Lexbase Fiscal n°535 du 11 juillet 2013 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Conformité à la Constitution de l'exclusion des veuf(ve)s à la dérogation à la solidarité fiscale : le conjoint est mort, vive l'impôt !

Réf. : Cons. const., 28 juin 2013, n° 2013-330 QPC (N° Lexbase : A7735KHX)

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[Jurisprudence] Conformité à la Constitution de l'exclusion des veuf(ve)s à la dérogation à la solidarité fiscale : le conjoint est mort, vive l'impôt !. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8894479-jurisprudence-conformite-a-la-constitution-de-lexclusion-des-veufves-a-la-derogation-a-la-solidarite
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 11 Juillet 2013

Le 28 juin 2013, le Conseil constitutionnel a considéré qu'était conforme à la Constitution et aux droits et libertés qu'elle garantit, le II de l'article 1691 bis du CGI (N° Lexbase : L3330IAL). Cet article prévoit que la solidarité fiscale ne s'applique pas aux personnes divorcées ou séparées dont la situation financière et patrimoniale ne permet pas le paiement de l'impôt dû par l'époux ou le partenaire de PACS. Cette dérogation, juste et logique, a été critiquée par une malheureuse requérante, veuve. En effet, sa situation n'est pas prise en compte dans le champ de cette dérogation. Elle y a vu une rupture de l'égalité devant l'impôt. Mais les Sages de la rue de Montpensier n'ont pas écouté ces récriminations, et ont considéré qu'une personne divorcée ou séparée n'était pas dans la même situation qu'une personne veuve. Dès lors que ces contribuables ne sont pas dans la même situation, ils sont, par essence, différents, et donc un traitement différent s'impose. I - Séparation par le juge ou par contrat versus séparation par la mort

Si la vie de couple n'est pas toujours facile, une séparation est toujours difficile. Le II de l'article 1691 bis instaure un tempérament à cette difficulté, en sauvegardant le contribuable de poursuites fiscales pour le paiement des dettes de l'ancien partenaire de vie. Toutefois, il n'en va pas de même lorsque la vie commune a été rompue par la volonté d'un tiers, en l'occurrence la mort. Ainsi, le contribuable veuf ne peut pas bénéficier de la même clémence, car le conjoint survivant hérite.

A - La possibilité de rompre la solidarité fiscale en même temps que son couple

La situation classique est la suivante : un couple, heureux de sa situation les premières années, ne se satisfait plus de son statut. Qu'il soit unilatéral ou réciproque, le souhait de la rupture est annoncé, et prononcé par un juge ou par une rupture de contrat. Or, pendant les années d'amour, le couple, uni, a donné naissance à un "foyer fiscal", et a suivi le régime marital légal, c'est-à-dire la communauté de biens réduite aux acquêts (C. civ., art. 1387 N° Lexbase : L1512ABM). Ce foyer fiscal est débiteur des impôts dus par lui pendant les trois années que dure, en général, le délai de reprise de l'administration fiscale, décomptés à partir de l'année suivant celle de l'imposition. Au cours de ces trois ans, le Trésor peut donc demander au débiteur de régler la part d'impôt qu'il a éludée, par malice ou ignorance. Le débiteur de l'impôt étant le foyer fiscal, il peut donc s'agir de n'importe lequel des membres du couple. Malheur à celui qui est sollicité alors qu'il n'a pas les moyens financiers pour payer la dette de son union rompue !

Heureusement, le droit fiscal peut se montrer compréhensif. N'allons pas jusqu'à le qualifier de "gentil", le Trésor conserve ainsi ses propres intérêts, un débiteur insolvable ne pouvant rien payer, que ce soit pour le passé ou pour l'avenir. Le législateur a introduit, par le biais de la loi de finances pour 2008 (loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 N° Lexbase : L5488H3N), un paragraphe II à l'article 1691 bis du CGI, le paragraphe un instituant le principe sus dénommé, nommé "solidarité fiscale". Ce paragraphe II crée une exception à la solidarité : "les personnes divorcées ou séparées peuvent demander à être déchargées des obligations de paiement [...]". Les lignes suivantes énoncent les conditions dans lesquelles une telle dérogation est possible. Ainsi, trois conditions sont posées : il faut qu'il y ait eu séparation (divorce, rupture de PACS, abandon du domicile familial, etc.) ; le demandeur doit justifier d'une disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et sa situation financière et patrimoniale, nette de charges ; le demandeur doit avoir respecté les obligations déclaratives afférentes à l'impôt dont il demande la décharge.

Si les conditions sont remplies, le juge peut prononcer la non-application de la solidarité fiscale. La séparation n'emporte plus cette désagréable conséquence de rendre insolvable l'époux qui ne peut pas revenir sur les erreurs du passé, quand l'administration le peut.

B - L'impossibilité d'échapper à la solidarité fiscale en cas de décès du partenaire

Cet ajout à l'article 1691 bis du CGI a été salué par les contribuables qui, jusqu'alors, ne bénéficiaient que de l'article L. 270 du LPF (N° Lexbase : L0568IHI), prévoyant qu'en pareil cas, la personne sollicitée par l'administration pour le paiement de l'impôt commun pouvait saisir l'administration d'une demande gracieuse de remise totale ou partielle de sa dette.

Dans son rapport annuel pour l'année 2004, le médiateur de la République avait pointé du doigt les problèmes générés par cette procédure, qui laissait à l'administration un pouvoir discrétionnaire inacceptable : "comme il s'agit d'une procédure gracieuse, l'administration fiscale dispose d'une compétence discrétionnaire pour accepter ou refuser la demande. Le contrôle du juge ne s'exerce que de manière minimum puisque aux termes de la jurisprudence (notamment CE 8° et 7° s-s-r., 12 février 1992, n° 56856, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5103ARG), le rejet total ou partiel d'une demande en décharge de responsabilité solidaire ne peut être annulé que dans des situations très limitées et précises, lorsque l'administration a commis une erreur manifeste d'appréciation. Ce contrôle restreint de l'opportunité de la décision administrative n'apparaît donc pas, dans ces conditions, comme le moyen le plus approprié pour régler le litige, d'autant plus que l'instance ne suspend pas l action en recouvrement des trésoriers et que cette procédure est généralement longue et onéreuse". A peine quatre ans après, le problème était résolu.

Sauf que le paragraphe II de l'article 1691 bis du CGI ne concerne pas tous les anciens couples. Déjà, il ne concerne pas tous les couples, mais les concubins ne constituant pas, par définition, un foyer fiscal, la question ne se pose pas, puisqu'il n'y a pas de solidarité. Il existe différentes façon de passer d'un statut de "marié" ou "partenaire de PACS" à "célibataire" : le veuvage. En effet, la mort a cette conséquence que, malgré le bonheur d'être ensemble et un amour sincère et partagé, le passage de vie à trépas emporte un membre du couple, et donc le couple lui-même. Une contribuable, qui a perdu son époux, décédé, a reçu de la part de l'administration fiscale des avis de mise en recouvrement portant sur les impôts dus sur les revenus professionnels de son mari. La veuve a demandé la décharge de ces obligations de paiement, ce qui lui a été refusé par l'administration fiscale, son cas n'entrant pas dans les prévisions de l'article 1691 bis précité. Devant le juge, la requérante pose une question prioritaire de constitutionnalité, qui semble sérieuse au Conseil d'Etat (CE 8° et 3° s-s-r., n° 364240, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8819KCM ; lire N° Lexbase : N7037BTS). La disposition passe devant les Sages de la rue de Montpensier pour la première fois.

Le juge de l'impôt s'est donc lui-même demandé si la séparation n'était pas la même pour tous, qu'elle soit décidée par un des membres du couple ou par la mort.

Le juge constitutionnel rejette cette idée. En effet, pour lui, "le conjoint survivant ne se trouve pas, au regard de l'objet de la loi, dans une situation identique à celle d'une personne divorcée ou séparée". Dès lors que deux types de contribuables n'ont pas de situation identique, le principe de l'égalité devant l'impôt (DDHC, art. 6 N° Lexbase : L1370A9M), ne trouve pas à s'appliquer.

En quoi un contribuable veuf et un contribuable divorcé sont-ils différents ? Les conséquences financières sont celles qui ont motivé les Sages : le conjoint survivant hérite, le conjoint divorcé bénéficie au mieux d'une prestation compensatoire.

II - Fantasme de l'héritage versus réalité

Si le conjoint survivant hérite légalement, il convient de ne pas faire l'amalgame entre héritage et fortune. En effet, la réalité est souvent toute autre et un héritier peut tout à fait se trouver dans le besoin.

A - La succession, fondement de la différence

Le Conseil constitutionnel considère que l'héritage est LA grande différence entre une séparation souhaitée par le couple et une séparation entraînée par la mort. Ainsi, il décide que "lorsque le mariage est dissous par le décès, le conjoint survivant est héritier du défunt dans les conditions prévues par les articles 756 (N° Lexbase : L3360AB3) et suivants du Code civil ; qu'ainsi, en raison de sa situation financière et patrimoniale, ainsi que des modalités selon lesquelles les créances fiscales du couple peuvent être recouvrées, le conjoint survivant ne se trouve pas, au regard de l'objet de la loi, dans une situation identique à celle d'une personne divorcée ou séparée".

Les situations sont différentes : parmi la grande classe des contribuables séparés, se trouve deux sous-classes, le couple vivant-vivant et le couple mort-vivant. Dans le premier cas, tous les membres du couple sont susceptibles de gagner de l'argent, nécessaire au paiement des impôts. Dans l'autre cas, il n'y a plus qu'un seul membre du couple, mais ce dernier a hérité de celui qui a disparu. Et c'est cette remise d'argent, de patrimoine, qui fait toute la différence.

Un autre élément fonde le raisonnement du juge, qui attrait aux modalités de recouvrement de la créance fiscale. L'objectif poursuivi par le législateur est de concilier la garantie du recouvrement des créances fiscales qui résulte de la solidarité à laquelle les époux ou partenaires sont tenus avec la prise en compte des difficultés financières et des conséquences patrimoniales pouvant résulter, pour des personnes divorcées ou séparées, de la solidarité de paiement pour la période antérieure au divorce ou à la séparation. Si, pour les personnes divorcées ou séparées, la décharge de solidarité conduit seulement à diviser la créance du Trésor entre les débiteurs, une telle décharge de solidarité prononcée au profit d'une personne veuve peut conduire à l'irrécouvrabilité de la créance fiscale. En effet, un tel recouvrement intégral de l'impôt n'est envisageable que s'il existe un autre héritier que le conjoint survivant n'ayant pas renoncé à la succession (pour un exemple de cas dans lequel la fille du de cujus devient codébitrice solidaire avec sa belle-mère, voir CE 3° et 8° s-s-r., 25 juin 2003, n° 240817, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2044C9L).

Ce raisonnement du juge constitutionnel est quelque peu manichéen : le Conseil constitutionnel semble confondre "héritage" et "fortune".

B - Une différence imaginaire ?

Prenons deux exemples simples : dans le premier, un homme subit un divorce. Sa femme étant plus riche que lui, il reçoit une prestation compensatoire, destinée à compenser la chute de train de vie que pourrait générer la rupture. Si ce même homme est amené à enterrer son épouse, il recevra de son patrimoine, soit la totalité de ses biens, soit la moitié en pleine propriété (en l'absence d'enfants mais en présence de beaux-parents) ou le quart en pleine propriété ou la totalité en usufruit (en présence d'enfants) (C. civ., art. 757 N° Lexbase : L3361AB4). Recevoir la moitié de biens ou leur quart équivaut-il à l'octroi d'une prestation compensatoire ? Pas sûr...

En adoptant la vision du Conseil constitutionnel (partagée par Victor Hugo et Emile Zola), prenons l'exemple inverse : un homme subit un divorce. Il gagne très mal sa vie, car il a fait une dépression et a été licencié ; son ex-femme, avocate, s'est reconvertie dans le spectacle comique, et tente de percer. Aucun des deux n'a de patrimoine. Aucune prestation compensatoire n'est versée. Si ce même homme est amené à enterrer son épouse, il recevra le peu d'argent qu'elle a réussi à économiser, mais pas plus. Est-il plus enviable que celui qui s'est séparé de son épouse ? Non.

L'héritier n'est pas toujours fortuné. Pour rappel, les droits de succession s'élèvent de 5 à 45 %, selon le montant du patrimoine du défunt (CGI, art. 777 N° Lexbase : L9400ITC), avec un abattement de 1 594 euros (pour 2013 ; CGI, art. 788 N° Lexbase : L9397IT9). Alors, certes, le conjoint survivant hérite, mais encore faut-il, d'une part, qu'il accepte la succession et, d'autre part, qu'il en reste quelque chose après les droits de succession.

Il convient donc de critiquer cette décision, en ce qu'elle valide une distinction qui, si elle peut être fondée en droit, ne peut pas être légitimée.

Certes, reste à la veuve éplorée la demande gracieuse à l'administration, mais le médiateur de la République l'a souligné dans son rapport annuel de 2004, cette solution n'est pas satisfaisante.

Pourquoi ne pas introduire une procédure générale de décharge en responsabilité solidaire pour cause de difficultés financières ? L'objectif du législateur n'est-il pas de concilier recouvrement et solvabilité ? Un héritier peut être pauvre, tout comme une personne divorcée peut devenir riche après le prononcé du divorce ! Le manichéisme présent dans cette décision n'a pas lieu d'être. Le premier critère de l'article 1691 bis, II du CGI devrait être purement et simplement supprimé. Seule la disproportion entre la dette et la trésorerie du contribuable doit être prise en compte. Cette dernière est déjà sévèrement contrôlée, en témoigne un arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Nantes, le 2 février 2012 (CAA Nantes, 1ère ch., n° 11NT01065, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9252IBB), qui décide que la contribuable qui bénéficie du RMI mais est propriétaire de sa maison et de sommes déposées sur des comptes bancaires à son nom ne peut pas bénéficier de la décharge légale de solidarité. Qu'est-ce qui empêche une extension de pareille solution à la personne veuve ?

Conclusion de cette décision : pour vivre heureux, vivons séparés de biens...

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