Lexbase Social n°526 du 1 mai 2013 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'agent public mis à disposition ne relève pas des dispositions relatives aux salariés mis à disposition

Réf. : Cass. soc., 17 avril 2013, n° 12-21.581, FS-P+B (N° Lexbase : A3999KC4)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 01 Mai 2013

Sans que la règle ne s'impose avec la force de l'évidence, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère depuis bien longtemps déjà que l'agent public mis à disposition d'une entreprise privée pour accomplir un travail pour son compte et sous sa direction est lié avec cette entreprise par un contrat de travail. Cette règle très classique, qui a pour conséquence d'exclure les règles spécifiques à la mise à disposition dans l'entreprise, est à nouveau réaffirmée par une décision rendue le 17 avril 2013 (I). Si la qualification de contrat de travail reste toujours sujette à discussion, les conséquences que la Chambre sociale en tire sont, en revanche, parfaitement logique et pourraient même être étendues au-delà des questions tenant exclusivement aux relations collectives de travail (II).
Résumé

Un agent public, mis à la disposition d'un organisme de droit privé pour accomplir un travail pour le compte de celui-ci et sous sa direction est lié à cet organisme par un contrat de travail, sauf dispositions législatives contraires, et ne relève donc pas des dispositions spécifiques relatives à l'électorat et à l'éligibilité des salariés mis à disposition.

Commentaire

I - L'agent public mis à disposition n'est pas soumis aux règles d'électorat et d'éligibilité des salariés mis à disposition

  • Retour sur la distinction entre mise à disposition d'un salarié et mise à disposition d'un agent public

Il existe plusieurs moyens permettant à un employeur de bénéficier de la mise à sa disposition d'un travailleur provenant d'une autre entreprise ou d'une autre entité.

Les plus courants relèvent de la technique de la mise à disposition d'un salarié, du prêt de main d'oeuvre qui peut être à but lucratif par exception (travail temporaire, portage salarial) mais qui, en principe, n'a pas de but lucratif (groupements d'employeurs, prêt entre sociétés d'un même groupe, etc.). Sur le plan individuel, ces salariés relèvent des dispositions prévues pour chacun de ces mécanismes (1). D'une manière générale, même si cela n'est pas systématiquement le cas, le salarié mis à disposition conclut un contrat de travail avec son employeur (2) lequel conclut lui-même une convention de mise à disposition avec l'entreprise utilisatrice (3). Sur le plan collectif, leur comptabilisation dans l'effectif de l'entreprise utilisatrice, leur qualité d'électeur et leur éligibilité ont été encadrées par la loi du 20 août 2008 (4).

Un peu plus spécifique peut-être, la technique de la mise à disposition est également utilisée de longue date pour mettre à la disposition d'employeurs privés des fonctionnaires ou des agents publics. Ces formes particulières de mise à disposition semblent devoir être distinguées des mises à disposition de salariés du secteur privé. D'abord, parce que l'employeur de ces agents est un service public administratif ou un service public industriel et commercial et non une entreprise privée : ce ne sont donc pas, à proprement parler, des salariés. Ensuite, parce que la Cour de cassation juge avec constance que ces travailleurs détachés sont liés par contrat de travail avec l'entreprise qui les accueille, ce qui n'est pas le cas dans les autres formes de mise à disposition (5).

  • Espèce

Un centre hospitalier avait mis à disposition d'un GIE de radiologie six de ses agents afin d'assurer le fonctionnement d'un appareil d'imagerie par résonance magnétique. Le GIE comptant d'ores et déjà six salariés, l'union locale CGT demandait que soient organisées des élections des délégués du personnel. Essuyant un refus, le syndicat saisit le tribunal d'instance.

Les juges d'instance rejetèrent cette demande en jugeant que les fonctionnaires mis à disposition demeuraient sous l'autorité de leur hiérarchie puisque le directeur de l'établissement hospitalier assurait leur nomination et exerçait le pouvoir disciplinaire et que ces travailleurs ne partageaient pas les conditions de travail des salariés du groupement, si bien que le critère de l'existence d'une communauté de travail n'était pas démontré.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision par un moyen soulevé d'office et au visa des articles L. 1111-2 (N° Lexbase : L3822IB8) et L. 2312-2 (N° Lexbase : L6231ISL) du Code du travail. Le syndicat, dans son pourvoi, contestait en effet le refus d'application des règles relatives au salarié mis à disposition, estimait qu'il existait bien une communauté d'intérêt et que les critères établis par la loi du 20 août 2008 étaient bien respectés. Cette argumentation n'est pas analysée par la Chambre sociale qui, d'office, déplace le débat sur un autre terrain. Elle rappelle, en effet, qu'"un agent public, mis à la disposition d'un organisme de droit privé pour accomplir un travail pour le compte de celui-ci et sous sa direction est lié à cet organisme par un contrat de travail, sauf dispositions législatives contraires, et ne relève donc pas des dispositions spécifiques relatives à l'électorat et à l'éligibilité des salariés mis à disposition".

II - L'agent public mis à disposition est lié par contrat de travail à l'organisme d'accueil

  • Consolidation des spécificités de la mise à disposition d'un agent public

La décision sous examen confirme, par une motivation quasiment identique, la position déjà adoptée par la Chambre sociale au mois de juillet 2012 s'agissant de l'éligibilité des fonctionnaires détachés au comité d'entreprise (6). Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les remarques formulées à l'époque sur cette décision peuvent être transposées à l'affaire sous examen. Ainsi, si l'on comprend toujours bien que l'existence d'un contrat de travail exclue l'application des règles spécifiques de la mise à disposition, des réserves subsistent quant à la qualification de contrat de travail elle-même (7). Comme cela est son habitude, on pourrait s'attendre à ce que la Chambre sociale exige que soit démontrée l'existence de ce contrat de travail par caractérisation d'une prestation de travail, d'une rémunération et d'un lien de subordination. Or ces critères ne sont que très partiellement repris.

Naturellement, la qualification de contrat de travail n'est pas automatique. Il faut que les deux critères établis par la Chambre sociale soient réunis, c'est-à-dire que l'agent public accomplisse un travail pour le compte de l'organisme d'accueil et que ce travail soit réalisé sous sa direction. On retrouve, en quelque sorte, deux des critères habituels du contrat de travail, l'existence d'une prestation de travail, d'une part, une forme allégée de subordination traduite par la "direction" de l'agent public, d'autre part. Le critère traditionnel de rémunération est quant à lui exclu sans qu'une justification juridique solide ne puisse être trouvée. Certes, en opportunité, la qualification de contrat de travail serait impossible si ce critère était recherché puisque les agents publics mis à disposition continuent de percevoir leur traitement auprès de leur administration d'origine pendant la mise à disposition. Pour autant, et sauf à considérer que la rémunération soit bel et bien en train de perdre une partie de sa place comme critère de qualification du contrat de travail (8), ne serait-ce pas précisément une raison de considérer qu'il ne peut exister de contrat de travail entre l'organisme d'accueil et l'agent public ?

Quoiqu'il en soit, les conseils doivent impérativement retenir que le juge judiciaire ne se satisfera pas d'un argumentaire fondé sur la mise à disposition dans sa conception issue de la loi du 20 août 2008. Pour tenter d'écarter les agents publics mis à disposition de l'effectif, de l'électorat ou de l'éligibilité, seule la qualification de contrat de travail doit être discutée.

Toujours s'agissant de la qualification de contrat de travail, une nuance très légère est apportée puisque la Chambre sociale réserve la situation dans laquelle des "dispositions législatives contraires" excluraient l'existence d'un contrat de travail. La précision est cependant presque inutile, d'abord parce que les textes excluant la qualification de contrat de travail sont très rares, ensuite et surtout parce que l'existence d'une contre-indication législative interdirait au juge la qualification de contrat de travail sans même que la Chambre sociale de la Cour de cassation n'ait à le préciser.

C'est donc, en définitive, une posture très classique qu'adopte la Chambre sociale de la Cour de cassation, position dont les conséquences sont parfaitement logiques.

  • Précisions sur le plan collectif

Alors que la décision rendue au mois de juillet 2012 ne concernait que la règle spécifique relative à l'inéligibilité des salariés mis à disposition au sein du comité d'entreprise (9), l'arrêt présenté va plus loin et donne tous ses effets à l'existence du contrat de travail.

Puisque l'agent public mis à disposition est salarié de l'organisme d'accueil, les règles particulières encadrant l'intégration dans l'effectif du salarié mis à disposition, sa qualité d'électeur et son éligibilité à n'importe quelle élection ne lui sont pas applicables. L'agent public mis à disposition est un salarié comme les autres et seules les règles de droit commun doivent donc lui être appliquées.

Là encore, la solution entre parfaitement dans la logique de la Chambre sociale : toutes les règles relatives à la mise à disposition doivent être écartées puisque, si l'on peut dire, l'agent public mis à disposition n'est pas mis à disposition ! Cette position pourrait d'ailleurs avoir bien d'autres conséquences que celles relatives aux relations collectives de travail. Ainsi, par extension, peut-on penser que l'embryon de régime juridique mis en place par la loi "Cherpion" (loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011, pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels N° Lexbase : L8283IQT) pour toute forme de mise à disposition à but non lucratif dans une entreprise ne s'appliquera pas aux agents publics détachés (10).


(1) Par ex., C. trav., art. L. 1251-1 (N° Lexbase : L6248IE7) et s. pour le travail temporaire ; C. trav., art. L. 1253-1 (N° Lexbase : L9609IEM) et s. pour les groupements d'employeurs.
(2) Contrat de mission pour le travail temporaire (C. trav., art. L. 1251-11 N° Lexbase : L1536H9R), contrat de travail classique pour les autres formes de mises à disposition.
(3) La règle, déjà applicable pour le travail temporaire, a été étendue de manière générale à toute forme de mise à disposition à but non lucratif, v. C. trav., art. L. 8241-2, 2° (N° Lexbase : L5827ISM).
(4) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) et les obs. de S. Martin Cuenot, Articles 3 et 4 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : élections professionnelles, Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9823BGW). Adde. Y. Pagnerre, G. Saincaize, L'intégration des salariés mis à disposition : nouvelles conditions, nouveaux effets, JCP éd. S, 2009, 1368.
(5) Ass. plén., 20 décembre 1996, n° 92-40.641 (N° Lexbase : A2388AGK), Dr. soc., 1997, p. 710, note J.-F. Lachaume ; D., 1997, jurispr. p. 275, note Y. Saint-Jours. V. également T. confl., 10 mars 1997, n° 03065 (N° Lexbase : A5528BQS), Rec. CE, 1997, p. 526 ; Dr. adm., 1997, comm. 206 ; RD publ., 1998, p. 243, note J.-M. Auby ; Cass. soc., 15 juin 2010, n° 09-69.453, FS-P+B (N° Lexbase : A1147E3U) ; JCP éd. S, 2010, 1368, note C. Puigelier, RDT, 2010, p. 510, obs. F. Debord.
(6) Cass. soc., 20 juin 2012, n° 11-20.145, F-P+B (N° Lexbase : A4956IPA) et nos obs., L'éligibilité maintenue du fonctionnaire détaché, Lexbase Hebdo n° 492 du 5 juillet 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2758BTC) ; JCP éd. S, 2012, 1372, note D. Jacotot ; CSBP, 2012 n° 244, p. 286, obs. F.- J. Pansier.
(7) On relèvera, en outre, que cette qualification de contrat de travail pose d'importantes difficultés s'agissant de sa rupture, v. L. Nicolaï, G. Chastagnol, Quand le droit du travail s'applique au terme du détachement des fonctionnaires : un piège contractuel, JCP éd. S, 2012, 1459.
(8) Il peut, en effet, être considéré que la rémunération est davantage une conséquence de l'existence du contrat de travail qu'un élément indispensable à sa qualification. A la place de la rémunération serait alors retenu le critère de contrat à titre onéreux indispensable à la qualification de contrat de travail.
(9) Règle tirée de l'article L. 2324-17-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3756IBQ).
(10) Nos obs., Libéralisation des groupements d'employeurs et statut embryonnaire de la mise à disposition, RDT, 2011, p. 572.

Décision

Cass. soc., 17 avril 2013, n° 12-21.581, FS-P+B (N° Lexbase : A3999KC4)

Cassation, TI Antibes, 15 juin 2012.

Textes visés : C. trav., art. L. 1111-2 (N° Lexbase : L3822IB8) et L. 2312-2 (N° Lexbase : L6231ISL)

Mots-clés : mise à disposition, agent public, électorat, éligibilité

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