Jurisprudence : CEDH, 08-12-1999, Req. 23885/94, Parti de la liberté et de la démocratie <I>(ÖZDEP) </I>c. Turquie

CEDH, 08-12-1999, Req. 23885/94, Parti de la liberté et de la démocratie <I>(ÖZDEP) </I>c. Turquie

A7484AW4

Référence

CEDH, 08-12-1999, Req. 23885/94, Parti de la liberté et de la démocratie <I>(ÖZDEP) </I>c. Turquie. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064403-cedh-08121999-req-2388594-parti-de-la-liberte-et-de-la-democratie-i-ozdep-i-c-turquie
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Cour européenne des droits de l'homme

8 décembre 1999

Requête n°23885/94

Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c. Turquie



AFFAIRE PARTI DE LA LIBERTE ET DE LA DEMOCRATIE (ÖZDEP) c. TURQUIE

(Requête n° 23885/94)

ARRÊT

STRASBOURG

8 décembre 1999

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le recueil officiel contenant un choix d'arrêts et de décisions de la Cour.

En l'affaire Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») telle qu'amendée par le Protocole n° 11, et aux clauses pertinentes de son règlement, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :

M. L. Wildhaber, président,

M. A. Pastor Ridruejo,

M. G. Bonello,

M. L. Caflisch,

M. J. Makarczyk,

M. P. Kûris,

M. J.-P. Costa,

Mme F. Tulkens,

M. K. Jungwiert,

M. M. Fischbach,

M. V. Butkevych,

M. J. Casadevall,

Mme W. Thomassen,

Mme H.S. Greve,

M. A. Baka,

Mme S. Botoucharova, juges,

M. F. Gölcüklü, juge ad hoc,

ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier adjoint, et Mme M. De Boer-Buquicchio, greffière adjointe,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 avril et 24 novembre 1999,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour, créée en vertu de l'article 19 ancien de la Convention par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 24 septembre 1998, dans le délai de trois mois

qu'ouvraient les articles 32 § 1 et 47 anciens de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 23885/94) dirigée contre la République de Turquie et dont un parti politique fondé dans cet État, le Parti de la liberté et de la démocratie (l'ÖZDEP), agissant par son président, M. Mevlüt Ýlik, avait saisi la Commission le 16 mars 1993 en vertu de l'article 25 ancien.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 a) anciens de la Convention ainsi qu'à l'article 32 § 2 de l'ancien règlement A. Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'État défendeur aux exigences de l'article 11 de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) de l'ancien règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné Me Hasip Kaplan, du barreau d'Ýstanbul, comme son conseil (article 30). Par la suite, M. R. Bernhardt, président de la Cour à l'époque, a autorisé celui-ci à employer la langue turque dans la procédure écrite (article 27 § 3).

3. Entre-temps, M. Bernhardt avait consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement turc (« le Gouvernement »), le conseil du requérant et M. A. Weitzel, délégué de la Commission, au sujet de l'organisation de la procédure écrite (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence le 15 octobre 1998, le greffier a reçu, les 6 janvier et 8 février 1999 respectivement, les mémoires du requérant et du Gouvernement.

4. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11, le 1er novembre 1998, l'examen de l'affaire a été confié, en application de l'article 5 § 5 dudit Protocole, à la Grande Chambre de la nouvelle Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. R. Türmen, juge élu au titre de la Turquie (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement de la nouvelle Cour), M. L. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente de la Cour, M. M. Fischbach et M. J.-P. Costa, vice-présidents de sections (articles 27 § 3 de la Convention et 24 §§ 3 et 5 a) du règlement). Les autres membres désignés conformément au règlement étaient M. A. Pastor Ridruejo, M. G. Bonello, M. J. Makarczyk, M. P. Kûris, Mme F. Tulkens, Mme V. Strážnická, M. V. Butkevych, M. J. Casadevall, Mme H.S. Greve, M. A. Baka, M. R. Maruste et Mme S. Botoucharova (articles 24 §§ 3 et 5 b) ainsi que 100 § 4 du règlement). Ultérieurement, Mmes Palm et Strážnická ainsi que M. Maruste, empêchés, ont été remplacés par M. L. Caflisch, M. K. Jungwiert et Mme W. Thomassen, suppléants (article 24 § 5 b) du règlement).

5. Le 12 janvier 1999, M. le président Wildhaber a dispensé de siéger M. Türmen, qui s'était déporté à la suite d'une décision de la Grande Chambre prise conformément à l'article 28 § 4 du règlement dans l'affaire Oður c. Turquie (requête n° 21594/93).

Le 2 février 1999, le Gouvernement a notifié au greffier la nomination de M. le professeur F. Gölcüklü en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 du règlement).

6. A l'invitation de la Cour (article 99), la Commission a délégué l'un de ses membres, M. J.-C. Geus, pour participer à l'examen de l'affaire devant la Grande Chambre.

7. Ainsi qu'en avait décidé le président, qui avait également autorisé le conseil de la requérante à employer la langue turque à l'audience (article 34 § 3 du règlement), les débats se sont déroulés en public le 22 avril 1999 au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

M. D. Tezcan, agent,

M. M. Özmen, co-agent,

Mme D. Akçay, co-agent,

M. F. Polat,

Mme B. Keremoðlu,

Mme G. Acar,

Mme M. Karali, conseillers ;

pour le requérant

Me. H. Kaplan, avocat au barreau d'Istanbul, conseil ;

pour la Commission

M. J.-C. Geus, délégué.

La Cour a entendu M. Geus, Me Kaplan et M. Tezcan.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. La fondation de l'ÖZDEP

8. Le 19 octobre 1992, le Parti de la liberté et de la démocratie (l'ÖZDEP) fut fondé et ses statuts déposés auprès du ministère de l'Intérieur. Son programme comprenait notamment les passages suivants :

« (…) Suite à la guerre de 'libération' menée conjointement par des Kurdes, des Turcs et d'autres populations minoritaires, le Sultanat a été aboli en Turquie et la République proclamée.

Cette institution n'a eu pour but que la souveraineté nationale. Les efforts réalisés pour concrétiser l'unification avec l'Europe sont demeurés sans lendemain. La Turquie n'a pas su échapper à la médiocrité.

Depuis les premiers jours de la République, le monopole des partis au pouvoir perdure, parallèlement à la collaboration de bureaucrates civils et militaires.

Pour préserver ce pouvoir monopolistique, les responsables mènent une politique consistant à ne pas reconnaître l'existence du peuple kurde et à ignorer ses droits les plus légitimes.

L'idée 'turque' dominante a été préservée jusqu'à présent, à l'encontre des droits et revendications les plus naturels du peuple kurde, par le biais d'une propagande militariste et chauviniste ainsi que par une politique d'exil et de destruction. La politique étatique fondée sur un système capitaliste prévoyant l'oppression des minorités, plus particulièrement kurdes et même turques, s'est poursuivie au nom de la modernisation et de l'occidentalisation.

Face à cette politique qui affecte l'intégrité territoriale de la Turquie dans ses aspects politiques, économiques et sociaux, aucune solution ne permettra d'arriver à bout de ce monopole étatique. Ce pouvoir va à l'encontre des intérêts de l'écrasante majorité de la population.

Il impose cette situation par la force au peuple, afin de préserver ses intérêts dans la capitale. Il bloque ainsi tout processus démocratique visant à défendre les intérêts des travailleurs turcs et kurdes.

Le Parti de la liberté et de la démocratie préconise la création d'un ordre dominé par la paix et la fraternité, dans lequel nos peuples auront droit à l'autodétermination.

Le Parti de la liberté et de la démocratie mène une lutte politique, démocratique et idéologique contre les courants et organisations fascistes, intégristes, chauvinistes et racistes qui font entrave à la solidarité, à l'union et à la fraternité des peuples.

Qu'il s'agisse de politique intérieure ou de politique étrangère, le Parti de la liberté et de la démocratie a pour mission de protéger les intérêts de nos peuples et ceux de tous les travailleurs. L'ÖZDEP est le garant des valeurs culturelles, professionnelles, économiques et politiques des différentes minorités nationales ou religieuses, et de chaque catégorie socio-professionnelle. Il revendique la reconnaissance du droit à la constitution d'un parti politique.

Notre Parti garantira aux minorités religieuses et nationales le droit de culte, la libre pratique de leur religion, la liberté de pensée, le respect des coutumes, des cultures et des langues. Tout individu sera habilité à utiliser les différents médias, et plus particulièrement la radio et la télévision.

En vue d'établir un ordre social englobant les peuples turcs et kurdes, l'ÖZDEP prévoit la marche à suivre pour élaborer et définir les conditions préalables.

L'ÖZDEP considère que nos peuples sont les uniques propriétaires des richesses du pays, des richesses naturelles et des ressources du sous-sol.

L'ÖZDEP soutient la lutte juste et légitime menée par les peuples pour leur indépendance et leur liberté. Il est solidaire de cette lutte.

Notre parti prévoit la création d'une assemblée démocratique, composée de représentants du peuple élus au suffrage universel. Cette assemblée représentera les intérêts des peuples turc, kurde et de toute autre minorité.

Cette assemblée populaire et démocratique détiendra le pouvoir législatif actuel, et sera la garante de la souveraineté nationale de nos peuples.

Les médias seront les artisans actifs de la consolidation de la fraternité et de l'amitié entre les peuples. Ils favoriseront une meilleure approche des différentes cultures et des langues, ils garantiront l'identité nationale de chaque population. Ils auront pour mission de faire reconnaître leurs droits politiques, économiques, sociaux et culturels.

Il n'y aura pas d'ingérence du gouvernement dans les affaires religieuses; ces dernières seront confiées aux institutions compétentes.

En vue de préserver l'autodétermination des peuples opprimés, notre parti bannit toute agression culturelle, militaire, politique, et économique.

Le Parti de la liberté et de la démocratie milite pour l'unification volontaire des peuples kurdes et turcs qui ont participé à la fondation du pays.

Le Parti de la liberté et de la démocratie estime que la démocratie commence par la solution du problème kurde. Ce dernier concerne toute personne turque et kurde qui soutient la liberté et la démocratie.

Le Parti de la liberté et de la démocratie est partisan d'une solution pacifique et démocratique du problème kurde dans la stricte application des textes internationaux tels que l'Acte final d'Helsinki, la Convention européenne des Droits de l'Homme et la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.

Le Parti de la liberté et de la démocratie respectera intégralement l'autodétermination du peuple kurde pour arriver à une issue démocratique fondée sur l'autodétermination et l'égalité des peuples.

Actuellement, le fonctionnement de la justice et les textes de loi en vigueur sont de nature antidémocratique, contraires aux droits et libertés fondamentales de l'homme et fondés sur des intérêts de classe. Ils renient l'identité du peuple kurde, interdisant toute organisation et association des travailleurs. Ils sont racistes et rétrogrades.

Un ordre sera établi pour permettre aux peuples turcs, kurdes et aux minorités de développer et de s'approprier librement leurs cultures spécifiques. Chaque peuple aura droit à l'enseignement dans sa langue maternelle, condition sine qua non du devenir d'un peuple et d'une nation.

Toute personne aura droit à un enseignement de base dans sa langue maternelle. Le système scolaire, depuis l'école primaire jusqu'à l'université, sera fondé sur l'enseignement dans la langue maternelle. La langue maternelle prévaudra devant la justice. (…) »

B. La demande en dissolution de l'ÖZDEP

9. Le 29 janvier 1993, le procureur général près la Cour de cassation (« le procureur général ») requit auprès de la Cour constitutionnelle la dissolution de l'ÖZDEP. Il lui reprocha d'avoir enfreint la Constitution et la loi sur les partis politiques. D'après lui, le contenu et les objectifs du programme de l'ÖZDEP portaient atteinte à l'intégrité territoriale, à l'unité de la nation et à la laïcité de l'Etat.

10. Le 25 février 1993, le président de la Cour constitutionnelle transmit le réquisitoire du procureur général au président de l'ÖZDEP, en invitant celui-ci à soumettre ses observations préliminaires en défense.

11. Le 29 mars 1993, les avocats de l'ÖZDEP présentèrent leur observations écrites préliminaires et demandèrent la tenue d'une audience. Ils soutinrent notamment que la loi sur les partis politiques contenait des dispositions contraires aux droits fondamentaux garantis par la Constitution. De plus, la dissolution du parti enfreindrait des textes internationaux tels que la Convention européenne des Droits de l'Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'Acte final de Helsinki et la Charte de Paris pour une nouvelle Europe. Aussi ne serait-il pas acceptable d'imposer à un parti politique, sous la menace de sa dissolution, l'obligation de défendre une idéologie qui soit conforme aux dispositions de la Constitution turque.

C. La dissolution de l'ÖZDEP

12. Le 30 avril 1993, l'assemblée des fondateurs de l'ÖZDEP décida de dissoudre le parti, alors que la procédure devant la Cour constitutionnelle était encore pendante.

13. Le 11 mai 1993, le procureur général soumit à la Cour ses observations sur le fond de l'affaire. Ayant déclaré sa dissolution, l'ÖZDEP, de son côté, ne présenta pas d'observations sur le fond.

14. Le 14 juillet 1993, la Cour constitutionnelle prononça la dissolution de l'ÖZDEP, au motif notamment que son programme était de nature à porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Etat et à l'unité de la nation et qu'il violait la Constitution ainsi que les articles 78 a) et 81 a) et b) de la loi sur les partis politiques. L'arrêt fut communiqué au procureur général, au président de l'Assemblé nationale et au cabinet du Premier Ministre. Le 14 février 1994, il fut publié au Journal Officiel.

Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle jugea d'abord qu'en application de l'article 108 de la loi sur les partis politiques, la décision par laquelle l'ÖZDEP avait décidé de se dissoudre, parce qu'elle remontait à une date postérieure à l'ouverture de la procédure devant la Cour constitutionnelle, n'empêchait pas celle-ci de statuer sur le fond de l'affaire.

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