Le Quotidien du 2 avril 2020 : Droit pénal de la presse

[Brèves] Sanction infligée à un avocat et élu local pour dénonciation calomnieuse : la France condamnée pour violation de la liberté d’expression

Réf. : CEDH, 26 mars 2020, Req. 59636/16, Tête c/ France (N° Lexbase : A24923KI)

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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac

le 22 Avril 2020

► La condamnation d’un avocat et élu local pour dénonciation calomnieuse en raison d’une lettre ouverte adressée à l’AMF et dans laquelle il reprochait à la société Olympique Lyonnais Groupe (OL Groupe) et à son PDG d’avoir fourni des informations fausses et trompeuses dans le cadre de la procédure d’entrée en bourse de la société, emporte violation du droit à la liberté d’expression (CEDH, art. 10 N° Lexbase : L4743AQQ) dans la mesure où, notamment, l’intéressé s’exprimait sur un sujet d’intérêt général et dans le cadre d’une démarche politique et militante.

Telle est la position adoptée par la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt du 26 mars 2020 (CEDH, 26 mars 2020, Req. 59636/16, Tête c/ France N° Lexbase : A24923KI).

Résumé des faits. Les faits de l’espèce concernaient un avocat et conseiller municipal lyonnais qui avait adressé une lettre ouverte au président de l’AMF dans laquelle il attirait l’attention de ce dernier sur les circonstances d’entrée en bourse de l’OL Groupe, en particulier sur la qualité des informations relatives au projet OL Land figurant dans le document de base. Le président de l’AMF a répondu à l’intéressé que le traitement des éléments qu’il avait portés à sa connaissance relevait bien des missions de cette dernière, précisant toutefois qu’il ne pouvait donner de plus amples informations étant donné que l’AMF était astreinte à des règles strictes de secret professionnel. L’AMF ne donna pas de suite administrative ou judiciaire à cette lettre. L’OL Groupe et son PDG déposèrent plainte du chef de dénonciation calomnieuse à l’encontre de l’intéressé.

En première instance, ce dernier a été condamné au paiement d’une amende de 3 000 euros ainsi qu’au paiement de 5 000 euros au titre des frais exposés par les parties civiles. La cour d’appel a confirmé ce jugement en y ajoutant 5 000 euros au titre des frais exposés par les parties civiles devant elle. En avril 2016, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant (Cass. crim., 12 avril 2016, n° 14-87.124, F-D N° Lexbase : A6812RI7).

Invoquant une violation de son droit à la liberté d’expression, l’intéressé a saisi la CEDH.

Décision. Selon la Cour, l’ingérence dans l’exercice du droit au respect de la liberté d’expression du requérant n’était pas proportionnée au but légitime poursuivi et la motivation des décisions des juridictions internes ne suffisait pas pour la justifier. Il y a donc eu violation de l’article 10 de la Convention.

Pour conclure à cette violation, la Cour rappelle tout d’abord que dénoncer un comportement prétendument illicite devant une autorité est susceptible de relever de la liberté d’expression.

Ensuite, elle considère que la condamnation du requérant pour dénonciation calomnieuse à raison de la lettre ouverte qu’il a adressée au président de l’AMF constitue une ingérence dans l’exercice de sa liberté d’expression, dès lors que cette condamnation repose sur la substance des propos contenus dans cette lettre. Elle relève aussi que l’ingérence était prévue par la loi (C. pén., art. 226-10 N° Lexbase : L8312LCT) et qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la réputation ou des droits d’autrui (en l’occurrence, ceux du PDG d’OL Groupe).

Selon la juridiction strasbourgeoise, la cour d’appel de Paris s’est limitée à rechercher si les éléments constitutifs du délit de dénonciation calomnieuse étaient réunis, sans prendre en compte dans son raisonnement le droit à la liberté d’expression, invoqué expressément par le requérant. Ensuite, la Cour de cassation a estimé que les juges du fond n’avaient pas à répondre à ce moyen. Les juridictions internes n’ont pas procédé à la mise en balance du droit à la liberté d’expression du requérant et du droit au respect de la vie privée du PDG d’OL Groupe (dont la réputation était en cause) et elles n’ont donc pas dûment examiné la nécessité de l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression du requérant.

La Cour relève aussi que l’AMF n’a pas donné suite à la lettre. Aucune procédure n’a été initiée contre le PDG d’OL Groupe et le dossier n’a pas non plus été transmis au parquet. Cela relativise les effets que les propos figurant dans cette lettre ont pu avoir sur la réputation du PDG d’OL Groupe. Il n’y a d’ailleurs pas d’élément dans le dossier donnant à penser que la réputation de ce dernier aurait été durablement affectée.

Niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression. La Cour constate également que la lettre litigieuse s’inscrit dans un contexte dans lequel l’article 10 de la Convention exige à double titre un niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression, dès lors que le requérant s’exprimait sur un sujet d’intérêt général et dans le cadre d’une démarche politique et militante. En effet, il était question d’une grande infrastructure dont la réalisation était de nature à générer d’importantes dépenses publiques et avoir de fortes conséquences sur l’environnement. Il s’agissait d’un débat largement ouvert sur le plan local et le projet OL Land faisait l’objet d’une forte controverse. D’ailleurs, le grand nombre de recours administratifs exercés contre celui-ci le confirme. Par ailleurs, la lettre ouverte s’inscrivait dans le cadre de l’action politique et militante du requérant.

Contrôle de proportionnalité de l’ingérence. Dans la lettre ouverte litigieuse, le requérant a usé de la forme interrogative plutôt qu’affirmative. Or, la circonstance que les propos reprochés à un individu étaient entourés de précautions de style est un facteur à prendre en compte dans le cadre du contrôle de la proportionnalité d’une ingérence dans l’exercice de sa liberté d’expression.

La Cour rappelle aussi que la nature et la lourdeur des sanctions infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’on évalue la proportionnalité de l’ingérence. En l’espèce, le requérant a été condamné à une amende de 3 000 euros. Or, le prononcé même d’une condamnation pénale est l’une des formes les plus graves d’ingérence dans le droit à la liberté d’expression. À cela, s’ajoute la somme de 10 000 euros pour les frais exposés par les parties civiles devant les juridictions de fond.

Pour aller plus loin :

Cf. l’Ouvrage « Droit pénal spécial » (dir. J.-B. Perrier), ETUDE : La dénonciation calomnieuse (N° Lexbase : E9886EW3)

Cf. l’Ouvrage « Droit de la presse », (dir. E. Raschel), ETUDE : La liberté d'expression ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 55517013, "corpus": "encyclopedia"}, "_target": "_blank", "_class": "color-encyclopedia", "_title": "ETUDE : La libert\u00e9 d'expression", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: E4719Z8B"}})

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