La lettre juridique n°890 du 13 janvier 2022 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Obligation de délivrance du bailleur et commercialité des lieux loués

Réf. : Cass. civ. 3, 15 décembre 2021, n° 20-14.423 et 20-16.570, FS-B (N° Lexbase : A17347GC)

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par Marie-Laure Besson, Maître de conférences en droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord, Membre de l’Institut de Recherche pour un Droit Attractif (IRDA) - UR 3970

le 12 Janvier 2022


Mots-clés : bail commercial • centre commercial • obligation de délivrance • obligation d’entretien • environnement commercial favorable au preneur • maintien de la commercialité des lieux (non) • clause de commercialité (non) • centre commercial haut de gamme présentant une décoration soignée • stipulations particulières du bail (non) • volonté des parties sur le positionnement particulier du centre commercial, qualité environnementale et architecturale et décoration très soignée • obligations seulement à la charge du preneur mais aucune obligation particulière à la charge du bailleur • manquement du bailleur à son obligation de délivrance (non) • manquement du bailleur à un engagement contractuel (non) • responsabilité du bailleur (non) • article 1719 du Code civil • ancien article 1134 du Code civil • perte de chance (oui).

Alors que dans les ensembles commerciaux, tels que les centres commerciaux ou les galeries marchandes, la réussite commerciale de chaque local est liée à l’attractivité et la dynamique économique du centre lui-même, en raison du potentiel de clientèle qu'elle est susceptible de créer, la question du maintien de la commercialité soulève des difficultés importantes, notamment au regard de l’obligation de délivrance puisque la question se pose de savoir si cet élément fait partie de cette obligation. La présente décision offre une nouvelle occasion à la Cour de cassation de se prononcer sur les contours de l’obligation de délivrance quant à un éventuel maintien de la commercialité des lieux loués pesant sur le bailleur de locaux commerciaux. Elle énonce d’abord que le bailleur d'un local situé dans un centre commercial dont il est propriétaire n'est, à défaut de stipulations particulières du bail, pas tenu d'en assurer la bonne commercialité. Elle rappelle ensuite, au visa de l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l'article 1719 du même code, que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et que le bailleur est obligé, par la nature même du contrat de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, sans être tenu, en l'absence de clause particulière, d'en assurer la commercialité. Dans la mesure où les clauses du bail n'engendrent d'obligations qu'à la charge du locataire mais aucune obligation particulière à la charge du bailleur, ce dernier ne peut être responsable d’un manquement à son obligation de délivrer un local dans un centre commercial de haut de gamme présentant une décoration soignée.

1. Cet arrêt vient s’ajouter aux décisions déjà rendues par la Haute juridiction à propos des contours de l’obligation de délivrance dont est tenu le bailleur de locaux situés dans un centre commercial vis-à-vis de son locataire, s’agissant spécifiquement du maintien d’un environnement commercial qui lui est favorable. La solution n’est pas nouvelle et vient confirmer la position de la Cour de cassation en la matière.

2. Dans l’espèce litigieuse, une société civile immobilière (SCI) a, par acte des 16 et 23 mars 2010, consenti à une société un bail commercial sur un local à usage de prêt-à-porter situé au premier étage du centre commercial du Millénaire à Aubervilliers. Le 10 mars 2014, à la suite d'un commandement de payer, la société bailleresse a assigné la société locataire devant le juge des référés afin de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail et en paiement d'une provision sur loyers impayés. Par ordonnance du 1er août 2014, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé, au vu des contestations sérieuses émises par le locataire et tenant aux manquements du bailleur à ses obligations de délivrance et d'assurer un flux minimal de chalandise. Par arrêt du 22 janvier 2015, la cour d'appel de Paris [1], saisie par la SCI, a confirmé l'ordonnance. Parallèlement, le preneur reprochait à son bailleur un changement de la nature du centre commercial accueillant désormais des enseignes discounts alors que son caractère « haut de gamme » ressortait des articles 3 (interdiction d'adopter une enseigne de moindre notoriété en cours de bail) et 13 (interdiction d'axer sa communication sur la vente de produits à bas prix) des conditions générales et de l'article 14 (aménagement luxueux à réaliser aux frais du preneur) des conditions particulières du bail. Le 3 juillet 2014, la société locataire a assigné la SCI en résiliation du bail et indemnisation de son préjudice résultant des manquements du bailleur à son obligation de délivrance et à ses engagements contractuels, en n'assurant pas une commercialité du centre permettant l'exploitation pérenne de son fonds de commerce.

3. Par jugement du 18 avril 2019 [2], le tribunal, ayant estimé que la société bailleresse avait manqué « à son engagement contractuel de délivrer un local dans un centre commercial de haut de gamme présentant une décoration soignée » et ne justifiait pas de « diligences pour tenter de maintenir une offre commerciale diversifiée », a prononcé la résiliation du bail au 22 mars 2016 et aux torts du bailleur et a ordonné la compensation entre la créance de dommages-intérêts (préjudice matériel fixé à 1 500 000 euros) et la créance de loyers et charges (1 082 810,92 euros) à hauteur de la plus faible.

La SCI bailleresse a interjeté appel en faisant essentiellement valoir que le bailleur d'un centre commercial n'est tenu que des obligations légales résultant de l'article 1719 du Code civil (N° Lexbase : L8079IDL) et que le bail ne contenait aucune obligation de commercialité. La cour d'appel [3] retient qu'à défaut de stipulations particulières du bail, le bailleur n'est pas tenu d'assurer la bonne commercialité du centre, mais que ce dernier a manqué à son engagement contractuel de délivrer « un local dans un centre commercial de haut de gamme, avec des commerces d'une gamme élevée, avec une décoration soignée ». Toutefois, elle estime que ces seuls manquements n'ont pas été d'une gravité suffisante pour entraîner le prononcé de la résiliation du bail aux torts du bailleur et que compte tenu du délaissement des lieux par le preneur, le bailleur était bien fondé à demander que soit constatée la résiliation du bail aux torts du locataire. En conséquence, les juges du fond ont condamné le bailleur à lui verser la seule somme de 172 000 euros en réparation de la perte de chance par lui subie, condamné le preneur au paiement d'un arriéré locatif et dit que le bailleur pourrait faire application de la clause 29 du bail pour le calcul des intérêts moratoires.

Les deux parties au bail commercial ont formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel. En raison de leur connexité, les pourvois ont été joints.

De son côté, la société locataire conteste l'arrêt dans ses diverses dispositions au motif « que même en l'absence de stipulation spéciale dans le bail, le bailleur d'un centre commercial est tenu, au titre de l'obligation de délivrance, de mettre en œuvre les diligences raisonnables pour assurer un environnement commercial permettant au preneur d'exercer son activité dans des conditions normales » et « qu'en retenant au contraire qu'à défaut de stipulations particulières du bail, le bailleur n'est pas tenu d'assurer la bonne commercialité du centre, la cour d'appel a violé l'article 1719 du Code civil ».

De l’autre côté, la société bailleresse reproche à l’arrêt d’avoir retenu un manquement à son encontre et estime « qu'à défaut de stipulation particulière, le bailleur d'un local situé dans un centre commercial n'a aucune obligation légale quant à la nature ou aux caractéristiques du centre commercial, et notamment quant au respect d'un certain niveau qualitatif » et « qu'en retenant dès lors que la SCI a manqué à son engagement contractuel de délivrer "un local dans un centre commercial de haut de gamme, avec des commerces d'une gamme élevée, avec une décoration soignée", cependant que le bail litigieux ne comportait aucune stipulation particulière à cet égard, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article 1719 du même code ».

Ces moyens n’emportent pas totalement la conviction des Hauts conseillers qui cassent partiellement l’arrêt d’appel, en ce qu'il dit que la SCI bailleresse a manqué à son engagement contractuel de délivrer un local dans un centre commercial haut de gamme présentant une décoration soignée.

Sur le premier moyen, la Cour de cassation se retranche derrière la cour d'appel en considérant qu’elle « a exactement retenu que le bailleur d'un local situé dans un centre commercial dont il est propriétaire n'est, à défaut de stipulations particulières du bail, pas tenu d'assurer la bonne commercialité du centre ».

Sur le second moyen, elle rappelle d’abord, au visa de l’ancien article 1134 et de l'article 1719 du Code civil, que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et que le bailleur est obligé, par la nature même du contrat de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, sans être tenu, en l'absence de clause particulière, d'en assurer la commercialité. Elle déclare ensuite qu’en déduisant l'existence à la charge du bailleur de l'obligation de délivrer à la société preneuse à bail un local dans un centre commercial de haut de gamme présentant une décoration soignée, eu égard aux articles 3 et 13 des conditions générales du bail, ainsi qu’à l'article 14 de ses conditions particulières, dont il résulte que les parties ont entendu tout mettre en œuvre pour que le centre ait un positionnement différent des autres centres, non seulement en termes de qualité environnementale, mais également quant à l'architecture et à la décoration particulièrement soignée, après avoir relevé que les clauses précitées n'engendraient d'obligations qu'à la charge du preneur mais aucune obligation particulière à la charge du bailleur, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

4. Cette solution apparaît cohérente et justifiée à deux égards. D’une part, elle l’est au regard d’une position jurisprudentielle constante qui tend à écarter la commercialité en l’absence de clause expresse (I). D’autre part, elle l’est compte tenu de l’absence de clause venant étendre le contenu de l’obligation de délivrance quant au standing des locaux loués (II).

I. L’exclusion de la commercialité en l’absence de clause expresse dans le bail commercial

5. Dans les ensembles commerciaux, tels que les centres commerciaux ou les galeries marchandes, la réussite commerciale de chaque local est liée à l’attractivité et la dynamique commerciale du centre lui-même ainsi qu’à la localisation du local au sein de l’ensemble immobilier, mais aussi aux activités exercées concurremment dans le centre [4]. En effet, la commercialité de chaque local, l’implantation de celui‑ci ou encore l’exclusivité de l’activité qui y est exercée sont liées au centre commercial lui-même en raison du potentiel de clientèle qu'elle est susceptible de créer [5]. Les questions du maintien de la commercialité, de l’implantation effective et de l’exclusivité de l’activité soulèvent des difficultés importantes dans le cadre des centres commerciaux [6], notamment au regard de l’obligation de délivrance puisque la question se pose de savoir si ces éléments font partie de cette obligation.

Autrement dit, l’obligation de délivrance issue des articles 1719, 1° et 1720, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1842ABT), qui peut être définie structurellement comme une double prestation  de mise à disposition et de mise en état conforme de la chose louée [7] ou fonctionnellement comme une mise en capacité d’exercice de l’activité économique [8], englobe-t-elle l’obligation de maintenir un environnement commercial favorable au preneur ? C’est justement à cette question, soulevée dans le pourvoi formé par la société locataire, que l’arrêt commenté apporte des éléments de réponse.

6. Bien qu’il n’existe pas de définition légale de la commercialité, l’article R. 145-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L0044HZN) évoque les termes de « facteurs locaux de commercialité » et dispose qu’ils « dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire » [9]. Au regard de ces informations, Boccara a proposé une définition qui serait toujours d’actualité [10], selon laquelle la commercialité correspond à « l'aptitude plus ou moins grande d'un secteur à permettre aux commerçants qui y sont installés, en bénéficiant d'une destination adéquate, de réaliser des profits sur le seul fondement des qualités propres de ce secteur, abstraction faite de l'aptitude des exploitants » [11].

À ce titre, de nombreux preneurs, peut-être supportant mal que la réussite ne soit pas au rendez-vous ou qu’elle ne soit pas la même pour tous, agissent contre leurs bailleurs, les tenant responsables de la commercialité du centre [12]. Or, des années 1990 à 2000, la Cour de cassation a toujours vu les bailleurs de centres commerciaux comme des bailleurs ordinaires, refusant de les déclarer responsables de la commercialité du centre « sauf stipulations particulières » [13] et estimant qu’ils n’étaient tenus d'aucune autre obligation que celle de délivrance, d'entretien et de jouissance paisible de la chose louée [14]. En 2013, la Cour de cassation a d’ailleurs, par une formule très claire, confirmé sa position : « Il n'existe pas d'obligation légale pour le bailleur d'un local situé dans un centre commercial ou une galerie commerciale d'assurer le maintien de l'environnement commercial et, en l'absence de stipulation particulière, le bailleur s'était uniquement engagé à mettre à disposition les locaux visés au bail. Ni la complémentarité des activités des cocontractants ni les clauses relatives aux modalités d'exploitation n'établissent la commune intention des parties d'obliger le preneur à bail d'un ensemble immobilier à maintenir son activité dans l'immeuble aussi longtemps que la location perdure » [15].

L’idée des preneurs a alors été de demander réparation en se fondant expressément sur une de ces obligations [16]. Ainsi, a-t-on pu se demander si l’obligation de délivrance à la charge du bailleur ne couvrait pas aussi une obligation de maintien de la commercialité, soit une obligation de maintenir un environnement commercial favorable au preneur [17]. En réalité, les différentes juridictions n’ont jamais véritablement répondu à cette question, s’en tenant seulement à leur formule stricte selon laquelle la commercialité n’a pas à être assurée par le bailleur lorsque le bail ne contient aucune clause visant expressément un tel engagement. Ce faisant, la troisième chambre suit scrupuleusement sa ligne de conduite en excluant la commercialité en l’absence de clause expresse dans le contrat de bail commercial.

7. En effet, pour approuver la solution de la cour d’appel, elle réitère son interprétation en rappelant que « le bailleur d'un local situé dans un centre commercial dont il est propriétaire n'est, à défaut de stipulations particulières du bail, pas tenu d'assurer la bonne commercialité du centre », sans précision supplémentaire. Pour la doctrine, la commercialité n’est pas incluse dans l’obligation de délivrance [18]. Si on examine les définitions respectives de la commercialité et de l’obligation de délivrance, alors la délivrance ne serait qu’un outil permettant la réalisation de la commercialité, mais manifestement pas une garantie de cette commercialité. En présence d’une clause de commercialité, le contenu de l’obligation de délivrance peut se trouver alourdi, mais à elle seule, même avec un champ plus étendu, cette obligation ne suffira pas à garantir une commercialité effective. À défaut d’inclure une véritable commercialité dans l’obligation de délivrance du bailleur de centres commerciaux, il existe une certaine attractivité liée à ces biens particuliers que le bailleur doit non pas garantir avec certitude, car une telle charge serait illusoire, mais essayer d’assurer par tous les moyens au titre de cette obligation [19], sachant que celle-ci s’apprécie au regard des clauses du bail. C’est précisément l’argument de défense déployé par la société locataire pour tenter d’obtenir une condamnation du bailleur.

S’il semble possible d’enrichir le contenu de l’obligation de délivrance d’un bailleur de locaux situés dans un centre commercial, encore faut-il que le contenu contractuel permette de caractériser un tel engagement, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

II. La possible inclusion d’engagements contractuels spécifiques par des clauses du bail commercial

8. Pour répondre au moyen développé dans le pourvoi formé par la bailleresse, il fallait que la Cour de cassation se penche sur l’existence d’un engagement du bailleur à délivrer un local dans un centre commercial haut de gamme présentant une décoration soignée conduisant à l’indemnisation d'une perte de chance. En effet, ce n’est que par référence au contenu du contrat de bail commercial qu’un tel engagement peut être identifié et de ce fait étendre le contenu de l’obligation de délivrance. C’est sur ce point que la solution commentée se prononce en second lieu.

9. À défaut de s’être positionnée sur le terrain de l’obligation de délivrance, la Cour de cassation a commencé par se placer sur le plan de l’obligation d’entretien (C. civ., art. 1719, 2°) en estimant que le bailleur qui a laissé se dégrader les parties communes d'un centre commercial à l'abandon, privant les preneurs des avantages qu'ils tenaient du bail, n'a pas rempli son obligation d'entretien des lieux loués [20]. Puis, dans des arrêts plus récents, elle a visé les obligations légales du bailleur issues de l’article 1719 tout entier en considérant qu’un défaut d’entretien des parties communes du centre commercial y constituait un manquemen[21]. Ces décisions interrogent inévitablement quant aux déductions à en tirer à propos de l’obligation de délivrance. Alors qu’elle avait refusé de reconnaître qu’un bail commercial était nécessaire à l’utilisation du local [22], elle revient sur sa position en déclarant que « le bailleur d’un local situé dans un centre commercial dont il est propriétaire étant tenu d’entretenir les parties communes du centre, accessoires nécessaires à l’usage de la chose louée » [23]. S’il existe depuis un certain temps une divergence d'appréciation sur le contenu de l'obligation de délivrance incombant au bailleur d'un centre commercial [24], une telle déclaration paraît plonger l’environnement commercial au rang d’objet de l’obligation de délivrance [25] dans le sens où l’obligation d’entretien est un prolongement de l’obligation de délivrance [26]. Ces solutions peuvent être comparées avec celle de la cour d'appel de Paris, qui s’est prononcée à propos de la désertification d'une galerie commerciale, en considérant qu'il existait une obligation de maintien de la jouissance de l'organisation commerciale convenue, de la forme physique et immatérielle de la galerie [27]. En raisonnant non plus sur l’obligation d’entretien comme prolongement de l’obligation de délivrance, mais sur celle de ne pas modifier la chose louée, y compris dans l’environnement qui l’entoure, la solution se comprend. On peut encore citer un récent jugement dans lequel les juges ont considéré que « lorsque le bail met à la charge du bailleur une obligation particulière liée au prestige de la galerie marchande, la responsabilité du bailleur peut être retenue s’il est constaté que la galerie commerciale ne correspond pas au standing contractuellement prévu » [28]. D’autres décisions témoignent de cette obligation de délivrer un local dans un environnement économique favorable [29]. C’est ainsi que peut se dessiner un contenu plus étendu de l’obligation de délivrance du bailleur de locaux situés dans un centre commercial ou une galerie marchande, étant évident que l’extension dudit contenu s’apprécie au regard de la rédaction des clauses du contrat de bail commercial.

10. Justement, pour écarter la responsabilité du bailleur sur le fondement d’un manquement à son obligation de délivrer un local dans un centre commercial haut de gamme présentant une décoration soignée, la troisième chambre estime que les clauses du bail n'engendraient d'obligations qu'à la charge du preneur, mais aucune obligation particulière à la charge du bailleur, ce que la cour d'appel a précisément relevé, de sorte qu’il n’y avait pas de manquement à l’obligation de délivrance de la part du bailleur. C’est au visa de l'ancien article 1134 du Code civil et de l'article 1719 du même code, rappelant que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et que le bailleur est obligé, par la nature même du contrat de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, sans être tenu, en l'absence de clause particulière, d'en assurer la commercialité, qu’elle justifie sa solution.

Un engagement spécifique de tout mettre en œuvre pour que le centre ait un positionnement différent des autres centres, non seulement en termes de qualité environnementale, mais également quant à l'architecture et à la décoration particulièrement soignée, venant enrichir le contenu de l’obligation de délivrance, aurait vraisemblablement pu se déduire des articles 3 et 13 des conditions générales du bail, ainsi que de l'article 14 de ses conditions particulières, mais pour cela, il aurait fallu que la formulation des clauses eût été faite en ce sens. Or, ce n’était a priori pas le cas, si bien que la cour d’appel a violé les textes susvisés. En l’occurrence, parmi les clauses reproduites, certaines étaient élusives de responsabilité pour le bailleur dans le cadre de ses actions d'animation, de promotion, de communication et de publicité. D’autres autorisaient une éventuelle modification de la distribution et de l’accès des lieux. D’autres encore utilisaient la tournure « le preneur renonce expressément / le preneur déclare contracter / le preneur s’engage ». D’où, l’importance à accorder à la rédaction des clauses du bail commercial.

11. Partant, la vigilance et la prudence du rédacteur d’actes seront de mise à propos de la formulation des clauses du bail commercial. Diverses stipulations peuvent affecter le contenu de l’obligation de délivrance, spécifiquement au regard de la problématique suscitée, notamment les clauses d’identification de la chose louée, de désignation des lieux ou d’utilisation de la chose louée [30]. Effectivement, ces clauses peuvent, selon la manière dont elles sont rédigées, faire naître des engagements spécifiques intégrant ou pas le champ de l’obligation de délivrance. Il convient donc que le rédacteur d’actes soit attentif à leur formulation en y apportant tout le soin nécessaire, selon la finalité recherchée par la ou les parties au bail commercial.

 

[1] CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 22 janvier 2015, n° 14/17588 (N° Lexbase : A7888SC7).

[2] TGI Paris, 18 avril 2019, n° 14/10036.

[3] CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 4 mars 2020, n° 19/10473 (N° Lexbase : A03783IT).

[4] R. D’Heucqueville, La notion de centre commercial, RDI, décembre 1994, n° 4, p. 531.

[5] M.-P. Dumont-Lefrand, Bail commercial, Rep. Civ. Dalloz, 2009, n° 214 ; C. Quément, Bail commercial. - Obligations des parties, J.-Cl. Bail à Loyer, Fasc. n° 1275, février 2020, n° 64.

[6] V. pour l’importance de ces problématiques dans les centres commerciaux, mais sur le fondement de l’obligation de garantie ou de jouissance : M.-A. Le Floch, Le bail commercial dans les centres commerciaux, th. Paris II, 2018, p. 238 et s., n° 225 et s. ; C. Denizot, Droit civil et bail commercial, th. Paris XI, 2003, p. 235 et s., n° 276 et s..

[7] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, préf. A. M. Luciani, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2021, p. 67 et s., n° 41 et s.

[8] Ibid., p. 243 et s., n° 217 et s..

[9] V. en ce sens : C. Mamontoff, Les relations entre petits commerces et grande distribution, RDI mars, 1998, n° 1, p. 29.

[10] Ph.-H. Brault, Bail commercial - Loyer - La valeur locative et ses critères légaux, J.-Cl. Bail à Loyer, Fasc. n° 1405, novembre 2010, n° 99.

[11] B. Boccara, Baux commerciaux. La modification des facteurs locaux de commercialité, AJDI, juillet 1993, n° 7‑8, p. 494.

[12] J. Derruppé, La vie du centre commercial, RDI, décembre 1994, n° 4, p. 565 ; J. Lafond, Les recours des locataires contre le bailleur en cas d'échec d'un centre commercial, JCP E, octobre 1997, n° 40, étude 688, p. 397.

[13] F. Auque, Le bailleur de centre commercial : un bailleur comme les autres ?, AJDI, juillet 2007, n° 7-8, p. 536. V. en ce sens : Cass. civ. 3, 28 novembre 2007, n° 06-17.758, FS-P+B (N° Lexbase : A9422DZY), Gaz. pal., septembre 2008, n° 250, p. 15 ; JCP N, décembre 2007, n° 50, act. 814, p. 4 ; JCP E, janvier 2008, n° 3, pan. 1082, p. 21 ; RDI, juillet 2008, n° 6-7, p. 326, obs. F.-G. Trébulle ; Rev. loyers, février 2008, n° 884, jur. 677, p. 91, note C. Quément ; D., janvier 2008, n° 2, p. 85, obs. Y. Rouquet ; Dalloz Actualité, 19 décembre 2007, obs. Y. Rouquet ; D., juillet 2008, n° 24, p. 1645, chron. L. Rozès – Cass. civ. 3, 5 septembre 2012, n° 11-17.394, FS-D (N° Lexbase : A3628IS8), AJDI, décembre 2012, n° 12, p. 886, chron. J.‑P. Blatter ; AJDI, décembre 2013, n° 12, p. 882, chron. J.-P. Blatter ; JCP N, août 2013, n° 35, 1206, p. 41, chron. J. Monéger et H. Kenfack.

[14] Cass. civ. 3, 16 novembre 1993, n° 91-21.553, inédit (N° Lexbase : A4333CUZ), Rev. loyers, 1994, n° 147 – CA Paris, 16ème ch., sect. A, 7 octobre 1998, n° 1997/14945 (N° Lexbase : A6124DHB), AJDI, décembre 2001, n° 12, p. 958, chron. J.-P. Blatter ; D., novembre 1998, n° 40, p. 242 ; D. aff., 1998, n° 139, p. 1843, obs. Y. Rouquet ; JCP E, 1999, n° 47, p. 1869, obs. J. Monéger – Cass. civ. 3, 12 juillet 2000, n° 98-23.171, inédit (N° Lexbase : A9129AG9), JCP N, novembre 2001, n° 46, pan. p. 1653 ; D., octobre 2000, n° 34, p. 377, obs. Y. Rouquet ; Dr. & patr., décembre 2000, n° 88, jur. 2706, p. 74, obs. P. Chauvel ; Gaz. pal., septembre 2000, n° 274, p. 13, obs. F. Ghilain ; RDI, décembre 2000, n° 4, p. 613, obs. J. Deruppé ; Loyers et copr., décembre 2000, n° 12, comm. 274, p. 11, note Ph.-H. Brault et P. Pereira ; Rev. loyers, octobre 2000, n° 810, p. 415, an. J. Rémy – Cass. civ. 3, 13 juin 2001, n° 99-17.985, publié (N° Lexbase : A6104ATA), D., décembre 2001, n° 43, p. 3524, obs. L. Rozès ; RLDA, octobre 2001, n° 42, jur. 2649, p. 20, obs. J. Haberer ; Gaz. pal., février 2003, n° 32, p. 24, note J.‑D. Barbier ; Gaz. pal., juillet 2002, n° 208, p. 10, note S. Mornet ; Gaz. pal., septembre 2001, n° 256, p. 9, obs. F. Ghilain – Cass. civ. 3, 24 septembre 2002, n° 01-11.334, inédit (N° Lexbase : A5149AZQ), AJDI, décembre 2002, n° 12, p. 851, obs. S. Beaugendre.

[15] Cass. civ. 3, 3 juillet 2013, n° 12-18.099, FS-P+B (N° Lexbase : A5596KI4), D., juillet 2013, n° 26, p. 1743, obs. Y. Rouquet ; Dalloz Actualité, 23 juillet 2013, obs. Y. Rouquet ; D., novembre 2013, n° 38, p. 2544, chron. A. Pic ; AJDI, décembre 2014, n° 12, p. 898, chron. J.-P. Blatter ; JCP E, février 2014, n° 7, 1074, p. 30, chron. R. Lenoir.

[16] F. Auque, Le bailleur de centre commercial : un bailleur comme les autres ?, art. cit.

[17] M.-P. Dumont-Lefrand, Bail commercial, op. cit., n° 214 ; C. Quément, Bail commercial. - Obligations des parties, op. cit., n° 64 ; J. Monéger et alii, Douze ans de baux commerciaux - 1993 - 2005, Sélection des principaux arrêts et commentaires, 2ème éd., LexisNexis Litec, 2010, p. 165-166.

[18] Cass. civ. 3, 19 décembre 2012, n° 11-23.541, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1296IZZ), Gaz. Pal., avril 2013, n° 110, p. 17, note Ch.‑E. Brault ; Loyers et copr., février 2013, comm. 47, p. 26, note E. Chavance ; Administrer, février 2013, n° 462, p. 31, note J.‑D. Barbier ; Gaz. pal., septembre 2012, n° 273, p. 23, note J.‑D. Barbier et E. Tarnaud ; RLDA, avril 2013, n° 81, p. 19, note H. Kenfack ; Dr. & patr., janvier 2013, n° 904, p. 2, obs. C. L. G. ; Rev. loyers, février 2013, n° 934, jur. 1536, p. 76, an. H. Chaoui ; JCP E, juillet 2013, n° 27, chron. 1410, p. 40, obs. H. Kenfack – M.-A. Le Floch, Le bail commercial dans les centres commerciaux, op. cit., p. 243-245, n° 230 – L. Ruet, Les baux commerciaux, 5ème éd., Defrénois, coll. Expertise notariale, 2020, p.104-105, n° 103.

[19] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 133, n° 112. V. aussi pour une idée similaire selon laquelle « le bailleur doit être totalement dispensé de l'obligation de maintenir un environnement économique favorable car il a au moins l'obligation de délivrance d'un local dans un environnement qui lui permette d'exercer ses activités dans des conditions normales » : C. Quément, Bail commercial. - Obligations des parties, op. cit., n° 64.

[20] Cass. civ. 3, 31 octobre 2006, n° 05-18.377, FS-P+B (N° Lexbase : A2071DSI), AJDI, mai 2007, n° 5, p. 353, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI, mars 2007, n° 3, p. 198, obs. D. Alfroy ; Dalloz Actualité, 5 décembre 2006, obs. Y. Rouquet ; JCP N, mars 2007, n° 12, comm. 1137, p. 35, note A. Djigo ; Loyers et copr., mars 2007, n° 3, comm. 54, p. 16, note P. Pereira-Osouf ; Contrat, conc. consom., février 2007, n° 2, comm. 41, p. 15, note L. Leveneur ; JCP E, mai 2007, n° 18, chron. 1563, p. 17, obs. H. Kenfack ; LPA, mai 2007, n° 95, p. 12, note D. Mancel ; Defrénois, décembre 2006, n° 24, p. 1886, note L. Ruet ; Gaz. pal., mai 2007, n° 142, p. 17, note Ch.‑E. Brault ; Rev. loyers, janvier 2007, n° 873, p. 19, an. P. Étain ; RLDA, décembre 2006, n° 11, act. 613, p. 21, obs. A. Lefèvre.

[21] Cass. civ. 3, 5 juin 2013, n° 12-14.227, FS-D (N° Lexbase : A3249KGG) Gaz. pal., août 2013, n° 215, p. 30, obs. Ch.-E. Brault ; AJDI, décembre 2014, n° 12, p. 898, chron. J.-P. Blatter – Cass. civ. 3, 19 décembre 2012, n° 11-23.541, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1296IZZ), Gaz. Pal., avril 2013, n° 110, p. 17, note Ch.-E. Brault ; Loyers et copr., février 2013, n° 2, comm. 47, p. 26, note E. Chavance ; Administrer, février 2013, n° 462, p. 31, note J.‑D. Barbier ; Gaz. pal., septembre 2012, n° 273, p. 23, note J.-D. Barbier et E. Tarnaud ; RLDA, avril 2013, n° 81, p. 19, note H. Kenfack ; Dr. & patr., janvier 2013, n° 904, p. 2, obs. C. L. G. ; Rev. loyers, février 2013, n° 934, jur. 1536, p. 76, an. H. Chaoui ; JCP E, juillet 2013, n° 27, chron. 1410, p. 40, obs. H. Kenfack.

[22] Cass. civ. 3, 28 juin 2005, n° 04-14.087, F-D (N° Lexbase : A8613DIT), Loyers et copr., novembre 2005, n° 11, comm. 203, p. 23, note P. Pereira-Osouf.

[23] Cass. civ. 3, 5 juin 2013, n° 12-14.227, préc. et les obs. préc..

[24] V. sur ce point : C. Lavabre et P. Riglet, Baux commerciaux : chronique jurisprudentielle, LPA, décembre 2000, n° 256, p. 4.

[25] P. Malinvaud, Quelles réformes juridiques pour les centres commerciaux ?, RDI, novembre 2007, n° 6, p. 507.

[26] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 212, n° 188.

[27] CA Paris, 16ème ch., sect. A, 7 octobre 1998, n° 1997/14945, préc. et les obs. préc..

[28] TGI Paris, 31 mai 2018, n° 17/04641, JCP E, octobre 2018, n° 42, comm. 1540, p. 50, note S. Legrix de La Salle.

[29] CA Paris, 16ème ch., sect. B, 14 juin 1996 – Cass. civ. 3, 12 octobre 1994, n° 92-20.173, inédit (N° Lexbase : A1471CSB) – CA Paris, 16ème ch., sect. B, 21 septembre 1995 – CA Paris, 16ème ch., sect. B, 19 septembre 1997 – Cass. civ. 3, 23 janvier 2020, n° 18‑19.051, F-D (N° Lexbase : A60623CI), AJDI, 2020, p. 286.

[30] V. spécialement sur cette idée : M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 397 et s., n° 394 et s..

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