Lexbase Avocats n°146 du 28 mars 2013 : Avocats/Champ de compétence

[Jurisprudence] Périmètre du droit : l'étau se resserre

Réf. : Cass. com., 12 février 2013, n° 12-12.087, F-D (N° Lexbase : A0689I8Z)

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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

le 27 Mars 2014

Les services juridiques représentent, sur le plan économique, un important marché (1), attisant la concurrence entre les professionnels du droit, les autres professions réglementées lorsqu'elles interviennent à titre accessoire (2), étant entendu que leur responsabilité peut être engagée de ce chef (3), les entités disposant d'une dérogation légale, comme les syndicats (4) et les fédérations (5), sans compter toutes les officines pullulant sur internet (qui n'appartiennent à aucune des catégories précitées) effectuant, pour le compte de leurs clients, des "démarches administratives" ou du "conseil en gestion d'entreprise", malgré les sanctions civiles (nullité de la convention) et pénales susceptibles d'être prononcées (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 66-2 et art. 72 N° Lexbase : L6343AGZ : amende et emprisonnement en cas de récidive (6)).
En effet, la loi du 31 décembre 1971 n'a pas instauré de monopole (7) au profit des professions juridiques et judiciaires relatif à la consultation et à la rédaction d'actes juridiques sous seing privé. Cette situation est nécessairement dommageable pour les intérêts des consommateurs du droit : aurait-on idée de substituer une aide-soignante à un chirurgien au seul motif que son intervention coûterait moins cher ou que la maladie du patient ne serait pas si grave que cela ? Beaucoup d'avocats déplorent avoir été saisis en dernier recours une fois la situation d'un client irrémédiablement compromise par l'intervention inopportune d'un tiers dont l'exercice du droit n'est pas le métier.
Par un arrêt rendu le 12 février 2013, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé sa position en ce qui concerne les conseils en gestion d'entreprise, et leur tendance à intégrer, par certains actes, et illégalement, le périmètre du droit. I - Périmètre du droit : quelles frontières ?

Outre la tentation de certains individus d'user de la qualité d'avocat qu'ils n'ont pas (TGI Meaux, 3ème ch. corr., 16 mars 2010, n° 07606 ; Gaz. Pal., n° 297, 24 octobre 2010, p. 22), la jurisprudence témoigne de l'intense concurrence de tous ces acteurs économiques régulièrement attraits en justice pour avoir illégalement proposé :

- la rédaction d'actes de société : statuts, baux, cession de parts sociales ou d'actions, assemblées générales couramment appelé -à tort !- "secrétariat juridique" (8) ou de contrats commerciaux ;

- la défense d'un contribuable face à l'administration fiscale (Cass. civ. 2, 17 juin 1999, n° 97-13.694, publié au Bulletin [LXB=A8812CH]) ;

- la représentation en justice à titre habituel et rémunéré aux fins de recouvrer des créances impayées devant le tribunal de commerce (Cass. civ. 1, 21 janvier 2003, n° 01-14.383, FS-P N° Lexbase : A7269A4Y) ;

- la présentation à l'exequatur d'une sentence arbitrale par une personne s'étant auto-désignée comme arbitre et titulaire d'un mandat de négocier "une indemnité, toutes mesures conservatoires et procédures inclusives éventuellement" (Cass. crim., 21 février 2006, n° 05-84.899, inédit ; R. Martin, Droit de la profession d'avocat, JCP éd. G, 2006, I, 188) ;

- le conseil et la défense des automobilistes lorsque des infractions au Code de la route ont été relevées à leur encontre (TGI Créteil, 11ème ch., 18 novembre 2011, n° 1124400112) ;

- des "prestations de permanence juridiques généralistes, avec une spécialité dans le domaine des droits des femmes et du droit de la famille" au titre d'un marché public pour lequel candidatait une association loi 1901 (TA Cergy-Pontoise, 3 février 2011, n° 1100321 N° Lexbase : A3818HKM ; F. Linditch, Illégalité d'un marché de consultation juridique attribué à une association pour violation de la loi du 31 décembre 1971 relative au périmètre du droit, JCP éd. E, 2011, comm. 1386 ; F. Sartorio et M.-Y. Benjamin, Marchés publics de conseils juridiques : n'est pas habilité à se porter candidat qui veut... - Le barreau de Paris met en garde les acheteurs publics, JCP éd. A, 2012, comm. 2190 ; E. Bintz Rémond, La stricte application du périmètre du droit en matière de consultation juridique, Lexbase Hebdo n° 73 du 27 avril 2011 - éditions professions N° Lexbase : N0651BSW) ;

- une "information, [une] assistance et [un] accompagnement juridique face à des problématiques posées en droit immobilier, en droit du travail, en droit des obligations, en droit des contrats et de la consommation, en droit des sociétés et en droit de la famille" proposés par une société commerciale. La juridiction fera injonction à la société poursuivie "d'interrompre immédiatement toute activité de consultation juridique et de rédaction d'acte, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et de retirer sa documentation commerciale accessible à partir de son site internet", ainsi que la suppression de "toute référence à l'accomplissement d'une activité de consultation juridique et/ou de rédaction d'actes de ce site et de tous autres sites internet y faisant référence à son initiative, ainsi que dans la presse écrite et audiovisuelle, et ce dans un délai de huit jours sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée" (TGI Nanterre, 1ère ch., 5 juillet 2012, n° 11/06572 N° Lexbase : A6371IQZ ; F. Girard de Barros, Périmètre du droit : les agences de legal planner mises hors la loi, Lexbase Hebdo n° 130 du 19 juillet 2012 - éditions professions N° Lexbase : N2994BT3) ;

- l'audit de cotisations sociales sans que le niveau de complexité des problèmes posés puisse être opposé par ce prestataire de services (Cass. civ. 1, 15 novembre 2010, n° 09-66.319, FS-P+B+I N° Lexbase : A0232GH3 ; Ch. Jamin, Périmètre du droit : coup d'arrêt aux pratiques des conseillers en réduction de coûts !, JCP éd. G, 2011, comm. 46 [NDLR : la cour d'appel de renvoi n'a pas encore statué à ce jour ; la cour d'appel initialement saisie, et dont la décision a été cassée, s'étant fondée sur des motifs impropres à démontrer que, dans leur ensemble, les consultations juridiques offertes relevaient directement de l'activité principale de conseil en affaires, gestion et sélection ou mise à disposition de personnel en considération de laquelle l'agrément ministériel a été conféré] ; v. également : CAA Lyon, 4ème ch., 22 mars 2012, n° 11LY01404, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1652IKE ; F. Girard de Barros, "Périmètre du droit" : de la reconquête opérée par la profession d'avocat... en attendant Picquigny, Lexbase Hebdo n° 119 du 3 mai 2012 - édition professions N° Lexbase : N1607BTP) ;

- l'audit de baux notamment au regard des "demandes de remboursement des charges locatives en ce compris les taxes, impôts, frais, redevances grevant les lieux loués et les parties à usage commun au visa de la convention des parties, de l'ordre commun et de la jurisprudence" (Cass. civ. 1, 20 décembre 2012, n° 11-28.292, F-D N° Lexbase : A1732IZ8) ;

- des services rémunérés d'assistance et de conseil juridique par un syndicat (Cass. soc., 15 novembre 2012, n° 12-27.315, FS-P+B+I N° Lexbase : A9795IWP ; L. Pécaut-Rivolier, CGT-SAP : variations sur le périmètre des confédérations et l'objet d'un syndicat, JCP éd. S, 2012, comm. 1533 (9)).

II - Le conseil en gestion d'entreprise : où commence le dépassement de frontière ?

La décision du 12 février 2013 précise les services qui ne ressortent pas de la compétence d'un conseil en gestion, mais de celle d'un avocat. Elle a été provoquée par les faits suivants : une société commerciale a eu recours aux services d'un tiers, "conseil en gestion d'entreprise", afin d'être éclairée quant aux réductions des coûts et tous remboursements susceptibles d'être obtenus pour des charges sociales et fiscales. Précisons qu'il existe un nombre important de ce type d'entreprises, à en croire les publicités figurant sur internet et dans les revues à l'intention des entreprises.

Ce prestataire a alors rédigé un rapport permettant à la société cliente d'appliquer la déduction forfaitaire spécifique pour le calcul des cotisations de Sécurité sociale sur la rémunération de ses agents commerciaux.

A la suite d'une assignation en paiement, la convention conclue entre ces deux sociétés a été annulée par les juges du fond qui vont être confortés dans leur analyse par la Cour de cassation. En effet, les Hauts magistrats estiment que la vérification, au regard de la réglementation fiscale en vigueur, de la situation des salariés de la société, est une prestation à caractère juridique réalisée à titre principal en infraction aux dispositions des articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971.

Observons que nombre d'entreprises clientes, au fait de la jurisprudence par l'intermédiaire de leurs avocats respectifs, plaident à l'unisson la cause illicite afin d'obtenir, avec succès, la nullité de la convention. L'abondante floraison de ces contentieux annonce l'automne de ces activités juridiques sous couvert d'une "aide à la gestion".


(1) Un important marché sur lequel veillent également, depuis quelques années, de nouveaux acteurs en matière de formation initiale et professionnelle et qui tentent de remettre en cause le monopole des facultés de droit : les écoles de commerce et Sciences Po, cette dernière ayant obtenu en 2007 une dérogation (arrêté du 21 mars 2007 N° Lexbase : L9357HU4 ; CE 4° et 5° s-s-r., 23 juillet 2008, n° 306321, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7923D9C) pour présenter ses étudiants à l'examen d'entrée aux CRFPA (écoles d'avocats), non sans avoir suscité quelques interrogations (F. Rome, Arrêté du 21 mars 2007 : beaucoup de bruit ! Pourquoi ?, D., 2007 ; F. Rolin, "Ce n'est pas en trois semestres que l'on forme un juriste", AJDA, mai 2007).
(2) Les architectes et les géomètres-experts peuvent également, dans le cadre de leur profession, donner des consultations juridiques relevant de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé s'ils sont accessoires à leur activité principale.
(3) Pour la mise en responsabilité d'un expert-comptable rédacteur d'acte de cession de parts sociales sans avoir obtenu préalablement la mainlevée des cautionnements des cédants (Cass. com., 4 décembre 2012, n° 11-27.454, F-P+B N° Lexbase : A5554IYD, voir Bastien Brignon, Le devoir de conseil de l'expert-comptable rédacteur d'acte, Lexbase Hebdo n° 322 du 9 janvier 2013 - édition affaires N° Lexbase : N5158BT9, D., 2012, p. 2963).
(4) Loi n° 71-1130, art. 64.
(5) Loi n° 71-1130, art. 65.
(6) Cass. crim., 5 février 2013, n° 12-81.155, FS-P+B (N° Lexbase : A6410I7K).
(7) Art. 54 : "Nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui :
1° S'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66. Les personnes mentionnées aux articles 56, 57 et 58 sont réputées posséder cette compétence juridique. Pour les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée mentionnées à l'article 59, elle résulte des textes les régissant. Pour chacune des activités non réglementées visées à l'article 60, elle résulte de l'agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire de celle-ci, par un arrêté, pris après avis d'une commission, qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d'expérience juridique exigées des personnes exerçant cette activité et souhaitant pratiquer le droit à titre accessoire de celle-ci. Pour chacune des catégories d'organismes visées aux articles 61, 63, 64 et 65, elle résulte de l'agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire, par un arrêté, pris après avis de la même commission, qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d'expérience juridique exigées des personnes pratiquant le droit sous l'autorité de ces organismes. La commission mentionnée aux deux alinéas précédents rend son avis dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Cette commission peut émettre, en outre, des recommandations sur la formation initiale et continue des catégories professionnelles concernées. Un décret fixe la composition de la commission, les modalités de sa saisine et les règles de son fonctionnement. L'agrément prévu au présent article ne peut être utilisé à des fins publicitaires ou de présentation de l'activité concernée ;
2° S'il a été l'auteur de faits ayant donné lieu à condamnation pénale pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ;
3° S'il a été l'auteur de faits de même nature ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d'agrément ou d'autorisation ;
4° S'il a été frappé de faillite personnelle ou d'autre sanction en application du titre VI de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985
(N° Lexbase : L7852AGW) précitée ou, dans le régime antérieur à cette loi, en application du titre II de la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 (N° Lexbase : L7803GT8) précitée ;
5° S'il ne répond en outre aux conditions prévues par les articles suivants du présent chapitre et s'il n'y est autorisé au titre desdits articles et dans les limites qu'ils prévoient. Une personne morale dont l'un des dirigeants de droit ou de fait a fait l'objet d'une sanction visée au présent article peut être frappée de l'incapacité à exercer les activités visées au premier alinéa par décision du tribunal de grande instance de son siège social, à la requête du ministère public. La commission mentionnée au 1° est installée au plus tard dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° 97-308 du 7 avril 1997
(N° Lexbase : L4398IT3). La condition de diplôme ou de compétence juridique prévue au 1° est applicable à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi n° 97-308 du 7 avril 1997".
(8) En réalité, la tenue "physique" des assemblées n'a -presque- jamais lieu : ce sont bien souvent des "assemblées papier" qui n'emportent pas moins des effets juridiques et sont qualifiées pénalement de faux en écriture de commerce (C. pén., art. 441-1 N° Lexbase : L2006AMA ; Cass. crim., 6 septembre 2000, n° 00-80.327, F-D N° Lexbase : A8734AY7, Bull. Joly, 2001, p. 41).
(9) "[...] si bien évidemment, les syndicats bénéficient de la faculté qui leur est réservée par loi du 31 décembre 1971, régissant la profession d'avocat, de donner des conseils juridiques et rédiger des actes sous seing privé, au profit des personnes dont la défense des intérêts est visée par leurs statuts, sur des questions se rapportant directement à leur objet (article 64), encore faut-il que cet exercice ne soit qu'accessoire à l'activité globale du syndicat, sauf à porter atteinte au privilège d'assistance et de représentation, de postulation et de plaidoirie, dont bénéficie cette profession réglementée, par ailleurs soumise au contrôle d'un ordre professionnel (article 15 de la loi), au secret professionnel (article 12) et à l'obligation de souscrire une assurance garantissant leur responsabilité civile professionnelle (article 77)".

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