Jurisprudence : TA Nantes, du 10-04-2024, n° 1913502

TA Nantes, du 10-04-2024, n° 1913502

A296024E

Référence

TA Nantes, du 10-04-2024, n° 1913502. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/106701338-ta-nantes-du-10042024-n-1913502
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Abstract

► L'État n'a pas commis de faute en abandonnant, pour des motifs d'intérêt général, le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes.


Références

Tribunal Administratif de Nantes

N° 1913502

2ème Chambre
lecture du 10 avril 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 décembre 2019 et le 26 octobre 2022, la société Aéroport du Grand Ouest, représentée par Me Champy, demande au tribunal, dans le dernier état de ses conclusions :

1°) d'ordonner avant dire droit une expertise sur le calcul du manque à gagner ;

2°) à titre principal, de déclarer irrégulier l'arrêté du 24 octobre 2019 par lequel le ministre de l'économie et des finances, le ministre de l'action et des comptes publics et le secrétaire d'état chargé des transports ont résilié la convention conclue le 23 décembre 2010 entre l'Etat et la société Aéroports du Grand Ouest pour la concession des aérodromes de Notre-Dame des Landes, Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire-Montoir, de résilier cette convention pour faute de l'Etat et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 599 079 001 euros, à parfaire, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 413 157 000 euros, à parfaire, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- l'arrêté du 24 octobre 2019, qui modifie unilatéralement des stipulations financières de la concession, porte atteinte à l'équilibre financier du contrat ;

- cet arrêté est entaché d'incompétence car cette modification unilatérale des stipulations financières ne pouvait, sans méconnaître l'article R. 223-2 du code de l'aviation civile🏛, être décidée par un arrêté ministériel ;

- aucun motif d'intérêt général n'est de nature à justifier la résiliation de la convention ;

- les nombreux manquements commis par l'Etat dans l'exécution de ses obligations contractuelles justifient la résiliation aux torts de ce dernier ;

- à titre subsidiaire, si la résiliation est reconnue d'intérêt général, elle doit être indemnisée en application de l'article 4.D.V de la concession, selon les modalités prévues par le II de son article 81, sans retenir l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat dans son avis consultatif du 26 avril 2018 ;

- quel que soit le motif de résiliation retenu, elle doit être indemnisée des préjudices résultant de l'abandon du projet et de la résiliation de la concession, de ceux résultant de la modification unilatérale de la concession et de ceux subis dans le cadre de l'exécution de la concession.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 mai 2021 et le 16 juin 2023, le ministre chargé des transports, représenté par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la société Aéroport du Grand Ouest.

Il soutient que :

- les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 octobre 2019, en tant qu'il résilie la concession et qu'il en modifierait certaines clauses sont irrecevables ;

- les conclusions indemnitaires sont irrecevables faute d'avoir été précédées d'une procédure de conciliation préalable ;

- la résiliation a été prononcée pour un motif d'intérêt général en application de l'article 4.D.V du cahier des charges de la concession ;

- le manque à gagner pourrait être indemnisé selon les préconisations de l'avis du Conseil d'Etat, à condition que les fonds propres injectés par le concessionnaire ne lui procurent aucune autre source de rémunération.

Par ordonnance du 29 août 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 20 octobre 2023.

Deux mémoires présentés pour la société Aéroport du Grand Ouest ont été enregistrés le 19 octobre 2023 et le 5 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016🏛 ;

- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016🏛 ;

- le décret n° 2010-1699 du 29 décembre 2010🏛';

- l'arrêté du 24 octobre 2019 portant résiliation de la convention passée entre l'Etat et la société Aéroports du Grand Ouest pour la concession des aérodromes de Notre-Dame-des-Landes, Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire - Montoir ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Rimeu,

- les conclusions de M. Simon, rapporteur public,

- et les observations de Me Champy, représentant la société Aéroport du Grand Ouest, et celles de Me Thiriez, représentant le ministre chargé des transports.

Une note en délibéré, produite pour la société Aéroport du Grand Ouest, a été enregistrée le 26 mars 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention de concession approuvée par le décret du 29 décembre 2010🏛 approuvant la convention passée entre l'Etat et la société concessionnaire Aéroports du Grand Ouest pour la concession des aérodromes de Notre-Dame-des-Landes, Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire-Montoir et le cahier des charges annexé à cette convention ainsi que les documents annexés à ce cahier des charges, l'Etat a confié à la société Aéroports du Grand Ouest (AGO), société détenue à hauteur de 85% par le groupe Vinci dont l'objet social est limité à l'exécution de la concession, d'une part la construction et l'exploitation d'un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), et d'autre part l'exploitation des deux aéroports existants de Nantes-Atlantique et de Saint-Nazaire Montoir. La convention de concession prévoit que l'exploitation de l'aéroport de Nantes-Atlantique cesserait à partir de la mise en service de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Or, par une décision du 17 janvier 2018, l'Etat a renoncé au projet de construction d'un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes et, par un arrêté du 24 octobre 2019, il a prononcé la résiliation de la concession. Le deuxième alinéa de l'article 1er de cet arrêté prévoit que cette résiliation prendra effet " à la plus tardive des deux dates entre la date d'entrée en vigueur de la convention de concession à conclure avec le nouveau concessionnaire des aérodromes de Nantes-Atlantique et de Saint-Nazaire Montoir et la date de notification à ce dernier du certificat prévu à l'article L. 6331-3 du code des transports🏛. ". Au jour du présent jugement, la nouvelle convention de concession n'a pas été conclue, de sorte que la société AGO continue à exploiter les aéroports existants en vertu de la convention de concession approuvée le 29 décembre 2010. Dans sa requête, la société AGO demande au tribunal d'ordonner une expertise avant dire droit sur le calcul du manque à gagner, ainsi que, à titre principal, de déclarer irrégulier l'arrêté du 24 octobre 2019, de requalifier la résiliation prononcée en une résiliation pour faute de l'Etat et de condamner l'Etat à lui verser la somme de

1 599 079 001 euros, et à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 413 157 000 euros.

Sur la portée des conclusions et les fins de non-recevoir soulevées :

2. En premier lieu, dès lors que la résiliation, même si elle n'a pas encore pris effet, a été prononcée par l'arrêté du 24 octobre 2019, et que le recours de la société AGO ne tend pas à la reprise des relations contractuelles, ses conclusions principales tendant à ce que ledit arrêté soit déclaré irrégulier et à ce que la convention de concession soit résiliée pour faute de l'Etat doivent être regardées comme tendant seulement à obtenir une indemnité en réparation des préjudices subis du fait du caractère non fondé de la résiliation prononcée. Ses conclusions subsidiaires tendent, quant à elles, à obtenir une indemnité pour la résiliation prononcée pour un motif d'intérêt général, et la requérante conteste, dans ce cadre, les modalités de calcul de cette indemnité prévues par l'arrêté du 24 octobre 2019. Dans cette mesure, les fins de non-recevoir soulevées par l'Etat tirées de l'irrecevabilité des conclusions qui tendraient à l'annulation de l'arrêté du 24 octobre 2019 doivent être écartées.

3. En second lieu, aux termes de l'article 94 du cahier des charges de la concession :

" I. - Les différends résultant de l'application du présent contrat font l'objet, avant toute contestation devant le tribunal compétent et à l'initiative de la partie requérante, d'une proposition de conciliation du comité d'experts prévu au présent article. / II.- La partie requérante demande une conciliation à l'autre partie par lettre recommandée avec avis de réception, par laquelle elle désigne un premier expert et à laquelle elle joint une note de présentation du litige et des arguments qui fondent sa position. / Dans un délai de quinze jours suivant réception, l'autre partie désigne un deuxième expert par lettre recommandée avec avis de réception à la partie requérante. () "

4. Il résulte de l'instruction que la société AGO a sollicité la conciliation prévue à l'article 94 précité du cahier des charges par courriers des 2 août 2019, 29 août 2019 et 5 décembre 2019. D'une part, la circonstance que la résiliation n'avait pas encore pris effet n'empêchait pas qu'un différend existe entre les parties concernant le montant de l'indemnité née de celle-ci. L'existence d'un différend apparaît au demeurant clairement dans les échanges entre les parties avant l'introduction de la présente requête et l'avis rendu par le Conseil d'Etat, à la demande du Gouvernement, le 26 avril 2018, n'était pas de nature à y mettre fin, ainsi qu'en témoigne l'existence du présent contentieux. Enfin, si la société AGO n'a chiffré que dans le dernier courrier du 5 décembre 2019, qui constitue la réclamation préalable au présent contentieux, les préjudices qu'elle estime avoir subis et a ajouté, dans ce courrier, des préjudices qui seraient nés non directement de la résiliation du contrat, mais de son exécution, ledit courrier, préalable à la requête, réitère l'offre de conciliation en application de l'article 94 précité. Or l'Etat, qui a également refusé la médiation proposée par le tribunal, n'a jamais répondu favorablement à l'offre de conciliation de son concessionnaire. Dans ces conditions, l'Etat n'est pas fondé à soutenir que la requête serait irrecevable faute de mise en œuvre de la procédure contractuelle de conciliation préalable.

Sur le fond :

5. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, l'autorité concédante peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier un contrat de concession, sous réserve des droits à indemnité du concessionnaire. L'étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment d'une personne publique, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé.

S'agissant du bien-fondé de la résiliation :

6. Il résulte de l'instruction, et notamment de la déclaration du Premier ministre du 17 janvier 2018, que l'abandon du projet de construction d'un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes a été décidé en prenant en compte la situation de blocage née des fortes oppositions et intenses divisions autour du projet et les réalités économiques du développement des transports et de l'organisation aéroportuaires, lesquelles ont changé depuis la conception du projet il y a cinquante ans et sa redéfinition il y a vingt ans. Ainsi, cette décision, après que l'Etat a essayé pendant plusieurs années de mener à bien le projet prévu par la concession en dépit des fortes tensions et oppositions exprimées, tout en préservant les différents intérêts publics en présence, obéit à des considérations d'intérêt général et ne peut être regardée comme fautive. La résiliation litigieuse, rendue nécessaire par ce renoncement au projet de nouvel aéroport, a donc bien été décidée pour des motifs d'intérêt général, nonobstant les circonstances que le projet aurait été reconnu d'utilité publique et que le rapport de la mission de médiation aurait mal anticipé l'évolution du trafic aérien. En outre, et en tout état de cause, le contrat de concession prévoit explicitement, dans son article 4.D : " V. - Le renoncement de l'Etat au projet de l'aérodrome NDDL est assimilé à une résiliation de la concession pour motif d'intérêt général. (). ". Par suite, la société AGO n'est pas fondée à demander que la résiliation prononcée le 24 octobre 2019 soit requalifiée en résiliation aux torts de l'Etat. Il suit de là que les conclusions principales de la requérante tendant à être indemnisée des préjudices subis du fait du caractère non fondé, et par suite fautif, de la résiliation prononcée le 24 octobre 2019, doivent être rejetées.

S'agissant des modalités de la résiliation :

7. D'une part, la société AGO conteste la modification apportée au dernier alinéa du II de l'article 81 par l'arrêté de résiliation du 24 octobre 2019 pour prévoir que l'indemnité de résiliation est payable, à hauteur de 30% à la date de prise d'effet de la résiliation et à hauteur de 70% six mois après cette même date. Toutefois cette modification constitue la seule interprétation du contrat de nature à le rendre applicable, dès lors, qu'ainsi qu'il a été dit, la résiliation a été prononcée à effet différé, hypothèse qui n'est pas prévue par le contrat, que la date d'effet de celle-ci dépend de la désignation d'un nouveau concessionnaire, et enfin que le montant de l'indemnité de résiliation ne peut être déterminé sans connaître cette date d'effet. Par suite, cette interprétation, rendue nécessaire par la résiliation prononcée le 24 octobre 2019, ne peut être regardée comme une modification unilatérale du contrat. Il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que cette interprétation serait irrégulière, fautive et de nature à ouvrir droit à une indemnisation.

8. D'autre part, le dernier alinéa du a de l'article 4M du cahier des charges de la concession consacré à ses dispositions financières stipule : " " Toutes les ressources tirées de l'exploitation de NA et SN avant la mise en service de NDDL sont affectées exclusivement à des emplois liés à l'objet de la concession. En conséquence, le concessionnaire ne peut verser aucun dividende à ses actionnaires au titre de ses ressources. ". Par une décision du 10 mai 2021, l'Etat a complété ces stipulations par : " Compte tenu de la décision d'abandon de la réalisation de NDDL, toutes les ressources disponibles du concessionnaire en fin d'exploitation de NA et SN sont reversées au concédant ou, sur instruction de ce dernier, au nouvel exploitant de NA et SN dans les trente (30) jours suivants l'entrée en vigueur de la résiliation de la concession, étant précisé que l'interdiction faite au concessionnaire de verser des dividendes à ses actionnaires s'étend aux opérations de règlement des comptes de la concession et de liquidation de la société concessionnaire. ". Si la société AGO conteste cet ajout, il résulte de l'instruction qu'il constitue seulement une explicitation du dernier alinéa du a de l'article 4M du cahier des charges, qui réserve les ressources d'exploitation aux seuls besoins de la concession et exclut tout versement de dividende avant la mise en service de NDDL, pour la situation non prévue au contrat dans laquelle, dans l'attente de la prise d'effet de la résiliation liée à l'abandon du projet de NDDL, la société AGO exploite les aéroports de NA et SN sans avoir à réaliser les investissements initialement prévus. Le manque à gagner résultant de cette situation n'est ainsi pas distinct de celui né de la résiliation de la concession. Par suite, l'explicitation apportée au contrat le 10 mai 2021 ne peut être regardée comme une modification unilatérale irrégulière ou de nature à en bouleverser l'économie générale. Il suit de là que la société AGO n'est pas fondée à soutenir que cette décision du 10 mai 2021 serait de nature à lui ouvrir droit à une indemnisation distincte de l'indemnité de résiliation pour un motif d'intérêt général.

S'agissant des fautes dans l'exécution du contrat invoquées par AGO :

9. En premier lieu, la requérante invoque la responsabilité contractuelle sans faute de l'Etat du fait du prince pour solliciter l'indemnisation de différents préjudices liés à ce qu'elle appelle " le contexte sécuritaire du projet ". Toutefois, il résulte de l'instruction, d'une part, que les difficultés rencontrées dans le maintien de l'ordre public ont pour origine non pas la carence de l'Etat mais les fortes oppositions au projet, et d'autre part, que le V. de l'article 4.D du cahier des charges de la concession cité en point 6 mentionne l'hypothèse du renoncement au projet d'aéroport sur le site de Notre-Dame-des-Landes, ce qui témoigne du caractère non imprévisible de ces difficultés et oppositions. Par ailleurs, en vertu du 2ème alinéa de l'article 4A du cahier des charges de la concession : " Le concessionnaire assume, à ses frais, risques et périls, toutes les charges et prérogatives liées à sa qualité de maître d'ouvrage. ". Il suit de là que la société AGO n'est pas fondée à demander à être indemnisée des frais exposés en raison des difficultés liées au maintien de l'ordre public sur le site.

10. En deuxième lieu, dès lors que le projet de nouvel aéroport a été abandonné avant tout investissement lié aux travaux prévus, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de l'allongement des délais prévus pour la mise en service de NDDL par l'article 4.D du cahier des charges de la concession. En outre, le V de cet article 4.D, cité au point 6, qui prévoit l'hypothèse du renoncement au projet, renvoie dans ce cas pour l'indemnisation aux modalités définies par le II de l'article 81, ce qui exclut une autre indemnisation pour des délais devenus sans objet. Par ailleurs, d'une part, l'Etat n'est pas lié au groupement d'entreprises solidaires appelé GCC, avec lequel AGO a conclu le 2 mai 2012 un contrat de conception-construction, de sorte qu'AGO ne peut se prévaloir des stipulations de ce contrat pour établir une faute de l'Etat. D'autre part, la prise en compte des recommandations environnementales d'un groupe d'expert de l'Etat et le maintien de la structure de maîtrise d'ouvrage faisaient partie des missions confiées à la société AGO par le contrat de concession. Enfin, la circonstance que les gains plus importants que prévus réalisés par la société AGO ont eu pour conséquence une majoration des redevances dues au concessionnaire et une augmentation de la participation versée aux salariés ne contrevient à aucune stipulation contractuelle et ne peut par suite être regardée comme fautive. Il suit de là que la société AGO n'est pas fondée à demander à être indemnisée des frais liés à l'allongement des délais de mise en œuvre du projet de construction.

11. En troisième et dernier lieu, la requérante demande à être indemnisée de frais juridiques et de conseil, de pertes liées à des acquisitions foncières et d'investissements réalisés à la demande de l'Etat sur les aéroports de Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire-Montoir. Toutefois, elle n'invoque aucune faute contractuelle à l'origine de ces préjudices. En outre, d'une part, ainsi qu'il a été dit au point 9, le contrat prévoit que le concessionnaire assume à ses frais et risques les charges de la maîtrise d'ouvrage du projet, de sorte qu'AGO ne peut solliciter le remboursement des frais juridiques exposés. Pour le même motif, AGO ne peut pas non plus solliciter le remboursement des coûts liés aux acquisitions et rétrocessions foncières, lesquels seront, le cas échéant, pris en compte pour le calcul de la valeur non amortie des biens de retour dans le cadre de la résiliation. D'autre part, dès lors que le cahier des charges prévoit dans son article 1er :

" I. - La concession porte : / () D'autre part, en ce qui concerne les aérodromes de Nantes-Atlantique (" NA "), Saint-Nazaire-Montoir (" SN ") et Notre-Dame-des-Landes, sur la réalisation, le développement, le renouvellement, l'entretien, l'exploitation et la promotion des terrains, ouvrages, bâtiments, installations, matériels, réseaux et services. / (), il appartenait à la requérante de réaliser les investissements nécessaires à l'exploitation des aéroports de Nantes et Saint-Nazaire. Enfin, les frais de conseil liés à la défense d'AGO contre l'Etat ne sont pas distincts des frais de la présente instance. Il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à demander à être indemnisée des différents préjudices examinés au présent point.

12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 à 11 que la société AGO n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 158 905 000 euros en réparation des préjudices nés de l'exécution du contrat.

S'agissant des conclusions indemnitaires présentées à titre subsidiaire liées à la résiliation de la concession pour un motif d'intérêt général :

13. Les stipulations du V de l'article 4.D du cahier des charges annexé à la convention prévoient qu'en cas de renonciation de l'Etat au projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, " le concessionnaire a droit à une indemnité calculée selon les modalités définies par le II de l'article 81 ". Le II de l'article 81 stipule : " En cas de rachat ou de résiliation, le concessionnaire a droit à une indemnité dont le montant est égal à l'intégralité : / a) De l'encourt des financements privés externes ;/ b) Des coûts ou, le cas échéant, des gains de rupture des instruments de couverture ; / c) De l'encours des fonds propres et des quasi-fonds propres injectés réellement préalablement à la date de résiliation par les actionnaires du concessionnaire ;/ d) Du manque-à-gagner diminué de l'encours des fonds propres et des quasi-fonds propres injectés préalablement à la date de résiliation par les actionnaires du concessionnaire tels qu'ils apparaissent dans l'annexe 18 puis majoré de l'impôt sur les sociétés au taux légal en vigueur, étant entendu que ce terme sera égal à zéro si son calcul donne un résultat négatif ; / e) Des frais raisonnables et justifiés de résiliation éventuelle des contrats relatifs aux financements privés externes et aux financements relais externes dont le remboursement a vocation à être financé par des personnes détenant directement ou indirectement une faction du capital social ou des droits de vote du concessionnaire ; / f) Du montant des frais raisonnablement encourus et dûment justifiés par le concessionnaire pour la résiliation anticipée des contrats passés avec ses prestataires. () / Le manque-à-gagner est calculé de la manière suivante : A. - Si la résiliation ou le rachat intervient avant le deuxième anniversaire de la date de mise en service de NDDL () / B - Si la résiliation ou le rachat intervient postérieurement au deuxième anniversaire de la date de mise en service de NDDL () C.- Si la résiliation ou le rachat intervient à compter de la 32ème année suivant l'entrée en vigueur de la concession () ".

14. En premier lieu, l'avis de l'Assemblée Générale du Conseil d'Etat rendu le

26 avril 2018 à la demande de la ministre chargée des transports, soumis au principe du contradictoire dans le cadre de la présente procédure contentieuse, a pu être largement débattu par les parties.

15. En deuxième lieu, il résulte des stipulations contractuelles précitées que si l'article 4.D renvoie au II de l'article 81 pour le calcul de l'indemnité due en cas de renoncement au projet de construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les stipulations du II de l'article 81, lesquelles ont vocation à s'appliquer indifféremment aux cas de rachat et de résiliation pour motif d'intérêt général de la concession, renvoient, pour le calcul du manque à gagner, à trois modalités différentes selon le délai écoulé depuis la date de mise en service de NDDL visée au I de l'article 4.D. L'absence de toute mise en service empêche de calculer ledit délai et par suite d'appliquer l'une des modalités de calcul du manque à gagner prévues par les stipulations du II. Au demeurant l'application de la formule de calcul du manque à gagner prévue au A précité pour un rachat ou une résiliation moins de deux ans après la mise en service du nouvel aéroport, qui figure dans les tableaux du modèle financier de la concession dont se prévaut la requérante, conduirait l'Etat à lui verser une indemnité manifestement disproportionnée au regard des investissements effectivement réalisés, de nature à constituer une libéralité. Il suit de là que, si les dépenses exposées peuvent être calculées selon les modalités prévues par ces stipulations, le gain manqué doit faire l'objet d'une juste appréciation, dans le cadre rappelé au point 5 du présent jugement.

16. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit, la société AGO continue d'exploiter les aéroports de Nantes-Atlantique et de Saint-Nazaire-Montoir et la date de prise d'effet de la résiliation décidée le 24 octobre 2019 dépend de la conclusion d'une nouvelle concession d'exploitation de ces aéroports. En outre, à la date du présent jugement, la société AGO ou les sociétés qui détiennent son capital sont susceptibles d'être chargées, dans un délai raisonnable, de la nouvelle concession. Dans ces conditions, le préjudice lié au manque à gagner ne peut, à la date du présent jugement, être déterminé. Son existence et son étendue dépendent de l'issue de la procédure de passation d'une nouvelle concession et de la date de prise d'effet de la résiliation décidée le 24 octobre 2019. Par suite, il y a lieu de surseoir à statuer sur la question de l'existence et de l'étendue du préjudice lié au manque à gagner jusqu'à la conclusion de la nouvelle concession et la prise d'effet de la résiliation litigieuse.

17. En quatrième lieu, les parties s'entendent pour considérer qu'aucune somme n'est due en application des a, b et e des stipulations du II de l'article 81 citées ci-dessus et que

9 millions d'euros sont dus au titre des fonds propres injectés par les actionnaires en application du c des mêmes stipulations. Si la requérante demande 11 803 000 euros au titre du f pour l'indemnisation du gain manqué par son co-contractant, la société GCC, en vertu d'un contrat de conception-réalisation conclu le 2 mai 2012, il ne résulte de l'instruction ni que ledit contrat aurait été résilié, ni que la société AGO aurait versé une indemnité à la société GCC. Il y a donc lieu de surseoir à statuer sur l'existence et l'étendue du droit à indemnisation au titre du f jusqu'à la prise d'effet de la résiliation du contrat, dans les mêmes conditions que celles précisées au point 16

ci-dessus.

18. En cinquième lieu, les stipulations du II de l'article 83 du cahier des charges de la concession prévoient, dans ses quatre derniers alinéas : " Par ailleurs, à la date de fin normale ou anticipée de la concession, le concessionnaire a droit à une indemnité correspondant : / - à la valeur nette comptable à la date de fin de la concession des biens affectés aux missions mentionnées aux article L. 6332-3 et L. 6341-2 du code des transports🏛🏛 sur les aéroports de NA, SN et NDDL ; / - à la valeur d'acquisition des biens acquis par le concessionnaire au titre de l'article 4.I, diminuée de la valeur de revente des biens acquis par le concessionnaire préalablement à la date de fin anticipée du contrat de concession. Le concessionnaire présente au concédant l'ensemble des justificatifs correspondant. / Cette indemnité est majorée, le cas échéant, de la TVA à reverser au Trésor public ".

19. Ainsi qu'elle le demande, la requérante a droit à la valeur non amortie des biens de retour tels que définis par ces stipulations. Toutefois, comme précédemment, le montant de l'indemnité due à ce titre ne pourra être fixé qu'à la date de prise d'effet de la résiliation et son versement dépend de la désignation du futur concessionnaire, lequel aura in fine la charge desdits biens, en vertu de l'annexe 1 à l'arrêté du 30 décembre 2009 relatif aux modalités de déclaration des exploitants d'aérodromes pour l'établissement du tarif passager de la taxe d'aéroport. Il y a donc lieu de surseoir également à statuer sur ce point.

20. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, d'une part, de rejeter les conclusions principales de la société AGO tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 599 079 001 euros, d'autre part, de rejeter les conclusions subsidiaires de la société AGO tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 158 905 000 euros en réparation de préjudices nés de l'exécution du contrat, et la somme de 86 600 000 euros en réparation de préjudices nés de la décision du 10 mai 2021, et enfin, de surseoir à statuer sur les autres conclusions subsidiaires de la société AGO dans les conditions précisées par le présent jugement et sans qu'il soit nécessaire, à la date du présent jugement, d'ordonner une expertise avant dire droit, ainsi que sur les frais d'instance demandée par les parties, jusqu'à la conclusion d'un nouveau contrat de concession et la prise d'effet de la résiliation de la concession en cours.

D E C I D E :

Article 1er : les conclusions principales de la société Aéroport du Grand Ouest tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 599 079 001 euros sont rejetées.

Articles 2 : Les conclusions subsidiaires de la société Aéroport du Grand Ouest tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser les sommes de 158 905 000 euros et de 86 600 000 euros sont rejetées.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur le surplus des conclusions subsidiaires de la société Aéroport du Grand Ouest jusqu'à la conclusion d'un nouveau contrat de concession et la prise d'effet de la résiliation de la concession en cours.

Article 4 : Tout droit et conclusion sur lesquels il n'est pas statué par le présent jugement sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la société Aéroport du Grand Ouest et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 20 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Rimeu, présidente,

M. Jégard, premier conseiller,

Mme El Mouats Saint-Dizier, conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 avril 2024.

La présidente-rapporteuse,

S. RIMEU

L'assesseur le plus ancien

dans l'ordre du tableau,

X. JÉGARD

La greffière,

P. LABOUREL

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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