La lettre juridique n°975 du 29 février 2024

La lettre juridique - Édition n°975

Audiovisuel

[Brèves] Pluralisme audiovisuel : l’Arcom devra veiller au respect par CNews de ses obligations en la matière

Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 13 février 2024, n° 463162, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A29162MX

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N8463BZH

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par Yann Le Foll

Le 28 Février 2024

► Pour apprécier le respect par une chaîne de télévision, du pluralisme de l’information, l’Arcom doit prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinion représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités, et pas uniquement le temps d’intervention des personnalités politiques.

Rappel. Il résulte des dispositions de l'article 1er de la loi n° 86-1067, du 30 septembre 1986 N° Lexbase : L8240AGB et de celles des articles 3-1 et 13 de la même loi, que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a pour mission de garantir le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes audiovisuels, notamment dans les programmes consacrés à l'information.

Il lui appartient à cet effet d'apprécier le respect par les éditeurs de service de cette exigence, dans l'exercice de leur liberté éditoriale, en prenant en compte, dans l'ensemble de leur programmation, la diversité des courants de pensée et d'opinion exprimés par l'ensemble des participants aux programmes diffusés.

Grief. À l'appui de sa demande tendant à ce que l'éditeur de la chaîne CNEWS soit mis en demeure de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme de l'information, l’association requérante faisait valoir que la chaîne n'assurait pas une diversité suffisante des points de vue exprimés à l'antenne, notamment à l'occasion des débats sur des questions prêtant à controverse.

Position Arcom. Pour refuser de mettre en demeure l'éditeur de ce service de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme, l'Arcom s'est bornée à apprécier le respect du pluralisme au seul regard du temps d'antenne accordé aux personnalités politiques, en considérant que le non-respect allégué de la diversité des courants de pensée et d'opinion exprimés par l'ensemble des participants aux programmes diffusés n'était pas susceptible, par lui-même, de constituer un manquement à cette exigence.

Décision CE. En s'en tenant ainsi à la seule prise en compte du temps d'antenne accordé aux personnalités politiques pour l'appréciation des obligations du service en matière de pluralisme de l'information, l'Arcom a fait une inexacte application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986.

Elle devra procéder au réexamen de la demande de l'association RSF en tant qu'elle porte sur la demande de mettre en demeure l'éditer du service CNews de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information, et prendre une nouvelle décision dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.

newsid:488463

Autorité parentale

[Brèves] Droit à l'image des enfants sur les réseaux sociaux : publication de la loi au JO

Réf. : Loi n° 2024-120 du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants N° Lexbase : L6063ML7

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 29 Février 2024

► Publiée au Journal officiel du 20 février 2024, la loi n° 2024-120 du 19 février 2024 vise à mieux faire respecter le droit à l'image des enfants par leurs parents sur les réseaux sociaux, en vue de lutter contre les risques des pratiques de certains parents consistant à diffuser des photos et des vidéos de leurs enfants sur Internet.

Le Code civil est ainsi modifié pour :

  • introduire dans la définition de l’autorité parentale la notion de vie privée (C. civ., art. 371-1 modifié N° Lexbase : L6252ML7). Il s'agit de consacrer de manière expresse l'obligation des parents de veiller au respect de la vie privée de leur enfant, y compris son droit à l'image, au titre de leurs prérogatives liées à l’exercice de l’autorité parentale ;
  • permettre au juge aux affaires familiales d'interdire à un parent de publier ou diffuser toute image de son enfant sans l'accord de l’autre parent (C. civ., art. 373-2-6 modifié N° Lexbase : L6254ML9) ;
  • inscrire que « les parents protègent en commun le droit à l’image de leur enfant mineur » et que « les parents associent l’enfant à l’exercice de son droit à l’image, selon son âge et son degré de maturité » (C. civ., art. 372-1 rétabli N° Lexbase : L6253ML8), comme l’exige la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 ;
  • créer une délégation partielle forcée de l'autorité parentale, au profit de la personne ou du service de l’ASE ayant recueilli l’enfant, ou encore d’un membre de sa famille, en cas de diffusion par ses parents de l'image de l'enfant portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale (C. civ., art. 377 modifié N° Lexbase : L6255MLA).

Enfin, la loi vient permettre à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) de saisir le juge des référés pour demander toute mesure de sauvegarde des droits de l'enfant en cas d'inexécution ou d'absence de réponse à une demande d'effacement de données personnelles (loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS, art. 21 modifié).

newsid:488573

Construction

[Evénement] L’essentiel du colloque : « La réforme du marché d'entreprise en questions »

Lecture: 25 min

N8517BZH

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par Héloïse Briodeau - Elsa Loysier - Léna Oudjedour, Etudiantes en Master Droit de la Construction et de l’Urbanisme, UPEC

Le 28 Février 2024

Mots-clés : construction • contrat d'entreprise • marché d'entreprise • marché de travaux • prix • requalification de contrat • nullité • honoraires • cotraitance • effet relatif du contrat • immixtion du maître d'ouvrage • exonération de l'entrepreneur • sous-traitance • réception • atteinte à destination • promotion immobilière • devis • délai raisonnable • responsabilité • constructeur • castor • EPERS » (éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire) • marché à forfait • assurances tous risques chantier  

Le 15 février 2024, la commission ouverte « Marchés de travaux », présidée par Maître Juliette Mel, cabinet M2J Avocats, a organisé un colloque intitulé « La réforme du contrat d’entreprise en questions ».  Il s’est agi de challenger l’un des rédacteurs de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, Monsieur le Professeur Pierre-Yves Gautier, Professeur en droit privé à l’Université Panthéon-Assas.

Les challengers étaient : Maître Manon Brauge, cabinet M2J Avocats ; Maître Gaël Balavoine, cabinet KAEM’S ; Maître Michel Vauthier, cabinet Vauthier ; Madame Marie-Laure Villemotte, Allianz OM ; Madame Thi-Minh Nguyen, cabinet M2J ; avec pour modérateur Maître Juliette Mel.


 

À titre préliminaire, le Professeur Pierre-Yves Gautier a souhaité replacer temporellement cette réforme des contrats spéciaux. La réforme du droit des contrats par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK a eu un fort impact et une incursion dans le droit des contrats spéciaux. Ainsi, deux projets de réforme ont été proposés, le premier naquit de la « Commission Henri Capitant » où les différents universitaires et juristes souhaitaient créer un droit des contrats spéciaux et des obligations spéciales. Puis le projet de la Commission nommée par la Chancellerie et présidée par le Professeur Stoffel-Munck ayant été sollicité en mars 2020.

La philosophie qui gouverne ces deux commissions est celle de garder la tradition civiliste émanant de Portalis, légiférer dans la continuité de la réforme de 2016, qui a considérablement modernisé le droit des contrats, ainsi que répondre au besoin d’un droit écrit mais sans trop écrire.

Plus précisément, le contrat d'entreprise est un contrat où il reste « beaucoup à construire ». Le Code civil de 1804 l'évoquait, mais de façon insuffisante alors qu'aujourd'hui, ce dernier fait l’objet d’une utilisation plus accrue notamment dans le domaine du droit de l’immobilier.

Toutefois, comme le rappelle le Professeur Pierre Yves Gautier, le projet de réforme ne souhaite pas se borner à légiférer les jurisprudences, mais vise à effectuer un travail de réflexion pour proposer des règles intelligibles pouvant gouverner les différents contrats spéciaux tout en ayant vocation à durer dans le temps, et ce, malgré les évolutions.

I. Le prix : définition et révision (intervention de Maître Manon Brauge)

À travers la problématique du prix, Maître Manon Brauge a souhaité poser diverses questions au Professeur Pierre-Yves Gautier afin de comprendre l'évolution de la notion de « prix » appliquée au contrat d'entreprise

L’article 1756 de l’avant-projet, 1790 du Code civil :
« CHAPITRE I - Dispositions communes à tous les contrats d’entreprise
Article 1756
Le contrat d’entreprise peut être gratuit ou onéreux.
Il est présumé onéreux lorsque l’ouvrage à réaliser s’inscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur. »

  • La notion du contrat conclu à titre gratuit : disposition d’avenir ou d’actualité ?

Afin de répondre à cette question, le Professeur Gautier rappelle que même si la jurisprudence actuelle n'admet pas la conclusion d'un contrat d'entreprise à titre gratuit, la réforme pourrait amener différentes parties à conclure un contrat d'entreprise à titre gratuit puisqu'elle en prévoit la possibilité. La présomption simple d'onérosité du contrat d’entreprise n'empêche nullement ce dernier d'être conclu à titre gratuit. De plus, la disposition a été rédigée en hommage à la solidarité, précise le Professeur. Cette disposition est, toutefois, difficilement applicable au marché de travaux comme le souligne Maître Juliette Mel.

  • Concernant le risque de requalification du contrat de vente et du contrat d’entreprise, la sanction de la nullité ne paraît pas être la sanction adéquate :

En effet, concernant ses dispositions le Professeur Pierre-Yves Gautier précise que même si la commission a choisi d’entacher le contrat de nullité absolue, il n'est pas convaincu et préfère la nullité de protection tout en précisant que le projet n'est pas gravé dans le marbre et continue d'évoluer. Il est vrai que la nullité absolue, imposant la démolition/reconstruction, n’est pas forcémenté adaptée aux marchés de travaux comme le souligne Maître Juliette Mel.

L’article 1762 de l'avant-projet
« Lorsque le prix a le caractère d’honoraires et qu’il a été convenu avant l’achèvement de l’ouvrage, le juge peut, nonobstant toute clause contraire, en réduire le montant s’il l’estime excessif au regard de l’ouvrage réalisé. Il en va autrement lorsque les honoraires ont été versés après achèvement de l’ouvrage, en connaissance du travail accompli ».

Après l'analyse de cette disposition par Maître Manon Brauge, deux questions ont été posées au Professeur Gautier.

  • Qu'est-ce que la réduction d'honoraires en cas de prix excessif ?

Le Professeur Gautier précise que cette question doit être également débattue d'un point de vue sociologique et économique. Le terme « honoraire » est, avant tout, attaché aux métiers d'avocats, d'architectes et de médecins. Mais il est nécessaire de préciser que si cette disposition vient à être légiférée sans modification, il sera important que le juge ainsi que les praticiens effectuent un travail d'interprétation concernant ce terme « honoraire » puisque l'objectif de la réforme est de poser des règles générales pouvant faire l'objet d'interprétation.

Néanmoins, pouvons-nous considérer que seule la réduction était admise et non l'augmentation du prix ? 

Le Professeur Gautier précise qu'il est nécessaire de faire des observations dans le cadre de l’audit en cours. En effet, l'article 1169 du Code civil N° Lexbase : L0877KZI dispose que le contrat est entaché de nullité si la contrepartie est dérisoire. Il est fait observer que la solution de la nullité est une fonction mal adaptée, radicale et difficile à mettre en pratique dans le monde du droit de la construction.

  • Pourquoi le caractère excessif est évoqué au sein de cette disposition et non le caractère dérisoire ?

Le Professeur Gautier rappelle que la réduction d'honoraires n'est pas liée à la mauvaise foi. La jurisprudence sest, effectivement, fondée sur un critère objectif et n'est pas lié à l'inexécution de l'article 1223 du Code civil N° Lexbase : L1984LKP puisque le travail a été exécuté, mais le prix du contrat est cependant excessif.

L’article 1760 de l’avant-projet :
«  Le contrat d’entreprise est valablement formé sans accord préalable sur le prix.
À défaut d’accord sur le prix, le juge le fixe en fonction de la qualité de l’ouvrage réalisé, des attentes légitimes des parties, des usages et de tout autre élément pertinent. »

À travers l'analyse de Maître Manon Brauge, une question a été posée au Professeur Gautier concernant l'office du juge en matière de prix.

Il a été rappelé que l'article 1165 du Code civil N° Lexbase : L1982LKM prévoit la fixation unilatérale du prix et à défaut de détermination, le prix pourra être fixé judiciairement. La combinaison de ces deux dispositions prévoit qu’en l’absence d’accord sur le prix, le juge pourra s'immiscer dans le contrat et fixer unilatéralement le prix.

Afin de conclure ces éclaircissements, concernant la notion de prix, le Professeur Gautier a rappelé que deux mots d’ordre gouvernaient cet avant-projet : bilatéraliser ainsi que remplacer la nullité par une solution moins radicale.

II. L’exécution du contrat (intervention de Maître Gaël Balavoine)

Concernant l'exécution même du contrat dentreprise, Maître Gaël Balavoine pose diverses questions relatives aux différents acteurs touchés par ce contrat et l'évolution que cette réforme peut apporter à chacun dentre eux. Il structure ses propos en trois phases : la phase de la réalisation de louvrage comprenant le sujet de la cotraitance ainsi que celui de l'immixtion du maître douvrage, une deuxième phase concernant la sous-traitance et une troisième phase relative à la réception de louvrage.

A. La cotraitance

L’article 1773 de l’avant-projet : « réservé »

Tout dabord, Maître Balavoine a interrogé le Professeur Gautier, concernant cet article « réservé ». Ce dernier précise que cette réserve a pour but de tenir compte des différentes observations faites par les professionnels concernant la partie « réalisation de louvrage ». Les professionnels du droit sont ainsi vivement invités à faire part de leurs remarques.

L’article 1764 de l’avant-projet :
« Si plusieurs entrepreneurs concourent à la réalisation de l’ouvrage, chacun est tenu envers le client de coopérer avec ceux dont l’intervention s’imbrique avec la sienne.
Sauf clause de solidarité, la cotraitance oblige conjointement les entrepreneurs à l’égard du client. »

Il a été préalablement souligné par le Professeur Gautier que la cotraitance est définie comme « incitant les entrepreneurs à se coordonner ».

À la lecture de cet article, Maître Balavoine pose plusieurs questions concernant la cotraitance.

  •    Comment peut être défini le terme « imbriqué » ?

En premier lieu, le Professeur Pierre-Yves Gautier rappelle que le terme « imbriqué » est emprunté au latin « imbricatus » désignant un chevauchement. Il illustre son propos en prenant pour exemple, les tuiles dun toit qui se chevauchent les unes avec les autres.

Au regard de larticle 1764, le terme « imbriqué » doit être considéré comme reflétant un état desprit des entrepreneurs les uns envers les autres. En effet, le Professeur Gautier rappelle que le but premier de ces acteurs du contrat dentreprise nest autre que lachèvement dun ensemble. Ainsi, dans le terme « imbriqué », est implicitement évoqué, lobjectif de coopération qui doit être perçu comme un objectif de moyen.

Une question subsiste cependant, quid des cas où les travaux ne seraient pas imbriqués ?

  •  Qu'advient-il de l’effet relatif du contrat ?

Le Professeur Pierre-Yves Gautier souligne quau sein du contrat dentreprise, la question de leffet relatif des contrats ne se pose pas puisque cest une obligation légale qui simpose aux contrats. Le contrat dentreprise ne crée dobligations quentre les parties.

Lhypothèse évoquée est celle du maître douvrage qui engage ses propres entrepreneurs et ainsi, chacun va se concerter pour parvenir à définir son rôle.

Cependant, le Professeur Gautier évoque la création d’une obligation pour le maître de l’ouvrage même si ce sont deux contrats distincts entre l’entrepreneur, le maître d’œuvre et le maître de l’ouvrage. En effet, admettre cette nouvelle obligation reviendrait à créer une obligation tripartite qui serait parallèlement admise à celle d’obligation in solidum.

B. L’immixtion du maître d’ouvrage

L’article 1766 de l’avant-projet :
« En cas d’immixtion du client dans la réalisation de l’ouvrage, l’entrepreneur, s’il estime inappropriées les instructions reçues, doit, s’il accepte de s’y conformer, émettre des réserves par tout moyen. A défaut, il ne peut s’en prévaloir pour diminuer ou exclure sa responsabilité. »

Selon l’analyse de Maître Balavoine une question se pose concernant l’immixtion du maître d’ouvrage.

  • Quid de l’exonération de l’entrepreneur en cas d’immixtion du maître d’ouvrage ? Exonération totale ou partielle ?

Le Professeur Gautier emploie le terme de « simplification de la preuve ». En effet, selon lui l’objet de cet article 1766 est de pré-constituer la preuve de l’immixtion du maître douvrage et de permettre ainsi à lentrepreneur dobtenir son exonération.

La jurisprudence rappelle régulièrement les conditions dapplicabilité de lune des causes dexonération de la responsabilité des constructeurs, souvent invoquée par eux : limmixtion fautive du maître douvrage. Larticle 1792 du Code civil prévoit en effet que les constructeurs peuvent sexonérer, totalement ou plus généralement partiellement, de leur responsabilité décennale en démontrant lexistence dune cause étrangère ayant contribué au dommage, telle que la force majeure, le fait dun tiers ou la faute du maître douvrage.

Pour que cette exonération soit rendue possible, il est impératif, souligne le Professeur Gautier, que lentrepreneur émette des réserves par tout moyen, autrement dit, quil exprime son désaccord concernant limmixtion du maître douvrage.

C. La sous-traitance

Les articles 1767 à 1771 de l’avant-projet :
L’article 1768 de l’avant-projet :

« Le maître de l’ouvrage peut exercer contre le sous-traitant toute action née du contrat de sous-traitance. Le sous-traitant peut opposer à l’action formée contre lui les exceptions qu’il pourrait opposer à son cocontractant direct. 

  • Qu’advient-il de la survie de l’arrêt « Besse » avec l’article 1768 ?

Le Professeur Pierre-Yves Gautier, au regard de cet article 1768, revient sur la jurisprudence « Besse ». Larrêt du 12 juillet 1991 rendu par la Cour de cassation en Assemblée plénière est une jurisprudence fondamentale (Ass. plén., 12 juillet 1991, n° 90-13.602, publié N° Lexbase : A0297ABM). Cet arrêt apporte une solution aux divergences jurisprudentielles qui préexistaient, au sujet de leffet relatif du contrat. Leffet relatif du contrat implique que vis-à-vis des tiers, le contrat ne leur est pas applicable. Il a, a priori, un effet relatif. Larrêt « Besse » traite de leffet relatif du contrat, régi par lancien article 1165 du Code civil. Selon cette jurisprudence, le maître douvrage et le sous-traitant nont aucun lien contractuel.

Larticle 1768 rompt avec la jurisprudence « Besse » en ce qu’il admet quil existe un lien contractuel entre le maître douvrage et le sous-traitant - celui du contrat de sous-traitance, qui permet ainsi aux deux parties dintenter une action lune contre lautre.

  •  Une codification possible de la loi de 1975 relative à la sous-traitance dans le Code civil ?

Ainsi, Maître Balavoine interroge le Professeur Gautier sur la pertinence dune codification concernant la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 N° Lexbase : L5127A8E. Pour rappel, cette loi du 31 décembre 1975 permet au sous-traitant d’être protégé en mettant à la charge du maître douvrage une obligation de contrôle des diligences de lentrepreneur principal.

Le Professeur Gautier fait part de son enthousiasme quant à une potentielle codification de la loi de 1975 dans le Code civil et une modification de certaines dispositions compte tenu de l'importance de la sous-traitance dans le droit de la construction.

  •  Qu’en est-il du régime de la sous-traitance ?

Selon le Professeur Gautier, lidée concernant le régime de la sous-traitance est de contractualiser les rapports avec lentrepreneur ainsi que le paiement du prix.

D. La réception

Les articles 1774 à 1778 de l’avant-projet :

Préalablement, le Professeur Gautier rappelle la définition de la réception prévue par larticle 1792-6 du Code civil, à savoir «l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. »

Maître Balavoine sinterroge sur ces articles concernant la réception.

L’article 1776 de l’avant-projet :
« La réception peut être tacite si est caractérisée une volonté non équivoque du client d’accepter l’ouvrage.
La prise de possession de l’ouvrage et le paiement du solde du prix font présumer la volonté non équivoque du client de le recevoir, avec ou sans réserves. »

  • Quid de l’interprétation nouvelle de la réception tacite au travers des articles 1774 à 1778 et leur inspiration ?

Le Professeur Gautier déclare que linspiration pour ces articles sest trouvée principalement dans le droit immobilier. La définition de la réception tacite na pas été donnée ; et le Professeur Gautier invite à se référer à la définition émise par la jurisprudence, dont la plus récente date du 18 avril 2019 (Cass. civ. 3, 18 avril 2019, n° 18-13.734, FS-P+B+I N° Lexbase : A3818Y9B).

Lappréciation de la réception tacite relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels recherchent si la volonté non-équivoque du maître douvrage de recevoir louvrage est établie. La Cour de cassation a dégagé des règles dappréciation faisant présumer cette volonté lorsque les deux critères suivants sont réunis : la prise de possession de louvrage et le paiement de lintégralité des travaux.

L’article 1777 de l’avant-projet :
 « La réception peut être prononcée judiciairement, avec ou sans réserves, si l’ouvrage satisfait à sa destination. »

  • Concernant la réception judiciaire ?

Le Professeur Pierre-Yves Gautier, à propos de la réception judiciaire, se réfère à la jurisprudence antérieure.

Afin de faire preuve de simplification, pourquoi ne pas entériner la jurisprudence constante s'agissant de la réception judiciaire au lieu de faire preuve d'innovation ?

À cette question, le Professeur Gautier précise que la philosophie de la Commission est avant tout de préciser les standards. Cependant, il est vrai que l'article de l'avant-projet de réforme n'est pas plus clair et nécessite des observations de la part des praticiens.

  •  Quid de la satisfaction à l’atteinte à destination ?

Le Professeur Gautier répond à cette question en insistant une fois de plus sur le fait que tout dépend du cas d’espèce.

L’impropriété à destination est définie à l’article 1792 du Code civil N° Lexbase : L1920ABQ comme étant un critère d'appréciation de la gravité d'un dommage pouvant entrer dans le cadre de la responsabilité décennale. En pratique, cette impropriété à destination se distingue entre sa dangerosité et son inaptitude.

Concernant les impropriétés mineures, le Professeur Gautier souligne que celles-ci ne devraient pas interdire la réception judiciaire.

III. L’impact sur la promotion immobilière (intervention de Madame Thi-Minh Nguyen)

Concernant l'impact de l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux sur le métier de promoteur immobilier, Mme Nguyen a interrogé le Professeur Gautier sur les questions relatives au devis ainsi qu’au délai raisonnable.

L’article 1759 de l’avant-projet :
« Un devis peut être établi pour décrire l’ouvrage à réaliser et estimer son prix.Il ne donne pas lieu à rémunération, sauf convention contraire.Le devis engage l’entrepreneur pendant la durée fixée ou, à défaut, pendant un délai raisonnable. »
  • Quelle est la portée du devis en matière de promotion immobilière ?

Le Professeur Gautier souligne que le devis est, en pratique, applicable entre lentrepreneur et le maître douvrage. Le devis peut être considéré comme une offre et dans ce cas être considéré comme le contrat définitif.

Le Professeur rappelle quun devis peut estimer le prix, mais le reste du devis est régi par la liberté contractuelle. Tout dépend de ce que les parties ont décidé.

De plus, dans une interprétation plus extensive, le devis peut être considéré comme une promesse unilatérale d'entreprise.

L’article 1763 de l’avant projet :

 « L’entrepreneur est tenu de réaliser l’ouvrage convenu et de le délivrer au client dans le délai fixé ou, à défaut, dans un délai raisonnable. »

  • Comment définir le délai raisonnable de l’article 1763 ?

Le Professeur Gautier rappelle que le délai raisonnable nest pas légalement défini. Il appartient aux juges, en fonction des cas, de définir ce délai raisonnable, car tout est question de preuve.

Le terme « raisonnable » en droit civil est considéré comme un standard juridique, apprécié dans diverses branches du droit. Ce terme raisonnable fait l'objet d'une codification, dans son essence, au sein de l'article 1231 du Code civil N° Lexbase : L0932KZK. Il ne convient donc pas, comme l'a précisé le Professeur d'y faire une appréciation différente de celle connue en droit civil français.

IV. Les responsabilités (intervention de Maître Michel Vauthier)

Maître Vauthier a souhaité interroger le Professeur Gautier afin de comprendre l’évolution de ces nouvelles règles et savoir si celles-ci vont modifier les responsabilités déjà connues jusqualors. Il structure ses propos en se fondant sur deux notions fondamentales, la notion de « constructeur » et celle de « marché à forfait ».

A. La notion de constructeur

L’article 1792-1 actuel du Code civil N° Lexbase : L1921ABR :
« Est réputé constructeur de l'ouvrage :
1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ;
2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ;
3° Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d’ouvrage. »
L’article 1792-1 de l’avant-projet de réforme :
« Est réputé constructeur de l'ouvrage :
1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ;
2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire à titre professionnel ;
3° Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage ;
4° Tout vendeur d’immeuble à construire ou à rénover, même s’il vend après achèvement ;
5° Tout constructeur de maison individuelle, avec ou sans fourniture du plan ;
6° Tout promoteur immobilier.
Est assimilée à un constructeur, toute personne profane qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a fait construire si elle ne communique pas à l’acquéreur, dans l’acte de vente, l’identité des constructeurs et de leurs assureurs. »

  • Le constructeur qui construit pour lui-même ou « castor » est-il toujours réputé constructeur dans la réforme ?

Afin de répondre à cette question, le Professeur Gautier rappelle qu’il existe toujours cette assimilation aux « castors » mais que cela suppose une formalité supplémentaire qui suppose la communication dans l’acte de vente de l’identité des constructeurs. En effet, l’idée est de responsabiliser les parties.

  • Est-ce que les « EPERS » (éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire) sont réellement supprimés ?

Le Professeur Gautier répond par la positive sur le principe, mais la question reste en effet à débattre ; alors que Maître Mel a précisé que la Cour de cassation commençait tout juste à s’y intéresser.

B. Le marché à forfait

L’article 1793 du Code civil N° Lexbase : L1927ABY :
« Lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d’œuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire ».

  • Pourquoi l’article 1793 du Code civil n’a pas été modifié alors que le Projet Henri Capitant proposait un adoucissement de ce dernier ?  

En effet, lAssociation Henri Capitant proposait un « adoucissement » à larticle 1793 en proposant que, si le maître de louvrage effectue des travaux extérieurs à la réalisation de louvrage ou de la partie douvrage initialement convenue, lentrepreneur ne peut demander une augmentation du prix que si ces travaux ont été expressément commandés ou acceptés de manière non-équivoque. Le terme « de manière non-équivoque », a ouvert le champ à tout type d’échanges en cours de chantier et prévoyait également la possibilité d’obtenir un paiement pour les travaux voulus par le maître de l'ouvrage en cours de chantier qui n’étaient pas totalement prévus, dès lors que cela conduisait à un bouleversement de l’économie du contrat.

V. Les assurances (intervention de Madame Marie-Laure Villemotte)

Madame Villemotte a interrogé le Professeur Gautier quant aux apports de cette réforme. En effet, selon elle cette réforme va changer les choses du point de vue de l’assureur.

  • En cours de chantier, dans la mesure où lachèvement de louvrage du locateur douvrage emporte le transfert des risques au maître de louvrage, quels seront les impacts sur les taux de souscription de contrats tous risques chantier et les impacts sur les dommages à louvrage ?

Le Professeur Gautier rappelle quil y aura nécessairement une adaptation à prévoir au regard des textes promulgués et au regard des assurances tous risques chantier avant et après la réception. Il précise, enfin, quil sagit de la liberté contractuelle malgré une difficulté relative à la coordination entre « qui assure quoi » et « à quel moment ». Avec la pratique professionnelle et lexpérience, il sera possible de pallier ces difficultés.

  • Quels sont les impacts de l’article 1772 de l’avant-projet sur le principe de l’unicité de la réception ? 

L’article 1772 de l’avant-projet de réforme :
« Une fois l’ouvrage achevé, l’entrepreneur est tenu de le présenter à la réception au client. La présentation de l’ouvrage achevé au client oblige celui-ci à le réceptionner ». 

Le Professeur Gautier évoque que la Commission n’avait pas la volonté, avec ledit article, de revenir sur le principe de l’unicité de la réception. Au regard des pratiques, il n’y a aucun bouleversement.

  • Qu’en est-il de la réception par lot telle qu’elle est connue par rapport aux risques du maître de l’ouvrage en cours de chantier ?

La Commission a la volonté de s’inscrire dans la tradition originaire du Code civil. Ce n’est pas parce que certaines situations n’ont pas été mentionnées qu’elles sont par défaut abandonnées. Au contraire, selon le Professeur, il y a une certaine continuité.

  • Aujourd’hui en termes de produit d’assurance, il n’existe pas d’assurance qui couvre la responsabilité civile du maître de l’ouvrage profane (soit le castor) qui fait construire et qui revend ; qu’en est-il avec la réforme ?

Il faut s’adapter au nouveau texte de l’article 1792-1 du Code civil. Le Professeur invite donc les praticiens à formuler leurs doléances puisque l’avant-projet n’a pas été encore promulgué, le but étant de créer un cadre juridique avant tout. Le contrat d'entreprise étant le contrat le plus flexible.

Et les débats auraient pu durer des heures encore

  1. S’agissant de la cotraitance : l’adoption de la réforme ne va-t-elle pas conduire à mettre un terme à la pratique du tableau de répartition des tâches entre les entreprises co-traitantes ? Afin de répondre à cette question, le Professeur Gautier est clair et y répond par la négative. En effet, cette disposition vient seulement donner un cadreet il faudra, sans doute, préciser la règle en pratique.
  2. S’agissant de la concomitance des travaux : que se passe-t-il en cas de non-concomitance des travaux entre deux entrepreneurs ayant reprise le même lot ?
  3. La question mérite assurément d’être creusée et va nécessiter une adaptation de la règle.
  1. S’agissant de la « sacralisation » de la réforme de 2016...
  2. Le Professeur Gautier rappelle que lordonnance de 2016 na prévu que peu darticles sur la promesse et le pacte de préférence qui ne sont malheureusement pas suffisants sur ce domaine des avants-contrats.
  1. S’agissant de l’analyse de l’article 1793 du Code civil, relatif au marché à forfait...
  2. Sur cette question du prix, le Professeur Gautier rappelle que « le supplétif lemporte sur limpératif » ce qui signifie que la liberté contractuelle prime. Le souci étant que le droit spécial prime sur le droit commun.
  3. S’agissant de la responsabilité et de la possibilité de s'exonérer en cas d’immixtion du maître de l’ouvrage...
  4. Le Professeur Gautier rappelle que la jurisprudence peut évoluer. Elle pourrait elle-même révoquer les réserves. La notion de réserve est un standard suffisamment souple. Le Professeur rappelle, cependant, que la réserve nécessite bien entendu une motivation.
  5. Est-il prévu une articulation entre l'actuel article 1195 du Code civil et l’article 1793 ?

Le Professeur Gautier rappelle que l’article 1195 a été exclu concernant l’article 1761 mais non par rapport à l’article 1793. Ce dernier est un article de droit spécial, qui peut par conséquent déroger au droit commun. De plus, le Professeur précise qu’il s’agit d’une reprise à droit constant.

Pour autant, l’articulation avec le CCAG/CCAP demeure complexe à mettre en œuvre avec ces nouvelles dispositions.

Bref, de quoi nourrir de nombreuses heures de réflexion et de belles plaidoiries !

newsid:488517

Droit financier

[Brèves] Lutte contre les abus de marché : limites de la liberté de la presse

Réf. : Cass. com., 14 février 2024, n° 22610.472, FS-B+R N° Lexbase : A19262MB

Lecture: 5 min

N8546BZK

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par Perrine Cathalo

Le 28 Février 2024

► Il résulte des dispositions claires et précises de l'article 21 du Règlement n° 596/2014, du 16 avril 2014, sur les abus de marché et abrogeant la Directive n° 2003/6 et les Directives n° 2003/124, n° 2003/125 et n° 2004/72 que, lorsque la diffusion d'informations est faite à des fins journalistiques, le manquement de diffusion d'informations fausses ou trompeuses prévu à l'article 12, paragraphe 1, sous c), de ce Règlement doit être apprécié en tenant compte des règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression dans les autres médias ainsi que des règles ou codes régissant la profession de journaliste, sauf si les personnes concernées ou les personnes étroitement liées à celles-ci tirent, directement ou indirectement, un avantage ou des bénéfices de la diffusion de l'information ou si cette diffusion a été réalisée dans l'intention d'induire le marché en erreur.

Faits et procédure. Le 22 novembre 2016, le bureau parisien d’une agence de presse américaine a reçu un communiqué de presse se présentant comme émanant de la société Vinci, dont les titres sont admis à la négociation sur le marché réglementé Euronext Paris, qui annonçait une opération de révision des comptes consolidés du groupe à la suite de la découverte, lors d'un audit interne, d'irrégularités comptables entraînant une perte nette pour l'exercice 2015 et le premier semestre 2016, ainsi que le licenciement du directeur financier, nommément désigné, de la société Vinci et la tenue, le lendemain, d'une conférence de presse.

Le même jour, l’agence de presse a diffusé plusieurs dépêches relayant le contenu de ce communiqué de presse et le cours du titre Vinci a concomitamment enregistré une baisse de 18,28 %. L’agence de presse a ensuite supprimé ces dépêches et diffusé des dépêches les rectifiant et les démentant et la société Vinci a publié sur son site internet un communiqué de presse démentant les informations publiées.

Après une enquête sur l'information financière et le marché du titre Vinci ouverte le 23 novembre 2016, le collège de l'AMF a, le 22 octobre 2018, décidé de notifier à la société américaine le grief de diffusion d'informations qu'elle aurait dû savoir fausses ou trompeuses et susceptibles de fixer le cours du titre Vinci à un niveau anormal ou artificiel, en violation des dispositions des articles 12, 15 et 21 du Règlement n° 596/2014, du 16 avril 2014, sur les abus de marché N° Lexbase : L4814I3P (Règlement « MAR »).

Par une décision n° 18 du 11 décembre 2019, la Commission des sanctions de l'AMF a retenu que le manquement reproché était caractérisé et prononcé, à l'encontre de la société américaine, une sanction pécuniaire de cinq millions d'euros, réduite, sur recours de la société, à trois millions d'euros par la cour d'appel de Paris, qui a tout de même confirmé la condamnation (CA Paris, 5-7, 16 septembre 2021, n° 20/03031 N° Lexbase : A952644L).

L’agence de presse a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

Décision. La Haute juridiction énonce la solution précitée et rejette le pourvoi.

Plus en détail, la Cour rappelle que l’article 21 du Règlement « MAR » accorde aux journalistes ayant diffusé des informations fausses ou trompeuses au sens de son article 12, paragraphe 1, sous c), un régime spécifique de protection tenant à la prise en compte des règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression, ainsi que des règles ou codes relatifs à la profession de journaliste.

Il s’ensuit qu'un journaliste qui, sans en tirer un avantage ni avoir l'intention d'induire le marché en erreur, a diffusé à des fins journalistiques une information fausse ou trompeuse, ne peut être sanctionné au titre du manquement de manipulation de marché prévu à l'article 12, paragraphe 1, sous c), du Règlement « MAR » s'il a respecté les règles ou codes relatifs à sa profession. À l'inverse, un journaliste qui, sans en tirer un avantage ni avoir l'intention d'induire le marché en erreur, a, sans respecter les règles ou codes de sa profession, diffusé à des fins journalistiques une information fausse ou trompeuse, peut être sanctionné au titre de ce manquement lorsque les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression le permettent. Enfin, un journaliste qui a diffusé une information fausse ou trompeuse pour en tirer ou en faire tirer un avantage ou des bénéfices ou pour induire le marché en erreur peut se voir sanctionner au titre du manquement de manipulation de marché sans qu'il y ait lieu d'appliquer les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression ainsi que les règles ou codes relatifs à sa profession pour apprécier la caractérisation de ce manquement.

La Haute juridiction ajoute que les journalistes sont soumis à une obligation de vérification, prévue non seulement par les règles déontologiques propres aux journalistes, la Charte d'éthique professionnelle des journalistes publiée par le syndicat national des journalistes et la Charte mondiale des journalistes, mais aussi par les procédures internes de la société américaine, afin de s'appuyer sur une base factuelle suffisamment précise et fiable, proportionnée à la nature et à la force de leurs allégations.  

Dès lors, la Cour affirme que les informations journalistiques relatives à la situation financière de sociétés cotées et destinées aux investisseurs n'ont pas, dans une société démocratique, la même importance que les informations journalistiques relatives à des sujets présentant un intérêt général ou historique ou revêtant un grand intérêt médiatique, de sorte que la liberté de la presse peut, en matière financière, lorsque l'activité journalistique s'adresse au public des investisseurs, être davantage restreinte pour garantir l'intégrité et la transparence des marchés financiers et la protection de ces investisseurs.

Or en l’espèce, compte tenu de l'absence de vérifications réalisées antérieurement à la publication des dépêches en litige malgré l'importance de l'information concernée, la Chambre commerciale juge que la société américaine n'a pas agi dans le respect des règles et des codes régissant sa profession et que le manquement qui lui est imputable a entraîné des pertes financières importantes pour les investisseurs et a porté atteinte à l'intégrité des marchés financiers et à la confiance des investisseurs dans ces marchés. 

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Droit social européen

[Brèves] Licenciement d'un salarié en CDD : il faut l'informer du motif de la rupture

Réf. : CJUE, 20 février 2024, aff. C-715/20 N° Lexbase : A92152MA

Lecture: 3 min

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par Lisa Poinsot

Le 28 Février 2024

Un travailleur engagé à durée déterminée doit être informé des motifs de résiliation avec préavis de son contrat de travail si cette information est prévue pour un travailleur à durée indéterminée.

Faits et procédure. Un salarié voit son contrat de travail à durée déterminée résilié avec préavis d’un mois. Or son employeur ne lui indique pas les motifs de sa décision.

Le salarié saisit alors la juridiction nationale compétente en soulevant le caractère illicite de son licenciement. Il estime que l’absence d’une telle indication viole le principe de non-discrimination consacré en droit de l’Union européenne et le droit national. En effet, le droit national prévoit l’obligation de communication le motif de la rupture uniquement en cas de résiliation de CDI.

La juridiction nationale compétente décide de surseoir à statuer et de poser à la CJUE les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 1er de la Directive n° 1999/70 N° Lexbase : L0072AWL ainsi que les clauses 1 et 4 de l’accord-cadre doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit l’obligation pour l’employeur de motiver par écrit sa décision de résiliation d’un contrat de travail uniquement lorsqu’il s’agit de contrats de travail à durée indéterminée et qui, de ce fait, soumet la légitimité du motif de résiliation des contrats à durée indéterminée au contrôle juridictionnel, sans qu’elle prévoie en parallèle une telle obligation d’indiquer les motifs de la résiliation pour l’employeur dans le cas des contrats de travail à durée déterminée (par conséquent, seule la question de la conformité de la résiliation avec les dispositions relatives à la résiliation des contrats est soumise au contrôle juridictionnel) ?

2)      La clause 4 de l’[accord-cadre] et le principe général du droit de l’Union de non-discrimination (article 21 de la [Charte]) sont-ils susceptibles d’être invoqués par les parties dans un litige opposant des particuliers et, par conséquent, ces dispositions ont-elles un effet horizontal ? »

La solution. Énonçant la solution susvisée, la CJUE rappelle que l’accord-cadre vise à améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination.

Lorsqu’il ne reçoit pas d’informations quant aux motifs de résiliation du contrat, le travailleur à durée déterminée est privé d’une information importante pour apprécier l’éventuel caractère injustifié de son licenciement. Il ne dispose dès lors pas, en amont, d’une information pouvant être déterminante aux fins du choix d’engager ou non une action en justice.

En outre, la CJUE considère que la seule nature temporaire d’une relation de travail ne justifie pas le traitement moins favorable des travailleurs à durée déterminée.

Il en ressort que la différence de traitement en question porte également atteinte au droit à un recours effectif.

En conséquence, les lois nationales exigeant des motifs pour mettre fin aux CDI, mais pas pour les CDD, violent le principe de non-discrimination en vertu du droit de l’Union européenne.

Pour aller plus loin :

  • v. fiche pratique, FP261, Mettre fin à un contrat à durée déterminée, Droit social – RH N° Lexbase : X3551CQL ;
  • v. ÉTUDE : La rupture ou la fin du contrat à durée déterminée, Les cas abusifs de rupture anticipée du CDD, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E39623YE ;
  • v. aussi ÉTUDE : Le principe de non-discrimination, Les situations dans lesquelles les discriminations sont prohibées, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E194603H.

newsid:488502

Entreprises en difficulté

[Indices et taux] La date de naissance de la créance de recours née d’une garantie financière

Réf. : Cass. com., 7 février 2024, n° 22-21.052, F-B N° Lexbase : A91392KP

Lecture: 11 min

N8498BZR

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par Emmanuelle Le Corre-Broly - Maître de conférences HDR à l’Université Côte d’Azur et Pierre-Michel Le Corre - Professeur à l'Université Côte d'Azur

Le 28 Février 2024

Mots-clés : date de naissance des créances • créance de remboursement du garant financier de l’opérateur de tourisme • signature du contrat • indifférence de la mise en œuvre de la garantie

La créance de remboursement du garant des opérateurs de tourisme naît du contrat conclu avec l’opérateur et doit être déclarée au passif de ce dernier indépendamment de son exigibilité.


 

La date de naissance des créances contractuelles est une question très délicate en droit civil. Deux belles thèses de doctorat [1] et un superbe colloque [2] lui avaient d’ailleurs été consacrés. Il n’est pas étonnant que ce caractère complexe de la question se retrouve en cas d’ouverture d’une procédure collective. L’enjeu est grand : il est de déterminer si le titulaire de la créance, en l’occurrence une créance de remboursement d’une garantie, doit se soumettre à la discipline collective et notamment la déclarer au passif de son débiteur. La réponse est positive si la créance est née avant le jugement d’ouverture. Au contraire, la réponse était toujours négative, sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW, si la créance était née après le jugement d’ouverture, puisque sous l’empire de cette législation, les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture étaient systématiquement des créances de l’article 40. Elle reste par principe négative, sous l’empire de la loi de sauvegarde (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT, car cette créance est la contrepartie d’une prestation fournie au débiteur. Il est en effet question d’obtenir le remboursement par le débiteur de la mise en œuvre de la garantie.

On comprend donc l’importance, dans la présente espèce, de déterminer la date de naissance de la créance de remboursement détenue par le garant financier d’un opérateur de tourisme, garant dont l’existence conditionne l’immatriculation au registre des opérateurs de tourisme.

En l’espèce, la société Q. a été mise en sauvegarde par un jugement du 3 décembre 2019, publié au BODACC le 8 décembre 2019. Cette procédure collective a été convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 17 décembre 2019. 

Par une lettre recommandée du 24 février 2020, l'Association professionnelle de solidarité du tourisme (l'APST), qui avait fourni à la société Q. la garantie financière exigée pour son immatriculation au registre des opérateurs de tourisme, a déclaré sa créance au passif.

Le liquidateur lui ayant opposé le caractère tardif de cette déclaration, l'APST, après y avoir été invitée par le juge-commissaire qui avait constaté l'existence d'une contestation sérieuse, a assigné la société Q. et le liquidateur devant le tribunal de la procédure collective pour obtenir le relevé de la forclusion et l'admission de sa créance.

L'APST fait grief à l'arrêt de la déclarer forclose en sa déclaration de créance et de rejeter sa demande de relevé de forclusion, alors :
« 1/ que dès lors qu'elle est exclusive d'un état de cessation des paiements, l'ouverture d'une procédure de sauvegarde ne constitue pas un cas de défaillance justifiant la mise en œuvre de la garantie financière prévue au a) du II de l'article L. 211-18 du code du tourisme N° Lexbase : L6690LHA ; qu'en considérant le contraire, pour en déduire que la garantie de l'APST était mobilisable dès l'ouverture de la procédure de sauvegarde et que la publication du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde constituait le point de départ du délai de la déclaration de la créance de l'APST, la cour d'appel a violé l'article R. 211-31 du code du tourisme, ensemble les articles L. 620-1 N° Lexbase : L9116L7R, L. 622-24 N° Lexbase : L8803LQ4 et R. 622-24 N° Lexbase : L6120I33 du code de commerce ;
2/ que tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au  jugement d'ouverture adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans les deux mois suivant la publication du jugement d'ouverture, sous peine de forclusion ; qu'en se fondant, pour apprécier la forclusion de la créance déclarée par l'APST, sur la date de la naissance de la créance de garantie de l'agent de voyages et non sur la date de la naissance de créance de l'APST, la cour d'appel a violé les articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce ;
3/ que tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans les deux mois suivant la publication du jugement d'ouverture sous peine de forclusion ; que la créance que détient l'organisme de garantie collective sur l'agent de voyages auquel il a accordé sa garantie financière en application du a) du II de l'article L. 211-18 du code du tourisme naît à compter de la mise en œuvre de la garantie au profit des clients lésés par la défaillance de l'agent de voyages ; qu'en considérant, pour retenir que l'APST aurait dû déclarer sa créance dans les deux mois suivant la publication du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, que la créance de garantie de la société Q. trouve son origine dans le contrat souscrit antérieurement à la procédure de sauvegarde et a pour date de naissance la date de la souscription de l'engagement à l'égard du client de l'agence, la cour d'appel a violé l'article R. 211-31 code du tourisme N° Lexbase : L2462KHN, ensemble les articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce. »

La Cour de cassation, sans surprise, va rejeter le pourvoi au visa de l'article L. 622-24, alinéa 1, du Code de commerce.

Selon ce texte, à partir de la publication du jugement d'ouverture, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement à ce jugement adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire. Dès lors, juge la Cour de cassation, la cour d’appel « retient à bon droit que la créance de l'APST est née du contrat qu'elle a conclu, antérieurement à l'ouverture de la sauvegarde, avec la société Q. pour procurer à cette dernière la garantie obligatoire exigée à l'article L. 211-18 du code du tourisme. Il en déduit exactement que cette créance devait, indépendamment de son exigibilité, être déclarée dans les deux mois de la publication au BODACC du jugement de sauvegarde intervenue le 8 décembre 2019 et la forclusion de la déclaration de créance de l'APST effectuée le 24 février 2020 ».

On commencera par être étonné du cheminement procédural de l’espèce. Le créancier déclare sa créance hors délai, puis saisit le juge-commissaire d’une requête en relevé de forclusion. Jusque-là tout paraît normal, même si ce n’est qu’une apparence ; nous y reviendrons.

La suite est plus étonnante. Le juge-commissaire relève qu’il y a une contestation sérieuse et se déclare incompétent. Le pouvait-il ? Non, assurément. Pourquoi ? Parce qu’il était question de la régularité de la déclaration de créance, question qui relève du pouvoir exclusif du juge-commissaire, même si la question à régler est complexe.

Le tribunal saisi par le créancier pour faire trancher ce que le juge-commissaire a appelé une « contestation sérieuse », était donc incompétent. Quel qu’incompétent qu’il ait été, il rend une décision éclairée en jugeant que la créance de remboursement détenue par un garant financier naît du contrat de garantie. Cette solution s’inscrit en effet dans la droite ligne d’une jurisprudence très fournie sur la question.

La question s’est d’abord posée dans le droit du cautionnement. Ce droit fait naître une obligation de rembourser à la charge du débiteur, mais aussi des cofidéjusseurs, pour ce qui excède la part contributive de la caution solvens. Qu’est-ce qui fait naître cette obligation ?

Statuant à propos du recours de la caution solvens contre un cofidéjusseur, la Cour de cassation a estimé que « la créance de la caution qui a payé la dette et qui agit contre son cofidéjusseur sur le fondement de l’article 2033 du Code civil N° Lexbase : L1037ABZ (devenu 2310 N° Lexbase : L0165L8M), prend naissance à la date de l’engagement de caution » [3].

Le principe de solution a ensuite été posé à propos du recours de la caution contre le débiteur principal : la créance de recours personnel de la caution solvens naît de l’engagement de caution [4]. Peu importe donc que la caution ait déjà payé le créancier : elle doit déclarer sa créance de recours personnel, même s’il est question du recours avant paiement [5]. Par conséquent, la créance de recours anticipé déclarée sous la dénomination « encours de caution » ne peut être rejetée, au prétexte que la caution n’aurait pas encore payé et n’aurait même pas été appelée en paiement [6].

La créance de recours du garant autonome contre le donneur d’ordre prend identiquement naissance à la date de souscription de l’engagement de garantie [7].

C’est donc un principe général de solution qui est posé : la créance de remboursement détenue par un garant naît de la convention de garantie.

Une fois ce point établi, peu importe que le cas de mise en oeuvre de la garantie ne soit pas encore advenu au jour du jugement d’ouverture du débiteur garanti, comme c’était le cas en l’espèce, la garantie n’ayant pas à être mise en œuvre dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, au motif que le débiteur n’est pas en état de cessation des paiements. Car, ainsi que le rappelle ici la Cour de cassation, il importe de bien distinguer naissance de la créance et exigibilité de la créance. Seule la première importe.

On ajoutera que cela oblige à déclarer une créance éventuelle, mais la solution ne surprend pas en droit des entreprises en entreprises en difficulté. Tant que l’éventualité ne se présentera pas, le juge-commissaire ne peut admettre la créance. Mais ne sachant si elle adviendra, il ne peut la rejeter. Il doit donc surseoir à statuer. Ensuite, de deux choses l’une : ou bien l’éventualité se présente, c’est-à-dire que le garant est appelé en paiement et s’exécute, et la créance de recours doit être admise au passif. Ou bien l’éventualité ne se présente pas. Le garant n’est pas appelé en paiement et la créance de remboursement doit être rejetée.

Terminons par une observation qui nous apparaît déterminante dans la conduite de l’instance en cause. Le garant, de manière évidente, s’est contredit. Pourquoi demande-t-il à être relevé de forclusion, alors qu’il prétend ne pas avoir encouru la forclusion ? Lapalisse le dirait aussi bien que nous : seul celui qui a encouru la forclusion peut demander à en être relevé.

En sollicitant le relevé de forclusion, le créancier s’expose à un refus de la part du juge-commissaire, si le motif de relevé de forclusion invoqué est la démonstration que la défaillance à déclarer dans les délais n’est pas due à son fait.

En revanche, même en se plaçant sur le terrain du relevé de forclusion, le créancier aurait nécessairement obtenu gain de cause s’il avait démontré que sa tardiveté à déclarer sa créance était la conséquence du fait que le débiteur avait commis une omission dans l’établissement de la liste de ses créanciers et du montant de leurs créances. Car il est fort à parier que le débiteur n’avait pas placé le garant financier sur la liste de ses créanciers, tout simplement parce que, à la date du jugement d’ouverture, il ne lui devait rien, la garantie n’ayant pas été actionnée.

On le voit, la gestion de ces dossiers portant sur des créances de remboursement, alors que la garantie n’a pas été activée, n’est pas simple et il faut bien connaître les arcanes du droit civil, posant les règles de formation des créances, et celles du doit des entreprises en difficulté, obligeant à déclarer au passif des créances qui ne sont encore qu’en germe !


[1] E. Putman, La formation des créances, th., Aix-Marseille, 1987 ; P.-E. Audit, La naissance des créances, Approche critique de conceptualisme juridique, th., dac. Paris II, 2013.

[2] « La date de naissance des créances », Colloque Cedag Paris V, 25 mars 2004, LPA 9 nov. 2004, no 224.

[3] Cass. com., 16 juin 2004, n° 01-17.199, FS-P+B N° Lexbase : A7318DCZ, D., 2004, AJ 2046 ; Act. proc. coll., 2004/15, n° 185, note D. Legeais ; JCP E, 2005, Chron. 31, p. 32, n° 15, obs. M. Cabrillac ; RD banc. fin., 2004/5, p. 326, n° 200, obs. D. Legeais et 2004/6, p. 410, n° 244, obs. F.-X. Lucas ; RTD com., 2004, 812, note A. Martin-Serf ; RTD civ., 2004, 758, n° 2, obs. P. Crocq ; Gaz. Pal., jur. 1 au 3 août 2004, p. 12, note P.-M. Le Corre ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, juillet 2004, n° 127 N° Lexbase : N2336AB7 – Cass. com., 1er décembre 2009, n° 07-14.199, F-D N° Lexbase : A3368EPG.

[4] Cass. com., 1er mars 2005, n° 02-13.176, F-D N° Lexbase : A0946DHI, D., 2005, 1365, note P.-M. Le Corre ; Gaz. proc. coll., 2005/2, p. 42, obs. P.-M. Le Corre ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, mai 2005, n° 168 N° Lexbase : N4227AIE – Cass. com., 8 janvier 2008, n° 07-10.394, F-D N° Lexbase : A2749D39, RTD com., 2009, 211, n° 7, obs. A. Martin-Serf – Cass. com., 1er avril 2008, n° 07-12.238, F-D N° Lexbase : A7710D7P, JCP E, 2008, Chron., 2013, n° 7, obs. Ph. Simler – Cass. com., 8 juillet 2008, n° 07-16.686, F-D N° Lexbase : A6325D97, Gaz. proc. coll., 2008/4, p. 47, n° 1, note L.-C. Henry ; RTD com., 2009, 211, n° 7, obs. A. Martin-Serf ; RJ com., 2009/1, p. 70, note J.-P. Sortais – Cass. com., 30 septembre 2008, n° 07-18.479, F-D N° Lexbase : A5948EAK, Gaz. proc. coll. 2009/1, p. 31, n° 2, note L.-C. Henry ; LPA, 21 septembre 2009, n° 188, p. 9, note J.-P. Sortais – Cass. com., 30 septembre 2008, n° 07-16.687, F-D N° Lexbase : A5906EAY, RTD com., 2009, 211, n° 7, obs. A. Martin-Serf – Cass. com., 30 septembre 2008, n° 07-16.688, F-D N° Lexbase : A5907EAZ, RTD com., 2009, 211, n° 7, obs. A. Martin-Serf.

[5] Cass. com., 3 février 2009, n° 06-20.070, FS-P+B N° Lexbase : A9438ECK, JCP E, 2009, 1347, n° 12, obs. M. Cabrillac ; JCP E, 2009, 1644, n° 11, obs. Ph. Simler ; RD banc. fin., 2009/2, p. 48, no 52, note D. Legeais ; Dr. et proc., juillet/août 2009, p. 202, note Y. Picod ; Rev. proc. coll., 2009/5, p. 47, § 113, note F. Macorig-Vénier ; RTD com., 2009, 612, n° 1, obs. A. Martin-Serf – Cass. com., 30 janvier 2019, n° 17-22.743, F-D N° Lexbase : A9898YU7, Rev. Sociétés, 2019, 215, note L.-C. Henry ; BJE, mai/juin 2019, 116y5, p. 34, note S. Atsarias – Cass. com., 30 janvier 2019, n° 17-22.744, F-D N° Lexbase : A9832YUP – Cass. com., 30 janvier 2019, n° 17-22.745, F-D N° Lexbase : A9861YUR.

[6] Cass. com., 30 janvier 2019, trois arrêts préc.

[7] Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-13.461, FS-P+B+I+R {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 2504288, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. com., 19-12-2006, n\u00b0 05-13.461, FS-P+B+I+R, Rejet.", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A9940DSX"}}, D., 2007, AJ 158, obs. A. Lienhard, Gaz. proc. coll., 2007/2, p. 32, note L.-C. Henry ; Gaz. proc. coll., 2007/2, p. 40, note Ph. Roussel Galle ; JCP E, 2007, 1450, p. 23, n° 12, obs. M. Cabrillac ; RD banc. fin., mars-avril 2007, p. 18, n° 59, note D. Legeais ; RLDC, 2007, n° 2399, obs. J.-J. Ansault ; Banque et droit, janvier/février 2007, n° 111, p. 49, note F.-J. ; RTD com., 2007, 450, n° 5, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., 2007/3, p. 145, n° 5, obs. C. Saint-Alary-Houin ; RTD com., 2007, 837, n° 3, obs. A. Martin-Serf.

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Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] Pacte Dutreil réputé acquis et fonction de direction : le juge confirme que celle-ci ne peut pas être portée par le donateur

Réf. : Cass. com., 24 janvier 2024, n° 22-10.413, FS-B N° Lexbase : A71332GB

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N8484BZA

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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

Le 23 Février 2024

Mots-clés : pacte Dutreil •droits de mutation à titre gratuit patrimoine transmission donateur

1.- Le pacte Dutreil permet de bénéficier d’un abattement de 75 % sur l’assiette des droits de mutation à titre gratuit. La mise en œuvre de cet avantage fiscal en matière de transmission implique de réunir plusieurs conditions. Il est notamment nécessaire de conserver les titres d’une société opérationnelle, dans le cadre d’un engagement collectif d’une durée minimale de deux ans, et de conserver ensuite les titres transmis durant une période de quatre ans. Cet engagement individuel de conservation des titres de quatre prend la suite de l’engagement collectif de conservation d’une durée minimum de deux ans.

Il convient également de rappeler que l’engagement collectif doit porter à minima sur 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote au cas d’une société non cotée. Au cas d’une société cotée, les seuils sont respectivement portés à 10 % et 20  %.

En outre, l’article 787 B, d du Code général des impôts exige que l’un des associés signataires de l’engagement collectif ou l’un des héritiers, donataires ou légataires bénéficiaires de la transmission exerce une fonction de direction (société soumise à l’impôt sur les sociétés) ou son activité professionnelle à titre principal (société soumise à l’impôt sur le revenu) durant l’engagement collectif de conservation, et durant les trois années suivant la date de la transmission.


 

2.- En pratique, certaines difficultés peuvent exister quant à la détermination des personnes devant exercer la fonction de direction. Ces difficultés peuvent notamment être liées aux modalités d’application de l’article 787 B du Code général des impôts N° Lexbase : L8080MHQ.

En effet, il existe trois grandes modalités d’application de l’abattement de 75 % :

  • La conclusion d’un pacte écrit collectif ou unilatéral au titre duquel, il est nécessaire de conserver les titres durant une période minimale de 2 ans.
  • L’application du pacte réputé acquis. Celui permet d’une certaine façon de faire l’économie de l’engagement collectif de conservation de deux ans. Pour cela, il est nécessaire que la société soit détenue depuis à minima deux ans par une personne physique, seule ou avec son conjoint, le partenaire de PACS ou son concubin notoire. Il est également nécessaire qu’à la date de la transmission, l’une des personnes citées précédemment exerce son activité professionnelle à titre principal (société soumise à l’impôt sur le revenu), ou une fonction de direction (société soumise à l’impôt sur les sociétés) depuis à minima deux ans [1].
  • La conclusion d’un engagement collectif ou unilatéral post-mortem. Celui-ci doit être conclu dans les six mois qui suivent le décès [2].

3.- L’appréciation de la fonction de direction au cas d’un pacte réputé acquis a pu poser des difficultés. La position de l’administration fiscale, notamment jusqu’au 21 décembre 2021 a pu laisser perplexe (I).

La chambre commerciale de la Cour de cassation vient récemment de se positionner également quant à l’identité des personnes pouvant porter la fonction de direction en cas d’application d’un pacte réputé acquis (II). Ces positions doivent ainsi inciter à la prudence dans certaines situations.

I. La poursuite de la fonction de direction par le donateur et remise en cause pour l’administration fiscale 

A. Le bénéficiaire de la transmission doit porter la fonction de direction 

4.- L’article 787 B, d du Code général des impôts est actuellement rédigé comme suit : « L'un des associés mentionnés au a ou l'un des héritiers, donataires ou légataires mentionnés au c exerce effectivement dans la société dont les parts ou actions font l'objet de l'engagement collectif de conservation, pendant la durée de l'engagement prévu au a et pendant les trois années qui suivent la date de la transmission, son activité professionnelle principale si celle-ci est une société de personnes visée aux articles 8 et 8 ter, ou l'une des fonctions énumérées au 1° du 1 du III de l'article 975 lorsque celle-ci est soumise à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option ».

5.- Il vise ainsi les personnes susceptibles de pouvoir exercer la fonction de direction durant l’engagement collectif et les trois années suivant la transmission. Ces personnes sont :

  • Les associés mentionnés au a de l’article 787 B du Code général des impôts. Le a vise le défunt ou le donateur qui a pris pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d’autres associés l’engagement collectif de conservation.

Cette rédaction semble ainsi renvoyer aux signataires de l’engagement collectif ou unilatéral de conservation.

  • Ou, les héritiers, donataires ou légataires qui ont pris l’engagement individuel de conservation. Le texte semble ainsi viser les personnes qui ont bénéficié de l’article 787 B du Code général des impôts.

6.- Au cas d’un pacte réputé acquis, faute d’engagement écrit, il n’y a pas de signataires en tant que tels de l’engagement collectif. Dans le cadre d’une appréciation littérale du texte, on peut penser que le donateur ne peut pas porter la fonction de direction.

Celle-ci devrait impérativement être portée par les héritiers, donataires ou légataires qui ont pris l’engagement individuel de conservation.

5.- L’administration fiscale s’est rangée derrière cette analyse dans le cadre de la réponse ministérielle « Moreau » [3]. Celle-ci précise notamment : « Ainsi, dans l'hypothèse d'un engagement collectif « réputé acquis », le bénéfice de l'exonération partielle ne trouve pas à s'appliquer lorsque, postérieurement à la transmission, le donateur assure lui-même la fonction de dirigeant de la société. En effet, dans cette situation le donateur n'est pas signataire d'un engagement de conservation dès lors qu'il ne remplit pas les exigences fixées au d de l'article 787 B précité ».

B. L’abandon par l’administration de la condition liée à l’absence de poursuite par le donateur de la fonction de direction 

6.- Chose assez surprenante, l’administration fiscale a affiné sa position en ce qui concerne l’exercice de la fonction de direction au cas du pacte réputé acquis.

Celle-ci précisait entre le 6 avril 2021 et le 21 décembre 2021 : « L'exonération partielle ne trouve donc notamment pas à s'appliquer en cas d'engagement réputé acquis lorsque le donateur continue d'exercer son activité professionnelle principale ou la fonction de direction dans la société après la transmission ».

7.- Cette rédaction était susceptible de poser des difficultés dans la mesure où elle empêchait le donateur de poursuivre l’activité. Ainsi, la position de l’administration fiscale aboutissait à limiter ou empêcher la mise en place de stratégie de transmission progressive des « commandes » de l’entreprise. Alors même que l’enfant bénéficiaire de la transmission exercerait son activité principale ou une fonction de direction au sein de la société transmise, la poursuite de celle-ci par le parent donateur empêchait l’application de l’article 787 B du Code général des impôts.

8.- On relèvera que cette rédaction ne collait pas à la lettre de l’article 787 B, d du Code général des impôts, qui s’il fixe la qualité des personnes devant exercer la fonction de direction ou l’activité professionnelle à titre principal, ne pose aucune mesure d’exclusion ou de condition concernant un éventuel exercice exclusif de celle-ci.

Heureusement, dans ses derniers commentaires, à savoir ceux publiés le 21 décembre 2021, l’administration fiscale est revenue à une lecture plus heureuse de l’article 787 B, d du Code général des impôts. Il est ainsi possible pour un parent réalisant la transmission de sa société, de continuer à exercer une fonction de direction, sans disqualifier l’application du régime de faveur, sous réserve et à la condition bien entendu que l’enfant bénéficiaire exerce lui-même la fonction de direction ou son activité professionnelle à titre principal.

Récemment, la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est également positionnée sur l’identité des personnes devant porter la fonction de direction au cas d’un pacte réputé acquis.

II. La Cour de cassation confirme l’impossibilité pour le donateur de porter seul la fonction de direction au cas d’un pacte réputé acquis 

A. La confirmation de la réponse Moreau 

9.- Dans cette affaire, une personne physique a donné la pleine propriété de 204 actions d’une société anonyme à chacun de ses enfants, soit un total de 408 actions, pour une valeur totale de 3 046 128 euros. La transmission a été effectuée au moyen d’un don manuel le 17 juin 2011, enregistrée le 30 juin 2011.
Le contribuable a fait application de l’article 787 B du Code général des impôts. Le pacte réputé acquis a été utilisé dans ce dossier.

Il ressort du dossier, que les actions avaient fait l’objet d’un engagement collectif de conservation signé par le contribuable, et les enfants, le 15 février 2007. Celui-ci était toujours en cours au 17 février 2011, en sus de l’engagement collectif des titres réputés acquis.

En outre, l’un des enfants a démissionné le 21 octobre 2013 de ses fonctions de membres du directoire et directeur général de la société.

L’autre enfant exerçait la fonction de vice-présidente du Conseil de surveillance.
10.- L’administration fiscale a remis en cause l’application de l’article 787 B du Code général des impôts, considérant que les enfants bénéficiaires de la transmission n’ont pas exercé pendant les trois ans suivant la transmission une fonction de direction.

La défense s’est organisée autour des personnes pouvant exercer la fonction de direction.

Le contribuable considère que la fonction de direction peut être exercée par tous les associés membres d’un engagement collectif de conservation, et non exclusivement le donateur et les autres associés ayant souscrit un engagement formel.
11.- La Cour de cassation précise : « Il résulte d'une lecture combinée de ces dispositions, qu'en cas d'engagement collectif réputé acquis, l'exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, des parts ou actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs, prévu à l'article 787 B du code général des impôts, ne s'applique que lorsque, pendant les trois années qui suivent la date de la transmission, l'un des héritiers, donataires ou légataires exercent effectivement dans la société son activité professionnelle principale, si celle-ci est une société de personnes visée aux articles 8 et 8 ter du même Code, ou l'une des fonctions énumérées au 1° de l'article 885 O bis dudit Code, lorsque celle-ci est soumise à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option ».

12.- Le contribuable défendait [4] une approche large des personnes susceptibles d’exercer la fonction de direction, celle-ci intégrant le donateur. Celui-ci considérait que le a de l’article 787 B renvoie à l’ensemble des associés membres d’un engagement collectif, et pas uniquement aux signataires de celui-ci. Le pacte réputé acquis n’est selon cette vision pas une dispense de l’engagement collectif, mais un engagement collectif à part entière.

13.- Comme on peut le voir, la Cour de cassation n’a pas suivi l’argumentation du contribuable. Se retranchant derrière une lecture littérale du texte, la Cour de cassation confirme la position de l’administration, à savoir que la fonction de direction dans le cadre d’un pacte réputé acquis doit être portée par l’un des héritiers, donataires ou légataires durant les trois ans suivant la transmission.

B. Une limite pratique à l’utilisation du pacte réputé acquis 

14.- On relèvera que la Cour d’appel de Bordeaux a notamment pu indiquer, en commentant la rédaction de l’article 787 B, d du Code général des impôts : « Il résulte de cette formulation que les associés auxquels renvoie le d) sont les parties qui ont signé l'engagement avec le donateur, rédaction qui exclut que le donateur, une des parties à l'acte, puisse être dans le même temps un des associés avec qui il a conclu l'engagement ».

Cette rédaction peut laisser perplexe, notamment quant à la possibilité pour le donateur, dans le cadre d’un pacte écrit classique, d’exercer la fonction de direction.

15.- Si la position de la Cour de cassation peut paraître justifier au regard de la rédaction de l’article 787 B du code général des impôts, cela implique de rester prudent quant à la mise en œuvre pratique du pacte Dutreil réputé acquis.

En effet, il convient d’être certain que les enfants pourront poursuivre l’activité. Cela est susceptible de poser des difficultés dans de nombreux cas. Si on pense aux situations de minorité des enfants, on peut également penser à certaines professions qui peuvent nécessiter des qualifications spécifiques (notaires, avocats, expert-comptable…). On peut également penser au monde agricole, où les enfants n’ont pas toujours en temps et en heure la capacité d’exploiter. Ainsi, « l’économie » de temps générée par le pacte réputé acquis, peut se payer cher au regard de la fonction de direction, tendant ainsi à préférer dans certains cas la conclusion d’engagement collectif écrit.

16.- Les difficultés peuvent également exister selon le régime fiscal de la société dont les titres sont transmis. Là encore, les sociétés de personnes relevant de l’impôt sur le revenu, cela concernant notamment le monde agricole, sont susceptibles de poser des difficultés. Il n’est pas rare en pratique que les enfants aient d’autres activités, à l’extérieur de la ferme. L’analyse du d de l’article 787 B du Code général des impôts, oblige ceux-ci à exercer leur activité professionnelle à titre principal au sein de la société dont les titres sont transmis.

Il convient de relever que l’administration fiscale [5] considère ici que, cette condition s’analyse comme en matière d’impôt sur la fortune immobilière, sans pour autant opérer un renvoi complet à la doctrine administrative visant l’IFI et la notion de biens professionnels.

Dès lors, le choix du pacte réputé acquis peut également peut des difficultés et aboutir à la perte du régime de faveur, notamment lorsque les activités extérieures de l’enfant deviennent majoritaires.

Le pacte écrit peut ici permettre de sécuriser certaines situations.

17.- Si ces difficultés ne sont pas nouvelles, elles demandent à avoir une approche vigilante quant à l’utilisation du pacte réputé acquis.

 

[1] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 230, publié le 21 décembre 2021 [en ligne].

[2] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 220, publié le 21 décembre 2021 [en ligne].

[3] QE n° 99759 de M. Yannick Moreau, JOANQ 11 octobre 2016, réponse publ. 7 mars 2017 p. 1983, 14ème législature N° Lexbase : L7071LDA ; reprise au BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 395, publié le 21 décembre 2021 [en ligne].  

[4] CA Bordeaux, 23 novembre 2021, n° 19/03867 N° Lexbase : A86337CQ.

[5] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 280, publié le 21 décembre 2021 [en ligne]

newsid:488484

Fiscalité du patrimoine

[Brèves] Les ORA ne sont pas considérées comme des biens professionnels exonérés d’ISF

Réf. : Cass. com., 14 février 2024, n° 22-16.954, F-B N° Lexbase : A19222M7

Lecture: 3 min

N8493BZL

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par Marie-Claire Sgarra

Le 28 Février 2024

La Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 14 février 2024 que les obligations remboursables en actions (ORA) émises par une société soumise à l'impôt sur les sociétés dans laquelle le redevable exerce ses fonctions ne constituent pas des parts ou actions de cette société et, par conséquent, ne sont pas susceptibles d'être considérées comme des biens professionnels.

Les faits. Le requérant est associé d’une société holding de droit belge, laquelle a souscrit des obligations remboursables en actions (ORA) émises par une SAS dont il est président directeur général.

Procédure. L'administration fiscale adresse au requérant et son épouse une proposition de rectification portant rappel d’ISF et de contribution exceptionnelle sur la fortune, remettant en cause l'exonération, au titre des biens professionnels, de la valeur des titres de la holding à concurrence de la valeur réelle de l'actif brut de cette société correspondant aux ORA qu'elle avait souscrites auprès de la SAS.

Après rejet de leur réclamation, les époux ont assigné l'administration fiscale aux fins d'obtenir la décharge des droits supplémentaires réclamés.

Principe. (CGI, arts. 885 A N° Lexbase : L0138IWZ et 885 O bis N° Lexbase : L3202LCL). Sont considérés comme des biens professionnels exonérés d'ISF les parts et actions d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés dans laquelle le redevable exerce l'une des fonctions énumérées dans le CGI, à condition que le redevable possède 25 % au moins des droits de vote attachés aux titres émis par la société, directement ou par l'intermédiaire de son conjoint ou de leurs ascendants ou descendants ou de leurs frères et sœurs.

Les titres détenus dans les mêmes conditions dans une société possédant une participation dans la société dans laquelle le redevable exerce ses fonctions sont pris en compte dans la proportion de cette participation ; la valeur de ces titres qui sont la propriété personnelle du redevable est exonérée à concurrence de la valeur réelle de l'actif brut de la société qui correspond à la participation dans la société dans laquelle le redevable exerce ses fonctions.

Les ORA constituent, dans le patrimoine de leur souscripteur, jusqu'à leur remboursement, des obligations ayant la nature de créances, peu important qu'elles soient inscrites, dans la comptabilité de la société émettrice, dans la catégorie des fonds propres et non dans celle des dettes.

Il s'ensuit que les ORA émises par une société soumise à l'impôt sur les sociétés dans laquelle le redevable exerce ses fonctions ne constituent pas des parts ou actions de cette société et, par conséquent, ne sont pas susceptibles d'être considérées comme des biens professionnels.

Ne constitue a fortiori pas une participation la détention d'ORA émises par une société dans laquelle le redevable exerce ses fonctions, de sorte que la valeur des titres de la société détentrice de ces ORA, qui sont la propriété personnelle du redevable, ne saurait être exonérée à concurrence de la valeur réelle de l'actif brut de cette société correspondant à la valeur desdites ORA.

Le pourvoi des requérants est rejeté.

 

newsid:488493

Procédure

[Brèves] Recevabilité d’une vidéosurveillance illicite comme moyen de preuve sous certaines conditions

Réf. : Cass. soc., 14 février 2024, n° 22-23.073, F-B N° Lexbase : A19252MA

Lecture: 4 min

N8467BZM

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par Charlotte Moronval

Le 28 Février 2024

► Le licenciement pour faute grave d’une salariée fondée sur le visionnage d’une vidéosurveillance de sécurité est justifié malgré le caractère illicite de la preuve, dès lors que celle-ci est indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi.

Faits. En l'espèce, une caissière est licenciée pour faute grave, prise en flagrant délit de vol par les enregistrements de vidéosurveillance de l'entreprise.

La salariée saisit la juridiction prud’homale pour contester le licenciement, estimant le mode de preuve utilisé par l'employeur n'était pas recevable et ne pouvait justifier un licenciement.

En effet, le système de vidéosurveillance n'était pas licite, notamment du fait que l'information des salariés, concernant ce dispositif, n'était pas claire ni complète.

Position de la cour d’appel. Les juges du fond confirment le licenciement pour faute grave de la salariée.

1° La cour d'appel relève, d’abord, qu'il était démontré qu'après avoir constaté des anomalies dans les stocks, la société avait envisagé l'hypothèse de vols par des clients, d'où le visionnage des enregistrements issus de la vidéo protection, ce qui avait permis d'écarter cette piste.

2° Constatant, ensuite, que les inventaires confirmaient des écarts injustifiés, l'employeur avait décidé de suivre les produits lors de leur passage en caisse et de croiser les séquences vidéos, révélant ainsi dix-neuf anomalies graves à la caisse de la salariée en moins de deux semaines.

3° Elle a, enfin, retenu que le visionnage des enregistrements avait été limité dans le temps, dans un contexte de disparition de stocks, après des premières recherches restées infructueuses et avait été réalisé par la seule dirigeante de l'entreprise.

La salariée forme un pourvoi en cassation.

Solution. La Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle qu’il résulte de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR et de l'article 9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1123H4D que, dans un procès civil, l'illicéité dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats.

Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Doit en conséquence être approuvé, l'arrêt qui, après avoir constaté qu'il existait des raisons concrètes liées à la disparition de stocks, justifiant le recours à la surveillance de la salariée et que cette surveillance, qui ne pouvait être réalisée par d'autres moyens, avait été limitée dans le temps et réalisée par la seule dirigeante de l'entreprise, a pu en déduire que la production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur et proportionnée au but poursuivi, de sorte que les pièces litigieuses étaient recevables.

Pour aller plus loin :

  • prolongement de la jurisprudence issue des arrêts d’Assemblée plénière du 22 décembre 2023 : Ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648, B+R N° Lexbase : A27172AU, S. Vernac, Une preuve à tout prix, Lexbase Social, février 2024, n° 972 N° Lexbase : N8275BZI ;
  • v. ÉTUDE : L’instance prud’homale, L’administration de la preuve lors d’un procès prud’homal, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E6441ZKR ;
  • v. également ÉTUDE : La cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif personnel, Les modes de preuve de la cause réelle et sérieuse, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E0803ZN3.

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Procédure prud'homale

[Point de vue...] Lenteur de la justice prud’homale : il est urgent et possible d’agir immédiatement !

Lecture: 16 min

N8519BZK

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par Alexandra Sabbe Ferri, Avocate, fondatrice du cabinet Sagan Avocats

Le 28 Février 2024

Mots clés : procédure prud’homale • conseil de prud’hommes • contentieux • délais déraisonnables • action en responsabilité de l’État • tribunal judiciaire • Cour européenne des droits de l’Homme

Alors que le nombre de nouvelles requêtes devant le conseil de prud’hommes ne cesse de diminuer, les délais de traitement des dossiers ne cessent d’augmenter, faute de moyens suffisants accordés à la justice prud’homale.

Face à cette situation extrêmement préoccupante, l’inertie du Gouvernement est manifeste.

Pour alerter les pouvoirs publics, il ressort de notre responsabilité collective d’engager massivement la responsabilité de l’État au titre des délais déraisonnables de justice. Cette action est non seulement une opportunité pour les justiciables d’obtenir une indemnisation de leur préjudice. Mais, en outre, cumulées les unes aux autres, ces indemnités pourraient représenter un montant suffisamment significatif pour amener l’État à accorder à la justice prud’homale le budget dont elle a cruellement besoin.


En 12 ans, entre 2009 et 2021, le nombre de nouvelles requêtes déposées devant les conseils de prud’hommes de France a diminué de moitié (de 200 000 à 98 000), tandis que le délai moyen de traitement des dossiers en première instance a presque doublé (de 9,9 mois à 16,3 mois), et que le montant moyen des indemnités accordées aux salariés a diminué de moitié [1].

Avec un taux d’appel de 60 % des décisions prud’homales [2], et une durée moyenne de traitement devant les cours d’appel de 20,4 mois en 2021, ce sont plus de la moitié des dossiers prud’homaux qui sont traités en plus de 3 ans.

Alors même que les litiges touchent directement les revenus des foyers français, et qu’ils devraient de ce fait être réglés avec une diligence particulière.

Le délabrement de la justice prud’homale est extrêmement préoccupant, comme l’a souligné le Rapport du comité des États généraux de la justice du 8 juillet 2022, pour qui « la justice est au bord de la rupture » ou la Cour des comptes qui a conclu, en juin 2023, à la nécessité urgente d’« un plan de redressement des conseils de prud’hommes ».

Ce sont les forces vives de notre économie, dès lors que l’on s’accorde communément à considérer l’ensemble des travailleurs comme nos forces vives, qui sont ainsi impactées.

Et pourtant, la justice prud’homale continue de se dégrader dans l’indifférence générale des pouvoirs publics, dissimulée par des réformes aux effets contradictoires.

C’est pourquoi, la mise en cause systématique de la responsabilité légale de l’État du fait de délais déraisonnables de justice apparaît l’ultime moyen, de l’obliger à en prendre conscience, pour mettre en œuvre une réforme de la justice prud’homale, en lui accordant un budget enfin conforme à une exigence normale de qualité.

1. La dégradation de la justice prud’homale en dépit ou à cause des réformes

Depuis 2008, quatre grandes réformes se sont succédé, en dépit ou à cause desquelles la situation de la justice prud’homale s’est dégradée.

Deux réformes ont d‘abord indirectement impacté la procédure prud’homale : celle de la loi de 2008 ayant introduit la rupture conventionnelle et celle des ordonnances de 2017, qui ont encadré les indemnités accordées en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ces réformes ont eu pour conséquence de réduire le nombre de saisines des conseils de prud’hommes, soit en tarissant les litiges sur les ruptures les plus simples (rupture conventionnelle), soit en décourageant les salariés, principalement ceux des entreprises de moins de 11 salariés, ayant une ancienneté inférieure à 5 ans, compte tenu de la réduction de l’enjeu financier des litiges.

Elles ont surtout eu pour conséquence de complexifier les dossiers dont sont saisis les conseils de prud’hommes, entraînant l’augmentation des délais de traitement.

Deux autres réformes ont parallèlement alourdi directement la procédure prud’homale :

  • la réforme de la procédure de 2016 a notamment imposé que la requête soit motivée pour saisir le conseil de prud’hommes,
  • puis celle de 2019 a conduit à la mutualisation des greffes des tribunaux judiciaires et des conseils de prud’hommes, engendrant de nouvelles difficultés.

Ainsi, la Cour des comptes dénonce le caractère incompréhensible du formulaire de requête de saisine motivée du conseil de prud’hommes par les salariés, les obligeant en pratique à faire appel aux services d’un avocat pour se défendre contre un licenciement abusif, apportant ainsi un frein financier évident à l’accès à la justice.

Par ailleurs, faute d’organisation efficace entre les tribunaux judiciaires et les conseils de prud’hommes, ceux-ci ne disposent pas de greffiers en nombre suffisant pour fonctionner correctement. Or, les greffiers jouent un rôle central au sein des conseils de prud’hommes, puisqu’ils ne sont pas constitués de juges professionnels dotés d’un bagage juridique suffisant, que les 5 jours de formation initiale obligatoire ne sont évidemment pas en mesure de combler.

Pour autant, le travail des conseillers prud’homaux doit être salué : il relève du miracle au vu de l’insuffisance de leur formation, de leur absence de moyens matériels et humains et de leur faible rémunération.

Il n’en reste pas moins que le miracle a ses limites et ce sont les justiciables qui pâtissent des décisions d’une qualité très insuffisante dans des dossiers devenus trop complexes, ce qui conduit à un taux d’appel de 60 % (alors qu’il n’est que de 15 % à l’encontre des jugements des tribunaux de commerce) et à des délais totalement déraisonnables.

2. Les inégalités criantes suivant les conseils de prud’hommes

La situation s’est, certes, améliorée dans certains conseils de prud’hommes, notamment celui de Paris, comme le soulignent son Président et son Vice-président [3].

Mais, Paris est bien loti : avec un greffe autonome (qui ne dépend donc pas des mises à disposition de greffiers par le tribunal judiciaire), le nombre le plus important de conseillers prud’homaux en France, 6 juges départiteurs ETP qui lui sont spécialement affectés, alors qu’il n’y a que 48 juges départiteurs ETP pour toute la France, et ses encadrants chevronnés, tel que le Président Jean-Frédéric Sauvage, qui œuvre depuis des années avec compétence et détermination.

À l’inverse, parmi quelques exemples, on relève que le conseil de prud’hommes d’Avranches ou celui de Saint-Dié-des-Vosges ont été empêchés de fonctionner pendant des mois, faute de greffier et que c’est également le cas du conseil de prud’hommes de Longjumeau, depuis janvier 2024, où les affaires, pourtant en état, sont renvoyées. De même, les conseils de prud’hommes de Lyon ou de Bobigny sont contraints de proroger, à de multiples reprises, leurs délibérés, faute pour les Présidents d’avoir le temps de les rédiger…

Il n’en reste pas moins que, même à Paris, un délai de traitement de 16 mois, pourtant considéré comme raisonnable par le tribunal judiciaire de Paris, reste objectivement anormalement long pour les salariés en attente de leur décision…

3. Les délais désespérants en cas d’incidents  

Plus grave encore, un dossier prud’homal se solde rarement par une procédure simple dont les étapes iraient fluidement de la saisine du conseil, à l’audience de conciliation, à celle de jugement, au délibéré et à la notification du jugement, tout étant alors fini !

10 % des dossiers de première instance font l’objet d’un départage.

Procéduralement, il n’existe juridiquement qu’une seule cause de départage : l’égalité des voix, révélant effectivement, comme le souligne le Président Sauvage, une « zone grise », autorisant une appréciation nuancée des faits, pouvant amener les parties à trouver un accord.

Mais, dans les faits, comme le dénonce la Cour des comptes, 3 autres causes justifient le plus souvent le recours à la procédure du départage. Ce sont :

  • l’opposition dogmatique entre conseillers, avec refus d’une analyse juridique objective et application de la jurisprudence ;
  • les difficultés juridiques des affaires, notamment en raison du nombre conséquent des demandes et des pièces à analyser ;
  • le manque de temps pour rédiger les jugements.

En conséquence, aucun enseignement ne peut être tiré du renvoi en départage, ce qui n’aide donc pas à solutionner amiablement les dossiers.

Et ainsi, faute de formation, de temps et de moyens, les conseillers prud’homaux renvoient les affaires en départage, alors qu’il n’y a que 48 magistrats ETP pour la France entière pour les trancher…

Par ailleurs, comme déjà rappelé, du fait du taux d’appel (60 %) et du taux très important de réformation (seules 30 % des décisions de première instance sont intégralement confirmées), un dossier prud’homal se joue en 2 manches. Le délai de traitement d’un dossier devant le conseil de prud’hommes n’est donc pas révélateur de la durée réelle d’une procédure.

Car, en cas d’appel, les délais sont encore plus longs que devant les conseils de prud’hommes : 20,4 mois en moyenne, qui peuvent facilement être portés à 36 ou 48 mois devant les cours d’appel les plus encombrées, telles celles de Paris, Lyon, Montpellier ou Aix-en-Provence.

En 2024, il faut bien compter entre 3 à 5 ans, pour obtenir une décision prud’homale définitive.

4. Et la responsabilité des avocats dans les délais de justice ?

Malheureusement, faire durer une procédure peut effectivement être aussi une tactique pour un avocat d’employeur. Ces manœuvres dilatoires ne peuvent toutefois se déployer que si les conseillers prud’homaux s’y prêtent en acceptant de prononcer les renvois.

Or, pour quelle raison, le conseil de prud’hommes est la seule juridiction devant laquelle un calendrier de procédure n’a aucune force obligatoire et est donc allègrement violé à longueur de procédure. À quoi bon prononcer des « ultimes renvois » si c’est pour accorder un renvoi à première demande, dès l’audience suivante ?

Le Président Sauvage souligne qu’il donne des instructions pour prononcer des radiations, ce qui est effectivement la sanction appropriée en l’absence de diligence du demandeur. Malheureusement, rares sont les conseils de prud’hommes qui retiennent les dossiers pour plaidoirie, lorsque le défaut de diligence est imputable au défendeur.

Il est vrai que certains avocats de salariés peuvent également être à l’origine de renvois, ne parvenant pas à obtenir de leurs clients les éléments en temps ou en heure, ou en raison d’évolutions dans les dossiers, ou encore parce que certains traitent de trop nombreuses affaires et ne tiennent pas la cadence.

Toutefois, ces difficultés de mise en état restent marginales.

La situation devant les cours d’appel le démontre bien. Les avocats sont contraints d’y respecter des délais couperets, les obligeant à mettre les dossiers en état sous 6 mois. Pour autant, il s’ensuit malgré cela une longue attente pour l’audiencement par la juridiction, qui peut prendre plus de 24 mois, au point de mettre en risque les dossiers en raison de la péremption de l’instance.

5. Une justice prud’homale moyenâgeuse qui doit être réformée de toute urgence

Le délabrement de la justice prud’homale tient à un fonctionnement archaïque, sans moyen matériel, digital ou humain, avec des méthodes de fonctionnement incohérentes et des rémunérations de misère pour les conseillers prud’homaux, qui fait de la justice prud’homale une activité quasi bénévole.

Et, comme le souligne le Président Sauvage, si l’amendement sénatorial sur la limite du nombre de mandats et l’âge des conseillers prud’homaux est voté, la vacance des postes de conseillers - qui est actuellement de 8 %, principalement pour les mandats employeurs - ne va pas manquer de s’alourdir.

Un peu de bon sens, une bonne allocation des ressources - notamment pour payer dignement les conseillers prud’homaux - et des recrutements en masse, notamment pour des postes de pilotage des conseils de prud’hommes et d’articulation avec le tribunal judiciaire et la cour d’appel - permettraient de faire rentrer notre justice prud’homale dans le XXIe siècle et c’est urgent !

Mais le Gouvernement en a-t-il cure ?

Pas plus la Cour des comptes, avec ses 9 recommandations [4], pourtant marquées au coin du bon sens, que le Sénat avant elle, avec ses 46 recommandations [5], n’ont jusqu’à présent convaincu le législateur de se saisir du problème de la justice prud’homale.

Et nous continuons donc à tolérer une justice prud’homale indigne de notre démocratie judiciaire et de notre puissance économique.

6. Et pourtant si… 

Il y aurait peut-être un moyen de faire prendre conscience par les pouvoirs publics de l’ampleur de leur responsabilité, en la quantifiant précisément.

Ce serait celui de démontrer, évaluer et publier à combien s’élève la responsabilité légale de l’État au titre des délais anormalement longs de la justice prud’homale.

C’est ce que le cabinet Sagan Avocats s’est engagé à faire, en facilitant la mise en œuvre systématique de l’action en responsabilité de l’État. À cette fin, comme l’a relevé le Vice-président Christophe Carrère, Sagan Avocats a créé un site internet dédié à cette indemnisation [6].

Mais contrairement à ce que croit Monsieur le Vice-président Carrère, lorsqu’il estime que ces indemnisations « coûtent, de fait, moins cher à l’État » [7], que ce que lui coûterait de remettre la justice prud’homale en ordre de marche, les condamnations déjà obtenues et le potentiel des condamnations en instance tendent à prouver le contraire.

Dès lors que la condamnation de l’État est garantie par le seul constat du dépassement du délai raisonnable, il suffit que toutes les victimes prennent l’initiative de requérir d’être indemnisées.

En effet, dès lors qu’un salarié est en moyenne indemnisé à hauteur de 7 000 € et un employeur à hauteur de 5000 €, soit 12 000 € d’indemnité moyenne par dossier prud’homal, que des retards sont constatés dans au moins 60 % des dossiers, et que la prescription de cette action est de 4 ans (c’est-à-dire que tous les dossiers finis depuis le 1er janvier 2020 sont éligibles), nous parlons de centaines de millions d’euros de condamnations potentielles.

De fait, l’État a récemment été condamné à verser 7 millions d’euros d’indemnités à 1053 justiciables du fait de la lenteur de la justice prud’homale [8].

7. Rappels sur la responsabilité de l’État au titre des délais anormalement longs de justice

Selon la Convention européenne des droits de l’Homme, « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable ».

Ce droit fondamental a été repris en droit interne, dans le Code de l’organisation judiciaire qui non seulement affirme que « les décisions de justice sont rendues dans un délai raisonnable » [9] mais, en outre, prévoit que « l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice » [10].

Ces dispositions sont quotidiennement appliquées par le tribunal judiciaire de Paris qui rappelle sans relâche le principe de la responsabilité de l’État, notamment au titre du fonctionnement défectueux de la justice prud’homale :

  • « le déni de justice constitue une atteinte à un droit fondamental et, s'appréciant sous l'angle d'un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle, il englobe, par extension, tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu, qui comprend celui de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables ».
  • « les procédures en matière de litiges du travail appellent par nature une décision rapide » [11].

S’agissant du préjudice, le tribunal judiciaire de Paris reconnait un préjudice nécessaire de 200 € par mois de délai déraisonnable :

  • « la demande formée au titre d'un préjudice moral est justifiée en son principe, dès lors qu'un procès est nécessairement source d'une inquiétude pour le justiciable et qu'une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d'inquiétude supplémentaire ».
  • « le dépassement excessif du délai raisonnable de jugement cause nécessairement un préjudice moral, évalué à 200,00 € par mois de délai excessif » [12].

Cette indemnisation est accordée à tous les justiciables qu’ils soient demandeurs (en principe, les salariés) ou défendeurs (en principe, les employeurs).

Le tribunal judiciaire de Paris souligne, en effet, reprenant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme [13], que : « la demande formée au titre du préjudice moral est justifiée en son principe dès lors qu’un procès est nécessairement source d’incertitude pour une personne morale et qu’une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d’incertitude supplémentaire » [14].

Cette indemnisation est accordée, sans considération du fait que le justiciable ait gagné ou perdu son dossier prud’homal, puisque la responsabilité de l’État est engagée du seul fait des délais déraisonnables de justice.

Pour le justiciable qui a gagné son dossier prud’homal, l’indemnisation de son préjudice moral peut, en outre, se doubler d’une indemnisation de son préjudice matériel, déterminé en fonction de la somme des intérêts légaux applicables sur le montant des dommages et intérêts et articles 700, à compter de la date à laquelle aurait dû se terminer la procédure si elle avait été traitée dans un délai raisonnable et la date à laquelle elle s’est effectivement terminée, pour réparer le préjudice lié au défaut de disposition des sommes durant cette période [15].

En 2024, cette indemnisation est accordée dans tous les dossiers enregistrant des délais déraisonnables, définitivement finis depuis le 1er janvier 2020.

L’amélioration de la justice prud’homale relève de notre responsabilité collective, et tout particulièrement de celle des avocats qui peuvent systématiquement proposer à leurs clients d’engager une action en responsabilité de l’État.

Et comme Sagan Avocats en a fait sa devise dans son combat : ensemble, nous pouvons agir concrètement et avec efficacité ! Ne nous en privons pas.


[1] Chiffres issus des observations définitives de la Cour des comptes sur les conseils de prud’hommes du 23 juin 2023 [en ligne].

[2] Chiffre issu des observations définitives de la Cour des comptes sur les conseils de prud’hommes du 23 juin 2023 [en ligne].

[3] J. Casez, Lenteur de la justice prud'homale : le conseil de prud'hommes de Paris revoit ses délais - Questions à Jacques-Frédéric Sauvage et Christophe Carrère, Président et Vice-président du conseil des prud’hommes de Paris, Lexbase Social, janvier 2024, n° 971 N° Lexbase : N8116BZM.

[4] Observations définitives de la Cour des comptes sur les conseils de prud’hommes du 23 juin 2023 [en ligne].

[5] La justice prud'homale au milieu du gué, Rapport d’information du Sénat n° 653 (2018-2019), déposé le 10 juillet 2019 [en ligne].

[6] Site internet : retards-de-justice.com [en ligne].

[7] J. Casez, Lenteur de la justice prud'homale : le conseil de prud'hommes de Paris revoit ses délais - Questions à Jacques-Frédéric Sauvage et Christophe Carrère, Président et Vice-président du conseil des prud’hommes de Paris, Lexbase Social, janvier 2024, n° 971 N° Lexbase : N8116BZM.

[8] Tribunal judiciaire de Paris, 14 décembre 2023 n° 23/08541.

[9] COJ, art. L. 111-3 N° Lexbase : L7804HND.

[10] COJ, art. L. 141-1 N° Lexbase : L2419LB9.

[11] CEDH, 27 juin 2000, Req. 30979/96, Frydlender c/ France N° Lexbase : A7714AWM.

[12] TJ Paris, 14 décembre 2023 n° 23/08541.

[13] CEDH, 6 avril 2000, Req. 35382/97, Comingersoll SA c/ Portugal N° Lexbase : A6763AWE.

[14] TJ Paris, 22 novembre 2023, n° 23/00520.

[15] TJ Paris, 11 octobre 2023, n° 22/13715.

newsid:488519

Responsabilité

[Brèves] Accident de la circulation : exclusion de l'événement volontairement provoqué par le conducteur ou un tiers

Réf. : Cass. civ. 2, 15 février 2024, n° 21-22.319, FS-B N° Lexbase : A31172ME

Lecture: 4 min

N8535BZ7

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par Hélène Nasom-Tissandier, Maître de conférences HDR, Université Paris Dauphine-PSL, CR2D

Le 28 Février 2024

Ne constitue pas un accident au sens de l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, celui qui, volontairement provoqué par le conducteur ou un tiers, ne présente pas, de ce fait, un caractère fortuit.

Alors que la notion d’accident est centrale pour la mise en œuvre du régime prévu par la loi loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 N° Lexbase : L7887AG9, elle n’est pas définie par le texte. Il est cependant acquis que le caractère accidentel de l’événement dommageable est une condition nécessaire à l’application de la loi « Badinter ». Par cette décision, la Cour de cassation précise que la qualification d’accident est exclue lorsqu’il est volontairement provoqué par le conducteur ou un tiers.

Faits et procédure. En l’espèce, lors de la sortie de route d’un véhicule, une passagère a été blessée. La victime assigne l’assureur du véhicule aux fins d'obtenir la désignation d'un expert ainsi que le versement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices. La cour d’appel fait droit à la demande de provision formée par la victime en énonçant que « la conductrice du véhicule est volontairement sortie de la route mais qu'aucun élément du dossier ne laisse penser qu'elle ait entendu attenter à la vie de sa passagère » (CA Nouméa, 8 juillet 2021, n°20/00450 N° Lexbase : A03237MW. Elle en déduit que le sinistre est « un accident de la circulation dans lequel a été impliqué un véhicule terrestre à moteur ». L’assureur du véhicule forme un pourvoi en cassation. Il soutient que « ne subit pas un accident de la circulation au sens de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 le passager dont le dommage est la conséquence directe de l'action volontaire du conducteur ». Il affirme également que « l'assureur de responsabilité civile du conducteur d'un véhicule terrestre à moteur ne couvre pas les dommages résultant de la décision de ce dernier de précipiter son véhicule en dehors de la chaussée ».

Solution. La Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond. Elle rappelle, au visa de l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, que « les dispositions du premier chapitre de cette loi s'appliquent, même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur, ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ».

Elle affirme alors que « ne constitue pas un accident l’événement qui, volontairement provoqué par le conducteur ou un tiers, ne présente pas, de ce fait, un caractère fortuit ». Par voie de conséquence, elle désapprouve la cour d’appel d’avoir fait droit à la demande de provision formée par la victime alors que la conductrice du véhicule est volontairement sortie de la route. Un autre fondement de responsabilité doit alors être mobilisé.

La Cour de cassation n’avait encore jamais aussi clairement posé cette condition dont la portée est large. La qualification d’accident de la circulation dépend du comportement du conducteur ou d’un tiers. En revanche, la Haute juridiction n’exige pas que l’acte volontaire du conducteur ait été commis avec l’intention de commettre le dommage, il suffit que le dommage soit la conséquence directe de l'action volontaire du conducteur.

Cet arrêt vient préciser les contours d’une notion non définie par la loi. La jurisprudence avait jusqu'alors écarté les accidents résultant d’une infraction volontaire (Cass. civ. 2, 30 novembre 1994, n° 93-13.399 N° Lexbase : A6349AHM ; Cass. civ. 2, 12 décembre 2002, n° 00-17.433 N° Lexbase : A4096A4H). Au contraire, dans un arrêt rendu le 24 octobre 2019, elle avait admis qu’« en dépit de ce que sa démarche constitue un acte volontaire, la personne qui se blesse en relevant un véhicule terrestre à moteur est victime d’un accident de la circulation au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 » (Cass. civ. 2, 24 octobre 2019, n° 18-20.910, F-P+B+I N° Lexbase : A4718ZSK). Elle en avait déduit l’application du régime spécial d’indemnisation en présence d’un fait volontaire commis sans intention de provoquer le dommage revêtant le caractère d’accident.

newsid:488535

Urbanisme - Plan local d'urbanisme

[Jurisprudence] Des précisions sur l’autonomie de l’autorité environnementale et l’exception d’illégalité tirée de la mise en conformité d’un document d’urbanisme

Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 5 février 2024, n° 463620, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A54012KA

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N8480BZ4

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par Corentin Abadie, Sensei Avocats

Le 28 Février 2024

Mots clés : autorisation d’urbanisme • autorité environnementale • exception d’illégalité • mise en compatibilité • document local d'urbanisme

Par une décision en date du 5 février 2024, le Conseil d’État a apporté des précisions, d’une part, sur le principe d’autonomie de l’autorité environnementale, et d’autre part, sur la possibilité d’exciper de l’illégalité d’un document local d’urbanisme, dans le cadre d’un recours contre une autorisation environnementale.


 

Dans cette affaire, par un arrêté du 23 novembre 2018, le préfet du Doubs a délivré à une société d’exploitation d’éoliennes une autorisation environnementale unique visant, d’une part, à construire et exploiter un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison, et d’autre part, à défricher un hectare de parcelles boisées, sur le territoire des communes de Lantenne-Vertière et de Mercey-le-Grand.

Plusieurs riverains du projet et des associations locales et nationales ont toutefois demandé à la cour administrative d’appel de Nancy, compétente en premier et dernier ressort, d’annuler cet arrêté et la cour a fait droit à leur demande par un arrêt du 8 mars 2022.

Saisi à son tour d’un pourvoi formé contre cet arrêt, le Conseil d’État l’a annulé en jugeant que la cour administrative d’appel avait commis une double erreur de droit en estimant, d’une part, que l’avis de l’autorité environnementale aurait été irrégulier, et d’autre part, que le vice tiré de l’absence d’évaluation environnementale préalable à la mise en conformité du plan local d’urbanisme aurait entaché d’illégalité l’arrêté attaqué.

Par cette décision, le Conseil d’État a ainsi apporté des précisions sur l’application de sa jurisprudence relative, d’une part, au principe d’autonomie de l’autorité environnementale (I.), et d’autre part, à la possibilité d’exciper de l’illégalité d’un document local d’urbanisme (II.), dans le cadre d’un recours contre une autorisation environnementale.

I. Des précisions apportées sur le principe d’autonomie de l’autorité environnementale chargée de rendre un avis sur l’évaluation environnementale

Aux termes des articles L. 122-1 N° Lexbase : L1843MHQ et suivants du Code de l’environnement, pris en application de l’article 6 de la Directive (UE) 2011/92 du 13 décembre 2011 N° Lexbase : L2625ISZ [1], tout projet susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement doit obligatoirement faire l’objet d’une évaluation environnementale soumise pour avis à une autorité spécifique.

À cet égard, tirant les conséquences de l’arrêt « Seaport » de la CJUE du 20 octobre 2011 [2], le Conseil d’État juge de manière constante que l’autorité environnementale chargée de rendre un avis sur l’évaluation environnementale doit bénéficier d’une autonomie réelle, impliquant autant une autonomie de décision qu’une autonomie de moyens, vis-à-vis de l’autorité chargée d’instruire et d’autoriser le projet soumis à évaluation environnementale.

Ainsi, par sa décision du 20 septembre 2019 [3], le Conseil d’État a jugé que ne satisfont pas à cette exigence d’autonomie, les services placés sous l’autorité hiérarchique directe du préfet de région, telle que notamment la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), lorsque ce dernier est l’autorité compétente pour autoriser le projet.

En revanche, par sa décision du 5 février 2020 [4], le Conseil d’État a jugé que, lorsque l’autorité compétente pour autoriser le projet est un préfet de département, autre que le préfet de région, les services placés sous l’autorité hiérarchique directe de ce dernier doivent être en principe regardés comme présentant une autonomie réelle, sauf si le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par ces mêmes services.

Une « dérogation à cette dérogation » [5] existe toutefois lorsque l’avis a été préparé par le service d’appui aux missions régionales d’autorité environnementale (MRAe), service de la DREAL chargé de préparer les avis de ces missions en application de l’article R. 122-21 du Code de l’environnement N° Lexbase : L5180MD9, les agents de ce service étant placés, pour l’exercice de leur mission, sous l’autorité fonctionnelle des présidents des MRAe selon l’article R. 122-24 du même code N° Lexbase : L5181MDA.

Comme l’a souligné le rapporteur public dans ses conclusions sur la décision commentée [6], il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 25 janvier 2023 [7] que, contrairement aux avis rendus avant l’entrée en vigueur du décret du 28 avril 2016 [8] portant création des MRAe, les avis rendus après l’entrée en vigueur de ce décret doivent en principe être regardés comme ayant été délivrés dans des conditions garantissant l’autonomie de l’autorité environnementale, sauf s’il est établi la preuve contraire au regard des faits propres à chaque affaire.

Or, si cette « présomption d’autonomie » de l’autorité environnementale pour les avis rendus dans les conditions fixées par ce décret ne pouvait que se déduire de la décision précitée du 25 janvier 2023, elle a désormais été expressément consacrée par le Conseil d’État.

Par la décision commentée, le Conseil d’État a en effet jugé que lorsque la MRAe a rendu un avis dans les conditions répondant aux exigences des articles R. 122-21 et suivants du Code de l’environnement, elle doit être regardée comme intervenant de manière autonome à l’égard du préfet compétent pour autoriser le projet, sans que la circonstance qu’elle ait bénéficié, pour rendre son avis, de l’appui technique d’agents de la DREAL appartenant au service régional chargé de l’environnement, ainsi que le prévoit l’article R. 122-24, ne soit de nature, par elle-même, à affecter cette autonomie.

Cela étant précisé, le Conseil d’État a, en conséquence, censuré le raisonnement de la cour. Cette dernière avait relevé qu’il ressortait des termes de la convention conclue entre la DREAL et la MRAe, au cas d’espèce, que les agents de la DREAL chargés de préparer l’avis rendu par la MRAe et placés, à ce titre, sous l’autorité fonctionnelle de cette dernière, incluaient non seulement un service spécialement dédié à cette mission, mais également la directrice régionale adjointe de la DREAL référente de ce service. Pour ce motif, la cour avait jugé qu’à défaut d’élément au dossier permettant de s’assurer, d’une part, que cette directrice adjointe n’était pas la supérieure hiérarchique des agents ayant instruit la demande d’autorisation, et d’autre part, qu’elle n’avait pas concomitamment participé à la préparation de l’avis rendu par la MRAe, cet avis devait être regardé comme irrégulier.

Mais, faisant application de cette « présomption d’autonomie », le Conseil d’État a jugé qu’en estimant que l’avis de l’autorité environnementale était irrégulier au seul motif que la directrice régionale adjointe référente du service développement durable et aménagement de la DREAL Bourgogne-Franche-Comté faisait partie des agents mis à la disposition de la MRAe, sans qu’il ne soit établi qu’elle avait concomitamment participé à l’instruction de la demande d’autorisation et à la préparation de l’avis, la cour administrative d’appel de Nancy a ainsi entaché son arrêt d’une première erreur de droit.

Et à toutes fins utiles, précisons que la probabilité qu’une telle situation puisse être établie aujourd’hui semble d’autant plus faible que la nouvelle version des conventions de mise à disposition des agents d’une DREAL au profit d’une MRAe, définie par arrêté du 11 août 2020 [9], prévoit désormais explicitement que ces agents, placés sous l’autorité fonctionnelle de la MRAe, ne peuvent participer à d’autres missions que celle relative la préparation de l’avis, que dans la mesure où ces missions ne sont pas susceptibles de concourir à l’instruction d’une autorisation ayant un lien avec un dossier examiné par la MRAe.

II. Des précisions apportées sur la possibilité d’exciper de l’illégalité de la mise en compatibilité d’un document local d’urbanisme

Jusqu’en 2018, un requérant ne pouvait pas vraiment exciper de l’illégalité d’un document local d’urbanisme dans le cadre d’un recours contre une autorisation d’urbanisme. Dit autrement, l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un document local d’urbanisme n’entraînait pas directement, par voie de conséquence, l’annulation des autorisations d’urbanisme délivrées sur son fondement.

En effet, par sa décision de Section du 7 février 2008 [10], le Conseil d’État avait estimé que, si un permis de construire ne peut être délivré que pour un projet qui respecte la règlementation d’urbanisme en vigueur, il ne constitue pas, à proprement parler, un acte d’application de la réglementation définie par le document local d’urbanisme. Dès lors, la circonstance qu’une autorisation d’urbanisme avait été délivrée sous l’empire d’un document d’urbanisme devenu illégal, n’avait pas pour effet, à elle seule, d’entraîner l’annulation de cette autorisation, et ce quelle que soit la nature de l’illégalité entachant le document. Par conséquent, l’autorisation d’urbanisme ne pouvait être annulée qu’à condition qu’il soit démontré la méconnaissance des dispositions de l’ancien document d’urbanisme remis en vigueur du fait de cette illégalité.

Et par une décision du 16 novembre 2009 [11], le Conseil d’État avait confirmé ce principe en annulant un arrêt par lequel une cour administrative d’appel avait confirmé l’annulation d’une autorisation d’urbanisme, pour le seul motif que le plan d’occupation des sols (POS) sur le fondement duquel elle avait été accordée avait été annulé, sans qu’il ne soit démontré la méconnaissance des dispositions pertinentes remises en vigueur par cette autorisation.

Cependant, de manière quelque peu contradictoire [12], la loi « ELAN » du 23 novembre 2018 [13], pourtant présentée comme visant à sécuriser les autorisations d’urbanisme [14], a conduit le Conseil d’État à faire évoluer sa jurisprudence sur la question, par l’introduction des nouvelles dispositions de l’article L. 600-12-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9806LM7. Ces dispositions prévoient que l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un document local d’urbanisme est, par elle-même, sans incidence sur les décisions relatives à l’utilisation ou à l’occupation des sols délivrées antérieurement à cette annulation ou déclaration d’illégalité, dès lors que cette dernière repose sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet objet de la décision.

A contrario, ces dispositions permettent donc désormais aux requérants de se prévaloir des vices d’illégalités entachant un document local d’urbanisme pour contester les autorisations d’urbanisme ayant été rendues sur son fondement, dès lors que ces vices ne sont pas étrangers aux règles d’urbanisme applicables au projet objet de l’autorisation d’urbanisme.

Prenant acte de ces nouvelles dispositions, le Conseil d’État a jugé, par sa décision de Section du 2 octobre 2020[15], qu’il appartient donc au juge, saisi d’un moyen tiré de l’illégalité d’un document local d’urbanisme à l’appui d’un recours contre une autorisation d’urbanisme, de vérifier si, l’un au moins des motifs d’illégalité du document d’urbanisme est en rapport direct avec les règles applicables à l’autorisation contestée, et est donc susceptible de l’entacher conséquemment d’illégalité.

À ce titre, le Conseil d’État avait en outre précisé qu’un vice de légalité externe est en principe étranger à ces règles, sauf s’il a été de nature à exercer une influence directe sur des règles d’urbanisme applicables au projet, contrairement à un vice de légalité interne qui ne leur est en principe pas étranger, sauf s’il concerne des règles qui ne sont pas applicables au projet.

Par la décision commentée, le Conseil d’État est venu illustrer l’application qui devait être faite de sa nouvelle jurisprudence. À cet égard, précisons que si le recours était dirigé en l’espèce contre une autorisation environnementale unique, la conformité d’un projet éolien aux règles d’urbanisme doit être appréciée dans le cadre de l’instruction de cette demande d’autorisation, l’article R. 425-29-2 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0930LNR dispensant ces projets de permis de construire [16].

Au cas d’espèce, le PLU sur le fondement duquel avait été délivré l’autorisation contestée avait fait l’objet, un mois avant la délivrance de cette autorisation, d’une mise en compatibilité en vue de permettre la réalisation du projet. Devant la cour, les requérants s’étaient prévalus d’une prétendue illégalité de cette modification du PLU caractérisée, selon eux, par l’absence de réalisation d’une évaluation environnementale.

Or, la cour avait fait droit à leur argumentation puisqu’elle avait jugé, après avoir relevé que la mise en compatibilité du PLU conduisait à modifier la réglementation applicable à un périmètre plus important que celui du projet, que cette mise en compatibilité aurait dû, pour ce motif, être précédée d’une évaluation environnementale, et que ce vice avait ainsi privé les requérants d’une garantie et exercé une influence directe sur les règles d’urbanisme applicables au projet.

Mais, faisant application de sa jurisprudence, le Conseil d’État a censuré ce raisonnement.

Il a d’abord relevé que la mise en compatibilité du PLU avait été opérée par une déclaration de projet relative au projet en cause, et que l’autorité environnementale avait estimé, à la suite d’un examen au cas par cas, qu’il n’était pas nécessaire de soumettre cette modification à évaluation environnementale, puisque le projet lui-même était soumis à une telle évaluation.

En outre, le Conseil d’État a également relevé que, d’une part, le projet en cause avait bien fait l’objet d’une évaluation environnementale ayant le même objet que celle qui aurait dû être réalisée pour la mise en compatibilité du PLU pour le périmètre correspondant à l’assiette du projet, et que l’évaluation avait été jointe au dossier d’enquête publique permettant d’assurer l’information du public, et d’autre part, que les règles applicables aux autres parcelles situées hors du périmètre correspondant à l’assiette du projet n’étaient pas applicables à celui-ci.

Tirant les conséquences de ces constatations, le Conseil d’État a ainsi jugé que l’absence d’évaluation environnementale préalable à la mise en conformité du PLU devait être regardée comme un vice de légalité externe étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet, sans incidence sur la légalité de l’autorisation contestée. En retenant une position contraire, la cour administrative d’appel de Nancy a ainsi entaché son arrêt d’une seconde erreur de droit.

À retenir :

Deux précisions ont été apportées : d’une part, un avis rendu après l’entrée en vigueur du décret du 28 avril 2016 garantit l’autonomie de l’autorité environnementale, sauf s’il est établi la preuve contraire ; d’autre part, l’absence d’évaluation environnementale préalable à la mise en conformité d’un PLU visant à permettre la réalisation d’un projet est un vice de légalité externe étranger aux règles d’urbanisme applicables à ce projet.

 

[1] Directive (UE) 2011/92 du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, JOUE L 26 du 28 janvier 2012.

[2] CJUE, 20 octobre 2011, aff. C-474/10 N° Lexbase : A7809HYU.

[3] CE, 20 septembre 2019, n° 428274, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3912ZPL.

[4] CE, 6°-1° ch. réunies, 5 février 2020, n° 425451mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A39973DE.

[5] Pour reprendre l’expression de Nicolas Agnoux dans ses conclusions sur CE, 25 janvier 2023, n° 448911, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A20559AD.

[6] Voir à ce sujet les conclusions de Nicolas Agnoux sur la décision commentée.

[7] CE, 25 janvier 2023, n°448911, préc.

[8] Décret n° 2016-519 du 28 avril 2016, portant réforme de l'autorité environnementale N° Lexbase : L8512K7E.

[9] Arrêté du 11 août 2020, relatif au modèle de convention entre la mission régionale d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (MRAe) et le service régional chargé de l’environnement N° Lexbase : L6835MLQ.

[10] CE, Sect., 7 février 2008, n° 297227, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7166D48.

[11] CE, 16 novembre 2009, n° 308623, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7254ENY.

[12] Voir à ce sujet les conclusions d’Olivier Fuchs, rapporteur public sur CE, Sect., 2 octobre 2020, n° 436934, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A72333WS.

[13] Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique N° Lexbase : L8700LM8.

[14] Voir à ce sujet : ministère de la Transition écologique, Contentieux de l’urbanisme : quelles sont les évolutions récentes ?, 6 octobre 2021.

[15] CE, Sect., 2 octobre 2020, n° 436934, préc.

[16] Voir à ce sujet : CE, 14 juin 2018, n° 409227, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9353XQH.

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