettre d'erreur de droit, que l'administration fiscale avait établi la prise en charge, par la société française, de dépenses incombant à sa société-mère étrangère et par suite, l'existence d'une pratique entrant dans les prévisions de l'article 57 du Code général des impôts ;
  • en second lieu, en jugeant, que la société française n'avait pas établi l'existence de contreparties de nature à combattre la présomption de transfert de bénéfices à la holding libanaise, en arguant d'une part, de l'absence de refacturation, par sa société-mère, de dépenses que celle-ci aurait supportées au profit des entités du groupe, telles que les dépenses liées aux prestations de services support, au contrat avec la chaine de télévision Fashion TV et à la rémunération des deux co-gérants de la société-mère et du créateur du groupe et, d'autre part, de l'absence de facturation, par cette même société-mère, d'une redevance de marque, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
Lire en ce sens, C. Thomas, Article 57 du CGI – Prix de transfert : attention au fichier local !, Lexbase Fiscal, mars 2021, n° 857 (N° Lexbase : N6712BYA).

 

 

newsid:477979

Fiscalité des particuliers

[Focus] Niches fiscales : crédits et réductions d’impôts les plus utilisés par les personnes physiques

Lecture: 9 min

N8052BYU

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par Virginie Pradel, Fiscaliste

Le 23 Juin 2021


Mots-clés : impôts • contribuables • crédits d'impôt • niches fiscales 

L’annexe « Voies et Moyens tome II » associée au projet de loi de finances pour 2021 donne une information exhaustive sur les dispositifs de « dépenses fiscales ». Le montant des dépenses fiscales s’est élevé à près de 100 milliards d’euros en 2019 et s’élèverait à 89 milliards d’euros en 2020 et près de 86 milliards d’euros en 2021.

Parmi les dépenses fiscales se trouvent ce que l’on appelle communément les « niches fiscales ». Ces dernières peuvent être utilisées par les personnes morales comme par les personnes physiques.

Cet article a vocation à recenser les principales niches fiscales prenant la forme d’un crédit ou d’une réduction d’impôt pour les personnes physiques. S’y ajoute la déduction des dépenses de réparations et d’amélioration.


 

Niches fiscales

Chiffrage du coût pour 2021

(en euros)

Nombre de ménages bénéficiaires en 2019

Crédit d’impôt au titre de l’emploi d’un salarié à domicile

3,8 milliards

4,1 millions

Déduction des dépenses de réparations et d’amélioration

1,6 milliard 

Réduction d’impôt au titre des dons

1,5 milliard 

5,2 millions

Réductions d’impôt sur le revenu en faveur de l’investissement locatif intermédiaire (dispositifs Duflot et

Pinel)

1,2 milliard

Crédit d’impôt pour frais de garde des enfants âgés de moins de 6 ans

960 millions

1,7 million

Réduction d’impôt sur le revenu à raison des investissements productifs réalisés dans les départements et

collectivités d’outre-mer

430 millions

24 336

Crédit d’impôt pour la transition énergétique

390 millions

911 000

Réduction d’impôt pour frais de scolarité dans l’enseignement

secondaire

202 millions

2,2 millions

Réduction d’impôt pour frais de scolarité dans l’enseignement

supérieur

193 millions 

1,1 million

Réduction d’impôt sur le revenu au titre des investissements locatifs réalisés dans le secteur de la location meublée

non professionnelle

123 millions

59 000

Réduction d’impôt au titre des souscriptions en numéraire au capital initial ou aux augmentations de capital de PME

58 millions

38 446

Réduction d’impôt au titre de la prestation compensatoire versée sous forme d’argent ou d’attributions de biens ou de

droits ou sous forme de capital se substituant à des rentes

52 millions

20 070

Crédit d’impôt pour dépenses d’équipements de l’habitation principale en faveur de l’aide aux

personne

50 millions

64 521

Crédit d’impôt pour dépenses d’équipements de l’habitation principale en faveur de l’aide aux

personnes

45 millions

64 521

Réduction d’impôt au titre de la souscription de parts de fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI)

42 millions

24 656

Réduction d’impôt au titre des investissements effectués dans le secteur du logement social dans les départements et

34 millions

4 025

Réduction d’impôt sur le revenu au titre des dépenses de restauration d’immeubles bâtis situés dans les sites

patrimoniaux remarquables (SPR), les quartiers anciens dégradés, et les quartiers du Nouveau programme national de

renouvellement urbain (NPNRU) : Nouveau dispositif Malraux

30 millions

3 811

Réduction d’impôt au titre des souscriptions en numéraire, réalisées entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2020, au

capital de sociétés anonymes agréées ayant pour seule activité le financement d’œuvres cinématographiques ou

audiovisuelles

28 millions

7 300

Réduction d’impôt au titre de la souscription de parts de fonds d’investissement de proximité (FIP) investis dans les

entreprises corses

21 millions

8 192

Réduction d’impôt au titre de la souscription de parts de fonds d’investissement de proximité (FIP)

11 millions

13 782

Réduction d’impôt au titre de la souscription de parts de fonds d’investissement de proximité investis dans des

sociétés qui exercent leurs activités dans les départements et collectivités d’outre-mer (FIPOM)

8 millions

2 922

Crédit d’impôt sur le revenu pour travaux forestiers et rémunérations versées pour la réalisation de contrats de gestion

de bois et forêts jusqu’au 31 décembre 2020

6 millions

8 500

1. Crédit d’impôt au titre de l’emploi d’un salarié à domicile (CGI, art. 199 sexdecies-1 à 4 N° Lexbase : L3951I7H)

Cette niche fiscale a été utilisée par plus de 4,1 millions de ménages en 2019.

Le crédit d’impôt est accordé aux contribuables fiscalement domiciliés en France qui supportent des dépenses au titre de l’emploi direct d’un salarié, du recours à une association, une entreprise ou un organisme déclaré ou du recours à un organisme à but non lucratif habilité ayant pour objet l’aide à domicile, pour les services à la personne rendus à leur résidence située en France ou, sous certaines conditions, à celle de leurs ascendants.

Le crédit d’impôt est égal à 50 % des dépenses effectivement supportées, retenues dans une limite annuelle dont le montant varie selon que le contribuable répond ou a en charge une personne répondant à certaines conditions d’invalidité.

Les dépenses sont retenues dans la limite de 12000 euros, éventuellement majorée sous certaines conditions sans toutefois que ces majorations puissent porter le plafond au-delà de 15 000 euros. La limite est portée à 15 000 euros (ou 18 000 euros après majoration) sous condition pour la première année d’emploi direct d’un salarié à domicile. Elle est portée à 20 000 euros si l’un des membres du foyer fiscal du contribuable répond à certaines conditions d’invalidité.

La prise en compte de certaines dépenses est limitée :

  • à 500 euros par an et par foyer fiscal pour les dépenses relatives aux travaux de petit bricolage dits « hommes toutes mains » ;
  • à 3 000 euros par an et par foyer fiscal pour les dépenses relatives à l’assistance informatique et internet à domicile ;
  • à 5 000 euros par an et par foyer fiscal pour les dépenses relatives aux interventions de petits travaux de jardinage des particuliers.

À noter

Le bénéfice de l’aide est subordonné à la condition que l’employeur dispose des pièces justifiant du paiement des salaires et des cotisations sociales, de l’identité du bénéficiaire, de la nature et du montant des prestations réellement effectuées payées à l’association, l’entreprise ou l’organisme.

Ces pièces correspondent aux attestations établies par l’URSSAF s’il s’agit d’un emploi direct, ou par l’association, l’entreprise ou l’organisme déclaré ou l’organisme habilité dans les autres cas.

Elles sont conservées par l’employeur qui les produit à l’administration fiscale sur demande de sa part.

La déclaration expresse rédigée sur papier libre par le contribuable doit être jointe à la déclaration des revenus.

2. Réduction d’impôt au titre des dons (CGI, art. 200 N° Lexbase : L8675L43)

Cette niche fiscale a été utilisée par plus de 5 millions de ménages en 2019.

Les contribuables domiciliés en France qui effectuent des versements, dons ainsi que cotisations, ou qui abandonnent expressément des revenus ou produits au profit d’organismes définis à l’article 200 du CGI, bénéficient d’une réduction d’impôt.

Ouvrent droit à la réduction d’impôt les versements affectés à :

  • a) des fondations ou associations reconnues d’utilité publique, de fondations universitaires ou de fondations partenariales et, pour les seuls salariés des entreprises fondatrices ou des entreprises du groupe, au sens de l’article 223 A du CGI (N° Lexbase : L2208LYG), auquel appartient l’entreprise fondatrice, de fondations d’entreprise ;
  • b) des œuvres ou organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises ;
  • c) des établissements d’enseignement supérieur ou d’enseignement artistique, publics ou privés, à but non lucratif ;
  • d) des organismes agréés ayant pour objet exclusif de participer, par le versement d’aides financières, à la création d’entreprises ;
  • e) des associations cultuelles et de bienfaisance, ainsi que des établissements publics des cultes reconnus d’Alsace-Moselle ;
  • f) des organismes publics ou privés dont la gestion est désintéressée et qui ont pour activité principale la présentation au public d’œuvres dramatiques, lyriques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques et de cirque ou l’organisation d’expositions d’art contemporain, à la condition que les versements soient affectés à cette activité ;
  • g) à certains fonds de dotation ou à la Fondation du patrimoine, ou à une fondation ou association reconnue d’utilité publique agréée par le ministre chargé du budget.

Le taux de la réduction d’impôt sur le revenu est égal à 66 % du montant des sommes prises dans la limite d’un plafond global de 20 % du revenu imposable qui correspondent à des dons et versements, y compris l’abandon exprès de revenus ou produits, effectués par les contribuables domiciliés en France au sens de l’article 4 B du CGI au profit des œuvres ou organismes visés à l’article 200 du CGI.

Ce taux est porté à 75 % pour les versements, retenus dans la limite d’un plafond revalorisé chaque année, effectués au profit des organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté, qui contribuent à favoriser leur logement ou qui procèdent, à titre principal, à la fourniture gratuite des soins mentionnés au 1° du 4 de l’article 261 du CGI (N° Lexbase : L8686L4H) à des personnes en difficulté.

Ouvrent également droit à la réduction d’impôt les frais engagés dans le cadre d’une activité bénévole et en vue strictement de la réalisation de l’objet social des organismes visés au 1 de l’article 200 du CGI (N° Lexbase : L8675L43), lorsque ces frais, dûment justifiés, ont été constatés dans les comptes de l’organisme et que le contribuable a renoncé expressément à leur remboursement.

Les dons peuvent prendre la forme :

  • de versements en espèces ou en nature ;
  • de cotisations ;
  • d’abandons de revenus ou de produits.

À noter 

Le bénéfice de la réduction d’impôt sur le revenu n’est accordé qu’à la condition que le versement, quelle qu’en soit la forme, procède d’une intention libérale, c’est-à-dire sans contrepartie directe ou indirecte au profit de la personne qui l’effectue telle que cette notion est précisée par l’administration.

Le bénéfice de la réduction d’impôt est accordé sur présentation des justificatifs délivrés par l’organisme bénéficiaire des versements.

newsid:478052

Urbanisme - Plan local d'urbanisme

[Brèves] Protection du paysage : conditions d’institution d'un cône de vue dans un PLU

Réf. : CE 1° et 4° ch.-r., 14 juin 2021, n° 439453, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A00794WT)

Lecture: 2 min

N7983BYC

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par Yann Le Foll

Le 23 Juin 2021

Une commune peut décider d’instituer un cône de vue dans son PLU dans un but de protection du paysage mais uniquement de manière proportionnelle à l'objectif recherché.

Principe. Les articles L. 151-19 (N° Lexbase : L7824K9N) et L. 151-23 (N° Lexbase : L7823K9M) du Code de l'urbanisme, issus de l'ancien article L. 123-1-5 de ce code, permettent l'un et l'autre au règlement d'un plan local d'urbanisme (PLU) d'édicter des dispositions visant à protéger, mettre en valeur ou requalifier un élément du paysage dont l'intérêt le justifie.

Le règlement peut notamment, à cette fin, instituer un cône de vue ou identifier un secteur en raison de ses caractéristiques particulières.

La localisation de ce cône de vue ou de ce secteur, sa délimitation et les prescriptions le cas échéant définies, qui ne sauraient avoir de portée au-delà du territoire couvert par le plan, doivent être proportionnées et ne peuvent excéder ce qui est nécessaire à l'objectif recherché. Une interdiction de toute construction ne peut être imposée que s'il s'agit du seul moyen permettant d'atteindre l'objectif poursuivi.

Application – censure CAA. La cour administrative d’appel (CAA Nantes, 10 janvier 2020, n° 18NT03209 N° Lexbase : A00824WX) a jugé que la commune de Pornic avait pu, dans le règlement de son plan local d'urbanisme, établir, d'une part, un cône de vue excluant toute construction et, d'autre part, une « zone non aedificandi », qui interdit par nature toute construction, sans rechercher si ces interdictions, qui dérogent à la vocation d'une zone urbaine, constituaient, eu égard à l'ensemble des dispositifs existants, le seul moyen d'atteindre les objectifs recherchés, tels que relevés par les juges du fond, de valorisation des perspectives sur le littoral et de préservation de la frange littorale d'une urbanisation excessive.

Décision/conclusions. En prenant cette position, elle a ainsi commis une erreur de droit. Le rapporteur public Vincent Villette avait appelé à cette solution dans ses conclusions : « il apparaît alors que la cour de Nantes a commis l’erreur de droit qui lui est reprochée dans la mesure où les juges d’appel, après avoir validé le principe des cônes de vue, n’ont pas véritablement recherché si l’inconstructibilité litigieuse était la seule manière de préserver les perspectives sur le littoral depuis la rue ».

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le plan local d'urbanisme, La qualité urbaine, architecturale, environnementale et paysagère, in Droit de l’urbanisme, (dir. A. Le Gall), Lexbase (N° Lexbase : E0655E97).

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