La lettre juridique n°475 du 1 mars 2012

La lettre juridique - Édition n°475

Éditorial

Mademoiselle est morte, vive Madame !

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Renvoyant Proust à ses madeleines, le Premier ministre, d'un trait de plume, vient de mettre fin à la longue agonie de toutes ces femmes honteusement discriminées, à travers les siècles, par leur propre genre. Une circulaire du 21 février 2012 supprime, enfin, les termes "mademoiselle", "nom de jeune fille", "nom patronymique", "nom d'épouse" -et "nom d'époux", au nom de l'égalité- des formulaires et correspondances de l'administration. Après la disparition du neutre au profit des mairesses et sous-préfètes, progressivement disparaît le trait grammatical féminin, pour que la linguistique suive l'emprise de cette "théorie du genre", si controversée, selon laquelle l'individu n'est pas déterminé exclusivement par son sexe biologique, mais aussi par tout un "environnement socioculturel et une histoire de vie", par déconstructivisme de la pensée de Foucault et de Derrida -voyez-vous donc-.

Alors que Simone de Beauvoir pensait que l'on "ne naît pas femme, on le devient", on naît désormais madame, sans le devenir pour autant, sans passer par la case "mademoiselle" au terme de laquelle le futur mari touchait une dot coquette de vingt mille francs. Ainsi donc, à côté de son oncle et de sa vareuse de tous les jours, Marcel P. est-il désormais certain que la jeune femme qui achevait de manger une mandarine était une dame, quitte à ce que cet état administratif policé ne le fasse plus rougir et qu'il ose, dès lors, tourner les yeux de son côté sans peur d'avoir à lui parler... Admettons que la madeleine manque un peu de sel...

Et, que dire de la "Grande Mademoiselle" ? D'un coup de baguette administrative, voilà Anne Marie Louise d'Orléans propulsée "Madame" ! Le problème est double, pensez donc : de "Grande Madame", il n'y en a qu'une, Marie de Bourbon, duchesse de Montpensier, sa mère, qui -je vous le donne dans le mille- est la femme du "Grand Monsieur", Gaston, frère du roi ; et ne verrait-on pas Henriette d'Angleterre prendre la mouche, elle qui est, de droit, "Madame", femme de "Monsieur", frère du nouveau roi ! Surtout, mademoiselle de Montpensier est-elle connue, dans l'Histoire de France, comme le meilleur parti de son temps, dont la fortune et les titres en dot faisaient envier Louis XIV, au point d'envoyer Lauzun à Pignerol, pour lui passer l'envie de faire d'elle, justement, une dame. Alors, si Mademoiselle était, en fait, Madame, ce n'est à plus rien n'y comprendre...

Pensez, aussi, à ces Frosine et toutes ces marieuses ! Sans distinction de statut marital, comment voulez-vous qu'elles fassent leur office ? Remarquez, puisqu'aux termes de la dernière jurisprudence, un homme marié peut, sans préjudice, obtenir une rencontre amoureuse, pourquoi une dame ne le pourrait-elle pas ?

Du moins, nous en connaissons certaines qui doivent se retourner dans leurs tombes, et point des moins féministes! Est-ce que madame de Staël eut fait la même carrière littéraire, si elle était demeurée mademoiselle, que dis-je, madame Necker ? Son père était illustre, mais son mari, bien mal arrangé qu'il fut, lui a offert plus par le statut de madame, que par son titre patronymique : la liberté d'être une femme moderne et avant-gardiste, épouse des Lumières plus que des convenances. Pour Germaine, se débarrasser du statut de demoiselle avait un sens, annonçant sa grande liberté malgré l'exil. Et, sans avoir été mademoiselle Necker auparavant, Germaine aurait-elle pu devenir, tout simplement, madame de Staël ? Quant à madame Bovary, c'est bien parce qu'Emma avait épousé Charles et que, devenant ainsi madame à Thionville, avec toute sa cohorte de frustrations et de dégoût pour la fatalité, elle est entrée au panthéon littéraire. C'est donc bien ce passage marital, cette transsubstantiation de mademoiselle devenant madame, qui firent de ces femmes, les rebelles de leur temps. A l'inverse, et pourtant dans le même sens, il n'est point certain que Gabrielle Chanel, dite "mademoiselle" eut goûté au plaisir forcé de devenir ainsi "madame". Si Coco, loin d'être pucelle, jouait sa partition avec Stravinsky, tout en se faisant appeler mademoiselle, c'est bien qu'elle abhorrait l'institution du mariage et les chaînes qui l'accompagnaient. Voilà donc les visées féministes d'une demoiselle pour le moins engagée... D'autres, enfin, ont écarté définitivement le problème en devenant Saintes, et il n'est point question de savoir si Jeanne était dame ou demoiselle d'Arc. Mais, on conviendra que la solution est difficile à appliquer au plus grand nombre...

Et, la Grande Nanon, si chère à Balzac et à Etienne Grandet, de s'emmêler les pinceaux, clamant, page 36, que Madame "se marierait dans l'année" ! Quand l'égalitarisme va se nicher dans la chambre à coucher... Il est peut-être temps, en fait, pour les hommes d'être plus gents damoiseaux, que messieurs les censeurs de l'égalité salariale, sociale, religieuse et politique. Ce n'est pas parce qu'un mot disparaît par circulaire, que la souffrance fruit de l'inégalité en est pour autant fossoyée.

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Avocats/Gestion de cabinet

[Le point sur...] Sociétés de participations financières de professions libérales d'avocats : mode d'emploi

Lecture: 6 min

N0481BTY

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 01 Mars 2012

Depuis la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 (N° Lexbase : L0256AWE) qui a modifié l'article 5-1 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 (N° Lexbase : L3046AIN), il est possible de créer des sociétés holdings désignées sous le terme de sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL) dont l'objet principal est la prise de participations dans des structures d'exercice libéral. Les dispositions relatives aux SPFPL ont été également modifiées par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 (N° Lexbase : L7957DNZ) qui a élargi leur objet social. Enfin, la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées (N° Lexbase : L8851IPI), a complété le dispositif. Véritables holdings de cabinets divers, les sociétés de participations financières libérales (SPFPL) ont pour objet exclusif la détention des parts ou actions de sociétés d'exercice libéral. Il s'agit donc de sociétés dont l'objet se limite à la détention de titres -ce qui en fait des sociétés patrimoniales- et non de sociétés professionnelles. L'article 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 précise les caractéristiques que doivent présenter les SPFPL. A l'exclusion de son objet social, la SPFPL emprunte beaucoup au régime de la société d'exercice libéral (SEL). Objet. Aux termes de l'article 31-1 de la loi n° 90-1258, les SPFPL d'avocats ont principalement pour objet la détention de parts ou d'actions de sociétés d'exercice libéral (SEL) exerçant la profession d'avocats, ainsi que la participation à tout groupement de droit étranger ayant pour objet l'exercice de cette profession. La loi n'ayant pas prévu d'exceptions à cet égard, les SCP sont donc exclues du champ des structures dans lesquelles la SPFPL peut investir. Il en est de même des sociétés en participation (SEP) et des associations d'avocats.

Ces sociétés peuvent avoir des activités accessoires en relation directe avec leur objet et destinées exclusivement aux sociétés ou aux groupements dont elles détiennent des participations.

La loi de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées a inséré un article 31-2 au texte du 31 décembre 1990 donnant aux SPFPL la possibilité d'avoir pour objet la détention de parts ou d'actions de SEL poursuivant non plus l'exercice d'une seule et même profession mais l'exercice de plusieurs professions réglementées différentes : avocats, notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs judiciaires, expert-comptable, commissaire aux comptes ou conseil en propriété industrielle. Cette possibilité a également été prévue pour les groupements de droit étranger ayant pour objet l'exercice de l'une de ces professions judiciaires ou juridiques réglementées.

Dénomination sociale. La dénomination sociale de ces sociétés doit, outre les mentions obligatoires liées à la forme de la société, être précédée ou suivie de la mention "Société de participations financières de profession libérale" elle-même suivie de l'indication des professions exercées par les sociétés faisant l'objet d'une prise de participation.

Forme. Les SPFPL d'avocats sont commerciales par la forme et civiles par leur objet. Elles peuvent être constituées sous la forme de sociétés à responsabilité limitée (SARL), de sociétés anonymes (SA), de sociétés par actions simplifiées (SAS) ou de sociétés en commandite par actions (SCA), régies par le livre II du Code de commerce, sous réserve des dispositions contraires de la loi du 31 décembre 1990.

Capital et droits de vote. Plus de la moitié du capital et des droits de vote doit être détenue par des personnes exerçant leur profession au sein des sociétés faisant l'objet d'une prise de participation. Le complément peut être détenu par :

- des personnes physiques ou morales exerçant la ou les professions constituant l'objet social de ces sociétés, sous réserve, s'agissant des personnes morales, du caractère civil de leur objet social et de la détention exclusive du capital et des droits de vote par des membres et anciens membres de professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi que leurs ayants droit ;

- pendant un délai de dix ans, des personnes physiques qui, ayant cessé toute activité professionnelle, ont exercé cette ou ces professions au sein de l'une de ces sociétés ;

- les ayants droit des personnes physiques mentionnées ci-dessus pendant un délai de cinq ans suivant leur décès ;

- des personnes exerçant la ou les professions constituant l'objet social ;

- des ressortissants des Etats membres de l'Union européenne, des autres Etats parties à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, qui exercent en qualité de professionnel libéral, dans l'un de ces Etats membres ou parties ou dans la Confédération suisse, une activité soumise à un statut législatif ou réglementaire ou subordonnée à la possession d'une qualification nationale ou internationale reconnue et dont l'exercice constitue l'objet social de l'une des sociétés ou de l'un des groupements faisant l'objet d'une prise de participation.

Constitution. Ce sont les dispositions du décret n° 93-492 modifié qui trouvent à s'appliquer, tant que le décret d'application de l'article 31-2 de la loi du 31 décembre 1990, modifiée par celle du 28 mars 2011, n'aura pas été publié.

Ainsi, en l'état actuel du droit, les SPFPL peuvent être constituées par des avocats appartenant ou non à un même barreau.

Peuvent également y être associés :

- pendant un délai de dix ans, des personnes physiques qui, ayant cessé toute activité professionnelle, ont exercé la profession d'avocat ;

- les ayants droit des personnes physiques précitées, pendant un délai de cinq ans suivant leur décès ;

- des personnes exerçant une profession judiciaire ou juridique soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé.

La société est constituée sous la condition suspensive de son inscription sur une liste spéciale du tableau de l'Ordre établi auprès du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est fixé son siège.

La demande d'inscription de la société est présentée collectivement par les associés, qui désignent un mandataire commun, au Bâtonnier.

Elle est accompagnée d'un dossier qui doit comprendre à peine d'irrecevabilité :

- un exemplaire des statuts de la société ;

- une attestation du greffier chargé de la tenue du registre du commerce et des sociétés du lieu du siège social constatant le dépôt au greffe de la demande et des pièces nécessaires à l'immatriculation ultérieure de la société ;

- la liste des associés avec indication, selon le cas, de leur profession ou de leur qualité, suivie, pour chacun, de la mention de la part du capital qu'il détient dans la société.

La demande est, le cas échéant, accompagnée d'une note d'information désignant les sociétés d'exercice libéral d'avocats dont les parts sociales ou actions seront détenues, à sa constitution, par la société de participations financières de profession libérale et précisant la répartition du capital qui résulte de ces participations pour chacune d'entre elles.

Le conseil de l'Ordre statue sur la demande d'inscription dans les conditions prévues aux articles 102 et 103 du décret du 27 novembre 1991 (décret n° 91-1197, organisant la profession d'avocat N° Lexbase : L8168AID). Ainsi, le conseil de l'Ordre statue sur la demande d'inscription dans les deux mois à compter de la réception de la demande. Aucun refus d'inscription ou de réinscription ne peut être prononcé par le conseil de l'Ordre sans que le mandataire commun ait été entendu ou appelé dans un délai d'au moins huit jours par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Immatriculation. L'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés est régie par le décret du 30 mai 1984 (décret n° 84-406, relatif au registre du commerce et des sociétés N° Lexbase : L6533BHG). A la diligence des associés, une ampliation de la décision d'inscription de la société est adressée au greffe du tribunal où a été déposée la demande d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Au reçu de cette ampliation, le greffier procède à l'immatriculation et en informe le Bâtonnier de l'Ordre auprès duquel la société est inscrite. Il est à noter que la société est dispensée de procéder aux formalités de publicité prévues aux articles 281 et suivants du décret du 23 mars 1967 (N° Lexbase : L2644AHE).

Fonctionnement. La SPFPL d'avocats doit faire connaître au Bâtonnier, dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle il se produit, tout changement dans la situation déclarée en application de l'article 48-4 du décret du 25 mars 1993, avec les pièces justificatives.

Si, en raison des changements dans la situation déclarée, la société de participations financières de profession libérale d'avocats cesse de se conformer aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, elle est mise en demeure par le Bâtonnier de régulariser la situation dans le délai indiqué par la mise en demeure. Si, à l'expiration de ce délai, la société n'a pas régularisé la situation, le conseil de l'Ordre prononce la radiation par une décision motivée qui est notifiée à la société ainsi qu'au procureur général par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Une mesure de radiation ne peut être prise qu'après que les associés ou leur mandataire ont été mis à même de présenter leurs observations.

La décision du conseil de l'Ordre statuant en matière de radiation est susceptible d'un recours à l'initiative du procureur général ou de la société.

Dissolution. La radiation de la société emporte dissolution de la SPFPL d'avocats. A la diligence du Bâtonnier, une expédition de la décision définitive prononçant la radiation de la société de la liste spéciale du tableau de l'Ordre est versée au dossier ouvert au nom de la société au greffe chargé de la tenue du registre du commerce et des sociétés.

La dissolution de la société, lorsqu'elle ne résulte pas de la radiation, est portée à la connaissance du Bâtonnier à la diligence du liquidateur. Le liquidateur est choisi parmi les associés de la société de participations financières de profession libérale. En aucun cas les fonctions de liquidateur ne peuvent être confiées à un associé ayant fait l'objet d'une peine disciplinaire. Plusieurs liquidateurs peuvent être désignés. Le liquidateur procède à la cession des parts ou actions que la société de participations financières de profession libérale d'avocats détient dans la ou les sociétés d'exercice libéral.

Le liquidateur informe le Bâtonnier ainsi que le greffier chargé de la tenue du registre du commerce et des sociétés où est immatriculée la société de la clôture des opérations de liquidation.

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Communautaire

[Jurisprudence] Chronique de droit communautaire - Février 2012

Lecture: 10 min

N0523BTK

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 29 Février 2012

Au cours du mois de février 2012, la Cour de justice a rendu deux très intéressantes décisions relatives à l'interprétation de la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, plus connue sous le nom de Convention d'Aarhus, en date du 25 juin 1998, conclue par l'Union européenne en 2005 via la décision 2005/370/CE du Conseil du 17 février 2005 (JOCE, n° L 124 du 17 mai 2005). Sa mise en oeuvre en droit de l'Union a été assurée par les différentes révisions de la Directive (CE) 85/337 du Conseil du 27 juin 1985, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement (N° Lexbase : L9615AUN) (JOCE, n° L 175 du 5 juillet 1985, p. 40), désormais codifiées (Directive (UE) 2011/92 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement (N° Lexbase : L2625ISZ) (JOUE, n° L 26 du 28 janvier 2012, p. 1), et par la Directive (CE) 2003/4 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003, concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement et abrogeant la Directive 90/313/CEE du Conseil (N° Lexbase : L4791A9C) (JOUE, n° L 41 du 14 février 2003, p. 26). La première affaire concernait l'accès aux informations environnementales dans le cadre des procédures législatives (CJUE, 14 février 2012, aff. C-204/09), et la seconde l'application de la Directive (CE) 85/337 du 27 juin 1985 à une loi de validation (CJUE, 16 février 2012, aff. C-182/10).

En l'espèce, la société X souhaitait obtenir des informations sur les conditions dans lesquelles l'Agence fédérale pour l'environnement, autorité responsable de l'échange des quotas d'émission de gaz à effet de serre, a adopté des décisions d'allocation de ces quotas pour les années 2005 à 2007. Elle a donc demandé au ministère fédéral de l'Environnement, de la Protection de la nature et de la Sûreté nucléaire, de lui transmettre des informations relatives à la procédure législative dans le cadre de laquelle a été adoptée la loi allemande sur l'allocation des quotas d'émission de gaz à effet de serre pour la période 2005 à 2007. Il s'agissait donc, d'abord, de savoir si la faculté laissée aux Etats par l'article 2, paragraphe 2, de la Directive (CE) 2003/4 du 28 janvier 2003, de ne pas considérer comme autorités publiques les "organes ou institutions agissant dans l'exercice de pouvoirs [...] législatifs" peut s'appliquer aux ministères dans le cadre de leur participation à la procédure législative (A). La juridiction allemande invitait, ensuite, la Cour de justice à déterminer si cette dérogation jouait après l'achèvement de la procédure législative (B). En dernier lieu, elle sollicitait une interprétation de l'article 4, paragraphe 2, a) de la Directive, qui prévoit que "les Etats membres peuvent prévoir qu'une demande d'informations environnementales peut être rejetée lorsque la divulgation des informations porterait atteinte [...] à la confidentialité des délibérations des autorités publiques, lorsque cette confidentialité est prévue en droit" (C).

A - Afin de savoir si un ministère, dans le cadre de sa participation à la procédure législative, relève, ou non, de l'exception visée à l'article 2, paragraphe 2, de la Directive (CE) 2003/4, la Cour de justice rappelle, d'abord, que les notions utilisées par cette disposition doivent être interprétées de manière autonome afin d'assurer l'application uniforme du droit de l'Union. Elle ajoute que cet article, parce qu'il énonce une exception aux règles posées dans la Directive, doit être interprété strictement afin de ne pas "étendre ses effets au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la protection des intérêts qu'il vise à garantir", et précise que "la portée des dérogations qu'il prévoit doit être déterminée en tenant compte des finalités de ladite Directive" (point n° 38).

Pour la Cour de justice, l'objectif de la Convention d'Aarhus, comme de la Directive (CE) 2003/4, est de garantir le droit d'accès aux informations environnementales détenues par les "autorités publiques". La lettre de l'article 2, paragraphe 2, de la Directive, qui ne fait que reprendre les formules employées par l'article 2, paragraphe 2, de la Convention, implique que cette notion désigne uniquement les autorités administratives. La Cour retient donc une définition fonctionnelle des "organes ou institutions agissant dans l'exercice de pouvoirs [...] législatifs". En raison de la grande disparité des procédures législatives nationales, cette définition fonctionnelle est seule garante de l'uniformité d'application de la Directive. L'autonomie constitutionnelle des Etats est ici la meilleure garante de l'unité du droit de l'Union.

Cette solution est tout à fait cohérente au regard du droit français. En effet, les actes des autorités exerçant le pouvoir exécutif dans le cadre de la procédure législative ne sont pas considérés comme des actes administratifs, mais comme des actes de Gouvernement. Il en va, ainsi, de la décision de soumettre, ou non, un projet de loi au Parlement (CE, 29 novembre 1968, n° 68938, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0111B9Y, Rec., p. 607), ou bien encore de la promulgation d'une loi (CE, 3 novembre 1933, Desreumeaux, Rec., p. 993).

B - Déterminer si cette exception au profit des organes exerçant le pouvoir législatif jouait même après la fin de la procédure législative n'était pas aisé pour la Cour de justice, car cette question n'était abordée ni par la Convention d'Aarhus, ni par la Directive (CE) 2003/4. La Cour de Luxembourg rappelle, tout d'abord, que cette exclusion "se justifie par la nécessité de permettre aux Etats membres d'assurer le bon déroulement de la procédure législative telle que prévue par les règles constitutionnelles nationales" (point n° 54). Dès lors, elle estime que, "si la mise à disposition d'informations environnementales dans le cours de la procédure législative, dans les conditions prévues à l'article 3 de la Directive (CE) 2003/4, peut être de nature à entraver le bon déroulement de cette procédure, il n'en va, en principe, plus ainsi une fois que ladite procédure est parvenue à son terme. Au demeurant, les documents afférents à celle-ci et, en particulier, les rapports parlementaires sont, généralement, accessibles au public" (point n° 55).

Ensuite, la Cour rappelle qu'en cas de difficultés, les Etats pourront toujours se prévaloir de l'article 4 de la Directive (CE) 2003/4 qui énumère un certain nombre de dérogations au droit d'accès à l'information environnementale. L'Etat dispose, ainsi, d'autres moyens de préserver le secret de l'information.

C - L'article 4, paragraphe 2, a) de la Directive (CE) 2003/4 prévoit que "les Etats membres peuvent prévoir qu'une demande d'informations environnementales peut être rejetée lorsque la divulgation des informations porterait atteinte [...] à la confidentialité des délibérations des autorités publiques, lorsque cette confidentialité est prévue en droit". Or, la loi allemande de transposition de cette Directive prévoyait qu'il était possible de refuser l'accès aux informations si cette communication portait atteinte à "la confidentialité des délibérations d'autorités soumises à l'obligation d'information". Cette formulation est donc fort vague au regard des dispositions de la Directive qui exige que cette confidentialité doit être prévue en droit. Le juge allemand souhaitait donc savoir si la seule disposition de la loi allemande de transposition pouvait fonder un refus de communication, ou s'il fallait qu'existe, par ailleurs, une disposition spécifique du droit allemand prévoyant explicitement la confidentialité des délibérations de l'autorité publique auxquelles les informations étaient réclamées.

C'est très logiquement la seconde interprétation qui est retenue par la Cour de justice : "le législateur de l'Union a, de toute évidence, voulu qu'existe dans le droit national une règle explicite et dont la portée est exactement déterminée et non pas seulement un contexte juridique général" (point n° 61). Dès lors, bien qu'il ne soit pas exigé que soient précisées toutes les conditions dans lesquelles une telle exception peut jouer, la Cour estime qu'au moins "il convient que les autorités publiques ne puissent déterminer unilatéralement les circonstances dans lesquelles la confidentialité visée à l'article 4, paragraphe 2, de la Directive (CE) 2003/4 est opposable, ce qui implique, notamment, que le droit national établisse clairement la portée de la notion de délibérations' des autorités publiques visée à cette disposition, qui renvoie aux étapes finales des processus décisionnels des autorités publiques" (point n° 63). Sans se montrer trop exigeante à l'égard des pouvoirs publics nationaux, la Cour oeuvre, ainsi, en faveur de la sécurité juridique.

  • La Convention d'Aarhus et les validations législatives (CJUE, 16 février 2012, aff. C-182/10 N° Lexbase : A5812ICA)

Dans cette affaire, le Parlement wallon avait validé un permis d'urbanisme accordé par l'autorité administrative pour la construction, notamment, de l'aéroport de Charleroi. Cette validation législative, fondée sur des "motifs impérieux d'intérêt général", avait logiquement pour effet de soustraire le contrôle de la légalité du permis de construire au Conseil d'Etat belge. La seule juridiction compétente était, alors, la Cour constitutionnelle qui ne pouvait examiner ce décret de validation du Parlement wallon qu'au regard des règles constitutionnelles. Différentes questions étaient posées à la Cour de justice. Les principales consistaient à examiner si une telle validation législative relevait, ou non, du champ d'application de la Directive (A), et dans quelles conditions les décisions ou inactions qui relèvent du champ d'application de la Directive (CE) 85/337 du 27 juin 1985, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement (N° Lexbase : L9615AUN), devaient faire l'objet d'un contrôle juridictionnel (B).

A - Il s'agissait donc, tout d'abord, de savoir si la décision du Parlement wallon relevait de l'article 1er, paragraphe 5, de la Directive (CE) 85/337, selon lequel "la présente Directive ne s'applique pas aux projets qui sont adoptés en détail par un acte législatif national spécifique, les objectifs poursuivis par la présente Directive, y compris l'objectif de la mise à disposition d'informations, étant atteints à travers la procédure législative". La Convention d'Aarhus ne s'applique pas, elle-même, aux "pouvoirs judiciaires ou législatifs" (article 2, paragraphe 2, in fine). Selon les dispositions de la Directive, pour qu'un projet décidé par un acte législatif soit exclu de son champ d'application, il y a donc deux conditions. La Cour estime que l'exclusion prévue par la Convention d'Aarhus a en substance "une teneur semblable à celle de la Directive" (point n° 42).

D'abord, le projet doit avoir été adopté "en détail" par un acte législatif. Or, dans cette affaire de validation législative, le diable était effectivement dans les détails. La Cour rappelle qu'il s'agit d'adopter le projet "de manière suffisamment précise et définitive, de sorte que l'acte législatif adoptant celui-ci doit comporter, à l'instar d'une autorisation, après leur prise en compte par le législateur, tous les éléments du projet pertinents au regard de l'évaluation des incidences sur l'environnement" (point n° 33). Il convenait donc que le décret législatif comprenne lui-même les éléments nécessaires à l'évaluation des incidences de ce projet sur l'environnement, ou qu'il nécessite l'adoption d'autres actes pour ouvrir au maître d'ouvrage le droit de réaliser le projet.

Ensuite, la procédure législative doit permettre d'atteindre les objectifs poursuivis par la Directive (CE) 85/337. Outre, l'information du public, le principal objectif recherché est celui de l'évaluation de l'impact environnemental du projet. Le maître d'ouvrage doit donc mettre à la disposition du législateur différentes informations : "une description du projet comportant des informations relatives à son site, à sa conception et à ses dimensions, une description des mesures envisagées pour éviter et réduire des effets négatifs importants et, si possible, y remédier, ainsi que les données nécessaires pour identifier et évaluer les effets principaux que le projet est susceptible d'avoir sur l'environnement" (point n° 37). La Cour de justice ne voit pas d'inconvénient à ce que soient transmises au pouvoir législatif les informations qui avaient initialement été fournies aux autorités administratives.

Bien qu'elle renvoie au juge national le soin de s'assurer que ces deux conditions sont bien remplies, la Cour de justice prévient qu'"un acte législatif qui ne ferait que ratifier' purement et simplement un acte administratif préexistant, en se bornant à faire état de motifs impérieux d'intérêt général sans l'ouverture préalable d'une procédure législative au fond qui permette de respecter lesdites conditions, ne peut être considéré comme un acte législatif spécifique au sens de cette disposition, et ne suffit donc pas pour exclure un projet du champ d'application de la Directive 85/337".

B - Dans l'hypothèse où le décret législatif du Parlement wallon pourrait ne pas être exclu du champ d'application de la Directive (CE) 85/337 et de la Convention d'Aarhus, il restait, alors, à déterminer comment s'assurer, en droit national, de l'effectivité des règles de la Directive. Ces textes prévoient, en effet, que les décisions ou inactions qui relèvent de leur champ d'application doivent pouvoir faire l'objet d'un contrôle juridictionnel qui porte aussi bien sur la procédure suivie que le fond. La Cour de justice considère que cette exigence doit être mise en oeuvre dans le cadre du principe de l'autonomie procédurale des Etats membres. Elle rappelle donc que, sous réserve des principes d'équivalence et d'effectivité, il appartient à l'ordre juridique national de déterminer les juridictions compétentes et les modalités procédurales applicables aux voies de droit ouvertes mises en place.

Dès lors, pour la Cour de justice, l'effet utile de la Directive comme de la convention implique que, si un acte législatif a adopté un projet, il doit exister une procédure juridictionnelle nationale susceptible d'examiner s'il entre, ou non, dans le champ d'application de ces textes. Cette procédure juridictionnelle nationale doit avoir pour objet de vérifier que l'acte législatif remplit bien les conditions posées à l'article 1er, paragraphe 5, de la Directive (CE) 85/337. La Cour de justice en conclut donc de manière assez ambiguë que, dans l'hypothèse où aucun recours ne serait ouvert à l'encontre d'un tel acte, il appartiendrait à toute juridiction nationale saisie dans le cadre de sa compétence d'examiner si l'acte remplit, ou non, ces conditions et donc, le cas échéant, de le laisser inappliqué.

L'intérêt pratique en contentieux administratif français de cette solution de la Cour est assez limité. Car, si le projet a été adopté par une loi de validation, celle-ci vaut autorisation. Elle ne sera dès lors, pas mise en oeuvre par des actes administratifs subséquents et il n'y aura donc guère de moyen de lier le contentieux et, par conséquent, de saisir la juridiction administrative "dans le cadre de sa compétence". Pour que cette solution de la Cour de justice soit effective, il faut impérativement qu'existent des actes administratifs consécutifs afin que la juridiction administrative contrôle la conventionalité de la loi de validation au regard de la Directive (CE) 85/337 et de la Convention d'Aarhus. On peut, également, estimer que cet arrêt de la Cour de justice implique que le Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l'article 61 de la Constitution (N° Lexbase : L0890AHG) d'une loi de validation d'un tel projet, contrôle cette loi non pas seulement au regard de la Constitution, mais aussi au regard de la Directive et de la Convention précitées. Il s'agirait ici d'une intéressante exception à la jurisprudence "IVG" aux termes de laquelle le Conseil constitutionnel ne contrôle pas la conventionalité des lois (Cons. const., décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 N° Lexbase : A7913AC3).

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Concurrence

[Panorama] Panorama d'actualité en droit de la concurrence (juillet à novembre 2011) Freshfields Bruckhaus Deringer : table des matières

Lecture: 2 min

N0558BTT

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Le 01 Mars 2012

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, un numéro spécial "Droit de la concurrence". Les membres du Groupe Concurrence parisien de Freshfields Bruckhaus Deringer (sous la direction de Jérôme Philippe et Maria Trabucchi, avocats associés, avec la collaboration de Jérôme Fabre et Jean-Nicolas Maillard, Counsels, Amélie Alduy, Clémentine Baldon, Jérémy Bernard, France-Hélène Boret, Christine Chansenay, Karima El Sammaa, François Gordon, Aude-Charlotte Guyon, Amandine Jacquemot, Delphine Liégeon, avocats à la cour) ont donc sélectionné l'essentiel de l'actualité législative et jurisprudentielle qui a émaillé la matière au cours des mois de juillet à novembre 2011, présentée sous la forme de six panoramas thématiques :
- législation de l'Union européenne ;
- jurisprudence de l'Union européenne - Cour de justice de l'Union européenne ;
- jurisprudence de l'Union européenne - Tribunal de première instance de l'Union européenne ;
- jurisprudence de l'Union européenne - Commission européenne ;
- jurisprudence française - Cour de cassation ;
- jurisprudence française - Autorité de la concurrence.
  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (juillet à novembre 2011), Freshfields Bruckhaus Deringer : législation de l'Union européenne (N° Lexbase : N0518BTD)

- Communication de la Commission européenne du 20 octobre 2011, concernant les bonnes pratiques relatives aux procédures d'application des articles 101 et 102 du TFUE (texte en anglais)
- Publication par la Commission européenne, le 8 novembre 2012, de "best practices" pour le traitement des concentrations transfrontalières à notifications multiples (texte en anglais)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (juillet à novembre 2011) Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence de l'Union européenne - Cour de justice de l'Union européenne (N° Lexbase : N0524BTL)

- CJUE, 21 juillet 2011, aff. C-506/08 P (N° Lexbase : A0622HWX)
- CJUE, 28 juillet 2011, aff. C-403/10 P (N° Lexbase : A8892HWA)
- CJUE, 29 septembre 2011, aff. C-521/09 P (N° Lexbase : A1160HYM)
- CJUE, 13 octobre 2011, aff. C-439/09 (N° Lexbase : A7357HY7)
- CJUE, 6 octobre 2011, aff. C-302/09 (N° Lexbase : A5926HY7)
- CJUE, 13 octobre 2011, aff. C-454/09 (N° Lexbase : A7358HY8)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (juillet à novembre 2011) Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence de l'Union européenne - Tribunal de première instance de l'Union européenne (N° Lexbase : N0525BTM)

- TPIUE, 14 juillet 2011, aff. T-189/06 (N° Lexbase : A0527HWG)
- TPIUE, 14 juillet 2011, aff. T-190/06 (N° Lexbase : A0528HWH)
- TPIUE, 9 septembre 2011, aff. T-12/06 (N° Lexbase : A7234HX9)
- TPIUE, 12 octobre 2011, aff. T-224/10 (N° Lexbase : A7344HYN)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (juillet à novembre 2011), Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence de l'Union européenne - Commission européenne (N° Lexbase : N0530BTS)

- Commission européenne, communiqué de presse IP/11/1193 du 14 octobre 2011
- Commission européenne, communiqué de presse IP/11/1214 du 19 octobre 2011

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (juillet à novembre 2011), Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence française - Cour de cassation (N° Lexbase : N0554BTP)

- Cass. com., 12 juillet 2011, n° 10-17.482, FS-P+B (N° Lexbase : A0389HWC)
- Cass. civ. 1, 6 octobre 2011, n° 10-10.800, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5941HYP)
- Cass. com., 21 juin 2011, n° 09-67.793, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2991HUC)
- Cass. com., 2 novembre 2011, n° 10-21.103, FS-P+B (N° Lexbase : A5184HZZ)
- Cass. com., 15 novembre 2011, n° 10-20.527, F-D (N° Lexbase : A9370HZ3)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (juillet à novembre 2011), Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence française - Autorité de la concurrence (N° Lexbase : N0542BTA)

- Aut. conc., avis n° 11-A-15 du 29 septembre 2011 (N° Lexbase : X0156AKY)
- Aut. conc., avis n° 11-A-15 du 29 septembre 2011 (N° Lexbase : X0157AKZ)
- Aut. conc., décision n° 11-D-12 du 20 septembre 2011 (N° Lexbase : X9818AIH)
- Aut. conc., décision n° 11-D-10 du 6 juillet 2011 (N° Lexbase : X9397AIU)

Freshfields Bruckhaus Deringer

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État civil

[Jurisprudence] "Titeuf" contraire à l'intérêt de l'enfant : "c'est pô juste !"

Réf. : Cass. civ. 1, 15 février 2012, n° 10-27.512, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4000IC7)

Lecture: 8 min

N0520BTG

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

Le 01 Mars 2012

Par un arrêt du 15 février 2012, la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté, en se fondant sur le pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, le pourvoi contre l'arrêt d'appel qui avait interdit à des parents de prénommer leur enfant "Titeuf"... Cette décision, d'ailleurs estampillée FS-P+B+I par la Cour de cassation elle-même, mérite une attention particulière en ce qu'elle constitue la seule décision de la Haute juridiction relative au contrôle du choix par les parents du prénom de leur enfant instauré par la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993, modifiant le Code civil, relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant et instituant le juge aux affaires familiales (N° Lexbase : L8449G8G) (I), contrôle fondé sur l'intérêt de l'enfant apprécié souverainement par les juges du fond (II). I - Le contrôle du choix par les parents du prénom de leur enfant

Droit au prénom. Le prénom constitue un élément essentiel de l'identité de l'enfant, notamment afin d'être individualisé dans le cadre de sa famille. La Cour européenne des droits de l'Homme reconnaît un droit au prénom fondé sur le droit à la vie privée et familiale de l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR) (1).

Titulaires du choix du prénom. Selon l'article 57 du Code civil (N° Lexbase : L8839G9A), "les prénoms de l'enfant sont choisis par ses père et mère". Ce choix est donc une conséquence directe de l'établissement de la filiation. Il reste que, concrètement, l'officier d'état civil mentionne dans l'acte de naissance les prénoms indiqués par le déclarant sans vérifier que ce choix a reçu l'assentiment des deux parents. S'il est d'usage de donner plusieurs prénoms, la formulation de l'article 57 ne paraît pas imposer la pluralité. En outre, alors qu'elle n'a pas, par hypothèse, établi sa filiation à l'égard de l'enfant, la mère qui a accouché sous X peut choisir les prénoms de l'enfant, lesquels seront inscrits sur l'acte de naissance (2).

Liberté de choix. Le choix des parents est libre depuis la loi du 8 janvier 1993, qui a posé l'intérêt de l'enfant et le droit des tiers comme seules limites à ce choix autrefois limité aux saints du calendrier et aux personnages historiques (3). Cette évolution s'inscrit dans la conformité de la jurisprudence européenne. La Cour de Strasbourg considère, en effet, que le contrôle par l'Etat du choix du prénom de l'enfant par ses parents qui "revêt un caractère intime et affectif, et entre donc dans la sphère privée de ces derniers", constitue une atteinte au droit à la vie privée. Cette atteinte doit donc poursuivre un but légitime et être proportionnée (4). Toutefois, dans son arrêt du 24 octobre 1996, la Cour, tout en admettant que les requérants aient pu être affectés par le refus du prénom qu'ils avaient choisi pour leur fille, considère que ces désagréments ne sont pas suffisants pour constituer une violation de l'article 8 de la Convention. La Cour note, par ailleurs, que les juridictions françaises ont notamment fondé leur décision sur l'intérêt de l'enfant.

Limites. Ce dernier critère est au coeur du mécanisme de contrôle du choix du prénom par les parents. Le prénom lui-même, ainsi que la combinaison du prénom et du nom, ne doivent pas être contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille. Il convient de noter que le Code civil n'impose pas de vérifier que le prénom choisi par les parents est conforme à l'intérêt de l'enfant, mais seulement que ce prénom n'est pas contraire à l'intérêt de l'enfant, "ce qui change sensiblement l'étendue du contrôle judiciaire" (5).

Procédure. Le contrôle de la conformité du prénom à l'intérêt de l'enfant repose sur un système relativement complexe : l'officier d'état civil ne peut en effet refuser d'inscrire le prénom choisi par les parents ; mais s'il l'estime contraire à l'intérêt de l'enfant, il en avise le procureur de la République qui, le cas échéant, saisit à son tour le juge aux affaires familiales (6), lequel peut en ordonner la suppression sur les registres de l'état civil. Si les parents invités à faire un nouveau choix n'y procèdent pas, le juge attribue à l'enfant un prénom qu'il détermine lui-même, mention de cette décision étant portée en marge de l'acte de naissance de l'enfant. En l'espèce, lorsque Dominique X et Isabelle Y ont déclaré vouloir prénommer leur fils, né le 7 novembre 2009, "Titeuf, Gregory, Léo", l'officier d'état civil, en l'occurrence le maire de le commune, a informé le procureur de la République que le choix du premier prénom, "Titeuf", lui paraissait contraire à l'intérêt de l'enfant ; sur le fondement de l'article 57 du Code civil, le Parquet a fait assigner les parents afin de voir prononcer la suppression du prénom "Titeuf" ; par jugement du 1er juin 2010, le tribunal de grande instance de Pontoise, se fondant sur l'intérêt de l'enfant, a ordonné la suppression du prénom "Titeuf" de son acte de naissance et dit qu'il se prénommera "Grégory, Léo" ; la cour d'appel de Versailles a confirmé cette solution dans un arrêt du 7 octobre 2010 (7). Dans sa décision du 15 février 2012, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cette décision au motif que "c'est par une appréciation souveraine qu'en une décision motivée la cour d'appel a estimé qu'il était contraire à l'intérêt de l'enfant de le prénommer Titeuf ; que le moyen qui ne tend en réalité qu'à contester cette appréciation ne peut être accueilli".

II - L'appréciation souveraine de l'intérêt de l'enfant par les juges du fond

Absence de contrôle de la Cour de cassation. La formulation lapidaire de l'arrêt du 15 février 2012 exprime très clairement le refus, au demeurant parfaitement logique, de la Cour de cassation de contrôler l'appréciation de l'intérêt de l'enfant dans le cadre du choix de son prénom. Il s'agit, en effet, d'apprécier concrètement l'intérêt de l'enfant de porter tel ou tel prénom, ce qui ne saurait constituer une question de droit mais bien une question de fait exclusive du contrôle de la Cour de cassation. Dans l'arrêt du 15 février 2012, cette dernière ne répond pas à l'argument du pourvoi selon lequel le refus de la cour d'appel serait contraire aux articles 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL) et 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR).

Faiblesse du contentieux. Les décisions rendues en la matière par les juges du fond sont relativement rares, vraisemblablement parce que les procureurs de la République réussissent le plus souvent, le cas échéant, à convaincre les parents de modifier leur choix avant d'entamer une procédure judiciaire.

Prénoms admis. Les rares décisions rendues montrent qu'il est fait un usage modéré du pouvoir judiciaire de contrôle du choix des parents. La circulaire du 3 mars 1993, relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant (N° Lexbase : L9081H3Q) (8), précise que doivent être refusés "les prénoms ayant une apparence ou une consonance péjorative ou grossière, ceux difficiles à porter en raison de leur complexité ou de la référence à une personnage déconsidéré dans l'histoire". La cour d'appel de Besançon (9) a ainsi accepté le prénom "Zébulon" au motif que, n'étant d'apparence ni ridicule ni péjorative ou grossière, ni relatif à un personnage déconsidéré de l'histoire ou de la littérature, il n'était pas contraire à l'intérêt de l'enfant. La cour d'appel de Bordeaux (10) a également admis le prénom "Canta", certes choisi en hommage à un chanteur devenu meurtrier, au motif que la célébrité du chanteur n'est pas destinée à perdurer dans les mémoires et que le prénom a une consonance latine, évoquant le chant... Le Professeur Teyssié (11) cite, en outre, parmi les prénoms admis, "Anémone", "Toulouse", "Clio", "Gilau", "Bryan", "Goarnic" ou "Tokalie" (12). La cour d'appel de Rennes a même considéré que s'appeler "Mégane Renaud" n'était pas contraire à l'intérêt de l'enfant (13).

Prénoms refusés. Ont, en revanche, été notamment refusés selon le Professeur Malaurie : "Assedic", "Babar", ou "Aude" dès lors que le nom de famille était "Vaisselle"... (14).

"Titeuf". Dans sa décision du 7 octobre 2010, la cour d'appel de Versailles a rappelé, au préalable, que le choix du prénom par les parents revêt pour eux un caractère intime et affectif et qu'il entre dans la sphère de leur vie privée laquelle est garantie par la CESDH ; mais elle a également affirmé que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants conformément à l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, applicable directement devant les tribunaux français. Elle en a justement déduit qu'il convenait de rechercher si le prénom "Titeuf" est ou non conforme à l'intérêt de l'enfant.

Appréciation in concreto. La cour reprend l'appréciation des juges de premier instance qui ont pris en considération le fait que "Titeuf" est présenté comme un garnement pas très malin dont les principales préoccupations concernent les relations avec les filles et le sexe -l'ouvrage intitulé "guide du zizi sexuel" est directement associé à ce personnage dont la naïveté et l'ignorance concernant le sexe sont tournées en dérision-. Même si les magistrats admettent que le personnage est plutôt sympathique, ils constatent qu'il est destiné à faire rire le public en raison de sa naïveté et des situations ridicules dans lesquelles il se retrouve. Selon la cour d'appel, "c'est donc à bon droit et par des motifs exacts et pertinents que le premier juge a considéré que le prénom Titeuf n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant au motif qu'il est de nature à attirer les moqueries tant de la part des enfants que des adultes en raison de la grande popularité du personnage en France depuis plusieurs années, et que l'association du prénom Titeuf au personnage de pré-adolescent naïf et maladroit risque de constituer un réel handicap pour l'enfant devenu adolescent puis adulte, tant dans ses relations personnelles que professionnelles". L'appréciation concrète des juges du fond repose ainsi sur une analyse précise et détaillée de l'intérêt présent et futur de l'enfant en cause à porter le prénom de "Titeuf".

Eléments extérieurs. Certaines décisions ont fondé leur refus d'un prénom sur des éléments extérieurs à l'enfant. Ainsi, la cour d'appel d'Angers, dans une décision du 12 janvier 2011 (15) avait-elle eu à juger de la contrariété à l'intérêt de deux jumeaux du choix par leur mère de prénoms très proches, le premier devant porter comme premier prénom "Dyclan" tandis que le premier prénom du second serait "Dylan". Le juge aux affaires familiales avait, en première instance, considéré que ce choix était de nature à provoquer une confusion identitaire entre les enfants et avait ordonné que le second enfant porte un autre prénom. La mère avait finalement opéré un autre choix plus conforme à l'exigence de différenciation des enfants qui a été entériné par la cour d'appel.

Le tribunal de grande instance de Bordeaux a, également, dans un jugement du 20 mars 2008 (16), refusé que soit attribué comme prénom à un enfant le nom de famille de la concubine de sa mère. La juridiction bordelaise se fonde, toutefois, sur une motivation prudente et peu détaillée, selon laquelle, malgré "la volonté morale légitime de la mère d'établir une relation à l'autre parent moral", le choix du prénom "ne paraît pas conforme à l'intérêt de l'enfant au regard de son étrangeté en tant que prénom" et "méconnaît les droits des tiers à voir protéger leur nom de famille".


(1) CEDH, 24 octobre 1996, Req. 52/1995/558/644 (N° Lexbase : A8339AWR), JCP éd. G, 1997, I, 4000, obs. F. Sudre.
(2) C. civ., art. 57, al. 1er.
(3) Une jurisprudence relativement tolérante avait cependant admis l'attribution à titre de prénom de prénoms de personnages de romans ou de théâtre, voire des noms de lieux ou de fleurs en limitant toutefois ces possibilités par l'appréciation de l'intérêt de l'enfant : notamment Cass. civ. 1, 10 juin 1981, n° 80-11.600 (N° Lexbase : A5009IDU), D., 1982, p. 160, note E. Agostini ; RTDCiv., 1981, p. 832, obs. R. Nerson et J. Rubellin-Devichi, qui admet le prénom "Cerise".
(4) CEDH, 24 octobre 1996, préc..
(5) M. Lamarche, Choix du prénom et intérêt de l'enfant : de l'appréciation subjsetcive des parents à l'appréciation objective des juges, Dr. fam., 2010, Focus n° 1.
(6) Cette action du parquet contre l'attribution d'un prénom est une action contentieuse : Cass. civ. 1, 14 décembre 2004, n° 02-20.080, F-P+B (N° Lexbase : A4656DE8), RTDCiv., 2005, p. 362, obs. J. Hauser.
(7) CA Versailles, 1ère ch., 1ère sect., 7 octobre 2010, n° 10/04665 (N° Lexbase : A6920GBW).
(8) JO du 24 mars 1993, p. 4551.
(9) CA Besançon, 16 novembre 1999, D., 2001, p. 1133, note C. Phlippe et F. Pouëch.
(10) CA Bordeaux, 22 octobre 2009, n° 08/06835 (N° Lexbase : A7641GG4), obs. M. Lamarche, préc..
(11) Droit civil, Les personnes, Litec, 2010,12ème éd., n° 290.
(12) CA Caen, 30 avril 1998, RTDCiv., 1999, p. 813, obs. J. Hauser.
(13) CA Rennes, 4 mai 2000, JCP éd. G, 2001, IV, 2655.
(14) Cités par P. Malaurie et L. Aynès, Les personnes, Defrénois, 2010, n° 122.
(15) CA Angers, 1ère ch., sect. B, 12 janvier 2011, n° 10/00565 (N° Lexbase : A4460GQA).
(16) TGI Bordeaux, 20 mars 2008, Proc. Rép. Bordeaux c/ Claudine Maryse G., Dr. fam., 2008, Focus n° 29, obs. M. Lamarche.

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises

Lecture: 15 min

N0478BTU

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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 29 Février 2012

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique a trait, tout d'abord, à la notion d'entreprise nouvelle, dont on sait qu'elle génère un contentieux significatif entre les contribuables et l'administration fiscale, tant les enjeux pour les finances publiques sont importants (CAA Lyon, 5ème ch., 5 janvier 2012, n° 11LY00572, inédit au recueil Lebon). Par l'arrêt commenté, le juge décide que, en l'absence de production d'un contrat de transfert, l'entreprise est considérée exercer une activité nouvelle. Puis, le juge judiciaire prend position quant à "l'exonération Sarkozy" instituée en 2004, et pour laquelle un certain nombre d'opérations de "ventes à soi-même" ont été initiées sous l'oeil sourcilleux de Bercy (Cass. com., 17 janvier 2012, n° 11-11.587 et n° 11-11.580, F-D). Ainsi, l'exonération des droits de mutation réservée aux cessions de clientèle intervenues entre le 16 juin 2004 et le 31 décembre 2005 ne bénéficie pas au médecin qui "cède sa clientèle" à une association s'il la dirige. Enfin, s'agissant de l'activité des marchands de biens, un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon nous offre un florilège de rectifications proposées par l'administration fiscale (CAA Nancy, 2ème ch., 12 janvier 2012, n° 10NC00703, inédit au recueil Lebon) en matière, notamment, d'évaluation d'immeubles. Dans toutes ces décisions commentées, et profitant d'une digression culturelle à l'heure de la mondialisation (1), on songera à cet autre continent où l'harmonie et la sérénité semblent guider les relations entre les contribuables et l'administration fiscale (2) : tout un monde lointain (3) ...
  • Entreprises nouvelles : faute de contrat de transfert, une entreprise placée sous le régime de l'article 44 sexies du CGI exerce une activité nouvelle (CAA Lyon, 5ème ch., 5 janvier 2012, n° 11LY00572, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8464IAQ)

Les entreprises nouvelles représentent un enjeu considérable pour les différents acteurs économiques : outre que les professions réglementées et les "conseils" divers et variés (4) tentent de les séduire, les collectivités territoriales, présentes -elles aussi- dans les salons professionnels consacrés à la création d'entreprise, cherchent à y favoriser leur implantation. Ces localisations savamment choisies (Bernard Plagnet, Le régionalisme fiscal ou l'émiettement ?, Bulletin Fiscal, Francis Lefebvre, novembre 2003 (5)) permettent de se prévaloir, toutes choses égales par ailleurs, d'une exonération substantielle d'impôt pendant un certain laps de temps.

Illustration de l'interventionnisme fiscal permettant l'émergence de fers de lance économiques, les dispositions fiscales codifiées à l'article 44 sexies du CGI (N° Lexbase : L5610H9N) permettent aux entreprises nouvelles soumises au réel à raison, notamment, de leurs activités industrielles, commerciales ou artisanales, de se prévaloir d'une exonération totale -mais plafonnée- des bénéfices et des plus-values (6) réalisés jusqu'au terme du vingt-troisième mois suivant celui de la création de l'entreprise. Puis, un abattement de 25 %, 50 % et 75 % au cours de trois périodes de douze mois assure une sortie progressive de ce régime d'exception, sauf pour les entreprises créées dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), qui bénéficient d'un retour au régime de droit commun sur neuf ans après le terme d'une période d'exonération spécifique de cinq ans.

Or, ce régime dérogatoire au droit commun alimente, depuis sa mise en oeuvre, un contentieux très important, témoignant ainsi des enjeux économiques tant pour les contribuables qui en bénéficient que pour les finances publiques. En effet, pour écarter l'application de ce régime dérogatoire, la loi et la jurisprudence exigent, notamment, que l'activité soit industrielle, commerciale ou artisanale -ce qui exclut les activités civiles (CE 3° et 8° s-s-r., 29 décembre 2004, n° 255831, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2286DGR ; v. cependant l'hypothèse d'une activité constituant le complément indissociable d'une activité principale exonérée : CE 9° s-s., 31 mars 2006, n° 262218, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9431DNM)- mais également, s'agissant des sociétés, que le capital de la société nouvelle ne soit pas détenu, pour plus de 50 %, par d'autres sociétés dès la création de la société (CE 9° et 7° s-s-r., 8 août 1990, n° 57977, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4774AQU), et tant que l'entreprise entend profiter de ce régime de faveur, ce qui signifie, par conséquent, que cette condition doit être remplie pour chaque exercice concerné (CE 8° et 3° s-s-r., 17 octobre 2003, n° 241128, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8438C9E). Le législateur n'entend pas non plus permettre à certaines entreprises de profiter des dispositions avantageuses prévues par l'article 44 sexies du CGI pour favoriser leur restructuration d'activités préexistantes (CE 8° et 9° s-s-r., 31 janvier 1997, n° 146264, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7960AD8), ni même leur extension (CE 9° et 10° s-s-r., 10 novembre 2004, n° 250639, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8904DD7), ou encore leur reprise quelles qu'en soient l'ampleur, la date et les modalités (CE 8° et 3° s-s-r., 18 mai 2005, n° 270343, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3553DIG).

En l'espèce, après avoir été licencié, en 2004, de la société qu'il avait créée en 1991 et dont il détenait 35 % des titres jusqu'en 2004, un contribuable va constituer une autre société, en septembre de la même année. Un an plus tard, cette entreprise nouvelle va embaucher trois anciens salariés de la société concurrente.

Il est intéressant de noter qu'un conflit a surgi entre les deux sociétés entraînant la saisine de la juridiction consulaire pour concurrence déloyale : rappelons que le droit de communication peut être une source d'information pour l'administration fiscale qui peut l'exercer auprès de l'autorité judiciaire (LPF, art. L. 101 N° Lexbase : L7897AE9), sans que le contribuable ne puisse exiger le suivi d'un formalisme particulier, notamment un dépôt préalable d'une demande de communication émanant de l'administration fiscale (CE 8° et 3° s-s-r., 22 mai 2002, n° 231105, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8251AYA) qui ne saurait, en tout état de cause, vicier la procédure si ce dépôt préalable existait (CE 8° et 3° s-s-r., 27 avril 2009, n° 308444, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6417EGR). L'arrêt ne dit pas si ce droit de communication a été mis en oeuvre mais, pour écarter le raisonnement suivi par le vérificateur et annulé le jugement rendu en première instance, la juridiction d'appel s'est appuyée sur un faisceau d'indices permettant de déduire que la société requérante était bien une entreprise nouvelle au sens de l'article 44 sexies du CGI. C'est ainsi que la cour administrative d'appel de Lyon va retenir un ensemble d'éléments démontrant l'analyse particulièrement poussée des faits et des actes juridiques soumis à sa censure :
- l'extrait du registre du commerce et des sociétés où était définie l'activité de l'entreprise nouvelle qui s'était placée sous ce texte dérogatoire. La qualité de rédaction des statuts dans une telle occurrence est -une fois encore- d'une importance capitale ;
- même si l'activité des deux entreprises était partiellement ou totalement identique, l'activité de la société initiale n'en a pas souffert, puisque son chiffre d'affaires n'a pas significativement baissé pendant les années litigieuses ;
- il n'y a aucune preuve au dossier tendant à démontrer une concertation entre les deux sociétés quant à un transfert de clientèle, même si la société nouvellement créée réalisait une part très importante de son chiffre d'affaires avec les anciens clients de la société initiale ;
- il n'y a eu aucun transfert concerté et immédiat du personnel, l'embauche de trois anciens salariés de la société initiale n'étant effective qu'un an après la création de la nouvelle société, quand bien même ces salariés auraient travaillé entre-temps pour une entreprise sous-traitante de la société requérante (v. pour une illustration, outre la reprise d'une part significative du personnel et des moyens matériels : CE 9° et 10° s-s-r., 23 mars 2005, n° 259211, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3914DHG).

De plus, la cour administrative d'appel retient que, en l'absence de communauté d'intérêts et de lien d'une quelconque nature entre les deux sociétés concurrentes, la création de la nouvelle société ne peut être qualifiée de reprise d'une activité préexistante, dès lors qu'elle résulte du "libre jeu de la concurrence". Cette dernière expression a déjà été utilisée par les juges du fond dans une espèce relative à la création d'une entreprise de courtage en vins dont l'administration -désavouée par le juge de l'impôt- considérait qu'il s'agissait d'une reprise d'une activité préexistante du père de la contribuable (CAA Lyon, 2ème ch., 7 juillet 2006, n° 01LY02578, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5993DQZ).

Pour conclure, et sous réserve d'un pourvoi en cassation autorisant le Conseil d'Etat à examiner le droit mais également les faits (CJA art. L. 821-2 (7) N° Lexbase : L3298ALQ), s'il décide de censurer l'arrêt d'appel, on pourrait être tenté de conseiller aux associés, dans de telles circonstances, de recourir, lors de la création de leur société, au rescrit qui permet de solliciter l'administration afin de lui opposer l'opinion juridique qu'elle formulera (LPF art. L. 80 B N° Lexbase : L4375IQ4). Sans nul doute, le rescrit (8), jusqu'alors "belle au bois dormant" de la procédure fiscale, remporte un vif succès ces dernières années (9). Les rescrits particuliers, distincts du rescrit général (LPF art. L. 80 B 1°), concernent également les entreprises nouvelles. D'ailleurs, la doctrine suggère d'y recourir (Thierry Lambert, Le rescrit : oui mais..., BF mars 2008 : "peut-être aurait-il été judicieux, dès que le dossier se mettait en place, d'ouvrir une procédure de rescrit ? L'administration n'aurait très certainement pas accepté la solution du contribuable. Celui-ci aurait pu modifier son projet. Qui, du contribuable ou de l'administration, y aurait le plus à gagner et le moins à perdre ?"). Mais l'invitation à modifier le projet du contribuable suppose que ce dernier se trompe au regard de l'interprétation des textes et que, corrélativement, seule la position de l'administration est, sur le plan juridique, la bonne : en d'autres termes, le service ne peut pas commettre d'erreur lorsqu'il émet un rescrit négatif. Or, sauf à solliciter, depuis le 1er juillet 2009 (10), un nouvel examen du rescrit (LPF art. L. 80 CB N° Lexbase : L4725ICY) et en supposant que la position de l'administration serait maintenue, la lecture de cet arrêt, véritable camouflet pour l'administration fiscale, jette un trouble dans l'océan des certitudes véhiculées par le service lorsqu'il prend position au moyen d'un rescrit alors que, in fine, le projet d'entreprise était, selon le juge, parfaitement éligible aux dispositions de l'article 44 sexies du CGI. Dans ce cas d'espèce, c'est le contribuable qui y aurait eu vraisemblablement le plus à y perdre.

Afin de soutenir la consommation et l'investissement, et plus précisément de "favoriser le maintien des activités de proximité, notamment dans les centres villes ou les zones rurales, en levant un obstacle fiscal aux transferts et reprises des petites entreprises" (instruction du 25 février 2005, BOI 4 B-1-05 N° Lexbase : X9107ACB), le législateur a prévu une exonération des plus-values professionnelles pour les cessions intervenues entre le 16 juin 2004 et le 31 décembre 2005 (loi n° 2004-804 du 9 août 2004 N° Lexbase : L0814GTC).

Ancêtre de l'actuel article 238 quindecies du CGI (N° Lexbase : L3104HNB), en vigueur depuis le 1er janvier 2006, les dispositions de l'article 238 quaterdecies du même code (N° Lexbase : L4932HLA) furent modifiées substantiellement en décembre 2004 afin d'interdire les "ventes à soi-même", à la suite d'une pratique professionnelle jugée abusive par l'administration fiscale (loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 N° Lexbase : L5204GUB) : à compter du 1er janvier 2005, "le cédant ne doit pas être dans l'une, au moins, des situations suivantes : a) Le cédant, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité défini à l'article 515-1 du Code civil, leurs ascendants et descendants, leurs frères et soeurs détiennent ensemble, directement ou indirectement, plus de 50 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société, de la personne morale ou du groupement cessionnaire ; b) Le cédant exerce en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement cessionnaire" (CGI art. 238 quaterdecies N° Lexbase : L4934HLC). De plus, l'exonération est remise en cause si le cédant vient à se trouver dans l'une ou l'autre de ces situations à un moment quelconque au cours des trois années qui suivent la réalisation de la cession.

Le dispositif d'exonération portait sur l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés, et exonérait les plus-values réalisées dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale lors d'une cession à titre onéreux et portant sur une branche complète d'activité, dont la valeur n'excédait pas 300 000 euros.

Pour y prétendre, des conditions étaient imposées : le cédant devait être une entreprise dont les résultats étaient soumis à l'impôt sur le revenu ou un organisme sans but lucratif ; ou bien une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale, ou l'un de leurs établissements publics ; ou une société dont le capital était entièrement libéré et détenu de manière continue, pour 75 % au moins, par des personnes physiques, ou par des sociétés dont le capital était détenu, pour 75 % au moins, par des personnes physiques.

Précisons que, par principe, s'agissant du champ d'application matériel de l'article 238 quaterdecies du CGI : "les professionnels libéraux exerçant à titre individuel ou les structures dans lesquelles ils exercent, peuvent, notamment, bénéficier de l'exonération d'impôts sur les bénéfices des plus-values professionnelles" (QE n° 51223 de Mme Pavy Béatrice, JOAN 16 novembre 2004, p. 8939, réponse publ. le 26 avril 2005, p. 4268, 12ème législature N° Lexbase : L4187G8L). Mais "les cessions ayant pour objet un refinancement d'activité ne peuvent bénéficier de l'exonération des plus-values de cession d'une branche complète d'activité" (QE n° 56287 de M. Léonard Gérard, JOAN 25 janvier 2005, p. 671, réponse publ. le 7 juin 2005, p. 5856, 12ème législature, N° Lexbase : L5621G93). En clair, les "ventes à soi-même" sont interdites, bien qu'une telle expression n'ait aucune signification pour un juriste : au titre d'un même acte juridique, quand bien même une personne physique signerait en son nom et au nom de la société dont il serait le représentant légal, la personne morale cessionnaire du bien et le cédant personne physique sont bien deux personnes distinctes intervenant chacune à l'acte ès qualités. Parfois reprise par la doctrine juridique (M. Cozian, Vente à soi-même d'un cabinet médical et exonération "Sarkozy" : abus de droit ou effet d'aubaine ?, Dr. fisc., ét. 204, 13 mars 2008), cette expression ne peut que traduire une vision purement économique des contrats conclus par les parties faisant fi de la personnalité morale des sociétés, dont l'administration fiscale n'hésite pas à s'emparer afin de sauvegarder ses intérêts (v. par exemple l'amendement "Charasse" en matière d'intégration fiscale (11) ou encore en matière de location-gérance (12)).

La prudence s'imposait donc, d'autant que l'article 238 quaterdecies avait fait l'objet d'une instruction dans laquelle l'administration menaçait tout contribuable y recourant des foudres de l'abus de droit dans l'hypothèse où il ne se conformerait pas aux objectifs de la loi (instruction du 25 février 2005, BOI 4 B-1-05 précitée (13), § 57 ; LPF, art. L. 64 N° Lexbase : L4668ICU).

Outil de dissuasion (Frédéric Dal Vecchio, L'opposabilité des conventions de droit privé en droit fiscal, Thèse Paris XIII, 2009, § 19), les positions adoptées par la doctrine administrative furent rapidement suivies d'effets sur le terrain : les deux arrêts du 17 janvier 2012 en témoignent (Cass. com., 17 janvier 2012, n° 11-11.587 N° Lexbase : A1418IB7 et n° 11-11.580, F-D N° Lexbase : A1367IBA). C'est ainsi que deux médecins, qui exerçaient leur profession selon un contrat d'exercice conjoint "sans intégration ni mise en commun de la clientèle", ont conclu, le 31 décembre 2004, avec un troisième confrère, un contrat d'association -qualifié de "société de fait", ce qui est juridiquement inconcevable (14)- avec mise en commun des honoraires au 1er janvier 2005. Le même jour, une autre convention prévoyait la cession d'un cabinet à cette société nouvellement constituée, tout en se prévalant des dispositions du CGI prévoyant une exonération des droits de mutation (CGI art. 724 bis N° Lexbase : L7939HLM ; CGI art. 1595 bis N° Lexbase : L0665HML), ce qui explique que ces litiges aient été portés devant le juge judiciaire (LPF art. L. 199 N° Lexbase : L8478AEQ). Cependant, ces derniers textes subordonnent leur application à la double condition de maintenir l'activité pendant cinq ans et que l'opération entre bien dans le champ d'application de l'article 238 quaterdecies du CGI. Des opérations de contrôle fiscal externe furent diligentées, entraînant une rectification portant sur les plus-values professionnelles lesquelles, par ricochet, ont induit une modification des droits d'enregistrement. Constatant la dénaturation des conventions conclues entre les parties, la Cour régulatrice casse et renvoie les deux arrêts rendus par la cour d'appel de Limoges (CA Limoges, 25 novembre 2010, n° 09/00266, N° Lexbase : A2151GMM et n° 09/00265 N° Lexbase : A2150GML, inédits au recueil Lebon) aux visa des articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et 238 quaterdecies du CGI. D'une part, la cour d'appel a retenu que la vente du cabinet était parfaite le 31 décembre 2004 -ce qui signifiait qu'elle était soumise à la législation applicable aux cessions entre le 16 juin 2004 et le 31 décembre 2004- compte tenu de l'accord des parties sur la chose et le prix, alors que le contrat de cession stipulait bien que la cession du cabinet ne produirait ses effets qu'au 1er janvier 2005. Par conséquent, elle ne pouvait pas être soumise à la législation applicable jusqu'alors et devait nécessairement satisfaire les dispositions votées à la fin de l'année 2004, applicable au 1er janvier 2005, interdisant les "ventes à soi-même". D'autre part, à la lecture de la convention, il apparaissait clairement que chacun des associés participait à la gestion de l'entreprise. Par conséquent, le cédant, qui avait un pouvoir de direction, ne remplissait pas la seconde condition (15) précitée prévue par l'article 238 quaterdecies du CGI. Le contrat, qui est la loi des parties, a été appliqué dans toute sa rigueur par la Cour de cassation.

Alors que le marché du conseil juridique et fiscal est constamment investi par des professionnels qui ne cessent d'émettre des revendications en ce sens afin "de monter en gamme" (Le Monde Argent, 8 février 2012, p. 6 et 7 (16)), bien qu'ils ne soient pas des juristes à titre principal, ces deux arrêts sont à méditer par les rédacteurs d'actes et autres "conseils" avec leurs assureurs respectifs : de remarquables sinistres en perspective.

  • Fiscalité immobilière : florilèges de chefs de rectifications opérés par l'administration fiscale (CAA Nancy, 2ème ch., 12 janvier 2012, n° 10NC00703, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5392IAX)

L'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Nancy concernait un marchand de biens ayant fait l'objet d'une attention soutenue de l'administration fiscale puisque cette dernière avait déjà, pour les mêmes raisons, émis un précédent redressement à son encontre. Ces deux événements ont justifié le prononcé d'une majoration de 40 % pour manquement délibéré (17) (CGI, art. 1729 N° Lexbase : L4733ICB) dès lors que le contribuable avait déclaré des produits de sous-location dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, alors qu'ils devaient être rattachés aux bénéfices industriels et commerciaux. En effet, l'administration prend en compte l'accomplissement conscient d'une infraction qui ne pouvait, en l'espèce, être ignorée puisque, d'une part, le contribuable réitérait une même faute (instruction du 19 février 2007, BOI 13 N-1-07, n° 84 N° Lexbase : X8206ADB ; comp. pour un contribuable qui ne pouvait ignorer le caractère imposable de sommes importantes qu'il avait omis de mentionner dans ses déclarations : CE 3° et 8° s-s-r., 29 juillet 2002, n° 220728, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0739A47) et, d'autre part, le contribuable était un professionnel de l'immobilier (pour un programme immobilier : CE 8° s-s., 26 novembre 2007, n° 289789, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9644DZ9 ; pour un marchands de biens : CE 8° et 3° s-s-r., 27 février 2006, n° 257964, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3963DN4).

Sur le fond, plusieurs chefs de redressements étaient reprochés au contribuable associé de plusieurs sociétés civiles immobilières (SCI). Parmi eux, l'administration fiscale entendait s'appuyer sur la théorie de l'acte anormal de gestion (CE 7°, 8° et 9° s-s-r., 27 juillet 1984, n° 34588, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7122ALD), dès lors qu'un immeuble avait été vendu pour un montant sous-évalué sans apporter d'éléments permettant d'apprécier la valeur vénale de l'immeuble vendu au regard d'autres immeubles comparables situés dans le même secteur. Si la jurisprudence a déjà sanctionné, sur le terrain de l'acte anormal de gestion, une société civile de construction-vente ayant vendu un bien immobilier pour un prix inférieur à la valeur vénale (CAA Lyon, 4ème ch., 26 juin 1997, n° 95LY00897, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3212BG3), il appartenait toutefois à l'administration fiscale d'apporter la preuve de l'anormalité de l'acte considéré (cf. arrêt du 27 juillet 1984 précité ; v. également dans le même sens : CAA Bordeaux, 4ème ch., 12 décembre 2002, n° 99BX00357, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6222A49). Une telle preuve faisant défaut au cas particulier, les juges du fond censurent logiquement le redressement émis en conséquence. De plus, s'agissant de frais (18) engagés par deux SCI sur des immeubles à vocation commerciale -et non des immeubles d'habitation- mais qui n'avaient pas pour objectif d'améliorer l'accueil des personnes handicapées ni d'assurer une protection contre les effets de l'amiante, ces frais n'ont pas été considérés comme des dépenses d'entretien déductibles des bases imposables (instruction du 23 mars 2007, BOI 5 D-2-07 N° Lexbase : X8382ADS) (19), mais comme des dépenses d'amélioration n'ouvrant pas droit à déduction (v. pour un immeuble affecté à l'exploitation d'une clinique dans l'hypothèse d'une dissociation des travaux d'entretien et ceux effectués au titre de l'amélioration de l'immeuble : CAA Lyon, 2ème ch., 10 juin 1998, n° 94LY21156, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0217BG7). Enfin, s'agissant de la qualification juridique à retenir pour les produits de la sous-location immobilière d'un immeuble déclarés au titre des bénéfices non commerciaux, la cour administrative d'appel retient, à l'appui des dispositions de l'article 155 du CGI (N° Lexbase : L0427IPI) (20), qu'un marchand de biens immobiliers exerçant à titre prépondérant dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (CGI, art. 35 N° Lexbase : L1129HLE) doit également y rattacher les produits de sous-location d'un immeuble, dès lors qu'est rapportée l'existence d'un lien étroit entre l'activité professionnelle précitée et cette location. La cour applique les deux critères jurisprudentiels tenant, d'une part, en l'étroitesse entre l'activité commerciale et l'activité non commerciale, et en retenant, d'autre part, la prépondérance de l'activité commerciale (rapp. s'agissant d'un architecte percevant des honoraires mais se livrant également à une activité de marchands de biens : CE 9° et 7° s-s-r., 26 octobre 1977, n° 98438, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8110B8U).


(1) "Le Japon est pour sa part le 10ème investisseur en France mais le premier investisseur asiatique, avec 2 % du total des IDE entrants et des groupes tels que Ricoh et Toyota. Sur le plan commercial, le Japon est notre 13ème client commercial (2ème en Asie derrière la Chine) et notre 11ème fournisseur en 2010", Direction Générale du Trésor, lire ici.
(2) "Mes deux clubs étaient gérés d'une façon qui forçait l'admiration de mon inspecteur des impôts en personne, et ils jouissaient d'une excellente réputation", Haruki Murakami, Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil, 10/18, 2003, p. 89.
(3) Concerto pour violoncelle, Henri Dutilleux. Charles Baudelaire, La Chevelure, Les Fleurs du mal.
(4) Certaines compagnies d'assurances offrent même "un audit gratuit" relatif à la création d'entreprise.
(5) "Au total, les zones prioritaires concernent environ 38 millions d'habitants et il faut y ajouter la Corse ainsi que les départements d'outre-mer qui bénéficient d'une fiscalité plus favorable [...] Autrement dit, près des deux tiers de la population se trouve dans une zone prioritaire ! Une telle proportion a des allures de caricature !", Bernard Plagnet, op. cit., § 8.
(6) A l'exclusion des plus-values constatées lors de la réévaluation des éléments d'actifs.
(7) "S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut soit renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l'affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie. Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire".
(8) Le rescrit fait l'objet de deux instructions du 4 octobre 2010, d'un total d'une centaine de pages (BOI 13 L-10-10 N° Lexbase : X7843AGL ; BOI 13 L-11-10 N° Lexbase : X7844AGM).
(9) 21 000 rescrits en 2010 (DGFiP, Rapport d'activité 2010, p. 12) dont plus de 400 ont été publiés sur internet par l'administration fiscale.
(10) Loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, de finances rectificative pour 2008 (N° Lexbase : L3784IC7).
(11) "Pour Monsieur Olivier Sivieude [directeur de la Direction des vérifications nationales et internationales], l'amendement Charasse' est un dispositif anti-abus, mis en place en 1988, pour éviter que des opérations que l'on peut qualifier de vente à soi-même au sein d'un groupe de sociétés ne permettent de créer des charges et des déficits artificiels. En cas de vente à soi-même au sein d'un même groupe fiscal intégré, il n'y a pas de raison d'appliquer ce dispositif, une telle cession étant neutre, dès lors qu'elle implique une sortie et une entrée de trésorerie au sein du même groupe fiscal intégré", Varii auctores, Panorama des redressements fiscaux, Compte rendu de la 10ème conférence annuelle organisée le 20 juin 2008, Dr. fisc., 2008, comm. 549.
(12) "la loi bannit les cessions à soi-même', seules les véritables cessions à des tiers ayant les faveurs du législateur", S. Nonorgue, Sortir de la location-gérance du fonds de commerce : implications et stratégies fiscales, Dr. fisc., 2009, ét. 468.
(13) "En ce qui concerne les cessions réalisées entre le 16 juin 2004 et le 31 décembre 2004 dans lesquelles le cédant se trouverait dans l'une des situations décrites ci-après (cf. infra n° 58), il est souligné que le présent dispositif a pour but de favoriser le maintien des activités de proximité, notamment dans les centres villes ou les zones rurales, en levant un obstacle fiscal aux transferts et reprises des petites entreprises. Le régime prévu à l'article 238 quaterdecies ne saurait autoriser la réalisation, en franchise d'impôt, d'opérations de refinancement dans lesquelles l'activité serait poursuivie, en fait, par le même exploitant après la transmission à titre onéreux dans des conditions financières détériorées, notamment du fait du recours à l'emprunt. De telles opérations pourraient, le cas échéant, entrer dans les prévisions de l'article L. 64 du LPF".
(14) Pour les distinctions entre les sociétés de fait, créées de fait et les sociétés en participation : "Malheureusement les tribunaux ont souvent tendance à confondre les sociétés de fait et les sociétés créées de fait", Yves Guyon, Droit des affaires - Tome 1, Droit commercial général et des sociétés, Economica, coll. : Droit des Affaires et de l'Entreprise, 12ème édition, 2003, p. 154. "La société de fait est au départ une société immatriculée, mais qui a été annulée ; c'est une société dégénérée qu'il faut liquider ; elle relève de la théorie des nullités", Maurice Cozian, Alain Viandier et Florence Deboissy, Droit des sociétés, Litec, coll. Manuel, 22e édition, 2009, p. 563. "La société en participation est une société créée en connaissance de cause ; elle résulte d'un choix délibéré des partenaires en présence qui, après avoir pesé le pour et le contre, décident de leur volonté expresse de se réunir au sein d'une société non immatriculée. Rien de tel dans la société créée de fait ; quelques personnes (le plus souvent elles ne sont que deux) oeuvrent ensemble sans formaliser leur intention et sans se soucier autrement de la qualification juridique de leur collaboration ; elles n'ont pas conscience d'avoir créé une société ad hoc. Ce n'est qu'ultérieurement, généralement parce qu'il y a crise ou litige, que l'on recherchera si les partenaires ne se sont pas comportés comme des associés. Le plus souvent, la société créée de fait correspond au degré zéro de la conscience sociétaire'", Maurice Cozian, Alain Viandier et Florence Deboissy, op. cit., p. 549.
(15) "b) Le cédant exerce en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement cessionnaire".
(16) S'agissant des conseils en gestion de patrimoine indépendants (CGPI) : "'c'est important que nous soyons reconnus comme une profession de conseil, au même titre que les notaires ou les experts-comptables', déclare M. Payen. Cela renforcerait notre crédibilité. Notre profession est encore méconnue.'". L'auteur prend soin de ne pas mentionner les avocats en qualité de conseil ! Ou encore : "c'est pourquoi les CGPI doivent monter en gamme et proposer des services qui vont bien au-delà de la vente : des services fiscaux, comptables, juridiques...".
(17) Anciennement "mauvaise foi" : formulation au plus proche de la réalité mais politiquement incorrecte. Le "manquement délibéré" offre l'avantage d'être plus neutre.
(18) "La démolition et le remplacement de vitrines ainsi que de structures afin de permettre le remplacement d'un monte-charge, la réouverture d'une cage d'escalier, la création d'un local social et d'un mur de soutènement destiné à en supporter le dallage, des modifications de cloisons et, ainsi que le fait valoir M. B. lui-même, le remplacement des canalisations du chauffage central et de radiateurs, d'un ascenseur et de matériel électrique afin de rendre ces installations conformes aux normes de sécurité applicables aux locaux ouverts au public ; que de tels travaux, qui ont permis de transformer des locaux commerciaux vétustes en une surface de vente de produits alimentaires [...] l'aménagement d'une cage d'escalier, l'ouverture d'une porte intérieure, le remplacement de cloisons, de faux plafonds, de portes, de vitrages".
(19) "Les dépenses de réparation et d'entretien s'entendent de celles qui correspondent à des travaux ayant pour objet de maintenir ou de remettre un immeuble en bon état et d'en permettre un usage normal, conforme à sa destination, sans en modifier la consistance, l'agencement ou l'équipement initial. Les dépenses d'entretien s'apparentent généralement aux dépenses de maintien en l'état de l'immeuble et les dépenses de réparation à celles dépassant les opérations courantes d'entretien et qui consistent en la remise en état, la réfection ou le remplacement d'équipements essentiels pour maintenir l'immeuble en mesure d'être utilisé conformément à sa destination".
(20) "Lorsqu'une entreprise industrielle ou commerciale étend son activité à des opérations dont les résultats entrent dans la catégorie des bénéfices de l'exploitation agricole ou dans celle des bénéfices des professions non commerciales, il est tenu compte de ces résultats pour la détermination des bénéfices industriels et commerciaux à comprendre dans les bases de l'impôt sur le revenu".

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Fiscalité des entreprises

[Evénement] Convergence fiscale France/Allemagne - quelles opportunités pour les entreprises ?

Lecture: 1 min

N0467BTH

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Le 01 Mars 2012

Le cabinet d'avocats Altexis, en partenariat avec WTS France, filiale française de la société de conseil fiscal allemande WTS AG, proposent de confronter, le vendredi 9 mars 2012, la fiscalité française à la fiscalité allemande.
  • Programme

I - La convergence, pourquoi ?

1 - La compétence fiscale au sein de l'UE
2 - L'harmonisation comme moteur de croissance

II - Agitation politicienne ou mouvement de fond ?

1 - Prélèvements obligatoires en Allemagne et en France
2 - Territorialité de l'IS
3 - Directive sur l'assiette commune consolidée pour l'IS ("ACCIS")

III - Des opportunités pour les entreprises

1 - Le coût lié au respect des 27 législations nationales différentes
2 - Réforme à recette constantes ou réduction des prélèvements obligatoires sur les entreprises françaises

IV - Pistes de convergence

1 - Intégration fiscale
2 - Utilisation des pertes
3 - Provisions
4 - Crédit d'impôt recherche
5 - Taux de l'IS
6 - Amortissements
7 - Déductibilité des intérêts
8 - Sous-capitalisation
9 - Imposition des dividendes
10 - Taxe sur les salaires
11 - Titres de participation
12 - Droit d'enregistrement et de timbre
13 - TVA
14 - Sociétés de personnes

V - Taxation du travail

VI - Transmission des entreprises familiales

VII - Fiscalité du patrimoine : des divergences importantes

1 - Taxation de la détention du patrimoine
2 - Taxation des revenus du patrimoine
3 - Taxation de la transmission du patrimoine

Questions & réponses (dialogue avec les participants)

  • Intervenants

Pour la France :
Vincent Grandil
Avocat Associé
Altexis

Pour l'Allemagne :
Dr. Christoph Seseke
Avocat Associé
WTS

  • Date

Vendredi 9 mars 2012 de 8h30 à 10h30.

  • Lieu

Altexis
57, avenue de Villiers
75017 Paris

  • Renseignements/inscriptions

Inscription gratuite auprès de Yushrinah Stiegelmann
Téléphone : + 33 (0) 1 42 27 05 38
Email : cafefiscal@altexisnet.com

Confirmation souhaitée avant le 2 mars 2012.

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Temps de travail

[Jurisprudence] La qualité de "cadre dirigeant" implique de participer à la direction de l'entreprise

Réf. : Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-24.412, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8912IBP)

Lecture: 10 min

N0584BTS

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par Lise Casaux-Labrunée, Professeur à l'Université Toulouse 1 Capitole

Le 01 Mars 2012

L'affirmation sonne comme une lapalissade : pour être cadre dirigeant... il faut diriger ! Un employeur toulousain vient de l'apprendre à ses dépens, sévèrement condamné au paiement d'heures supplémentaires envers une salariée recrutée comme "responsable de collection" dans le secteur de l'habillement, considérée à tort comme "cadre dirigeant" alors même qu'elle remplissait les trois conditions prévues à l'article L. 3111-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0290H9M) : responsabilités importantes impliquant une grande indépendance dans l'organisation de l'emploi du temps ; autonomie de décision ; rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés de l'entreprise. Les juges ont-ils ajouté à la loi (I) en insistant sur l'exigence de la participation à la direction de l'entreprise des cadres dirigeants, ou bien s'agit-il d'une simple solution de bon sens (II) ? La solution est, en tout cas, prudente : elle traduit pour le moins la volonté des juges de ne pas étendre inconsidérément la catégorie des cadres dirigeants soumis à ces très dérogatoires forfaits "sans référence horaire" ou "tous horaires" (III). Cet arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 31 janvier 2012 est voué à une large publication.
Résumé

Selon l'article L. 3111-2 du Code du travail, sont considérés comme cadres dirigeants, les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. Ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise.

Commentaire

Qu'est-ce qu'un cadre, et spécialement un cadre dirigeant ? On pourrait croire la qualification gratifiante (elle l'est sans doute dans les réunions mondaines et sur le CV). En réalité, elle ne comporte pas, semble-t-il, que des avantages, les salariés cherchant parfois (en fin de contrat) à échapper à cette qualification.

La question a, de tous temps, soulevé difficulté dès lors que certains avantages sont spécifiquement attachés à cette qualité (des droits particuliers dont on sait qu'ils sont aujourd'hui soumis à justification, en vertu du principe d'égalité de traitement) (1).

La loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 (loi n° 2000-37 N° Lexbase : L0988AH3) a apporté des éléments de réponse, s'agissant tout au moins de son domaine de compétence : la durée du travail. Ainsi, selon l'article L.3111-2 du Code du travail : "sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement".

Mais il ne faut pas s'y tromper, l'objet de cette définition est d'exclure et non de flatter : les cadres qui répondent aux trois critères énumérés par la loi sont de plein droit exclus des dispositions protectrices du Code du travail, relatives à la durée du travail et à l'aménagement du temps de travail, ainsi que de celles relatives aux repos et aux jours fériés (exclusion des titres II et III du Livre I de la Partie 3 du Code du travail intitulé "Durée du travail, repos et congés"). Exit donc pour cette catégorie de cadres : les durées maximales du travail, les jours fériés, les repos quotidien et hebdomadaire... De fait, on comprend que certaines entreprises soient tentées de conférer le statut de cadre dirigeant un peu trop facilement à certains de leurs salariés.

Et de fait, l'on comprend mieux aussi la position solennelle prise par les magistrats de la Chambre sociale le 31 janvier 2012 : les critères cumulatifs de l'article L. 3111-2 du Code du travail "impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise".

I - La définition légale du cadre dirigeant

Critères de qualification. La définition légale des cadres dirigeants est issue de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail. Cette définition, précisée à l'article L. 3111-2 du Code du travail, fait reposer la qualification de cadre dirigeant sur trois critères désormais connus :

- l'exercice de responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de l'emploi du temps ;

- l'habilitation à prendre des décisions de façon largement autonome ;

- la perception d'une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l'entreprise ou l'établissement.

L'origine de cette définition est également connue. Elle incorpore des éléments provenant de plusieurs sources : l'article 17-1 de la Directive européenne du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, qui fait référence à la notion de "cadres dirigeants" et autorise des dérogations à certaines règles de durée du travail pour ces cadres (2) ; la jurisprudence de la Cour de cassation ; les clauses relatives à l'encadrement de certains accords de branche (3).

S'agissant de la rémunération, la qualification de cadre dirigeant n'implique pas d'être situé au niveau le plus élevé de la classification conventionnelle. On peut être cadre dirigeant sans bénéficier de la rémunération la plus élevée dans l'entreprise (4). A l'inverse on peut, comme en l'espèce, être classé au coefficient le plus haut de la convention collective en termes de rémunération, sans pour autant être cadre dirigeant. La taille de l'entreprise est une circonstance indifférente à la qualification (5).

Critères cumulatifs. La Cour de cassation considère que les critères définis par l'article L. 3111-2 du Code du travail sont cumulatifs et que le juge doit vérifier précisément les conditions réelles d'emploi du salarié concerné (v. infra) (6). Dans les deux arrêts rendus le 31 janvier 2012 sur le même sujet des cadres dirigeants (notre commentaire portera principalement sur l'arrêt publié, l'autre étant inédit), la solution est formulée dans les mêmes termes, mot pour mot : "ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise".

II - La participation à la direction de l'entreprise : les juges ont-ils ajouté à la loi ?

La lettre de l'article L. 3111-2 du Code du travail. Le texte de l'article L. 3111-2 pris à la lettre, comparé à l'arrêt du 31 janvier 2012, conduit à penser, dans un premier temps, que les juges ont, en effet, ajouté une quatrième condition pour être cadre dirigeant : l'exigence de participation à la direction de l'entreprise. L'article L. 3111-2 n'est pas aussi précis. Il indique seulement qui il considère comme cadre dirigeant, sans précision de ce sur quoi porte cette fonction de direction. Or un cadre peut diriger bien des choses : un service, un département, un projet, une production... Il ne participe pas pour autant à la direction de l'entreprise elle-même, plutôt réservée aux fonctions "stratégiques" de l'entreprise (direction financière, commerciale, ressources humaines...).

L'arrêt du 31 janvier 2012 illustre le fait qu'un cadre peut parfaitement répondre aux trois conditions de l'article L. 3111-2, sans pour autant se voir attribuer la qualité de cadre dirigeant. L'arrêt de la cour d'appel est plus explicite encore : il y est indiqué que Mme R. remplissait les trois conditions légales "disposant d'une très grande autonomie dans l'organisation de son travail nécessitée par le haut niveau de responsabilité qu'elle détenait... étant classée au coefficient le plus haut de la convention collective... Il n'apparaît pas en revanche qu'elle était associée à la direction de l'entreprise : un seul exemple d'une invitation à une réunion de la direction est versée aux débats, et il n'est en aucune manière justifié de la participation de Mme R. aux décisions sur la vie de l'entreprise" (7).

L'arrêt du 31 janvier 2012 apporte donc une précision à l'article L. 3111-2 du Code du travail : la précision de ce sur quoi doivent porter les fonctions de direction pour accéder à la qualité de cadre dirigeant (en l'occurrence, l'entreprise elle-même). Pour les magistrats de la Chambre sociale, les cadres dirigeants de l'article L. 3111-2 ne sont pas n'importe quels cadres exerçant des fonctions de direction : ce sont uniquement les cadres qui participent à la direction de l'entreprise elle-même. Ont-ils ajouté à la loi en apportant cette précision ? Probablement non, car telle était également, semble-t-il, l'intention du législateur.

L'esprit de l'article L. 3111-2 du Code du travail. Les travaux parlementaires préparatoires à la loi du 19 janvier 2000 révèlent l'intention du législateur de réserver la catégorie "cadres dirigeants" aux salariés exerçant leurs fonctions au plus près de la direction de l'entreprise : "[...] salariés bien particuliers qui ont un rôle d'employeur et représentent souvent celui-ci en matière sociale ou autre [...]. Cette particularité, comme le fait que ne soient pas visés les cadres supérieurs, invite à se limiter au premier cercle autour du dirigeant [...] Dans les organigrammes des entreprises de moyenne et de grande importance, ces personnes devraient être par définition un très petit nombre [...] qu'il va de soi que tous les cadres dirigeant un service ne sauraient être considérés ipso facto comme des cadres dirigeants" (8). La solution est par conséquent justifiée du point de vue du droit, spécialement par l'interprétation exégétique. Elle l'est plus encore du point de vue de l'enjeu de cette qualification qui est de soumettre certains salariés à un statut très dérogatoire en matière de durée du travail, et fort peu protecteur des intéressés.

III - Une catégorie nécessairement restrictive

Enjeux de la qualification. La qualification de cadre dirigeant entraîne, de plein droit, l'exclusion des dispositions protectrices du Code du travail relatives à la durée du travail et à l'aménagement du temps de travail, ainsi que de celles relatives aux repos et jours fériés. L'exclusion est justifiée par la nécessité pour ces cadres, vue l'importance de leurs fonctions, de bénéficier d'une totale liberté dans la gestion de leur temps de travail.

Concrètement, les cadres dirigeants ne sont pas soumis :

-à la durée légale du travail (ils n'ont pas droit au paiement d'heures supplémentaires (9), sauf stipulations contractuelles ou conventionnelles plus favorables (10)) ;

-aux durées maximales de travail journalière ou hebdomadaire (ils peuvent travailler autant qu'ils le souhaitent... ou plutôt autant que l'entreprise l'exige) ;

-aux obligations de repos quotidien et hebdomadaire ;

-à la réglementation des jours fériés ;

-à la réglementation du travail de nuit ou à celle des astreintes...

En conséquence, leur rémunération est le plus souvent fixée sur la base de forfaits établis sans référence à une quelconque durée de travail, que ce soit en heures ou en jours. Ils sont d'ailleurs hors du champ d'application des fameuses conventions de forfait régies par les articles L. 3121-38 (N° Lexbase : L3861IBM) à L. 3121-48 (N° Lexbase : L3955IB4) du Code du travail. Certaines dispositions leur restent applicables : congés payés et autres congés ; compte épargne temps. Les règles relatives à l'hygiène, à la sécurité et à la médecine du travail leur sont également en principe applicables.

Si la qualité de cadre dirigeant présente bien des avantages (rémunération souvent élevée, bénéfice de régimes sociaux particuliers...) elle correspond également à un statut "qui ruine les droits du salarié en matière de durée du travail" (11). Telle semble être la rançon à payer, parfois lourde. Les cadres dirigeants, comme s'ils étaient indépendants, sont entièrement libres de leur temps de travail, également "libres" de se tuer à la tâche et d'y ruiner leur santé, avec les phénomènes désormais bien connus de "burn-out" qui concernent spécialement ces salariés. Cette "insoumission" des cadres dirigeants à la plupart des règles relatives à la durée du travail, qui sont d'abord des règles protectrices de la santé des salariés, explique sans doute aussi que la catégorie soit délimitée avec prudence.

Indisponibilité de la qualification. La qualité de cadre dirigeant est indisponible. S'agissant d'apprécier cette qualité, la Cour de cassation fait application en ce domaine du "principe de réalité" : "pour retenir ou écarter la qualité de cadre dirigeant d'un salarié, il appartient au juge d'examiner la fonction que le salarié occupe réellement au regard de chacun des critères cumulatifs énoncés [par l'article L. 3111-2 du Code du travail]" (12).

La définition du cadre dirigeant au sens de l'article L. 3111-2 du Code du travail doit donc s'analyser strictement et en cas de litige, le juge a le pouvoir de requalifier le statut du salarié après avoir vérifié ses conditions réelles d'emploi, étant précisé que les dispositions conventionnelles sont en principe inopérantes.

Tel est l'enseignement à tirer d'un arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 2009 à propos d'un salarié qualifié de cadre dirigeant en vertu d'un accord collectif (13). Peu importe que l'accord collectif applicable retienne la qualité de cadre dirigeant pour la fonction occupée par le salarié. Seules comptent les conditions réelles d'emploi répondant aux critères énoncés dans la définition légale. La définition du cadre dirigeant retenue par une convention collective ne saurait lier le juge dès lors que l'on ne se trouve pas dans un domaine ouvert à la dérogation conventionnelle (14). En revanche, lorsque la convention collective ajoute en faveur du salarié des conditions supplémentaires aux conditions légales, l'employeur qui les méconnaît ne peut pas se prévaloir du statut de cadre dirigeant du salarié. La Cour de cassation en a décidé ainsi dans un cas où l'employeur n'avait pas respecté les dispositions conventionnelles lui imposant de préciser les responsabilités du salarié dans un document contractuel écrit (15).

La qualité de cadre dirigeant ne relève pas davantage du contrat de travail. Si accord écrit il y a, tout au plus jouera-t-il comme indice de qualification, les faits en ce domaine primant toujours sur l'accord de volontés des parties. A l'inverse, le salarié ne peut pas se prévaloir de l'absence d'accord d'écrit pour contester sa qualité de cadre dirigeant. Si la validité des conventions de forfait hebdomadaire, mensuel ou annuel en heures ou en jours, est subordonnée à un accord particulier écrit entre l'employeur et le salarié (C. trav., art. L. 3121-40 N° Lexbase : L3883IBG), le Code du travail ne prévoit rien de tel s'agissant du forfait "sans référence horaire" des cadres dirigeants, ce qui ne manque pas de surprendre. Un salarié a tenté récemment de plaider sa cause en ce sens ("l'existence d'un contrat de travail de cadre dirigeant suppose un accord particulier de l'employeur et du salarié pour que le travail de celui-ci s'accomplisse dans le cadre d'une convention de forfait sans référence horaire") mais la Cour de cassation a légitimement refusé d'ajouter au texte de l'article L. 3111-2 une condition que celui-ci ne prévoit pas (16).

Avenir des forfaits "sans référence horaire" ? Difficile de résister à la comparaison entre "forfaits-jours" et forfaits "sans référence horaire"... Les premiers, qui sont pourtant davantage encadrés par la loi (C. trav., art. L. 3121-38 à L. 3121-48) ont été jugés insuffisamment protecteurs des droits des salariés en termes de santé au travail et droit au repos, et sont désormais sous la surveillance étroite des juges (17). Il n'y a pas grand risque à parier que ces très dérogatoires forfaits "sans référence horaire" ou "tous horaires", qui relèvent de la même famille, seront mis eux aussi, tôt ou tard, sur la sellette.


(1) Egalité de traitement : la fin du statut spécifique des cadres ?, SSL, n° 1414, 28 septembre 2009.
(2) Directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 N° Lexbase : L7793AU8) modifiée par la Directive 2000/34/CE (N° Lexbase : L8021AUM) et rappelée dans une Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 (N° Lexbase : L5806DLM).
(3) Sur les origines de la notion de cadres dirigeants., cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E0532ETU).
(4) Cass. soc., 30 novembre 2011, n° 09-67.798, FS-P+B (N° Lexbase : A4892H3L), v. les obs. de S. Tournaux, La qualification de cadre dirigeant, Lexbase Hebdo n° 466 du 15 décembre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N9237BSW).
(5) Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-23.828, F-D (N° Lexbase : A8736IB8).
(6) Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 06-46.208, FS-P+B (N° Lexbase : A3378EC4), Dr. soc., 2009, p. 611, obs. Ch. Radé.
(7) CA Toulouse, 4ème ch., 30 juin 2010, n° 09/02041 (N° Lexbase : A3704E7C).
(8) G. Gorce, Rapport, Assemblée nationale, n° 1826, 1er octobre 1999.
(9) Cass. soc., 10 mai 2006, n° 04-47.772, F-D (N° Lexbase : A3587DPK).
(10) Cass. soc., 28 septembre 2010, n° 09-40.686, F-D (N° Lexbase : A7603GAT).
(11) Ch. Radé, obs. précitées.
(12) Cass. soc., 16 mai 2007, n° 05-41.141, F-D (N° Lexbase : A2469DWD), JCP éd. S, 2007, n° 29, p. 25, note J.-Ph. Lhernould ; Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 06-46.208, FS-P+B (N° Lexbase : A3378EC4) ; Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-23.828, F-D (N° Lexbase : A8736IB8).
(13) Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 06-46.208, FS-P+B (N° Lexbase : A3378EC4), Dr. soc., 2009, 611.
(14) Précis Dalloz, Droit du travail, 25ème édition, n° 725.
(15) Cass. soc., 6 avril 2011, n° 07-42.935, FS-P+B (N° Lexbase : A3514HNH) : "attendu qu'il résulte de l'article 1.09 (g) de la Convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes du 15 janvier 1981 , que les modalités d'exercice des responsabilités, qui impliquent une indépendance et une autonomie particulières justifiant, pour les cadres dirigeants, le forfait sans référence horaire, doivent être indiquées dans le contrat de travail ou un avenant à celui-ci ; qu'il se déduit de ce texte, plus favorable que les dispositions légales, que l'exclusion, pour cette catégorie de cadres, de la réglementation de la durée du travail est subordonnée à l'existence d'un document contractuel écrit mentionnant les modalités d'exercice des responsabilités justifiant le forfait sans référence horaire".
(16) Cass. soc., 30 novembre 2011, n° 09-67.798, FS-P+B, préc., v. les obs. de S. Tournaux, La qualification de cadre dirigeant, Lexbase Hebdo n° 466 du 15 décembre 2011 - édition sociale, préc..
(17) Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-19.807, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8942IBS) ; Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5499HU9); v. les obs. de S. Tournaux, Conventions de forfait en jours : de l'importance du contenu des accords collectifs, Lexbase Hebdo n° 473 du 16 février 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N0230BTP) ; Le forfait en jours est fortement encadré, SSL, n° 1499, 4 juillet 2011.

Décision

Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-24.412, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8912IBP)

Rejet, CA Toulouse, 4ème ch., 30 juin 2010, n° 09/02041 (N° Lexbase : A3704E7C)

Texte concerné : C. trav., art. L. 3111-2 ([LXB=L0290H9M)]).

Mots-clés : cadre dirigeant, critères de définition, principe de réalité, direction de l'entreprise, durée du travail, heures supplémentaires

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