Jurisprudence : TA Montreuil, du 14-12-2022, n° 2216570


Références

Tribunal Administratif de Montreuil

N° 2216570


lecture du 14 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et cinq mémoires, enregistrés les 14 novembre, 2 décembre, 5 décembre et 8 décembre 2022, Mme CC AE, représentée par la SELARL Score Avocats, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 21 septembre 2022 par laquelle le conseil de l'institut d'enseignement à distance de l'université Paris-VIII a décidé d'externaliser l'organisation des examens en ligne pour l'année 2022-2023, ainsi que des courriels des 25 octobre, 9 novembre et 18 novembre 2022 relatifs aux conséquences de cette décision ;

2°) d'enjoindre à l'université Paris-VIII d'organiser les examens de licence au sein de son institut d'enseignement à distance au moyen de la plate-forme Moodle ;

3°) de mettre à la charge de l'université Paris-VIII la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Mme AE soutient que :

- l'université a décidé d'organiser les examens à distance de licence de l'institut d'enseignement à distance au moyen de la plate-forme Testwe, et subsidiairement en présentiel en une seule session de fin d'année ;

- la requête est dirigée contre des décisions à caractère réglementaire ou en tout cas faisant grief et est recevable ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les examens concernés sont organisés du 4 au 14 janvier 2023 puis du 11 au 22 avril 2023 alors que les résultats de la première session sont nécessaires à la présentation d'une candidature en master, que les modalités d'organisation décidées sont particulièrement intrusives et que les décisions portent en conséquence un préjudice grave et immédiat à sa situation et à un intérêt public ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées, dès lors qu'elles sont entachées d'incompétence, qu'elles méconnaissent les articles L. 712-6-1, L. 613-1 et D. 611-12 du code de l'éducation🏛🏛🏛 sur l'organisation des examens compte tenu de leur date d'entrée en vigueur, qu'elles méconnaissent le 1° de l'article D. 611-12 sur la vérification des moyens matériels des candidats, qu'elles sont susceptibles de méconnaître le caractère semestriel de l'organisation des examens, qu'elles méconnaissent l'article 6 du règlement général sur la protection des données relatif à la licéité des traitements des données personnelles, qu'elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en portant une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale et qu'elles méconnaissent l'article L. 3 du code de la commande publique🏛.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 25 novembre et 8 décembre 2022, l'université Paris-VIII, représentée par la SCP Saïdji et AG, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme AE de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

L'université soutient que :

- elle a décidé d'organiser les examens à distance de licence de l'institut d'enseignement à distance au moyen de la plate-forme Testwe, au motif du dysfonctionnement de l'autre modalité envisagée ;

- la requête est irrecevable faute d'être dirigée contre des décisions faisant grief, mais contre des mesures d'ordre intérieur dès lors qu'elle a simplement décidé des modalités de surveillance d'examen dont les règles ont par ailleurs été définies conformément au code de l'éducation ;

- la condition d'urgence n'est pas satisfaite faute pour la requérante d'indiquer en quoi elle ne pourrait pas passer les examens ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés, compte tenu notamment des dysfonctionnements relevés lors de l'organisation des examens l'année précédente selon d'autres modalités et des garanties relevées dans la documentation de l'application Testwe.

Par trois mémoires en intervention, enregistrés les 2, 7 et 8 décembre 2022, l'association La Quadrature du Net, représentée par Me Fitzjean Ó Cobhthaigh, conclut aux mêmes fins que la requête.

L'association reprend les moyens de la requête et soutient en outre :

- que son objet social lui donne intérêt pour intervenir ;

- que les décisions font grief aux étudiants concernés ;

- en ce qui concerne l'urgence, qu'elle est caractérisée par l'atteinte aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne ;

- en ce qui concerne les moyens propres à créer un doute sérieux, que le traitement constitué par la captation de sons et d'images et par leur analyse institué, tel que décrit notamment par les pièces relatives au logiciel Testwe, ne peut pas être fondé sur l'article 6, paragraphe 1, points a), b), c) ou e) du règlement général sur la protection des données faute de remplir les conditions d'un consentement énoncées aux articles 4, point 11) et 7, d'existence d'un contrat avec les usagers, d'obligation légale préalablement déterminée, comme d'une mission de service public en l'absence de définition de sa nécessité, qu'il méconnaît le principe de minimisation des données institué par de l'article 5, paragraphe 1, point c) notamment en ce qui concerne la surveillance automatisée et la vérification par un algorithme de l'identité des candidats en l'absence de nécessité de leur utilisation dès lors que d'autres modalités d'organisation de l'examen sont possibles et ainsi que l'a estimé la Commission nationale de l'informatique et des libertés le 20 mai 2020, qu'il méconnaît l'article 9 sur l'interdiction du traitement des données sensibles, et qu'il méconnaît pour les mêmes motifs les articles 4 et 5 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978🏛🏛 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 5 décembre 2022, M. CG W, Mme B CP, Mme BR AG, Mme CK CA, Mme BZ CJ, Mme BQ BE, M. BO R, Mme BS CL, Mme AW L, Mme Y D, Mme BA BJ, Mme CM, Mme X A, Mme N BD, Mme AO AJ, Mme BP Q, M. BM BH, Mme H Z, M. AK BV, Mme CS, Mme CI AH, Mme CN AI, Mme BT AS, Mme M CO, Mme U CE, Mme AD CD, Mme E F, M. AU O, Mme AL BY, Mme AN CQ, M. BM J, Mme BK AR, Mme AV CH, Mme AT CR, Mme AY CB, Mme B BL, Mme AZ BC, Mme AX BF, Mme BB AF, M. AC V, Mme P BW, Mme AX BG, Mme AB G, Mme AA CF, Mme K CT, Mme BI I, M. T S, Mme BN AP, Mme BX AQ et Mme AM C, représentés par la SELARL Score Avocats, concluent aux mêmes fins que la requête.

Ils reprennent les moyens de la requête et soutiennent en outre :

- que leur qualité d'étudiants au sein de l'institut d'enseignement à distance leur donne intérêt pour intervenir ;

- en ce qui concerne l'urgence, que les étudiants n'ont pas tous les moyens techniques de passer les examens selon les modalités définies par les décisions contestées et que l'organisation alternative en présentiel en fin d'année représente un coût et compromet leurs chances d'admission en master ;

- en ce qui concerne les moyens propres à créer un doute sérieux, que les décisions méconnaissent l'égal accès à l'instruction protégé par l'alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946 et qu'elles méconnaissent les articles 4 et 7 du règlement général sur la protection des données et l'article 4 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978🏛 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Le président du tribunal administratif de Montreuil a désigné, en application des dispositions de l'article L. 511-2 du code de justice administrative🏛, M. Le Garzic, président, M. Marchand, premier conseiller et Mme Renault, première conseillère, pour statuer en qualité de juge des référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique qui s'est tenue le 6 décembre 2022 en présence de Mme Baali, greffière :

- le rapport de M. BU ;

- les observations de la SELARL Score Avocats, avocate de Mme AE, ainsi que de M. W et autres intervenants, qui reprennent leurs écritures et celles de l'association La Quadrature du Net et ajoutent, en ce qui concerne la recevabilité, que les quatre décisions contestées font grief, en ce qui concerne l'urgence, qu'elle est manifeste compte tenu de l'imminence des examens, et en ce qui concerne la légalité, que le conseil de l'institut d'enseignement à distance n'est investi d'aucune compétence et que les règles d'organisation des examens initialement définies ne peuvent être modifiées en cours d'année ;

- les observations de Me Fitzjean Ó Cobhthaigh, avocat de l'association La Quadrature du Net, qui reprend ses écritures et celles de la requérante et des autres intervenants et ajoute, en ce qui concerne la recevabilité, que le traitement de données sensibles fait par nature grief, en ce qui concerne l'urgence, qu'elle est justifiée par l'importance de l'atteinte aux droits et libertés fondamentaux et en ce qui concerne la légalité, que le traitement ne respecte pas les principes de licéité, notamment en ce qui concerne les données sensibles, et de minimisation des données en ce qui concerne la possibilité d'une reconnaissance faciale, de l'accès aux droits d'administrateur du matériel informatique des étudiants et de la captation d'images ;

- et les observations de la SCP Saïdji et AG, avocate de l'université Paris-VIII, qui reprend ses écritures et ajoute, en ce qui concerne la recevabilité, que les décisions se bornent à prévoir les modalités de surveillance d'un examen, en ce qui concerne l'urgence, qu'il n'y a pas d'atteinte grave à la situation de Mme AE compte tenu des aménagements dont elle bénéficie et de l'absence de captation d'images par la plate-forme Testwe et, en ce qui concerne la légalité, que les dysfonctionnements précédemment observés justifient le recours à cette plate-forme qui n'implique ni captation continue d'images ni reconnaissance faciale, mais des prises de vue aléatoires et un contrôle humain, que le traitement est justifié par la mission de service public et les exigences de l'article D. 611-12 du code de l'éducation🏛 et que les étudiants disposent en principe des moyens techniques, une solution étant prévue pour les autres.

La clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 9 décembre 2022 à 17 heures.

Vu :

- la requête, enregistrée le 14 novembre 2022 sous le n° 2216571, par laquelle Mme AE demande l'annulation des décisions attaquées ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) 2016/679⚖️ du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) ;

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 14 mai 2020, la commission de la formation et de la vie universitaire du conseil académique de l'université Paris-VIII a adopté les modalités de contrôle des connaissances et des compétences au sein de l'université pour la période 2020-2025 en prévoyant notamment l'organisation de chaque année en semestres et des contrôles écrits et des contrôles oraux en présentiel ou à distance, et en indiquant que des règles particulières seraient adoptées pour chaque composante. Par une délibération du 23 juin 2022, elle a ainsi adopté les modalités applicables à la licence de psychologie au sein de l'institut d'enseignement à distance créé au sein de l'université par arrêté du 25 septembre 2013, en rappelant le principe de sessions semestrielles. Le 21 septembre 2022, le conseil de l'institut d'enseignement à distance, " après avoir constaté l'impossibilité d'organiser les examens en ligne dans de bonnes conditions avec l'infrastructure technique de l'Université et après avoir étudié le dispositif d'examen en ligne proposé par la société Testwe ", " a décidé d'externaliser l'organisation des examens en ligne " pour l'année universitaire 2022-2023. Les services de l'université ont ensuite informé les étudiants de cette décision et de ses motifs par un courriel du 25 octobre 2022, puis de ce que la solution choisie était celle de l'application Testwe par courriel du 9 novembre 2022, leur offrant en outre la possibilité d'opter pour un examen en présentiel, enfin par un courriel du 14 novembre 2022, de ce qu'en cas d'abandon de l'application Testwe les examens auraient lieu en présentiel en une seule session de fin d'année. Mme AE, étudiante en licence de psychologie au sein de l'institut d'enseignement à distance, demande la suspension de l'exécution de ce qu'elle estime être quatre décisions des 21 septembre 2022, 25 octobre 2022, 9 novembre 2022 et 14 novembre 2022.

Sur les interventions :

2. L'association La Quadrature du Net, d'une part, et M. W et autres, d'autre part, justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des conclusions des requêtes de Mme AE. Leurs interventions respectives doivent, par suite, être admises.

Sur les conclusions dirigées contre la décision du 25 octobre 2022 :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛 : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

En ce qui concerne la portée de la décision :

4. En énonçant par la délibération du 21 septembre 2022 qu'il prenait la décision d'externaliser l'organisation des examens en ligne au motif de l'impossibilité d'organiser les examens en ligne dans de bonnes conditions avec l'infrastructure technique de l'université et en relevant avoir étudié le dispositif d'examen en ligne proposé par la société Testwe, et alors au demeurant qu'ultérieurement les services de l'université ont porté le 25 octobre 2022 cette décision à la connaissance des étudiants en mentionnant que les examens seraient désormais organisés sur une plate-forme dédiée pour prévenir les dysfonctionnements et garantir la légitimé des diplômes, puis procédé le 26 octobre 2022 à la commande d'une licence et d'un contrat de maintenance de l'application Testwe et enfin informé les étudiants le 9 novembre 2022 de l'utilisation de cette application et du système de surveillance qu'elle intègre, le conseil de l'institut d'enseignement à distance de l'université Paris-VIII doit être regardé comme ayant décidé d'avoir recours pour l'organisation et la surveillance des examens en ligne à une application du type de celle proposée par la société Testwe. En présentant une demande de suspension de l'exécution de la décision du 21 septembre 2022, Mme AE doit en conséquence être regardée comme demandant la suspension de l'exécution d'une décision d'avoir recours pour l'organisation et la surveillance des examens en ligne à de telles modalités.

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par l'université Paris-VIII :

5. Aux termes du 6° de l'article L. 712-2 du code de l'éducation🏛, le président de l'université est " responsable du maintien de l'ordre ". Aux termes du IV de l'article L. 712-3 du même code, le conseil d'administration " détermine la politique de l'établissement ". Aux termes du 2° du I de l'article L. 712-6-1 du même code🏛, la commission de la formation et de la vie universitaire du conseil académique adopte " les règles relatives aux examens ". Aux termes de l'article L. 713-9 du même code : " Les instituts et les écoles faisant partie des universités sont administrés par un conseil élu () " qui " définit le programme pédagogique et le programme de recherche de l'institut ou de l'école ". Aux termes enfin de l'article D. 611-2 : " Les conditions de la validation des enseignements, dispensés en présence des usagers ou à distance, le cas échéant sous forme numérique, sont arrêtées dans chaque établissement d'enseignement supérieur au plus tard à la fin du premier mois de l'année d'enseignement et elles ne peuvent être modifiées en cours d'année. / La validation des enseignements contrôlée par des épreuves organisées à distance sous forme numérique, doit être garantie par : / 1° La vérification que le candidat dispose des moyens techniques lui permettant le passage effectif des épreuves ; / 2° La vérification de l'identité du candidat ; /3° La surveillance de l'épreuve et le respect des règles applicables aux examens ".

6. Les conditions dans lesquelles les épreuves de validation des enseignements universitaires sont organisées à distance sous forme numérique, dans le respect des décisions prises par le président de l'université, du conseil d'administration et de la commission de la formation et de la vie universitaire du conseil académique dans leur domaine de compétence respectif, et des dispositions précitées de l'article D. 611-2 du code de l'éducation🏛, notamment en ce qui concerne la surveillance de l'épreuve, ne constituent que des actes relevant de l'organisation matérielle du service et non des actes administratifs susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des candidats.

7. Aux termes de l'article 4 du règlement général sur la protection des données susvisé : " Aux fins du présent règlement, on entend par : / 1) " données à caractère personnel ", toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée " personne concernée ") ; est réputée être une " personne physique identifiable " une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu'un nom, un numéro d'identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ; / 2) " traitement ", toute opération ou tout ensemble d'opérations effectuées ou non à l'aide de procédés automatisés et appliquées à des données ou des ensembles de données à caractère personnel, telles que la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la structuration, la conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation, l'utilisation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l'interconnexion, la limitation, l'effacement ou la destruction () ". Aux termes de son article 5 : " 1. Les données à caractère personnel doivent être : () c) adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (minimisation des données) () 2. Le responsable du traitement est responsable du respect du paragraphe 1 et est en mesure de démontrer que celui-ci est respecté () ".

8. Il résulte de l'instruction, notamment de la documentation publiée par la société Testwe qui développe l'application éponyme et ainsi que le relève l'association La Quadrature du Net, que l'utilisation de cette application rend possible notamment la vérification automatisée de l'identité du candidat, l'analyse continue de son visage filmé, l'analyse continue de son regard, l'accès à l'ensemble des données stockées sur son ordinateur, la captation et l'analyse automatisée de l'environnement sonore et visuel et institue en conséquence un traitement de données à caractère personnel au sens des dispositions précitées de l'article 4 du règlement général sur la protection des données. Si l'université fait valoir lors de l'audience du 6 décembre 2022 qu'elle n'entend pas en pratique collecter effectivement ces données, elle n'expose pas quel dispositif technique ferait obstacle, en dépit de l'acquisition qu'implique la décision attaquée de la licence d'exploitation du logiciel et de l'utilisation de celui-ci lors des sessions d'examen, à ce que celles-ci soit effectivement collectées et susceptibles de recevoir un traitement, pas plus qu'elle ne détaille avec exactitude les modalités de surveillance des examens, la nature des données collectées et le caractère adéquat, pertinent et limité de leur traitement. Dans ces conditions, en l'absence de définition préalable des données traitées et de la justification de ce traitement, en décidant d'avoir recours à une plate-forme du type de celle de l'application Testwe pour l'organisation et la surveillance des examens en ligne et au traitement de données qu'elle rend possible, l'université doit être regardée comme ayant porté une atteinte excessive au droit à la protection des données personnelles que les candidats tirent du règlement général sur la protection des données. La décision du 21 septembre 2022, qui met en cause les libertés et des droits fondamentaux des intéressés, doit en conséquence être regardée comme une décision susceptible de recours pour excès de pouvoir et de référé à fin de suspension d'exécution.

9. La fin de non-recevoir opposée par l'université à l'encontre des conclusions dirigées contre la décision du 21 septembre 2022 doit en conséquence être écartée.

En ce qui concerne la condition de l'urgence :

10. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

11. Il résulte de l'instruction que l'application dont l'utilisation a été décidée par la décision du 21 septembre 2022 a été effectivement acquise par l'université et est susceptible d'être utilisée lors de la session d'examens organisés du 4 au 14 janvier 2023 puis du 11 au 22 avril 2023. Compte tenu de l'atteinte ainsi grave et immédiate, non seulement à la situation de Mme AE, mais encore à un intérêt public, qui a suscité la requête de Mme AE, l'intervention de cinquante autres étudiants et une pétition de six cent un étudiants supplémentaires, la condition de l'urgence s'attachant à la suspension de l'exécution de la décision doit être regardée comme remplie.

En ce qui concerne le moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision :

12. Le moyen tiré de ce que par la décision du 21 septembre 2022 le conseil de l'institut d'enseignement à distance de l'université Paris-VIII a adopté des modalités d'organisation et de surveillance des examens en ligne de nature à porter atteinte au principe de minimisation des données énoncé à l'article 5, paragraphe 1, point c) du règlement général sur la protection des données apparaît propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

13. Il résulte de tout ce qui précède que doit être suspendue l'exécution de la décision du 21 septembre 2022 dans sa portée mentionnée au point 4.

Sur les conclusions dirigées contre les courriels des 25 octobre, 9 novembre et 18 novembre 2022 :

14. Il résulte de l'instruction que par les courriels des 25 octobre, 9 novembre et 18 novembre 2022, les services de l'université Paris-VIII se sont bornés à informer les étudiants de la portée de la décision du 21 septembre 2022 et de ses conséquences sur l'organisation des examens ainsi que de la solution subsidiairement envisagée. Ils ne présentent en conséquence pas le caractère d'actes administratifs faisant grief et pouvant faire l'objet de conclusions à fin de suspension d'exécution sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛. La fin de non-recevoir opposée par l'université Paris-VIII doit en conséquence être accueillie et les conclusions dirigées à leur encontre rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. La suspension de l'exécution de la décision du 21 septembre 2022 prononcée par la présente ordonnance n'implique pas nécessairement, contrairement à ce que demande la requérante et les intervenants, que l'université Paris-VIII organise les examens de licence au sein de son institut d'enseignement à distance au moyen de la plate-forme " Moodle ". Les conclusions à fin d'injonction doivent en conséquence être rejetées.

Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 et de mettre à la charge de l'université Paris-VIII une somme de 1 000 euros à verser à Mme AE. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme AE, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

O R D O N N E :

Article 1er : Les interventions de l'association La Quadrature du Net et de M. W et autres sont admises.

Article 2 : L'exécution de la délibération du 21 septembre 2022 par laquelle le conseil de l'institut d'enseignement à distance de l'université Paris-VIII a décidé d'avoir recours pour l'organisation et la surveillance des examens en ligne à une application du type de celle proposée par la société Testwe est suspendue.

Article 3 : L'université Paris-VIII versera une somme de 1 000 euros à Mme AE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de l'université Paris-VIII présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme CC AE, à l'université Paris-VIII, à l'association La Quadrature du Net, et à M. CG W, premier dénommé des intervenants.

Délibéré à l'issue de l'audience du 6 décembre 2022 où siégeaient :

- M. Pierre Le Garzic, vice-président du tribunal, présidant,

- M. Arnaud Marchand, premier conseiller, juge des référés,

- Mme Thérèse Renault, première conseillère, juge des référés.

Fait à Montreuil, le 14 décembre 2022.

Signé

P. BU

La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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