Le Quotidien du 8 janvier 2021 : Droit pénal fiscal

[Brèves] Déclaration des trusts à l’étranger avant la loi du 29 juillet 2011 : obligation des héritiers de déclarer les biens dont le constituant du trust ne s’est pas irrévocablement et effectivement dessaisi

Réf. : Cass. crim., 6 janvier 2021, n° 18-84.570, FS-P+B+I (N° Lexbase : A56144BK)

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[Brèves] Déclaration des trusts à l’étranger avant la loi du 29 juillet 2011 : obligation des héritiers de déclarer les biens dont le constituant du trust ne s’est pas irrévocablement et effectivement dessaisi. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/63799149-cite-dans-la-rubrique-b-droit-penal-fiscal-b-titre-nbsp-i-declaration-des-trusts-a-letranger-avant-l
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par Adélaïde Léon

le 20 Janvier 2021

► Constitue l’élément matériel de la fraude fiscale l’omission déclarative contenue dans une déclaration de succession intervenue à la suite de l’annulation d’une première déclaration ;

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 2011 (N° Lexbase : L0278IRQ), lorsque le constituant d’un trust de droit étranger, fût-il, aux termes de l’acte de trust, qualifié de discrétionnaire, irrévocable et ne prenant pas fin à son décès, ne s’est pas irrévocablement et effectivement dessaisi des biens placés, ses héritiers sont tenus de les déclarer lors de la succession ;

La méconnaissance de cette obligation déclarative est susceptible de caractériser le délit de fraude fiscale.

Rappel des faits. En 2001, à la suite de son décès, Daniel Wildenstein laisse pour lui succéder, sa veuve, laquelle renonce à sa succession, et ses fils issus d’une précédente union.

Une première déclaration de succession est déposée le 23 avril 2002.

La veuve de Daniel Wildenstein saisit la cour d’appel de Paris qui a annulé, pour erreur de droit sur le régime matrimonial, sa renonciation à la succession et la déclaration de succession (Cass. civ 1, 20 juin 2006, n° 05-14.281, FS-P+B N° Lexbase : A9979DPB).

En 2008, Alec, l’un des fils de Daniel Wildenstein, décède. Une déclaration de succession est déposée par ses héritiers.

Le 31 décembre 2008, après mise en demeure de l’administration fiscale, une nouvelle déclaration concernant la succession de Daniel Wildenstein est déposée.

Le 6 novembre 2014, l’administration fiscale notifie aux héritiers de Daniel Wildenstein un redressement retenant une base taxable comportant en particulier les actifs de plusieurs trusts.

Le 8 décembre 2014, l’administration fiscale adresse une proposition de rectification réintégrant à la succession des biens détenus par les trusts constitués par Daniel et Alec Wildenstein en 2008.

Le redressement fiscal a également fait l’objet d’une contestation devant le juge de l’impôt.

À la suite d’une plainte déposée par la veuve de Daniel Wildenstein, une première information judiciaire est ouverte le 5 juillet 2010 pour abus de confiance, blanchiment, recel, faux et usage. La veuve d’Alex Jr. Wildenstein se constitue également partie civile pour des faits d’abus de confiance, détournements et obstructions commis par les gestionnaires de trust. Les deux veuves reprochent aux gestionnaires de leur avoir caché leur qualité de bénéficiaire, de ne pas avoir déclaré ces biens lors de la succession et de ne pas avoir respecté les règles de distribution fixées par les contrats de trust, ce qui les aurait lésées.

Parallèlement, en juillet 2011 et décembre 2012, l’administration fiscale dépose deux plaintes visant des minorations dans les déclarations des deux successions par dissimulation de nombreux actifs détenus au sein de trusts étrangers. Cette nouvelle information judiciaire, ouverte le 20 août 2011, portant sur ces faits de fraude fiscale, a été jointe à la précédente.

À l’issue de l’instruction, sont renvoyés devant le tribunal correctionnel Guy Wildenstein, second fils de Daniel Wildenstein, pour fraude fiscale par dissimulation et blanchiment aggravé, la veuve et l’un des enfants d’Alec Wildenstein, respectivement pour complicité de blanchiment aggravé de fraude fiscale et fraude fiscale commise lors des déclarations de succession. Deux notaires, un avocat et deux gestionnaires de trust sont quant à eux renvoyés en qualité de complices.

Le tribunal correctionnel relaxe les prévenus faute d’élément légal de la fraude fiscale à la date des faits, s’agissant de l’imposition au titre des droits de mutation par décès de biens logés dans des trusts ayant perduré au-delà du décès de leur constituant. Il déboute l’administration fiscale et l’État français, parties civiles, de leurs demandes.

Le ministère public et les parties civiles ont relevé appel du jugement.

En cause d’appel.

Sur la prescription de la fraude fiscale. Les juges déclarent prescrite la fraude fiscale commise à l’occasion de la déclaration de succession de Daniel Wildenstein et relaxent les prévenus de ce délit ainsi que les prévenus de complicité. Pour se prononcer ainsi la cour d’appel affirme plusieurs éléments. Tout d’abord, il s’agit d’un délit instantané qui se réalise à la date d’expiration du délai légal fixé pour le dépôt de la déclaration. Celle-ci a été déposée le 23 avril 2002, dans les six mois suivant le décès de Daniel Wildenstein. En l’espèce, le délai de prescription commence à courir à compter du 31 décembre de l’année suivant celle de la consommation de l’infraction (v. L. 230 du livre des procédures fiscales). En conséquence, le délai de prescription de trois ans, applicable en la matière, expirait le 31 décembre 2005. Or, la plainte de l’administration fiscale, déposée le 22 juillet 2011, a été suivie d’un réquisitoire introductif en date du 29 août 2011.

La cour d’appel précise deux choses : d’une part, l’annulation de déclaration de succession du 23 avril 2002, par la cour d’appel le 13 avril 2005, n’a pas fait disparaître l’infraction de fraude fiscale, dont la prescription n’est pas contestée, d’autre part, la seconde déclaration du 31 décembre 2008, qualifiée de conservatoire, portant sur la même succession, les mêmes impositions et comportant les mêmes omissions, ne peut constituer un nouveau délai de fraude fiscale. Pour les juges d’appel, celui-ci avait été consommé lors de la déclaration du 23 avril 2002.

Sur la relaxe des chefs de fraude fiscale, blanchiment aggravé et complicité. La cour d’appel confirme le jugement de première instance ayant renvoyé les prévenus des fins de la poursuite. Il s’agissait selon elle de se prononcer sur le point de savoir si existait, à la date du décès de Daniel Wildenstein, une obligation de déclarer à sa succession les biens placés dans des trusts. Selon les juges d’appel, les textes en vigueur ne comportaient aucune disposition spécifique sur l’imposition de la propriété des biens trustés. En l’absence d’une telle obligation, dont l’omission constitue l’élément matériel du délit de fraude fiscale, la cour d’appel a considéré que le délit de fraude fiscale ne pouvait être constitué.

La cour d’appel a également relaxé les prévenus du chef de blanchiment.

Le Ministère public et les parties civiles ont formé un pourvoi à l'encontre de l’arrêt d’appel.

Moyens du pourvoi. Les demandeurs reprochent à la cour d’appel d’avoir déclaré le délit de fraude fiscale prescrit. Ils considèrent que l’action publique n’était pas prescrite dès lors que l’acte déclaratif de la succession était la déclaration de 2008 – et non celle de 2002 laquelle avait été annulée faisant disparaître l’élément matériel de l’infraction – et que la plainte de l’administration du 29 août 2011 avait donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire avant l’expiration du délai spécial de prescription résultant de l’article L. 230 du Livre des procédures fiscales.

Les demandeurs reprochent également aux juges d’appel de ne pas avoir dit si l’état du droit commandait que les éléments omis dans la déclaration devaient être portés à la connaissance de l’administration. Ils dénoncent le fait qu’en l’espèce, la cour d’appel s’était contentée d’énoncer qu’il n’y avait pas d’éléments suffisamment clairs et certains portant obligation de déclarer les biens placés dans un trust.

Les demandeurs affirment enfin que la cassation sur les moyens relatifs à la fraude fiscale devaient conduire à la cassation de l’arrêt sur les dispositions relatives au blanchiment aggravé et à la complicité.

Décision de la Cour.

Sur la prescription de la fraude fiscale. La Chambre criminelle censure l’arrêt d’appel au visa des articles 1741 du Code général des impôts (délit de fraude fiscale) (N° Lexbase : L6015LMQ) et L. 230 du Livre des procédures fiscales dans sa version applicable à la cause. La Haute juridiction rappelle que le second texte, lequel prévoit que la plainte de l’administration fiscale peut être déposée jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au cours de laquelle l’infraction a été commise, dispose également que l’action publique est suspendue pendant une durée maximum de six mois entre la date de la saisine de la commission des infractions fiscales et la date à laquelle cette dernière émet son avis. S’agissant du point de départ de la prescription, la Chambre criminelle ajoute qu’il débute le jour où l’infraction a été commise soit, « en cas d’omission de déclaration, le jour où celle-ci aurait dû être faite, en cas de dissimulation de sommes sujettes à l’impôt, le jour où une déclaration inexacte est produite auprès des services fiscaux » (Cass. crim., 13 décembre 1982, pourvoi n° 80-95.151 N° Lexbase : A9457ATG).

En l’espèce, la Cour souligne que la déclaration de succession, visant à l’établissement et au paiement des droits de mutation à la suite du décès de Daniel Wildenstein, a été déposée par ses héritiers le 31 décembre 2008. Contrairement à la cour d’appel, elle ne prend donc pas en compte la déclaration de 2002 (annulée par la suite) mais celle de 2008. Elle rappelle que, le 29 août 2011, la prescription a été régulièrement interrompue pas le réquisitoire introductif du procureur de la République.

La Chambre criminelle affirme que le fait que la déclaration ait été déposée après l’expiration du délai prévu par l’article 641 du Code général des impôts (N° Lexbase : L7673HLR) (six mois à compter du jour du décès) est sans conséquence dès lors qu’elle tendait à remplir l’objectif d’établissement et de paiement des droits de mutation.

La Haute juridiction précise enfin qu’il est également indifférent qu’une précédente déclaration portant sur la même succession, comportant des omissions déclaratives, et pour laquelle la prescription de l’action publique est considérée comme acquise, ait été déposée dans ce délai de six mois.

Sur la relaxe des chefs de fraude fiscale et complicité. La Chambre criminelle censure l’arrêt d’appel au visa des articles 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC) et 750 ter (N° Lexbase : L9528IQX), 784 (N° Lexbase : L2944LCZ), 800 (N° Lexbase : L6246LUU) et 1741 (N° Lexbase : L6015LMQ) du Code général des impôts. S'appuyant sur ces textes ainsi que sur sa jurisprudence civile, commerciale et fiscale, la Cour de cassation affirme que, sans méconnaissance de l’exigence de prévisibilité juridique, avant l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 2011, lorsque le constituant d’un trust de droit étranger, fût-il, aux termes de l’acte de trust, qualifié de discrétionnaire, irrévocable et ne prenant pas fin à son décès, ne s’est pas irrévocablement et effectivement dessaisi des biens placés, ses héritiers sont tenus de les déclarer lors de la succession. La Haute juridiction en déduit que la méconnaissance de cette obligation déclarative est susceptible de caractériser le délit de fraude fiscale.

Pour la Haute juridiction, il appartient donc au juge d’analyser le fonctionnement concret du trust concerné afin de déterminer si le constituant a, dans les faits, continué à exercer à l’égard des biens logés dans le trust des prérogatives qui sont révélatrices de l’exercice du droit de propriété, de telle sorte qu’il ne peut être considéré comme s’en étant véritablement dessaisi.

La Chambre criminelle affirme donc que c’est à tort que la cour d’appel a retenu l’absence, avant la loi du 29 juillet 2011, de toute obligation de déclarer, lors d’une succession, des biens placés dans un trust.

S’agissant de l’effectivité du dessaisissement du constituant à l’égard des biens placés dans les trusts, la Cour estime que les énonciations de l’arrêt d’appel sont « équivoques, voir contradictoires » et ne permettent donc pas à la Chambre criminelle de contrôler la motivation retenue par les juges à l’appui de la relaxe.

Sur la relaxe des chefs de blanchiment aggravé et complicité. Dans la mesure où la relaxe des chefs de blanchiment aggravé de fraude fiscale et de complicité commis dans le cadre de la succession de Daniel Wildenstein est fondée sur l’absence d’obligation légale déclarative de biens placés en trust ne se dénouant pas au décès du constituant et, eu égard à la réponse apportée aux moyens concernant la relaxe du chef de fraude fiscale, la Cour censure l’arrêt d’appel sur ce point.

La Chambre criminelle renvoie finalement la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris.

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