Jurisprudence : CE référé, 17-05-2022, n° 463531



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 463531

Lecture du 17 mai 2022

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux)


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 27 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat CFE-CGC Energies Tricastin Provence, le syndicat CFE-CGC des fonctions centrales d'électricité de France (EDF), le syndicat Force Ouvrière d'EDF/CNPE de Gravelines, le syndicat Force Ouvrière des fonctions centrales d'EDF, le syndicat CGT du site EDF Flamanville et le syndicat des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise des services centraux fonctionnels EDF et des organismes sociaux demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛 :

1°) de suspendre l'exécution, d'une part, du décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) et, d'autre part, de l'arrêté du 11 mars 2022 fixant le volume global maximal d'électricité devant être cédé par Electricité de France au titre de l'ARENH, pris en application de l'article L. 336-2 du code de l'énergie🏛 ;

2°) d'enjoindre, d'une part, à l'Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour suspendre la livraison exceptionnelle de 20 TWh et, d'autre part, aux bénéficiaires ayant déjà perçu les aides versées dans le cadre de cette livraison exceptionnelle de les rembourser à EDF ou, à titre subsidiaire, de verser l'équivalent de ces aides sur un compte bloqué ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, les mesures contestées portent atteinte à des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne eu égard à la modification qu'elles apportent à l'ARENH, qui doit être regardé comme une condition de compatibilité d'un régime d'aide d'Etat autorisé par la décision SA.21918 de la Commission européenne relative aux tarifs règlementés de l'électricité du 12 juin 2012 et comme constituant en lui-même un régime d'aide d'Etat, et, d'autre part, elles portent gravement atteinte aux intérêts financiers d'EDF et auront une incidence directe sur les conditions d'emploi des salariés, alors que l'intérêt public que présenterait l'accès à l'électricité à un tarif abordable n'est pas susceptible de les justifier en l'absence de démonstration de ce que l'aide sera effectivement répercutée aux consommateurs ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;

- les mesures contestées sont entachées d'un vice de procédure faute d'avoir été notifiées à la Commission européenne alors qu'une telle notification s'imposait en vertu tant de la décision de la Commission européenne du 12 juin 2012 mentionnée ci-dessus que de l'article 108 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui impose cette notification pour toute modification d'un régime d'aide et pour toute aide nouvelle, l'ARENH devant être regardé en lui-même comme un régime d'aide d'Etat ;

- elles méconnaissent l'article 108 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et la décision de la Commission européenne du 12 juin 2012, qui fixe un plafond applicable au volume d'ARENH ;

- elles trouvent leur base légale dans les dispositions de L. 336-2 du code de l'énergie qui sont incompatibles avec le droit de l'Union européenne faute d'avoir été elles-mêmes notifiées à la Commission européenne ;

- elles méconnaissent l'article 5 de la directive 2019/944/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE, en ce qu'elles ne prévoient aucune garantie pour éviter que les prix de détail réglementés donnent lieu à des subventions croisées directes entre clients approvisionnés au prix du marché libre et clients approvisionnés à des prix réglementés ;

- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaissent la liberté d'entreprendre dès lors qu'elles prévoient une livraison exceptionnelle de 20 TWh supplémentaires alors que l'article L. 336-3 du code de l'énergie🏛 impose la suspension du dispositif d'ARENH eu égard à la dégradation des conditions de production des centrales d'EDF ;

- elles méconnaissent l'article L. 336-2 du code de l'énergie🏛 et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation en ce que la livraison exceptionnelle de 20 TWh n'est pas proportionnée à l'objectif de stabilité des prix qu'il fixe.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive (UE) n° 2019/944⚖️ du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE ;

- la décision de la Commission européenne du 12 juin 2012 concernant l'aide d'État SA.21918 (C 17/07) (ex NN 17/07) mise à exécution par la France - Tarifs réglementés de l'électricité en France n° SA.21918 ;

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛 : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code🏛, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Il résulte des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛 précitées au point 1 que l'urgence est de nature à justifier la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

3. Aux termes de l'article L. 336-1 du code de l'énergie🏛 : " Afin d'assurer la liberté de choix du fournisseur d'électricité tout en faisant bénéficier l'attractivité du territoire et l'ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire français, un accès régulé et limité à l'électricité nucléaire historique, produite par les centrales nucléaires mentionnées à l'article L. 336-2, est ouvert, pour une période transitoire définie à l'article L. 336-8, à tous les opérateurs fournissant des consommateurs finals résidant sur le territoire métropolitain continental ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes. / Cet accès régulé est consenti à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Electricité de France de l'utilisation de ses centrales nucléaires mentionnées au même article L. 336-2 ". Aux termes de l'article L. 336-2 du même code : " Pendant la période transitoire, Electricité de France cède de l'électricité, pour un volume maximal déterminé en application des articles L. 336-3 et L. 336-4 et dans les conditions définies à l'article L. 336-5, aux fournisseurs d'électricité qui en font la demande, titulaires de l'autorisation prévue à l'article L. 333-1 et qui alimentent ou prévoient d'alimenter des consommateurs finals ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes, situés sur le territoire métropolitain continental. / Le volume global maximal d'électricité nucléaire historique pouvant être cédé est déterminé par arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie pris après avis de la Commission de régulation de l'énergie, en fonction notamment du développement de la concurrence sur les marchés de la production d'électricité et de la fourniture de celle-ci à des consommateurs finals et dans l'objectif de contribuer à la stabilité des prix pour le consommateur final. Ce volume global maximal, qui demeure strictement proportionné aux objectifs poursuivis, ne peut excéder 100 térawattheures par an jusqu'au 31 décembre 2019 et 150 térawattheures par an à compter du 1er janvier 2020. / Les conditions d'achat reflètent les conditions économiques de production d'électricité par les centrales nucléaires d'Electricité de France situées sur le territoire national et mises en service avant le 8 décembre 2010. Les conditions dans lesquelles s'effectue cette vente sont définies par arrêté du ministre chargé de l'énergie pris sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie 5 () ".

4. Par un décret du 11 mars 2022, le Premier ministre a défini les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Par un arrêté du même jour, les ministres chargés de l'économie et de l'énergie ont fixé à 20 TWh le volume attribué en application de ces dispositions en complément du volume global maximal fixé à 100 TWh par un précédent arrêté du 28 avril 2011. Les requérants demandent la suspension de l'exécution de ces deux mesures.

5. Pour justifier de l'urgence, les requérants invoquent, en premier lieu, l'atteinte que portent les mesures contestées à la situation d'EDF, ainsi qu'aux intérêts publics qui s'attachent à la pérennité de cette société et au financement de ses investissements à venir. Toutefois, s'il résulte de leurs écritures que le coût du rachat aux fournisseurs bénéficiaires des volumes d'électricité correspondant à l'ARENH cédé en application des dispositions contestées serait estimé à 4,2 milliards d'euros pour EDF, ils ne justifient pas des pertes de bénéfice qui seraient liées également selon eux aux effets indirects de cette mesure sur les tarifs pratiqués par EDF vis-à-vis de ses propres clients. En tout état de cause, les requérants n'apportent aucun élément permettant de caractériser l'ampleur de l'atteinte portée par les mesures qu'ils contestent au regard de l'ensemble de l'équilibre financier de la société en faisant également la part des autres facteurs pertinents, y compris l'indisponibilité d'une partie du parc de production d'électricité d'origine nucléaire et l'effet de la hausse des cours de l'électricité sur les recettes d'EDF sur le marché de gros.

6. Les requérants soutiennent, en deuxième lieu, que les mesures contestées portent atteinte à des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne, au motif que les mesures contestées seraient contraires à l'article 108, paragraphe3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et à l'article 5 de la directive 2019/944/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité. Cette circonstance n'est pas davantage de nature à caractériser une situation d'urgence justifiant que soit ordonnée en référé la suspension de l'exécution des mesures contestées sans attendre le jugement de la requête au fond.

7. Il résulte de ce qui précède qu'il est manifeste que la requête du syndicat CFE-CGC Energies Tricastin Provence et autres doit être rejetée sur le fondement de l'article L. 522-3 du code de justice administrative🏛, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du même code.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête du syndicat CFE-CGC Energies Tricastin Provence, du syndicat CFE-CGC des fonctions centrales d'EDF, du syndicat Force Ouvrière d'EDF/CNPE de Gravelines, du syndicat Force Ouvrière des fonctions centrales d'EDF, du syndicat CGT du site EDF Flamanville et du syndicat des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise des services centraux fonctionnels EDF et des organismes sociaux est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat CFE-CGC Energies Tricastin Provence, premier requérant dénommé.

Fait à Paris, le 17 mai 202 Signé : Jean-Philippe Mochon

Agir sur cette sélection :

Revues liées à ce document

Ouvrages liés à ce document

Chaîne du contentieux

Décisions similaires

  • Tout désélectionner
Lancer la recherche par visa

Domaine juridique - ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS

  • Tout désélectionner
Lancer la recherche par thème
La Guadeloupe
La Martinique
La Guyane
La Réunion
Mayotte
Tahiti

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.